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COURS DE LA CHAIRE JACQUES LECLERCQ 6 – 10 octobre 2014, 14h00-17h15 LANSO1391D – SOC Auditoire MONT 1 Prof. Nicky LE FEUVRE Université de Lausanne Labso - Institut des Sciences sociales

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COURS DE LA CHAIRE JACQUES LECLERCQ

6 – 10 octobre 2014, 14h00-17h15LANSO1391D – SOC Auditoire MONT 1

Prof. Nicky LE FEUVRE

Université de Lausanne

Labso - Institut des Sciences sociales

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De la société salariale à la société de l’individualisme : Défis pour la sociologie du travail et du genre

Introduction + 1ère séance

Lundi 6 octobre 2014

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QUELQUES MOTS D’INTRODUCTION PERSONNELLE

Un parcours européen de formation (genre, sociologie, science politique) et d’expérience professionnelle (Angleterre, France, Suisse)

Un intérêt pour le rapport des femmes au travail et à l’emploi, la féminisation des groupes professionnels, et les temporalités sociales

Une pratique (presque) systématique de comparaisons internationales

Un souci d’articuler réflexions théoriques et données empiriques (mixed methods) pour comprendre les changements sociaux en cours.

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TRAME DU COURS

Au sein de la sociologie, il existe un consensus assez fort quant à la crise actuelle (effritement, délitement, érosion) des fondements de l’organisation structurelle des sociétés occidentales du XXe siècle.

Que cette organisation soit nommée ‘consensus fordiste’, ‘1ère modernité’ ou ‘société salariale’, elle serait actuellement mise à mal par plusieurs phénomènes concomitants (capitalisme financier globalisé, déficits des dépenses publiques, montée du néolibéralisme, émancipation des femmes, chômage structurel...)

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TRAME DU COURS (2)

L’objectif de ce cours: Penser ces changements sous l’angle du

genre et de la division sexuelle du travail dans les sociétés européennes.

Eviter une vision trop ‘monochrome’ des effets de la ‘crise de la société salariale’ sur les femmes et sur l’égalité hommes / femmes.

Mettre l’accent sur les ambivalences et tensions qui se manifestent autour de ces changements, sous l’angle du genre.

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TRAME DU COURS (3)

Fil conducteur: La « société salariale », fondée sur un

« compromis fordiste » a participé à la consolidation de configurations de genre spécifiques, en Europe au 20e siècle.

La féminisation du marché du travail constitue un signe de la transformation de ce « régime de genre » dans le sens de plus d’égalité H/F et un signe d’effritement des fondements de la ‘société salariale’, dans le sens de plus d’incertitudes (pas seulement de genre).

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TRAME DU COURS (4)

Fil conducteur: Il est souvent affirmé que les femmes paient le plus

fort prix de la flexibilisation actuelle de l’emploi, mais cette hypothèse est rarement discuté en profondeur et elle tend à masquer / minimiser les différences entre femmes.

Hypothèse alternative à discuter ici: Les injonctions normatives qui étaient associées au « régime de genre » de la 1ère modernité ont cédé le pas à de nouvelles contraintes sociales: celles de l’autonomie responsable, de l’auto-détermination, pour les femmes et pour les hommes: = les sociétés de l’individualisme.

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TRAME DU COURS (5)

Fil conducteur: Loin d’être acculées à la dépendance à l’égard

d’un « homme pourvoyeur principal de ressources » (ou des transferts sociaux de substitution), les femmes sont aujourd’hui encouragées à une autonomie financière, affective et décisionnelle (au nom de l’égalité)

Dans un contexte d’effritement du lien entre salariat et protection sociale, cette nouvelle norme de l’autonomie responsable des femmes soulève de nouveaux enjeux de cohésion sociale et d’égalité (des sexes, mais pas seulement).

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PLAN DES COURS

Cours N°1 :

En guise d’introduction: Objectifs du cours

Penser le genre dans les sociétés de l’individualisme Les sociétés de l’individualisme: de quoi parle-t-on? L’ère de l’individualisme sous le regard sociologique Les liens tendus entre féminisme et individualisme

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PLAN DES COURS

Cours N°2: Ce que la « société salariale » implique pour la

division sexuelle du travail et pour le genre: Variabilité des « cultures de genre »: Outils

d’analyse et pratiques sociales (Pfau-Effinger) Articulation des niveaux de régulation des

« cultures de genre »: le rôle des institutions intermédiaires Comme le travail domestique et le travail à temps

partiel reviennent aux femmes (Battagliola);

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PLAN DES COURS

Cours N°3 : Mise en perspective socio-historique de l’effritement

de la « société salariale » (Robert Castel); Quand le salariat cesse d’être un « statut indigne »:

mobilisations collectives, droit du travail et protections sociales:

Film: Il était une fois le salariat (Anne Kunvari, 2006)Partie 1 1906-1975: Le temps de l’espoir (52 minutes) Critique de la thèse de la « centralité du travail »

dans les sociétés capitalistes contemporaines (Dominique Méda)

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PLAN DES COURS

Cours N°4 : Quand les fondements de la « société salariale »

s’effritent Les enjeux du passage de la « première » à la

« seconde » modernité: The Brave New World of Work (Ulrich Beck)

Film: Il était une fois le salariat (Anne Kunvari, 2006)Partie 2 1976-2006: Le temps du doute (52 minutes) Les effets ambivalents de la crise des sociétés

salariales, sous l’angle du genre

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PLAN DES COURS

Cours N°5: Penser le genre dans les sociétés de l’individualisme

Principes pour saisir la complexité des évolutions conjointes des régimes d’emploi, de protection sociale et de genre

La Révolution inachevée: L’adaptation des Etats-Providence aux nouveaux rôles des femmes (Esping-Andersen)

Exemple empirique des effets paradoxaux potentiels de l’évolution conjointe des sociétés salariales et des régimes de genre: Tensions autour du « vieillissement actif » et des

expériences au travail des seniors en emploi (Suisse)

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PLAN DES COURS

Quelques précisions organisationnelles:

Les slides de chaque séance seront mis à disposition des étudiant.e.s qui le souhaitent

Les enseignements seront évalués par une dissertation / commentaire de texte, en temps libre

…. Questions / Commentaires sur ce plan des séances?

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1er cours: Penser le genre à l’ère de l’individualisme

Objectif: Se demander ce que l’avènement des sociétés de l’individualisation implique, pour les femmes, mais surtout pour l’analyse (sociologique) du genre. En quatre temps:

1. Poser les fondements conceptuels de mon approche sociologique du genre;

2. Préciser la nature des défis analytiques auxquels les sociologues du genre sont confrontés aujourd’hui, en matière d’analyse des (in)égalités de sexe sur le marché du travail, et ailleurs; 15

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Penser le genre

A l’instar de la grande majorité des perspectives d’analyse développées actuellement en sociologie, je pars du principe que le genre est avant tout un phénomène relationnel (Théry, 2007) et de pouvoir. Ainsi, le genre (toujours au singulier) ne peut être pensé comme un attribut des individus (deux sexes = deux genres) et il ne renvoie pas principalement à une logique identitaire (femme = féminité / homme = masculinité) (Le Feuvre, 2003). Le genre est bien un processus social, qui se manifeste dans des institutions et des situations d’interaction (cf. le désormais fameux doing gender de West et Zimmerman, 1987 ou le doing difference de West et Fenstermaker, 1995), et qui fonctionne selon au moins deux registres distincts, mais articulés:

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Penser le genre

1. Le registre de la différenciation, qui opère une distinction relativement arbitraire dans le continuum des caractéristiques anatomiques de l’espèce humaine, pour créer deux catégories sociales, mutuellement exclusives : les hommes (mâles) et les femmes (femelles) (cf. Le Feuvre, 2003).

Ces catégories sont instituées (ex. par l’état civil, qui ne laisse aucune possibilité aux individus d’exister en dehors d’elles et qui posent des limites juridiques au passage de l’une à l’autre).

Elles sont également incorporées, par le biais des socialisations primaires et secondaires.

La notion de « tabou de la similitude » de Nicole-Claude Mathieu (1991), paraît particulièrement heuristique pour décrire cette 1ère dimension du genre.

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Penser le genre

2. Le registre de la hiérarchisation accorde une valeur sociale (et symbolique) systématiquement supérieure aux manières d’être et de faire associées au groupe des hommes (ainsi constitué), par rapport à celui des femmes.

La notion de la « valence différentielle des sexes », proposée par Françoise Héritier (1996) rend bien compte de cette 2ème dimension du genre.

Cette hiérarchie se manifeste sur le plan matériel (préférence masculine lors de l’accès aux ressources) et sur le plan symbolique (dévalorisation du féminin, de la féminité, y compris dans les productions culturelles)

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Penser le genre

Toutefois, une reconnaissance de l’historicité du genre oblige à admettre que:

1. Le différentiation des sexes / genre est un processus éminemment social (et donc potentiellement réversible)

2. La valence différentielle des sexes (ou la ‘domination masculine’ ») est historiquement situé

Aucune des dimensions du genre (ou du « système de genre ») ne constitue une caractéristique nécessaire, universelle et invariable de toute société humaine. 19

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Penser le genre pour changer la société Le croisement de ces 2 dimensions du genre

débouche sur plusieurs conceptions alternatives de « l’égalité »:

1. Celles qui insistent surtout sur la nécessité de réduire la dimension hiérarchique du genre, sans modifier pour autant le principe de différenciation (cf. modèle dit « féminitude », Le Feuvre, 1999);

2. Celles qui visent la réduction des entraves (matérielles et/ou cognitives) qui empêchent les femmes d’adopter les comportements (arbitrairement) connotés au masculin et qui sont les plus socialement valorisés (cf. modèle dit « virilitude », Le Feuvre, 1999).

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Penser le genre pour changer la société

3. Celles qui partent du principe que les deux dimensions du genre « font système » et ne peuvent être appréhendées séparément.

Cette conception de l’égalité vise l’indifférenciation et l’interchangeabilité des individus - hommes et femmes - dans toutes les sphères de la vie (cf. modèle dit « dépassement du genre », Le Feuvre, 1999).

***

L’idée d’une variabilité sociohistorique de « l’emprise du genre » (Löwy, 2006) sur les individus est rarement évoquée en études genre.

Pourtant, cela constitue un postulat absolument indispensable à l’analyse des effets de le 2ème modernité / des sociétés de l’individualisme – sur les rapports hommes / femmes. 21

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L’antinomie du genre et de l’individualisme / auto-détermination

Le genre:

1. Agit de manière prescriptive et contraignante (les éventuelles transgressions ont un « coût »);

2. Pose le cadre des actions et interactions sociales, et définit les modalités concrètes de celles-ci;

3. « S’impose » aux individus comme une évidence dans leurs conduites quotidiennes.

Ainsi, le genre est foncièrement et ontologiquement un mécanisme de limitation des incertitudes et de l’imprévisibilité (notamment, dans les parcours de vie) (Le Feuvre, 2014).

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L’antinomie du genre et de l’individualisme / auto-détermination

Les sociétés de l’individualisme: Valorisent l’autonomie et l’autodétermination des

individus; Les « individus individualisés » ne peuvent

accepter des prescriptions normatives, qui poseraient d’emblée des limites à leur « construction de soi » et capacité d’autodétermination.

Les études genre: Postulent que les appartenances sexuées

constituent des déterminants forts, structurels et pérennes de toute société humaine connue à ce jour (cf. l’idée de « scripts sexués »).

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L’antinomie du genre et de l’individualisme / auto-détermination

Le compromis fordiste: A institutionnalisé un « régime » particulier de genre,

fondé sur la séparation / complémentarité des sphères (travail – famille & care) et sur la spécialisation des sexes;

La crise actuelle des « sociétés salariales » est au moins en partie une crise de ce « régime de genre », manifestement contraire aux principes de l’autonomie responsable et de l’auto-détermination.

L’organisation du travail (emploi + activités de care) Bouleversée par des changements intervenus du

côté du salariat (flexibilité accrue) et du côté du genre (principe d’interchangeabilité des sexes). 24

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Les sociétés de l’individualisme: de quoi parle-t-on?

Devant les difficultés à décider d’indicateurs empiriques fiables d’une (éventuelle) « montée de l’individualisme », il me semble éclairant de partir du principe proposé par Alain Ehrenberg, selon lequel, nos sociétés sont désormais celles de l’individualisme. Cela permet de garder à l’esprit le caractère éminemment ambivalent du processus d’individualisation : « l’affirmation de soi est à la fois une norme, parce qu’elle est contraignante, et une valeur, parce qu’elle est désirable » (Ehrenberg, 2010 : 12).

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Les sociétés de l’individualisme: de quoi parle-t-on?

Pour Ehrenberg, les sociétés occidentales sont passées de « l’âge de la discipline » à « l’âge de l’autonomie ».

Ce passage se manifeste et se cristallise dans les principes d’organisation du travail.

Il affirme néanmoins que: « Ce n’est pas parce que la vie humaine paraît plus personnelle aujourd’hui qu’elle est moins sociale, moins politique, moins institutionnelle. Elle l’est autrement. »

(Ehrenberg, 2010: 15).

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Les sociétés de l’individualisme: de quoi parle-t-on?

« L’action autonome est le style d’action le plus valorisé, celui que nous attendons et que nous respectons le plus, qui possède un grand prestige parce qu’il est considéré comme le plus efficace instrumentalement et le plus digne symboliquement (…) Nous avons affaire à un nouvel esprit de l’action en référence à la valeur suprême qu’est aujourd’hui l’autonomie. » (Ehrenberg, 2010: 16).

Ici, l’individualisme = une nouvelle injonction sociale et non pas le signe d’une « déprise » du social sur les individus (Le Feuvre, 2014).

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Les sociétés de l’individualisme: de quoi parle-t-on?

En même temps:

« La santé mentale constitue un nouveau jeu de langage permettant de parler de et d’agir sur les problèmes, dilemmes et conflits suscités par l’autonomie. » (Ehrenberg, 2010: 18)

= Une perspective très éclairante quand il s’agit de comprendre l’attention actuellement accordée aux « risques psycho-sociaux » au travail.

Les « souffrances » s’expriment toujours dans le registre discursif le plus légitime…

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L’ère de l’individualisme sous le regard sociologiqueLes écrits sociologiques sur le processus d’individualisme s’organisent autour de 2 pôles Un pôle critique, mettant l’accent sur les

méfaits de ce processus, sous la forme de nouvelles pathologies / souffrances psychosociales et de nouveaux risques de « désaffiliation » sociale.

Un pôle compréhensif, insistant davantage sur la « démocratisation de la vie personnelle ou sur une recomposition des liens sociaux dans un sens plus favorable aux individualités » (Corcuff et al, 2010 : 331).

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L’autodétermination des femmes comme finalité des revendications féministes

En dépit de son caractère collectif, la 2ème vague du MLF était bien un mouvement « individualisant », dans le sens où elle a revendiqué, pour les femmes, un accès égal à l’auto-détermination et à l’autonomie: Le droit à l’avortement et à la contraception; Le droit à l’emploi (et l’accès indépendant des

femmes aux droits sociaux associés); La reconnaissance des choix amoureux multiples

et atypiques (homosexualité, monoparentalité...)

Les trois piliers des revendications féministes des années 1970 et suivantes (Halsaa et al, 2012).

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L’autodétermination des femmes comme finalité des revendications féministes

Ainsi, le MLF (et les études genre qui ont émergé dans son sillage), ont bien réclamé une « autonomisation » des femmes, dans la mesure où l’autonomie se conçoit comme:

« la liberté de choix au nom de la propriété de soi et la capacité à agir de soi-même dans la plupart des

situations de la vie »

(Ehrenberg, 2010 : 12).

De ce fait, il paraît problématique d’appréhender les sociétés de l’individualisme exclusivement sous l’angle de la vulnérabilité accrue des femmes, voire des risques de désaffiliation sociale auxquels les femmes seraient aujourd’hui confrontées.

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L’autodétermination des femmes comme finalité des revendications féministes

Avant de revenir sur la manière dont les sociologues du genre appréhendent les injonctions à l’auto-détermination des femmes, il paraît utile de consacrer une 2ème partie de cette séance à documenter les « régimes de genre » qui sont bouleversés par l’émergence et la consolidation des principes des sociétés de l’individualisme. Pour cela, je ferai référence à deux études « classiques » en la matière: Birgit Pfau-Effinger Françoise Battagliola 32

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Conclusion intermédiaire

Les approches en termes « cultures / contrats de genre » sont utiles pour rappeler que les rapports hommes / femmes ne se configurent pas de manière identique dans tous les contextes socio-historiques Capacité à penser l’historicité du genre

Elles sont moins utiles pour rendre compte des variations internes à un contexte socio-historique donné (par âge, classe, ethnicité) Difficulté à penser les changements de

paradigme en matière de modèles d’égalité

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Merci de votre attention….

A demain, pour une séance consacrée aux variations de la division sexuelle du travail dans

le contexte des « sociétés salariales » européennes

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Références bibliographiques

Corcuff, P., Le Bart, C., de Singly, F. (2010) L’individu aujourd’hui. Débats sociologiques et contrepoints philosophiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

Halsaa, B., Roseneil, S. et Sümer, S. (eds.) Remaking Citizenship in Multicultural Europe: Women’s Movements, Gender and Diversity, Londres, Palgrave.

Ehrenberg, A. (2010) La Société du malaise, Paris: Odile Jacob. Héritier, F. (1996) Masculin-Féminin I. La Pensée de la différence, Paris: Odile Jacob Le Feuvre, N. (2014) « Les défis de l’incertain sous l’angle du genre », in D. Vrancken (dir.)

Penser l’incertain, Québec: Presses de l’Université Laval: 113-135. Le Feuvre, N. (2003) « Le ‘genre’ comme outil d’analyse sociologique », in D. Fougeyrollas-

Schwebel, C. Planté, M. Riot-Sarcey et C. Zaidman (dirs.) Le genre comme catégorie d’analyse : sociologie, histoire, littérature, Paris: l’Harmattan: 39-52.

Le Feuvre, N. (1999) “Gender, Occupational Feminization and Reflexivity: A Cross-National Perspective”, In R. Crompton (ed.) Restructuring Gender Relations and Employment: The Decline of the Male Breadwinner, Oxford, Oxford University Press: 150-178.

Löwy, Ilana. (2006) L'emprise du genre: masculinité, féminité, inégalité, Paris: La Dispute. Mathieu, N.-Cl. (1991) L’Anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Côté-

femmes. Théry, Irène (2007) La Distinction de sexe, Une nouvelle approche de l’égalité, Paris: Odile

Jacob. West C. and Fenstermaker S. (1995) "Doing Difference" Gender & Society n° 9, pp. 8-37. West C. and Zimmerman D. H. (1987) “Doing gender", Gender & Society, n°2, pp. 125-151.