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PARCOURS Atelier Novembre RÉALISATIONS RCR Arquitectes Rodrigo Cerviño Lopez Germe & JAM Ballot & Franck Dusapin-Leclercq NOUVEAU Le supplément d’a-guide avec son dossier spécial univers du bain : entre bien-être et écologie DOSSIER L’agriculteur, l’architecte et le paysage d a DARCHITECTURES 188 - FÉVRIER 2010 D’ARCHITECTURES, LE MAGAZINE PROFESSIONNEL DE LA CRÉATION ARCHITECTURALE – FRANCE 10 - DOM 12 - N ELLE CALÉDONIE, POLYNÉSIE 1200 CFP PORTUGAL 11,50 - MAROC 95 MAD - TUNISIE 12,700 TND - LIBAN 26000 LBP - CENTRAFRIQUE, CMR, CI, G, SN 6300 CFA - CANADA 15,95 CAD -

Culture et Grand Paris, la pompe funèbre ?

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Article par Marc Armengaud, in D'ARCHITECTURES (d'a), 188, février 2010, pp. 14-17.

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Page 1: Culture et Grand Paris, la pompe funèbre ?

PARCOURS

Atelier Novembre

RÉALISATIONS

RCR ArquitectesRodrigo Cerviño LopezGerme & JAMBallot & FranckDusapin-Leclercq

NOUVEAULe supplément d’a-guide avec son dossier spécial univers du bain : entre bien-être et écologie

DOSSIER L’agriculteur, l’architecte et le paysage

d’a

D’ARCHITECTURES 188 - FÉVRIER 2010

D’ARCHITECTURES, LE MAGAZINE PROFESSIONNEL DE LA CRÉATION ARCHITECTURALE – FRANCE 10 € - DOM 12 € - NELLE CALÉDONIE, POLYNÉSIE 1200 CFP

PORTUGAL 11,50 € - MAROC 95 MAD - TUNISIE 12,700 TND - LIBAN 26000 LBP - CENTRAFRIQUE, CMR, CI, G, SN 6300 CFA - CANADA 15,95 CAD -

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Le 10 décembre 2009, un débat sur la culture au CabaretSauvage tient lieu de clôture au cycle de « Rencontresdu Grand Paris ». Quel est le sens de ce final « culturel »pour le processus de transformation de la métropole,résumé depuis plusieurs mois à un double anneau detransports en commun rapides ? La « culture » commeun autre moyen de poursuivre l’élan suspendu de laconsultation sur le Grand Paris et de redonner une placeaux architectes (et à leur ministère de tutelle), ou avisde décès élégant ? Les observateurs attentifs aurontnoté que durant le seul mois de décembre 2009, troisautres débats publics majeurs initiés par les plusgrandes institutions politiques avaient posé la mêmequestion : la culture peut-elle ou doit-elle être un acteurdes transformations urbaines de la grande échelle ?

La culture est-elle réellement un enjeu stratégique

pour la métropole francilienne ? Pas en termes de

manques : il s’agit probablement du territoire le plus

dense du monde en matière d’institutions culturelles

publiques et privées. Mais avec des disparités de posi-

tionnements et d’échelles qui coexistent sans vision

générale, à l’image de la complexité du territoire. La

mission Karmitz proposait d’ailleurs la création d’une

« colline des arts » autour de Chaillot, d’un axe

« Paris-Périphérie » de La Villette à Aubervilliers ou de

définir la Seine comme une « vallée de la culture »,

soulignant la difficulté de valoriser la diversité de ces

institutions et le besoin de recréer des territoires

thématiques cohérents. Parallèlement, la part de la

culture dans les propositions des architectes du Grand

Paris est restée jusqu’à présent anecdotique. La confé-

rence métropolitaine n’avait pas débouché sur le sujet

non plus, même si chaque GPRU devait s’accompa-

gner d’un volet culturel ambitieux. Parce que la

culture n’est jamais la priorité, premier volet supprimé

en cas de contraction de budget ?

Désormais, la question fait l’actualité : la culture peut-

elle servir de modèle pour des stratégies territoriales ?

En décembre 2009, quatre débats publics ont eu lieu

sur ce thème. Au MacVal, à l’IAU, au CENTQUATRE

(celui de Pantin) et au Cabaret Sauvage. C’est plus

qu’une coïncidence. Les équations sont différentes,

mais elles entrecroisent les mêmes termes. Pourquoi,

Culture et Grand Paris, la pompe funèbre ? par Marc Armengaud

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

^ « Chantier-studio ». Pendant la « Nuit blanche » 2004, dans la friche de l’hôpital Saint-Lazareà Paris, l’artiste Francisco Ruiz de Infante installait un chantierqui n’avait d’autre fonction que d’informer sur ses progrès,son actualité. Cette installationtravailleuse diffusait une documentation multimédia live et,toutes les deux heures, imprimaitune nouvelle édition du petit journal du chantier, signalant les événements les plus récents.© Sébastien Demont.

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soudain, un tel intérêt ? Dans un contexte de crise, la

culture offre le confort d’être un espace entièrement

positif, consensuel, qualitatif, bref inattaquable. Mais

derrière le mot doux, on fait dire et surtout faire beau-

coup de choses à la culture. Le concept clé serait celui

d’attractivité, depuis le spectaculaire succès des thèses

de Richard Florida sur les « classes créatives » à la fin

des années quatre-vingt-dix (<www.creativeclass.com>).

Les villes existent par leur identité culturelle et aug-

mentent fortement leur compétitivité (et leurs reve-

nus) en augmentant leurs performances culturelles,

recette appliquée avec succès dans le monde entier

(dont Paris). Il est ironique que cette stratégie marke-

ting, qui proposait aux grandes métropoles nord-amé-

ricaines la modification génétique de leur patrimoine

culturel et social afin d’attirer des entreprises et des

habitants désirables, ait été inspirée par l’évolution

du rôle de la culture dans les années quatre-vingt en

Europe, en particulier à Paris. Entre-temps, les

relations entre politique et culture ont beaucoup

changé sur le Vieux Continent, avec une tendance au

désengagement public et à la décentralisation, accom-

pagnée par une privatisation. La culture est de plus en

plus définie comme loisir et mode de consommation

global, comme en témoigne la frénésie de tourisme

culturel. La France reste néanmoins le berceau de nou-

veaux formats de diffusion artistique (« Nuit blanche »

à Paris, « Estuaire Nantes/Saint-Nazaire », « Evento » à

Bordeaux), qui assument explicitement des objectifs de

transformation territoriale. Ceux qui critiquaient le

caractère superficiel des actions culturelles à l’échelle

urbaine semblent aujourd’hui reconnaître qu’il s’agit

d’un champ majeur de l’action transformatrice des

villes, voire son élément privilégié : moins cher, à effet

immédiat, permettant l’implication de la population,

avec des effets d’image positifs à tous les niveaux… Le

Grand Paris ne pouvait donc esquiver cet enjeu. Parce

que l’architecture, c’est de la culture ? �

>

RÉCIT

Le 10 décembre 2009, clôture des « Rencontres du

Grand Paris », sur le thème de la culture. Le Cabaret

Sauvage réunit Christian Blanc, secrétaire d’État au

Grand Paris, Frédéric Mitterrand, ministre de la

Culture, et Anne Hidalgo, premier adjoint du maire de

Paris, en charge de l’urbanisme et de l’architecture. Une

première rencontre, pour un dernier débat. Qui débuta

par une série d’escarmouches révélant qu’autour du

Grand Paris, ce sont aujourd’hui les malentendus qui

dominent, puisque l’élue parisienne quittait l’estrade

au bout d’une courte protestation sur le naufrage

du Grand Paris depuis qu’il est passé sous l’autorité du

secrétariat d’État dédié. Regrettant l’occasion historique

offerte par la consultation sur le Grand Paris, qui avait

suscité un climat de collaboration et de responsabilité

unique autour du rôle renouvelé de l’architecte. Anne

Hidalgo : « Parler de culture aujourd’hui suppose de recon-naître que ce n’est pas nous qui façonnons le réel, mais c’estle réel qui nous façonne. Il faut donc accompagner les éner-gies et la créativité qui existent dans la ville monde. »Il faut croire que le débat au sommet avait commencé

en coulisses, puisque le secrétaire d’État avait ouvert la

séance un peu plus tôt en se défendant de n’avoir

qu’une idée fixe (un métro rapide en forme de 8). Pour

dire sa bonne foi, il confia avoir fait un rêve (culturel) :

« mon rêve personnel, c’est que dans les cinquante ans quiviennent, Paris soit la capitale de l’art de vivre, dont la culture est une dimension essentielle ». Une définition de

la culture par sa contribution au confort général. En

fait, le ministre parlait de lifestyle. Frédéric Mitterrand

reprenait ensuite le fil : « La consultation sur le GrandParis a réhabilité l’affinité profonde entre la politique etl’art de concevoir les villes. La culture est structurante,notamment parce qu’elle est en avance. » Annonçant la

création d’un Atelier international du Grand Paris, le

ministre recadrait le débat : « C’est en s’appuyant surl’éthique de la culture que l’on doit développer le GrandParis. Pas la culture pour tous, mais pour chacun. Commeconstruction d’une mémoire commune, mais surtout parl’invention de nouveaux modes culturels à partager. »Une fois ces divergences clairement énoncées, le débat

commençait. Qui sont les invités ? Une trentaine de

personnes se pressent sur l’estrade. En l’absence specta-

culaire du moindre architecte, l’unique artiste au pro-

gramme était le compositeur Pascal Dusapin. Tentant

de parler d’urbanité, il se plaignit longuement de la dif-

ficulté à se garer dans Paris la nuit, y voyant l’indice

que la culture n’y serait plus en mouvement… Les

autres participants se rangeaient en trois catégories : de

grands commis de la culture pilotant de grandes insti-

tutions (château de Versailles, IFA…), avec un quarteron

d’anciens ministres. Des experts : le directeur artistique

du palais de Tokyo, l’égérie d’un bureau de style spé-

cialisé dans la grande consommation, une productrice

de fictions de télévision en quête de respectabilité…

Enfin, des représentants de l’Île-de-France culturelle

d’en bas : une étudiante de l’école Boulle, souhaitant

que le Grand Paris l’aide à monter sa boutique de bijou-

terie parce que c’est trop dur pour les jeunes ; une sty-

liste se plaignant de la fragilisation des artisanats d’art,

contraints à l’exil à Dubaï et Beverly Hills ; une direc-

trice de conservatoire de banlieue regrettant que sa pro-

grammation ne soit pas suivie d’assez près par le public

parisien… Bref, une litanie de plaintes corporatives et

nombrilistes (écho direct des râleries du blog consacré

à ces débats : <www.mon-grandparis.fr>). Il faut autant

d’inconscience que de courage pour venir défendre l’art

de la sellerie et des tailles de gemmes dans un débat sur

la culture, à moins que l’on y ait été invité à dessein.

La création ? Il n’en futpratiquement pasquestion. Au motimagination, on préférait celuid’innovation, quipromet des transfertstechnologiquesprofitables.

Trois débats : � Le 3 décembre, auMacVal (musée d’Artcontemporain du Val-de-Marne, à Vitry), eut lieu lepremier d’une série de troisdébats sur les relations entreterritoire et art, à l’initiativedes CAUE du 94 et du 92.La première table ronderéunissait, autour d’AlexiaFabre, directrice du musée, lecollectif de paysagistesColoco, Pascale Lebroc, char-gée d’expertise pour la SEMVille renouvelée à Roubaix,et Stefan Shankland, artiste,pour son projet Trans305dans la ZAC du Plateau àIvry (voir « Le dehors de l’ar-chitecture » dans le numéro d’oc-tobre 2009 de d’a). Leurs pro-pos tournaient autour de lanécessité d’entreprendre desexpérimentations au cœurdes projets urbains, deshybridations nourries pardes collaborations sur mesu-re pour tenter de donner unsens aux transformations àvenir. Si la caractéristique del’Île-de-France durant lequart de siècle à venir estd’être en chantier, à quellesconditions cela peut-il deve-nir une culture partagée ? Etcomment ne pas inviter l’ar-tiste à jouer un rôle dans cesmutations, malgré l’incon-fort de sa position de média-teur ou d’incubateur, plutôtque d’auteur en vedette ? �

� Le 9 décembre, l’IAUÎle-de-France invitait lepOlau (<www.polau.org>)pour présenter son étude sur

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« Culture et développementurbain depuis trente ans »(une suite de sa participation àl’équipe Jean Nouvel), avec unzoom sur la démarche HQAC de Stefan Shankland(<www.trans305.org>).Étaient présents des techni-ciens de l’aménagement duterritoire, ainsi que desartistes et des architectesfamiliers de cette probléma-tique. La discussion portaitprincipalement sur le risquepris par l’artiste d’instru-mentalisation politique. Laquestion n’étant pas seule-ment de savoir ce que l’ar-tiste peut apporter à la fabri-cation de la ville, mais aussice que la ville peut apporterà l’artiste. Il est alors essen-tiel d’admettre qu’il n’y a pasde spécialistes, pas de compé-tences, qui embrassent toutce spectre. Il faut donc col-laborer de manière très ouverte, mais envisager égale-ment tous ces projets sousl’angle d’une pédagogie, enassociant le plus souventpossible des étudiants à cesprocessus d’hybridation où letemps devient la matière duprojet, plus que l’espace. �

� Enfin, le 10 décembre, àguère plus d’un kilomètre duchapiteau du CabaretSauvage où l’on discutait deculture dans le bain duGrand Paris, se tenait àPantin un colloque del’Observatoire des politiquesculturelles (<www. observatoi-re-culture.net>) sur le « déve-loppement culturel durable ».En présence du président dela Région, Jean-Paul Huchon,du directeur de la Drac Île-de-France et de celui de l’Arcadi,la manifestation importaitparticulièrement pour le pré-sident de la Seine-Saint-Denis,Claude Bartolone, marquantle positionnement de sondépartement avec sa stratégieculturelle/multimédia pourLa Plaine-Saint-Denis. Lesintervenants étaient presquetous des universitaires ou desresponsables de projets artis-tiques au sein des collectivitésterritoriales, détaillant desétudes de cas comme un cata-logue de bonnes pratiquesculturelles à l’échelle urbaine.En fait de développementdurable, il s’agissait principa-lement de décrire le rôle de laculture dans le projet urbain :outil d’embellissement, denégociation ou de communi-cation, supplément d’âme ouvaleur ajoutée, espace demédiation avec les habitantset les acteurs… �

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De fait, ces contributions formaient le paysage explicite

de ce que la culture représentait dans ce contexte : une

activité porteuse qu’il faut remettre en selle.

Faut-il préciser que les débats étaient menés par une

journaliste économique, peu experte des enjeux

culturels, de son propre aveu, mais plus à l’aise

avec le positionnement de la discussion : « la culture

comme attractivité et facteur de développement éco-

nomique » ? Il s’agissait de discuter de l’offre (cultu-

relle), de la valorisation (du patrimoine), d’attractivité

(touristique), bref de billetterie. La culture n’étant à

aucun moment envisagée comme une dimension

méritant d’être investiguée pour elle-même – et de

manière prospective – afin de définir son rôle dans la

transformation métropolitaine. La création ? Il n’en

fut pratiquement pas question. Au mot imagination,

on préférait celui d’innovation, qui promet des trans-

ferts technologiques profitables.

FLASH BACK

Par contraste, tout le processus de la consultation sur le

Grand Paris apparaît profondément culturel, voire

même utopique ! Le grand écart est même stupéfiant.

Un petit retour en arrière propose un éclairage sur le

statut du mot-clé « culture » dans ce processus : on se

souvient que la consultation a été portée par le Bureau

de la recherche de la Dapa au ministère de la Culture,

dans la continuité de son programme de recherche sur

« L’architecture de la grande échelle ». Cette rupture

avec le processus canonique qui, depuis plusieurs

siècles, donnait la responsabilité de l’aménagement du

territoire aux ingénieurs des Ponts et Chaussées, fut si

brutale qu’elle entraîna l’annulation du premier appel

d’offres sous la pression de ce Grand Corps puissant.

Malgré tout, la consultation fut relancée sous les aus-

pices d’une vision « culturelle ». Et l’installation pro-

chaine de l’Atelier au palais de Tokyo vient réaffirmer

de manière extrêmement explicite où se situe le camp

des architectes dans cet échiquier.

Pourtant, au-delà de son label ministériel, le processus

de la consultation n’a jusqu’à présent pas fait grand cas

de la culture. L’équipe Jean Nouvel, lors de la première

phase, avait posé avec ambition la question d’une rela-

tion culturelle contemporaine au territoire, en interro-

geant le pOlau (Pôle des arts urbains, dirigé par

Maud Le Flo’ch). L’équipe Grumbach avait invité

Dani Karavan, donnant également sur ce sujet l’im-

pression de rejouer les années quatre-vingt. Artistes, cri-

tiques et programmateurs culturels font partie des

grands absents d’équipes pourtant pléthoriques (et de

la composition du comité de pilotage, d’ailleurs). Parce

que les architectes ne maîtrisent pas ces alliances ?

Néanmoins, si le terme « culture » s’est fait rare, il faut

reconnaître aux démarches de l’AUC et de Studio 09,

à l’originalité exploratoire, d’être fondées sur une

relation culturelle au territoire, à la fois dans leurs

objets et leurs outils, parfois dans leurs propositions

(le Louvre comme gare…).

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

« Nuit blanche » 2009, le terrain de foot impraticable de Priscilla Monge devant la rotonde Ledoux à Stalingrad : plus que l’équipe adverse, les joueursaffrontent la topographie du terrain et les règles devenues absurdes d’un jeu distordu. Projet créé pour la Biennale de Liverpool en 2006.

© Tr

istan

Laf

on

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DÉCRYPTAGE

Et si le mot culture avait été jeté en pâture par

Christian Blanc sur l’autel de la réconciliation minis-

térielle (imposée par en haut) ? Un gage ou un appât,

puisque le refrain est repris par tous. Les lignes de par-

tage politiques ne sont pas là où on pourrait les

attendre : ainsi la Ville de Paris paraît-elle la meilleure

alliée du ministère de la Culture pour tenter de rendre

aux architectes le pilotage du Grand Paris et éviter que

le surnom du palais de Tokyo ne soit bientôt fort

Alamo, voire fort Saganne…

Tandis que la Région Île-de-France joue au poker men-

teur, son président s’exprimant le moins possible

avant les élections régionales, laissant les élus verts cri-

tiquer le projet de Christian Blanc, avec lequel le pré-

sident de Région réélu pourra être tenté de s’entendre,

une fois que sa marge de manœuvre sera clarifiée. Car

en tout état de cause, c’est bien la Région qui serait le

grand bénéficiaire du projet de double rocade de

métro. De son côté, le secrétaire d’État donne l’im-

pression aux acteurs engagés dans cette aventure hyper-

métropolitaine de faire cavalier seul, se préoccupant

aussi peu de culture que des conditions concrètes de

l’aménagement du territoire. En effet, il procède

aujourd’hui uniquement en discutant au coup par

coup avec des élus sur le trajet du Grand 8, sans envi-

sager une concertation globale et articulée avec tous les

acteurs concernés. À ce rythme, le projet risque d’épui-

ser très vite son énergie jacobine et de sombrer dans les

marais des nombreuses communes traversées.

Le doute naît : et si l’on avait choisi de parler de

culture afin de masquer la paralysie du processus

du Grand Paris ? Plombé par la crise, les échéances

électorales et les contradictions institutionnelles de

pilotage. La culture est bien bonne, parfois produit

cosmétique, parfois écran de fumée. Un sujet de

conversation sans gravité…

L’OUVERTURE FERMÉE

Que pouvait-on attendre de ce recours à la culture ?

Qu’il contribue à répondre aux enjeux du présent et

surtout qu’il engage une relation réellement créative à

l’avenir. Or la « culture » convoquée comme un tout

indistinct apparaît à chaque fois comme lestée de

devoirs et de calculs pesants, qui la placent en contra-

diction avec ses propres valeurs d’invention et de

liberté. Mots d’ordre et effets d’annonce masquent mal

des réflexes d’instrumentalisation sans esprit.

Et les architectes ne sont pas en reste. Début décembre,

lors de la présentation finale d’un marché de définition

réunissant cinq des dix équipes du Grand Paris autour

du périmètre Orly-Rungis, tous revendiquaient la pra-

tique éminemment culturelle du « parcours » comme

fondement du projet. « On a tracé des pistes, on a arpenté, on a exploré pour révéler la véritable structure duterritoire, celle des usages, même marginaux », revendi-

quant une nouvelle culture du projet, un rapport

culturel au réel. Mais finalement, aucun projet ne tirait

de conclusions opérationnelles nourries de cette

approche initiale. Le bon vieux plan-masse final illus-

trait le retour des réflexes top>down. Élus et acteurs

locaux du territoire ressortaient d’ailleurs déçus de cette

présentation en avouant leur malaise : celui d’être

considérés comme des quantités négligeables, d’emblée

condamnés à la tabula rasa.Il y a donc une tension réelle entre le renouvellement

des postures auquel invitent les défis de notre époque

et la culture des différents protagonistes. Une intuition

prend forme : la nécessité d’expérimenter. Ce que le

Grand Paris en tant que processus institutionnel ne sait

pas faire. Aucune équipe ne l’a préconisé (ou celles qui

l’avaient fait n’ont pas été retenues). Le hiatus français

veut que ce soit au niveau institutionnel que se fasse la

rencontre entre contre-culture et culture, avec en géné-

ral quinze ans de retard. Mais en 2025, ceux qui sont

aujourd’hui capables d’inventer de nouvelles stratégies

culturelles pour le Grand Paris seront un peu périmés,

comme la plupart des équipes de la consultation…

En fait de culture, on aura donc surtout découvert

des tactiques politiciennes qui resituent la dimen-

sion culturelle dont l’architecture risque d’être por-

teuse in fine : l’expression d’une politique (ou des

contradictions entre les politiques). Du moins si les

architectes continuent à accepter que la dimension

culturelle de leur mission soit définie par le bel

objet, la figure de style. Des architectes qui sauraient

occuper le terrain du « projet territorial culturel »

auraient pourtant une avance, qui procurerait peut-

être des moyens politiques inédits. �

Une intuition prend

forme : la nécessité

d’expérimenter.

Ce que

le Grand Paris,

en tant que processus

institutionnel,

ne sait pas faire.

© M

arc A

rmen

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Mise en place de l’Observatoire,une œuvre de Tadashi Kawamatapour le festival « EstuaireNantes/Saint-Nazaire » en 2007.

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