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CHAPITRE XIV LES ISOTOPES Préambule Puisqu’un noyau portant un nombre précis de protons peut avoir un nombre variable de neutrons (les isotopes), quelles sont les propriétés de ces isotopes ? Comment les observe-t- on ? Quelles sont les règles, les lois ou les forces qui déterminent le nombre d’isotopes ? Existent-ils en égales proportions ? Comment peut-on les séparer ? et quels en sont les principaux usages ou les principales applications ? 1. Introduction La découverte des isotopes résulte de l’analyse des rayons canaux par la méthode de déflexion électrique et magnétique. Par la méthode de la parabole, J. J. THOMSON (1913) fut le premier à mettre en évidence ce nouveau phénomène. ASTON perfectionna cette méthode et il peut être considéré comme l’inventeur du spectrographe de masse. La source d’ions est toujours constituée par les rayons canaux, mais les champs électriques et magnétiques sont placés de telle sorte que les ions de même valeur e/m sont focalisés sur une courte raie quelle que soit leur vitesse (d’où le nom de spectrographe). Les spectrographes modernes utilisent différentes sources d’ions. Les plus anciennes et encore les plus nombreuses sont constituées d’un faisceau d’électrons croisant à angle droit le faisceau atomique ou moléculaire. L’ionisation se produit par choc: c’est de l’ionisation électronique. Dans ce cas on peut contrôler l’énergie des électrons en contrôlant leur vitesse. De façon standard, le potentiel d’accélération de ces électrons est fixé à 70 eV, bien que sur les appareils plus sophistiqués on peut aussi contrôler et ajuster à volonté ce potentiel. Dans le cas d’un faisceau atomique, puisque les divers atomes n’ont pas la même énergie d’ionisation , on pourra les différencier à la fois par le potentiel d’apparition des ions et leur valeur e/m. On trouve aussi maintenant des faisceaux constitués d’ions positifs tels que H 3 + , CH 5 + , tert-C 4 H 9 + , etc. Dans ces cas, la fragmentation des ions moléculaires est en général beaucoup moins importante. En effet, les ions résultent plutôt du transfert d’un proton et non d’un choc entre un électron accéléré. Les énergies ainsi libérées en ionisation chimique sont moins grandes. Ainsi, le spectre de masse est susceptible de contenir un signal plus important correspondant à la masse moléculaire augmentée d’une unité : RH + + M R + MH + Dans le cas de molécules ayant la même masse moléculaire, comme par exemple l’oxyde de carbone, l’azote et l’éthylène à la masse 28, on fait appel à des appareils capables de très haute résolution. (voir plus loin, les masses exactes des noyaux).

cours, examens · 2017. 6. 2. · Author: samia Created Date: 4/16/2017 9:53:50 AM

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CHAPITRE XIV

LES ISOTOPES

Préambule

Puisqu’un noyau portant un nombre précis de protons peut avoir un nombre variable de

neutrons (les isotopes), quelles sont les propriétés de ces isotopes ? Comment les observe-t-

on ? Quelles sont les règles, les lois ou les forces qui déterminent le nombre d’isotopes ?

Existent-ils en égales proportions ? Comment peut-on les séparer ? et quels en sont les

principaux usages ou les principales applications ?

1. Introduction

La découverte des isotopes résulte de l’analyse des rayons canaux par la méthode de déflexion

électrique et magnétique. Par la méthode de la parabole, J. J. THOMSON (1913) fut le

premier à mettre en évidence ce nouveau phénomène. ASTON perfectionna cette méthode et

il peut être considéré comme l’inventeur du spectrographe de masse. La source d’ions est

toujours constituée par les rayons canaux, mais les champs électriques et magnétiques sont

placés de telle sorte que les ions de même valeur e/m sont focalisés sur une courte raie quelle

que soit leur vitesse (d’où le nom de spectrographe).

Les spectrographes modernes utilisent différentes sources d’ions. Les plus anciennes et encore

les plus nombreuses sont constituées d’un faisceau d’électrons croisant à angle droit le

faisceau atomique ou moléculaire. L’ionisation se produit par choc: c’est de l’ionisation

électronique. Dans ce cas on peut contrôler l’énergie des électrons en contrôlant leur vitesse.

De façon standard, le potentiel d’accélération de ces électrons est fixé à 70 eV, bien que sur

les appareils plus sophistiqués on peut aussi contrôler et ajuster à volonté ce potentiel. Dans le

cas d’un faisceau atomique, puisque les divers atomes n’ont pas la même énergie

d’ionisation , on pourra les différencier à la fois par le potentiel d’apparition des ions et leur

valeur e/m. On trouve aussi maintenant des faisceaux constitués d’ions positifs tels que H3+,

CH5+, tert-C4H9

+, etc. Dans ces cas, la fragmentation des ions moléculaires est en général

beaucoup moins importante. En effet, les ions résultent plutôt du transfert d’un proton et non

d’un choc entre un électron accéléré. Les énergies ainsi libérées en ionisation chimique sont

moins grandes. Ainsi, le spectre de masse est susceptible de contenir un signal plus important

correspondant à la masse moléculaire augmentée d’une unité :

RH+ + M R + MH

+

Dans le cas de molécules ayant la même masse moléculaire, comme par exemple l’oxyde de

carbone, l’azote et l’éthylène à la masse 28, on fait appel à des appareils capables de très

haute résolution. (voir plus loin, les masses exactes des noyaux).

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Spectrographe de BAINBRIDGE

Spectrographe d’ASTON

Figure 14.1. Spectrographes de masse.

2. La règle du nombre entier

Les valeurs des différentes masses des atomes sont comparées à celle de l’isotope 12 de

l’atome de carbone. La précision des mesures d’ASTON était de 1 pour 1 000. Il découvrit

que le néon, de poids atomique chimique 20,20, mesuré par des méthodes chimiques moins

subtiles, était en fait composé de trois isotopes de poids atomiques 20,00, 21,00 et 22,00. Les

intensités des raies correspondantes étaient 9 pour l’élément 20, 1 pour l’élément 22 et

pratiquement 0 pour l’élément 21. Il put donc montrer que le poids atomique chimique

correspondait bien au mélange dans la proportion 9 pour 1 des néons 20 et 22.

ASTON a pu faire la même démonstration pour d’autres éléments dont les poids atomiques

chimiques n’étaient pas entiers. Il trouva des nombres d’isotopes élevés pour certains

éléments : 10 pour l’étain, 9 pour le xénon,... Il montra également que les éléments dont le

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poids atomique chimique est un nombre entier ne possèdent pas d’isotope : c’est le cas du

fluor, du sodium, de l’aluminium,... ou bien possèdent des isotopes très rares comme dans le

cas de l’hélium. Actuellement, on connaît environ 300 isotopes stables. Le nombre d’isotopes

instables - voir plus loin le chapitre sur la radioactivité- est encore plus grand.

La règle du nombre entier qui conclut ces expériences exprime que tout élément dont le

poids atomique chimique diffère d’un nombre entier, résulte d’un mélange d’isotopes,

chacun d’eux ayant un poids atomique mesuré par un nombre entier.

Dès 1815, PROUST nota que les poids atomiques avaient une préférence marquée pour les

valeurs entières. Il émit l’hypothèse que les atomes de tous les éléments sont construits avec

la même particule fondamentale, probablement l’hydrogène, le plus léger de tous les atomes.

À mesure que les masses atomiques furent connues de façon plus précise cette hypothèse

devint insoutenable puisque les valeurs entières sont des exceptions.

L’expérience et les conclusions d’ASTON donnèrent une vie nouvelle à l’hypothèse de

PROUST. Mais le problème de la détermination de la particule élémentaire se heurta à une

autre difficulté: les écarts à la règle du nombre entier. On verra comment plus tard expliquer

ces écarts.

La précision des spectrographes de masse s’est améliorée de façon telle qu’il est possible de

déterminer les masses avec cinq chiffres significatifs. Cette précision est si élevée que l’ont

peut séparer 2H et

1H2 (l’atome de deutérium et la molécule d’hydrogène) qui ne diffèrent que

par une différence de masse infime. En prenant arbitrairement pour poids atomique de

référence l’atome de carbone 12, (12

C), les masses des éléments les plus légers de la

classification périodique apparaissent au tableau 14.2.

Le choix de la référence

On aurait pu penser créer une table des masses atomiques des éléments chimiques à partir de

l’atome d’hydrogène. Cet élément chimique moléculaire à l’état naturel, n’était guère d’usage

facile. Pour leur part, les gaz rares, justement à cause de leur rareté, ne constituaient pas non

plus une référence appropriée. L’oxygène, bien que moléculaire, constituant stable,

généreusement distribué et donc accessible fut rapidement utilisé par les chimistes de tous les

pays et cela jusque en 1961. Avec cette référence, l’hydrogène atomique avait une masse de

1,008. L’oxygène est formé de trois isotopes stables :

- 16

O (8 neutrons, 8 protons) 99,759 %

- 17

O (9 neutrons, 8 protons) 0,037 %, et

- 18

O (10 neutrons, 8 protons) 0,204%.

Les physiciens proposaient de donner la masse 16 non pas à l’oxygène naturel mais bien

plutôt à l’oxygène16. Il y avait donc une différence importante entre l’échelle des chimistes et

celle des physiciens (tableau 14.1a). On chercha à se mettre d’accord. En 1957, ORLANDER

et NIER proposèrent plutôt d’utiliser le carbone12 comme référence. En effet, la séparation de

cet élément était devenu plus facile que celle de l’oxygène16, le carbone étant en outre un

constituant universel d’une famille sans limite de composés. Ce choix fut ratifié en 1960 à

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Ottawa par l’Union internationale de physique et en 1961 à Montréal par l’Union

internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC).

Tableau 14.1. Échelles comparées des références pour les masses atomiques

Élément Échelle des

chimistes

Échelle des

physiciens

Nouvelle échelle

commune (1961)

Onat 16,000 00 16,004 4 15,999 4 16

O 15,995 15,994 91 15,994 91

Cnat 12,010 12,015 0 12,011 15 12

C 12,000 52 12,003 82 12,000 00

Hnat 1,008 0 1,008 28 1,007 97 1H 1,008 0 1,008 131 1,007 796

Tiré de Denis-Papin, M. et J. Castellan, Métrologie générale, tome II,

Dunod, Paris (1971).

Tableau 14.1a. Masse des isotopes naturels légers stables

Noyau Masse Noyau Masse Noyau Masse 1n 1,008 665

11B 11,009 305

19F 18,998 405

1H 1,007 825

12C 12,000 000

20Ne 19,992 436

2H 2,014 102

13C 13,003 355

21Ne 20,993 843

3He 3,016 029

14N 14,003 074

22Ne 21,991 383

4He 4,002 603

15N 15,000 109

23Na 22,989 768

7Li 7,016 003

16O 15,994 915

24Mg 24,985 042

9Be 9,012 186

17O 16,999 131

25Mg 24,985 837

10B 10,012 937

18O 17,999 160

26Mg 25,982 594

http://www.webelements.com/

3. Abondance des isotopes

Les poids atomiques chimiques sont aussi nettement reproductibles que la précision des

mesures, à tel point qu’avant la découverte des isotopes ces nombres étaient considérés

comme des constantes fondamentales. Maintenant, nous savons que le principal facteur

déterminant le poids atomique chimique est l’abondance relative des divers isotopes (Tableau

14.1b). La mesure de l’abondance relative combinée avec les poids atomiques physiques des

isotopes fournit une détermination extrêmement précise des poids atomiques chimiques. Ces

faits montrent que l’abondance relative est une constante rigoureusement suivie par la Nature.

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Les analyses de météorites montrent que cette constance n’est pas uniquement terrestre mais

universelle et donc qu’elle est liée au processus de création du monde : voir Fig. 14. 2.

Tableau 14.1b. Abondance des isotopes naturels légers stables

Noyau % Noyau % Noyau % 1H 99,9885

12C 98,93

20Ne 90,48

2H 0,0115

13C 1,07

21Ne 0,27

3He 0,000 137

14N 99,632

22Ne 9,25

4He 99,999 863

15N 0,368

23Na 100

7Li 92,41

16O 99,757

24Mg 78,99

9Be 100

17O 0,038

25Mg 10,00

10B 19,9

18O 0,205

26Mg 11,01

11B 80,1

19F 100

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Figure 14.2a. Isotopes naturels de quelques corps simples.

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Figure 14.2b. Isotopes naturels de quelques corps simples.

Il y a cependant quelques exceptions à cette loi. Par exemple, on observe également une

légère variation dans le rapport D/H (2H/

1H) de l’eau entre les eaux de surface des océans et le

fond des fosses océaniques. Il existe un léger gradient de concentration en atomes lourds

lorsque ce rapport est mesuré à des profondeurs de plus en plus grandes. Dans les synthèses

biologiques, il apparaît de fines différences dans les rapports isotopiques. Cette propriété est

parfois utilisée pour identifier l’origine de certains produits dont on doute de la provenance.

Par exemple, l’origine d’artefacts industriels de l’époque gréco romaine et mis à jour par les

archéologues, peut être certifiée en mesurant les rapports isotopiques du plomb. Des

échantillons de plomb provenant de lieux différents présentent des abondances isotopiques

différentes. Le plomb est l’élément terminal des séries radioactives naturelles et l’abondance

relative de ses isotopes dépend de la nature du minerai radioactif primaire (voir le chapitre

suivant, 15.9). Ainsi, les objets fabriqués dans différentes contrées ou îles de la région

méditerranéenne ont des rapports 207

Pb/206

Pb, 206

Pb/204

Pb et 207

Pb/206

Pb qui varient avec

l’origine du minerai, source du métal (Fig. 14.3).

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Figure 14.3. Rapports isotopiques du plomb dans différents minerais situés en Méditerranée

centrale.

(Grèce continentale : Othrys, Essimi, Lavrion; Îles grecques : Kythnos, Thasos, Chypre).

Certains isotopes sont très rares (en termes de concentration): 2H : 0,02 %,

13C : 1,1 %,

15N :

0,4 %, 17

O : 0,04 %, 18

O : 0,20 %, 46

Ca : 0,003 %, 235

U : 0,7 %, ...

Le cas du rapport isotopique 13

C/12

C

Des analyses en spectrométrie de masse de très haute précision permettent d’observer et de

mesurer des différences extrêmement fines dans le rapport isotopique 13

C/12

C des composés

organiques. Ce rapport en effet varie en fonction des divers paramètres tels que le mode de

synthèse du produit selon son origine animale, végétale, marine,... La figure 14.4 montre que

si ce rapport est inférieur à 1,085 pour les combustibles fossiles, il se situe plutôt entre 1,094

et 1,111 pour les carbonates terrestres. Détails fort intéressants ou intrigants, il semble que le

CO2 de la respiration humaine soit plus riche en 13

C chez les américains comparativement à

celui des européens et le sucre provenant de la betterave à sucre est légèrement plus

pauvre 13

C que celui extrait de la canne à sucre.

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Figure 14.4. Exemples de déviation naturelle de 13

C.

(Tiré de Meier-Augenstei, W.n, LC•GC, 15(3), 244 (mars 1997)).

Cette figure montre aussi certaine de ces variations. Ainsi, le rapport 13

C/12

C se situe entre

1,055 et 1,111 pour une grande variété de produits. Les variations extrêmes sont donc très

faibles, le rapport 13

C/12

C ne variant tout au plus que de 6 % et à l’intérieur de produits

particuliers, la variation est le plus souvent inférieure à 1 %. Dans le cas des plantes terrestres,

cette variation est au plus de 0,033 %. C’est donc dire l’extrême sensibilité requise des

spectromètres de masse. À cette échelle limitée, on a substitué une notation 13

C [‰] :

Dans cette égalité, R = 13

C/12

C. La valeur Rstandard est celle d’un échantillon d’un carbonate de

calcium (belemnite) extrait de la formation Pee Dee en Caroline du sud: RPDB = 0,0112372 ±

0,000009, ce qui est équivalent à une abondance de 1,1112328 ‰ en 13

C. La figure 14.4

montre combien l’échelle ainsi constituée est plus simple de lecture.

Dans le cas d’un composé organique, le principe de la méthode de mesure de ce rapport

consiste tout d’abord à transformer le carbone en CO2 puis d’injecter ce CO2 dans le port

d’entrée d’un spectromètre de masse et de calculer les rapports en mesurant les pics observés

aux masses 44 et 45. Le couplage chromatographe à gaz - spectromètre de masse isotopique

(CG/SMI) est une méthode très puissante d’analyse des mélanges complexes. Par exemple, à

la sortie d’un chromatographe à gaz, les produits sont acheminés sur un micro-four contenant

un mélange oxyde de nickel + palladium ou le précédent mélange enrichi d’oxyde de cuivre

chauffé vers 900 ºC.

La valeur du rapport 13

C/12

C renseigne sur les différents processus biochimiques et

physiologiques que génère la photosynthèse des plantes. Si le mécanisme de fixation du

CO2 est le même pour toutes les plantes, celui de son extraction de l’atmosphère se déroule

selon trois processus :

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Le cycle de Calvin (C3), (dans les fruits : raisin, pomme, betterave, citron, olive, ...); Le cycle Hatch Slack (C4), (canne à sucre, maïs, sorgho, millet, ...); Le cycle CAM (cactus, ananas, vanille, ...) (Fig. 14.3). Ce cycle est intermédiaire

entre les deux précédents. En effet, dans ce cas, les deux premiers cycles sont actifs :

l'un le jour, l'autre la nuit.

Dans chaque cas les teneurs en 12

C et 13

C sont différentes. Le cycle de Calvin produit des

déviations isotopiques 13

C allant de – 23 à – 30 °/°° et pour le cycle de Hatch Slack allant de

–9 à –13 °/°° . On peut donc, par exemple, détecter aisément l’ajout de sucre de canne dans

les jus de fruits. L’analyse isotopique de l’hydrogène et de l’oxygène permet de reconnaître le

cycle de l’eau.

D’autres extensions ont été faites vers les isotopes de l’hydrogène, de l’oxygène,...

Les teneurs en isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène sont exprimées en ‰ par rapport à la

référence SMOW (Standard Mean Ocean Water).

La valeur de la référence du standard international est telle que : 18

O/16

O = 0,200 52

% et 2H/

1H = 155,76 ppm.

Le rapport isotopique 18

O/16

6O mesurés dans du matériel végétal est particulièrement sensible

aux conditions climatiques qui ont prévalu pendant la croissance de la plante. Par exemple la

déviation isotopique mesurée dans le vin peut varier de –1,9 (écart type 0,2) à + 2,0 (écart

type 0,5) entre deux années successives pour la production du même vin dans la même

propriété. On voit donc qu’il est pratiquement possible de distinguer non seulement la région

de production mais aussi l’année de production.

Le cas du rapport isotopique 15

N/14

N

L’appareillage a été quelque peu modifié pour mesurer le rapport isotopique des masses 14

N

et 15

N. Dans ce cas le four contient un fil de cuivre chauffé à 600 ºC. Les oxydes d’azote sont

alors réduits en azote. Pour éviter les interférences des ions CO+

à la masse 28 et 13

C16

O+

à la

masse 29, l’effluent gazeux passe sur un piège refroidi à l’azote liquide pour piéger le gaz

carbonique avant d’être acheminé vers le spectromètre de masse. La valeur de la référence du

standard international est telle que : 15

N/14

N = 0,367 65 %.

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Les premières applications ont été effectuées sur des substances pures isolées. Le couplage du

spectromètre de masse à la chromatographie gazeuse a notablement facilité et amélioré les

mesures de déviations isotopiques. La mise en œuvre des techniques multiplie les possibilités

et les performances.

Exemple d’application Cas de la vanilline

À cause du prix élevé de la vanilline (Fig. 14.5), son adultération avec une vanilline de

synthèse pose de sérieux problèmes pour le commerce de ce produit. La vanilline peut être

synthétisée à partir de la lignine, de l’eugénol, du guaïacol; dans ces trois cas la valeur 13

C

est inférieure à –26 ‰ alors qu’il est compris entre 16 et –21 ‰ pour la vanilline naturelle.

L’adultération de la vanilline peut être réalisée par :

- ajout de vanilline de synthèse,

- ajout de vanilline de synthèse enrichie en [méthyle-13

C] ou [carbonyle-13

C].

Le couplage permet de déjouer ces contrefaçons (Tableaux 14.2 et 14.3).

Figure 14.5. La vanilline.

Tableau 14.2. Analyse isotopique (13

C) de la vanilline naturelle, synthétique et "simulée

naturelle"

Échantillon 13

CPDB (total) 13

CPDB* (méthyle)

vanilline de vanille (Madagascar) 21,4* 23,3 à 24,3, moyenne : 24,0

vanilline (synthétique) de lignine 27,3 28,2 à 28,8, moyenne : 28,4

* 4 échantillons.

Tableau 14.3. Analyse isotopique de la fonction carbonyle de la vanilline

de différents extraits de vanille

Échantillon 13

Ccarbonyle Remarques

lignine 37,7 ± 1,4 vanilline de lignine connue

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lignine altérée +22,0 ± 0,6 vanilline de lignine avec addition de [carbonyle-13

C] vanilline

Bourbon* 23,2 à 29,9 vanilline naturelle connue

commercial 42,8 à 43,1 13

CMéthyle = +16,0 adultéré en méthyle-13

C

commercial 24,5 Probablement naturel

commercial + 67,1 13

CTotal = 15,6 adultéré en carbonyle-13

C

* 5 échantillons. Tiré de Chalchat, J. Cl. et R. Ph. Garry, Actes du colloque "Produits naturels d’origine

végétale", 211, 18-24 octobre 1995, Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec.

Les éléments tels le carbone et l’azote sont aisément analysables par les techniques de

spectrométrie de masse. Les molécules sont oxydées en gaz carbonique ou en oxydes d’azote

respectivement. Les oxydes d’azote sont ensuite réduits en diazote. On mesure donc les

rapports 13

CO2/12

CO2 et 15

N14

N/14

N14

N. On obtient donc les rapports isotopiques 13

C/12

C

et 15

N/14

N de l’ensemble de la molécule. La mesure isotopique du rapport 2H/

1H s’obtient

directement sans transformation de la molécule par résonance magnétique nucléaire. On peut

donc mesurer dans ce dernier cas le rapport isotopique non pas de la molécule entière mais de

parties de la molécule (Fig. 14.6). Les techniques de mesure de résonance magnétique du

carbone-13 permettent aussi ce genre de mesures.

Figure 14.6. Abondances isotopiques de la vanilline naturelle mesurées par RMN-2H et

exprimées en ppm..

4. Spectres atomiques des isotopes

On a vu (Chapitre 5.5) que la constante de RYDBERG dépend de la masse du noyau. Ceci est

vérifié expérimentalement pour H, He+, Li

++, Be

+++ dont les spectres sont analogues à ceux de

l’hydrogène, mais dont la position des raies est légèrement différente. De même, les spectres

de 1H et

2H sont légèrement différents. Ce sont d’ailleurs les satellites observés au voisinage

des raies de la série de BALMER qui ont amené la découverte du deutérium. Les valeurs

calculées et mesurées des fréquences des raies des deux éléments sont en excellent accord et

confirment les hypothèses de BOHR (Tableau 14.4).

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L’effet isotopique sur les raies existe également pour les atomes plus compliqués. Il est

difficilement calculable et il est même difficile à mettre en évidence car la séparation des raies

est très petite.

Tableau 14.4. Décalage entre les raies émises par les atomes d’hydrogène et de deutérium

H H H H

Séparation mesurée (cm1

) 1,79 1,33 1,19 1,12

Séparation calculée 1,787 1,323 1,182 1,117

5. Séparation des isotopes

a) Spectrographie de masse

La séparation est complète, mais de petites quantités seulement peuvent être obtenues. La

première bombe atomique a cependant été fabriquée à partir d’uranium 235 séparé par cette

méthode.

b) Distillation fractionnée

Selon la théorie une molécule légère doit s’évaporer plus vite qu’une molécule lourde.

ASTON essaya en vain de séparer les isotopes du néon par distillation fractionnée à partir du

charbon actif refroidi à la température de l’azote liquide. UREY obtint pour la première fois

du deutérium par distillation de l’hydrogène liquide. Cette méthode est lente et ne peut

conduire à une séparation complète.

La distillation cryogénique du CO à –192 °C est une technique très utilisée pour obtenir le

carbone-13.

c) Électrolyse

UREY montra (1934) que les échantillons d’eau prélevés dans les cellules électrolytiques

étaient plus riches en eau lourde que les échantillons naturels. Cette observation a été à la base

de la fabrication industrielle de l’eau lourde et du deutérium. Plusieurs électrolyses

successives sont nécessaires pour atteindre une séparation à peu près complète. On utilise

l’eau contenant NaOH (0,5 N) entre électrodes de nickel. À chaque étape d’électrolyse, on

neutralise NaOH par le CO2 et on enlève le carbonate. On mélange ensuite l’eau obtenue avec

la solution fraîche pour ramener la concentration de NaOH à une valeur convenable. Le

tableau 14.5 résume les étapes successives. Bien que quelques essais aient été tentés avec

succès pour séparer d’autres isotopes avec cette méthode, elle est pratiquement limitée à la

séparation de l’eau lourde.

d) Diffusion thermique

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Si un mélange gazeux est placé dans un récipient, le processus habituel de diffusion tend à

uniformiser le mélange. Si, dans le récipient on produit un gradient de température, le

constituant le plus léger se concentrera dans les zones les plus chaudes et le constituant le plus

lourd dans les zones les plus froides. Un équilibre est atteint lorsque la séparation par unité de

temps produite par le gradient thermique est égale au mélange produit par diffusion ordinaire.

On opère dans des colonnes cylindriques longues et minces avec un fil chaud central en

régime continu. On a pu atteindre une séparation de 99,4 % de H37

Cl dans le HCl ordinaire

avec une série de cinq colonnes de 6 mètres de longueur et de 8 mm de diamètre.

Tableau 14.5. Préparation de l’eau lourde par électrolyse de l’eau naturelle

Étapes Litres de

solution électrolysée Densité

Concentration en

deutérium du résidu

1

2

3

4

5

6

7

2 300

340

52

10

2

0,42

0,08

0,998

0,999

1,001

1,007

1,031

1,098

1,104

0,1 %

0,5

2,5

8,0

30,0

93,0

99,0

e) Diffusion à travers une paroi poreuse

La vitesse de diffusion d’un gaz à travers une paroi poreuse est donnée par la loi de

GRAHAM. Elle est proportionnelle à l’inverse de la racine carrée de sa masse moléculaire.

Les pores de la paroi doivent être petits comparés au libre parcours moyen des particules. Les

particules légères qui ont une vitesse plus rapide, donc rencontrent plus fréquemment les

trous, s’échappent plus rapidement. Cette méthode est actuellement la plus utilisée pour la

séparation de l’uranium 235 à l’état d’hexafluorure UF6. On démontre cette loi de GRAHAM

de façon simple. La théorie cinétique des gaz montre que pour un nombre n1 de molécules

d’un gaz 1 et de masse m1, le produit PV est tel que :

PV = 1/3 n1 m1 12

Dans cette équation 1 est la vitesse moyenne quadratique des molécules. Pour deux

molécules qui ne diffèrent que par leur masse, on peut écrire :

PV = 1/3 n1 m1 12 = 1/3 n2 m2 2

2

Si n1 = n2, le rapport de diffusion est proportionnel à l’inverse de la racine carrée des rapports

des masses individuelles des atomes ou des molécules diffusant à travers un orifice, il est

aussi proportionnel à l’inverse de la racine carrée des masses molaires.

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Figure 14.7. Préparation photochimique de l’eau lourde.

f) Photochimie infrarouge

En 1985, une équipe de chercheur du C.N.R.C., à Ottawa, a mis au point une méthode

photochimique infrarouge compétitive sur le plan économique (Fig. 14.7). Cette méthode

concerne la production de deutérium. Le réacteur CANDU demande une quantité importante

d’eau lourde D2O. Cela concerne environ 90-95 % du coût d’immobilisation et environ 16 %

du coût total. Le principe de la séparation est simple : il est basé sur la grande spécificité des

spectres infrarouges de CF3D et CF3H vers 10,2 mm. Dans un premier réacteur l’eau naturelle

est mélangée avec du trifluorométhane pauvre en deutérium. Il se forme un mélange de CF3D

et CF3H. Ce mélange est acheminé vers un photoréacteur où un laser à CO2 provoque la

décomposition sélective du CF3D :

(a) CF3H + HDO CF3D + H2O

(b) CF3D + 28 h DF + :CF2

réaction suivie de (c) 2 :CF2 C2F4.

Le mélange de DF, de tétrafluoroéthylène et de trifluorométhane qui n’a pas réagi, est

acheminé vers une chambre de séparation chimique. En présence de fluorure de sodium le DF

est complexé sous forme de NaDF2. Plus tard, par voie thermique le DF est récupéré et

acheminé vers la préparation de l’eau lourde. Quant au trifluorométhane appauvri en sa

composante deutériée, il est retourné au réacteur initial et le cycle recommence. La réaction

d’échange isotopique (a) est lente et est catalysée par de la soude, NaOH, et de

diméthylsulfoxyde.

Comparativement à la méthode utilisant l’électrolyse de l’eau, le procédé photochimique

présente des avantages certains. La méthode électrolytique repose sur le fait que l’électrolyse

de H2O est pus rapide que celle de HDO. On récupère le reliquat qui n’a pas été électrolysé.

Le tableau 14.5 montre que l’on a du électrolyser quelque 30 tonnes d’eau pour obtenir 1 kg

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d’eau lourde. En photochimie, on a plutôt décomposé le CF3D (donc indirectement HDO)

pour obtenir l’eau lourde. En théorie, on photolyse 1 kg d’eau lourde HDO pour obtenir 1 kg

de HDO. Bien sûr le rendement énergétique de la photochimie (l’usage du laser à CO2) est

beaucoup moins élevé que celui de l’électrolyse. On traite cependant des quantités beaucoup

moins importantes d’eau naturelle en procédé photochimique.

g) Réaction chimique

La vitesse des réactions chimiques est affectée par la masse des particules, groupes

d’atomes,… qui sont transférées d’un réactif à un autre. Par exemple, le transfert d’un proton

en résonance dans la réaction suivante est plus rapide que le même transfert d’un deutéron :

(CH3)2(CD 3)C+

+ CH2=C(CH3)2

CH2=C(CH3) (CD3) + (CH3) 3C+

(CH3)2(CD 3)C+

+ CH2=C(CH3)2

CD2=C(CH3)2 + (CH3)2(CH2D) C+

En plus du facteur statistique (6 atomes d’hydrogène pour 3 atomes de deutérium), le deutéron

étant deux fois plus lourd que celui d’hydrogène, le transfert du proton H+

est plus rapide que

celui du deutéron D+ (voir par exemple le cours de «Cinétique

chimique», chapitre II, équation 2.5). Par ailleurs, la liaison CH n’a pas exactement la même

constante de force que celle de la liaison CD. Ces différences sont rassemblées sous

l’expression «effet isotopique». Globalement, la vitesse de réaction mettant en jeu l’espèce

isotopique la plus lourde est tout au plus de quelques pour cents plus petite que celle mettant

en cause l’espèce isotopique la plus légère.

Des systèmes réactionnels ont été mis à profit pour enrichir et séparer une espèce isotopique

particulière. C’est le cas de la préparation de l’azote 15 par échange isotopique entre le

monoxyde d’azote NO, le dioxyde d’azote NO2 et l’acide nitrique sous pression.

(15

NO, 15

NO2 ) gaz + H

14NO3 liq

(14

NO, 14

NO2 ) gaz + H

15NO3 liq

Le procédé d’échange chimique a été étendu dans certains cas à la chromatographie

échangeuse d’ions. Un récent procédé de préparation du lithium 7 fait appel à cette

technique :

R 7Li

+ +

6Li

+X solution

R 6Li

+ +

7Li

+X solution

R est un site échangeur de cations de la résine et X

un anion quelconque.

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CONCLUSIONS

La spectrométrie de masse est l’outil idéal pour observer, mesurer certaines caractéristiques

des isotopes. Chaque élément comporte un nombre connu d’isotopes en proportions très

variables d’un élément à un autre. Certains ont des propriétés particulièrement intéressantes

qui justifie des séparations industrielles quantitativement importantes comme cela est le cas

pour l’industrie nucléaire (deutérium et uranium). D’autres servent de références analytiques

en chimie alimentaire, en médecine, ...

6. Problèmes

6.1 Au cours d’une réaction d’enrichissement isotopique à travers un système réactionnel

mettant en jeu des atomes de chlore 35 et 37, on obtient du chlore moléculaire dont la

masse molaire apparente est de 36,2 g. Calculez la proportion de chacun des deux

isotopes dans le produit final.

Réponse : 40 % de chlore-35 et de 60 % de chlore-37.

6.2 Un élément est formé de deux isotopes A et B. La concentration de B dans A est de

0,025 %. On utilise un système de réactions chimiques qui produit un enrichissement

de B de 1,7% à chaque étape. Établissez le nombre d’étapes nécessaires pour produire

un mélange A et de B (90-10).

Réponse : 451 étapes.

6.3 Un minerai d’uranium naturel contient 0,75 % d’isotope 235 et le complément en

isotope 238. Le procédé d’enrichissement isotopique utilise un système de diffusion

gazeuse de l’hexafluorure d’uranium basé sur la loi de GRAHAM. Calculez le facteur

d’enrichissement isotopique en admettant qu’il est égal au rapport des vitesses de

diffusion. En déduire le nombre d’étages de diffusion nécessaires afin d’obtenir un

hexafluorure contenant 10 % d’uranium 238.

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Lectures complémentaires

Mark Pollard, A. et Carl. Heron, Archaeological Chemistry, The Royal Society of Chemistry,

London, England, 1996.

Lambert, J. B., Traces of the Past - Unraveling the Secrets of Archaeology through

Chemistry, Addison-Wesley, New York, Toronto, 1997.

Un numéro spécial de «L’Actualité chimique», août-septembre 2003, édité par la Société

française de chimie, et intitulé «Les isotopes stables» contient plusieurs éléments intéressants

relativement à l’analyse et aux usages des isotopes.

On trouvera également dans la revue Elements, vol. 11, N° 4, année 2015, entre

autres deux textes sur l'usage de l'analyse isotopique:

1- J. R. Ehlinger et al., Stable isotopes trace the truth: from adulterated food to

crime scenes, pages 259-264:

2- F. Albarède, Metal stable isotopes in the human body: a tribute of

geochemistry to medicine, pages 265-269.

Wikipedia demeure toujours une bonne source de références générales.

Des Prix Nobel :

J. J. THOMSON : http://nobelprizes.com/nobel/physics/1906a.html

UREY : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1934/urey-

bio.html