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COURS SUR « LA COUSINE BETTE » DE BALZAC (1846) Ière partie / PRESENTATION GENERALE A) Biographie de l'auteur : Honoré de BALZAC (1799-1850 ) Né à Tours, d'un père militaire, dans la famille Balzac sans particule ; peu d'amour de sa mère et des disputes avec elle et sa gouvernante Mme Brignol inspireront le personnage de la CB ; étudie le droit à la Sorbonne et devient clerc de notaire sans enthousiasme. Les lettre (plus que la philo pour laquelle il se passionne) lui paraissent le meilleur moyen de faire fortune et de devenir célèbre et commence par écrire une tragédie sur Cromwell en 1820 sous un faux nom, mais échec (pas de propriété littéraire à l'époque donc difficile d'en vivre). Publie des romans à la mode « cochonneries littéraires ».Il devient éditeur puis imprimeur mais échoue et s'endette jusqu'à la fin de ses jours. Sa carrière littéraire débute vraiment en 1829 avec publication de son premier roman sous son vrai nom (Le dernier Chouan) puis à un rythme soutenu La peau de Chagrin, Eugénie Grandet etc.tout en menant une vie mondaine « bcp de travail donne infiniment de modestie ». Toujours surmené, grand buveur de café, on le surnomme « le Napoléon des lettres » ou le « Titan » : « quand je n'écris pas mes manuscrits, je pense à mes plans, et quand je ne pense pas à mes plans et ne fais pas de manuscrits, j'ai des épreuves à corriger. Voici ma vie ». Il écrit un premier jet, qu'il corrige à peine et qu'il envoie aussitôt à l'imprimerie. Il aura de nombreuses maîtresses et des enfants illégitimes. En 1841 il passe un contrat pour la publication complète de ses œuvres sous le titre de Comédie humaine (paru en 17 volumes entre 1842 et 48), précédé d'un avant-propos. Epouse la femme de sa vie, Mme Hanska, une jeune femme polonaise, « L'Etrangère », admiratrice qui lui écrit des lettres élogieuses , une fois devenue veuve, en 1850 ; enfant mort-né épisode retranscrit à travers l'enfant non viable de Valérie (il avoue avoir « pleuré 3 heures comme un enfant ») ; meurt épuisé quelques mois après (il aurait appelé sur son lit de mort le docteur Bianchon un de ses personnages fictifs de la CB). La CB écrite en deux mois et se dit : « cela finira par quelque chose de fatal … il est bien temps que je me repose ». Aura publié 90 romans en 20 ans (+ de 4 par an), « nous avons le meilleur des écrivains, le plus profond des philosophes, et l'Académie n'en sait rien » Alain (s'efface devant Hugo, puis refusé deux fois). Décrit par Baudelaire comme « un visionnaire passionné , (..) « sans cesse à la recherche de l'absolu » ( Comment on paie ses dettes quand on a du génie). Enterré au Père Lachaise à Paris avec discours de Hugo : « tous ses livres ne forment qu'un livre, intitulé comédie, et qui prend toutes les formes et tous les styles ». CF FICHE GF. B) Le roman balzacien Balzac a écrit un certain nombre de romans sans préméditer l'oeuvre de la CH qu'il voit d'abord « comme un rêve ». C'est seulement peu à peu qu'il pense à regrouper et organiser ses romans en fonction d'une démonstration. DEF du « roman balzacien » = au début refuse le mot de roman (limité à distraction ou évasion), préférant le mot de « scène » ou « étude » (ambition scientifique). SCENE = principe de dramatisation qui renvoie au modèle théâtral (ex titre « scène de famille » ch 110)= il emprunte au mélodrame la mise en scène d'une héroïne vertueuse Adeline Hulot persécutée par un traître Crevel, dont est victime son mari, le baron Hulot et la confidente. Mais tous pervertissent quelque peu l'image innocente de départ : Hortense manigance pour voler son amoureux à sa cousine, W. est un artiste lâche et velléitaire / tandis que les traîtres parviennent à inspirer la compassion, car frappée par la malédiction de la laideur et la condescendance de ses proches / Valérie la confidente frappe par son habileté et sa séduction diaboliques ; Hulot, père noble au départ, œuvre seul à sa propre déchéance. Rôle prépondérant du dialogue, de la parole, en incluant les accents qui trahissent l'origine sociale (baron Nucingen citant Racine et Sophocle, 1

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COURS SUR « LA COUSINE BETTE » DE BALZAC (1846)

Ière partie / PRESENTATION GENERALE

A) Biographie de l'auteur : Honoré de BALZAC (1799-1850)Né à Tours, d'un père militaire, dans la famille Balzac sans particule ; peu d'amour de sa mère et desdisputes avec elle et sa gouvernante Mme Brignol inspireront le personnage de la CB ; étudie ledroit à la Sorbonne et devient clerc de notaire sans enthousiasme. Les lettre (plus que la philo pourlaquelle il se passionne) lui paraissent le meilleur moyen de faire fortune et de devenir célèbre etcommence par écrire une tragédie sur Cromwell en 1820 sous un faux nom, mais échec (pas depropriété littéraire à l'époque donc difficile d'en vivre). Publie des romans à la mode « cochonnerieslittéraires ».Il devient éditeur puis imprimeur mais échoue et s'endette jusqu'à la fin de ses jours. Sacarrière littéraire débute vraiment en 1829 avec publication de son premier roman sous son vrainom (Le dernier Chouan) puis à un rythme soutenu La peau de Chagrin, Eugénie Grandet etc.touten menant une vie mondaine « bcp de travail donne infiniment de modestie ». Toujours surmené,grand buveur de café, on le surnomme « le Napoléon des lettres » ou le « Titan » : « quand jen'écris pas mes manuscrits, je pense à mes plans, et quand je ne pense pas à mes plans et ne faispas de manuscrits, j'ai des épreuves à corriger. Voici ma vie ». Il écrit un premier jet, qu'il corrige àpeine et qu'il envoie aussitôt à l'imprimerie. Il aura de nombreuses maîtresses et des enfantsillégitimes. En 1841 il passe un contrat pour la publication complète de ses œuvres sous le titre deComédie humaine (paru en 17 volumes entre 1842 et 48), précédé d'un avant-propos. Epouse lafemme de sa vie, Mme Hanska, une jeune femme polonaise, « L'Etrangère », admiratrice qui luiécrit des lettres élogieuses , une fois devenue veuve, en 1850 ; enfant mort-né épisode retranscrit àtravers l'enfant non viable de Valérie (il avoue avoir « pleuré 3 heures comme un enfant ») ; meurtépuisé quelques mois après (il aurait appelé sur son lit de mort le docteur Bianchon un de sespersonnages fictifs de la CB). La CB écrite en deux mois et se dit : « cela finira par quelque chosede fatal … il est bien temps que je me repose ». Aura publié 90 romans en 20 ans (+ de 4 par an),« nous avons le meilleur des écrivains, le plus profond des philosophes, et l'Académie n'en saitrien » Alain (s'efface devant Hugo, puis refusé deux fois). Décrit par Baudelaire comme « unvisionnaire passionné , (..) « sans cesse à la recherche de l'absolu » (Comment on paie ses dettesquand on a du génie). Enterré au Père Lachaise à Paris avec discours de Hugo : « tous ses livres neforment qu'un livre, intitulé comédie, et qui prend toutes les formes et tous les styles ». CF FICHEGF.

B) Le roman balzacienBalzac a écrit un certain nombre de romans sans préméditer l'oeuvre de la CH qu'il voit d'abord« comme un rêve ». C'est seulement peu à peu qu'il pense à regrouper et organiser ses romans enfonction d'une démonstration. DEF du « roman balzacien » = au début refuse le mot de roman (limité à distraction ou évasion),préférant le mot de « scène » ou « étude » (ambition scientifique). SCENE = principe de dramatisation qui renvoie au modèle théâtral (ex titre « scène de famille »ch 110)= il emprunte au mélodrame la mise en scène d'une héroïne vertueuse Adeline Hulotpersécutée par un traître Crevel, dont est victime son mari, le baron Hulot et la confidente. Maistous pervertissent quelque peu l'image innocente de départ : Hortense manigance pour voler sonamoureux à sa cousine, W. est un artiste lâche et velléitaire / tandis que les traîtres parviennent àinspirer la compassion, car frappée par la malédiction de la laideur et la condescendance de sesproches / Valérie la confidente frappe par son habileté et sa séduction diaboliques ; Hulot, pèrenoble au départ, œuvre seul à sa propre déchéance. Rôle prépondérant du dialogue, de la parole, enincluant les accents qui trahissent l'origine sociale (baron Nucingen citant Racine et Sophocle,

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Oedipe à Cologne ch 34) ou les niveaux de langage (différence entre Josepha qui veut « jouer lagrande dame » et Mme Hulot ch 104). D'ailleurs le spectacle est présent à travers le personnage dela cantatrice Josepha : les lieux et l'activité liés au théâtre sont souvent cités (ex p. 148 : relâchepour indisposition). Crevel comparé à un « regard de Tartuffe », Montès à un physique d' « Othellodu théâtre ». On pourrait même aller jusqu'à dire que Balzac renoue avec la tradition baroque dutheatrum mundi (comparaison du monde à un théâtre dont Paris serait la scène, où le tout puissantserait remplacé par des manipulateurs (Bette, Valérie ou Balzac lui-même). Insistance marquée surles scènes de dialogues : « Trois personnes animaient la scène » p. 266) CF ALAIN « Le « Moi jene t'ai rien dit ! » d'Adeline à son grand enfant de mari. Ou bien « Mr Marneffe vous êtes un peutrop Marneffe ! » et la riposte, un peu plus tard, de Marneffe à Hulot. Ce sont des mots de théâtre etj'avoue qu'il y a du théâtre en ce célèbre roman » p. 75. Exagération théâtrale : dès la premièregrande scène d'ouverture, Crevel se prend pour un (mauvais) acteur face à Adeline : « il jeta surMme Hulot un regard comme Tartuffe en jette à Elmire, quand un acteur de province croitnécessaire de marquer les intentions de ce rôle » p. 58. Bette se rend à la nouvelle résidenced'Adeline « comme on va au spectacle, pour s'y repaître d'émotions » p. 257.Structure en scènes de la CB procède de la volonté de dramatisation = le roman commence inmedias res (en pleine action, pour plonger directement le lecteur dans l'intrigue) ; titres dechapitres en attestent aussi comme « 47, 48, 49 et 117 « une première scène de haute comédieféminine », « scène digne des loges » (ch 48), deuxième scène de haute comédie féminine » ch 49,« dernière scène de haute comédie féminine » (ch 117). « Une belle entrée » (ch 60), « départ dupère prodigue » (97), « retour du père prodigue » (130), « une (autre) scène de famille » (110-111)qui soulignent l'intensité particulière du moment, d'autant que l'ajout de la majuscule ajoute à sonimportance morale « cette scène porte d'ailleurs avec elle ses moralités qui sont de plus d'un genre »suite au flagrant délit d'adultère qui a un caractère théâtral : « la farce est jouée » (p. 395/ 393). Lemot scène revient fréquemment dans le texte même du roman. Scène sans majuscule = uniténarrative de composition.Scène en majuscule suscite des commentaires métaromanesques : « au moment où cette Scènecommence » (p 62) moment où Bette n'a qu'une existence subalterne / « cette Scène porte avec elleses moralités » coup porté à Hulot par flagrant délit.Privilège accordé au dialogue plus qu'à la narration accentue la vivacité dramatique. Mélodrame =registre affectif, rhétorique de l'excès avec scènes de famille où l'on se déchire. Symétrie entre certaines scènes = entre Crevel et Adeline / au ch. 1 Crevel demande à Adeline des'offrir à lui tandis que qu'au ch. 87 (une sublime courtisane) c'est elle qui s'offre à lui en échange deson argent, ce qui la rend pathétique d'être ainsi humiliée. Entre Crevel et Valérie / après la scèneavec Adeline, Crevel passe chez Valérie (ch 90) qui fait passer Adeline pour une menteuse qui l'amanipulé, ce qui est une parodie de la scène d'Adeline, d'autant que celle-ci tentait au départ de luiressembler et de se déguise en courtisane (ch 86 Autre toilette). Renversement de situation.Intertextualité avec des allusions à Shakespeare (p. 146), Voltaire (p. 201) et Molière (p. 216). Scène = + Veut aussi nous plonger dans la vie quotidienne et dans la vie privée (expressionapparue fin XVIIIème) = sens de la vie secrète des familles, pour la démystifier et révéler lesdrames cachés. Cela présuppose que le bonheur individuel relève d'autre chose que la vie publiquedlm où la vie privée englobe désormais la recherche du plaisir et du profit. Tout ce qui fait échouercette quête peut avoir des effets démesurés. La vie privée devient à son tour l'empire de ladéshumanisation en subissant les conséquences de la société mais aussi en reflétant sesillusions. L'accomplissement de soi et l'existence sociale semblent entrer en contradiction. Mêmesles révoltes du coeur ne nous libèrent pas les rapports de force de la société. Une autre manièred'aborder le mal du siècle.2 coups de théâtre : le flagrant délit d'adultère et l'arrivée du baron Montès.

Caractéristiques du roman balzacien = importance des descriptions, précision des détails,

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invention de personnages typés (typisation qui exprime la vérité, ce qui n'empêche pas la « variétédans l'unité » et la loi des contrastes), dramaturgie de l'intrigue = art de raconter une histoire vraieou imaginaire et de la transformer en un récit construit, avec des personnages en action (« soleil dusystème » qui soude les éléments choisis entre eux de manière à décrire une destinée) ; peinture etanalyse de la société. Thèmes de la famille, jeunesse, femme, province, Paris. Ouverture in mediares : généralement, on entre directement dans l'action, suivie d'une parenthèse rétrospective quiexplique le passé des personnages, puis retour à l'action. Cf Hommage de G. Sand « Ceci est lavérité » ! Essai qui se veut une incitation à la réflexion par le biais d'une esthétique moderne ; la fiction tientlieu de fable illustrant une vérité sociale, politique, morale, de manière à le rendre plus accessibles.Dans certains passages le narrateur intervient et juge ouvertement et ironiquement ses personnages.Se pose en moraliste, notamment quand il cherche à comprendre les causes de la vertu de MmeHulot qui pardonne tout à son mari infidèle. Cf charmes du vice et rudesses de la vertu ch.12 p. 116.« le moraliste ne saurait nier ... ».

C) La place de la cousine Bette dans La Comédie humaineTitre = titre paradoxal car la cousine Bette n'est pas le personnage principal mais elle se caractérisepar une passion dévorante, exprimant le paroxysme du désir de vengeance, une monomanie (mono /mania = une seule démence, folie) = délire caractérise par une préoccupation unique, commed'autres personnages balzaciens ; def psy = « bien que lucide, soumis à une impulsion que sa raisondésapprouve mais plus forte que sa volonté ». « La cousine Bette est la parente pauvre, accablée d'injures, vivant dans l'intérieur de 3 ou 4familles et prenant vengeance de toutes ses douleurs » BalzacCf la scène avec Valérie où elle se dévoile p. 184-185 ch 26 : « Adeline, tu me le paieras, je terendrai plus laide que moi ! (..) Je te verrai dans la boue et plus bas que moi ! » Sous-titre « le retour du père prodigue » suggère une vérité morale cachée derrière la narrationdes faits : allusion à l 'épisode biblique du fils prodigue (qui accueille et pardonne à son filspécheur parti dilapider l'héritage tandis que le second est resté pour l'aider aux champs ; celui-ci,face au pardon et à la fête organisée par le père, se met en colère et le père lui explique alors lanécessité du pardon) ce qui en fait une parabole renversée à plusieurs titres : c'est le père et non lefils dont on attend le retour : Hulot est le fils prodigue, on ne peut donc l'excuser au nom de sajeunesse ; pardonner, c'est ce que fera toujours Adeline Hulot, feignant de croire à ses repentirssuccessifs (l'épouse, non le mari) : le père accueillant, c'est elle et la famille Hulot, sans que celaserve à le corriger. Comme le dit Crevel à Mme Hulot : « Vous épellerez la parabole moderne dupère prodigue de la 1ère jusqu'à la dernière lettre » p. 76 ; on peut aussi y voir que les enfants sontplus sages que leurs parents (les enfants pardonnent et non les parents qui parfois font n'importequoi : « les enfants ne peuvent empêcher les folies des ancêtres » dernière phrase de la CB, à la foisconstat moral et interrogation sociale). En mettant Bette et Hulot presque sur le même plan, il leur donne la même responsabilité dansl'intrigue : Hulot est comme elle un personnage dévoré par la passion, qui détruit et ruine sa familleà cause d'elle, même si lui ne le fait pas volontairement. Voire même, sa vie de débauche sert à à lacousine Bette pour réaliser ses plans : elle ne fait qu'aggraver les coups qu'il porte à sa proprefamille. La fin du roman insiste sur sa culpabilité car il n'est alors plus manipulé par personne etpersiste pourtant ds son vice. Mais Balzac n'entre jamais dans la démonstration : pauses méditatives qui sont brèves et viennents'insérer dans un tissu narratif.CF ALAIN : « la connaissance de Balzac est , à mes yeux, une connaissance complète … qui exercele jugement de n'importe quel homme ». p. 122Drame = œuvre théâtrale (drama gr = action théâtrale) se divisant en comédie et tragédie ; mot quiapparaît souvent dans le roman (« drame domestique » p. 197) surtout à la jonction des deux

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premières parties au ch 36 : « ici se termine en quelque sorte l'intro de cette histoire. Ce récit est audrame qui le complète ce que sont les prémisses à une proposition, ce qu'est toute exposition à toutetragédie classique... » p. 236. Dès le départ la nature du drame était exposée par le narrateur :« Quiconque eut vu cet intérieur de famille eut de la peine à croire que le père était aux abois, lamère au désespoir, le fils au dernier degré de l'inquiétude sur l'avenir de son père, et la fille occupéeà voler un amoureux à sa cousine ». (p. 118) Balzac considérait d'ailleurs les mœurs comme un« drame national » et parlait du « drame à trois ou quatre mille personnages que présente uneSociété » dans son APCH. Il définit l'écrivain comme « le conteur des drames de la vie intime ».Mélodrame = forme populaire et simplifiée du drame (œuvre déclamée à l'origine), caractérisée parune antithèse entre les bons et les méchants, hyperbole (exagération des contraires en désignantValérie et Adeline comme le vice et la vertu (titre ch 104 p. 477) ou Adeline et Mme Nourrissoncomme l'ange et le diable titre ch 106 p. 489 ou Adeline et Josépha : Ange et démon ch 106) etpathétique (ce qui émeut le lecteur, personnage écrasé par le destin qui exprime sa souffrance parune plainte.) Ex : la sublime et pure Adeline face aux intrigantes Valérie et Bette ; la terrifiantefigure de Mme Nourrisson . La fin est ironique, mélangeant grotesque (puis le mariage de Hulotavec sa cuisinière, Agathe Piquetard, au charme rustique, mais d'une grande vulgarité physique etmorale) et tragique (mort et sacrifice d'Adeline). Un roman pour B est une tragédie ou une comédieécrite. Il y un pouvoir subversif du grotesque car il donne le dernier mot au vice, mais en mêmetemps il n'empêche pas une vision pathétique du monde car il se fait sur fond de mort annoncée.TRAGEDIE =Le PGoriot est écrit comme une tragédie et Balzac compare même le récit de la CBà une tragédie classique p. 236 dans une sorte de commentaire distancié ; d'ailleurs Alain dira« Balzac est tragique jusqu'à l'horreur » p. 216 même si il essaye de nous endormir par la peinturede la vie ordinaire. Roman de la fatalité où tout se gagne d'un côté se perd de l'autre ; le titre laisseentendre que c'est elle qui précipite la famille dans la malheur mais il y a en réalité deux coupableset deux fils d'intrigue : 2 passions dévastatrices, l'une volontaire, l'autre involontaire, donne lesentiment que tout est réuni pour abattre la famille : le lecteur ne peut espérer une fin heureuse. Il ya comme un destin tracé d'avance par les passions que le narrateur annonce grâce à sonomniscience : « le lendemain, ces 3 existences devaient toutes être affectées ... » p. 147. Il est assezironique d'ailleurs que Valérie Marneffe invoque le ciel et prophétise sur son lit de mort alors que lapassion tue toute seule, pas besoin de Dieu, mais elle ignore la cause de sa maladie tandis que lelecteur et Montès le savent ; ce n'est pas un effet de la volonté divine mais d'une vengeance liée à sapropre concupiscence (p. 551). Les personnages se livrent à des prophéties qui seront souventconfirmées par la suite : certains passages annoncent la suite : le baron vous mettra tous sur lapaille pour son plaisir », « un événement terrible renversa la vieille fille » p. 74 et 399). L'auteuraussi par ex en anticipant la vengeance du brésilien qui « apporte de son pays des denrées colonialessuspectes ». « Quand on relit ces choses, on prévoit l'événement terrible, et on le démêle dans les chosesaccroupies et cela ajoute encore au tragique ; car on s'attend juste assez au choc pour sentir plusvivement » Alain p. 216. Valérie parle, dans un élan de remords religieux en persuadant Betted'abandonner tout projet de vengeance (p. 551), de la vengeance de Dieu comme celle « qui fondsur le coupable de toutes les manières, elle emprunte tous les caractères du malheur » ch 90 p. 425.

La CB est un anti-conte de fées : d'abord il commence par ce qui traditionnellement marque la findes contes de fées, c’est-à-dire deux unions, l'une légale (Hortense et W.) l'autre hors mariage(Hulot et Valérie) que Balzac met ironiquement en parallèle ; on commence par le bonheur etl'histoire dégénère vers le malheur ; cf Bette décrivant W. p. 102 : « Une fille charbonnée comme jesuis ne peut aimer qu'un blondin, clair comme la lune. (..) Prince de l'outil comme je suis reine dela bobine. Une pauvre fille comme moi peut-elle être aimée (..) de quelque Prince charmant de tescontes de fées ? ». Mme Nourrisson ressemble à une sorcière qui terrifie Victorin Hulot mais donton utilise les manigances pour se venger soi-même et qui s'en tire sans dommages. Le dénouement

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du roman est moins réaliste que ce qui précède, il frôle l'invraisemblable farce, avec le mariage sansamour du baron avec sa cuisinière.Comédie = p. 244 Crevel « est flatté d'être l'unique auteur de cette comédie, il la croit jouée à sonseul profit ». Comédie de boulevard avec la grossesse aux 5 pères.ch 72 « les 5 pères de l'égliseMarneffe ». Petits choix lexicaux assez ludiques : Josepha n'est pas de la « gnognote » p. 292,Valérie se présente comme une « louloute » p. 421.Tableau où se concentrent tous les genres. Thriller réaliste. La parution en feuilleton l'oblige àreprendre les grands principes de son art tout en les densifiant.

Donc il résume bien « les 5 sens littéraires : invention, style, pensée, savoir, sentiment » (La musedu département, HDB). Car la CH repose sur des présupposés idéologiques et une vision spécifiquedu monde selon 3 modèles : CF Avant Propos écrit en 1842.

* le modèle scientifique : les sciences naturelles constituent un modèle ; il est influencé par lesnaturalistes qui classent les différentes espèces animales et végétales et veut faire la même choseavec l'espèce humaine. « L'idée première de la CH vient d'une comparaison entre l'Humanité etl'Animalité. Je vis que la Société ressemblait à la Nature ; il a donc existé, il existera de touttemps des Espèces sociales comme il y a des Espèces Zoologiques ». Il voudrait faire l'équivalentdu travail de Buffon pour l'histoire naturelle mais pour la Société : observer, décrire, dégager deslois explicatives. Le réel est connaissable (écrivain à la fois philosophe et savant) : il faut toutcomprendre pour restituer les mécanismes sociaux. Il est possible de connaître et de faire uninventaire précis du réel sous forme de système, comme on décortique des insectes, enentomologiste. CF froideur médicale face à la maladie de Crevel et Marneffe p. 552 seule importe lediagnostic et l'autopsie à leurs yeux.Chaque personnage est à lui seule « une grande image du présent. Conçus dans les entrailles deleur siècle, tout le coeur humain se remue sous leur enveloppe, il s'y cache souvent toute unephilosophie. » APCH. Ambition taxinomique bien avant le naturalisme de Zola = observer au sein d'une famille lesdébordements passionnels en observant le rôle du corps, de l'esprit, de la société ; il y a undéterminisme de la nature auquel personne n'échappe. Le roman d'amour se mue en typologie despassions humaines (« Non-seulement les hommes, mais encore les événements principaux de la vie,se formulent par des types » APCH) même si la passion amoureuse est la passion dominante, il y aun principe de contagion épidémique qui étend l'amour à d'autres passions, nobles ou utilitaristes.Il y a des types = le monde des passions est d'abord le monde des passionnés, la passion doits'induire à partir d'une réalité pour montrer ceux qui en sont porteurs ; le roman implique unedimension phénoménologique car la passion est d'abord ce qui apparaît à la conscience et n'existequ'en tant qu'elle est ressentie par ces hommes mis au centre du projet balzacien. Etudier desindividus et la singularité de leur état passionnel tout en montrant la récurrence de certainsphénomènes. Nouveau genre de personnages inventé par Balzac auquel on attribue une fonctionsymbolique car il représente un type social ou moral ; il a un trait de caractère essentiel sur lequelrepose sa personnalité, c'est un « modèle du genre » selon Balzac : « un type est un personnage quirésume en lui-même les traits caractéristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il estle modèle du genre » (Une ténébreuse affaire). Il rassemble des détails observés chez différentespersonnes pour en faire une incarnation vivante. De la même manière, les événements de la vie seformulent par types car il y a des situations et des « phases typiques » qui se présentent dans toutesles existences : ex : « un bal de noces, c'est le monde en raccourci » p. 232, fête de mariage commeréflecteur social. Il s'agit de penser un vaste ensemble d'individus ou de situations à partir d'un castypique, même fictif : « il se trouve encore assez de Mme Marneffe à Paris pour que Valérie doivefigurer comme un type dans cette histoire des moeurs » p. 237 « on voit des Mme Marneffe à tousles étages de l’État social et même au milieu des cours car Valérie est une triste réalité moulée sur le

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vif dans ses plis légers détails » p. 239. Expression récurrente : « vous êtes par trop Hulot ouMarneffe » ! (p. 380) témoigne de la volonté de typer les personnages au point de substantiver leurnom comme on parle d'un « Tartuffe ».Le réalisme est un mouvement artistique et littéraire apparu en France vers 1850, né du besoin deréagir contre le sentimentalisme romantique. Il est caractérisé par une attitude de l’artiste face auréel, qui vise à représenter le plus fidèlement possible la réalité telle qu’elle est, sans artifice et sansidéalisation, avec des sujets et des personnages choisis dans les classes moyennes ou populaires. Ilpermet de donner une crédibilité au roman souvent encore considéré comme une fantaisie. Leroman entre ainsi dans l'âge moderne et peut dorénavant aborder des thèmes comme le travailsalarié, les relations conjugales, ou les affrontements sociaux.Annonce donc sans s'en réclamer le REALISME de Zola = Le réalisme est un mouvementartistique et littéraire apparu en France vers 1850, né du besoin de réagir contre le sentimentalismeromantique. Il est caractérisé par une attitude de l’artiste face au réel, qui vise à représenter le plusfidèlement possible la réalité telle qu’elle est, sans artifice et sans idéalisation, avec des sujets et despersonnages choisis dans les classes moyennes ou populaires. Le roman entre ainsi dans l'âgemoderne et peut dorénavant aborder des thèmes comme le travail salarié, les relations conjugales,ou les affrontements sociaux (interprétation marxiste de Engels comme « l'histoire la plusmerveilleusement réaliste de la société française », alors que Balzac est royaliste). Il a pu s'inspirerde l'affaire Colomès, une femme de 45 ans jugée aux Assises, qui faisait des faux pour donner del'argent à un jeune homme dont elle était folle amoureuse (1846), ayant tout pris sur elle alors qu'ilest en fuite, femme d'ingénieur, nièce de maréchal : contient en germe tout le drame de la CB. Autobiographique = Balzac s'inspire de sa propre histoire personnelle et a donc une dette envers leréel en écrivant ce roman : le portrait de la Cousine Bette est inspiré de sa méchante mère (devenueune « ennemie » en 1846 car fait tout pour le ruiner en lui faisant contracter des dettes avec intérêtsexorbitant, « par accumulation d'intérêts » 57 000 a lieu de 18000 francs ; « tous mes malheurs sontvenus de ma mère ; elle m'a ruiné par calcul et à plaisir » en 1845, « c'est à la fois un monstre et unemonstruosité ! » en 1842), de Mme Valmore (tristesse de la destinée, il l'admire et lui a dédié unconte philosophique mais a eu une jeunesse misérable et laborieuse en Lorraine) et de sa tanteRosalie (tante de Mme Hanska qui avait mis en garde sa nièce contre lui et avait répandu descalomnies). Tandis que celui de Mme Hulot est inspiré de Mme Hanska, la femme de sa vie, qui estalors enceinte de lui : « je vais faire pour mon Eve toutes les folies qu'un Hulot fait pour uneMarneffe ». Roman doublement adressé et cathartique : écrit contre une mère et pour une femmeaimée. Il y a un transfert des passions réelles, qu'elles soient négatives ou positives, dans la fiction.De même, le personnage de Hulot fait penser à Victor Hugo (phonétiquement, historiquement carpris en flagrant délit d'adultère aussi en 1845 et Victorin son fils, diminutif de Victor) mais aussi àAlexandre Doumerc, fils d'un banquier chez qui le père de Balzac avait été employé commesecrétaire at qui était beau, élégant, poète à ses heures, puis a entretenu des danseuses, unebijoutière, une acrobate bien que marié jusqu'à voler d'où une dégradation morale et physique, etBalzac a été bercé de cette histoire ; mais Balzac lui-même a eu une vie dissolue ce qui fait du récitune oeuvre spéculaire, pour lutter contre tous les maux qui l'accablent à cette période (crisescardiaques, absence de Mme Hanska, dettes). Son œuvre est devenue inséparable de sa vie.

* le modèle historique : un romancier peut faire œuvre d'historien, mais de l'histoirecontemporaine. Le roman permet de rendre compte, après le bouleversement de la révolution,d'individus confrontés à l'histoire et à la société. Balzac introduit donc une dimension temporelledans son système descriptif, avec pour prédilection la vie privée, les problèmes familiaux, de coupleetc. On aurait du s'intéresser à l'histoire privée autant qu'à l'histoire politique (des grecs et desromains par ex), histoire des mœurs oubliée par les historiens : « La Société française allait êtrel'historien, je ne devais être que le Secrétaire ». L'histoire individuelle avec ses apprentissages, sesdrames, ses désillusions, fait partie de l'histoire collective et la conditionne à son tour : interaction

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entre l'homme et la société, il la façonne autant qu'elle le façonne. C'est une histoire raisonnée, quine se contente pas de décrire des faits, mais veut étudier les raisons cachées des faits sociaux,« surprendre le sens caché dans cet immense assemblage de figures, de passions et d'événements ».Il articule son travail autour des grandes périodes post-révolutionnaires : jusqu'en 1815 (NapoléonBonaparte), Restauration en 1815 (Louis XVIII et Charles X, traditionaliste), Louis-Philippe en1830 (Monarchie de juillet, « roi des français » et non roi de France, son père ayant été unsympathisant de la RF, tendance libérale bourgeoise, « le roi bourgeois », caricature de Daumier enpoire, Guizot « Enrichissez vous par le travail et par l'épargne », révolte des canuts de Lyon,« noblesse bourgeoise et sans grandeur » dira la CB). Phénomène d'atomisation de la société enindividus qui ne songent qu'à la réalisation égoïste de soi dans un monde déshumanisé. Ildépeint la face sombre de la modernité industrielle et libérale tout en soulignant les rêves et lesforces passionnelles qui dynamisent encore les êtres. CB se situe de 1838 à 1846 (pointd'aboutissement car évenement le plus tardif de la CH et qui correspond à la date de parution doncchronologie fictive et réelle se rejoignent), donc commence sous la monarchie de juillet de LouisPhilippe, qui déçoit bcp d'espoirs apres la mini revolution des 3 glorieuses en juillet 1830.Contexte également culturel : la période de 1750-1830 peut être qualifiée comme « le sacre del'écrivain » (Bénichou) car il y une communauté intellectuelle d'écrivains et de penseurs qui poussela société à se transformer et ce jusqu'à Sartre ; et le romantisme comme la « littérature nouvelle etvictorieuse » grâce à la fusion des deux courants contre-révolutionnaire et libéral, qui provoque « unsens réactualisé du spirituel et du sacré » et « une dignification du réel » (Id). Provoqué par letraumatisme de la RF et de ses espérances utopiques (désillusion) suivie de l'épopée impériale(désir de conquêtes) elle-même suivie de la restauration de la monarchie bourgeoise (rapportssociaux dominés par l'argent) ; recentrement sur la sensibilité du moi, l'exacerbation de sessouffrances, avec le rêve de fusion harmonieuse avec la Nature (cf Friedriech). Le romantisme est un mouvement culturel apparu à la fin du XVIII e siècle en Angleterre et enAllemagne et se diffusant à toute l’Europe au cours du XIX e siècle, jusqu’aux années 1850. Ils’exprime dans la littérature, la peinture, la sculpture, la musique et la politique. Il se caractérise parune volonté d'explorer toutes les possibilités de l'art afin d'exprimer ses états d'âme : il est ainsi uneréaction du sentiment contre la raison, exaltant le mystère et le fantastique et cherchant l'évasion etle ravissement dans le rêve, le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé. Idéal ou cauchemard'une sensibilité passionnée et mélancolique. Donc l'oeuvre de Balzac est un subtil mélange de réalisme et de romantisme : quête d'un idéal(à travers le personnage de Adeline Hulot par ex) mais aussi description douloureuse de laréalité et de « l'école du désenchantement » (le mal être intellectuel et idéologique duXIXème). Mais le référence romantique se trouve en même temps dévaluée : l'idéal amoureux estcorrompu par le couple H/W ; seul sera romantique le meurtre passionnel de Montès et qualifiée deromantiques les « manoeuvres » de V.* le modèle romanesque : l'invention romanesque, la stylisation du réel a le double avantage de lelaisser plus libre qu'un historien puisqu'il peut créer des personnages fictifs, mais aussi de ménagerdes effets, d'organiser comme bon lui semble les événements. L'immense roman de la CH permet de« relier ses compositions l'une à l'autre de manière à coordonner une histoire complète dont chaquechapitre eût été un roman et chaque roman une époque ». Il y a un roman dans le roman de la CB,confirmant cette structure en poupées gigogne : celui que se fait Hor sur son amoureux, le « romande son amour » p 216, avec parodie de scène romanesque pour la rencontre p168, après avoirconstruit son roman sur Bette p. 101.Organisation de la CH =titre qui renvoie à la Divine Comédie de Dante et au théâtre du monde. Ilexpose son plan général dans une lettre à Mme Hanska en 1834, avant de l'avoir écrite enentier (reste inachevée… 91 sur les 137 ouvrages prévus) : il détermine différentes catégories et yclasse les romans déjà écrits. Etudes analytiques = « les principes naturels » pour « voir en quoi les Sociétés s'écartent ou se

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rapprochent de la règle éternelle, du vrai, du beau » APCH (textes mi philo, mi romanesques :Physiologie du mariage) 1829Etudes philosophiques = les causes de ces effets (La peau de Chagrin, le Chef d'oeuvre inconnu).Etudes de mœurs = représentent les effets sociaux, c’est-à-dire « les sentiments et leur jeu, la vie etson allure », « le miroir de la vie humaine » ; les mœurs françaises sont selon lui le paradigme detoute société car « tout s'y dit, tout s'y pense, tout s'y fait ». 6 parties pour donner un panoramacomplet de la société française, ses conditions sociales et géographiques = scènes de la vie privée(ex Le Père Goriot), de la vie de province (ex Eugénie Grandet), de la vie parisienne (« le tableaudes goûts, des vices et de toutes les choses effrénées qu'excitent les mœurs particulières auxcapitales où se rencontrent à la fois l'extrême bien et l'extrême mal » dont CB à la fin), de la viepolitique (Une ténébreuse affaire) ; de la vie militaire (Les Chouans), de la vie de campagne (Lemédecin de campagne).

3 principes romanesques dans le CH = inclusion, symétrie, retourSystème d'inclusion comme des poupées gigognes ; dans SVP il y a même un diptyque, celui desParents pauvres composé par CB (Le Père prodigue) et le Cousin Pons (Le Parasite) en 1847,deux textes conçus au même moment, avec système de symétrie entre les 2 personnages« comme deux jumeaux de sexe différent » car pauvres tous deux mais diamétralement opposéscar même s'il est lui aussi « accablé d'injures » le cousin Pons est « plein de coeur ». Il interrompt leCP pour écrire la CB pour des raisons financières, « le terrible travail de la CB », car veut assurerl'avenir de sa nouvelle épouse (« je te veux dans un paradis »). Même s'il critique les romansfeuilletons parus dans les journaux comme « les faux dieux de cette littérature bâtarde » car œuvretout public et rebondissements infinis pour entretenir le suspense, mais fait paraître les Parentspauvres sous cette forme car veut concurrencer Eugène Sue (sans flatter le goût de l'horreur commedans les Mystères de Paris) et Alexandre Dumas, dans le journal conservateur Le Constitutionnel. Ilest surpris du succès : « on crie au chef d'oeuvre de tous côtés ! » et ce succès lui fait rallongerencore les développements de l'oeuvre ; il finit par faire le double de ce qui était prévu pour le CP +la CB ; d'où des rebondissements, des retournements de situations qui accentuent le rythme etsemblent eux-mêmes tracés par la dynamique passionnelle : « cette route illogique était tracée par lalogique des passions » (p. 197) ; dialogues omniprésents (généralement l'un veut séduire ouconvaincre l'autre), descriptions réduites au minimum (indications scéniques qui font office dedidascalies (ex long dialogue rencontre entre Josépha et Adeline où le narrateur s'effacecomplètement ch . 104), légèreté inhabituelle du texte. Pratique nouvelle pour lui dont ils'étonne alors qu'il écrit au fil de la plume la veille pour le lendemain. Lui-même est à cette périodeen pleine passion avec Mme Hanska (retour de flammes en 1845). CB considéré comme le « chantdu cygne de la création balzacienne » (R. Pierrot) car dernier chef d'oeuvre. La CB est à la fois unescène de la vie parisienne mais aussi de la vie politique et privée.

Pour unifier son œuvre il invente le principe du retour des personnages dès 1833 (rares dans CB,sachant que le figurant dans l'un peut être un personnage principal dans un autre ; par contre, ce quidonne l'impression que la B termine un cycle : tous les personnages sont réunis à la fin comme dstoute comédie) : il aurait alors dit à sa sœur « je suis tout simplement en train de devenir ungénie » ; il décide de faire revenir des personnages de romans antérieurs dans ses nouveaux romansde manière systématique pour la première fois dans le Père Goriot, pour donner l'impression d'unesociété au grand complet : « j'aurai porté une société tout entière dans ma tête ». Ainsi sespersonnages acquièrent un passé et un avenir en dehors de l'espace du roman, une épaisseur, etcomme pour « faire concurrence à l'Etat civil », allier la petite histoire à la grande. La revenancetextuelles évite ainsi de faire des personnages des figures de premier plan récurrentes. Ex : Vautrinchef de la sureté et sa tante / complice Mme de St Esteve, baron de Nucingen ; le maréchal Hulotétait un héros positif de Chouans et termine sa vie ds CB, Crevel dans César Birotteau et Cousin

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Pons, Rastignac dans LPC, les gens d'esprit présents au dîner. Au total on compte 2504 personnagesdont 567 reviennent au moins une fois, sans pour autant respecter l'ordre chronologique duvieillissement d'ailleurs. Unification de la totalité qui permet de rendre cohérents les parcours et lecroisement des destins des personnages (qui sont scellés une fois le livre écrit contrairement à nosexistences). Invention d'une société en modèle réduit. Somme métaphorique de la réalité sociale,« plus vaste que la cathédrale de Bourges » selon Balzac lui-même. On entre dans un universparallèle où l'on croise des visages déjà connus donc l'illusion de la vie est plus forte. Unmensonge qui doit être vrai dans les détails, produire « l'effet de réel » comme dit Barthes. Exdescription détaillée de la tenue de Bette « chaussée de brodequins en prunelle, de bas de soie gris,armée d'une robe en magnifique levantine, les cheveux en bandeaux sous une très jolie capote envelours noire doublée de satin jaune » permet de se représenter son évolution sous l'influence de Vr/ au début du roman où elle portait « une robe de Mérinos couleur raison de Corinthe, dont la coupeet les liserés dataient de la restauration ». Les détails ont pour fonction de donner l'illusion de réalitémais vu de près ils sont parfois douteux, par ex l'évolution du personnage de Victorin dont lescaractéristiques changent car il a besoin de qqun pour sauver la famille donc peu de cohérencemorale. C'est l'ensemble de la CH qui renvoie au monde réel. Taine : « Balzac a saisi la vérité parcequ'il a saisi des ensembles ». Chaque lecteur sera libre de s'intéresser à tel ou tel aspect du roman oumême d'en redécouvrir un à chaque nouvelle lecture.

IIde partie / Le monde des Passions dans « La Cousine Bette »

Sens balzacien de la passion :Le mot passion revient sans cesse dans la CB (+ de 100 occurrences avec ses dérivés) et chaquepersonnage est doté d'une passion : personne n'y échappe. Car le sens qu'il lui donne est assezlarge : cela va de l'attrait irrésistible et charnel qu'exerce Valérie sur les hommes (« passion devieillard, passion insensée qui semblait raisonnable » p. 178) à l'amour idéalisé et romantiqued'Hortense pour W. (« naïve passion » p. 164), en passant par le hobby (« chacun a ses passions,moi c'est le billard » dit le père Chardin p. 475). Le sens religieux est aussi présent : « la passion estun martyre » p. 174. La pensée elle-même, pour Balzac, est une passion : c'est un point deconvergence entre les sens, le corps (pour le plaisir et le ressenti qu'elle procure) et l'intellect(comme cause de nos actions) : « savez-vous ce que j'entends par penser ? Les passions, les vices,les occupations extrêmes, les douleurs, les plaisirs sont des torrents de pensée » (Les Martyrsignorés, 1837).Souvent les passions sont essentiellement amoureuses et les deux mots sont employés commesynonymes : même la passion haineuse de Bette peut se lire comme un amour possessif pour W ouV, la passion de l'argent comme un amour des richessses etc. D'ailleurs, face à Adeline, Crevel ditaimer deux fois car passion amoureuse et vengeance de Hulot sont deux formes d'amour (p. 72).La seule différence est que l'amour est singulier tandis que les passions sont plurielles, diffractées etchaque personnage en incarne un visage. D'ailleurs le titre du premier chapitre est « où la passionva-t-elle se nicher ? ». Mais ici l'amour n'est pas envisagé comme la passion la plus essentielle ;au lieu d'une passion centrale et exceptionnelle comme dans Le Lys dans la vallée, Balzac introduitplutôt un principe de démultiplication des passions à partir de la vengeance (Bette « prenantvengeance de toute ses douleurs ») pour satisfaire l'attente du lecteur tout en le surprenant. Il s'agitd'une mise en scène des passions qui consiste à les montrer à travers des personnages avant de lespenser. L'originalité de Balzac est de montrer l'expansion d'une même passion dans un groupe(l'amour) mais aussi la coexistence de plusieurs passions au sein d'une même personne (Bette : sahaine de la famille Hulot n'a d'égal que son amour, lui-même ambigu, pour W.). Le désir ne se laissejamais réduire à une forme fixe et stable : il se multiplie et se déplace, insaisissable et polymorphe.La passion sous toutes ses formes se présente comme le concept unifiant qui répond à la fois au

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désir balzacien d'exprimer une totalité (celle de l'expérience humaine) et une singularité (celle del'individu) ; le désir individuel se dramatise dans l'état de société car, frustrés, ils s'exacerbent etcontribuent à diviser encore plus l'état social, ce qui provoque un cercle vicieux. Elle représente unemenace pour l'ordre tout en exaltant l'énergie individuelle.

I) Une physiologie des passionsBalzac connaît son premier succès littéraire avec un essai intitulé « Physiologie du mariage »,ouvrage qui mêle la science et la satire pour étudier un groupe ou un phénomène social, en voguedans les années 1840. Le roman pourrait donc se lire comme une physiologie des passions àplusieurs titres. Dans tous les cas il s'agit de décortiquer les causes des passions comme ondécortique des insectes : « les physiologistes sont à la politique ce que les entomologistes sont àl'agriculture » p. 133. A) Géographie des passions« La Société ne fait-elle pas de l'homme, suivant les milieux où son action se déploie, autantd'hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie ? » APCH Les passions ne sont pas aléatoires : le milieu joue un rôle décisif p. 327 « l'homme prendtoujours quelque chose des milieux où il vit ». 1) Paris, capitale des passions.* Présence fascinante et inquiétante de Paris en arrière plan, faisant du roman un véritablemanifeste urbain : les personnages passent et repassent sans transition des appartements misérablesaux hôtels particuliers, des nouveaux boulevards aux vieux quartiers mal famés où échoue Hulot.Paris est un paradoxe : « l'alliance intime de la misère et de la splendeur » : on le voit avecl'opposition entre le quartier du Louvre, symbole,de raffinement dont est proche l'appartement deValérie, et le coupe gorge qui l'entoure ch 13 p. 119 et 122. Balzac fait la liste de tous les dangersqu'on y court au ch 37 intitulé « Réflexions morales sur l'immoralité » p. 236 à la jonction de deuxparties du roman. D'ailleurs les pires personnages viennent du quartier sordide de la rue Doyenné(Marneffe's et Bette) « composée d'une dizaine de maisons à façade ruinée ». Pas de Paris à vold'oiseau mais des descriptions détaillées.Vautrin in LPG « Paris est une forêt du nouveau monde où s'agitent 20 espèces de peupladessauvages » . Certains passages (du roman et de Paris) sont effrayants : « lorsque le regard s'engageds la rue Doyenné, l'âme a froid ». Mais le danger le plus grand reste l'immoralité et l'arrivisme.* Les lieux privés sont les révélateurs de goûts et des sentiments de leurs propriétaires. CfIntérieur de Hulot, Crevel, Josepha. L'appartement des Hulot avec ses rideaux de soie « anciennement rouges, déteints en violet », ses tapis décolorés, ses meubles dédorés et son salon« cadavre des fêtes impériales » annoncent le délabrement social. p. 59. Le jardin de l'hôtelparticulier des Hulot est un espace protégé qui sert de lieux de confidences amoureuses. Mais ilporte aussi la symbolique du jardin d'Eden donc du paradis perdu sans savoir encore qui jouera lerôle du serpent. La « petite maison » de Crevel (résidence secondaire qui abrite ses amoursinterdites) est aussi à l'abri des regards du monde, « à peu près introuvable » car cachée derrière uneboutique et par une porte dérobée, rue du Dauphin est décrite comme « le plus bel Eden parisienpour y posséder son Eve » p. 296 : « les locataires ignoraient l'existence de ce petit paradis »entièrement dévolu au plaisir libertin. Sa vulgarité se reflète ds son appart : « il regorgeait de toutesles belles choses vulgaires que procure l'argent ». Telle est aussi la fonction des appartements deHulot et Crevel qu'ils font aménager pour leurs maîtresses. Ce sont des vitrines cette fois, car ilsservent à étaler leurs possessions aux yeux des autres : celui de la rue Vaneau est un moyen pourHulot de rivaliser avec Crevel : il « n'avait pas voulu voir sa Valérie dans un nid inférieur enmagnificence au bourbier d'or et de perles de Josepha » p. 240. Ainsi il « avait ajouté le luxe solide

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au luxe éphémère ». L'appartement de la rue Plumet qu'Adeline doit habiter en raison de la ruinefamiliale ressemble à un mausolée, monument agencé par une femme abandonnée qui continue àvouer un culte au portrait de son idole dans son uniforme de 1810 (p. 258 « la douleur, de mêmeque le plaisir, se fait une atmosphère »).L'appart occupé par les Marneffe dévoile leur hypocrisie : « les trompeuses apparences de ce fauxluxe qui règne dans tant d'intérieurs ». C'est l'appartement de Valérie au très aristocratique faubourgSaint Germain qui devient le centre de gravité des passions et un lieu de transition entre les espacesintimes et publics (théâtre) de la passion : Hulot est aperçu par sa femme qui le cherche « dans uneloge au théâtre de l'Ambigu Comique avec une femme d'une beauté splendide » p. 474. CfDescriptif au ch 15 p. 126 à 127, « un luxe entaché de bourgeoisie ». La chambre est en particulierle reflet de l'âme de Valérie : d'abord « elle sentait la jolie femme et presque la femme entretenue »p. 126 puis dans son nouvel appartement donné par Hulot cela devient un « bourbier d'or et deperles d'une Josepha » p. 240 comparable à celui des autres courtisanes. Au contraire chez Bette, le salon, la salle à manger, la cuisine et l'atelier ne font qu'un p. 172.« S'il est vrai qu'on puisse juger une femme en voyant la porte de sa maison, les appartementdoivent traduire son esprit avec encore plus de fidélité » écrivait Balzac dans Une double famille. Les objets et les meubles substantialisent ou matérialisent les passions, selon le bon ou le mauvaisgoût des uns et des autres : appartement reflétant douleur p. 258 « la douleur, de même que leplaisir, se fait une atmosphère ».+ déco reflétant Valéry faisant attendre son monde dans un salon qui lui ressemble : p. 323ou décoration chez Josepha, luxe de l'originalité qui permet de se singulariser à travers les yeuxétonnés de Mme Hulot : p. 480 « posséder des choses qui ne soient pas vulgarisées par 2000bourgeois » puis opposition déco josepha / crevel vulgarité : original et copie p. 508.Même la couleur peut avoir son importance : par ex le jaune (couleur fétiche du dandy au XIXème)domine : gant de Crevel, cachemire de Bette, robe de Josepha jusqu'à la « chemise d'un jauneinquiétant » du baron Hulot au moment de sa déchéance.* Inégalité figée dans la hiérarchisation des quartiers de Paris : aristocrate (réservé auxcourtisanes comme Josépha offert par le duc d'Hérouville), bourgeois (faubourg saint Germain oùvont s'installer Valérie et Bette), populaire (faubourgs de la petite Pologne où se cache Hulot sousles faux noms de Thoul, Thorec, Vyder).L'autre haut-lieu des passions parisiennes est la Bourse : « désormais siège du pouvoir politique etde la finance à Paris » p. 467, où se font et se défont les fortunes indispensables à l'assouvissementdes désirs. Victorin Hulot achète un immeuble qui fructifie tardivement (honnête spéculationimmobilière) car bénéficie du changement du centre des affaires qui s'installe entre la Bourse et laMadeleine « désormais le siège du pouvoir politique et de la finance à Paris ».

2) L'amour de la nationLe monde des passions ne s'arrête pas aux portes de Paris : Balzac fait converger vers Paris despersonnages qui empruntent des traits à des types nationaux et régionaux : leurs originessemblent déterminer leur comportement et leur langage. Lisbeth est présentée comme « unepaysanne des Vosges dans toute l'extension du mot » p. 92 qui a eu un enfance rude et incarne unétat primitif des passions, celles du Sauvage tout en empruntant au caractère plutôt violent desCorses p. 96. Elle se rapproche en cela de l'autre sauvage du roman, le brésilien Montès, traitécomme tel par les convives du dîner de Carabine, mais ensuite revendiqué par lui-même « je latuerai ! Vous m'avez appelé Sauvage ! Est ce que vous croyez que je vais imiter la sottise de voscompatriotes ... » p. 532. * Par opposition, Valérie incarne la passion civilisée, raffinée, à la fois corrompue et corruptrice,décadente. C'est la parisienne par excellence qui joue à Hulot « la comédie du sentiment moderne »p. 175. Pour marquer sa sensualité et son indolence, Balzac la décrit « en vraie créole de Paris » p.191. Son personnage est construit en contraste avec celui de Josepha, courtisane franche : Balzac

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fait d'elle une descendante de l'ancien testament puisque, fille d'un banquier juif, il la compare àJudith (jeune et belle veuve qui sauva le peuple hébreu en décapitant un général après l'avoir séduit.Cf Dalila autre femme fatale de l'AT pour décrire Valérie. Mais c'est avec W que Balzac exposel'origine culturelle des passions, avec l'exposé sur le caractère slave (en référence aux hésitations deMme Hanska qui hésite à l'épouser?). Son infidélité serait conditionnée par son tempéramentpolonais : « il y a chez le slave un côté enfant … ni méthode, ni esprit… une mobilité semblable àcelle du vent » p. 326.* La description des passions vénales est l'occasion de faire resurgir des explications relevant del'antisémitisme, latent au XIXème, surout à propos de Josépha puisqu'elle elle est la fille naturelled'un riche banquier juif ; le théâtre a « développé chez elle l'instinct des premiers Hébreux pour l'oret les bijoux, pour le veau d'or ! » ; p. 70 ce fut « premier grand livre connu » selon Crevel p. 413[ cf Au cours de l’Exode du peuple hébreu depuis l’Égypte vers la terre promise, pendantl’ascension du mont Sinaï par Moïse pour recevoir les Tables de la Loi, les Hébreux, nouvellementlibérés du joug de Pharaon, pressent Aaron de leur montrer un dieu qui puisse les guider. Aaroncommande alors au peuple hébreu de briser les boucles d'oreilles en or des femmes et des enfants,afin qu'il puisse fondre un veau qu'ils désignent et adorent comme dieu, à l’imitation du taureauApis qui était adoré en Égypte.Lorsque Moïse descend du mont Sinaï et qu’il voit les Hébreuxadorer une idole, ce qui est interdit par le Troisième Commandement, il est pris d’une colère sigrande qu’il fracasse les Tables de la Loi sur un rocher. Dieu ordonne alors à Moïse de tuer tous ceshérétiques, et Moïse transmet cet ordre à ceux qui, parmi son peuple, lui sont restés fidèles].* Racisme et ethnocentrisme : « Le sauvage n'a que des sentiments, l'homme civilisé a dessentiments et des idées », « le sauvage n'admet qu'une idée à la fois » p. 100

3) Le déterminisme de la société / cultureL'univers fictif de la CB transpose la réalité sociale à l'échelle réduite de la passion individuelle (exdu bal de noces symbole de toute la société) : « la vie sociale ressemble à la vie humaine » APCH. Ily a une dégradation parallèle de l'ndividu et de la société où il vit. Entropie généralisée (désordred'un système qui va en croissant) où la société, comme un organisme, est détruite par son activitémême. * Les passions sont des phénomène héréditaires et familiaux. Balzac révèle le pouvoir dedissolution que les passions exercent sur la cellule familiale : il montre « quels ravages font lesMme Marneffe au sein des familles » (titre du ch 75) et les liens invisibles qui unissent lesgénérations entre elles grâce à ces passions. Par ex la fortune que Crevel laisse à sa fille a été enpartie dilapidée par Valérie (inventaire p. 556-557). Hortense a hérité de la beauté de sa mère maisdu tempérament de son père contre lequel elle se débat : p. 343. * Tropisme régional = Vendetta corse « ce caractère de corse et de sauvage ... avait repris samenaçante hauteur » p. 192 ou comparée à un « Mohican aux pièges inévitables » p. 193 ou à unLorrain réputé pour sa traîtrise p. 193 « résolue à tromper ». Bette est également qualifiée deLorraine, ce qui lui donnerait comme trait de caractère « résolue à tromper » p. 193« L'Etat Social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature plus la Société. » « les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeures d'un prince, d'un banquier, d'un artiste,d'un bourgeois, d'un prêtre et d'un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré descivilisations ». Ecrivain = « l'archéologue du mobilier social »« la Société, loin de le dépraver, comme l'a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur ;mais l'intérêt développe aussi ses penchants mauvais ». « si la pensée, ou la passion, qui comprend la pensée et le sentiment, est l'élément social, elle en estaussi l'élément destructeur. En ceci, la vie sociale ressemble à la vie humaine. »APCH La vie moderne creuse la solitude d'un être qui se ronge : la passion est devenu le lot de ceux que

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rien n'attache, qui sont devenus des individus purs. La société offre un visage froid, massif, presquetotalitaire ; les personnages échouent à sortir d'eux-mêmes pour exister comme individus dansl'acceptation ou le refus de l'ordre social. Les grandes scènes mettent toujours en présence desindividus qui le plus souvent sont incapables de maîtriser un destin dont seuls les commerçantsexpliquent la nouvelle configuration : « notre temps est le triomphe du commerce, de l'industrie etde la sagesse bourgeoise qui ont créé la Hollande ».* Balzac souligne l'hypocrisie des mœurs de son époque, qui détermine nombre decomportements : tout est à double face, « Tout est double, même la vertu » p. 53 peut être entenduen deux sens : à la fois que la passion est capable du meilleur comme du pire, mais aussi que chacuncache son vrai visage sous le masque du personnage social : Bette semble « une vierge sage », ellejoue en apparence le rôle de « bon ange de la famille », mais en réalité c'est une « nonnesanglante » ; par ex, elle se fait baiser les mains par la mère et la fille et tout de suite après donne àHulot la clé de l'appart de Valérie aménagé par Crevel. Valérie se fait passer pour une femmevertueuse « j'ai tous les dehors de l'honnêteté » p. 188, une femme « comme il faut » alors qu'elleincarne le vice : « mon seul rempart à moi c'est mon honnêteté » p. 289. Valérie est hypocrite mêmepar rapport à sa complice : « comme elle pue la fourmi ! » dit-elle en aparté après l'avoir embrassé« je ne l'embrasserai pas souvent, ma cousine ! » p. 190. Hulot fait aussi l'apologie du mensonge p.301 : « le mensonge vaut souvent mieux que la vérité … on est forcé de travailler le Mensonge, decoudre des paillettes à ses habits de théâtre ». D'ailleurs, de la même manière qu'on ment au théâtre,on ment en société:c'est un univers factice où les pièges sont multiples : Marneffe se comportecomme une actrice victime de son succès p. 330. Les passions amoureuses ne sont pas tantprovoquées par le hasard que par des comédiennes qui préméditent leur coup, ne laissant aux coeursvisés aucune chance de leur échapper. Elle traite Hulot de vieux phoque suffoquant p. 279 puisdevant lui « mon vieux grognard » p. 353 ou « mon bon vieux » p. 283 ; idem avec Montès qu'elleappelle « mon enfant de Rio, mon beau jaguar sorti des forêts vierges du Brésil » puis avec Bette « ce moricaud est venu un an trop tôt ! ». Il s'agit beaucoup de manipulations des hommes par lesfemmes qui parviennent à les flatter pour obtenir d'eux ce qu'elles veulent : p. 280 « les femmespersuadent toujours les hommes de qui elles ont fait des moutons qu'ils sont des lions ». Seulsles amoureux sincères en sont exemptés : « les amoureux vertueux n'ont pas la moindrehypocrisie » p. 161.Les invitations à dîner sont de moyens calculés pour faire des économies tout en sa faisant bienvoir : p. 229 calculs de Hulot pour faire des économies sur le dos de sa femme et ainsi mieuxentretenir sa maîtresse.

* Les mauvaises passions sont également attisées par la misère sociale et une forme de nécessitécontextuelle donc ce ne sont pas que les classes aisées qui se payent le luxe de vivre des passions,discours destiné à faire peur au lecteur bourgeois p. 251-52 contenant une stigmatisation du peupleet en particulier du personnel de maison « un cuisinier et une cuisinière sont des voleursdomestiques ». Le peuple ne sort pas grandi du roman : propos réactionnaires de Balzac : mépris du peuple « le fait-Paris n'est pas ce qu'un vain peuple pense »misère du peuple p. 557misère est une question d'habits p. 490il fait de Bette une républicaine, une fille du peuple p. 448L'ignorance (dont le signe extérieur est la présence de l'écrivain public) et la misère entretiennentles passions les plus sordides : « l'ignorance est la mère de tous les crimes, un crime est avant toutun manque de raisonnement » p. 560 ; de la même manière les parents Vyder sont sur le point deprostituer la petite Atala et finissent par la vendre à Hulot : « je fais tout ce qu'il veut pour un sac dechocolat ! » avoue-t-elle p. 565. Mais les prostituées ou les courtisanes, elles, ont l'avantage surValérie de ne pas cacher leur jeu et de ne pas vouloir se faire pour ce qu'elles ne sont pas : p. 238elles portent« un avertissement aussi lumineux que la lanterne rouge de la prostitution ».

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B) La passion de l'histoireLes évolutions de l'univers des passions : les passions sont des produits de la vie sociale, elle-mêmedéterminée par l'histoire.1) La nostalgie des libertins du XVIIIèmeNon de l'esprit des lumières car le roman balzacien est un réalité vivante qui « met en jeu la passionélément inconnu à Voltaire » disait Balzac. La caractérisation de « grand libertin » revient sans cesse à propos de Hulot (12 fois, Crevel 3fois) : il aime les femmes comme on les aimait au XVIIIème et au début de l'empire, c’est-à-direcomme on aime ses chevaux ou faire la guerre (d'ailleurs Hulot abandonne Elodie sans un mot ni ungeste « comme on jette un roman lu » p. 501S). Hulot et Crevel sont décalés par rapport à leur époque car ils vivent une sexualité « àl'ancienne »: ils agissent comme si ils vivaient encore sous l'Empire napoléonien, défini comme « leparadis de la cour impériale ». Hulot a été un homme d'ordre, fonctionnaire modèle au ministère del'armée grâce à l'empire, ce qui accentue les effets de sa déchéance : le désordre ne s'est invitéqu'avec la vacance de l'ordre. Hulot, qui s'est ajouté une particule aristocratique (d'Ervy) a 30 ans deretard, c'est « un homme de l'Empire, habitué au genre Empire », non à « l'amour moderne » deValérie. Contrairement à son fils, il refuse de voir que le monde a changé. Ils sont les témoinsvertigineux d'un besoin de totalité, d'une recherche d'absolu : « les libertins, ces chercheurs detrésor » p. 395 et sont coupables en cela. La femme devient le repas de luxe du libertin, semble direBalzac en paraphrasant Molière « la femme est le potage de l'homme ». Il y a une « scienceculinaire en amour », et les deux sortes de femmes correspondraient à deux sortes de repas : « repashomérique » (femme vertueuse) vs « œuvre de Carême » (courtisane) p. 405.Toute passion n'est pas sexuelle mais a une dimension sexuelle comme le montre lasignification sexuelle de La Peau de Chagrin : de même que celui qui abuse de ses forces dans lamaladie diminue peu à peu jusqu'à la mort, celui qui n'économise pas ses forces peut y laisser la vie.Ce mythe est le symbole d'un compromis entre la sagesse et le vouloir-vivre. PC = « fantaisiepresque orientale où la Vie elle-même est peinte aux prises avec le Désir, principe de toutePassion ». Est le contraire de l'avarice car « la loi d'avarice signifie que tout luxe de vie raccourcitla vie » Alain. On dépense sa vie comme de l'argent.

* Le motif de la sexualité semble animer les individus au fond d'eux-mêmes sans que la raisonpuisse rien y faire. Cette autonomie du désir sexuel est notée par l'auteur dès le début à travers lescomportement d'Hortense elle-même inconsciente : « depuis 3 ans, Hortense, devenueexcessivement curieuse en certaine matière, assaillait sa cousine de questions où respirait d'ailleursune innocence parfaite » à propos de son célibat (p. 101). Mais c'est son père qui a une sexualitétransgressive.L'ancien parfumeur se rêve en héros de Laclos et se glorifie de ses « déportements » p. 63. Il a untic de langage qui consiste à énumérer des références à l'imaginaire libertin : du mariage de sa filleil dira : « c'est Régence, c'est Louis XV, Oeil de Boeuf » ; de son amitié avec Hulot « Nous sommesrégence, Justaucorps bleu (régiment d'infanterie de Louis XV cf note p. 69), Pompadour (samaitresse), XVIIIème, tout ce qu'il y a de plus maréchal de Richelieu, Rocaille (style de déco donts'inspirera le rococo), et j'ose le dire, Liaisons dangereuse ! » p. 204. ou « il est très Louis XV legaillard ! » p. 204. Langage imité dans le portrait de Crevel p. 201-202. Adeline lui fait remarquerles contradictions entre cet état d'esprit XVIIIème et la bourgeoisie moderne p. 63. Il prétend ainsi àune aristocratie dont il restera toujours exclu. D'ailleurs il n'adopte pas le détachement du vrailibertin, sauf r/ aux infidélités de Valérie « nous ne pouvons être que supportés »p. 298. Mais il finitpar ne plus pouvoir se passer d'elle et par l'épouser bourgeoisement. Valérie = marquise de Merteuilcar possède ses qualités de séductrice et de stratège ; sa mort rappelle la petite vérole qui défigure lamarquise à la fin (1782) ou Nana de Zola (1880). Cf descriptions p. 611 et 613.

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* Les techniques de séduction de Valérie sont d'ailleurs empruntées à L'art d'aimer ou à La cartedu tendre : elle flatte Crevel en lui faisant croire qu'une « duchesse » lui a cédé ; elle feint de ne pasvoir W et du coup, vexé, « il se fit un point d'honneur en lui-même d'en obtenir quelque attention »p. 327-328. Comme toute passion pourrait être considérée comme une déclinaison de l'amourexcessif et exclusif de soi : aimer le plaisir qu'autrui peut nous apporter c'est toujours et encores'aimer soi-même ; d'ailleurs Valérie sait agir sur le narcissisme de ses victimes ; c'est ainsi qu'elleréussi à réunir à la même table son mari et ses 4 amants tout en flattant chacun d'entre eux p. 359. Etc'est une belle image de lui que cherche Hulot dans ses conquêtes : cédant au « culte de lapersonne » il « voulut rester beau à tout prix » en se teignant les cheveux et mettant des ceintures.Cf comparaison entre Valérie Marneffe et la marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses,c'est « une Mme de Merteuil bourgeoise » : libertine en secret, qui passe pour une femme vertueuse,amie avec le vicomte de Valmont, ancien amant devenu complice de leurs conquêtes respectives,amitié cynique qui s'écroule quand l'un des deux tombe amoureux de Mme de Tourvel, ce quiprovoque leur guerre intestine, la mort en duel de Valmont et la mise au ban de la société de lamarquise ; même habileté à séduire et même fin, la petite vérole qui la défigure et lui fait perdre unoeil, sauf qu'elle n'en meurt pas. Comme V, « la maladie l'a retournée et son âme est sur sa figure ».

2) L'éloge de l'empire et le mythe napoléonienTout se passe comme si la chute de Napoléon avait entraîné la déchéance générale du monde, etnotamment celui de la famille Hulot. Cf Dans le Rouge et le Noir, Julien Sorel est fasciné parNapoléon, allant jusqu'à cacher son portrait sous son matelas, il lui sert de guide pour prendre lesdécisions importantes de sa vie, même si il le cache : « c'était la destinée de N serait-ce un jour lasienne ? Se dit il en contemplant le vol d'un épervier ».* Temps épique (récit narrant exploits héroïques ou mythiques) où gloires militaires et amoureusesvont de pair « Le système électif de l'Empire est donc incontestablement le meilleur. ». Nostalgied'une partie du peuple français (ex Hugo qui dans son discours à l'académie le présente commecelui qui « était prince par le génie, par la destinée, et par les actions » et le comparera à« Napoléon le petit »). Les personnage vivent dans une période dévaluée et même ceux qui commeCrevel participent à cette décadence cherchent à s'y comparer, par ex en prenant des poses à laNapoléon ou Adeline conserve « son air impérial au milieu de son mobilier Empire » pendant queson mari la trompe.* Les deux maréchaux qui illustrent la mémoire de cette époque sont le maréchal Hulot et le princede Wissembourg : honneur et droiture, rayons finissants du soleil d'Austerlitz. Seul Hulot neparvient pas à surmonter la chute de l'Empereur car c'est l'époque de son triomphe comme « attachéà la Garde impériale » et de son idylle avec Adeline qui « passa sans transition des boues de sonvillage dans le paradis de la Cour impériale ». p. 85 C'est sa carrière militaire qui semble garantir safidélité car alors cet « homme à conquêtes » « sa carrière galante fut alors interrompue pdt assezlongtemps par son attachement conjugal » p. 85. La mort du maréchal Hulot, ancien héros desChouans, souligne l'échec de son frère : sa noblesse est factice car il a perdu les valeurs de courage,de probité. C'est l'empire qui a fait de Hulot un serviteur et fonctionnaire modèle, possédant lessignes extérieurs de l'ordre, les fonctions et les titres. C'est une fois abandonné à lui-même qu'il seperd. Il décline au fur et à mesure que Crevel s'élève de sorte qu'ils finissent par se retrouver aumême niveau, tous deux coupables d'avoir trahi la grandeur impériale, l'un en échouant à laconserver l'autre en l'imitant pour mieux cacher ses vices : Crevel prend des postures, des« positions » : « se croiser les bras à la Napoléon » p. 64 car il nourrit des fantasmes militaires. Idéaldisparu dont la valeur est questionnée. Comparaison entre Hulot et Napoléon comme « une espècede Dieu qui ne pouvait faillir » p. 85.* Le sang du maréchal Montcornet coule également dans les veines de Valérie Marneffe, autrereprésentant héroïque de l'Empire. D'ailleurs Balzac compare son attitude à une bataille militaire dugénéral Bonaparte dominant ses trois amants p. 272-273.

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TR : Mais c'est l'amour et l'argent qui sont devenus les guerres modernes qui se substituent auxguerres napoléoniennes à partir de la monarchie de juillet. « Ah tu pleures ! L 'Empire s'en va ! Jevais saluer l'empire » dit ironiquement Josépha p. 152 quand elle le quitte.

3) La critique de la Monarchie de Juillet : « 1830 a consommé l'oeuvre de 1793 »* Balzac lui oppose le présent prosaïque, terne et désenchanté. La monarchie de juillet est montréecomme un monde de passions dégradées où tout se monnaye et se négocie, même les sentimentssont devenus objets de spéculations. Crevel, parfumeur devenu richissime, a besoin de conforter saposition sociale en s'offrant une « femme comme il faut » et dépense pour cela des sommesexorbitantes (6000 F de rentes) ; « je n'ai jamais eu une femme du monde » p. 242-43. Crevelillustre au départ une « passion raisonnable » produite par la société de la monarchie de juillet dontBalzac dénonce la financiarisation et les calculs : fier de s'adonner à sa passion avec mesure, Crevellui dédie un budget prudent, ce qui le distingue de Hulot : il n'engage jamais d'abord sa proprefortune mais les intérêts qu'elle lui rapporte, il assure un équilibre raisonnable entre dépensespassionnelles et préservation du capital (cf sa philosophie de l'existence p. 409) ; jamais le calculn'est entièrerement aboli par les impératifs de la jouissance car « l'argent ne trompe point ». Cetteéconomie de la passion est moquée par Balzac qui en montre le ridicule et les limites. Crevel surtoutapparaît comme un matérialiste cynique pour qui tout peut s'acheter, même les femmes. Au-dessusdu roi Louis Philippe règne l'argent p. 413 « il y a la sainte ...pièce de cent sous ! »* Valérie incarne aussi l'esprit pragmatique de son époque, les « façons de l'amour / la tactiquemoderne » p. 174 qui consiste à jouer des codes de l'exaltation romantique pour cacher ses intérêts.Cela daterait de 1830 p. 174 « les nouveaux scrupules inventés depuis 1830 … ce nouvel art d'aimerconsomme énormément de paroles évangéliques à l'oeuvre du diable ». Leur mort atroce ressembledonc à un châtiment. * Même Hulot s'en plaint quand cela l'arrange : p. 226-227.Balzac décrit l'épopée d'une famille sous la Monarchie de juillet (entre 1838 et 1846), quiconnaît une lente déchéance depuis la Restauration. Pour lui « ce sera l'histoire de bien desfamilles » donc le cas Hulot n'a rien d'exceptionnel. Il fait l'autopsie d'une époque gangrenée par lapassion du pouvoir et l'obsession de l'argent, sous le ministère de Guizot qui disait : « enrichissez-vous ! » si vous voulez avancer et faire des choses que vos pères n'ont pas faites. Il y a unecontamination de la sphère politique par l'économie, symbolisée par la trajectoire de Rastignacdevenu ministre de la Justice. Destruction de la famille sous la restauration : la noblesse est devenue« bourgeoise et sans grandeur » p. 191 : « en France désormais on aura de grands noms, mais plusde grandes maisons … On y a détruit la Famille »CF Critique du règne du petit p. 162 qui témoigne de la médiocrité de l'époque.Force de la société était auparavant à la fois positive (un monde en construction nécessitant desambitions) et négative (les intérêts deviennent tout-puissants et la victoire du libéralisme nenécessite plus aucune révolte) ; la bourgeoisie n'est donc plus entreprenante et n'offre plus d'avenirautre que sa propre platitude vulgaire et cynique. Il n'y a plus d'ambitieux aux dents longues commeRastignac, ils sont arrivés à leur but. Le désir s'est perdu, il n' a plus d'avenir, la société n'a plusqu'un passé à double face, militaire ou administratif. On tourne en rond, nulle philosophie ne venants'opposer au devenir des personnages. Le piège se referme sur l'humanité qui a perdu son avant-garde. Même Crevel, pourtant prévoyant, s'affole et finit par épouser V et s'y perdre en engageant safortune. La seule philosophie est déplorative comme celle de Bianchon : Diagnostic du médecin p.546.D'où : Atomisation du corps social en autant d'individus soumis à l'intérêt personnel. Ils ne sont plusencadrés par certaines valeurs remises en cause par la révolution de 1789. Il n'y a plus qu'une forceimmense qui ne sait plus quoi faire d'elle-même et pas de solution de remplacement ou d'alternativemême théorique.

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C) Le corps des passions

1) Des physionomies passionnelles* Balzac convoque souvent la nature pour justifier des comportements humains qui sont culturels :elle peut relever d'un héritage physiologique (hérédité génétique, Valérie tenant ses goûts decourtisane de sa mère) et cela donne un caractère fatal, subi, non choisi aux passions. Mais onn'hérite pas de tous les caractères, ce que déplore Hortense par rapport à l'abnégation de sa mère :« je suis malheureusement pour moi une Hulot et non une Fischer » p. 355 (lettre d'adieu à W.). Leconcept déterminant résiderait donc dans le tempérament qui explique une direction intérieure innéequi explique le devenir ultérieur. Ainsi le baron Hulot présente « un tempérament sanguin » propiceaux excès sensuels ; Valérie a un tempérament de « créole » propice à la nonchalance. Lescaractères physiques sont donc les symptômes des caractères psychologiques.* Balzac voulait écrire un Essai sur les forces humaines et fondait son « énergétique » sur unmélange de science naturelles, de médecine et de mysticisme : selon lui chaque individu posséderaitun capital inné d'énergie intérieure appelé à se déployer et se consumer plus ou moins vite au gré del'existence. Or, les passions constituent le combustible principal de cette énergie intime.Cf PDC : la peau symbolise la capital d'énergie vitale qui se rétrécit au fur et à mesure que le héross'abandonne à ses plaisirs. Dilemme entre vivre à l'économie mais sans plaisirs (ce que prônel'antiquaire) ou exister intensément en dépensant son capital d'énergie. Le roman ne parvient pas àconclure : il meurt, certes, mais vivre c'est forcément mourir un peu, et ne pas vivre ne vaut guèremieux. La peau n'est que la somme des possibilités offertes à un homme. La passion serait lamanifestation non maîtrisée de cette énergie qui échappe alors à la volonté et acquiert une formed'indépendance. L'atmosphère peut donc être décrite en termes plus physiques, par ex quand Wsoumis aux regards de Bette « qui le pénétraient d'une flamme magnétique » p. 132 quand elle leréprimande ; Valérie est « une femme magnétisée » quand elle descend l'escalier vers Crevel pourle persuader qu'elle est amoureuse (théorie du flux magnétique de Messmer) puis de son côté leretour de Montès sur elle fait l'effet « d'une commotion » comme si elle avait reçu un coup (p. 269).

* La théorie de la physiognomonie et la phrénologie sont en vogue depuis 1830. Le neurologueJ. Gall considère que la forme du crâne révèle sa personnalité ; Lavater procède aux mêmesdéductions à partir des traits du visage.« La physionomie humaine est pour moi, dans l’acception la plus large du mot, l’extérieur, lasurface de l’homme en repos ou en mouvement, soit qu’on l’observe lui-même, soit qu’on n’aitdevant les yeux que son image. La physiognomonie est la science, la connaissance du rapport quilie l’extérieur à l’intérieur, la surface visible à ce qu’elle couvre d’invisible. Dans une acceptionétroite, on entend par physionomie l’air, les traits du visage, et par physiognomonie laconnaissance des traits du visage et de leur signification. » Lavater.Le portrait de Montès mélange les deux avec des croyances populaires p. 270.Le visage de Bette est construit comme une allégorie scientifique de la jalousie : p. 92 la laideur estle symptôme, pas seulement la cause de sa méchanceté d'où un renversement du rapport moyen/fin : elle est laide parce qu'elle est méchante et non pas seulement elle est méchante parce qu'elle estlaide. Même la manière de servir le thé peut trahir les sentiments : «un physiologiste peut observertous les sentiments féminins, depuis l'aversion, l'indifférence, jusqu'à la déclaration de Phèdre àHyppolyte » p. 335. * Pour que le lecteur puisse identifier le type de personnage il met en relief ses passions, qui selisent sur son visage : les portraits reposent sur l'idée que le corps est représentatif de l'âme, enparticulier le visage qui traduit et trahit les émotions. Mais un visage d'ange peut cacher uncaractère diabolique (Valérie) et dans ce cas il prévient le lecteur : ses amants l'appellent « monange » même si leurs pensées ne sont pas angéliques (Hulot « sois tranquille mon ange, il crèvera

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sous-chef ! » p. 379) ; l'ange est devenu un thème romantique car la révolution ayant remis enquestion la religion, il demeure un arrière plan mystique qu'il faut exprimer. Adeline est un angevéritable de pureté, une créature céleste (dès le portrait du début : p. 84 « une des plus belles decette tribu divine possédait les caractères sublimes de ces femmes nées reines », jusqu'à la fin « laférocité du vice avait vaincu la patience de l'Ange » p.578), et même Bette devient « l'ange sauveurde la famille ». D'où un clivage entre les anges et les démons, récurrent dans la littératureromantique, qui se trouble ici puisque comme disait Pascal « qui veut faire l'ange fait la bête ».Surtout p. 175 où Balzac fustige l'hypocrisie des mœurs de son époque : « on est deux anges et l'onse comporte comme deux démons, si l'on peut ».Le portrait d'Hortense laissait présager le tempérament de son père « c'était un mouvementpassionné dans la physionomie, une gaieté dans les traits » p. 90, « un sang chargé de fer,impétueux » p. 317. 3 couleurs blanc, or, bleu utilisées pour représenter la Vierge.* Les attaques nerveuses de la fille p. 341 et de la mère trahissent leur effondrement intérieur : p.468, p. 479, p. 482, p. 489 (couleuvre), convulsions p. 512.Ainsi que ce soit les bonnes ou les mauvaises passions, elles ont toutes en commun cette dynamiqueintérieure : « la force que déploie un criminel, remarque Victorin, serait-elle donc la même que celledont s'enorgueillit un Champcenetz allant au supplice ? » (guillotiné en 1794). * La passion épuise la force vitale de beaucoup de personnages ce qui provoque une décrépitudedu corps. Selon Mme Nourrisson s'adressant au Brésilien abattu par la découverte de la trahison deValérie : « quand on aime d'une certaine façon, qu'on s'est agrafé à mort, la vie répond de l'amour.Celui qui s'en va arrache tout quoi ! C'est la démolition générale » p. 533. Certains en ontconscience comme Marneffe : « courte et bonne , voilà ma devise » dit-il à propos de sa philosophiede vie mais qui relève plus d'une fatalité que d'un choix car « il n'a pas cinq ans à vivre, il estgangrené jusque dans la moelle de ses os » constate Valérie p. 280. Plusieurs personnages incarnentcette décrépitude du corps : le baron devient un « agréable vieillard, complètement détruit » quiparaît âgé de 80 ans. Crevel est condamné par son nom même selon la cognomologie (théorie selonlaquelle le nom reflète l'être chez Sterne). Lui et Valérie se décomposent physiquement à cause deleur maladie vénérienne ; description p.547. L'hécatombe est générale, comme Hortense découvrantl'enfant caché supposé de Valérie et de W. (p. 354 « c'était non pas un coup de poignard mais lamort. La première attaque avait été purement nerveuse, le corps s'était tordu sous l'étreinte de lajalousie ; mais la certitude attaqua l'âme, le corps fut anéanti ») ; et certains vont jusqu'à mourir deseffets de leurs passions (Bette a « trop bien réussi » sa vengeance) ou de celles des autres (« lemaréchal était mort des coups portés à cette famille par elle et par Mme Marneffe ») p. 449, demême qu'Adeline, achevée par sa découverte tardive de la nature incurable de son propre mari, « àl'agonie » p. 577. Moquée par Atala pour sa décrépitude : « si vieille que çeà et qui tremble commeune feuille ! Oh c'te tête ! ».

2) La passion animale ou le zoo de la CB« Il n'y a qu'un animal. Le créateur ne s'est servi que d'un seul et même patron pour tous les êtresorganisés » APCH. * Bette s'oppose à la belle Adeline ; elle éprouve des sentiments pulsionnels et incarne une forme desauvagerie moderne ; elle est investie de forces telluriques qui semblent revenues du fond des âgeset permettent la comparaison avec le primitif ou l'animal ; « une face longue et simiesque » ; elle estsurnommée la Chèvre pour avoir refusé tous les partis qu'on lui proposait, comparée à une mulepour son entêtement à ne plaire qu'à elle-même (p. 99), « ma tigresse » par Valérie (p. 305) puis unelionne (p. 250 : « après avoir commencé la vie en vraie chèvre affamée, je la finis en lionne »). Jeuxde mots « ces malheur de famille domptèrent la Bette » p. 95 et ch 28 surtout titré « transformationde la bette » ; mais le mot désigne aussi une plante potagère. Réduite à l'état de légume ou d'animal,au mieux à des « sauvages qui pensent bcp et parlent peu » p. 96. . Mais la transformation animaleaboutit à une forme plus inquiétante : Balzac la compare à « une araignée au milieu de sa toile » p.

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265 (+ titre du ch 18 « aventure d'une araignée) « de même qu'une araignée au centre de sa toile,observait toutes les physionomies », d'où une connotation diabolique, figure de la fatalité chezHugo. Instinct maternel protecteur étouffant à l'égard de W. Steinbock qui lui aussi signifie lechamois en allemand. Justifie la « comparaison entre l'Humanité et l'Animalité » de l'avant propospar le fait qu'elle a observé « la vengeance partout dans la nature, les insectes périssant poursatisfaire le besoin de se venger quand on les attaque » (p. 551) c'est le principe de toute vie ; mêmeencore au chevet de Valérie, même Dieu se venge. Montès à son tour se métamorphosera en tigre p.535 « le Brésilien métamorphosé en tigre » impassible quand il apprend la trahison de Valérie.* Un autre personnage féminin accumule les traits animaux : Mme Nourrisson : son nez rappelle le« bec des plus mauvais oiseaux de proie » p.492 / ch 107 son portrait.

3) Jeunesse et vieillesse :* la passion n'a pas d'âge : au début Hulot semble jeune : «chez le baron rien ne sentait levieillard »p. 113 mais à la fin Hulot ressemble à un vieillard alors qu'il est encore en train dechercher à se mettre en ménage avec des jeunes filles de 13 ans p. 499-500. La passion l'a rongé etdétruit de l'intérieur et il a été rattrapé par l'âge. C'est seulement sur les conseils de Valérie qu'ilcesse de se teindre les cheveux et accepte de vieillir pour ne pas donner le sentiment à celle-cid'avoir les moyens de la tromper p. 245. Puis sur les conseils de Crevel se demande pourquoi de telsvieux ont besoin de ces jeunettes p. 299-300.* le rôle de l'enfance : le trauma qui motive les actes de Bette est directement lié à son enfance : lanaissance distribue la beauté selon une loi naturelle qui n'est pas juste et elle a conscience d'êtrelaide, d'autant que sa cousine lui a toujours été préférée ; la passion de la comparaison a donc ajoutéà sa haine, jusqu'à vouloir arracher le nez de sa cousine : « Lisbeth travaillait la terre quand sacousine était dorlotée … voulait lui arracher le nez etc » p. 93. les premières manifestations dansson enfance de sa passion dominante révèlent des pulsion incontrôlées ; elle s'efforce de lesdomestiquer en attaquant les vêtements plus que la personne. Et ce désir violent ne l'a pas quittée,comme une blessure narcissique qui, infligée il y a longtemps, persiste à produire son effet : « elleétait toujours l'enfant qui voulait arracher le nez de sa cousine, et qui, peut être, si elle n'étaitdevenue raisonnable, l'aurait tuée en un paroxysme de jalousie » p. 99. cf Freud : l'inconscientn'oublie rien / le complexe d'oedipe comme complexe nucléaire des névroses.* Cause de l'érotomanie de Hulot est la peur de vieillir et non l'argent la cause de sa faillite : « leslibertins n'ont presque jamais leur âge » p. 384 ; la passion de l''argent,« c'est un effet de la cause etla cause c'est l'amour passion » Alain « un désir passionné de ne pas vieillir et d'être toujoursaimé ». « Le baron était allé 3 fois rue du Dauphin et il n'y avait jamais eu 70 ans. La passionranimée le rajeunissait » p. 384 (juste avant d'être pris en flagrant délit d'adultère). Le passage dutemps est un facteur décisif en matière de passion car c'est une mise à l'épreuve souvent aussiintense que brève et appelée à se modifier au fur et à mesure que la personne vieillit et que d'autrespassions surviennent. Paradoxalement c'est en cherchant à être jeune et en brûlant la vie par lesdeux bouts qu'il s'épuise remarque Valérie : p. 279 « cet affreux administrateur qui souffle commeun phoque … s'est vieilli de dix ans en voulant être jeune ». * 3 analepses (retour dans le passé) lors de l'exposition : la jeunesse d'Adeline (ch 7), celle deLisbeth (ch 10) et rencontre entre Bette et W (ch 17 et 18).

II) La passion du pouvoir

L'univers humain est univers de passions mais cet univers se dégrade en enfer, à commencer parl'enfer de l'amour et de la famille, c’est-à-dire de la vie privée ; cet enfer est constitué de lacontradiction entre le rêve et la réalité, entre la nécessité de paraître en société et les pulsions dumoi, entre la vanité et la sincérité.

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A) Pouvoir et soumission des femmesBalzac n'a pas l'habitude de mettre une femme au premier rang de ses études parisiennes, surtout sic'est une vieille fille laide et pauvre, ce qui est inhabituel pour les romans du XIXème. Mais LesParents pauvres opèrent un renversement significatif : le personnage masculin de Pons se voitattribué la passivité habituellement attribuée aux femmes et le personnage féminin incarne desvaleurs masculines. Dichotomie fonctionnelle qui se double d'une dichotomie morale puisque Ponsreprésente un système moral positif contre les manœuvres cyniques de sa propre famille, alors queBette incarne toute la négativité de la société par sa volonté de vengeance. Dans les deux cas lafamille est remise en cause par l'égoïsme et l'absence de figure paternelle dans le CP et par lelibertinage du père et la puissance maléfique de Bette dans la CB. La CB peut se résumer comme la lutte entre deux groupes de femmes pour conquérir puis retenirdes hommes. Il y a 3 catégories de femmes : la femme vertueuse (Adeline, Hortense, Célestine), lafemme vicieuse et méchante (Bette et Valérie) et les courtisanes du « demi-monde ». Balzacdistingue en fait « les femmes comme il faut et les femmes comme il les faut » (Autre étude defemme). « Sur dix belles femmes il y en a au moins 7 de perverses » p. 297. se dit Hulot réalisant latrahison de Valérie.1) Les femmes vicieuses* Bette se caractérise par sa jalousie obsessionnelle, ravivée par la trahison d'Hortense : elle en estla personnification : « la jalousie formait la base de son caractère », « l'envie resta cachée dansle fond du coeur comme un germe de peste qui peut éclore et ravager une ville » p. 95 « elle futla Haine et la Vengeance sans transaction » p. 193 car Adeline a toujours été préférée à sa cousinealors qu'elles sont de même condition : « la famille avait immolé la fille vulgaire à la jolie fille ».Lisbeth travaillait à la terre quand sa cousine était dorlotée » p. 93. L'injustice est donc entièrementfondée sur la différence physique entre les deux. Sa laideur est à la fois la cause de sa méchanceté etsa caractéristique extérieure, portrait ch 9 p. 92s.Balzac a aussi une certaine fascination pour les vieilles filles : la rétention voire le refoulement desdésirs charnels influe sur l'état mental, d'où la comparaison de ses sentiments avec une éruptionvolcanique d'autant plus violente qu'ils ont été longtemps ravalés, comme le feu sous la glace. Il y acomme une prise de pouvoir sur soi, une possession de soi, quand on ne s'est donné à personne, quipeut forcer l'admiration. Son seul don de soi est encore une forme de pouvoir possessif : l'existence de W a été tenue secrètede 1833 où elle le découvre mourant jusqu'en 1838 où commence le récit ; donc le temps a faitoffice de travail de sédimentation de l'état passionnel, d'autant plus puissant qu'il est profondémentancré. Le temps de la passion excède celui de l'action, ce qui explique l'emprise passionnelle.Prouve qu'on ne se sent exister que dans la domination et la ruse. Son amour s'est changé en instinctde possession étouffant : elle a fait de W. « une chose à elle » p. 134. Il y a en elle comme undédoublement de personnalité entre l'amour maternel et passionnel qu'elle éprouve pour lui : « elleaimait assez S. pour ne pas l'épouser et l'aimait trop pour le céder à une autre femme etc » p. 146. ,lui faisant du mal pour ensuite pouvoir lui faire du bien et se faire pardonner. Sentiment paradoxalet ambivalent. Balzac utilise un lexique sexualisé pour décrire les attentions de la vieille fille enversW., qu'elle nomme « mon homme » (p. 110) : « elle jouissait de le voir ne manquant de rien, elle eûtdonné sa vie pour lui » p. 143.

Il y a un phénomène de transfert entre elle et Hortense, car le récit rétrospectif qu'elle fait de sarencontre avec W. ressemble aux contes de fées et elle la raconte à Hortense comme à une petitefille qui rêve de princes charmants, ce qui finit par produire son effet. Elle rend la vie à un pauvreprince, ce qui attise la curiosité de la princesse Hortense. « La vieille fille s'était promis de protégerce pauvre enfant, qu'elle avait admiré dormant » : scène de cristallisation à sens unique p. 136.

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Double transfert donc : l'amour pour W vient combler un manque d'amour et lui permet de seprendre pour une princesse ; mais la vraie princesse viendra lui enlever son prince charmant,rabaissant bette au rôle de marâtre tyrannique (il surnomme W « le forçat de Melle Fischer » p. 171)ou de vieille sorcière : « tendresse d'une mère, jalousie d'une femme et esprit d'un dragon » p. 145-46. Il n'y a qu'un seul épisode au cours duquel elle aperçoive la dimension amoureuse voire érotiquede sa relation à W. : « En apercevant pour la première fois de sa vie les torches de la passion dansles yeux d'un homme, elle crut les y avoir allumées » alors qu'il pense à Hortense p. 210. D'ailleurselle lui propose de l'épouser, sans succès : scène la plus humiliante.

On notera l'absence totale de compassion pour les autres (ce qui la rend pire qu'un animal) : elleréduit W à n'être qu'une bête en cage par ex, il n'y a que Valérie pour laquelle elle ait un mouvementde pitié quand, elle-même déjà malade, elle fait l'effort d'aller la voir sur son lit de mort, mais mêmeà ce moment là elle ne fait que souligner sa laideur (« un amas de pourriture »p. 550) et sa foliedans le repentir («l'esprit déménagé !», « si tu parles ainsi tu es bien morte ! », « elle bat lacampagne » p. 551-52). Si on ne peut recevoir que ce qu'on a soi-même donné, pas étonnant qu'ellene suscite pas la compassion du lecteur. Elle meurt de ce qui l'a motivé pendant toutes ces années :elle a tellement mis d'énergie à atteindre son but (détruire la famille Hulot) que le maréchal enmeurt (or elle s'était dit « tant que je ne serai pas Mme la Maréchale je n'aurai rien fait ») et qu'ellene peut l'épouser : « La lorraine, comme il arrive souvent, avait trop réussi. Le maréchal était mortdes coups portés à cette famille, par elle et par Mme Marneffe » p. 449.

* Valérie = courtisane mariée, alliance de grâce et de corruption, fleur du mal, associée au mythehomérique tentateur de la sirène : « affreuse courtisane, aussi décevante mais aussi belle, aussigracieuse qu'une sirène » (p. 284) ; sa sœur jumelle en jolie femme, même si sa motivationprincipale est l'argent ; les hommes qu'elle séduit sont un moyen de « gagner sa vie » et elle voit enCrevel une « caisse éternelle » p. 243. Elle possède un certain talent amoureux car est comparée àune « artiste en amour » et à une « fée de salon » p. 243 qui « métamorphose un vieillard en jeunehomme ». Elle ne supporte pas qu'un homme lui résiste et aucun détail n'est jamais laissé au hasard(déco, tenue etc.). La séduction est un duel où la femme se transforme en oeuvre d'art : « elles'étudia dans cette œuvre comme un homme qui va se battre, repasse ses feintes et ses rompus(termes d'escrime) » p. 322. Elle fait preuve de grossièreté jusqu'à sa mort : « il faut que je fasse lebon Dieu ! » comme au début son mari : « tu as fait mon directeur ». Elle préserve les apparencesd'une bourgeoise mariée, d'une « femme comme il faut » préservant sa réputation mais trompe tousses amants (on ne sait plus qui est l'amant trompeur car chacun prend la place du mari trompé).Balzac semble condamner le type de femmes qu'elle représente : « de ces ambitieuses courtisanesmariées qui, de prime abord, acceptent la dépravation dans toutes ses conséquences ». Mais il l'aimecar ne la rend pas odieuse, tente de rendre intelligible ses actes en expliquant ses motivations ;atténue sa cruauté en lui faisant vivre une fin atroce qui provoque l'empathie ; et devient elle-mêmele pion de Bette. « la plus profonde corruption n'empêche pas une société de se former autour decette femme qui concourt à l'ordre au moins par le genre de bonheur qu'elle donne ». AlainElle meurt de la petite vérole, donc défigurée par une maladie vénérienne : ce qui la faisait vivrefinit par la tuer, retour vengeur de la passion sur elle-même ; le monstre est pris à son propre piège.Métaphore de la boue pour se décrire : dernier stade avant la disparition, déjà utilisée par Bette« elle sera dans la boue et moi comtesse » p. 257, pour décrire les demeures des courtisanes(bourbiers) et parler de la boue de la prostitution p. 563 ; la boue finit par maquiller concrètement levisage décomposé de Valérie comme un « tas de boue » p. 551. Valérie résume à elle seul la sociétémoderne : elle attire « trois passions absolues , l'une appuyée sur l'insolence de l'argent (Crevel),l'autre sur le droit de possession (Hulot), la dernière sur la jeunesse, la force, la fortune et laprimauté (Montès) ». p. 272

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Les deux forment un monstre « ces deux femmes n'en faisaient qu'une » : l'une pense et décideavec son esprit, l'autre agit et séduit avec son corps. Il y a un amour ambivalent qui les unit : « elleadorait V., elle en avait fait sa fille, son amie, son amour » p. 255. Ce qui les rapproche n'est plusseulement l'avidité et la vengeance mais la jouissance du mal. Valérie met son corps au service despulsions vengeresse de Bette, ce qui revient à l'intégrer à son fantasme érotique. Celle-ci se révèleplus accessible et plus docile que W mais aussi plus intéressée et la passion qu'elle a pour elle peutprendre les apparences de l'amitié, d'où une satisfaction partielle de ses désirs qui lui apporte uneforme d'apaisement. Elle peut donc mener sa vengeance à travers elle sous le masque de lacivilisation. Cf p. 255-56. Le rapprochement est donc autant d'intérêt que de pensée et d'affection :attraction intellectuelle et charnelle qui permet à Balzac le thème du lesbianisme, car c'est aucontact de Valérie que le désir de Bette va s'embraser : elle éprouve « le sentiment le plus violentque l'on connaisse, l'amitié d'une femme pour une femme » p. 551 quand V. meurt ; elle jouit parprocuration à travers elle : « Je jouis de tous tes plaisirs » p. 305. Valérie voudrait l'envoyer à saplace « faire » Crevel p. 254. Une Bette quasi-asexuée qui joue des attraits d'une bête de sexe.Cf Ce sont des diaboliques comme dans le film de Clouzot en 1954 ou dans La cérémonie deChabrol en 1995. « Tous ces monstres sont de société » dira Alain à propos des personnages deBalzac.

2) Les femmes vertueuses

* Adeline = allégorie de la vertu (elle prétend indiquer à la petite Atala « le chemin de la vertu »p. 567)= elle a un constant souci de l'autre, y compris envers son ennemie secrète Lisbeth, dont ellecherche à faire le bien et avec qui elle cherche à partager son bonheur : « excessivement bonne etdouce, se souvint à Paris de Lisbeth et l'y fit venir vers 1809, dans l'intention de l'arracher à lamisère en l'établissant » p. 93. Mais en poussant l'empathie jusqu'à l'oubli de soi, elle transforme sapassion amoureuse en passion christique (« mater dolorosa », « Madeleine irréprochable »),devenant un véritable martyre au sens religieux et par là une véritable héroïne romantique. Cf p. 81« elle marchait fièrement, noblement, comme une martyre au Colysée » après les révélations deCrevel sur la vie dissolue de Hulot. Figure christique : « Adeline serrait une imitation de JC, salecture habituelle. Cette Madeleine irréprochable écoutait aussi la voix de l'Esprit Saint dans sondésert » p. 259. Le malheur se mue en bonheur du sacrifice. Idem envers sa fille elle éprouve unepassion maternelle et marier sa fille est sa dernière mission « marier ma fille et mourir ! » (p. 74),combattant deux passions antagonistes entre sa fille et son mari, qui va peu à peu se trouver excludu cercle familial.Sa fille lui rend un hommage proche de l'adoration religieuse face « à sa sublimité » p. 345 et mêmeJosepha la reconnaît comme martyre (p. 491), mais ce n'est jamais elle qui prononcera le mot. Lelexique du sacré est sans cesse utilisé pour décrire ses sentiments : elle voue un culte au baron enqui elle voit « une espèce de dieu » p. 85, dont elle a fait son « idole » p. 91. Même quand ellesonge à se vendre à Crevel « la fausse courtisane se révèle une sainte » titre ch 89. Passion ici ausens d'une souffrance qu'elle endure en silence et qui la pousse au sacrifice. Sa passion est illusion :« elle s'était mis sur les yeux un voile de plomb, elle avait pleuré silencieusement et jamais uneparole de reproche en lui était échappée ». Après avoir été une femme amoureuse, est malheureuse de la première à la dernière page duroman : elle n'a rien dit pendant 20 ans et il faut le malheur de sa fille pour qu'elle s'explique sur sasoumission ; beauté physique doublée d'une pureté morale, charitable, elle pardonne tout à son mari,croyant à chaque fois qu'elle va le récupérer, le sauver de lui-même ; elle le cherchera partout (elle a2O ans de moins et se cherche probablement un père puisqu'elle a perdu le sien, André Fischer, à laguerre et a été élevée par celui de Bette, Pierre Fischer). Elle se sacrifie de plus en plus, conseillant

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à sa fille d'en faire de même, finit par être obligée de travailler (jusqu'ici Bette était la seule :« Adeline va comme moi travailler pour vivre ..ces jolis doigts sauront enfin comme les miens ceque c'est que le travail forcé » p. p . 265) ; cf p. 345 « nous autres femmes, nous sommes vouées ausacrifice ». Même son humiliation au rôle de courtisane devient vertueuse car mise au service de safidélité amoureuse. Et même après la mort elle lâche une larme post-mortem et un seul mot dereproche. p. 578 « celle qui morte, pleurait encore » Alain. Sainteté de la passion qui ne se rencontrepas dans l'aristocratie mais seulement dans des milieux simples. « la perfection même de l'amours'oppose à la perfection du mariage. Une femme parfaite, en beauté et en vertu, ne peut s'assurer lafidélité de son Hulot » » Alain.

* Hortense = la fatalité de la passion peut frapper la génération suivante avec un scenario familialidentique ; la passion d'Hortense pour W celle d'Adeline sa mère pour Hector ; schéma cyclique quise reproduit de génération en génération et accentue la fatalité tragique. D'autant plus que sa mèrelui fait un sermon ayant pour but de la formater à la soumission de l' épouse pour sauver la famillep. 344 « sois douce et bonne et tu auras la conscience paisible », sacrifice p. 345 « nous autresfemmes, nous sommes vouées au sacrifice ». Sa passion devient aussi servile et constante audépart que celle de sa mère : « après 3 ans de mariage, Hortense était avec son mari comme unchien avec son maître » p. 264. Néanmoins, elle n'hésite pas à voler son amoureux à Bette, crimequ'elle commet sans honte : « tu viens de voir l'amoureux de notre cousine bette, qui, j'espère, estmaintenant le mien » dit-elle à sa mère p. 170. Et elle n'imite pas sa mère (titre ch 70 : différenceentre la mère et la fille) en tout puisqu'elle finira par chasser l'artiste infidèle de leur foyer, mais ausein de sa douleur de la trahison (« cris de la passion égorgée ») repose la promesse d'un pardondans la lettre écrite à W au moment de son départ : p. 355 -56« je ne veux pas être malade 25 anscomme ma mère ...si vous conquérez gloire et fortune … vous retrouverez une femme digne devous ».

La condition féminine est ici définie comme victimisation par l'amour, assignant à la femme mariéela position de martyre et figure sacrificielle : sermon pour la soumission épouse pour sauver lafamille p. 344 « sois douce et bonne et tu auras la conscience paisible », sacrifice p. 345 « nousautres femmes, nous sommes vouées au sacrifice ». Communauté et redoublement de lasouffrance entre la mère et la fille, même si la fille ne veut pas ressembler à sa mère et se révolte unpeu.

3) Les courtisanes* Les courtisanes du 13ème arrondissement = présence en arrière fond, qui crée un intermédiaireentre vice et vertu. Elles ne sont pas condamnées par le narrateur et jouent plutôt un rôle positif :Josepha qui vient en aide à Adeline, les lorettes deviennent un instrument de vengeance enapprenant à Montès que Valérie le trompe, donc sont sauvées moralement par leur collaborationavec la famille Hulot. Ce qui, par contraste, condamne plus Valérie.Josepha, cantatrice, fille naturelle d'un banquier juif, d'abord entretenue par Crevel, elle devient lamaîtresse de Hulot qu'elle abandonne ensuite pour le duc d'Hérouville ; moins corrompue et plusgénéreuse, elle finit par secourir Adeline.

* A la fin du premier mouvement les 2 camps sont à égalité car Hortense a volé son amoureux àBette mais Valérie a volé son mari à Adeline. A la fin du second, le camp des mauvaises femmesprend l'avantage sur les femmes de la famille Hulot car Hulot a disparu, Hortense est séparée de W.Difficile de dire qui gagne à la fin car la leçon finale est ambivalente : d'un côté la famille Hulot aretrouvé un semblant de tranquillité, grâce à l'absence de Hulot, dans un premier temps, puischacune récupère son mari, alors que Valérie et Bette disparaissent, chacune rongée par la passionqui les a fait vivre, l'une d'une maladie vénérienne, l'autre de jalousie face à ce bonheur retrouvé (p.

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574 « bien malheureuse du bonheur qui luisait sur la famille », « ne put soutenir cet evt heureux »« vaincue au bout de cette longue lutte / marquée pour elle par tant de victoires ») ; mais ce pourraitêtre aussi leur victoire indirecte car Hulot finit par causer la mort de sa femme en épousant sacuisinière (ironiquement introduite dans la maison par la vertueuse Célestine, provoquant sarechute) et Bette réussit à tromper son monde jusqu'au bout car elle est pleurée par toute la famillecomme « l'ange de la famille ».

4) Le rapport aux hommes : « Dans la Société la femme ne se trouve pas toujours être la femelle du mâle. Il peut y avoir deuxêtres parfaitement dissemblables dans un ménage ». APCHHormis les deux frères libertins Hulot et Crevel, et l'ambitieux Jean-Paul Marneffe versionmasculine de sa femme, le vice à l'état pur), les hommes sont assez passifs. Crevel et Hulot formentun duo grotesque de compagnons de débauche « nous sommes deux vieux fous » (227) qui s'opposeau duo des jeunes amants Montès et W seules vraies passions amoureuses de VM : « l'un c'estl'amour ; l'autre c'est la fantaisie » (de même p. 127 le demi dieu de l'amant, une autre version dumythe de l'androgyne mais sans théorisation cette fois de la part de Balzac ?). Et même eux : ils selaissent conduire, séduire et abandonner par les femmes, de toute manière. Alain décrit Hulotcomme « Hulot le Petit, cet homme grand et nul » qui n'a « fait la guerre qu'aux civils ». Quant àCrevel, il n'a pas été heureux en mariage et semble pris entre son absence de passion pour sa femme« morte à temps » p. 243, son dégoût du mariage, et sa passion pour sa fille (« un amour insensé »)et les courtisanes. C'est seulement quand il se croira père de l'enfant de Marneffe que ses passions seréconcilient « joindre la paternité du coeur à la paternité du sang ». p. 358W. fait deux rencontres providentielles qui le sauvent, l'une de la mort avec Bette, l'autre del'aliénation et la dépendance de Bette avec Hortense ; il se laisse séduire par Marneffe et demandeensuite à revenir au foyer pour y être accepté. Il vit sur les débris d'une famille illustre, n'a mêmepas réussi son suicide # figure romantique du jeune Werther. La procrastination est son vice majeur,et il n'est l'auteur que d'un unique chef d'oeuvre, c'est devenu un artiste à titre honorifique inpartibus p. 575 : « il flânait sans pouvoir se résoudre à entreprendre une œuvre, si petite qu'ellefût » et devient critique d'art. Sa puissance créatrice se délite peu à peu, à cause de l'exil, puis àcause du mariage, de sa relation avec Valérie ; il n'a été capable de se mettre au travail que sous laférule de Bette. Balzac le décrit comme un être de « caractère faible », manifestant un « incroyabledécousu dans la conduite , une mollesse morale». # Nicolas Poussin dans « Le chef d'oeuvre inconnu ». Avec Victorin, ils n'ont rien d'héroïque ni deromantique (mot employé une seule fois dans tout le roman pour décrire les manœuvres perversesde Valérie p. 175). Victorin incarne la raison (d'ailleurs il est le seul à faire un mariage de raisonavec une femme semblable à lui, cf son portrait p. 472) ; c'est un bourgeois qui fuit l'aventure etaime l'ordre (raccourci de Victor), sans passions, il contraste avec les excès de son père, il en est lecontre point c'est pourquoi sa vertu (le double de sa m_ère en homme) pourrait être une passiond'opposition avec lui : « VH était aux puritains de la politique ce qu'une femme pieuse est auxdévotes » p.325. Il est surtout soucieux de rester dans les normes et de préserver sa position sociale.Il reste le spectateur extérieur au monde des passions : il constate avec résignation le manque delucidité : « on ne raisonne pas les passions. Les gens passionnés sont sourds comme ils sontaveugles ! » p. 503 face à Crevel épousant Valérie. Mais sa perfection (p. 462) relève d'une passionplus que d'une nature morale car elle disparaît quand il décide d'éliminer Marneffe avec l'aide deMme Nourrisson, devenant ainsi le parfait criminel.

Le Brésilien, fougueux et dangereux à l'image de la jungle dont il est issu, appartient plus aupersonnel du roman populaire qu'au roman balzacien. Son exotisme et sa virilité contrastent avec lesvieillards déliquescents qui sont ses rivaux auprès de Valérie.

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B) Le pouvoir de l'argent et les passions utilitairesD'autres formes de passions portent sur des biens et des situations plutôt que sur des êtres : « l'enviede parvenir » (p. 78) qui selon Crevel est « le plus beau capital ». L'argent remplace Dieu commevaleur absolue : p. 546 « aujourd'hui la loi fait de l'argent un étalon général ». Thème connuchez Balzac depuis le « à nous deux maintenant » de Rastignac à Paris à la fin du Père Goriot.

Réussir à tout prix est l'une des obsessions principales de bcp de personnages balzaciens : il ya comme une financiarisation du réel qui se trouve à la fois mise en exergue et critiquée parBalzac car à la fois elle possède une dimension dynamique et destructrice. Cela devient unequestion existentielle sur la manière de réussir sa vie : « Etre sans le sou, c'est le dernier degré dumalheur dans notre ordre social actuel » p. 409. Plus que Dieu, Crevel dit craindre « l'enfer de lamisère ». Il n'y a pas de possibilité de don désintéressé ni même de don car on attend toujoursquelque chose de matériel en échange, même Valérie le reproche à Crevel : « Toujours desmarchés ! Les bourgeois n'apprendront jamais à donner ! » p. 290.Hulot incarne la déchéance financière absolue, sa fortune déjà bien entamée par les actrices varecevoir le coup fatal de la part de Valérie : c'est en toute discrétion qu'il plonge dans l'abîme, sansrien dire à personne : 3 ans après le mariage de sa fille, il passe pour quelqu'un de rangé alors queValérie lui coûte deux fois plus que Josépha. Il touche le fond quand il est surpris en flagrant délitd'adultère puis de détournement de fonds en Algérie. Il devra pour échapper aux créanciers renoncerà son nom et se réfugier dans les bas fonds de Paris. La société se définit toujours par l'argent mais il s'incarne désormais dans des types qui exprimentde nouveaux rapports entre les individus, comme ce « commerçant parvenu », « représentant sinaïf et si vrai du parvenu parisien », qu'est Crevel. Autant Birotteau, auquel il a racheté saparfumerie et dont il était le commis, était généreux et inventif, autant Crevel est un calculateur sansgénie, égoïste et grossier « je t'aime comme un million ! » à V. Son appartement regorge de « toutesles belles choses vulgaires que procure l'argent ». Il est révélateur de la nouvelle bourgeoisietriomphante des négociants : p. 409 « être sans le sou c'est le dernier degré du malheur dans notreordre social actuel. Je suis de mon temps, j'honore l'argent ! » « vous avez raison, au point de vue dumonde » lui répond Adeline. Monde déshumanisé par le pouvoir de l'argent : il conduit les individusà se vendre au plus offrant, la passion de la réussite naissant d'une nécessité sociale : Josépha avouep. 483 que dans le théâtre, il faut se donner « des maris temporaires » pour pouvoir survivre. Elogede l'argent par Crevel p. 413. Tout s'achète et tout se vend : « tout le monde fait valoir son argent etle tripote de son mieux ». Par exemple il dit de Josépha : p. 67 « elle m'a coûté 2000 francs par anuniquement pour lui donner son talent de cantatrice ». Debut du capitalisme et de la transformationdes hommes en produits de consommation : il y a une confusion entre la valeur qualitative, moraleet la valeur quantitative, matérielle ou marchande : les personnes valent quelque chose p. « elle vautce qu'elle vaut » dit Mme Nourrisson à propos de Cydalise, sa cousine p. 529 ; « combien vaut-elle ? » est une question récurrente à propos des femmes ; Valérie prétend valoir 6 fois plus queJosépha (p. 290). La considération morale a un prix : « la considération à Paris commence à 50000francs de rente » p. 289. * La passion haineuse de Bette est aussi un révélateur de société, une société de sexe etd'argent : « que peut une parente pauvre contre toute une famille riche ? » se demande-t-elle. Lavengeance individuelle n'étant pas assez efficace, on peut s'appuyer sur les spéculations financièrespour détruire une famille et dilapider son patrimoine. Hulot et Crevel en particulier représentent unesociété bourgeoise qui a perdu ses valeurs morales, un monde où tout peut s'acheter, où il y a descorrélations entre économie et politique donc conflits d'intérêts. Quand on n'a plus deresponsabilités politiques comme Hulot, on est désoeuvré et il ne reste que le sexe : « inoccupé de1818 à 1823, le baron Hulot s'était mis en service actif auprès des femmes » p. 87. *Il y a un aspect financier des mariages c’est-à-dire des tractations matrimoniales : l'argent est laclé qui ouvre toutes les portes. La crainte de la pauvreté rend la question de la rente obsessionnelles.

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Tout le roman détaille les calculs, les chiffrages et la circulation autour de l'argent. calculs p. 304calcul de fortune crevel p. 511organisation méthodique et calculée du quotidien p. 229 calculs p.231. Le monde des passions se traduit en équation financière. L'auteur se plaît à organiser deuxmariages simultanés, l'un d'amour, légitime, l'un d'intérêt, illégitime. * C'est une obsession personnelle de Balzac qui était endetté en permanence et un thème récurrentde ses romans. C'est un perturbateur des rapports humains et familiaux (EG la fille lutte secrètementcontre l'avarice de son père et PG le père sombre dans la misère pour satisfaire ses filles avides etingrates). Tous les avoirs et les besoins de chacun sont précisément calculés. L'argent devient aussil'un des principaux leviers qui font agir les êtres. Bette tente d'abord de retenir W en faisant de luiun débiteur puis cherche à ruiner la famille Hulot en attisant son goût pour les amoursdispendieuses. Tout est transaction : les noces de Hortense avec la dot la plus modeste possible,comme celle de Bette dont le mariage est supposé sauver la famille Hulot. La corruption triomphe àtous les étages de la société, depuis la courtisane mariée à Atala, vendue par sa mère, en passant parJohann Fischer impliqué dans un détournement de fonds (lui aussi « digne vieillard, bonapartiste,émanation du soleil napoléonien » p. 222 et qui se suicide pour l'honneur en prison en sepoignardant avec un clou). Même Adeline cherche à emprunter à son beau-frère et à se vendre àCrevel : Bette se félicite que « la délicate Adeline était descendue aux fallacieuses paroles que lebesoin suggère aux emprunteurs » p. 266. A la fin, d'ailleurs, seule la stabilité financière estretrouvée : ainsi, devenu le mari d'une femme riche, ne lui fait aucune infidélité » p. 575.* La plus grande victime de cette passion est probablement Valérie car l'ensemble de ses actions estguidé par l'intérêt (elle tient ses goûts de courtisane de sa mère), la volonté d'acquérir par tous lesmoyens ce que son père naturel, le maréchal Montcornet, a oublié de lui léguer. C'est une déclasséequi a la volonté de surmonter sa situation sociale comme en atteste la description de son intérieur.Elle devient ainsi son propre remède et le poison de tous ceux qui l'approchent : « la puissanteétreinte de la Misère qui mordait au sang Valérie le jour où selon l'expression de Marneffe elle avaitfait Hulot, avait décidé la jeune femme à prendre sa beauté pour moyen de fortune ». p. 191 ; Elleest d'autant plus dangereuse qu'elle a compris que les apparences de désintéressement et de vertu luiassuraient encore plus de gains, la première victime étant Hulot : « il n'apercevait là ni moquerie, niorgies, ni dépenses folles, ni dépravation, ni cette indépendance absolue qui, chez l'actrice et chez lacantatrice, avaient causé tous ces malheurs. Il échappait également à cette rapacité de courtisanecomparable à la soif du sable » dont le leitmotiv est : « aiguisons nos dents et tirons du râtelier leplus de foin possible », leçon retenue par Bette p. 187. Elle est secondée en cela par « cet hommeinfâme » qui du coup est le « meilleur des maris » p. 188. Elle utilise les autres, même Bette, dans lebut d'accumuler de la fortune p. 190 dans un aparté comme au théâtre « Il faut la ménager, elle mesera bien utile, elle me fera faire fortune ». Elle se professionnalise au contact de Crevel qui luiapprend toutes les tactiques boursières p. 253-54.* Il y a une responsabilité conjointe de l'état et de l'église dans cette financiarisation des rapportshumains et la dégénérescence des passions : Balzac souligne la cherté du mariage : les notaires, lamairie, l'enregistrement et l'église perçoivent des droits de 30 francs en tout : « l'église est enFrance excessivement fiscale » p. 558. Le mariage ne tient donc plus lieu de barrière morale ousociale puisque les unions libres et l'appât du gain favorisent le commerce des corps. C'est ainsi queHulot, banni de son milieu, pourra entamer une nouvelle carrière amoureuse au sein des milieuxpopulaires.

C) Les inégalités sociales, moteur des passions

* La vengeance de Bette est motivée par une inégalité sociale au sein d'une même famille :comme le cousin Pons, la cousine Bette n'est qu'un parent secondaire issu de branches latérales cequi empêche d'accéder directement à l'héritage (même si lui est chassé de chez eux alors qu'elle estaccueillie par eux); pauvres, vivant en parasites : « les deux œuvres forment les deux éternelles

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faces d'un même fait » Balzac. Double handicap de Bette = parente sans fortune et femme sansmari. Il y a 3 renversements de l'inégalité sociale dans la fin du roman : suite à l'échec de sonmariage avec le maréchal, elle trouve sa revanche en payant une pension à Hulot dont elle devient laprotectrice (p 378) / de même Josépha devient la bienfaitrice de son ancien protecteur (365) / Crevelse trouve plus dramatiquement supplié par Adeline d'accepter qu'elle se donneà lui en échanged'argent (317).* Mais il y a possibilité de dépasser ces inégalités originelles et de faire son trou avec travail etpatience: leçon de Bette à W le suicidaire : elle paysanne de Lorraine a réussi à devenirindépendante : « Paris offrait tant de ressources qu'un homme de bonne volonté devait y vivre »p. 137. De même Crevel prend sa revanche sur le parfumier Birotteau dont il a été le commis etauquel il a racheté son affaire pour la faire prospérer : « il croyait l 'avoir dépassé de 100 coudées »p. 202.* Aucune classe ne peut représenter un quelconque espoir pour l'avenir car toutes sont plus oumoins corrompues : tous les individus se ressemblent et sont égaux au sens où ils se croientinégaux, et cherchent à dominer leur voisin. Adorno : « l'égalité est réalisée dans la mesure où lafausse totalité englobe toutes les classes dans sa culpabilité » (Lecture de Balzac, Notes sur lalittérature).

TR : Tout se tient et et la loi fondamentale de la vie dans le système libérale se retrouve au niveaude la vie privée, qui n'est pas un domaine spécifique possédant ses lois propres ; Balzac propose defaire un « bilan des passions publiques » (Physiologie du mariage) à travers leur forme privée. Lavie conjugale est un combat.

III) Le pouvoir des passions : splendeurs et misères des passions

Dans la PDC l'antiquaire qui vend à Raphaël le talisman magique capable de réaliser tous ses vœuxdélivre avec une leçon : « Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit ». Cela pourrait illustrer lespassions balzaciennes : elles représentent un force fantastique, une formidable dépense d'énergie quiimprime au roman son dynamisme: : le baron Hulot est toujours en déséquilibre et toujours enmouvement, la force de ses passions le pousse à réaliser l'impossible. Par ex : « il en est fou ! Il n'apas su trouver 40000 francs pour établir sa fille et il les a dénichés pour cette nouvelle passion »remarque Bette p. 208.

Toutes les valeurs traditionnellement positives sont dévoyées dans la CB : amour, famille,amitié, travail, foi, art. La passion apparaît à la fois comme un moteur et une valeur : « il n'y a pasde grand homme sans passions » : elle est ce qui fait s'agiter l'humanité et ce sans quoi l'humanitérenoncerait à elle-même. « Tuer les passions ce serait tuer la société « (La maison Nucingen). LaCB est une sorte de témoignage statistique qui fait voir les passions qui tuent face aux passions quisauvent. La passion attaquera leur être le jour où ils cesseront de croire en leur avenir et donc depouvoir le vouloir. Il faut que l'homme puisse se projeter en avant. Donc ceux qui échappent lemieux aux tourments passionnels dans la CH sont ceux dont le jeune âge les rend encoreenthousiastes par ignorance de la réalité (Hortense) ou qui sont soutenus par une croyance, unevision, une idéologie. A) Passions nobles1) les passions morales :Les hommes qui vivent pour un idéal, pour quelque chose qui est à l'horizon devant eux,échappent aux ravages du désir. Ex : les jeunes gens qui travaillent à leur avenir comme Victorin. Ilsont de l'ambition, ils aiment mais tout cela est contenu, dirigé. Mais c'est surtout Adeline qui incarne la passion de la famille et de la vertu, même si au départ

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elle est victime d'un coup de foudre amoureux qui la rend fanatique de son mari, au point qu'elle lepréfère à l'Empereur, « fanatisme que Mme Hulot mêlait à son amour » p. 86 ; mais c'est parcequ'elle a eu ce coup de coeur qu'elle est devenue « la servante humble, dévouée et aveugle de soncréateur » ; elle aime son mari de manière idéalisée donc son désir ne change pas autant que celuide son mari avec le temps pendant 12 ans:elle l'aime désormais « comme une mère aime un enfantgâté »p. 87, préférant fermer les yeux et ne rien savoir sur ses frasques. Cette passion a donc unegrandeur admirable, comparable aux grandes figures sacrificielles : malgré toutes les humiliations(elle se sent « sur un grill » comme St Laurent, elle se dit « en enfer , … j'ai le coeur tiré à quatrechevaux » comme un martyre), elle ne cesse de trouver des excuses et de pardonner, voire deconsoler son mari, ce qui lui donne une forme de naïveté : « la pauvre Adeline croyait avoirreconquis son cher Hector » p. 384. Elle ne veut pas voir la vérité en face car ce serait accepter sapropre défaillance, elle serait prête à sacrifier les siens pour le bonheur de sa famille, allant jusqu'àtenter de se prostituer avec Crevel. C'est l'une des rares passions conjugales, presque spirituelle, oùil devient si ridicule d'aimer son mari. Elle est paradoxale au sens où le mariage a pour fonction deperpétuer la vie alors que la passion se situe du côté de la mort.

Le maréchal Hulot semble lui aussi mû par une passion noble, celle de l'honneur, il a « lesmains pures » (p. 118). Il voue à sa belle-sœur l'amour parfait dont son propre frère est incapable« un admirateur passionné » p. 88, se substituant à lui d'une certaine manière. L'amour masculinidéal semble divisé entre les deux frères comme irréalisable en un seul homme. Il n'avait pas vouluse marier car cherchant une seconde Adeline et ne l'ayant jamais trouvée, « inutilement cherchée àtravers 20 pays et 20 campagnes ». Donc son célibat est une forme de sacrifice amoureux. Il sescandalise du comportement de son frère (qu'il considère comme le fils qu'il n'a jamais eu) et luidemande de se suicider pour l'honneur, menaçant même de le tuer pour le sauver de lui-même etsauver tous les autres, puis finit par le bannir ; cf réquisitoire p. 444-45. Même son enterrement et saprocession funèbre « rappellent les mérites et la gloire de la noblesse française » p. 448.Ce n'est donc pas un hasard si Bette cherche à supplanter sa cousine en épousant le maréchal. Lesliens juridiques ne correspondent plus du tout aux liens affectifs.

2) les passions créatrices :

* La passion définit un mode de vie supérieur, une intensité créatrice, même si elle tourne à lacatastrophe. Car le fait premier de la vie est la recherche du bonheur : « Il est en nous un sentimentinné, développé d'ailleurs outre mesure par la société, qui nous lance à la recherche, à la possessiondu bonheur » (Modeste Mignon). Il n'y a pas de doute sur la validité des entreprises humaines maisun optimisme non religieux, une foi en la vie qui permet de réaliser et de triompher.* La passion est un signe de vie qui permet de lutter contre l'ennui : cela se montre en creux, acontrario, à travers les personnages qui en sont dépourvus Victorin, Célestine, qui sont d'unetristesse mortifère (alors que leur contrat de mariage a été signé par les deux compères lors d'unenuit de débauche : « deux filles perdues avaient été les prêtresses de cet hymen », le « victorieux »jeune homme a épousé la « céleste » jeune fille sous les auspices de la prostitution) : « Ces genssont des cercueils ambulants qui contiennent un Français d'autrefois » p. 117. Célestine estdécrite ainsi : « jamais fille d'argent ne fut si vulgaire ni si parfaitement insignifiante ». Balzacutilise un moyen narratif pour démontrer que les gens sans passions n'ont pas d'histoire c’est-à-direl'ellipse temporelle qui permet d'effacer les 3 années de mariage heureux de W et Hortense de mêmeque celui de Valérie et Hulot, moins officiel : le récit ne revit que lorsque les passions reprennent ledessus. Hulot observe la virginité de Bette avec une sorte de nausée : « voilà donc la vertu ! ». Demême que Crevel regarde la vertu d'Adeline comme une maladie : « 25 ans de vertu, ca repoussetoujours, comme une maladie mal soignée. Et votre vertu a bien moisi ici » p. 418.

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D'ailleurs Balzac tente de les excuser, les libertins, comme si il s'identifiait à eux : « quiconquejetant un regard sur les premières erreurs de sa vie ... comprendra peut-être les folies des Hulot etdes Crevel ». Car la passion donne l'impression de (re)vivre, elle permet de se sentir vivant :« Valérie est une fée, dit Hulot, elle vous métamorphose un vieillard en jeune homme » p. 301. lapassion apporte à l'existence une intensité qui lui est nécessaire non pour vivre, mais pour bienvivre. C'est un stimulant, une source de jeunesse éternelle ; Hulot est le seul à survivre malgré sadécrépitude en épousant bien tard la dénommée Piquetard. Les vieux amants deviennent des jeunespremiers.* Le véritable amour existe : il évoqué lors du dîner de lorettes de manière humoristique et brillepar son absence puisqu'on se contente d 'en parler : « cet amour qui fait que l'univers est tout noirsans l'être aimé » est étonnamment loué par Malaga et Josépha mais il dégénère « le véritableamour qui fait qu'on s'enfonce ! Qu'on enfonce père et mère etc » p. 521. * Les passions agissent comme des révélateurs de personnalité : Valérie, grâce à sa cupidité, peuts'arracher à sa condition pour devenir ce qu'elle est vraiment, une « femme du monde » p. 242 etnon l'épouse bourgeoise d'un obscur sous-chef. Quand à Bette, son parcours est moins spectaculairecar sa véritable nature demeure cachée, ignorée de presque tous (sa complice et le lecteur qui ducoup devient aussi son complice) mais le récit de sa transformation ch. 28 met l'accent sur lalibération d'une énergie trop longtemps retenue : « en un instant, la cousine Bette était redevenueelle-même » p. 192-193 au point de devenir elle-même une passion pure et d'être comparée auxpersonnages diaboliques et tyranniques de Shakespeare (Iago et Richard III). Elle passe donc dustatut de femme invisible « la vieille fille logée au troisième étage au fond de la cour » menant une« de ces existences anonymes, entomologiques » p. 129 à celui de démiurge tout-puissant quimanipule, devient « l'ange sauveur qui ferait vivre la famille ruinée » p. 399, qui s'appelle « Mme lacomtesse ou Mme la maréchale en se saluant devant la glace ! » : la passion a donc un pouvoirtranscendant, un pouvoir de dépassement et de transformation incomparable. TR : Mais si l'énergie des passions peut transcender les êtres, elle a aussi le pouvoir de les écraser etde les détruire. La passion constitue la principale cause du tragique, expérience du caractèreinéluctable du destin.

B) Les ravages passionnels CB= Roman des passions contrariées poussées à leur paroxysme par le besoin de posséder etd'anéantir. La loi du roman pourrait être celle énoncée par Marneffe : « la passion ruine tout ». Uneexpression du roman résume l'effet ravageur des passions : on est convié à assister à des « crimesdomestiques » (Hulot poussé par la jalousie p. 277). Excès de sentiment qui conduit à l'hybris, ladémesure. Face à l'effondrement de Hulot, Josepha, elle-même cantatrice donc tragédienne à samanière, exprime la puissance fatale de la passion avec la métaphore de l'incendie et en citantPhèdre : « c'est un brûlage général ! » p. 454-55. La CH est un « univers d'hommes à passions »comme dit dans le PG et repris par Josépha (forte connotation érotique à l'époque). Hulot et Crevelincarnent la bourgeoisie installée qui commence à pourrir. Ce ne sont pas des passions temporairescomme chez Molière, anomalies passagères et réductibles qui font rire sans nous inquiéter ; par exHarpagon finit par consentir au mariage pourvu qu'il ne lui coûte rien. Alors que dans la CH lespassionnés sont tous des gens qui se sont heurtés à quelque chose et qui laissent le lecteurdésemparé. Ils sont devenus des forces de destructions d'eux-mêmes et de leur entourage. Leroman s'ouvre sur une parodie de duo amoureux où la violence de l'eros déchaîné est déjà latente :désir pour Adelne, désir de vengeance, chantage à l'amour maternel, révélations sur les maîtressesde Hulot, et ses débordements pédophiles.Quelles sont les conséquences pratiques des passions sur nos existences ?

1) La jalousie et la vengeance

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La vengeance (53 occurrences du nom et du verbe, dont une fois avec majuscule, jusqu'au summumlexical « Voilà Lisbeth outre-vengée ! » selon V.) semble se détacher du personnage pour devenir unacteur romanesque de premier plan, un phénomène qui transcende l'humanité et la société, la haineétant décrite comme « une abstraction active, au-dessus des êtres et des choses », énergiepassionnelle dévoyée par manque d'accomplissement positif, exutoire de la frustration. En cela, lahaine semble supérieure à l'amour car elle ne s'épuise pas dans la consommation de l'objet p. 256« la haine ressemble à la mort, l'avarice, elle est en quelque sorte une abstraction active, au-dessusdes êtres et des choses »: immatérielle et désincarnée, elle peut conserver toute sa vigueur mêmeune fois l'objet possédé. De plus, le choix de la haine plutôt que des amours ruineuses établit unehiérarchie interne des passions, le ressentiment employant l'amour comme une arme à son service.Le roman ouvre d'ailleurs déjà sur un désir de vengeance, celui de Crevel face à Hulot (« je désireprendre ma revanche et je la prendrai. C'est mon idée fixe ! » p. 202-203).Cf allusion à la loi du talion p. 79. De la même manière, une seule vengeance ne suffit pas et enentraîne d'autres, une revanche prise donne envie d'en prendre d'autres, idem si elle est ratée par exquand Crevel refuse d'aider Adeline, il se venge d'elle et de son premier refus mais aussi de Hulotune 2ème fois. Tous s'enlisent dans la vengeance et en subissent les conséquences. La vengeance estun pistolet toujours chargé, prêt à tirer : l'image revient deux fois avec Rivet (commerçant ami deBette) au début : « vous aurez toujours un revolver chargé contre votre polonais ! » puis avec lacourtisane carabine à propos d eMontès « le pistolet est si bien chargé que j'ai peur qu'il n'éclate ».D'ailleurs la vengeance étant un plat qui se mange froid, « elle mijote » (« votre vengeance mijote »p. 514 dit Nourrisson à Victorin) et reste le fil rouge de l'intrigue, sollicitant toutes les énergies et lesfacultés : c'est un travail de « sape souterraine à laquelle elle consumait sa vie et dévouait sonintelligence » p. 256. Néanmoins il y a une accélération finale : la mort d'Adeline et le remariage deHulot sont racontés en une seule page après une ellipse de 11 mois. Elle symbolise la société tout entière et les rapports humains : Paris est une ville intéressée p. 189 :« à paris, la moitié des bienfaits sont des spéculations, comme la moitié des ingratitudes sontdes vengeances », tout en sachant que cette vengeance peut se retourner contre elle-même : « onbrûlerait Paris pour se venger, sans penser à la cour d'Assises ! » dit Hulot. p. 367 en sermonnant safille.

* Chez Bette, le besoin de dominer prend le pas sur la passion heureuse ; « méchante elle eutbrouillé la famille la plus unie » (p59) c'est la transformation de l'amour en jalousie possessive quiprovoque ce processus mortifère de destruction, y compris à l'égard de W qu'elle chercher à jeter enprison une fois appris les fiançailles avec Hortense. L'amour se transforme en haine car il a grandisur le même socle = désir de posséder l'autre, et quand on ne peut plus le posséder on cherche à ledétruire : « l'amour et la vengeance, chassant de compagnie, n'auront jamais le dessous ». On nepeut désirer détruire que ce qui nous échappe. Amour et haine proviennent d'une même source etpeuvent donc se substituer l'un à l'autre à propos d'un même objet : « L'amour est en quelque sortel'or, et la haine est le fer de cette mine à sentiments qui gît en nous » p. 255. Envie comparée à lapeste chez Bette : « l'envie resta cachée dans le fond du coeur comme un germe de peste quipeut éclore et ravager une ville » p. 95. La Fatalité universelle des passions touche tout le monde.Par l'intermédiaire de Marneffe, elle se vengera de tous les Hulot : d'Adeline, que les dépenses poursa nouvelle maîtresse réduiront à la misère ; d'Hortense, en attirant W chez les Valérie, qui désir enfaire son amant ; du baron Hulot auquel elle donne un rival avec Crevel auprès de Valérie. Lavengeance de Crevel à l'égard de Hulot pour lui avoir enlevé Josepha sert donc la vengeance deBette. Elle n'existe que par autrui, que ce soit comme confidente ou complice, et restera le« confessionnal de la famille » jusqu'au bout.La passion du mal possède donc sa propre forme de plaisir et de jouissance au gré des victoiressuccessives : sadisme et théorie de la haine comme moteur existentiel Cf p. 255 « les jouissancesde la haine satisfaite sont les plus ardentes », « l'amour est en quelque sorte l'or, et la haine est

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le fer de cette mine à sentiments qui gît en nous ». Elle peut aller jusqu'à prendre du plaisir à« boire les larmes » d'Adeline pendant qu'elle dort ou elle les lape comme « un chat boit du lait ».On peut donc jouir de la souffrance d'autrui. Pour accomplir sa vengeance elle agit à peine : elle se contente d'orienter le cours des événementsen exploitant les faiblesses de chacun : c'est l'exploitation de la passion par la passion. Elle incarne« la force des choses » (sur Crevel p. 200).Mais c'est une passion « à vide » qui s'épuise avant de véritablement pouvoir s'exprimer « cetteardente fille, passionnée à vide » p. 192 et « résignée à n'être rien ». Bette finit par disparaître,supplantée par la passion plus destructrice de Hulot et vaincue par une société qui la dépasse.L'intérêt se déplace donc peu à peu, dans le roman, de la vie privée où règnent les femmes, à celuide la vie sociale, celui des hommes, menacé par le baron Hulot.

* C'est une passion contagieuse qui se répand peu à peu autour d'elle : on tracerait un schémadu roman par le seul enchaînement des vengeances. Crevel veut se venger de Hulot qui lui a prisJosepha (laquelle en quittant Hulot le vengera en partie), Valérie veut se venger de Adeline àlaquelle le mari accorde encore de l'argent, Montès (dont le nom hybride de Monte Christo et deMontès peut être inspiré de Dumas) se venge des infidélités de Valérie, même Victorin se venge dudéshonneur infligé à sa famille par Valérie en l'empoisonnant. C'est cette imbrication des désirs etdes liens familiaux ou sexuels qui donne sa dynamique à l'intrigue. Dans le cas de Lisbeth lesmotifs sont troubles car double et la culpabilité des victimes, douteuse : Hortense a « volé » sonamoureux à Bette mais il ne lui appartenait pas et le couple Bette/W était peu probable, plus avec lajeune Hortense (il souligne la « simplicité du plan que cet amour idéal avait suggéré dans une seulenuit à cette innocente fille » p. 164). Mais le « mal vient de plus loin » comme le dit elle-mêmeHortense (p. 163), citant Phèdre : cela tient de la revanche sociale et psychologique de la laide sur labelle, de la pauvre sur la riche, de la déclassée sur la parvenue : « elle se vengeait sur ce jeunehomme de ce qu'elle n'était ni jeune, ni riche, ni belle ; puis, après chaque vengeance, elle arrivait,en reconnaissant ses torts en elle-même, à des humilités, à des tendresses infinies. » p. 146 ; unemisérable qui rend l'autre misérable pour combler sa misère ; ce qui ajoute au cercle infernal de lavengeance puisque ne voyant pas de réponse à ses avances elle se venge à nouveau etc. Elle estterrifiée à l'idée de perdre sa proie : une passion qui en redoute une autre.

* La vengeance s'exerce en famille, comme dans la tragédie antique (cf lignées maudites desAtrides) ou haine fraternelle dans la bible (entre Caïn et son frère Abel ici Bette et Adeline) : lestitres et sous-titres soulignent le caractère familial de l'intrigue. Les liens du sang et du mariage sesont resserrés avec le mariage de Célestine, fille de Crevel et de Victorin, fils de Hulot, faisant deCrevel et Hulot, des compagnons de débauche mais aussi des parents. C'est Crevel qui assure le lienentre les deux clans du récit, la maison Hulot (famille légitime, unie par l'amour) et la maisonFischer-Marneffe, famille imagnaire qui s'organise autour de Valérie et qui menace la première dedissolution, le couple Bette/Valérie se substituant au couple Marneffe (uni seulement par intérêt,fondé que l'union économique et la liberté sexuelle, sans amour, même pour leur fils qu'elle nommemonstrico p. 353, ironise sur « les 5 pères de l'église » en s'y incluant avec les 4 amants de safemme à table p. 359). A la fin même Hortense a décidé de se venger face à Marneffe : « cettefemme a entrepris de nous désoler tous ! J'irai chez elle, je la poignarderai ! » ou une fois celle-citombée malade « ma mère et moi nous sommes vengées « ou à Victorin « tu as vengé notre propremère ! ». Une vengeance se substitue sans cesse à une autre, jusqu'à ce que celle de Montès sesubstitue à celle de Bette, provoquant symétriquement la mort de Valérie, la plus vicieuse etd'Adeline, la plus vertueuse. Jalousie, sexe et intérêt se conjuguent pour en arriver par gradation aumeurtre, ce qui prouve que l'eros conduit au thanatos. * Toutes ces passions vengeresses peuvent être considérées, malgré leur réussite, comme despassions tristes au sens où elles entravent l'action et amoindrissent l'être, provoquant des chagrins

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et des mélancolies plus durables que les rares moments de plaisirs recherchés : la passion semblepar essence décevante et fallacieuse, à plusieurs reprises c'est un discours désillusionné qui revientcomme un leitmotiv dans le roman : « ce n'est pas là ce que tu rêvais petite chatte dit Bette enbaisant Hortense au front » p. 307, opposant la vie rêvée de sa cousine à la cruelle réalité.

2) L'érotomanie :* Virginité et érotomanie sont deux pathologies, deux monstruosités, deux anomalies si onconsidère que la seule finalité de la sexualité est la procréation.* Elle est assez bien résumée par cette formule de Josépha : « Il te faut des femmes. Ca console detout » p. 457 ». Pour satisfaire aux demande de Valérie, et à ses propres désirs, il se dirige lui-mêmevers un précipice : « sa conception financière portait le cachet du talent qui guide les dissipateurset les gens passionnés dans les fondrières, où tant d'accidents les font périr ». p. 222 La situationpérilleuse dans laquelle il s'enferme est d'autant plus tragique qu'elle met en péril le sort de sesproches, sa femme et ses enfants, mais aussi son parent lointain J. Fischer qui y perd la vie. C'est unlabyrinthe dont personne ne semble pouvoir sortir : « tel était le dédale effroyable où les passionsengageaient un des hommes le plus probes jusqu'alors » p. 227. Il déploie toute son énergie pour« se plonger la tête la première dans un guêpier » p. 228. La passion est un piège qui se referme surle passionné et sur son entourage.Le père manque à sa mission de transmission du patrimoine, détruisant ce qui est la base de l'ordresocial. La sociologie du mariage se transforme en sociologie de l'adultère, comme si c'était le destindes couples.

* La passion s'apparente aussi à une maladie contagieuse (d'où la fin atroce de Valérie et Crevel)qui se répand et menace toute la société, comme le constate le commissaire du flagrant délit : « Cespassions-là c'est comme le choléra » p. 391. Aucun remède ne semble pouvoir mettre fin à cesaffections mentales, ce qui mène Balzac à comparer le commissaire de police du flagrant délit à un« chirurgien habitué à débrider des plaies » p. 390 (ch 82:opération chirurgicale). La maladieculmine bientôt en folie laquelle est attribuée à tous les individus dépassés par leurs désirs : le barondevenu fou de Marneffe, Bette ayant tout donné à W. (elle m'aime. Elle est folle »p. 213) , Marneffeet W sont « fous amoureux » de Valérie, Marneffe étant décrit comme une maladie ambulante (dansun portrait hideux p. 246-7) Crevel admet faire des folies mais voit plus fou autour de lui : « cesgens -là sont fous!ils croient à l'amour comme ils croient à leur fortune ou à leurs facultés p. 79.Cette épidémie inquiète jusqu'au médecin Bianchon : « Y aurait-il dans la maison un principe defolie contagieux ? » p. 513 face aux tremblements nerveux de Mme Hulot. Et lorsque Hortensedécouvre l'infidélité de W : « ce n'était pas une douleur mais une maladie » p. 319. Le désir se transforme en « idée fixe » (pour Crevel il s'agit plus de la revanche que de l'amour pourAdeline) ; c'est à sa force irrépressible qu'on reconnaît la passion comme l'amour de Montès pourValérie, lui dont le front porte la trace de « l'entêtement dans la passion » (portrait p. 270), même siil a tout pour être exploité par les femmes. Cette aliénation totale de l'esprit à un seul objet a unedimension tragique que Balzac souligne en empruntant la formule de Phèdre « c'est Vénus toutentière à sa proie attachée » p. 455 (Josepha accueillant Hulot désespéré). Et ce désir devient uneaddiction qui ressemble à un besoin dont on ne peut plus se défaire : « Valérie était devenue unbesoin plus impérieux pour lui que les nécessités de la vie » p. 278.

* D'ailleurs il y a plusieurs fausses fins à cette obsession passionnelle : la carrière amoureuse deHulot semble se finir quand aussitôt elle réapparaît, soulignant le caractère chronique dusymptôme : on y croit à chaque fois, après son mariage, après Jenny (protégée dès l'âge de 13 ans),après Josépha, après l'abandon de Valérie, il disparaît pour s'adonner à des liaisons avec descréatures de plus en plus jeunes (Elodie, Bijou, Atala) : « un petit ange, une bonne créature, uneinnocente et qui n'est pas assez âgée pour être encore dépravée » (p. 500) raconte-t-il fièrement à

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Bette en parlant de la dernière. La passion se mue en perversion au sens moral du terme (action dedétourner qqchose de sa vraie nature, conduite déviante par rapport aux règles morales de lasociété), la petite Bijou ressemblant à Josepha quand elle avait 14 ans. Le motif de la pédophilie estclairement introduit par Crevel quand il voit en lui un « scélérat », « vicieux » dans le portrait qu'ilen fait à Adeline au début (« votre monstre d'homme a protégé Jenny Cadine à 13 ans » mais lui-même l'a connue à 15 ans et entretient des sentiments troubles à son égard : « je voulais être à lafois son père, son bienfaiteur, et lâchons le mot, son amant, faire d'une pierre deux coups, une bonneaction et une bonne amie ». Ce n'est pas seulement une question d'époque car Bette soulignel'illégalité de la chose en espérant voir un jour Hulot à la cour d'Assises. Bijou est « une enfant quine connaissait pas sa valeur ». Il y a presque un soupçon d'inceste avec sa fille quand il revient devoir ses maîtresses et qu'il la prend sur ses genoux p. 114.Et même à la fin du livre, on ne peut pas être sûr que sa carrière amoureuse soit terminée puisqueles dernières paroles de Victorin, désabusé, font allusion à la passion des plaisirs que les enfants nepeuvent empêcher. Il se rapproche donc de Marneffe pour qui, hédoniste, « la vie devait être toutplaisir et le plaisir devait être sans difficultés » p. 191 si ce n'est que son plaisir est uniquementcharnel et doit constamment se porter sur un nouvel objet. Il n'est pas jaloux des aventures de safemme puisqu'il en tire parti, sauf à l'égard de Crevel.Symboliquement, Hulot ne meurt pas mais fait une fin semblable aux épisodes qui ont scandé sonexistence : énergie pulsionnelle inépuisable et répétitive qui perdurera jusqu'à la mort : on estseulement passé d'Adeline à Agathe. Toutes ont des noms évoquant l'art ou la littérature,déclencheurs de passions. * Le vice renvoie également à la prostitution, incarnée par Mr Marneffe qui néglige sa femme pourdes plaisir ancillaires (« la bonne est toute à monsieur ») ou sordides avec « les guenons du coin dela rue ». La sexualité est décrite comme passion autonome et menaçante. Cf Don Juan de Molière* Cette crudité sexuelle (qui a engendré des accusations d'immoralité) s'incarne dans le verbe« faire » « ce matin, 2 heures de Crevel à faire, c'est bien assommant ! » dit Valérie de même qu'elleavait « fait Hulot » sans parler de sa dernière conquête « il faut que je fasse le bon Dieu ! ». Cf p.254 « deux heures de Crevel ce matin ! ». Le principal moteur des individus est bien le principe deplaisir car « c'est la seule chose agréable de la vie » dit Crevel p. 300. Mais ce « bourbier deplaisir » serait selon Adeline réservé aux hommes, car elle préfère vouer les femmes au sacrifice (p.345), mais les autres personnages féminins le démentent. Le temps des passions dure 12 ans pourAdeline (elle excuse son mari « j'ai eu des raisons pour laisser à Mr Hulot sa liberté ») , 3 ans pourHortense, seule Valérie parvient à entretenir la flamme du désir. * Les passions s'attaquent donc ici à l'être même de l'individu, à son identité : le baron Hulotest un homme « quasi dissous » (p. 446), dégénérescence progressive qui se traduit par la perte deson nom (lui qui s'était fait ajouter une particule), il devient le père Thoul puis Thorec et enfinVyder, soupçonné d'être allemand donc allant jusqu'à perdre sa nationalité (wieder = encore = signed'avidité sexuelle?). La passion provoque une dépossession progressive de soi : l'aliénation (devenirautre) consiste à être dépossédé de sa volonté donc d'une part essentielle de soi-même. Hulot estenfermé dans un désir absolument stérile, il n'est le héros de rien, il se dégrade et tombe sans jamaisvraiment avoir eu la stature d'un héros. Cette évolution du personnage peut s'expliquer par lalassitude de Balzac lui-même, qui sent le réel lui échapper. Mais aussi par la disparition de la forcequi portait la société jusque là. C) Des Passions ambivalentes

1) Le coup de foudre* Le topos du coup de foudre est déjà présent à travers la rencontre rétrospective entre Adeline etHector, qui se ressemblent par leur beauté physique : l'un « appartenait au corps d'élite des beaux

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hommes » (p. 85) tandis que l'autre est une modeste villageoise qui « était une de ces beautéscompètes, foudroyantes », qui « arrêtait sur son passage tous les hommes, charmés comme le sontles amateurs devant un Raphaël » (p. 82).

* L'énergie des passions ayant quelque chose de surnaturel et de fantastique, Hortense est guidéepar un instinct prophétique, médiumnique, comme dans un état second, vers Steinbock : « lespassions vraies ont leur instinct … la nature est infaillible. L'oeuvre de la nature en ce genres'appelle : aimer à première vue. En amour, la première vue est tout bonnement la seconde vue »p. 170. Sentiment de se connaître avant de se rencontrer et de s'aimer déjà avant de se voir apparaîtentre Hortense et W. Thème platonisant de la reconnaissance (réminiscence) : « je l'aimais sans leconnaître ». Ce qu'Hortense aime, c'est une figure imaginée à travers les récits de la cousine Bette,comme le faisait de son côté le sculpteur séquestré : « il rêvait de la belle cousine dont lui avaitparlé Lisbeth autant qu'Hortense rêvait de l'amoureux de la cousine », d'où une réciprocité avantmême la rencontre effective, celle-ci étant anticipée par une pré-rencontre affective mais mentale.Ainsi la communication s'établit aussitôt qu'ils se voient puisqu'ils se reconnaissent : « oncomprendra les regards que les deux amants échangèrent, ce fut de la flamme » ; émerveillementmutuel et immédiat ds une adhésion silencieuse.Le motif de double vue reparaît quand Hortense devine que W. est auprès de Valérie : « enreconnaissant la vérité de cet aperçu dû à la seconde vue des passions ». p. 341.Elle pressentira également son malheur de femme trompée, se comparant à un somnambule p.338 : « la passion fait arriver les forces nerveuses de la femme à cet état extatique où lepressentiment équivaut à la vision des Voyants » p. 338, obtenant « la puissance d'une pythonisse »(pythie, femme prêtresse qui prédit l'avenir).En parallèle à celle de Bette regardant W dormir, il y a une deuxième scène de cristallisation àdistance, « l'amour de l'inconnu » p. 110-111 où l'imagination attribue à l'être aimé toutes sortes dequalités qui en retour alimentent la passion en la légitimant et en la nourrissant de l'intérieur (cfdouble association Hume). Elle commence par rêver l'autre et lui donne une réalité virtuelle puis unnom et un visage : p. 111. Or, plus la construction est imaginaire, plus la déception du réel risqued'être cruelle. Tout amour est un transfert imaginaire d'un amour passé (Freud) donc le coup defoudre n'existe pas. Explication physiologique : « son sang fermentait ». p. 111

* De même, l'habileté de Valérie est de faire croire à ses amants qu'elle est une femme parfaitec’est-à-dire la réunion de l'épouse et de l'amante, deux fantasmes apparemment inconciliables :« un ouvrage en deux volumes » la plupart du temps p. 394-5 : séparation entre l'amour et le plaisir.Même aux yeux d' Adeline qui tente de l'imiter c'est une femme de génie p. 406. D'ailleurs le romanne met en scène aucun couple légitime de cette sorte, qui réunisse l'amour charnel et la fidélitéconjugale.

* D'autant que le coup de foudre obéit au principe du désir mimétique de Girard : tout désir esten réalité une imitation du désir de l'autre ; Hortense imite le désir de Bette pour W., sans même leconnaître, Valérie désire imiter le désir d'Hortense pour le même W., Hulot et Crevel rivalisentauprès des mêmes femmes qu'ils se prennent tout à tour (Josépha, Valérie). La médiation d'autruisemble fonctionner comme principe d'expansion du désir : les personnages forment un système oùils se définissent les uns par rapport aux autres (par ex les parents pauvres supposent des parentsriches et le relations des uns avec les autres constituent la ligne de force de la vie sociale ou privée).Même les passions semblent se faire concurrence entre elles comme « l'envie de réussir » qui tantôtles aliènent tantôt les libèrent.

2) La passion de l'artLe romancier consacre tout le ch 55 à définir et exalter le travail de l'art et de la pensée, notions

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équivalentes pour lui : cela renvoie autant à son propre travail d'écriture avec un effet de miroir qu'àla position de l'artiste comme créateur d'oeuvres uniques ou de Dieu, créateur de l'humanité. Il s'agitd'opposer la grandeur de la création artistique à la société matérialiste.* La passion artistique est présente à travers le sculpteur Steinbock mais il constitue un contre-modèle. L'histoire de W devient une allégorie morale de la création mais à travers une contre-preuve de cet idéal. W est le seul personnage à inspirer la passion sans l'éprouver en retour : quandil reviendra auprès de H il ne sera plus question d'amour mais seulement d'absence d'infidélité.Certes, il apparaît d'abord passionné par son œuvre, isolé du monde des hommes, entouré de sesoutils dans sa pauvre mansarde « tenant un petit groupe de cire à modeler qu'il contemplait avecl'attention d'un poète au travail » (l'artiste par excellence) p. 131, faisant de lui une allégorie de lasculpture. Ses premières œuvres semblent aussi frappées de génie : par ex le cachet d'argent,représentant la Foi, l'Espérance et la Charité (3 vertus théolégales qui ont Dieu pour objet), qu'iloffre à Bette (p. 107) comparé notamment à du Raphaël (peintre symbolisant la beauté sublime etl'enthousiasme, qui procure un bonheur direct note p. 158) et Cellini (orfèvre surnommé l'ouvriermagicien) à travers une énumération élogieuse. Le narrateur convoque les métaphores du feu et duvolcan pour décrire cette passion de l'art avec le deuxième chef d'oeuvre p. 159. D'ailleurs cet élancréateur correspond avec un élan amoureux, ce qui lui permet de relier les deux thèmes comme àson habitude (d'ailleurs Hortense apparaît à W elle même comme un chef d'oeuvre p. 159 ) ; lesdeux se renforcent dans un premier temps car le talent de W nourrit l'admiration et le rêved'Hortense p. 111 : « le cachet qu'elle tenait à la main, espèce d'Annonciation où le génie éclataitcomme une lumière, eut la puissance d'un talisman » p. 111 / L'art devient vecteur de cristallisation /W puise « l'inspiration invisible » et la force dans ses sentiments pour Hortense : « il sentait unepuissance à tailler lui-même le marbre » p. 169.

*Face à cette envolée lyrique, Bette reste pragmatique et le met en garde contre le risqued'idéalisme p. 133-134, ce qui laisse pointer une désacralisation de l'art et présage l'échec de W.Elle a raison de vouloir lui faire concrétiser ses idées car il risque de devenir un rêveur morbide :« vous aimez les femmes eh bien fondez en ! »p. 134 . En effet il n'est que le « héros des rêves d'Hortense » ce qui indique déjà qu'il n'est qu'un êtrevirtuel, un artiste en puissance, donc imaginaire. De plus, l'amour conjugal va progressivement éteindre son désir de création, provoquer sa stérilitéartistique : « les caresses d'une femme font évanouir la Muse » p. 310 ; peut-être la concurrence dece « chef d'oeuvre du baron d'Hulot » qu'est la belle Hortense. D'ailleurs le nom donné au bibelotqu'Hortense lui achète était prémonitoire de la briéveté de son amour : « le modèle en cire desDouze Heures que les Amours essayent d'arrêter » (décrit p. 143) Les deux passions semblent doncinconciliables, en tout cas le mariage avec l'art. Cf mise en garde contre V. Marneffe p. 320, démon,« elle fascine comme un chef d'oeuvre ». D'ailleurs, il ne retrouve l'inspiration que lorsqu'il doitréaliser une sculpture où elle doit poser pour lui en Dalila : transcender la passion dans l'art permetde redonner à la volonté le dernier mot ; autre version de Samson et Dalila la séductrice qui trahitson amant et découvre le secret de son pouvoir, ses cheveux qu'elle lui coupe : pour Valérie, c'est laVertu qui coupe la tête, pas le vice, renversement de signification qui n'est pas anodin : « la vertucoupe la tête, me vice ne vous coupe que les cheveux! Prenez garde à vos toupets, messieurs !».récit emblématique de la puissance de la femme, Dalila étant assimilée à une prostituée parisienne,elle réduit le mythe biblique à une histoire populaire, surtout après la révolution et sa guillotine.Les signes sont usés et l'on peut désormais les interpréter librement : l'empire de la femme se fondesur la faiblesse de l'homme, non plus sens misogyne mais féministe, la femme tient l'homme sous sacoupe !Cf On retrouve le même dilemme dans « Le Chef d'oeuvre inconnu » : le héros doit choisir entrel'intégrité de sa fiancée et le désir de la voir poser pour le peintre Frenhofer en échange du droit decontempler une œuvre d'art parfaite, capable de redonner vie à une l'image de femme, lui délivrant

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ainsi les secrets du tableau parfait : Nicolas Poussin (vrai peintre du début du XVIIème) dit alors, enregrettant : « je ne suis pas peintre, je suis amoureux. Périssent et l'art et tous ses secrets ! ».

* Ainsi, sa passion de l'art n'était que superficielle et entretenue par procuration : « W né poèteet rêveur était passé de la conception à l'Execution » p. 308. Sans cette tutelle étouffante, son talents'étiole et devient un « rêveur », un « demi artiste » par opposition aux grands hommes quiappartiennent à leurs oeuvres »p. 315 comme Frenhofer qui disait « Je descendrais dans l'enfer del'art pour en ramener la vie ». L'artiste ne tient plus ses promesses, procrastine et devient unpersonnage repoussoir. Ses sculptures expriment ses faiblesses par ex la commande de Valérieposant en Dalila face à Samson (le séduit pour soutirer le secret de sa force) : « il s'agit d'exprimerla puissance de la femme » p. 332. (pour le monument funèbre du maréchal de Montcornet,tombeau de sa propre création artistique). Il a à nouveau la volonté de créer mais V corromptl'inspiration en dégradant la passion mythique en figuration de la puissance maléfique des femmesD'ailleurs il finit critique d'art donc le stéréotype de l'artiste raté p. 575. « Il passa critique, commetous les impuissants qui mentent à leurs débuts ». D'ailleurs Claude Vignon écrit un article élogieuxsur la statue de W, et on peut le soupçonner d'être partial et complaisant car elle a été commandéelors d'un dîner avec V.

* Donc la passion peut devenir l'ennemi de l'art (quand la passion amoureuse empêche W. decréer et lui substitue un autre objet passionnel : « Hortense fut la première à dispenser W. de touttravail, orgueilleuse de triompher ainsi de sa rivale, la Sculpture »p. 310) et en même temps il fautêtre passionné par l'art pour devenir un véritable artiste : autrement dit, l'art ne tolère pas de passionautre que de lui-même. Il y a même une concurrence entre les deux formes de création : celled'une œuvre et celle d'un enfant, comme si l'un ne pouvait correctement coexister avec l'autre : « Endeux ans et demi, Steinbock fit une statue et un enfant. L'enfant était sublime de beauté, la statue futdétestable »p. 312. On ne peut réussir que l'un ou l'autre, pas les deux à la fois, comme si unepassion ne pouvait se réaliser sans en chasser une autre : « les artistes ne devraient jamais semarier ! » dit W ,« vos enfants à vous ce sont vos chef d'oeuvres » confirme Bette p. 331. Le romanrésonne de formules définitives à ce sujet : « le ménage est le tombeau de la gloire », comme si legrands artistes, pour le rester, ne devaient pas se marier, afin de conserver leur liberté fantaisiste. Ily a là comme une éthique de l'artiste : la créativité et l'imagination sont taries par la passionamoureuse et celui qui promettait tant par son talent ne recueille désormais que de mauvaisescritiques, « le blâme unanime » ou les « huées et les moqueries » p. 312.

* Balzac semble s'inscrire lui-même dans la lignée des artistes passionnés et dévoués à leur art(d'ailleurs les grands artistes sont fréquemment convoqués en citation ou allusion par ex Raphaël) :son oeuvre est devenue sa vie mais aussi la cause de son épuisement (se levant à minuit pour écrirejusqu'à 18h). A ce titre, la passion artistique serait la plus despotique des passions. Elogerécurrente du travail de l'artiste : il souligne le travail harassant nécessaire à la réalisationartistique, opposable au rêveurs qui théorisent et fument de l'opium sans rien faire de concret p.308-309 ; rien de beau ne s'est fait sans travail ni passions. Déjà Frenhofer recommandait au jeunePoussin « Travaillez ! Les peintres ne doivent méditer que les brosses à la main ». Les vrais artistessont des forçats de travail, sinon « il assiste au suicide de son talent » p. 309-310. Mais cette passionpeut mener à la folie et à la mort comme le prouve encore le personnage de Frenhofer qui, endécouvrant qu'il n'a rien peint, que la femme qu'il admire dans le tableau est imaginaire (si ce n'estun pied parfait) se suicide et brûle tout dans sa maison. Un fécondité esthétique de la passion estpossible : voir le personnage secondaire de Stidmann l'ami sculpteur qui s'éprend d'Hortense et quipourtant contient son désir pour l'honneur ; il transforme ses affects en œuvre d'art modeste.

Cf Fiche / Chef d'oeuvre inconnu

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IV) La maîtrise des passionsLe grand problème moral de la CH est de savoir que faire des passions dans un monde qui lesrefuse et les empêche de se développer. Le vouloir-vivre c’est-à-dire le droit de tout faire, de toutvouloir, se trouve face à un monde dont le mécanisme dénature ce dont la valeur n'est pas enquestion. La vraie solution serait dans le dépassement et l'intégration des passions dans un ensembleplus vaste qui les comprenne et les utilise, les rende féconde et les fasse participer àl'épanouissement de l'homme. Le problème n'est pas de savoir si elles sont bonnes ou mauvaisesmais ce qu'on va en faire : Balzac n'est pas un moraliste mais un naturaliste. Il est indifférent à lavertu : il se contente de la peindre. : « il est lui-même bien plus Machiavel car il est le Prince et lePrince ne ruse pas avec ses ministres » Alain. Que faire face à un tel danger ?

A) Les modalités thérapeutiques :

1) accepterCertains passages du roman semblent disqualifier toute possibilité de s'opposer aux passions ;Balzac veut éclairer sur les dangers d'une Mme Marneffe pour la société mais il est conscient de soninutilité pour les empêcher : « malheureusement, ce portrait ne corrigera personne de la manied'aimer des anges au doux sourire, à l'aire rêveur, à figures candides, dont le coeur est un coffre-fort » p. 239. Pessimisme lucide de Balzac : la passion est un martyre qu'il faudrait accepter commeune fatalité irréversibles. Le rôle de la religion est prépondérant :« L'enseignement, ou mieux, l'éducation par des CorpsReligieux est donc le grand principe d'existence pour les peuples, le seul moyen de diminuer lasomme du mal et d'augmenter la somme du bien dans toute Société ». Le secours ne peut venir de l'homme lui-même, seulement de forces supérieures qui ne dépendentpas de lui : la résignation d'Adeline, son « courage et silence » dans le sermon à sa fille et sonpardon, sans cesse recommencé, relèvent de la charité chrétienne : « Hector, tes fautes sont grandesmais la miséricorde divine est infinie et tu peux tout réparer en restant avec moi » p. scène depardon proche de scène religieuse p. 451 ; il ne reste qu'à prier pour le salut de l'être aimé cf imagedu paravent p. 344 + p. 365-66 scène de prière. Le caractère sublime d'Adeline (encensé par sa fillep. 472) lui vient de sa lecture habituelle de « l'Imitation de Jésus » œuvre anonyme de piétéchrétienne, écrite en latin à la fin du XIV e siècle ou au début du XV e siècle. Apprendre la vie et regarder la réalité telle qu'elle est est un leitmotiv du roman : paradoxalementces leçons de désillusion sont données par les plus vicieux aux plus vertueux : méconnaissance vraie vie p. 413ignorance adeline vraie vie p. 417 « le monde aime le succès »

D'autant que les passionnés ont tendance à prendre leur désir pour la réalité et ont besoin depreuves :incrédulité ds la désillusion p. 180, 185-186 incrédulité, besoin de preuves p. 294, 296preuves, jeu marneffe comme une enfant p. 353désillusion, déréalisation, conséquences psychologiques p. 354 « le suicide paie son opium »besoin de preuves, incrédulité de crevel p. 505incrédulité Montès p. 524-525 « c'est un Othello qui ne se trompe pas » p. 527preuves p. 526, 529

2) espérerLa résignation n'est pas totale pour autant car Adeline ne perd jamais l'espoir si ce n'est au moment

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de la dernière trahison qui lui sera fatale. En effet, Balzac est très conservateur et prétendait écrire« à la lueur de deux vérités éternelles, la Religion et la Monarchie, deux nécessités que lesévénements contemporains proclament et vers lesquels tout écrivain de bon sens doit essayer deramener notre pays » (APCH). Dieu semble le seul à pouvoir s'opposer au pouvoir des passions :c'est entre les mains de Dieu que Adeline veut remettre Crevel : « on guérit facilement d'une passionpour une femme de mon âge et vous prendrez des idées chrétiennes. Dieu protège lesmalheureux » . Même si Crevel ironise cyniquement face à la résistance de Sainte Adeline(« Amen ! » p. 76) il se laisse impressionner et toucher par sa vertu ce qui est assimilé à un véritablemiracle cf scène p. 419-420. Mais quand Crevel confie à Valérie son désir d'aider Adeline, elleparvient à annihiler toutes ses bonnes intentions et à rendre caduc le prétendu miracle d'oùl'ambivalence du texte de Balzac :elle se moque de la naïveté en parodiant l'attitude de la saintedans une grande scène de comédie p. 425-426. La même ambivalence plane sur la fin de Valérie :elle semble victime de la justice de Dieu (« le doigt de Dieu est là !dit la baronne » face sa maladiep. 548, mais le titre ironise sur le doigt du brésilien ch 121) et V. se repent p. 550-551. Mais làencore il y a un retournement de situation finale puisque Valérie entreprend de réduire Dieu à unhomme et de le séduire, de le « faire » (ce sera sa dernière parole) ce qui discrédite le discoursreligieux. D'ailleurs Bette a été traité d'athée par le prêtre au chevet de Valérie. Balzac ne réponddonc pas vraiment à la question de savoir si Dieu peut être un rempart contre le passions, secontentant de mettre en scène des réponses contradictoires et renvoyant chacun à ses proprescroyances : « Hulot fils se considérait comme un assassin. Hortense, elle, trouvait Dieu très juste »face à la mort de Valérie. On peut espérer, mais jamais savoir. Même Adeline doute du pouvoir de lareligion p. 77.

3) guérirLa seule vraie solution serait dans l'abstinence : Bette se félicite de s'être préservée des passionscharnelles : « je suis heureuse de n'avoir jamais su ce qu'est un homme … C'est de vrais animaux ! »p. 473. Théorie de l'abstinence sexuelle et de la Virginité = elle donne de la force à la volonté,comme si ce qui n'était pas versé au compte du plaisir corporel était une énergie réservée et pouvaitêtre utilisé par le cerveau : « lorsque les gens chastes ont besoin de leur corps ou de leur âme,qu'ils recourent à l'action ou à la pensée, ils trouvent alors de l'acier dans leurs muscles ou de lascience infuse dans leur intelligence, une force diabolique ou la magie noire de la Volonté ».p. 193La Virginité est donc à la fois présentée comme une « monstruosité » et la « mère des grandeschoses » p. 192-93. Et c'est la combinaison de la passion avec la Virginité qui intéresse Balzac.Bette ne sait pas dire son désir, c'est un désir refoulé et se félicite de ne pas avoir aimé des hommes(« je mourrai vierge » p. 254) tout en regrettant cette virginité due à sa laideur : « ah si j'étais jolie,en aurais- je eu des aventures ! » sur le lit de mort de Valérie. On a vu cependant que la répressionde ces passions se transpose de manière violente dans d'autres domaines. C'est l'occasion pour B defaire un autre jeu de mot à propos de la chambre de Bette : « quant à la chambre, personne n'y avaitjamais pénétré ».* Crevel tente de formuler cette sagesse avant de céder aux charmes de Valérie : « il y a en toutechose un juste milieu » p. 73, parodiant la célèbre formule de Louis Philippe, le roi des français, etnon plus roi de France, « également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoirroyal » ; mais c'est un principe critiqué par Balzac car qui tourne sur lui-même et ne se prononcepas entre la guerre et la paix. Reprise par Molière dans le Misanthrope : « la parfaite raison fuittoute extrémité » (I, 1).* Si les passions sont autonomes, c'est en amont que l'homme doit intervenir : il y a une dimensionprophylactique dans le roman (processus actif ou passif ayant pour but de prévenir l'apparition, lapropagation ou l'aggravation d'une maladie par campagne de prévention ou médocs). Présente sousforme de mises en garde : celle-ci peut être humoristique comme celle du banquier millionnaireNucingen et ses germanismes « Egudez ein gonzèle t'ami : Vermez fôtre pudique, u fis serez

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tégomé » p. 227. Elle peut aussi être typologique : classant les différents types de femmesparisiennes au ch 37, de la femme contrainte par la nécessité à la fausse prude jusqu'à la plusdangereuse, la courtisane mariée. Il y a u devoir d'instruction publique dans le roman balzacien :peindre les passions et leurs ravages serait la meilleure mise en garde, comme un avertissement aulecteur par l'étude des moeurs. L'intervention de la police par exemple est décisive pour défaireHulot de l'emprise de Valérie : tel un chirurgien qui enlève une tumeur, le commissaire le défait deses illusions en lui révélant qu'il s'agissait d'un piège tendu par le couple Marneffe p. 391. D'ailleursBalzac se présente lui-même dans l'adresse initial du roman comme « docteur en médecine sociale,vétérinaire des maux incurables » p. 52. Le docteur Bianchon comprend intuitivement le processuscontagieux du virus de la passion (p. 513) et délivre les clés de cette dérive moderne p. ch 120 p.546 : propos de médecin, diagnostic non médical mais social.

4) combattre* La Volonté = appuyée sur une vision claire de ce qu'est le monde, peut limiter les risques (exBianchon ; ne pas désirer, renoncer à l'expansion de soi, refuser la vie, car la passion détruit la vie).Masi elle peut être mise au service de la passion comme la « volonté noire » de Bette.

* L'excès de passion est donc moins à guérir médicalement qu'à combattre par tous les moyens,notamment grâce à l'institution de la famille. Si les Hulot-Fischer finissent par échapper à la ruine,c'est grâce au sens de la famille développé par Adeline, Hortense et Victorin. « Aussi regardé-je la Famille et non l'Individu comme le véritable élément social ».C'est la grande institution sociale menacée par les passions ; la base de l'édifice social dont l'ordreest ébranlé quand Hulot abdique son rôle de père et de mari. Goriot avait déjà fragilisé la figure dupère et son autorité en aimant ses filles à l'excès, Hulot l'anéantit pour des courtisanes. Balzac esttrès attaché à la figure parentale et à la famille en qui il voit une valeur noble : « un vice coûte pluscher à satisfaire qu'une famille à nourrir » p. 115 ; il condamne à plusieurs reprises la destructionfamille par la Monarchie de juillet p. 191 : « on y a détruit la Famille » ; Adeline pressent aussi ladissolution de la famille p. 357. « Vous n'avez pas le sens de la famille » p. 563 reproche Victorin àCrevel.# Tandis que W regrette la lourdeur de la famille « il trouvait la famille lourde à porter » p. 356-357 : c'est la passion qui là encore menace de détruire ce qu'il a construit. De même que Hortensequi regrette son mariage et de n'être pas entrée au couvent p. 368 : « ma vie n'est plus à moi, j'ai unenfant » et toute à son amour pour W ne se soucie guère du sien : « elle déplorait d'employer sonénergie à tenir son enfant ». Les passionnés fuient la famille tandis que la famille tente de colmaterles brèches : à Adeline qui fait tout pour sauver la cellule familiale, Balzac oppose les autres chezqui l'instinct familial subit la pression des passions : Bette se donne comme objectif principal ladestruction de sa propre famille, chez les Marneffe l'enfant à peine nommé n'est placé en pension etn'est évoqué que par l'argent qu'il coûte p. 350-351 et le nouveau par rapport à l'argent qu'il pourraitrapporter « le nouveau, loin de produire des mémoires de marchand de soupe, nous sauvera de lamisère ». Le dévoiement de l'instinct familial est symboliquement dessiné par la perte de l'enfant« non viable », progéniture non désirée, qui n'aura servi qu'à faire du chantage aux 5 pèresprésupposés et devenant un moyen d'action et non une fin en soi (contraire à la morale kantienne),de même que le chantage à propos du mariage d'Hortense est un moyen pour Crevel d'obtenirAdeline p.73. De même, le flagrant délit n'a pas d'origine morale pour rétablir l'ordre familial : c'estencore un chantage de Marneffe pour obtenir une promotion p. 388. Certains gens du peuplen'hésitent pas à vendre leur fille (Bijou ou Atala). Hulot ne pense bientôt plus à demander desnouvelles de sa femme et de ses enfants pendant des années : il confesse à la fin « je suis indigne dela vie de famille » p. 450. Il a déplacé l'instance paternelle vers l'extérieur. Le principe paternel estsoit disparu (Napoléon, ancien père de la nation), soit absent (Hulot, Marneffe) soit corrompu(Crevel qui finit par déshériter partiellement sa propre fille). Seuls deux couples demeurent à la fin :

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l'un sans passion (C/V) l'autre grotesque (H/Ag). Le danger est donc à la fois social et politique car la déliquescence des familles peut mettre en périll'édifice collectif. * L'infidélité est le pire des crimes pour Balzac puisqu'il repose sur le mensonge et romptl'équilibre conjugal ou familial : « dévier du sentier de l'honneur est pour la femme mariée un crimeinexcusable » (en cas de flagrant délit d'adultère la femme était emprisonnée). Eloge de la fidélité p.395 « le mariage doit être accepté comme une tâche, il est la vie avec ses travaux et ses durssacrifices également faits des deux côtés ». * La loi et la justice est également un rempart contre la démesure passionnelle dans une société oùl'individu est devenu roi : même si il est commandité par les Marneffe, le constat d'adultère est leseul événement qui manifeste la vérité à Hulot. L’État à travers la figure du ministre permetd'identifier et de punir les coupables Marneffe comme dans un tribunal p. 439.* Balzac est obsédé par les crimes invisibles qui ne conduisent pas en cour d'Assises mais sont toutaussi meurtriers : face à ces crimes cachés, on ne peut répondre que par des crimes cachés, lasolution étant symétrique au crime (un problème p. 493 / une solution), devant recourir à l'illégalité,comme le montre Vautrin et sa tante Nourrisson : « on peut vous la tuer », se justifiant par laréférence à la loi du plus fort p. 495 : ce n'est pas en l'appelant minet qu'on fait lâcher sa proie à untigre ; « voici 40 ans que nous remplaçons le Destin » p. 494. C'est une sorte de société secrète,transgressive, mais pragmatique, qui remplace la justice divine et la machine judiciaire quand elleéchoue. On ne doit pas faire de la police un instrument des passions p. 497-8, sorte de « persécutionnécessaire » (ch 108 sur la police). Complot digne des amateur d'Eugène Sue. Balzac recommande-t-il le meurtre comme mode de régulation des passions ? Il y a un principe de nécessité, celui dumoindre mal, que l'engrenage des passions a rendu inévitable mais le remède est tout aussidangereux que le mal qu'il a permis d'éradiquer. * Sur le progrès de la société : les passions sont à la fois un élément social déterminant pour lesrapports humains et un élément destructeur. « La religion de Balzac est la religion de l'homme. Aulieu de dire, avec Hobbes, que l'homme est un loup pour l'homme, il dirait plutôt, avec Spinoza, quel'homme est un dieu pour l'homme. » Alain p. 123.Toutes les classes sociales sont réunies et les personnages sont identifiables socialement :aristocratie d'Empire (frères Hulot), paysan (cousines Fischer), employés (Marneffe), courtisanes(Josepha, Valérie), artistes (W.), aristocratie étrangère (Montès), peuple (Olympe Bijou, AtalaJudici), domestiques (Agathe Piquetard). Toute le société humaine gravite autour d'un seul noyaufamilial. Qui peut sauver ces hommes ? « Je ne partage point la croyance à un progrès indéfini,quant aux Sociétés ; je crois aux progrès de l'homme sur lui-même. Ceux qui veulent apercevoirchez moi l'intention de considérer l'homme comme une créature finie se trompent doncétrangement » ; « dans le tableau que j'en fais, il se trouve plus de personnages vertueux que depersonnages répréhensibles. Les actions blâmables, les fautes, les crimes, depuis les plus légersjusqu'aux plus graves, y trouvent toujours leur punition humaine ou divine, éclatante ou secrète. » # « Si vous êtes vrai dans vos peintures ; si à force de travaux diurnes et nocturnes, vous parvenez àécrire la langue la plus difficile du monde, on vous jette alors le mot immoral à la face. Socrate futimmoral, Jésus-Christ fut immoral ; tous deux ils furent poursuivis au nom des Sociétés qu'ilsrenversaient ou réformaient. Quand on veut tuer quelqu'un, on le taxe d'immoralité ». D'où : Ecrivain = « l'enregistreur du bien et du mal » « L'homme n'est ni bon ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes »

Conclusion générale

= Pbl de L'autorité de l'auteur : Comment l'écrivain peut-il être un observateur objectif despassions si il est lui-même leur proie, Balzac a réfléchi à cette question : « Quand votre sujet vous

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domine, vous en êtes l'esclave et non le maître » (Massimilia Doni 1837). La passion est partout,mais le narrateur aussi, qui est omniprésent et omniscient. Il cherche donc à réaliser plutôt qu'à faireparler son coeur dans la CB en prenant ses distances : des interruptions de l'auteur qui rompentl'illusion romanesque (remarque introduisant description appart Crevel p. 197 vient briser unmoment de tension). Les titres pleins d'humour et d'ironie mordante témoignent aussi d'un décalageavec la noirceur des événements (jeux de mots, allusions littéraires). Regard volontairementdépassionné qui en fait une paradoxale figure de sagesse et lui permet de conserver l'autorité del'auteur. Ex : jeu de mot ambivalent et prophétique de Marneffe : « on dirait que vous voulez tuermon mari. Dépêchez vous au moins » ou « la déraison sociale Thoul et Bijou ». Ecrire un romanimplique de mettre en scène les passions et cette peinture contient en elle-même les leçons morales :quand il veut clarifier son propos c'est comme si il voulait enseigner qqchose au lecteur :« maintenant il est nécessaire d'expliquer le dévouement extraordinaire de cette belle et noblefemme ; et voici l'histoire de sa vie » p. 82. Balzac n'est pas un philosophe ou un théoricien des passions : il propose dans son roman desobservations qui permettent de mieux les comprendre sans chercher de système global ou définitif. Ce n'est pas un roman moraliste ou à thèse, « cette réflexion n'est pas un placage de morale, elledonne la raison de bien des malheurs incompris ». p 395.

Csqce = Il y a une limite à l'analyse rationnelle des passions et certaines formules se moquent de laprétention des hommes à tout analyser : « il n'y a pas de théorie, il n'y a que la pratique dans cemétier » dit Bette à propos du métier de courtisane (Adeline se demandant « comment font cesfemmes ? » pour se déguiser en courtisane) p. 404. Et lorsque l'on entame, pendant le dîner delorettes, des discussions pour chercher les causes de certains phénomènes, qu'il y a une disputephilosophique sur la question de savoir si l'amour véritable est possible à Paris, Josépha s'ennuie etveut changer de conversation (p. 523). Donc il y aura toujours des éléments qui résistent àl'analyse, le caractère singulier et imprévisible de chaque passion.

La passion conserve tout au long du roman une part de mystère qui lui confère unedimension surnaturelle : la magie est évoquée avec « la magie noire de la Volonté » (p. 193) deBette, ou « cette sorcière de Valérie ». Le monde des Enfers et du diable est aussi convoqué à demultiples reprises : on parle de la « force diabolique « des passions, Hulot a « le diable au corps »selon le prince de Wissembourg p. 440, les ambitieux comparés à des « sujets du diable » ; « lediable a une soeur » dit Victorin à propos de Mme Nourrisson p. 495 ; à propos de Marneffe « lediable a pris des jupes » se demande Montès et Adeline et Hortense se demandent si sa maladie estl'oeuvre de dieu ou du diable : « tous nos ennemis sont entre les mains du diable ! De dieu » p. 549.Paris est considéré à la fois comme « un enfer et un paradis ». Description du paradis par Adeline àAtala p. 568. La référence biblique est même très présente avec la métaphore du serpent pourValérie « elle se trouva dans sa robe de chambre comme un couleuvre sous sa touffe d'herbe » p.421, ce qui annonce déjà le serpent symbolique gravé sur le cachet de W. Et la transformation finitpar s'accomplir : « Valérie fut plus d'une femme, elle fut le serpent fait femme, elle acheva sonœuvre diabolique » p. 335. Ce n'est pas la nouvelle Eve mais le nouveau serpent, le diable réincarnéqui prive l'individu de toute liberté et lucidité. La perte du contrôle de soi relèverait ainsi del'inconnaissable. Même si elle n'échappe pas à toute raison, la passion est irréductible à unethéorisation complète. : Montès est « un lion inexpliqué p. 515, p. 300 « la femme est un êtreinexplicable ». Certains personnages envisagent la passion comme la mise en sommeil de toute raison : « onne raisonne pas les passions » dit Victorin à Crevel ; mais la raison peut être tout à fait lucide sur laconcurrence que lui fait la passion : le fait que Hulot revienne régulièrement se repentir de son« absurde passion pour Valérie » dans les bras de sa femme le prouve (scène p. 393). L'êtrepassionné peut être conscient de l'être sans que cesse pour autant l'illusion dont il est victime et la

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raison est condamnée au rôle de spectatrice impuissante. : « la passion naïve et franche » d'Hortensepour W. « ne calcule malheureusement rien, elle est toute à ses premiers mouvements » (p. 367 :sermon à sa fille ayant quitté le domicile conjugal). Même quand la passion se relâche ses effets nocifs perdurent puisque les instants de lucidité nesont pas des moments d'apaisements mais de remords que ce soit pour Valérie sur son lit de mort oules repentances récurrentes de Hulot, imité en cela par son beau-fils W. « c'est vrai, Hortense est unange et je suis un monstre ! » p. 330 et Bette répond « il y en a bien assez d'un dans la famille ». Enétant amorale c’est-à-dire indifférente à ce qui ne la sert pas la passion devient immorale puisqu'ellepousse les individus à oublier les limites de la justice. Même ceux qui sont vertueux ou doués de bon sens ne sont pas à l'abri des dérèglementspassionnels (Adeline, Hortense, Victorin). L'homme ne peut se réduire à une res cogitans et et lapassion triomphe toujours de la raison : par ex lorsque Crevel et Hulot, tous deux abandonnés parValérie, décident de rompre avec elle, la traitant « d'infâme, de rouée, au dessous ds prostituées » etse séparent bons amis, « sans rancune ? C'est bien fini ! », chacun tente en fait de la reconquérir deson côté : « à 10 heures et demie, Crevel grimpait quatre à quatre l'escalier de Mme Marneffe … ilaperçut le baron Hulot qui était entré pour réaliser le même dessein » p. 299-302.Balzac décrit une logique inexorable et un faisceau de causalités qui interférent pour expliquer ledevenir et la déchéance d'une famille (comme Zola)Il existe donc une logique propre aux passions qui se substitue au travail de la raison et n'a paspeut de se contredire : p. 197 « cette route illogique était tracée par la logique des passions » (àpropos de Bette quand elle espionne jalousement son amoureux et le suit dans la rue, ce qui estl'occasion d'un itinéraire détaillé dans Paris). Balzac emprunte même une thèse à Rousseau quiconsiste à dire que la raison est le plus souvent l'auxiliaire de la passion : « si vous étiez mordu parune passion irrésistible, vous vous feriez, pour me céder, des raisonnements comme se font lesfemmes qui aiment » dit Crevel à Adeline p. 80. mais il semble ignorer que sa prétendue sagesse estdictée par son plaisir puisqu'il cherche à acheter Adeline en échange du mariage de sa fille ouentretient une Héloïse qu'il loue au mois au lieu de la posséder totalement (comparaison avec lechevaux) : « l'immoralité de sa situation était justifiée par des raisons de haute morale » p. 201. Lapassion pousse en effet à argumenter et à développer des ruses : Valérie utilise la rhétorique pourfaire étouffer la jalousie de Montès (« le Brésilien vaincu par le bavardage effréné de la passion »,pour faire passer Adeline pour une menteuse auprès de Hulot : c'est un véritable « Machiavel enjupons » selon Balzac p. 238. Comme toute passion pourrait être considérée comme une déclinaisonde l'amour excessif et exclusif de soi : aimer le plaisir qu'autrui peut nous apporter c'est toujours etencore s'aimer soi-même ; Valérie sait agir sur le narcissisme de ses victimes ; c'est ainsi qu'elleréussi miraculeusement à réunir à la même table son mari et ses 4 amants tout en flattant chacund'entre eux p. 359.Même Hortense échafaude des plans « que cet amour idéal avait suggéré ds une seule nuit à cetteinnocente fille » et qu'elle parvient à cacher à Bette p.164. Balzac utilise même une explicationphysiologique pour montrer que la passion dirige la raison : « il lui passait dans la cervelle une deces idées qu'y envoie le coeur quand il est incendié par la jalousie ». D'autant que le vice peut secacher sous la vertu : « le moraliste ne saurait nier que généralement les gens bien élevés et et trèsvicieux ne soient beaucoup plus aimables que les gens vertueux ».La passion est donc incurable et ce n'est pas la raison qui peut la guérir : on a cru à plusieursreprise à la guérison de Hulot « le leçon a été bonne … il est guéri » p. 415 selon Crevel mais envain : p. 431 « votre frère est incurable criait Lisbeth dans la bonne oreille du maréchal ». Et lapassion paraît même imprévisible et illimitée : pour son plaisir que ne ferait-il pas ? Il a volé l’État,il a volé les particuliers, il assassinera peut-être » dit Bette p. 474. Crevel aussi : p. 299 « me voilàguéri des femmes comme il faut » avant de l'épouser. L'échec de Crevel ou de Hulot ne tient pas àune intention moralisatrice ni aux nécessités de l'intrigue mais à un pessimisme socio-culturel : c'estune défaîte de l'individu et, à travers lui, de la bourgeoisie, à s'organiser pour donner un nouveau

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sens, un nouveau souffle à nos existences : « un impitoyable mécanisme est à l'oeuvre qui fabriquede la bourgeoisie en dévorant le bourgeois » (Barbéris, préface de l'édition de 1972). Balzac n'écritplus de romans philosophiques depuis 1836 car il n'y a plus d'idéologie permettant de tirer le réelvers autre chose que lui-même. « La CB, c'est bien, à la veille de 48 et pas seulement chez Balzac,la misère et la mort de la philosophie » (idem).

L'usage de la parole décrit celui qui l'énonce mais peut aussi blesser celui qui la reçoit : Bette agitsurtout par la parole : elle transfert sa volonté de se marier à sa famille « ils commencent à levouloir tous » / par le mensonge et non la parole agressive, par ex le mariage de W qui faits'évanouir Hortense (153) / énoncé d'une vérité pénible comme les effets déshonorants pour Hulotde la dépravation de Valérie (192) ou la révélation des ressources trouvées par Hulot en fuite (376).Bette manie la torture psychologique. D'ailleurs Adeline sera tuée par les « odieuses paroles » qu'eleentend de son mari.

Cela n'empêche pas le roman d'avoir une portée morale : un des procédés pour introduire desconsidérations morales est de déléguer la parole à un personnage, de manière distanciée. Plus quel'immoralité c'est donc l'amoralité de la passion qui est soulignée ici car la passion estindépendante de toute raison et son autonomie la rend indifférente à toute considération rationnelleou morale. Mouvement inhérent à la nature humaine, la passion n'est pas coupable, sauf àcondamner l'humanité dans son essence. Loin de faire de l'homme un être pensant, Balzac en faitun être passionné qui oublie de penser à force de ne penser qu'à l'objet de sa passion, et en cela il estun grand romantique malgré lui : « la passion est toute l'humanité ; sans elle, la religion,l'histoire, le roman, l'art seraient inutiles » APCH.

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