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Faire ensemble pour vivre ensemble n°32 Lignes de crêtes Lignes de crêtes ISSN 1969-2137 Juillet - Août - Septembre 2016 10 € Déconstruire les stéréotypes et les préjugés Déconstruire les stéréotypes et les préjugés Autour du mot “ensemble” : vivre ? faire ? Autour du mot “ensemble” : vivre ? faire ? Solidarité, un mot-valise ? Solidarité, un mot-valise ? Construire la confiance chez les jeunes enseignants Construire la confiance chez les jeunes enseignants Chrétiens dans l’Enseignement Public

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Faire ensemble pourvivre ensemble

n°32

Lignes de crêtesLignes de crêtes

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Déconstruire les stéréotypes et les préjugésDéconstruire les stéréotypes et les préjugésAutour du mot “ensemble” : vivre ? faire ?Autour du mot “ensemble” : vivre ? faire ?

Solidarité, un mot-valise ?Solidarité, un mot-valise ?Construire la confiance chez les jeunes enseignantsConstruire la confiance chez les jeunes enseignants

Chrétiens dans l’Enseignement Public

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Site de CdEP : www.cdep-asso.org

Petites recettes du “faire ensemble”pour “vivre ensemble” (Sidonie) .............................. p 3Dialogue dans la ville (H. Couturier) ......................... p 4

MétierComment construire le vivre ensemble à l’école ?(A.-C. Darnal) .............................................................. p 6Une rencontre au cœur des vacances (J.) ............... p 7Déconstruire les stéréotypes... (M. C.) ..................... p 8“Jouer” ensemble (G. Segal) .................................... p 11Une République digne (C. Guilbaud) ........................ p 13Rentrée 2016 (G. Fischer) ........................................ p 14Pépites de vivre ensemble (P. L.) ............................. p 16Faire groupe en classe (É. Tartar Goddet) ............... p 18

Église et FoiPlaidoyer pour ma paroisse (J.-L. Gourdain) ............ p 20Les servants d’autel (Y. Chalvet de Récy) ................ p 22Autour du mot “ensemble”... (F. Delenclos) ............ p 24Des rencontres pour la Paix (J. Xhaard-Bourdais) .. p 26Qu’il est bon, pour des frères (Psaume 133) .......... p 27

SociétéJardins partagés (S. Cahen) ..................................... p 28Changer de regard (M. Bourguignon) ...................... p 30Communauté d’agglomération (M.-I. Silicani) ......... p 32Solidarité, un mot-valise ? (M.-C. Blais).................... p 34

Relecture Biblique“Le Christ est-il divisé ?” (J.-L. Gourdain) ................ p 36

Et ailleurs ?Construire la confiance (C. Suplido) ........................ p 38L’attention aux pauvres (P. Molinier, S. Cahen) ....... p 40Marseille et la Méditerranée (B. Petit) ..................... p 41Identité et vivre-ensemble (C. Le Coz) ..................... p 42

Vie culturelle“Vivre ensemble” aujourd’hui et demain (I. Tellier) p 43Livres .......................................................................... p 44

Vie de l’associationAppel à vivre l’Évangile (M. Lesquoy) ....................... p 46Rencontre Nationale 2017 ....................................... p 46Rencontre d’animation octobre 2016 ..................... p 47CdEP partenaire des Semaines Sociales ................ p 47Le corps et l’École (C. K.) .......................................... p 48

IconographieLa guérison du paralytique par Jésus (S. Ceruti) .... p 50

Sommaire

2 Lignes de crêtes 2016 - 32

Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans l’En-

seignement Public, résultat de la fu-sion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

Directeur de publication : Michèle Lesquoy - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 0217 G 81752 du 7 juin 2012Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY

Prochain numéro Appartenance(s) et Engagement(s),

Abonnement à Lignes de crêtesnormal

(non-cotisants)36 €

réduit (cotisants,aumôniers)

25 €

soutien à partir de 40 €

étranger 40 €

Cotisation à Chrétiens dansl’Enseignement Public

Merci de libeller votre chèque à l’ordre

de Chrétiens dans l’EnseignementPublic et de l’envoyer à :

Chrétiens dans l’Enseignement Public

67 rue du Faubourg-Saint-Denis

75010 Paris - tél : 01 43 35 28 50

traitement mensuel cotisation

1000-1500 € 80 €

1500-2000 € 120 €

+ de 2000 € 160 € ou plus

Cotisation minimale annuelle de 40 €Cependant, nous vous proposons de dé-terminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

CouverturePage 1 : Église de Sous-Parsat (Creuse)photo : Suzanne CahenPage 4 : Montage Suzanne Cahen

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Petites recettes du “faire ensemble”pour “vivre ensemble”

1. L’ethnocentrisme tu balaieras.Quand les «chez nous on fait comme ci / on ne fait pas ça / on s’habille...» deviennent des injonctions, des

prescriptions, ou pire, des jugements de valeur sur ce que font les autres... zou, du balai !

2. La curiosité tu encourageras !Car elle donne envie de regarder, d’aller voir, de s’informer, sur ce qui se fait ailleurs, ce que / comment

vivent les autres... Regarde ce qui se cuisine “à côté”. Mieux : goûtes-y !

3. Les "faitouts" tu éviteras.«C’est moi qui fais tout / lui qui fait tout» ; au contraire, il faut veiller à ce que chacun-e- mette la main à la

pâte : du simple commis au grand "chef", tout le monde est important dans une cuisine ! (on dit une “brigade”). Dans un orchestre, du 1er violon au triangle, chacun a sa partition pour que la symphonie soitbelle, et complète...

4. Des liens personnels tu tisseras.Quand on connaît les personnes, les idées toutes faites changent, les a priori et préjugés disparaissent...

Ton voisin, et même ton lointain, fais-en peu à peu ton prochain.

5. La discussion franche tu ne craindras pas.Pas question de tout lisser, de gommer les différences, de taire les désaccords : chacun doit pouvoir

affirmer librement son point de vue, ses idées, ses valeurs, et être écouté. Le débat est une obligation ; leconsensus... un horizon !

6. "Cultiver notre jardin" tu recommanderas.C’est la formule qui clôt Candide : Voltaire recommande à chacun de «s’engager» (sans prescrire dans quoi

ni comment, d’ailleurs). Plutôt que le repli sur soi, l’individualisme, le j’m’enfoutisme, promeus l’engagement,éduque à l’action, même à un tout petit niveau, et dès le plus jeune âge...

7. De l’autre tu apprendras, ou de "paires de lunettes" tu changeras !Sois un peu modeste ! Il y a toujours quelque chose à retirer d’une rencontre, d’un événement ; ne serait-

ce que te “dé-centrer” un peu et d’essayer de te mettre à la place de l’autre...

8. La boussole tu ne détiendras pas.Si tu pars avec déjà une idée toute faite de ce que tu veux faire, obtenir, réaliser, où sera le “faire ensemble” ?

Autant que faire se peut, laisse le groupe décider de la direction... et des moyens !

9. Des risques tu prendras.Hé oui, ce ne sera pas forcément rose ni facile tous les jours, de “faire ensemble” ! Mais le seul moyen

d’être à 100 % d’accord avec tout... c’est d’être tout seul !

10. La récolte tu partageras.Si tu veux que le faire-ensemble perdure, il faut que tous puissent en retirer du positif ; du radis au potiron,

chacun doit pouvoir “déguster” et apprécier quelque chose... et l’exprimer !

SidonieBlogueuse sur le site CdEP

3Lignes de crêtes 2016 - 32

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À Rouen, c’est la rencontre d’unbaha’i et d’un catholique qui est àl’origine de cette association dedialogue interreligieux. En mars1986, l’Instance Mondiale desBaha’is avait diffusé vers les chefsreligieux et politiques du mondeentier une “Promesse de la PaixMondiale”.

En octobre 1986, le Pape Jean-Paul II invitait les chefs religieuxdu monde à une rencontre deprière pour la paix à Assise, en Ita-lie, un événement qui a rencontréun puissant écho. Aussi lorsqu’auniveau local, en 1987, M. Shoggi-Riaz Rouhani – qui avait diffusé lo-calement l’appel des Baha’is-rencontra M. Jean Morisot, catho-lique et président du CentreRouennais de Documentationpour la Paix, persuadés tous deuxd’être dans la même recherche depaix, et unis par une amitié pro-fonde, ils devinrent les promoteursde cette rencontre interreligieuse,dans la droite ligne de l’appel desBaha’is et en écho au rassemble-ment d’Assise.

Tout a commencé par unegrande réunion de prière des reli-gions à la salle Sainte Croix desPelletiers, qui a avivé le désir decréer un lieu de rencontres ; unsolide travail a été alors menépour rédiger des statuts, consti-

tuer un bureau et l’ACRIP est néeen mai 1987, ACRIP, AssociationCulturelle Religieuse Intercommu-nautaire pour la Paix.

En ce monde d’ignorances, desoupçons, de méfiance et deconflits, il fallait parier sur laconfiance et vivre le dialogue. Serencontrer, se parler, se connaître

chacun dans nos histoires, nos ap-proches de Dieu, nos pratiques,c’est un chemin de découvertes etde fraternité.

L’ACRIP de Rouen a réuni régu-lièrement, deux à trois fois par an,une trentaine de personnes. Nousavons lié amitié, nous avons ap-pris à nous connaître autour de

Dialogue dans la villeSociété

4 Lignes de crêtes 2016 - 32

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Quand nous avons demandé, fin juin, au secrétaire de l’ACRIP, Henri Couturier, de nousparler, pour Lignes de Crêtes, de cette association rouennaise de dialogue interreligieux,c’était simplement parce que nous y voyions un bel exemple de “faire ensemble pour vivreensemble”, selon la thématique choisie pour ce numéro.

L’assassinat du père Jacques Hamel dans son église, pendant la messe, à Saint-Étienne-du-Rouvray, dans la banlieue rouennaise, le 26 juillet dernier, confère une actualité aiguëà son témoignage. Nous sommes en effet convaincus que la seule manière de résister à de tels actes d’une barbarie insensée est de refuser l’engrenage de la violence, et de “parier sur la confiance et vivre le dialogue”.

Voir aussi l’initiative du groupe PAS d’Angers, décrite page 26.

Le comité de rédaction

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thèmes comme la femme dans lesreligions (forcément entre autresla question du voile), la prière,l’autorité ou la mort dans nos reli-gions, la violence, entre témoi-gnage de foi et prosélytisme, leRamadan, la prière en Islam, lepèlerinage à la Mecque, l’autoritédans le christianisme, Jérusalemet les trois religions. Nous appre-nons à nous écouter lors des évé-nements comme le conflitisraélo-palestinien ou la guerre enIrak, (communiqué : Des croyantscontre la guerre) et découvronsalors parfois nos différences d’ap-préciation ou d’inévitables diver-gences sur la foi.

Les événements du monde, cer-tains anniversaires ont été l’occa-sion de rencontres hautementsymboliques : à la cathédrale, lorsde la guerre du Golfe ; au TempleSaint Eloi, lors de l’assassinat desmoines de Tibhirine ; à la Halleaux Toiles, lors des persécutionscontre les Baha’is ; à la Syna-gogue, pour le cinquantenaire desDroits de l’Homme ; à la syna-gogue encore pour le 60e anniver-saire de la déportation.

Des conférences ont réuni unlarge public, par exemple 400 per-sonnes pour la conférence duPère Shoufani, curé de Nazareth“Pour un nouveau dialogue entreJuifs et Arabes”. En 2003, le PèreJean Dujardin autour de son livreL’Église catholique et le peuplejuif. En 2009, le jésuite copte(Égypte) sur le thème “Devons-nous craindre l’Islam ?”. Femmejuive, femme musulmane, LilianeApotheker et Mehrézia LabidiMaiza sont venues parler de l’im-portance de “Risquer le dialogue”.

Le début des années 2010 aconnu une pause dans les activités.Puis la montée des attentats terro-ristes depuis 2012 nous a tous faitcomprendre l’urgence de relancerle dialogue à un moment où on tueen se réclamant de l’islam.

Déjà en novembre 2014, ungroupe de chrétiens a pris l’initia-tive en proposant une journée deformation sur “L’Islam : affronte-ments et rencontres, les enjeux dudialogue”, qui a réuni 75 per-sonnes autour du P. Jean-FrançoisBerjonneau du diocèse d’Évreux.Beaucoup ont alors souhaité allerplus loin et le P. Berjonneau a pro-posé pour janvier 2015 une soiréeplus théologique et spirituelle :“Chrétiens et musulmans, quelchemin spirituel pour la rencontreet le dialogue ?”. Les organisa-teurs visaient en priorité un publicchrétien. Or les attentats du 7 jan-vier 2015 contre Charlie Hebdo,l’émotion et les questions soule-vées autour des enjeux religieux etsociétaux venaient changer ladonne. Nous avions besoin d’undialogue public entre croyants, etle thème de la rencontre a pris unnouveau tour : “Chrétiens et mu-sulmans, rien ne nous empêcherade vivre ensemble”. Jean-FrançoisBerjonneau et le Dr Bachar ElSayadi ont pris la parole àtour de rôle devant un pu-blic très attentif. Devantles demandes, il a falluprévoir deux fois la mêmerencontre, l’après-midipuis le soir, avec dessalles combles.

C’est à la suite de cetterencontre que l’ACRIP aconnu un nouvel élan.

Plusieurs rencontres, de nouvelleset nombreuses inscriptions, demusulmans et de juifs. Le nou-veau président est un musulman.Des rencontres et débats ont étéorganisés à Rouen et en SeineMaritime dans des lycées, pa-roisses, salle de cinéma. Les dé-bats de société autour de laprésence de l’islam et de la laïcitéy reviennent nécessairement. L’as-sociation UMR (Union des Musul-mans de Rouen) a été un fidèlepartenaire.

Simultanément des initiativesdifférentes ont vu le jour. De soncôté, l’archevêque de Rouen aréuni un comité interreligieux qui al’oreille de la Ville de Rouen et quia organisé des rencontres. D’autrepart, l’association COEXISTER aconnu, depuis, à Rouen, un belécho auprès des jeunes.

Henri Couturier,Rouen, juillet 2016

NB : le bahaïsme est une religion mo-nothéiste partie d’Iran au XIXe siècle,dont le fondateur-organisateur estBah’Allah :https://fr.wiikipedia.org/wiki/Baha%C3%AFsme

Société

5Lignes de crêtes 2016 - 32

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C’est un des grands objectifs del’école et les récents malheureuxévénements nous ont obligés ànous repencher sur la questionpour y répondre au mieux. L’écoleest l’endroit où les rencontres sefont. Le vivre ensemble doit s’yconstruire.

Il se construit au quotidien.Nous apprenons à vivre avec lesautres. Cet apprentissage se faitselon deux étapes, je pense : seconnaître, puis apprendre àconnaître l’autre.

La maîtrise de la langue oraleest donc pour moi au cœur de cevivre ensemble. Le langage meten mots les émotions, développela capacité à analyser ses propresémotions, dit les émotions de l’au-tre, permet l’empathie, décode lessituations de conflits. Les conflitsnaissent de l’incompréhension dugeste ou de la parole de l’autre.

Concrètement cela veut dire quetoute situation d’approfondisse-ment dans le domaine de la langueva déjà aider dans ce sens. Mais ilfaut, dans nos nouvelles sociétésoù peu d’espace ou de temps estdisponible pour penser les choses,ajouter dans nos pratiques declasse, des situations de réflexionsur la vie quotidienne. C’est une di-mension nouvelle de l’école maiselle est, je crois, nécessaire : l’édu-catif avec l’instructif.

Au cours de ma pratique,voici deux situationsconcrètes que j’ai obser-vées puis mises enplace pour permet-tre de travaillerla mise en mot

Les thèmes vont être : pourquoij’ai envie d’apprendre à lire ? Àquoi ça sert les amis ? Noël, çaveut dire quoi pour moi ? Qu’est-ce qui me fait peur ?…

Oui très vite… j’ai souhaité allerau cœur des émotions dans lesthèmes choisis car finalement cesont ces émotions qui passion-nent les enfants. La préparationdu journal est devenue au fur et àmesure une sorte de discussion àvisée philosophique à partir dethèmes du quotidien ou dethèmes issus de la littérature dejeunesse (Quand se sent-onpetit ? Quand se sent-on grand ?Qu’est- ce qui me fait peur ?…).

Chaque enfant intervient doncet je prends en note ce qui est diten transformant cela en articleavec un éditorial qui synthétise letout.

Cela permet d’élargir son anglede vue, d’approfondir sa compré-hension du monde. L’enfant réa-lise qu’il y a d’autres réalités quela sienne : ce n’est pas son mondemais le monde avec plein d’autresqui ont des réalités différentes.

C’est une grande étape, dumême registre pour moi que la dé-couverte de la permanence del’objet ! On réalise notamment aumoment des fêtes de fin d’annéeque chaque famille n’a pas lesmêmes habitudes : crèche, sapinpour les uns, chandelier à sept

branches, cadeaux pendantsept jours pour les autres,hamburgers frites pour cer-tains, ou encore rien du tout.On découvre que des his-toires sont communes aux

Comment construire le vivreensemble à l’école ?

Métier

6 Lignes de crêtes 2016 - 32

des émotions. Comme l’enfant sesent considéré (car sa parole estentendue), il peut alors considérerl’autre différent.

la mise en place d’un journald’opinion dans la classe.

la tenue d’un conseil de classe.

Le journald’opinion

Au départ, j’avais observé cettepratique dans la classe d’une maî-tresse formatrice devenue uneamie. En CE2, chaque enfant écri-vait un article sur un thème choisien commun. Il devait y exprimerson opinion et argumenter sonpropos.

En CP, soyons réalistes, c’étaitpour moi impossible (surtout endébut d’année) ! J’ai donc optépour de la langue orale (domainedans lequel, en élémentaire, ontravaille moins). Chaque enfantprend la parole sur un sujet en ar-gumentant son propos. Il me dicteson texte, on est donc dans du re-gistre écrit. Je suis là pour poserles questions, inciter à approfon-dir sa pensée. Les autres peuventinteragir avec ce qui est dit.

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grandes religions : l’arche de Noé,l’histoire d’Abraham ou d’Ibrahimqui va tuer son fils…

Les vies, les quotidiens sont dif-férents mais les émotions sont lesmêmes : et c’est rassurant ! L’en-fant s’aperçoit qu’il n’est pas leseul à ressentir des sentimentsparfois envahissants. Nos émo-tions nous rendent humains ! Celal’inscrit dans une humanité… et luifait accepter son camarade.

Le conseil declasse

Pour la mise en place du conseilde classe, je suis partie de l’ob-servation suivante : les émotions,le vivre ensemble sont au cœurdes préoccupations des enfants àl’école. Au risque souvent, deprendre toute la place nécessairedans le cerveau en cas de conflitsnotamment.

Il fallait donc trouver un moyende les rendre plus sereins, de ren-dre leur cerveau disponible auxapprentissages et régler lesconflits. Pour cela il fallait donnerun temps afin de gérer les soucis,de les mettre en mots.

Il y a donc dans la classe deuxboîtes : une boîte à soucis, uneboîte à bonheurs. Les enfants écri-vent leur problème ou leur bon-heur sur un morceau de papierdurant la semaine, le glissentdans les boîtes (en début d’annéeen CP, ils me dictent leurs phrasesquand un travail est fini ou avantla récréation). La boîte à soucispermet de temporiser la gestiondu conflit, de prendre du recul. Laboîte à bonheurs est là pour êtrecapable de voir et dire ce qui nousplaît aussi. Cela fédère le groupeclasse.

Les mots de ces boîtes sont lusdurant le conseil de classe oùnous sommes assis dans “le coin

regroupement”. Les soucis sontréglés en collectif, je suis là pourgérer les temps de parole et rap-peler le cadre de l’école, les règlessi nécessaire.

Le vivre ensemble s’y construitcar souvent les conflits sont nésd’une incompréhension de l’autre,d’une incapacité à se mettre à saplace.

Exemple : “Nathan m’a tapé”signé Lina. Après discussion, onapprend que Nathan a donné plu-sieurs tapes légères sur la tête deLina. C’est ce geste qui l’a vexéeénormément. Les autres ontajouté que ça faisait penser auxtapes qu’on donne aux chiens ouque les grands font parfois sur lespetits pour montrer qu’ils sontgrands. Une fois expliqué, Nathana compris alors (surtout qu’il esttrès petit en taille) que ça pouvaitêtre vexant. Il s’est excusé en ajou-tant que, pour lui, c’était commeune blague. Lina, de son côté, aentendu que ce n’était pas ungeste méchant de sa part. Cetteexplication a permis de remettreles enfants dans la communica-tion, de rétablir le lien entre eux.

En conclusion, nos élèves nepeuvent mettre de côté ce qu’ilssont : ils viennent dans la classe,le matin, comme des enfants avecleurs émotions propres.

La jalousie, la peur, la tristesse,l’abandon, la colère sont des sen-timents qui vont faire obstacle aulien avec l’autre. L’enfant a doncbesoin qu’on l’aide à gérer cesémotions, à se mettre à la placede l’autre. Dans cette écoute et cepartage, il sera en confiance etpourra vivre ses apprentissagesavec le groupe sereinement.

À nous de trouver des projetspour maîtriser le langage !

Anne-Cécile DarnalParis

Métier

7Lignes de crêtes 2016 - 32

Une rencontreau cœur

des vacancesscolaires

Me voici partie, avec deuxde mes petits-enfants, pourun moment partagé avec mamère, leur arrière-grand-mèredonc. Quand ce nouveau sta-tut est arrivé, elle a choisi dechanger son appellation,Grand-Mère elle était, et lavoilà devenue Mémé.

Quels sujets aborder, quese dire ? Ce n'est pas facile,l’une entend haut, les autres,par timidité, ne parlent pasassez fort.

Mais voilà que notre petite-fille vient d’apprendre “La ci-gale et la fourmi”. Au coursdes semaines précédentes,j’ai pris plaisir à participer àson apprentissage, n’hésitantpas à réciter à mon tour, re-trouvant les intonationsmises en place autrefois.Après quelques hésitations,elle se lance devant son ar-rière-grand-mère qui, elle-même, se prend au jeu, etl’accompagne. Il faut peut-être une fois ou deux, remet-tre sur les rails, mais à la fin,la cigale se retrouve bien ren-voyée à sa danse... Et toute lafamille d’exulter sur ce mo-ment de culture partagée.

Un bon point pour l’écolequi nous a ainsi permis denous retrouver !

Jacqueline Xhaard-Bourdais

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J’enseigne pour la huitièmeannée maintenant dans un col-lège du nord des Hauts-de-Seineimplanté dans un quartier où lapopulation est majoritairementdéfavorisée. Une grande partie demes élèves sont Français deconfession musulmane. Je diraisplus de 50 %.

Je mène pour la 4e année unprojet culturel avec mes élèves de3e, projet qui rencontre degrandes similitudes avec le travaildu professeur d’Histoire-Géo dulycée Léon Blum à Créteil puisqueofficiellement, mon projet est inti-tulé “Les enfants dans les guerresau XXe siècle”. Belle coïncidence.

Pour ceux qui ont vu le film LesHéritiers, la scène où Anne Gué-guen présente le projet à sesélèves, ainsi que la scène de lapremière séance de travail, don-nent une parfaite idée de toutesles réflexions que mes élèves peu-vent avoir : “Pourquoi on ne parleque des Juifs ?”, “En Palestine, il ya un génocide”… Ce sont desidées assez répandues chez nosadolescents et je dois dire que j’aieu une expérience encore plusdouloureuse l’année où certainsde mes élèves sont arrivés ultraremontés après un conseil declasse, en faisant le salut nazi enrentrant en classe. Cela faisaitsuite à d’autres incidents : “V’la lebeau gosse” quand je donne undocument avec une image de pro-pagande représentant Hitler, refusde commenter une photographied’une rue de Berlin prise justeaprès la Nuit de Cristal pour nepas prononcer le mot “Juif”, refusd’aller au Mémorial de la Shoahparce que “non Madame, je ne

vais quand même pas aller en Is-raël”… Les exemples sont nom-breux et nous ne débattrons pasici pour savoir s’il s’agit seulementde provocations adolescentes oud’idéologie. Ce débat a déjà eulieu ailleurs, notamment au mo-ment des attentats de janvier der-nier. Peu importe à vrai dire, il y ades postulats et des posturesqu’on ne peut pas laisser passer.Le salut nazi, ça a été pour moi uncatalyseur. D’abord un trauma-tisme, il faut bien le dire. Quandon est enseignant en Histoire, çafait un drôle d’effet et j’ai envie dedire, quand on est citoyen dans unÉtat démocratique, c’est inconce-vable. Bref, là, je me suis dit : “Ilfaut que tu fasses quelque chose”.De ce triste incident est donc némon projet.

Antisémitisme et Histoire de la Shoah

J’ai donc pris contact rapide-ment avec le service pédagogiquedu Mémorial de la Shoah et j’aiété remarquablement conseilléepar le responsable du service pé-dagogique, Jacques-Olivier David.Je crois que ce qu’il m’a dit avanttoute chose, c’est de ne pas avoirune approche frontale avec lesélèves et d’éviter de centrer lesujet sur l’enseignement de l’His-toire de la Shoah, notamment enraison d’un contexte de concur-rences mémorielles très prégnantdans le débat public. En effet, onretrouve souvent cette comparai-son chez les élèves entre la Mé-moire de la Shoah et la Mémoiredes victimes de l’esclavage.

Il fallait donc à tout prix éviter defaire de l’enseignement de l’His-

toire de la Shoah un moyen d’ar-rêter l’antisémitisme, mais plutôtprendre le mal à la source et dé-construire l’antisémitisme avantd’enseigner l’Histoire de la Shoah.Ce, afin d’éviter les “Bien fait poureux, ils voulaient dominer lemonde”. Donc, ne surtout pas uti-liser des images de la sortie descamps : le film Nuit et Brouillardpar exemple qui est très pratiquedans son format (35 minutes :l’idéal en une heure de cours).Non, dans ce cas-là, on joue surl’émotion. Et je l’ai encore en-tendu récemment. Un collègue medisait : “Moi, je leur passe Nuit etBrouillard, ça les calme, commeça, ils ne sont plus antisémitespendant au moins trois jours”.Mais oui, mais le problème est là,dans le “Au moins trois jours”. Etaprès ? Iannis Roder qui coor-donne la formation des ensei-gnants au Mémorial de la Shoah aune formule très juste : “L’émo-tion, ça paralyse la pensée”.

Donc, forte de ces conseils, etde ceux du responsable des acti-vités pédagogiques au MAHJ(Musée d’Art et d’Histoire du Ju-daïsme), Matthias Dreyfuss, j’aidécidé de partir de l’antisémi-tisme. Les premières sorties queje fais avec les élèves dans l’an-née, ce sont :

1 – Un itinéraire inter-muséesentre le Musée d’Art et d’Histoiredu Judaïsme et l’Institut du MondeArabe intitulé “Cultures en par-tage” où les élèves découvrent lescivilisations juives et musulmanesdans leurs spécificités mais aussidans leurs ressemblances et par-fois même leurs points communs.Je l’ai fait il y a une semaine et je

Déconstruire les stéréotypeset les préjugés

Métier

8 Lignes de crêtes 2016 - 32

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main, souvent associée àla main de Fatma, est en fait un symbole utilisé depuis laPréhistoire et qui repré-sente des valeurs depaix ou de protection. On retrouve ce symboledans de nombreuses re-ligions et civilisations. Ils sont heureux quand ils font ça.

Cette année, cette sortie était dou-blée de l’installation d’une expositionitinérante sur Al-Andalus, exposi-tion louée par l’IMA au collège.

2 – Une visite-atelier au MAHJsur les Stéréotypes et les Préju-gés. Très bien pensée cette visitecar les élèves ne commencent pas

peux vous assurer que d’emblée,cela les étonne, les déstabiliseparfois dans leurs représenta-tions. Ce qui fait qu’il y en a forcé-ment qui vont me dire que“Madame, l’IMA quand même,c’était mieux que le MAHJ”. Maisà titre d’exemple, ce qui lesmarque le plus, au MAHJ, c’est lerideau qui cache l’armoire sacréeoù est cachée la Torah, rideau quia été tissé dans l’Empire Ottomanet sur lequel le mot “Dieu” est écrit en arabe : “Allah”. À la fin dela visite, les élèves tra-vaillent sur le dessind’une mainsur dumétal repoussé car ils ont découvertque la

à parler des stéréotypes et despréjugés sur les Juifs. Ils sontd’abord dans une salle et évo-quent la manière dont des stéréo-types et des préjugés seconstruisent, peu importe les sté-réotypes. Et mes élèves sont d’au-tant plus touchés que beaucoup,s’ils sont vecteurs de ces stéréo-types, sont eux-mêmes victimesde préjugés. Ensuite, ils circulentdans les salles du musée et com-

L’enseignement du faitreligieux

De fait, l’enseignement laïc dufait religieux est présent dans leprojet. Quand on participe au par-cours inter-musées, il est bien làcet enseignement car les confé-renciers évoquent de nombreuxéléments des textes, des person-nages fondateurs des religions,des rites, des coutumes. Et là, il y

a plusieurs réactions, plu-sieurs attitudes :

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des élèves qui ont une grandeculture, et d’ailleurs, la dernièrefois, j’avais l’impression qu’ils’agissait surtout d’élèves quiavaient une assez grande culturechrétienne, ou alors, ces élèvesavaient de très bons souvenirsdes séquences qui avaient été

prennent d’où viennent les sté-réotypes et les préjugés sur lesJuifs. À la fin, ils produisentquelque chose, soit un sketch quidéconstruit un stéréotype, soitune petite vidéo, soit ils travaillentsur des documents.

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faites par leurs enseignants defrançais en 6e puisque mes col-lègues de français font tout un tra-vail sur les textes fondateurs. Il yavait aussi beaucoup d’élèves quiavaient une solide connaissancede la civilisation musulmane,

des élèves qui découvrent tout,

et ce qui arrive souvent : desélèves qui revendiquent parfoistrès fort le fait d’être musulmansmais qui en fait connaissent bienpeu de choses sur l’histoire del’Islam. J’imagine que dans d’au-tres contextes d’enseignement,on pourrait peut-être dire lamême chose au sujet d’élèvesjuifs ou chrétiens, je ne cherchepas ici à stigmatiser un groupe,mais ça, ça me fait souvent sou-rire (pas méchamment bien sûr,et finalement je suis assezcontente de les éclairer).

En tout cas, c’est très intéres-sant de pouvoir sortir du collègepour aborder tous ces sujets et maconviction est – évidemment, jene vais pas dire quelque chose derévolutionnaire ici – que c’est laconnaissance et la compréhen-sion de l’autre qui est un invariantdu mieux vivre ensemble.

Un travail enpartenariat avec deuxinstitutions laïques

C’est donc le Musée d’Art etd’Histoire du Judaïsme et le Mé-morial de la Shoah qui sont mespartenaires privilégiés pour ce pro-jet. Deux institutions laïques et quile rappellent aux élèves.

Je trouve que le MAHJ a énor-mément réfléchi à cela. Lors de lapremière visite, les conférencierss’arrêtent toujours devant la

plaque d’inauguration du Musée.Il a été inauguré en 1998 parJacques Chirac, il est le fruit de lavolonté conjuguée de la Ville deParis et du Ministère de la Culture.Les conférenciers insistent biensur le fait que ce n’est pas unmusée religieux. Le Musée béné-ficie d’ailleurs de l’appellation“Musée de France”1.

Quant au Mémorial de la Shoah,les conférenciers essaient ausside montrer aux élèves que c’estavant tout un musée, égalementinauguré en l’an 2000 sous l’im-pulsion de Jacques Chirac (dis-cours de 1995 sur la respon-sabilité de la France dans la dé-portation et le génocide des Juifs),que c’est un musée d’Histoire, quis’est construit sur le Centre de Do-cumentation Juive contemporaine.C’est aussi un lieu de Mémoireavec son mur des noms par exem-ple. Mais rien de religieux.

J’ai pu participer il y a deux outrois ans à une réunion au Mé-morial où le directeur s’interro-geait sur la façon dont leMémorial devait être plus visibledans les établissements sco-laires. Le Mémorial répond favo-rablement à tous les enseignantsqui lui font appel, mais il ne veutpas démarcher ! En raison de laconcurrence des mémoires dontj’ai déjà parlé au début de maprésentation, mais surtout parceque, dans les premiers temps,lorsqu’ils arrivaient dans certainsétablissements scolaires, on leurclaquait la porte au nez en leur di-sant qu’on ne travaille pas avecdes institutions religieuses. Je rap-porte un peu grossièrement cequ’il nous a raconté, mais c’est in-téressant car on voit bien que leschoses sont très brouillées : on a

peur de parler de culture juive oude culture musulmane, on a peurde parler des juifs, des musul-mans, de la Shoah parce que l’onest dans un État laïque. Mémorialde la Shoah = juif = religion. C’estl’illustration parfaite de la mécon-naissance de l’autre à mon avis,et l’illustration parfaite de ce quela laïcité est mal définie dans l’es-prit des uns et des autres. Et je fi-nirai sur une note un peu négativeet pessimiste : une méconnais-sance de l’autre et une mauvaiseappropriation du principe de laï-cité même dans des milieux plutôtéclairés.

M. C. Île-de-France

1/ L’appellation “Musée de France” aété instaurée par la loi du 4 janvier2002 relative aux musées de France.Cette appellation peut être accordéeaux musées appartenant à l’État, àune autre personne morale de droitpublic ou à une personne de droitprivé à but non lucratif. L’appellation“Musée de France” porte à la fois surles collections et les institutions quiles mettent en valeur : les collectionspermanentes des musées de Francesont inaliénables et doivent être ins-crites sur un inventaire réglementaire.Elle rend les musées qui en bénéfi-cient éligibles aux soutiens de l’État,scientifiques, techniques et finan-ciers. Les musées sont des institu-tions dont les missions sont deconserver, restaurer, étudier et enri-chir leurs collections, de les rendre ac-cessibles au public le plus large, deconcevoir et mettre en œuvre des ac-tions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tousà la culture, de contribuer aux progrèsde la connaissance et de la rechercheainsi qu’à leur diffusion.

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de jeu si l’on peut le faire, celacrée du lien et change totalementla donne au niveau de la réceptiondu spectacle : le soir de la repré-sentation, on sent une attente deleur part, une écoute amplifiée, unéchange réel. (Sans compter lesbénéfices que les enseignants enretirent pour leur cours sur le texteen question ! NdI = note de l’inter-vieweuse).

Et quand en plus, un “atelier”sur l’année permet de passer dutemps à les faire travailler oujouer, ensemble, là il y a vraimentdes choses qui se passent, qui sevivent, et qui les marquent profon-dément. Davantage encore s’ilsmontent un spectacle et parta-gent le “trac” des représenta-tions : des liens forts et puissantsse tissent entre les élèves de la‘troupe”. Chacun apporte son sa-voir-faire, sa pierre à l’édifice ; etpeu importe que les uns soient“bons” et les autres moins : on nepeut pas jouer une pièce avec seu-lement les 2-3 premiers rôles, ona aussi besoin des autres ! Cen’est pas du tout comme en sport,où les performances sont essen-tielles, où le “nul” peut faire per-dre son équipe, et où certains nesont pas choisis, restent sur lebanc... Non, au théâtre on a be-soin de tous, “petit” ou “grand”rôle.

Le professionnel que je suis setrouve enrichi et nourri par les“ateliers” / interventions en milieuscolaire ; et heureusement, sinonau bout d'un moment, je ne le fe-rais plus. Par exemple, cela medonne plus d’acuité sur la percep-tion que le “grand public” peutavoir, je saisis mieux ce que la po-pulation peut écouter, voir, aimer ;cela m’amène à tenir compte desréactions de gens qui ne sont nides artistes, ni des “habitués”. Le

1985. Je crois que c’est le lycéede Montgeron qui a été le 1er lycéeexpérimental au niveau d’une op-tion lourde, d’une spécialité théâ-tre pour les élèves, et c’est ArianeAscaride qui y enseignait. À peuprès à la même époque, FrançoisBon commençait les ateliersd’écriture (il a été l’un des toutpremiers à les initier)... Aujourd'huitout cela paraît naturel, à l’époquec’était une révolution ! C’étaientles années “Lang” : la vision, l’in-tuition de Jack Lang, c’était demettre l’art et la culture, la créa-tion artistique, au cœur de la so-ciété, notamment par le biais desécoles, pour développer l’huma-nisme ! Donner (ou redonner)accès à la culture par la pratiqueartistique (la même intuition quecelle de Jean Vilar au TNP).

Alors, qu’est-ce que cela ap-porte, aujourd’hui, aux élèves, auxenseignants, et aux profession-nels du théâtre, ces “ateliers” ré-guliers ou ces rencontres ? Audébut, la plupart des compagniesl’ont fait par curiosité, pour voir...Après, on a senti comme l’obliga-tion d’en passer par là, ne serait-ce que pour avoir les subventionsde la DRAC1, par ex., qui deman-dait en contrepartie des interven-tions ponctuelles dans lesétablissements scolaires, ou l’ani-mation régulière d’un “atelierthéâtre” sur l'année ; on pouvaitressentir cela comme “un fil à lapatte”.

Mais on en a rapidement vu lesbénéfices, l’enrichissement (etpas que pour “les sous” cettefois !). Aller en amont dans desclasses présenter un spectacleque les élèves iront voir, leur parlerdes choix de mise en scène, leuren faire travailler un extrait, discu-ter avec eux, répondre à leursquestions, les mettre en situation

Au théâtre, on est dans le “faireensemble” depuis l’origine : il y atoujours eu des professionnels quiencadraient les autres. Par exem-ple, si dans l’Antiquité grecque lestrois acteurs principaux ont rapi-dement été des professionnels,les acteurs du chœur étaient desartisans et commerçants, issus dela cité. Au Moyen Âge, le “princedes sots” Pierre Gringore (devenuGringoire chez Hugo, dans Notre-Dame de Paris) était un poète etdramaturge, un professionnel, vi-vant du théâtre ; mais une fois paran, il faisait travailler des confré-ries d’artisans pour monter unspectacle, (comme on le voit dansLe Songe d’une nuit d’été de Sha-kespeare). Les “Passions”, “mira-cles” et spectacles religieux jouéssur les parvis des églises mélan-geaient toujours amateurs et pro-fessionnels.

Dans le théâtre, la notion de“partage” est très forte, c’est toutela spécificité de l’art vivant. Un pu-blic qui écoute, qui accueille, quiréagit, rit, suspend son souffle...participe au spectacle, à la repré-sentation. C’est encore plus vrai etplus intense dans les “ateliers” depratique théâtrale d’amateursadultes ou en milieu scolaire : on yfait des choses qu’on n’oserait ja-mais faire avec son voisin ou lapersonne qu’on croise à la bou-langerie ! On “ose” et on s’ouvre àce que l’autre propose ou fait,parce que cet échange est la basede la pratique théâtrale, ou artis-tique en général. Et savoir don-ner/recevoir, être à l’écoutede/rebondir sur ... est fondamen-tal pour notre société.

Le théâtre en “atelier” dans lesclasses, avec un professionnel, etpas juste le professeur de français(dont l’apport n’est certes pas àminimiser), c’est venu autour de

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“Jouer” ensemble

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scolaires (des “têtes bien pleines”dirait Montaigne), mais déconnec-tés de l’art et de la créativité engénéral. Or il lui paraissait essen-tiel que ces jeunes-là fréquententthéâtres, musées, lisent, etc. Doncdepuis une décennie, il est de-venu obligatoire dans leur cursusde 1e et 2e année de suivre troissemestres une matière artistique(ils peuvent en changer, ou pas,ou changer d’intervenant dans lamême matière). Certains interve-nants sont très connus et recon-nus (tel comédien du “Français” !),d’autres moins, peu importe.

Et comme certains étudiantsavaient tendance à “sécher” cescours d’un genre assez particulier,depuis 6 ans ils donnent lieu àdes notes avec le même coeffi-cient que les autres matières : si

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théâtre est un milieu un peufermé, on peut ne travailler quepour des gens qui le fréquententdéjà “naturellement”, donc d'uncertain milieu, aisé ou cultivé. Or,cela peut changer un spectacle,de veiller à “interpeller” tout lemonde : un metteur en scène unpeu “malin” va introduire telle mu-sique, qui fera réagir les jeunes...Et puis, travailler un texte en “ate-lier” avec des jeunes, des sco-laires, peut me donner envie de le(re)mettre en scène avec ma com-pagnie... Parfois, les jeunes meparlent de livres ou de textes queje ne connais pas, ils me font dé-couvrir pas mal de choses.

Par contre, en atelier, on estobligé de faire avec une écono-mie de moyens et de tempsqui, du coup, pousse à unetrès grande créativité (parmanque de budget), parfoisplus grande qu’en spectacleprofessionnel, c'est para-doxal ! Dans un atelier, onpeut aussi avoir de 8 à 20 élèves,et se permettre beaucoup dechoses ; alors qu’aujourd’hui,mettre déjà 8 professionnels surscène coûte cher, et même si lespectacle est bon, il ne sera pasforcément “acheté” ; on est libéréde cette contrainte du nombre etdu coût avec des étudiants ou desscolaires.

L’apport des ateliers théâtre à lalittérature et à la culture est im-mense ! En lycée, j’ai fait travaillersur Marivaux : les élèves (censésavoir lu la pièce !) m’ont dit “aprèscet atelier, on sait pourquoi on esten L, on sait pourquoi la littératurec'est important ... et ça donne vrai-ment envie de lire la pièce !”. ÀSciences Po, je fais travailler de-puis 6 ou 7 ans les étudiants de1e et 2e année, en atelier de pra-tique théâtrale. C’est une réforme

qu’avait initiée Richard Descoings,en plus de celle d'un recrutementdifférent2 (les filières d’excellencepour élèves issus des ZEP, qui nepassent pas le concours mais sontrecrutés sur dossier). Il a lancé etmis au programme des activitésartistiques comme théâtre, cou-ture, cinéma, danse, photogra-phie, musique, arts plastiques,architecture. Pourquoi ? parcequ’il trouvait qu’il avait certes af-faire à de très bons élèves dansles matières

l’on n’a pas la moyenne, ça peutconduire à un redoublement ! Ducoup elles sont prises au sérieux,les étudiants s’y investissent... etpour certains, c’est une décou-verte et un plaisir énormes ! Je faisaussi une formation de deux se-maines, début juillet, pour les étu-diants qui viennent d’être admis,juste après le bac, via les CEP2. Parle biais du théâtre, nous travaillonsl’oral (très important à Science Po,pour presque toutes les matières),la culture générale (liens des

textes avec l’Histoire, la Révo-lution par exemple), et le“faire ensemble”. Certainsse disent “du théâtre ?

Mais je ne suis pas venuà Science Po pour faire

ça !” et ont un certainrecul... mais quandl'atelier de juillet (oudu semestre) est fini,

ils trouvent cela gé-nial : ils savent faire, ils y

ont pris du plaisir... alorsqu’ils ne savaient même pas qu’ilssavaient faire, ni qu’ils aimeraient !

Les matières artistique les ai-dent à apprendre à se connaitre,à oser, à se faire confiance,puisqu’ils vont devoir “faire” en-semble des trucs inouïs : se pren-dre dans les bras et jouer lapassion, ou la colère... C’est là queles amitiés fortes se créent ! Au-delà même de l’oral et de la cul-ture générale, cela leur apporteénormément sur le plan humain.À la fin, il arrive très souvent qu’onait des groupes incroyables, trèsunis, qui restent en lien entre eux,ou avec nous, des années après !

C’est tout à fait ce qu'on peutconstater dans les ATP3 fondés parJean Vilar, et qui regroupent, dansune vingtaine de villes, des “pas-sionnés” de théâtre, soit commespectateurs, soit comme prati-

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quants amateurs. Ils se réunissent,voient des tas de spectacles (à Avi-gnon et ailleurs) et les font venirdans leur ville. Quand on est pro-grammé par des gens comme cela,ça a un tout autre impact ! Déjà, onsait qu’on a été choisis, on est at-tendus ; ils ont moins de sous,mais on a un retour beaucoup plusfort ! Par exemple, il peut arriverque les comédiens soient hébergéspar des gens de l’association : onva dormir chez eux après le spec-tacle, on prend le petit déj’ ensem-ble... Robin Renucci et “lesTréteaux de France” font eux aussiun travail formidable. Autre exem-ple : en Corse, il y a un festival d’étéoù les comédiens professionnelssont mélangés aux comédiensamateurs et les représentationsdonnées en fin de stage ont unesaveur inégalable... Le théâtre dupeuple à Bussang est encore uneautre “aventure” humaine autourdu faire ensemble et de la pratiquethéâtrale. Bref, le théâtre, lieu dufaire ensemble, a un lien intrin-sèque avec le vivre ensemble !

Godefroy SegalAuteur et metteur en scène

Compagnie “In cauda”Propos recueillis par Cath. Réalini

1/ DRAC = Direction Régionale des Af-faires Culturelles.2/ Mises en place en 2001, les CEP(Conventions Éducation Prioritaire)ouvrent une procédure d'entrée auxlycéens méritants des établissementsde ZEP (Zones d’Éducation Prioritaire)partenaires de l’IEP (Institut d'ÉtudesPolitique, nom “officiel” de SciencesPo).3/ ATP = Association de Théâtre Po-pulaire, regroupés en une Fédération :cf. http://www.fatp.fr/ Les ATP ac-cueillent chaque année environ 150 créations pour 220 représenta-tions cumulées et touchent près de50 000 spectateurs en France.

UNE RÉPUBLIQUE DIGNEPropositions pour une présidence de progrèsPaul Oudart(Éditions L’Harmattan, collection Rue des écoles)

C’est en rappelant comment se sont établis les fondements denotre République que Paul Oudart veut nous faire réfléchir, éveillernos consciences, nous rappeler notre rôle de citoyen.

Tour à tour, il examine les principes auxquels nous sommes atta-chés et leur évolution durant les dernières années. À partir de la di-gnité de l’être humain, il dénonce la déshumanisation de notresociété, des guerres du XXe siècle aux génocides d’Afrique et d’Asie.Il pointe l’isolement des personnes seules, tant dans un milieu ruralqu’en pleine ville. Observant la démographie, il dit aussi la dignité dela procréation, de la parité, de la vieillesse et des migrants.

Il nous entraine à porter un regard neuf et exigeant sur la laïcité :“la laïcité est d’abord une pratique fraternelle plongée dans le pré-sent… elle impose le dialogue, chasse les images stéréotypées, ex-pulse les intégrismes… elle exige une éducation qui doit commencertrès tôt… elle repose sur la connaissance des autres”.

Reprenant les principes fondateurs de Liberté, d’Égalité et de Fra-ternité, il souligne notre tendance à fausser nos idéaux : “Le principed’égalité républicaine a été interprété comme uniformité. Or, pourque les citoyens soient égaux, il faut évidemment combattre et ré-duire les inégalités en commençant par les plus criantes, en donnantplus à ceux qui ont moins”.

Après avoir fait des propositions en matière de santé, de travail, deculture, il aborde notre responsabilité vis-à-vis de notre “monde-terre”et n’hésite pas à prôner les énergies propres, le recyclage et l’atten-tion à notre environnement. “Ce que nous n’avons pas encore sabotéou masqué mérite souvent conservation, protection et entretien”.

Alors, pour être bien compris, Paul Oudart démontre le rôle essen-tiel que peut avoir l’action collective : “Il a fallu beaucoup de volontéet de combats pour obtenir, au fil des deux derniers siècles, le droitau secours mutuel, le droit d’association, le droit de grève, le droitsyndical, le droit aux congés et à la retraite, la limitation du temps detravail, l’interdiction du travail des enfants. Tous ces progrès ont étéobtenus au moyen d’actions collectives, parfois spontanées et bru-tales, parfois soutenues par des groupes politiques et par des élusqui ont pu les transcrire dans les lois de la République”.

Les réflexions de Paul Oudart, sont toujours prolongées par despropositions capables d’intéresser les candidat(e)s à la présidence.Dans cette perspective, il écrit : “Le vieux militant que je suis est per-suadé que l’avenir est entre les mains des citoyens s’ils veulent sor-tir de leur torpeur, de leur abstentionnisme démissionnaire, du ‘y aqu’à !’, et de leur peur enfantine de s’engager dans les débats puisdans les décisions… Nous pensons que les progrès sont réels quandles citoyens ont fait leurs propositions en les intériorisant et quand ilssont décidés à fournir tous les efforts pour qu’elles aboutissent”.

Chantal Guilbaud

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Tout le monde sur le pont ! C’està cette rentrée 2016 qu’entre envigueur la Réforme du Collège, etpour une fois elle ne manque pasd’ambition. Il ne s’agit plus d’ajus-tements cosmétiques, mais d’unerefonte totale de la manière d’en-seigner, et cela sur les 4 annéesdu collège à la fois. Et pour unefois, elle propose une démarcheglobale – même si nous verronsplus loin qu’elle posera inélucta-blement des problèmes de miseen œuvre.

Un nouvel accèsde “réformite” ?

La réforme, on ne parle que deça… mais ça va rarement au-delàdes slogans ! Alors, fallait-il vrai-ment réformer le collège ? Depuisdes décennies, on constatequ’une forte proportion des jeunesde 16 ans, au terme de la scola-rité obligatoire, maîtrisent demoins en moins les apprentis-sages de base. Et surtout lesécarts se creusent entre ceux quiacquièrent le bagage nécessaire àune insertion fructueuse dans lasociété et ceux qui se retrouventplus ou moins laissés pour compteà l’issue d’un collège en principe“unique”.

Les causes, en particulier au ni-veau du collège, sont connues de-puis longtemps : différencesconsidérables entre les niveaux cul-turels des familles, cloisonnementdes connaissances par disciplinessans rapport évident entre elles,course perpétuelle pour finir un pro-gramme qu’on ne rattrape jamais,

accumulation d’activités annexestoutes importantes et nécessaires(éducation routière, secourisme,voyages scolaires...), mais qui nepeuvent se réaliser qu’aux dépensdes cours classiques ou en sur-chargeant les horaires. Et on pour-rait continuer la liste…

Il importait donc de définir uneorganisation de l’enseignementqui permette un passage sanstrop de heurts entre l’école et lecollège, qui prenne en charge defaçon systématique la diversitédes jeunes, qui intègre aussi har-monieusement que possible lesactivités “annexes”, qui mette envaleur les liens entre les disci-plines et organise l’interdisciplina-rité ; et pour mettre tout cela enœuvre, qui sorte les professeursde leur isolement disciplinaire etfavorise la constitution d’équipes.C’est ce que tente de faire cetteréforme du collège.

Le Socle Commun,la base de tout

Son origine remonte à la publica-tion en 2005-2006 (après delongues discussions) d’un “SocleCommun des Connaissances et desCompétences” qui tentait de définirce qu’aucun élève de 16 ans ne de-vrait ignorer pour pouvoir menerune vie d’adulte et de citoyen satis-faisante ; il a commencé à être misen œuvre avec plus ou moins debonheur, mais depuis cette date n’aeu qu’un impact limité sur les pro-grammes et l’évaluation, et n’a paspermis de renouveler l’approche pé-dagogique globale.

Du coup, on a remis l’ouvragesur le métier, et à cette rentrée2016, un nouveau “Socle Com-mun de Connaissances, de Com-pétences et de Culture”3 revu etadapté entre donc en vigueur.Mais à la différence du précédent,il sert de cadre à la définition desprogrammes, en lien étroit avecses cinq “domaines” :1 - Les langages pour penser etcommuniquer,2 - Les méthodes et outils pour ap-prendre,3 - La formation de la personne etdu citoyen,4 - Les systèmes naturels et lessystèmes techniques,5 - Les représentations du mondeet l’activité humaine.

Ces “domaines” vont bien au-delà des approches disciplinairestraditionnelles, ainsi qu’à l’organi-sation de l’enseignement, qui setrouve du coup complètement re-nouvelée. C’est la base de toutl’édifice.

Nouvelles temporalitésLes objectifs ainsi posés, il faut

les distribuer dans le temps. Sur labase de ce Socle Commun, la ré-forme organise d’abord une nou-velle gestion du temps : au niveaude l’école et du collège elleconfirme l’organisation en “cy-cles”, en particulier les cycles 3(CM1, CM2, 6e) et 4 (5e, 4e, 3e) quistructurent la démarche. C’estmaintenant par cycle et non pluspar année que sont établis les pro-grammes. Ils nécessitent doncque les équipes d’enseignants se

Rentrée 2016 :le nouveau collège, c’est parti !

Depuis plus d’un an, médias et réseaux sociaux se sont emparés de la réforme du collège en préparation,la réduisant tantôt à “l’abandon du Latin et du Grec”, tantôt à “l’assassinat de l’Allemand”. À l’heure où elleentre en vigueur, je voudrais tenter d’en faire une brève présentation. Elle est le fruit d’un dialogue approfondiavec un enseignant de collège qui depuis un an s’est investi pour la préparer dans son établissement, et s’ap-puie également sur un site fort bien fait La Réforme du collège 2016 en clair1, mais aussi évidemment surles textes de l’Éducation Nationale2. Bien sûr, je ne m’interdis pas non plus de porter une appréciation que lelecteur partagera ou non. Que chacun s’exprime ! (Espace de discussion sur le site CdEP).

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concertent à l’intérieur du collège,mais aussi en coordination avecles professeurs d’école deCM1/CM2, pour définir dans quelordre seront abordées les notionsqui constituent les “attendus defin de cycle”, ordre qui peut diffé-rer d’un collège à l’autre, en fonc-tion du profil des jeunes accueillis.

La deuxième temporalité définieest le cadre horaire hebdoma-daire : pour les élèves de collège, ilest de 26 h, et outre les enseigne-ments disciplinaires habituels, tousles “enseignements complémen-taires” (cf. ci-dessous) devront yêtre inclus, ce qui est rendu possi-ble par leur intégration dans les do-maines du Socle Commun, et doncdans les programmes. Mais celaimpose logiquement de renouvelerl’approche pédagogique pour queces activités prennent un sens encohérence avec les disciplines,celles-ci étant par ailleurs invitéesà se coordonner pour mettre enévidence les multiples connexionsqui les relient.

Les “enseignementscomplémentaires”

Mais que cache donc ce vocabled’“enseignements complémen-taires” ? D’abord c’est l’Accompa-gnement Personnalisé4 (AP) – quidonnera aux élèves la possibilitéd’être accompagnés dans l’acquisi-tion de méthodes de travail adap-tées, globales ou disciplinaires,tout au long des 4 années (3 h en 6e,1 h au moins les autres années).

Dans son collège, en classe de6e, un prof de Maths prévoit detravailler en commun avec la profde SVT et celui de Sciences Phy-siques pour traiter une partie duprogramme de Maths (lecture detableaux et graphiques, unités etconversions...), sur l’horaire deMaths ; cours de Maths donc,mais à deux voix et à chaque foiségalement au service de la Phy-sique ou des SVT. Et les profs d’Al-lemand et d’Espagnol animeront

un AP en 6e en lien avec l’AnglaisLV1 sur les méthodes et outilsd’apprentissage en langues et ladécouverte d’une LV2, en prépa-ration du choix à l’arrivée en 5e.

Ensuite ce sont les EPI (Enseigne-ments Pratiques Interdiscipli-naires)5, autre nouveauté au collègepour le cycle 4, qui permettra auxélèves de s’initier à une démarchede “projet” pluridisciplinaire condui-sant à une réalisation concrète, in-dividuelle ou collective. Dans lecollège de mon collègue, en 5e, unEPI est en préparation sur “Les mo-difications de l’organisme lors d’uneffort”, où les exercices et mesuresfaits en EPS serviront de base à ladécouverte de notions de biologie.Là encore, ce sont des points duprogramme des deux disciplines quiseront traités à deux voix.

Enfin, 3e modalité d’apprentis-sage, la scolarité devra intégrerles “Parcours”6, temps privilégiésd’intervention des acteurs asso-ciatifs ou institutionnels extérieursau collège. Quatre sont définis :1 - le parcours citoyen, 2 - le parcours d’éducation artis-tique et culturelle, 3 - le parcours avenir, 4 - le parcours santé.

Pratiquement, c’est dans lecadre du “parcours citoyen” qu’unpartenariat existant déjà depuisdeux ans entre le collège de moncollègue et une association s’oc-cupant d’adultes handicapés vaêtre valorisé.

Je prends le risqued’une conclusion…

J’arrête cette présentation déjàfournie, laissant volontairementdans l’ombre nombre de points :les enseignements “de complé-ment” (Langues et cultures del’Antiquité, Langues régionales) - àne pas confondre avec les “ensei-gnements complémentaires”, ledevenir des SEGPA, les nouvellesmodalités du Brevet...

Il est certes trop tôt pour porterun jugement sur cette “révolution”du collège, encore que beaucoupde ces méthodes aient déjà étédéfrichées par le passé dans di-vers endroits. Le grand pari est del’étendre aux quatre années si-multanément et à l’ensemble duterritoire, même si tout ne se réa-lisera pas partout et tout de suite.

Bien sûr, on voit déjà se dessinerles points de blocage possibles :difficultés d’organisation de l’em-ploi du temps et de l’utilisationdes salles, limitation des moyenshoraires disponibles, et surtouténorme effort demandé aux en-seignant(e)s et aux administratifspour se former, se concerter, ima-giner, mettre en œuvre et mener àbonne fin cette multiplicité d’ini-tiatives. Mais c’est paradoxale-ment là aussi que réside l’intérêtde cette réforme : présenter à desélèves qui vivent aujourd’hui dansun monde global et interconnectéun savoir moins parcellisé, plusunifié et plus en phase avec leurvie aujourd’hui et demain, ainsiqu’une initiation à des démarchesde projet. Et tout autant, ce quin’est pas le moins intéressant,miser sur la liberté et l’inventivitédes enseignants pour travailler enéquipe et élaborer des contenuspertinents susceptibles de piquerla curiosité de leurs élèves et deles conduire à la réussite. Jen’imagine pas que des ensei-gnants chrétiens puissent ne passe sentir concernés…

Gérard FischerReims - août 2016

1/ www.reformeducollege.fr2/ www.education.gouv.fr/pid32484 /college-2016.html3/ www.reformeducollege.fr/textes-officiels/socle-commun4/ www.reformeducollege.fr/cours-et-options/ap5/ www.reformeducollege.fr/cours-et-options/epi6/ www.reformeducollege.fr/cours-et-options/les-parcours-qu-est-ce-que-c-est

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Alors qu’avec une collègue nous dis-cutons de la place et du rôle du corpsdans l’enseignement, et plus particu-lièrement de posture : “Figure-toi qu’ilm’est arrivé un truc incroyable l’autrejour ! À son habitude, A. gardait une at-titude renfermée, taciturne, presqueprostré sur sa chaise. Vu que danscette classe de seconde profession-nelle ce ne sont pas les hyperactifs quimanquent, j’avoue qu’à part quelquesremarques de pure forme, je le laissegénéralement tranquille, trop occupéeà calmer et à canaliser les agités. Maiscomme il avait l’air particulièrementabattu, à un moment je me suis appro-chée de lui, doucement. Et comme ilavait les yeux baissés, le regard obsti-nément tourné vers la table, je me suisaccroupie pour pouvoir le regarderdans les yeux, et lui ai simplement de-mandé : ‘A., il y a quelque chose qui neva pas ?’ Sur le coup, il n’a rien ré-pondu ; mais depuis, il est métamor-phosé : il me dit bonjour en entrant enclasse, sourit, participe…” (Je repenseau titre d’un livre de Christian Bobin :Le Très-Bas.)

Vivre ensembleDerrière ces deux termes tellement

utilisés qu’ils sont devenus fourre-tout,quelle réalité dans le quotidien d’unétablissement scolaire ? On pourrait lesrelier à celui de différences ; des diffé-rences qu’il s’agirait d’accueillir, d’ac-cepter, et même d’apprécier. Maisaussi à celui de posture ; à des jeunesqui arrivent si souvent avec des habi-tudes de face-à-face, de confrontation,voire d’affrontement, proposer de fonc-tionner aussi côte à côte.

En classe de seconde, au tout débutde l’année scolaire, une demi-journéede randonnée dans Paris, par petitsgroupes, permet de faire connaissanceet de voir dans l’enseignant un accom-pagnateur, le topoguide et la conduite

de chaque groupe étant confiés, à tourde rôle, à un élève. Une initiative qui n’acertes ni l’ampleur ni l’ambition desstages d’intégration, mais qui, à moin-dre coût, offre de beaux moments departage et d’émerveillement, ainsi qued’heureuses surprises dans les restitu-tions très librement proposées : des-sins, photographies, petits textes envers ou en prose, et même prière d’ac-tion de grâce !

Tout au long de l’année, en secondetoujours, une après-midi “banalisée”,c’est-à-dire sans cours, est réservée àla vie de classe, au sens large. Enca-drée par les deux professeurs princi-paux, voire par d’autres membres del’équipe pédagogique lorsqu’elle est,par exemple, consacrée à une sortie,elle permet notamment de libres dis-cussions sur le quotidien des élèvesainsi que de très utiles séances surl’orientation. Avec l’expérience, elle mesemble instituer un temps précieuxd’information, d’échange, de débat, deréflexion collective, questions et ré-ponses émanant aussi bien des élèvesque des enseignants. Le dispositif pa-raît de prime abord flou et contrai-gnant ; mais dès qu’il a pris un sens –et il en prend un parce qu’ensemble, onlui en donne un – il n’est plus jamaisremis en question. Il n’est d’ailleurs pasrare que quelques élèves, et pas tou-jours les mêmes, débordent du tempsréglementaire, c’est-à-dire de la duréeque les enseignants se sont, dès ledébut, engagés à ne pas dépasser.

Pour terminer ce modesteflorilège, quelques motssur une aventure que je nesuis pas près d’oublier.

Depuis plusieurs années, une petiteéquipe de collègues accompagne ungroupe d’élèves volontaires dans lecadre du CNRD (Concours National de

Pépites de vivre ensembleMétier

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la Résistance et de la Déportation*). En2014-2015, le thème proposé était : Lalibération des camps nazis, le retourdes déportés et la découverte de l'uni-vers concentrationnaire. Au cours deses recherches dans les archives muni-cipales, le groupe en vient à s’intéres-ser de plus en plus à la destinée de D.,jeune fille de la commune qui a survécuà la guerre non parce qu’elle est reve-nue vivante des camps de concentra-tion, mais parce qu’elle a été sauvée inextremis de la déportation. Du coup,assumant le hors-sujet et délais-sant l’orientation annuelle duconcours, les jeunes se met-tent en tête de la retrouver etd’entrer en contact avec elle.Après de nombreuses péri-péties, c’est chose faite. Etle contact est tellementchaleureux que l’enfantcachée dans la cam-pagne française jus-qu’à la fin de laguerre, devenuedepuis dynami-que vieille dame ayant fait sa

accepte d’effec-tuer le voyage pour rencontrer les ly-céens. Surprise… et inquiétude aussi,vu les dispositions, à l’égard d’Israël etdes juifs, d’une forte majorité de nosélèves, encouragés dans l’outrance etla détestation par des sites, notamment“complotistes”, qui participent de laface très sombre d’Internet. C’est unpeu le branle-bas de combat dans l’éta-blissement et dans la ville, la munici-palité souhaitant s’associer àl’événement. Divers moments intensesrythment celui-ci, et en particulier le té-moignage de D. suivi d’une discussionà bâtons rompus, dans l’amphithéâtredu lycée plein à craquer, où se pressent

entre autres des élèves de Terminale.Qui entendent, éberlués, cette honora-ble vieille dame raconter son sauvetagede la barbarie nazie puis sa jeunessemilitante aux débuts de l’état d’Israël ;parler de son rejet viscéral des religieuxzélés ; se définir comme juive et athéeparce que ces deux qualificatifs corres-pondent bien à sa culture et à ses en-gagements proches du communisme ;expliquer que, voulant à tout prix éviterà ses futurs enfants d’avoir un jour

honte de leurs racines juives, oud’être maltraités à cause

d’elles, elle avait décidéde s’établir en Israël ;

condamner la poli-tique du gouver-

nement de sonpays au sujetdes territoireso c c u p é s .Deux heuresmémorables

pour tous ceuxqui ont eu la

chance de lesvivre. Au moment de

rentrer chez elle, D. in-vite solennellement le

petit groupe de cher-cheurs (sept élèves et

leurs enseignants accompa-gnateurs) à venir en Israël l’année sui-vante. Après réflexion et accord mesurédu chef d’établissement, les préparatifscommencent dans la prudence…jusqu’au 13 novembre 2015 qui inter-rompt brutalement cette initiative ex-traordinaire, ainsi d’ailleurs que les plusbanales sorties scolaires.

P. L.Île-de-France

* Ce concours fournit sa trame au film Leshéritiers.

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vie en Israël,

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Avant d’être un lieu de transmis-sion et d’apprentissage, l’école estun lieu de rencontre où se croisentet se côtoient des personnesd’âges, de statuts, de cultures etde niveaux sociaux souvent très dif-férents. Et cette cohabitation estloin d’être simple et évidente.

De multiples groupes restreintsévoluent dans un même établisse-ment scolaire depuis le groupeclasse (le plus organisé et le plusvisible) jusqu’au groupe – cour derécréation (le moins organisé) enpassant par le groupe des profes-seurs, l’équipe de direction ou l’as-sociation des parents d’élèves…

Vivre en groupe dans un établis-sement scolaire n’est pas inné.Les savoir-être et les savoir-fairesociaux ne sont pas des prérequisà l’école. Vivre ensemble celas’apprend au jour le jour et sanscesse. Certains sont capablesd’apprendre cette culture1 de ma-nière implicite en regardant les au-tres se comporter ; quand d’autressont incapables d’apprendrequelque chose qui n’est pas expli-citement enseigné et de multiplesfois répété. Des savoirs pratiquesexistent ; mais l’Éducation Natio-nale tarde à les intégrer dans laformation initiale ou continue desenseignants par manque d’adap-tation aux nouvelles réalités caraujourd’hui il ne suffit plus, pourun enfant ou un adolescent, derentrer dans un établissementscolaire pour se sentir et seconduire comme un élève.

Comment donc aiderl’enfant à occuper une posture d’élèvedans la classe ?

La 1er étape concerne l’ensei-gnant : quel désir a-t-il que laclasse devienne un groupe et passeulement un rassemblementd’individus isolés et en compéti-tion les uns avec les autres ? Quepense-t-il de la coopération et del’entraide entre collègues ?Quelles valeur et place accorde-t-ilaux savoirs pratiques (ceux quiconcernent les relations) tout aulong de l’année scolaire ? Si l’en-seignant manifeste de l’intérêtpour ces questionnements, il ap-prendra2 les attitudes, démarchespédagogiques et savoirs néces-saires pour les transmettre autourde lui.

La 2e étape est une mise en pra-tique des acquisitions sociales del’enseignant dans le cadre scolaire.

Concernant le groupe classe, saconstruction passe par troisphases successives afin de créerde la cohésion entre ses membreset développer le sentiment d’ap-partenance de chacun au groupe :

faire connaissance les uns avecles autres,

se mettre d’accord sur ce queles membres du groupe vontfaire ensemble,

élaborer les règles et fairecontrat entre les participants surle vivre ensemble dans legroupe.

La première phase a pour fonc-tion de créer des liens entre lespersonnes présentes dans laclasse en mettant l’accent sur lesressemblances entre ceux qui vontcomposer le groupe ; il est bien en-tendu que l’enseignant participe àcette construction de liens. A tra-vers des exercices (comme le ta-bleau à double entrée des goûtsou des compétences) les uns et lesautres vont repérer leurs simili-tudes. Sentir que d’autres, dans laclasse, aiment les mêmes chosesque soi ou partagent les mêmesgoûts, rapproche ces personnesles unes des autres, crée des al-liances, modifie les réactionsspontanées.

Ces liens vont les conduire àéchanger, s’associer, collaborer àun moment donné entre elles.Faire connaissance met ensuitel’accent sur les différences, sur lesressources et les fragilités desparticipants en vue de transfor-mer les expériences de collabora-tion déjà vécues avec ceux qui seressemblent en soutien, épaule-ment, tutorat entre ceux qui ontdes ressources particulières etceux qui ne les ont pas. Une sortede troc peut s’installer au fur et àmesure de la vie du groupe entreélèves.

La deuxième phase a pour fonc-tion de rassembler les partici-pants autour d’objectifs communset de les conduire à se sentir par-tie prenante de la classe. Cetteétape développe l’adhésion dechacun aux orientations énoncéesdans et par le groupe.

Faire groupe en classeMétier

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Durant cette étape (qui se re-nouvellera de nombreuses fois aucours de l’année scolaire et àchaque fois que l’enseignantaborde un nouveau chapitre deson programme), l’enseignanténonce qu’il cherche maintenantà “rassembler” autour de lui lesparticipants à travers un jeu dequestions – réponses pour donnerdu sens à ce qui va être fait enclasse, pour rechercher le consen-sus entre les participants sur l’in-térêt d’aborder tel ou tel aspect duprogramme et permettre à chacunde trouver des réponses à la ques-tion “à quoi ça sert d’étudier tel outel sujet ?” Ce moment d’échangesur les objectifs du groupe peutêtre mené dans la spontanéité,sans règles et sans contraintes.L’enseignant observe alors, touten animant les débats, comments’organise la dynamique dugroupe autour des individus qui lecomposent : ceux ou celles quiparlent tout le temps, ceux quin’arrivent pas à parler, ceux qui nes’impliquent pas dans la discus-sion, ceux qui adhèrent au dernierpropos tenu...

Et c’est en s’appuyant sur lesfonctionnements et les dysfonc-tionnements du groupe que l’en-seignant pourra conduire legroupe dans la 3e phase qui ré-pond à la question “de quelles rè-gles avons-nous besoin pour quechacun trouve sa place dans legroupe ?”.

Ce troisième moment doit se dé-rouler dans un climat apaisé pourpermettre les échanges et discus-sions et pour rechercher ensem-ble un consensus pour arriver àfonctionner. L’attitude de l’ensei-gnant à l’égard des règles est iciprimordiale. Il est nécessaire qu’ilne se sente pas “énonciateur” desrègles et devant ainsi les justifiermais “locuteur” comme chaqueparticipant ; c’est-à-dire devant sesoumettre aussi lui-même aux rè-gles qui régissent la vie de laclasse. Car les règles se discutentavant de s’imposer. La discussionpermet l’appropriation raisonnée.

L’enseignant mettra en évi-dence, au terme des échanges,les règles partagées par la majo-rité, sinon la totalité des partici-

pants, qui constitueront le NOUScommun vers lequel chacun devraessayer de tendre au fur et à me-sure du temps pour se les appro-prier. Il repérera le nombred’individus (MOI) qui dans legroupe s’écartent par leurs atti-tudes du NOUS commun et quispontanément constitueront lesforces centrifuges avec lesquellesil devra composer.

Au retour de chaque congé sco-laire l’enseignant peut consacrerdu temps à l’amélioration desliens entre les membres, à la re-définition des objectifs communset à la régulation des conflits liés àla transgression des règles et auxdissemblances entre les partici-pants. Lorsque ce travail est menéde manière régulière, raisonnableet paisible il produit des effets du-rables sur certains enfants qui sè-ment en dehors de la classe lessavoirs sociaux ainsi acquis.

Édith Tartar GoddetPsychosociologue

Présidente de l’ap2eassociation protestante pour

l’éducation et l’enseignement

1/ Il s’agit des attitudes, conduites etnormes de jugements sociaux utilespour se conduire parmi les autres etfaire avec eux. Ils se nomment : so-cialisation, identification à son statutet ses rôles, sentiment d’apparte-nance, coopération, désir de travailleravec d’autres…2/ Les lectures, formations peuventconcerner la dynamique du groupe, letravail en équipe, le développementde l’intelligence interpersonnelle, lesjeux coopératifs.

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La paroisse n’a pas toujours eubonne réputation. J’ai le sentiment queles choses ont un peu évolué, mais,dans les années 70-80 en tout cas, ilétait fréquent de l’accuser d'être uneforme dépassée, témoin des temps dechrétienté, à la fois révolus et honnis.Je sais bien qu’il peut y avoir des cas oùla vie paroissiale devient impossible,que ce soit à cause d’un curé insup-portable ou de laïcs qui peuvent l’êtretout autant. Cependant mon expériencepersonnelle de la vie en paroisse, quej’ai toujours privilégiée comme cadre dema vie chrétienne, me semble plutôtpositive : aussi voudrais-je tenter au-jourd’hui en quelque sorte de “prêcherpour ma paroisse” !

Depuis près de trente ans je suis “uneouaille” – étymologiquement “une bre-bis” (ouis en latin), mais je ne bêle pastrop ! – de la paroisse de Saint-Jacquessur Darnétal, qui regroupe onze vil-lages, dont celui où j’habite. C’est unterritoire situé à proximité de Rouen, oùil reste quand même quelques agricul-teurs mais aussi un bon nombre de“rurbains” qui vont travailler tous lesjours à la grande ville. Ceux qui sont en-gagés dans la vie paroissiale appar-tiennent à des milieux divers plutôt àdominante classes moyennes (ensei-gnants, médecins et personnel médi-cal, techniciens et ingénieurs), maispas seulement. En fait quand je m’in-terroge sur le métier présent ou passé(vu qu’il y a quand même un bon nom-bre de retraités) de tel(le) ou tel(le) (lesfemmes, il faut le souligner, jouent unrôle essentiel), je ne puis pas toujoursrépondre, ce qui, après tout, est plutôtbon signe : la situation sociale n’est pasle critère dominant ; je connais Jacque-line, Philippe, Annick ou Jean etquelques autres d’abord comme despersonnes avec lesquelles je me senssur un pied d’égalité. Et il n’y a pas tel-lement d’endroits dans notre monde oùil en est encore ainsi.

Depuis trente ans, j’ai connu quatrecurés, dont le dernier nous quitte enseptembre pour retourner dans son Ca-meroun natal. Même s’il a fallu s’adap-ter au caractère et à la personnalité dechacun (et ils ont dû aussi, les pauvres,s’adapter à leurs paroissiens et aux ha-bitudes locales !), j’ai toujours réussi àtravailler avec eux et avec tous ceux quiprennent des responsabilités dans lavie paroissiale : participation au conseilpastoral, équipe de préparation au ma-riage (et là, on est vraiment confronté àla base, à des fiancés toujours sympa-thiques venant de milieux divers mais leplus souvent très éloignés de l’Église etde toute culture chrétienne), animationd’ateliers de formation sur la foi. Nousavons même vécu une année sans curérésident, ce qui a été l’occasion de seserrer les coudes autour de Jean-Paul,nommé délégué pastoral, pour fairevivre la paroisse. Même s’il a pu y avoirquelques incidents, comme cettemesse de la nuit de Noël où nous avonsattendu en vain le prêtre qui devait cé-lébrer et que nous avions oublié de re-lancer, nous nous en sommes plutôtbien sortis, je crois, réussissant même àproposer du nouveau comme cette lec-ture intégrale à plusieurs voix de l’Évan-gile de Marc, pendant le Carême.

Lieu de travail en commun, ma pa-roisse est aussi un vrai lieu d'amitié : ilsuffit de venir à la messe du dimanchepour constater que nous formons unevraie famille où l’on s’attarde à la sortiepour demander des nouvelles les unsdes autres et des familles respectives.

Certes tout n’est pas parfait. Malgréune aumônerie qui eut ses heures degloire et des messes (au moins une foispar mois) animées par les jeunes, lacommunauté vieillit et nous souhaite-rions qu’elle puisse s’ouvrir à davan-tage de personnes mais ce n’est pasfacile d’attirer les générations nou-velles et de s’ouvrir davantage sur l’ex-

Plaidoyer pour ma paroisseÉglise et Foi

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térieur. En tout cas, notre paroisse est,de l’aveu unanime et même s’il fautparfois songer à ménager certainessusceptibilités (le choix des animateursde chants n’est pas toujours simple lorsdes grandes fêtes...), un lieu où il faitbon vivre et se rencontrer, ce qui n’estfinalement pas si mal.

Je voudrais, pour terminer et mêmesi c’est très vilain de se citer soi-même,reprendre le petit texte que j’avais pu-blié dans notre journal paroissialContacts, quand, en 1999, notre grou-pement paroissial qui comprenait onzevillages donc onze paroisses est de-venu une nouvelle grande et unique pa-roisse de onze villages.

“Au moment où nous célébrons lafondation de notre nouvelle paroisse,l’étymologie du mot peut nous éclairersur notre condition de paroissiens. Leverbe grec (paroikein) qui est à l’originedu terme français, viale latin, signifie ‘habi-ter auprès de’, ‘séjour-ner parmi’. Son usagedans la traductiongrecque de la Bible valui donner la nuancede ‘séjourner commeétranger parmi’ : il estemployé en particulierpour évoquer la situa-tion d’Abraham, no-made partout où ilséjourne, même enterre promise, car levrai croyant n’est ins-tallé nulle part. C’estdans ce sens que cemot sera repris par lesauteurs chrétiens. LaPremière Épître dePierre (2, 11) appelleles chrétiens ‘gens depassage’ (paroikous).Le Pape Clément dans

son Épître aux Corinthiens, à la fin duIer siècle, s’adresse au nom de ‘l’Églisequi séjourne (paroikousa) à Rome’ à‘l’Église qui séjourne à Corinthe’. C’està partir de tels emplois qu’on finira parparler non plus de l’Église qui séjourne(paroikousa) à tel ou tel endroit mais detelle ou telle paroisse (paroikia).

Ainsi donc, la paroisse, étymologi-quement, est un séjour précaire et pro-visoire : comme l’écrira à la fin du IIe siècle, l’auteur de l’Épître à Dio-gnète : ‘Toute patrie est pour les chré-tiens une terre étrangère, et toute terreétrangère leur est une patrie’. Bref, êtreparoissien c’est le contraire d’être ins-tallé, ou, si l’on veut, nous sommestous des immigrés !”.

Jean-Louis GourdainRouen

Église et Foi

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Paroisse de Saint-Jacques sur Darnétal

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Oui ! J’avoue. J’avoue avoir été“enfant de chœur” dans ma primejeunesse. J’avoue qu’étant mala-droit dans le maniement de l’en-censoir, je n’étais que porte-croix.J’avoue que nous étions une ri-bambelle de “petits diablotins” par-fois plus prompts aux singeriesqu’au recueillement. J’avoue qu’ilétait parfois difficile, les yeux en-core engourdis de sommeil, de selever tôt pour servir la messe quo-tidienne. Mais j’aimais ça etj’avoue que, dans cette petiteville du bord de mer où je pas-sais mes vacances, j’étaisheureux de rendre service.Et je me souviens encoreque les paroissiens heu-reux de voir un peu l’en-fant du pays endosser

Les servants d’autel :“des bras et des cœurs”

Église et Foi

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À la rubrique “servants d’autel”du portail de la Liturgie Catho-lique, on peut lire ces quelqueslignes entre autres : “L’Égliseconnaît aujourd’hui un véritablerenouveau de la fonction des ser-vants d’autel dans notre pays.Dans de nombreuses paroisses,on assiste à la création de

une expérience fraternelle deconvivialité, de découverte et devie en Église”.

Comment ne pas se réjouir dece que des enfants et des jeunespuissent découvrir non seulementqu’ils ont leur place dans nos as-semblées, mais encore qu’ils peu-vent rendre service !

une autre tenue de service,m’avaient, le jour de mon ordina-tion, envoyé des gerbes de fleurs…

En consultant les pages d’Inter-net consacrées aux servants d’au-tel, j’ai été étonné du dynamismede ce mouvement à en juger parla quantité et la qualité des propo-sitions qui sont faites.

groupes à l’initiative de parents,catéchistes, prêtres ou sémina-ristes. Actuellement plus de30 000 enfants et adolescents sesont engagés dans ce service ettrouvent ainsi leur place dans nosassemblées.

Cette pastorale dépasse le seulservice liturgique. Elle est un lieude proposition et d’approfondis-sement de la foi chrétienne. Lesjeunes y trouvent une formation li-turgique, une certaine catéchèse,

Au fil des pages, on peut décou-vrir qu’il existe une revue Servirdestinée aux servants d’autel, qu’ilexiste des propositions de forma-tion, de rencontres, mais aussi desjeux, des quiz, (le jeu des couleursliturgiques, le jeu des apôtres, lejeu des objets liturgiques par exem-ple)… et bien sûr des invitations àparticiper aux grandes célébrationsdiocésaines, à des pèlerinagestelles celles du pèlerinage àLourdes en octobre 2016.

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Telles sont bien les réponsesque deux frères et leur sœur m’ontdonnées quand je les ai interrogésquant à leur fonction de servantsd’autel dans notre paroisse, de-puis cinq ans pour les deux frères,et quatre ans pour la petite sœurqui a voulu les suivre. Ils disentêtre heureux de pouvoir “apporterà l’Église”, “d’apporter au prêtreun soutien”, de “connaître Dieu unpeu mieux” et “de connaître, àtravers des rassemblementsd’autres jeunes qui sontcomme eux”…

Je me permets quelques ré-flexions et une interrogation.

C’est une chance de voir le sé-rieux et l’investissement de cesgarçons et filles qui, encore unefois, disent être heureux de ser-vir. Participer activement à la li-turgie leur permet d’éduquerleur goût au beau et au sacré.Encore faut-il qu’il existe desadultes ou des grands jeunesqui acceptent de consacrer dutemps à cette éducation.

C’est une chance et unegrâce qu’à travers ce service, ilsse découvrent utiles, se sententreconnus comme ayant leurplace dans la vie de l’Église etde la communauté locale quiest la leur.

C’est une chance que soit signi-fié de façon concrète et un peu“solennellement” le bien fondé duservice qu’ils exercent à travers le“cérémonial” de remise de l’aubeet de la croix. Ce rite est aussi unemanière de remercier ces jeuneset ces enfants de leur fidélité à ac-complir leur service.

C’est une chance que tous dé-couvrent à travers leur service li-turgique et la formation quil’accompagne, un peu de l’intelli-gence des Écritures, un peu des

attitudes et des connaissances in-dispensables pour le service del’autel, un peu de l’intelligence dela liturgie.

C’est une chance que l’Églisepuisse compter sur les servantsd’autel, qui sont en quelque sorte“des bras et des cœurs”. S’ils sontdes bras pour aider, ils sont aussides cœurs qui saisissent de l’inté-rieur quel est Celui qu’ils servent.

mais je serais curieux d’en connaî-tre les raisons. D’autant que laproposition de vivre ce service estfaites tout autant aux filles qu’auxgarçons !

Quels pourraient donc être lesarguments qui empêcheraient lesfilles de servir, d’avoir du goûtpour le beau et le sacré, de s’in-vestir dans la communauté chré-tienne par le service de l’autel ?

Soyons honnêtes ! Des braset des cœurs dans nos commu-nautés, il en existe. Et c’est heu-reux ! Pour ce qui concerne les“tâches pratiques” de l’église,ce sont majoritairement desfemmes. Qui s’occupe du ran-gement, du ménage, de l’entre-tien des linges liturgiques, de ladécoration florale, du repas-sage des aubes, du nettoyagedes vases sacrés, de la rédac-tion et de l’impression de lafeuille de chants, et souvent dela permanence et de l’accueilquand ce n’est pas la gestiondes commandes d’hosties, devin de messe ou d’encens ?

Oui, j’avoue être profondé-ment heureux de voir des gar-çons et des filles endosser,pour un temps la tenue du ser-vice qui est la leur. Je reste ce-

pendant un peu contrarié quandce service, lorsqu’il est accomplipar des filles, suscite autantd’étonnement et réprobation de lapart de certains.

Priver ces filles de servir dans lechœur, c’est peut-être leur refuserde mieux connaître Celui qu’ellesveulent servir, mais c’est probable-ment, pour les communautés chré-tiennes, prendre le risque de nepas assumer leur tâche éducative.

Yves Chalvet de RécyVal-de-Marne

Église et Foi

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J’en viens à mon interrogation etelle est double : comment se fait-il que dans certains lieux d’Église,il est hors de question de recourirà des “servants d’autel” ? Je n’aipas à juger. Il y a certainementdes raisons. J’aimerais que l’onm’explique. Et ma deuxième inter-rogation : comment se fait-il que làoù existent des servants d’autel, lafonction soit parfois “exclusive-ment” réservée aux garçons ? Lesfilles seraient-elles mises àl’écart ? N’auraient-elles pas lesmêmes droits ? Je n’ai pas à juger,

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Né en 1933, ordonné prêtre en1958, année du retour du généralde Gaulle, de la mort du pape Pie XII, de l’élection de Jean XXIIIet de l’annonce du Concile Vatican II, je suis arrivé en activitépastorale dans une époque boule-versée qui faisait encore partiedes “trente glorieuses”. L’ActionCatholique enfants, jeunes,adultes, était encore florissante ;la pratique religieuse était infini-ment supérieure aux 5 % qu’elleatteint en 2016 chez la “Filleaînée de l’Église” et les catéchisésétaient encore nombreux, demême que les baptêmes ou lesmariages. Si je tiens à me situer,c’est parce que mon cursus prendplace dans cette tranche-là, 1958-2016.

Il m’a été demandé d’apporterma réflexion autour de ce thème“Faire ensemble pour vivre en-semble”. Dans ce que je vais par-tager, j'opérerai parfois unebascule : “Vivre ensemble pourfaire ensemble”, un peu une “tête-bêche”.

Le vivre-ensemble n’estpas un choix de vie

On ne choisit pas sa famille ; lamondialisation ou l’Europe, es-pace Schengen ou pas, fait quemaintenant, sur un territoire, noussommes amenés à vivre dans nosquartiers avec des gens d’origineet de culture différentes de cellesdes “Français de souche” ou“blancs de race” (?) disent cer-tains... et même de religion diffé-rente : la France, pays aux mille (etplus) églises et chapelles, voit peuà peu des minarets de mosquéess’élever.

Dans certaines villes, le pouvoird’État doit légiférer et taxer lesmunicipalités qui refusent de met-tre à disposition appartements etlogements pour l’habitat social :les municipalités paient desamendes pour exclure les “pau-vres” ! Dans les quartiers, les of-fices d’HLM ou d’OPH1 achètentde ci de là des maisons indivi-duelles afin d’y loger des famillesmonoparentales ou des “RMistes”(RSA aujourd’hui), pour briser laghettoïsation. Mais les “cas so-ciaux” comme les appellent lesgens, sont épinglés, montrés du

doigt : c’est “lecas social ducoin’.

Entre l’Égliseet l’école, çan’allait pas desoi : par exem-ple, entre 1963et 1995, je suisallé à toutes leskermesses desécoles de monquartier ; or,

aucun instituteur ni directeurd’école n’est jamais venu faire untour à la kermesse paroissiale, quia lieu début septembre. Alors,c’est “venez chez moi, mais jen’irai pas chez vous ?” Aucun saufun, Jean-Marie, qui est devenumon ami ; et sauf l’ancien mairecommuniste de Calais, Jean-Jacques Barthe.

Vivre ensemble ne vapas de soi

Où ça commence et où ça finit ?Je ne me vois pas aller en va-cances avec des familles de monquartier ; nos valeurs, c’est-à-direce à quoi on attache de l’impor-tance, ne sont pas les mêmes.Même chose d’ailleurs pour les“bourgeois”. Je ne me vois pasvivre en colocation : j’ai vécu plusde 25 ans de ma vie en équipe devie et logement commun de prê-tres, il y avait certaines astreintesdues à la vie en commun.

Je n’ai pas choisi de venir vivre àCalais : j’y ai été envoyé en 1963,mon origine rurale ne me préparaitpas à vivre dans des cités ou-vrières, des cités “pauvres” (“j'ha-bite à Cartonville” ai-je entendu, ou“j'habite dans les UK100”, des ba-raquements venus du Canada) àforte densité familiale, au milieudes HLM du Fort Nieulay2, ou de laZUP du Beau-Marais2, pas plusque je n’étais préparé à fréquenterles détenus du Centre Péniten-tiaire de Longuenesse3 (où j’ai étéaumônier).

Sans vivre ensemble “cul et che-mise”, vivre en proximité passepar un faire ensemble ; c’est tou-jours l’histoire de la poule et del’œuf : on constate que plus on vit

Autour du mot “ensemble” :vivre ? faire ?

Église et Foi

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UK 100

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ensemble, plus on fait ensemble,et réciproquement... Et plus on vitensemble, plus on SERT l’ensem-ble, en visant bien ses besoins,ses aspirations, ses possibilités ;on s’adapte ; la fonction crée l’or-gane. L’important pour moi, c’estde servir, être au service, àl’écoute et accompagner, et si pos-sible créer avec. Travailler avec,permettre à l’autre et aux autresde prendre leur place, c’est les ré-véler à eux-mêmes : “t’es pas pluscon qu’un autre, tu peux faire”.

À propos du faire ensemble, ilne faut pas se payer ni se gargari-ser de mots : “tous ensemble, tousensemble”, oui, slogan bienconnu ! Mais il faut surtout faireAVEC et non pas pour l’autre ; avecet non pas vers... (genre dame pa-tronnesse, quand on va “vers lespauvres”, comme chantaitJacques Brel). Certes, il y a sou-vent besoin d’un leader ; mais pasd'un Führer ! Travailler “l’avec”donne à tout un chacun la possi-bilité de montrer ce qu’il peut déjàfaire. Il ne faut pas être le “fai-tout” : “je fais tout, je sais faire,avec moi ce sera bien fait ... cesera nickel”, et ça va tellementplus vite de “faire pour” plutôt quede “faire faire” ou de “laisserfaire”, y compris des bêtises (cf.l’enfant disant à ses parents “c’estmoi tout seul”). Du coup on para-lyse les autres, on les empêche defaire... Dans certaines associa-tions de parents d’élèves, le dan-ger existe : j’en ai connu où c’étaitl’instituteur qui dirigeait, qui faisaitles convocations, menait les réu-nions ; et aussi lui qui tenait lacaisse, car “les gens volaient !”.C’est celui qui a le savoir qui a lepouvoir, et il ne le partage que par-cimonieusement. Dans leséquipes d’animation paroissiale,on a tendance à refiler le boulot àla personne qui “sait” : qui “sait”parler, s'exprimer, ou qui “saitfaire” les comptes-rendus... Or,

faire avec, c'est veiller à ce que “leplus petit” puisse vivre et faire.

Dans l’Église, je pense qu’on apeur du vide, et peur d’oser, peurde demander. Actuellement, lesprêtres en âge de bosser se fontune denrée rare ; alors on faitvenir sous contrat des prêtres afri-cains ou asiatiques qui “bouchentles trous”, qui sont parfois pau-més dans notre société, nos com-munautés chrétiennes ; certainsfrisent l’inadaptation. Mais dansles temps anciens de la colonisa-tion des “petits noirs” ou “petitsjaunes”, l’acculturation n’a pasété parfaite non plus...

Pourquoi ne pas s’appuyer surles communautés de base ? Fairevivre l’humus local ? Pourquoiavoir supprimé les ADAP4 ? Au FortNieulay, de 1983 à 2007, il y a eu4 à 5 équipes d’ADAP. Après on a“regroupé” les paroisses ; et main-tenant on relance les Célébrationsde la Parole, avec ou sans com-munion. Nos évêques devraient seformer à devenir des DRH compé-tents : la gouvernance de l’Églisese fait par à-coups, on n’anticipepas assez, on bouche un trou, puisun autre... Pour faire ensemble, ilfaut prévoir, c’est la tâche des res-ponsables. Mais encore faut-il pro-poser des pistes d'actions.Actuellement, l’Église de Franceloupe un passage, une mort-ré-surrection.

Tout cela étant posé, j’écris en-core deux choses. Après les évé-nements de janvier 2015, j'ai vufleurir sur les pare-brise des ca-mions “je suis Charlie”, ou “noussommes tous Charlie” ; avec ceque nous vivons au printemps-été2016, je vois apparaître le slogannous sommes “tous des cas-seurs”... Cela m’inquiète que lesgens soient ainsi formatés par lasociété. Ensemble ne signifie pas“fusion”, abandon du soi. Onn’existe plus que par rapport à un

ensemble dans lequel on se fond,derrière lequel on se cache.

D’autre part, en ce qui concernele Vivre ou le Faire-ensemble enÉglise, je vois de la création nou-velle : Diaconia, Magdala5, Se-cours catholique, une créationnouvelle naît : ce n'est plus seule-ment des secours distribués,même s’il y en a : c’est une actionpour que les gens relèvent la tête,se lèvent. Lisez Messages6. LesMouvements d’Action catholiquespécialisée fondent comme neigeau soleil ; mais il suffit de lire lesarticles de ces mêmes mouve-ments pour voir qu'il y a encoredes points chauds où ça vit et oùça rayonne. Le diaconat perma-nent n’est pas la panacée, mais lediaconat permanent masculin (enattendant qu’il se féminise ... c’est“en commission”, et chez le papeFrançois, les commissions ne sontpas pensées pour enterrer les af-faires) qui nous vient des apôtresest un signe parmi d’autres d’uneÉglise qui sait être à l’écoute del’Esprit Saint et de ses fidèles dela base. J’aime, dans les Actes desApôtres, “l’Esprit Saint et nousavons décidé”... pas l’un sans l’au-tre, pas l’un sans les autres !

Francis DelenclosPrêtre en paroisse ouvrière

St Antoine de PadouePas-de-Calais

1/ OPH = Office Public de l’Habitat.2/ ce sont des quartiers “populaires”de Calais.3/ près de Saint-Omer.4/ ADAP = Assemblée Dominicale enl’Absence (ou : en l’Attente) de Prêtre.5/ Association (1988) et commu-nauté d’Église en quartiers popu-laires, à Lille, tournée vers leQuart-Monde, les SDF, les sortant-e-sde prison.6/ Messages, publication mensuelledu Secours catholique, tire à 500 000exemplaires.

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Le dimanche 22 mai, environ150 personnes se sont retrouvéesà Angers et agglomération dansune démarche de paix.

Le collectif PAS (Paix, Action,Spiritualité) qui avait organisé l’andernier un jeûne pour la paix, ap-pelait cette fois à un après-midipartagé où nous sommes allésd’un lieu de culte à un autre lieude culte. Ce collectif est constituéde plusieurs associations : lesAmis de la Vie, le CCFD-Terre Soli-daire, le CERDI (Centre de rencon-tre et de dialogue interreligieux),Coexister qui s’emploie à créer dulien social au-delà des apparte-nances religieuses ou culturelles,Dhagpo-Angers fondée sur l'ensei-gnement du Bouddha, la Paix enmarche sur la Non-violence etRencontre avec l’Islam. Toutes cesassociations se retrouvent sur desvaleurs communes : reconnais-sance et respect de la diversitédes opinions, ouverture aux au-tres, promotion du dialogue et desactions solidaires.

L’après-midi a commencé à lamosquée de Trélazé, au sud d’An-gers. L’assistance était importanteet la mosquée pas bien grande.Nous nous sommes donc parta-gés en trois groupes qui se sontsuccédé dans la salle de prières,posant diverses questions : pour-quoi séparer les hommes desfemmes ? Pourquoi les hommes

sont-ils devant ? Est-ce difficile depratiquer le Ramadan ? Nous au-rions pu rester plus longtemps,mais il a fallu laisser la place augroupe suivant et respecter l’ho-raire prévu.

Une heure plus tard nous étionsreçus à la synagogue, bonne oc-casion pour certains d’entrer pourla première fois dans la syna-gogue d’Angers. Et quel symbole !En effet la synagogue est installéedans une ancienne église du XIIe siècle, mise à la disposition dela communauté par la ville d’An-gers. Quelques problèmes se sontposés dans la mesure où il s’agitd'un bâtiment historique : il fautrespecter les vieux murs. Autresurprise : la réunion se termine,comme à l’habitude pour la com-munauté israélite, par une prièrepour la République.

Restant dans le même quartierd’Angers, à quelques dizaines demètres, nous allons à la rencontrede la communauté bouddhiste.Cette communauté se réunit habi-tuellement dans une commune dela périphérie, mais, jouant le jeude la rencontre interreligieuse, lesbouddhistes se sont “relocalisés”,l’espace d’un après-midi, dans lecentre historique d’Angers. Pré-sentation, suivie d’un échangeavec les assistants : ces boud-dhistes angevins ont reçu pour laplupart une éducation chrétienne,

que cherchent-ils dans le boud-dhisme ? Pourquoi tous ces dra-peaux et fanions ?

Notre chemin nous fait ensuitegravir les degrés qui montent versla cathédrale d’où nous gagnonsle temple de l’Église réformée :deux personnes, l’une protestanteet l’autre catholique, présentent lechristianisme. Je suis d’abord unpeu surprise, je m’attendais à unéclairage approfondi sur l’Égliseréformée, alors qu’on nous a pré-senté le christianisme dans sonensemble, ce qui est bien logiquecompte tenu de la problématiquede la journée.

Tous les participants se retrou-vent ensuite dans une salle voi-sine pour un temps de prières etde recueillement : lectures etpièces musicales. Chaque com-munauté a choisi un texte présen-tant ses convictions.

Cet après-midi pour le moins ori-ginal s’est terminé autour du verrede l’amitié et de différents plats il-lustrant la diversité culturelle. Au-jourd’hui, plus que jamais, nouspartageons cette conviction affir-mée par le collectif PAS :

“Conscients que la paix ne coulepas de source, qu’elle se trouvemenacée en permanence, il nousapparaît nécessaire de travaillersans relâche à la faire grandir”.

Jacqueline Xhaard-BourdaisMaine-et-Loire

Des rencontres pour la Paix

Aujourd'hui, dans la nuit du monde [...]j’affirme avec audace ma foi en l’avenir de l’humanitéJe refuse de croire que les circonstances actuellesrendent les hommes incapables de faire une terre meilleure.[...]Je crois que la vérité et l’amour sans conditionauront le dernier mot.La vie, même vaincue provisoirement,demeure toujours plus forte que la mort.Je crois fermement qu’[...]il reste l’espoir d’un matin radieux.

Martin Luther King

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Qu’il est bon,pour des frères,d’être ensemble

Chant des pèlerinages, appartenant au recueil de David

Ah, qu’il est bon, qu’il est agréablepour des frères d’être ensemble !

C’est comme le parfum de l’huile précieuseversée sur la tête du grand-prêtre Aaron,et qui descend jusqu’à sa barbe,puis jusqu’au col de son vêtement.

C’est comme la roséequi descend du mont Hermon sur les hauteurs de Sion.Car c’est là, à Sion, que le Seigneurdonne sa bénédiction, la vie, pour toujours.

Psaume 133

Vitrail de Pontarlier. Photo Eugène Favreau

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Juin 2015Bientôt à Orly, un jardin par-

tagé va voir le jour sur un ter-rain près de la ludothèque. Cesjardins visent à proposer uneactivité de jardinage pour tous,ouverte sur l’échange, le partaged’expériences, le plaisir de contri-buer ensemble au développementdurable. Il ne s’agit pas d'espacespersonnels. Ce projet intergénéra-tionnel permettra de créer du lien so-cial entre les différents quartiers. Unautre objectif : travailler sur le volet del’insertion sociale et pro-fessionnelle avec la miseen place de chantierséducatifs.

Déjà plusieurs ren-contres se sont dérou-lées entre lesassociations parte-naires, la municipa-lité et les habitants.Plusieurs groupestravaillent à lacharte d’utilisa-tion, ou vont visi-ter d’autresjardins d’Île-de-France, ou recherchent des mé-cènes avec deux jeunes del’Association… Par ailleurs, deux autresjeunes vont créer un blog. Bien sûr laMunicipalité, en particulier le service en-fance, et Valophis1 (Habitations àloyers modérés) participenttant au niveau des personnesque des finances. Le serviceurbanisme est partie prenante.Il sera demandé une subventionde 10 000 € pour les investisse-ments, les achats d’outils…

De grands bacs sans fond serontinstallés en hauteur, et la terre seraajoutée pour permettre à chacun dene pas trop se baisser quel que soit

l’âge. Pour l’arrosage, l’eau de pluie serarécupérée à partir des toits des bâti-ments proches. Il est même prévu unrepas partagé cet été entre personnesfaisant partie du projet, pour appren-dre à se connaître.

Il faudra attendre le mois de sep-tembre pour les semis d’automne.Les cueillettes viendront plustard, et ce sera la fête pour dé-guster ensemble les produits ré-coltés.

Pour l’instant cette opéra-tion est positive : elle permetde parler d’autre chose que

du travail, d’aborder d’autres pro-blèmes, car les personnes sont enconfiance. Des liens sont créés, les gens

se mettent en relation. Le projet enest au niveau 1 : mise enplace des groupes de tra-

vail. Il faudra prévoir d’ins-crire dans le processus le

désengagement de l'ACER2.

Novembre 2015Le chantier pour la construc-

tion des bacs de jardinières acommencé. Un groupe de béné-

voles participe à cette action : unepersonne a fait un prototype de jar-

dinière et a formé leséducateurs. Le parte-nariat avec ValophisHabitat permet un fi-nancement à 100 %.Les deux jeunes quiaccomplissent letravail reçoiventun contrat de tra-vail et disposentd’une feuille depaie établiepar ECO 94,

association in-termédiaire.

Jardins partagésSociété

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Photos Suzanne Cahen

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Janvier 2016120 personnes se sont

déplacées (80 enfants et40 adultes) pour une pre-mière action depuis l’ins-tallation du cabanon etdes jardinières. Les en-fants des ludothèquessont venus décorer lestrois sapins mis à disposi-tion à cette occasion. Ilsont partagé le goûter pris en com-mun avec le centre de loisirs.

Le CCAS3 et le CAVS ont éga-lement pris part à cette mani-festation. Vu le nombre degâteaux préparés par les fa-milles, tout le monde a pugoûter. L’équipe de l’ACERavait préparé des choco-lats chauds.

Pour le jardin, les objectifs de 2015ont été atteints. 15 réunions publiquesse sont tenues, en 2015, avec 47 per-sonnes investies. Ces temps sont desmoments de réflexion, où tout se décidede manière collégiale : convention, bud-get, création d’un ABC du potager,concertation avec les partenairespour anticiper et aborderles problèmestechniques…Tous les quar-tiers de la villeétaient repré-sentés. Sur l'an-née, 170 person-nes dont 80 en-fants ont participéà ce projet.

Quatre jardins par-tagés ont été visitésen Île-de-France : ils’agissait de prendredes informations sur l’aménagement, lefonctionnement et les difficultés ren-contrées.

Mai 2016Le 18 mai, un photo-

graphe de Valophis Habi-tat viendra faire une photodu groupe pour l’article dujournal. On souhaite laprésence des jeunesayant participé aux chan-tiers éducatifs

15 personnes travaillentsur le projet. Une page Face-

book est mise enplace. Les trois récu-

pérateurs d’eau ontété installés, mais il

faut attendre que la Mai-rie fasse les raccorde-

ments. Les gouttières ducabanon alimentent un ré-

servoir. Chaque adhérentdisposera d’un abécédaire

du potager.

Des fraises, fèves, pommesde terre, radis, carottes, rhu-

barbe, citrouilles, fleurs etplantes aromatiques ont été plantés.Des permanences devraient être pré-vues entre 14 h et 18 h deux fois parsemaine pour commencer.

Nous espérons une inaugurationpour le mois de septembre.

Suzanne CahenOrly

1/ Opérateur social présent danstoute l’Île-de-France et principa-lement dans le Val-de-Marne. Ilintervient sur la totalité des mé-

tiers du logement social et offre ainsi, enaccompagnement des politiques urbaines etsociales des collectivités, des solutions di-versifiées leur permettant de répondre auxbesoins et d'accompagner les familles dansleur parcours résidentiel.2/ ACER : Association Clubs et Équipes deRue3/ CCAS : Centre Communal d’Action Sociale

Société

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Faire ensemblepour vivre

ensemble : quelbeau projet !

De fait cet objectif concerne toutle monde, toutes les classes so-ciales. Les familles Roms ne sontpas différentes. Certes à cause deleur habitat et de leurs activitéspour survivre, on les met à part.Ces familles ont les mêmes be-soins de vie et de reconnaissanceque les autres.

Cependant en ce qui meconcerne je n’ai pas encore réussià inviter les familles que jeconnais à rencontrer d’au-tres personnes. Je suis ce-pendant témoin de bellesréalisations initiées pard’autres qui permettentde vivre des moments derapprochements et de par-tage. Je m’emploie à direet à redire à ces famillesqu’il n’y a pas qu’elles quisubissent des discrimina-tions et que beaucoup degens souffrent. Ils ne sontpas les seuls à galérer.C’est important que peu àpeu ils le découvrent par eux-mêmes.

Le vivre ensemble est une lenteconstruction toujours à fortifier. Ilpasse par le “Faire ensemble”. Etcela concerne toutes les commu-nautés, toutes les associations.Regardons la “Journée mondialedu migrant et du réfugié” où lescommunautés heureuses de seretrouver bâtissent ce temps fra-ternel de prières, de chants, dedanses. Mais elles restent ensuiteles unes à côté des autres. Regar-

dons tel ou tel centre social qui dé-veloppe ces faire-ensemble à tra-vers des activités diverses, et quipeu à peu s’ouvre au plus grandnombre de personnes. C’est le“faire-ensemble” qui crée desliens entre les hommes, lesfemmes et les enfants.

Il y a des paliers à respecter. Lanotion de temps est très impor-tante. Il faut aussi s’armer de pa-tience.

Sortir d’unisolement

Les familles Roms que je ren-contre depuis plus de trois ans ontété longtemps très isolées.

des bénévoles et quelques per-sonnes faisant souvent partied’associations comme “Rencon-tres tsiganes” ou “Médecin duMonde”, ou Agir Tous pour la Di-gnité, ou Secours catholique, ouautres. C’est ainsi qu’Ardelian ouAlin, en France depuis 10 ans, nedisent pas un mot de français. Ilss’appuient sur leurs femmes quise font comprendre. C’est ainsiaussi que ceux qui ont obtenu unappartement grâce aux associa-tions ou à l’État continuent à re-joindre chaque jour leur famille,leur communauté, dans les squatstrouvés par d’autres. Car ils peu-vent, entre autres, y déposer leurferraille ou leurs trésors. C’est leurtravail ! Dans un appartement, ces

dépôts sont impossibles.

Ces familles aiment être“visitées”. “Quand reviens-tu me visiter ? Tu m’as ou-blié ? Pourquoi tu ne viensplus ?” La chaise ou lebord du lit est vite dépous-siéré. Quand il y en a, unverre de coca ou de caféest souvent proposé. Il nefaut pas trop multiplier lesvisites super rapides : leslangues se délient au boutd’un moment.

Les enfants scolarisés depuistrois ans commencent à avoir descopains “français” mais préfèrentencore rester entre eux ! Les en-fants sont l’espoir des familles etle nôtre. Car bien que la scolariténe soit pas évidente, c’est uneentrée vers “une forme d’intégra-tion et d’indépendance”. Le che-min sera long. Surtout pour ceuxqui entrent au collège directe-ment et qui n’ont jamais été sco-larisés. Je me réjouis de l’accueildes enseignants.

Changer de regardSociété

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Photo : Trace

Elles le sont encore. Chacuneest préoccupée en priorité par lanécessité de gagner un peu d’ar-gent pour nourrir la famille. Lereste (papiers, démarches, voiresoins) passe après. Cependant lascolarité des enfants devient peuà peu une priorité. Les adultes quin’ont pas été scolarisés dans leurpays et qui restent entre eux dansles squats ou les bidonvilles n’ontrencontré comme “français” que

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Autre barrière : celle de l’accèsà l’emploi. Ceux qui arrivent à tra-vailler grâce à une agence d’inté-rim ou qui bénéficient d’unchantier d’insertion en rencontrantd’autres travailleurs, font une ex-périence humaine différente.Quant à ceux qui, pour survivre,vendent sur la voie publique les af-faires trouvées dans les poubellesaprès des heures et des heures demarche ou ceux qui vendent la fer-raille (une tonne pour 20 ou 40 €)ils n’ont pas toujours la possibilitéde “parler” avec d’autres. Lesfemmes qui mendient et qui sontpostées au même endroit finissentpar créer quelques liens. Je suis té-moin à la fois de rejet et de solida-rité silencieuse.

Les accompagnements à l’hôpi-tal ou dans une administrationsont un bon point de départ. Onpartage les inquiétudes, les es-poirs au cours de ces très longstemps d’attente ! Joie d’obtenir lacarte AME (Aide Médicale d’État)ou tel papier administratif voireune carte grise ! Ces accompa-gnements sont des temps forts dedialogue, d’essai de communica-tion. On rassure ! On finit par secomprendre ! On se devine !

Le personnel médical, souventtrès respectueux et à l’écoute, estun réel réconfort. En revanche, lesuivi des soins et la prise régulièredes médicaments ne sont pas évi-dents. Prendre un cachet matin,midi et soir ne correspond pas àleur rythme. Ils n’ont souventqu’un repas par jour et pas forcé-ment le soir. De plus les boîtes demédicaments ont l’art de dispa-raître avec leur posologie ! Pas évi-dent pour un “étranger” de redirecomment prendre ce médica-ment, ni à quoi il sert ? Commentassurer les soins du bébé de trois

jours qui découvre sa nouvellemaison : le squat trouvé par sesparents dans lequel deux robinetsd’eau répondent aux besoins de200 personnes ?

La mise enconfiance

C’est important de dire à tel outel : “Oui tu es capable”. Peu à peules uns et les autres font des dé-marches seuls. Se rendre à unrendez-vous médical ou adminis-tratif, prendre un bus devient pos-sible. Pour certains les bus n’ontplus aucun secret. Seul manque leticket !

Mais beaucoup ont peur de nepas être compris et préfèrent unaccompagnement. “Je ne parlepas assez bien. Toi, tu sais !”.

Des initiativessont prises grâceà des bénévolesCe sont essentiellement des

personnes extérieures qui vontchez eux. Et pas encore l’inverse.Fête dans un squat avec desdanses, des performances acro-batiques, des jeux. Confectiond’albums de photos. Fête pourNoël. La fête du 8 avril, avec Lat-cho Divano1, a été un moment fortsur la place publique. Les collec-tifs du département (RencontresTsiganes, Médecin du Monde,CCFD-Terre Solidaire, Fondationabbé Pierre…) ont réalisé le 11 juin dernier, une magnifiquefête à Gardanne avec les famillesRoms accueillies par une munici-palité communiste depuis quatreans. Débats, expositions, standsdes associations, repas confec-tionnés par les familles, pièce de

théâtre qui racontait le parcoursde familles Roms. Texte proclaméen français et en roumain. Mo-ment magique où nous étions encommunion les uns avec les au-tres grâce à un spectacle ! Plus de2 000 personnes ont été pré-sentes ce jour-là (4 000 selon lesorganisateurs, 1 000 selon la po-lice ! 2 000 selon mon évalua-tion).

Ces rencontres festives sont desmoments forts. Ils sont le point dedépart pour créer un vivre ensem-ble et renforcer les liens. Mais il ya beaucoup à faire patiemment.Ce qui est sûr, c’est que les fa-milles arrivent toujours à contac-ter telle ou telle personne quand ily a un problème et des solutionsurgentes à trouver. N’est-ce pasimportant ? C’est une façon desortir d’un isolement.

Changer de regardsur l’autre, dans

les deux sens, estfondamental

Une question demeure et dé-passe la problématique des Romsvoire celle des migrants : avons-nous réellement au fond du cœurce désir du vivre ensemble ?

C’est un travail de longue ha-leine, un peu à l’image de la“construction” de notre fragile dé-mocratie, avec tous les défisqu’elle a à assumer en ces tempsde suspicions, de craintes et d’es-poir d’un autre monde !

Michèle BourguignonMarseille

1/ Latcho Divano : festival de culturetzigane à Marseille.

Société

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Jamais on n’a autant parlé devivre ensemble, de solidarité, defraternité et de respect mutuel.Comme une formule magique quipermettrait de conjurer un mau-vais sort, d’anticiper un danger im-minent, voire fatidique. Lasolidarité, depuis quelques an-nées a été galvaudée, le respectégalement. Ce sont des termesque l’on retrouve dans tous lesdiscours, de quelque bord qu’ilsviennent. À croire que ces valeurssont vraiment universelles et queles hommes n’ont véritablementqu’un seul et unique objectif, fairede ce monde une nouvelle et vraieutopie.

Le domaine, par excellence, dela mise en œuvre d’un tel projetest le domaine politique, là où lesidées sont débattues, s’actuali-sent, se réalisent, se transformenten actions. Les réformes multiplesque nous voyons fleurir dans lechamp de la politique territoriale,en sont un exemple remarquable.

Leurs objectifs sont simples etremplis de bonnes intentions :harmoniser les moyens écono-miques de toutes les régions ;équilibrer le poids de chacuned’elles dans les prises de déci-sion. Un poids identique ? Pastout à fait. Semblable ? Encoremoins puisqu’il convient deconserver au territoire son origi-nalité, son label. Alors, quoi ?Qu’est-ce qui motive ce désir devouloir faire toujours plus grand ?De concentrer, centraliser lespouvoirs ?

Les communes, il est vrai,lorsqu’elles comptent moins de1 000 habitants, pèsent peu dansles décisions politiques, sauf enpériode électorale. Elles disposent

de peu de moyens financiers pourassurer à leurs habitants les meil-leures conditions pour les servicesde l’eau, de l’assainissement, dela voirie...

La mise en place des commu-nautés d’agglomération ou decommunes a pour but de rétablirun peu de cette égalité qui est undroit fondamental à l’existence.Cela semble une excellente chose.

C’est pour cette raison que, de lafusion des communes participantà Cœur d’Ardennes autour deCharleville-Mézières, et à la com-munauté de communes du Payssedanais autour de Sedan, est néela communauté d’agglomérationArdenne Métropole. Mais, si l’idéesemble bonne, une lecture atten-tive du contrat laisse entrevoirquelques risques dans son appli-cation. Créée pour rendre le dé-partement des Ardennes pluscompétitif par rapport à Reims (latotalité de la population des Ar-dennes tient dans celle de Reimset de sa périphérie), la commu-nauté d’agglomération vise surtoutà répartir différemment le poidsdes charges qui, jusque-là, reposaitsur les communes-centres, Charle-ville-Mézières et Sedan. Ces deux

villes, en effet, disposent de toutesles infrastructures culturelles,sportives, de santé, de formation :piscine, médiathèques, écoles,collèges, lycées, cinéma, équipe-ment sportifs... ; aussi drainent-elles les populations descommunes alentour, qui bénéfi-cient de ces équipements. Rien àredire à cela, sauf que les chargespesaient uniquement sur lescontribuables Sedanais et Carolo-

macériens. Or, enraison de la situa-tion économiquedu département,les contribua-bles sont demoins en moinsnombreux à payerl’impôt et ce der-nier pèse de plusen plus lourd surles ménages im-posés. Il étaitdonc justifié defaire en sorte que

les communes “clientes”, partici-pent au financement de ces ser-vices. On appelle cela “soutenir lefait urbain”.

D’autres mesures prévues dansla loi incitent à faire tomber dansle pot commun de l’agglomération,la gestion d’équipements d’intérêtgénéral. Sur ce point, Charleville-Mézières, qui avait déjà mis enplace une communauté de com-munes Cœur d’Ardennes, avait untemps d’avance. Juste avant la fu-sion, elle avait transféré un nom-bre important de ses équipementset fait voter de nouveaux projets.Lors de la mise en place d’Ar-denne Métropole, ceux-ci ont été,de fait, inscrits au programme dela nouvelle agglomération. Si bienque rapidement, la marge restant

Communauté d’agglomération :entre intérêt particulier et intérêt général

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Charleville-Mezieres, Place ducale. Photo Henri Docquin

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pour le transfert de la média-thèque de Sedan, son centreaquatique, son stade, son centreculturel est apparue très (trop)étroite. Et ne parlons pas alors dela prise en charge des investisse-ments pour les autres petites com-munes ! Le piège, c’est que la loiprévoit que, plus grand est le nom-bre d’équipements d’intérêt géné-ral transférés, plus la dotationglobale accordée par l’État est im-portante et plus, en théorie, l’ag-glomération a de moyens detraiter de manière équitabletoutes les communes du territoire.

Dans le conseil communautaire,toutes les communes sont repré-sentées au prorata de leur popu-lation... Les décisions sont doncprises par (et pour ?) Charleville etSedan.

Toutefois, les deux villes n’ontpas à elles deux, la majorité. Ellessont obligées de trouver des al-liances pour faire passer les déci-sions prises en bureau. Lespremiers conseils communau-taires ressemblaient à des cham-bres d’enregistrement. Aujour-d’hui, un vent de fronde soufflesur les rangs de l’assemblée et lescommunes rurales s’organisentpour obtenir leur part du gâteau,mais chacune veut la plus grossepart. Dernièrement, on a assisté àun drôle de conseil : le président,et maire de Charleville, a proposéaux conseillers de partager équi-tablement une subvention del’État entre les communes (toutesles subventions passent par l’ag-glo qui les redistribue). Cette sub-vention était auparavant versée àchaque commune selon des cri-tères préétablis ; la préfecture, re-présentant l’État, pouvait ainsiannoncer à chaque maire, le mon-tant de la subvention qu’il allait re-

cevoir. Cette règle existe toujourset les différents maires ont donceu à connaître dernièrement, cequi théoriquement devait leur re-venir. Logiquement, certains per-cevaient plus que d’autres, maisla répartition n’était pas forcé-ment juste. Dans un soucid’équité, et pour aider les petitescommunes donc, le président aproposé de partager ladite sub-vention de manière que tout lemonde reçoive la même chose.Certains percevaient moins que cequi était prévu, d’autres plus.Charleville et Sedan, pour leurpart, perdaient dans cette situa-tion une somme d’argent impor-tante. Belle idée, donc, maisrejetée par les communes ruralesqui ne prétendaient pas lâcher unsou de ce qui leur était promis, auplus grand mépris de leurs voi-sines encore plus pauvresqu’elles. C’est cela la solidarité in-tercommunale !

À côté d’Ardenne Métropole,d’autres communautés d’agglomé-ration ont vu le jour dans le dépar-tement. Les critères retenus pourles constituer sont la proximité ter-ritoriale, l’appartenance à unmême bassin de vie, de passé his-torique et de culture, autant d’élé-ments facilitant le vivre ensemble.C’est ainsi que la Vallée de laMeuse, par exemple, vit l’appari-tion de deux communautés decommunes Meuse et Semoy etRives de Meuse. Situées le longdes berges du fleuve aux nom-breux méandres, les communesrépondaient aux critères retenusen termes de traditions, de savoir-faire industriels, d’histoire. Pous-sées par le préfet à se regrouperen communauté d’agglomérationpour atteindre un chiffre de popu-lation suffisant, Meuse et Semoy,et Rives de Meuse entrèrent dans

un conflit dont l’unique cause étaitla richesse communale. Rives deMeuse avec la centrale de Chooz,est beaucoup plus riche queBogny-sur-Meuse, dont le patri-moine industriel a fondu au fil desrestructurations d’entreprises. Lescommunes de la pointe des Ar-dennes, autour de Givet, ne veu-lent pas des pauvres de la valléeavec lesquels ils devront partagerleurs moyens financiers et qui neleur apporteront rien en retour. Il afallu l’intervention ferme du préfetpour que le projet de fusion abou-tisse. Mais rien n’est acquis. Onassiste maintenant à des de-mandes individuelles de com-munes qui souhaitent rejoindred’autres communautés d’agglo-mération. Bogny par exemple severrait bien dans Ardenne Métro-pole. Mais la commune se heurteà d’autres obstacles : “On vientjuste de se mettre d’accord entrenous, on ne va pas démolir ce quia été fait pour introduire encoreplus de complexité”. La questionreste à l’étude à Ardenne Métro-pole. C’est compliqué de vivre en-semble !

Tant que les questions resterontposées en termes de comparaisondes patrimoines, des richesseséconomiques, tant que prévaudral’intérêt particulier sur l’intérêt gé-néral, et que les politiciens de toutpoil se préoccuperont davantagede leur carrière personnelle quedu bien-être de leurs administrés,appliquer les grands principes denotre République demeurera unegageure. Mais, l’histoire desgrandes agglos, des grandes ré-gions, des grandes communes nefait que commencer. Attendons etvoyons !

Marie-Inès SilicaniCharleville, le 18 août 2016

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La solidarité serait-elle l’un deces détestables mots qui, commedisait Paul Valéry, “ont plus de va-leur que de sens, et chantent plusqu’ils ne parlent” ? Elle fait au-jourd’hui l’unanimité. Elle donneson nom à des lois (SRU, PACS,RSA). Elle a même acquis, dans letraité européen, le statut d'un prin-cipe juridique. Partout en Europeles politiques sociales prennent lenom de politiques de solidarité. En1987, une encyclique du papeJean-Paul II, Sollicitudo rei socia-lis, a fait de la solidarité “la vertuchrétienne par excellence”. La so-ciété civile n’est pas en reste : lesorganisations et entreprises soli-daires se multiplient. La solidaritéest devenue une sorte d’aubergeespagnole. Que veut-elle dire aujuste ? D’où nous vient-elle ?

L’idée fut lancée dans la sphèrepolitique à la fin du XIXe siècle parLéon Bourgeois, éphémère Prési-dent du Conseil (de novembre1895 à avril 1896) et futur prixNobel de la paix. Dans un petitlivre publié en 1896, Solidarité, lemilitant radical ne propose riend’autre qu’une voie médiane entreles deux grandes causes qui divi-sent les sociétés, le libéralisme etle socialisme1. Il entend concilierdeux exigences apparemmentcontradictoires, la liberté indivi-duelle et la justice sociale. Lathèse est convaincante : puisquechaque être qui arrive au monderetire des bienfaits de la vie so-ciale, il a de ce simple fait des obli-gations envers ses contemporainset ses successeurs. Dès lors qu’ilaccepte la vie collective et profitedu patrimoine commun, chacundoit s’engager à concourir au paie-ment de la dette commune, à lamesure de ce qu’il a reçu.

La doctrine vise à justifier l’impôtprogressif sur le revenu, la législa-

tion sur les assurances sociales etsur les retraites, ainsi que la miseen place de services d’intérêt gé-néral destinés à “accroître l’inter-dépendance mutuelle” selonl’expression du juriste Léon Duguit.Elle cherche surtout à donner uncontenu à cette république radicalequi se veut anti-collectiviste toutautant qu’anti-libérale. Ce “socia-lisme libéral” selon les mots de sonpromoteur, refuse la résolution desconflits par la lutte des classes etopte pour la voie parlementaire.

En réalité, l’idée de solidarité atraversé tout le XIXe siècle. Les len-demains de la Révolution françaisesont taraudés par l’énigme de cequi peut relier des individus désor-mais émancipés sans retour. Com-ment penser le lien entre cesindividus détachés de leurs appar-tenances corporatives et déclaréslibres et égaux ? Devant les ré-voltes ouvrières et le risque d’écla-tement de la société, desLamennais, Pecqueur, Michelet etbien d’autres en appellent à“l’unité perdue du genre humain”et à l’harmonie universelle. Ils in-sistent sur la réalité de l’interdé-pendance entre tous les membresde l’espèce humaine, interdépen-dance devenue plus flagranteavec la révolution industrielle etces nouveaux “rails de fer” quimultiplient les échanges entre leshommes.

C’est un imprimeur progressiste,futur député à l’assemblée consti-tuante de 1848, qui donne le nomde “solidarité” à cette loi d’inter-dépendance mutuelle (Pierre Le-roux, De l’Humanité 1840). Il ditl’avoir emprunté au vocabulaire ju-ridique (en droit romain, l’obliga-tion in solidum désigne “l’engage-ment par lequel les personness'obligent les unes pour les autreset chacune pour tous”) dans le but

de remplacer la charité, peu enphase avec les idées laïques etsurtout impossible à organiser.Aussitôt, le philosophe Charles Re-nouvier prédit une immense for-tune à cette magnifique idée “à lafois humaine et divine”2. Les chré-tiens, d’ailleurs, ne tardent pas àrevendiquer ce mot dans lequel ilsreconnaissent le dogme de la ré-demption collective, si bien ré-sumé par la phrase de Saint-Paul :“nous sommes tous membresd’un même corps”. La force de lanotion est qu’elle récupère la tra-dition chrétienne en lui donnantdes couleurs laïques. Providen-tielle ou naturelle, cette loi d’inter-dépendance nous indique ladirection à suivre : nous devonsêtre solidaires.

La notion est d'autant plus puis-sante qu'elle est attestée par lessciences. Les naturalistes insis-tent sur la coopération entre lesorganes de tout être vivant. SaintSimon, le précurseur du socia-lisme, avait proposé d’étudier lecorps social comme “un corps or-ganisé”, un corps dont aucun desorganes ne peut vivre indépen-damment des autres. Mais la soli-darité désigne-t-elle un fait ou bienun idéal ? s’interrogent les écono-mistes. “Laissons-faire la solida-rité naturelle”, diront des libérauxcomme Frédéric Bastiat, qui refu-sent toute intervention autoritairesur le mécanisme des échanges.Cette solidarité qui écrase les fai-bles doit faire place à une solida-rité volontaire, répliqueront lesautres (parmi lesquels CharlesGide). Car la solidarité n’est pastoujours bonne. Il y a une solida-rité dans le mal, celle des asso-ciations de malfaiteurs, celle duloup et de sa proie. La solidaritéqu’il s’agit de développer est unesolidarité visant la justice, et des-tinée à rectifier les effets nocifs de

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la solidarité factuelle. Cette soli-darité-là, inspirée par l’expériencedes sociétés de secours mutuels,est à la recherche d’une organisa-tion coopérative et mutualiste. Orles premiers sociologues, AlfredFouillée (La science socialecontemporaine, 1880) et ÉmileDurkheim (De la Division du travailsocial, 1893), soulignent que,dans des sociétés passées sous lerégime du contrat, les individussont de plus en plus autonomes,mais ils deviennent égalementplus étroitement dépendants lesuns des autres. Cette solidarité“organique”, contractuelle et coo-pérative, nécessite l’interventionde la puissance publique pourfaire respecter la juste exécutiondes contrats.

La doctrine politique proposéepar Léon Bourgeois a fait son mielde tous ces travaux. Il faut signalerque, entre 1896 et 1914, la soli-darité fit l’objet d’intenses débats.

Elle traversa une épreuve crucialeau moment de l’affaire Dreyfus,quand elle fut revendiquée par lespartisans d’une “solidarité” avecl’armée et avec la nation. Les soli-daristes ont dû affirmer la prioritéde la justice sur tout intérêt pré-

tendument supérieur de la collec-tivité. Ils ont ainsi précisé leurconception de la solidarité en af-firmant que la liberté de tous sup-pose le respect des droits dechaque individu. Mais un individurelié à tous les autres estconscient des obligations que créece lien, autrement dit une “per-sonne”. La doctrine de la solida-rité s’inscrit ainsi dans la lignée del’individualisme juridique et desphilosophies du contrat. Elle res-pecte les droits de l’individu, maisd’un individu concret, assumantses liens avec ses semblables. Levéritable individualisme est celuide la “personne” envisagée dansson existence sociale, et non d’unindividu isolé et abstrait. L'idée desolidarité permet ainsi de sur-monter la limite libérale en mon-trant comment la liberté peutgénérer des obligations positivesqui préservent cette liberté.

Malgré son immense succès(l’Exposition universelle de 1900fut placée sous l’invocation de lasolidarité), l’idée est cependantconfrontée à une contradictionmajeure. Théoriquement, “la so-lidarité n’a pas de frontières”,comme le clame Millerand à l’ou-verture de l’exposition : elle a vo-cation à l’universel ; maispratiquement, elle ne peut trou-ver ses conditions d’exercice quedans le cadre d’une commu-nauté politique reposant sur lavolonté de ses membres.

Devenue quasiment la philoso-phie officielle de la troisième Ré-publique, l’idée de solidarité perdses couleurs devant l’éclat de larévolution à l’Est. Réapparue trèstimidement dans la constitution

de 1946 (“La Nation proclame lasolidarité et l’égalité de tous lesFrançais devant les charges quirésultent des calamités natio-nales”), elle est au principe duplan de Sécurité sociale élaborépar Pierre Laroque.

L’idée connaît un énorme regainde faveur à partir des années 1980.Avec l’effondrement du commu-nisme, au-delà de l’analyse de la so-ciété en termes de lutte des classeset au-delà des projets de révolutionsociale, on retrouve les vertus decette troisième voie. Dans uncontexte de libéralisme débridé etd’accroissement des inégalités, l’invocation de la solidarité, mondia-lisation financière et environnemen-tale aidant, manifeste l’exigencerenouvelée de régulation politiquedans un régime de liberté.

Mais quelle sera l’instance poli-tique capable d’assurer l’effecti-vité du principe ? En 1900, lecadre paraît évident : c’est la na-tion. La République est sociale, li-bérale... et nationale. La troisièmecomposante est devenue problé-matique aujourd’hui. Quel peut-être le cadre d’application de lasolidarité à l’heure de la mondiali-sation ? Le retour vers les originesde l’idée ne donne pas la réponseà cette question cruciale. Mais ellepourrait au moins suggérer qu’ilest possible – et plus que jamaisnécessaire – de mener de frontl’exigence de liberté et celle dejustice, y compris à l’égard des gé-nérations futures. Faute d’une res-ponsabilité collective qui passepar la délibération et l’accord né-gocié, cette belle idée pourraitbien se dégrader en une sorte desaupoudrage destiné à colmaterles brèches d’une société en proieà un individualisme forcené.

Marie-Claude Blais, philosopheUniversité de Rouen, 9-07-2016

Le livre de M.-C. Blais, La Solida-rité, Histoire d’une idée, (Galli-mard) est a nouveau disponible enlibrairie.

1/ Léon Bourgeois, Solidarité, A. Colin1896, reédition par mes soins, LeBord de l’Eau éditions, 2008.2/ MC Blais, Au principe de la répu-blique. Le cas Renouvier, Gallimard,2000

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“Le Christ estRelecture biblique

Après un séjour de dix-huit mois,entre 50 et 52, à Corinthe, Paul estresté en contact avec la commu-nauté chrétienne qu'il y a fondée, etc'est sans doute parce qu'il reçoit desnouvelles alarmantes de l'état del’Église de Corinthe qu’il prend laplume, en 54-55, pour répondre auxnombreux problèmes qui s’y posent.

Corinthe, qui avait été totalementdétruite en -146 par Mummius, lorsdes campagnes de Rome pours'emparer de la Grèce, et recons-truite en -46 par César, est deve-nue, à l’époque de Paul, latroisième ville de l’Empire romain,après Rome et Alexandrie, avec pasmoins de 500 000 habitants. Lesquestions qui s’y posent sont révé-latrices des difficultés que rencon-tre la prédication chrétienne dansune mégalopole cosmopolite, deculture hellénistique.

Après les salutations d’usage etquelques compliments en guise decaptatio benevolentiae1, Paul envient au premier sujet qu’il va trai-ter : les divisions dans la commu-nauté. Des partis s’y sont formés, àl’image des courants et tendancesqui traversent les écoles philoso-phiques grecques du temps. Lesuns revendiquent le patronage dePaul, les autres celui d’Apollos, unjuif alexandrin, beaucoup plus élo-quent que Paul2, qui est peut-êtrel’auteur de l’Épître aux Hébreux3,d’autres encore se réclament dePierre, désigné ici de son nom ara-méen de Céphas. Quant à un éven-tuel parti du Christ, il demeure bienmystérieux. Peut-être faut-il voir sim-plement dans le “Moi, à Christ”, la

réponse de Paul à ces divisions,voire la remarque d'un copiste quiaurait été intégrée, comme il arrive,dans le corps de la lettre. Mais s’il ya vraiment des gens qui se récla-ment du Christ par opposition àPaul, Pierre ou Apollos, ce n’est passans intérêt pour nous aujourd'hui,en un temps où les chrétiens sontdivisés. Prenons garde en effet dene pas revendiquer l’exclusivité del’appartenance au Christ : ne pen-sons pas que nous sommes pluschrétiens que les protestants et lesorthodoxes si nous sommes catho-liques, plus chrétiens que les ca-tholiques et les orthodoxes si noussommes protestants, plus chrétiensque les catholiques et les protes-tants si nous sommes orthodoxes !Le Christ n’est pas un objet qu’on

Mais je vous exhorte,frères, au nom de notre Sei-gneur Jésus Christ : soyeztous d’accord, et qu’il n’y aitpas de divisions parmi vous ;soyez bien unis dans unmême esprit et dans unemême pensée. En effet, mesfrères, les gens de Chloém’ont appris qu’il y a des dis-cordes parmi vous. Je m’ex-plique ; chacun de vous parleainsi : “Moi j’appartiens àPaul. – Moi à Apollos. – Moi àCéphas. – Moi à Christ”. LeChrist est-il divisé ? Est-cePaul qui a été crucifié pourvous ? Est-ce au nom de Paul

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-il divisé ?”Relecture biblique

pourrait s’approprier, il ne sauraitêtre un facteur de division entrechrétiens, mais, comme va le rap-peler Paul, un facteur d'unité : se di-viser au nom du Christ, c’est diviserle Christ : “Le Christ est-il divisé ?”,s’indigne le théologien du corps duChrist, un corps auquel nous appar-tenons tous. Ce qui est au centre del'histoire humaine, c'est en effet lamort du Christ sur la croix “pourvous”, pour nous, pour le monde, enun acte de salut définitif puisque samort, même si ce n'est qu’implicitedans les propos de Paul ici, préludeà sa résurrection.

La fin du présent passage peutsembler moins intéressante maismérite tout de même qu’on s'y at-tarde quelque peu. Paul s’y réjouit

de n’avoir baptisé que très peu depersonnes à Corinthe, ce qui lèvetoute ambiguïté à propos d’un partiqu’il aurait lui-même voulu fonder.Du coup, il rappelle sa mission pro-pre : “annoncer l’Évangile” et nonpas baptiser. Paul anticipe ainsi surce qu'il va dire un peu plus loin, auchapitre 12, de la diversité des cha-rismes et ministères au sein del'unique corps du Christ. Le moyend'être “tous d'accord et qu'il n'y aitpas de divisions parmi ‘nous’” sui-vant l’exhortation pressante lancéepar Paul au début de ce texte, c’estde travailler tous ensemble à unmême but – l’annonce de la bonnenouvelle d’un Dieu fait homme,mort sur une croix et ressuscitépour nous sauver tous –, en res-pectant les capacités de chacun,sans vouloir entrer en concurrenceles uns avec les autres, sans vouloirtout faire, en se méfiant égalementde ce que Paul appelle ici “la sa-gesse du discours”, en l'occurrenceles artifices et subtilités de la rhéto-rique grecque, aujourd’hui les cli-chés d’une parole médiatiquepolitiquement correcte et finale-ment vide de sens.

Jean-Louis GourdainRouen

1/ Technique rhétorique qui vise, dans l’in-troduction d’un discours, à rechercher labienveillance du destinataire.2/ Cf. Actes 18, 24-28. Apollos n’est sansdoute plus à Corinthe quand Paul écrit. Pasplus que Paul lui-même ou Pierre, il n’a rienfait pour susciter un parti se prévalant deson nom.3/ Une hypothèse très vraisemblable, avan-cée par Luther au XVIe siècle

que vous avez été baptisés ?Dieu merci, je n’ai baptiséaucun de vous, excepté Cris-pus et Gaïus ; ainsi nul nepeut dire que vous avez étébaptisés en mon nom. Ah si !J’ai encore baptisé la famillede Stéphanas. Pour le reste,je n’ai baptisé personned’autre, que je sache. CarChrist ne m’a pas envoyébaptiser, mais annoncerl’Évangile, et sans recourir àla sagesse du discours, pourne pas réduire à néant lacroix du Christ

(1 Co 10-17, TOB 2010).

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Fondé sur les idées et les prin-cipes du Mouvement Mondiald’Éducation pour Tous, le modèlede gestion autonome des écolesreprésente un changement impor-tant dans l’organisation desécoles, ici, aux Philippines. Ce mo-dèle se définit comme la décen-tralisation de l’autorité de prise dedécision, pour la faire descendredu niveau administratif central, ré-gional ou local, pour en arriver auxsites scolaires individuels.

L’objectif de cette politique estde rassembler les chefs d’établis-sement, les enseignants, lesélèves, tout comme les parents,les subdivisions administrativeslocales et la communauté, pourpromouvoir l’efficacité des écoles.En d’autres termes, la décentrali-sation donne un pouvoir de déci-sion aux chefs d’établissements,aux enseignants et aux autresforces motrices, alors qu’aupara-vant, le pouvoir relevait des fonc-tionnaires au niveau central,régional et divisionnaire. L’autoritédonnée aux écoles est telle queles décisions peuvent être prisespar ceux qui sont impliqués deprès pour résoudre les défis danschaque école, de façon à ce queles besoins spécifiques des élèvessoient pris en compte de façonplus efficace.

L’élément de base qui sous-tendla gestion autonome des écolesest un changement dans le mana-gement de l’établissement,consistant à augmenter le niveaud’implication et de participationdes enseignants, élèves, parentset autres parties prenantes, eninstallant des partenariats école-communauté. Ceci est mené àbien selon les principes de subsi-

diarité et de collégialité. La sub-sidiarité épouse l’idée que la ré-solution de problèmes et la prisede décision doivent se faire àl’échelon le plus bas. Puisque lechef d’établissement, les ensei-gnants, les élèves, les parents etles membres de la communautésont plus familiers des activitéset des difficultés de leur école,ils sont donc en meilleure posi-tion pour résoudre leurs propresproblèmes. Quant au principe decollégialité, il réclame un travaild’équipe et un guidage partagépour prendre les décisions surce qui est le mieux pour lesélèves.

Par conséquent, le processus deprise de décision partagée, de pla-nification participative, de débatsur les nouvelles directions de tra-vail, pour tenter de nouvelles ap-proches et apprendre les uns desautres, donne aux enseignants,aux élèves et aux parents, ainsiqu’aux responsables des écoles laconfiance nécessaire pour élabo-rer des programmes et une straté-gie visant à améliorer lesperformances des élèves. Cecimène en fin de compte à une tran-sition : les enseignants n’ont plusà se contenter de suivre la poli-tique générale et les décisions or-ganisationnelles en agissantconformément aux décisions ad-

Construire la confiance chezles jeunes enseignants

Et ailleurs ?

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ministratives venues d’en haut,mais se retrouvent dans uncontexte où ils peuvent être plusdynamiques, entreprenants, inno-vants et en confiance.

L’autonomie de l’école donne auchef d’établissement, aux ensei-gnants et aux partenaires dansl’école et dans la communauté, laflexibilité, l’autonomie, la respon-sabilité pour gérer et organiser leschangements. Les enseignantsont en général un désir très fort departiciper aux prises de décisionqui ont des conséquences sur leurtravail dans la classe. Cela devientune opportunité à la fois pour lesenseignants et pour les élèvesd’expérimenter des liens affectifsforts créant un sens de la com-munauté. Que ce soit dans les ré-seaux enseignants, les groupesd’étude, les équipes éducatives,ou les écoles de formation profes-sionnelle, l’accent est mis sur lacréation d’une communautéd’élèves où l’enseignement defaçon isolée et le tutorat individuelcèdent la place à la collaborationet à la coopération à l’échelle del’école.

Pour bien préciser ma pensée,voici des exemples de deuxéquipes éducatives ayant expéri-menté ce processus d’apprentis-sage avec gestion autonomelocale. Dans les deux cas, la collé-gialité a joué un rôle significatifdans ces apprentissages. Il est in-téressant de constater que parmiles enseignants concernés, oncomptait deux professeurs expéri-mentés et six débutants, deux ca-tégories que les services deformation du personnel cherchentrégulièrement à toucher. Dans lesdeux cas pourtant, ce sont les en-seignants eux-mêmes qui ont re-cherché des possibilités dedéveloppement. L’expérience futsi enrichissante en tant que tellequ’ils travaillèrent volontiers pen-dant de nombreuses soirées etweek-ends pour y participer.

Ces exemples contredisentl’idée reçue que nouveaux et an-ciens enseignants sont moins ca-pables de développementprofessionnel, soit parce qu’ils“manquent d’expérience et deconnaissances pédagogiques”pour les uns, ou parce qu’ils “sonten bout de course et trop marqués

par leurs habitudes” pour les au-tres. Nous avons constaté que cetype d’action permet aux éduca-teurs de mieux saisir en quoi cettecollégialité peut être cruciale pouracquérir leur compétence profes-sionnelle à différents stades deleur carrière. Nous affirmons queles enseignants peuvent être lameilleure et la plus utile source deconnaissances en pédagogie ;ceux qui espèrent comprendrel’enseignement doivent à un mo-ment donné se tourner vers lesenseignants eux-mêmes.

À partir de ces principes de ges-tion autonome des écoles, etd’amélioration de la formation desenseignants, la relation évolutivequi s’est créée entre eux leur apermis de s’engager dans une re-cherche et une réflexion auto-nomes, en s’assurant d’un soutiendidactique mutuel. L’esprit d’équi-pe a grandi lentement mais sûre-ment, au fur et à mesure qu’ils onttrouvé le résultat « rassurant poureux-mêmes et fructueux pourleurs élèves ».

Le développement d’une culturecollégiale et collaborative, parmi lesprofesseurs et les chefs d’établis-sements, est un des plus puissantsmoyens pour améliorer la qualité del’enseignement ; et les enseignantsdoivent pouvoir bénéficier de lamême culture collaborative quedans les autres professions haute-ment performantes.

Carmencita SuplidoPhilippines

Traduction Pascal Mondouet

Extrait du n° 79 d’Entre-Nous,bulletin international des Équipes En-seignantes dans le monde.

Avec l’aimable autorisation deDialogue et Coopération

Et ailleurs ?

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Carrefour lors d’une rencontre nationale aux Philippines

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Le Bureau International1 réuniau local des “Chrétiens dans l’En-seignement Public” du 15 au28 juillet 2016 était composé de :

Irène Yamba (Togo), coordina-trice d’Afrique,

Rosalinda Francia (Philippines),coordinatrice d’Asie,

Marie del Carmen Murillo(Équateur) coordinatrice d’Amé-rique latine,

Suzanne Cahen et Paulette Mo-linier (Conseil d’Administrationde Dialogue et Coopération2),

Pierre Riouffrait, prêtre natif deHaute-Loire et vivant depuis denombreuses années en Amé-rique latine, actuellement enÉquateur, accompagnateur duBureau International,

et, pour l’Europe certains jours,Gabrielle Gaspard ou ÉvelyneCouteux (représentante de CdEPau Conseil d’Administration duCCFD-Terre Solidaire).

Les membres du Bureau Inter-national ont noté que leur partici-pation comme leurs apportsétaient traversés par les événe-ments récents qui ont touché plu-sieurs pays. De nombreuxmessages de soutien ont étéreçus en raison des attentats per-pétrés en France.

À partir des apports des conti-nents concernant la géopolitique,nous avons réfléchi et retiré desconvergences : néolibéralisme danstous les domaines, contraste entrecroissance et pauvreté dans denombreux pays, développement industriel qui seul ne permet pasd’éradiquer la pauvreté, consé-quences de la chute du prix du pétrole et d’autres matières pre-

mières, réformes fiscales et luttecontre les paradis fiscaux, poids desblocs multinationaux, fondamenta-lismes, disfonctionnement danscertaines actions mises en place(par exemple, pour la réduction deCO2, certains pays payent pouravoir le droit de polluer).

Cependant des raisons d’espé-rer ont été soulignées avec desavancées : élections africaines,COP 21, position de l’Inde par rap-port aux pauvres, paradis fiscauxdénoncés… Nous avons ressenti lebesoin de mettre l’accent sur lesactions positives possibles, plutôtque sur les généralités géopoli-tiques, et souligné la nécessitéd’actions concrètes, graduelles età long terme.

Nous avons partagé sur la viedes Équipes Enseignantes, l’Égliseet l’Éducation. Pour l’Église, la di-versité entre continents montre lavariété et la richesse de nos cul-tures. Le lien à l’Église institutionest très différent selon les pays,comme les manières d’exprimer lafoi des populations et leur enga-gement dans la société sont très

différents selon les pays. Nousavons noté que l’objectif communreste l’attention aux pauvres, laParole de Dieu et la présence duRoyaume dans notre monde.

Pour tous, les Équipes sont unegrande richesse, elles sont lieuxd’échange et de partage. Dans

certains continents elles sontdes lieux de formation et/oud’entraide pédagogique et peu-vent aussi fournir une formationreligieuse. Les engagementsdans le monde sont divers, ilsconcernent la paix, la solidarité,l’environnement…

Dans le domaine de l’éducation,de nombreuses convergences ontété notées dont :

l’éducation de plus en plus“commercialisée” : qualifica-tions, besoins du marché, pers-pectives économiques etemploi…, au détriment des va-leurs humaines ;

les réformes éducatives se suc-cèdent à des rythmes ne per-mettant pas une réelleévaluation des précédentes ;

L’attention aux pauvresÉchos du Bureau International 2016

Et ailleurs ?

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l’évaluation des élèves et des en-seignants pèse sur leur vie et leurtravail, sans qu’on puisse direqu’elle aide les personnes à êtreplus efficientes ;

la formation initiale et continue desenseignants en relation avec les ré-formes n’est pas accompagnée desmoyens nécessaires ;

les technologies numériques ne ré-solvent qu’en partie les difficultésrencontrées par les personnes.

Parmi les avancées : développe-ment du préscolaire, mobilisationplus large des citoyens malgré la di-minution des syndicats, travaux descentres de recherche sur l’éducation,souci des dimensions culturelles etsociales dans l’éducation porté pardes gouvernements progressistes.

Pour tenir compte des moyens hu-mains et financiers dont dispose Dia-logue et Coopération, décision a étéprise de mettre en place une façonautre de travailler. Ainsi, la rencontreà Paris en 2017 sera remplacée pardes échanges par Internet.

Ce Bureau International présente unnouveau visage pour l’avenir. Chacun,dans l’amitié et la confiance, a contri-bué à préparer la réflexion et la confec-tion d’outils pouvant faciliter desrelations fraternelles entre les conti-nents et avec Dialogue et Coopération.

Paulette Molinier etSuzanne Cahen

1/ Bureau International des Équipes En-seignantes dans le monde : représentantsélus des éducateurs chrétiens qui travail-lent dans l’école publique de leur pays etqui se retrouvent en équipes de réflexionoù ils pratiquent la révision de vie.2/ Dialogue et Coopération maintient le lienentre les enseignants chrétiens de Franceet leurs collègues des cinq continents.Le compte-rendu complet de la rencontrepeut être lu dans le bulletin Entre-Nous deDialogue et Coopération et sur le site deCdEP, dans la rubrique “Dans lemonde/dialogue et coopération”.

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Pour la 60e fois (depuis la première rencontre à Blois) des mem-bres du groupe d’enseignants franco-allemands se retrouvaient pourleur rencontre annuelle. Cette année à Marseille le thème “la Médi-terranée” avait motivé une cinquantaine de personnes de trois gé-nérations avec quelques-uns des initiateurs de ces rencontres (notreaînée de 81 ans) ; quelques adolescent/e/s et la plus jeune (la pe-tite Ada - 5 ans) promettent une prochaine relève.

Nous étions hébergés dans une grande maison appartenant audiocèse dans le quartier Roucas-Blanc proche de la mer.

Une personne travaillant aux urgences et l’ancien recteur de l’Ins-titut catholique nous ont présenté Marseille : une ville qui organisele “vivre ensemble”, qui fut “capitale européenne de la culture” en2013 et qui a bien profité des finances de l’Europe.

Les apports substantiels (en français et allemand) sur les ques-tions historiques et d’actualité ont couvert un large éventail de sujetset ont permis des échanges formels et informels à travers un largeéventail de sujet : l’aspect écologique, les plantes de la Méditerra-née, la rencontre des cultures et des langues, “La tante Claire et lanostalgie des Teutons, le tourisme méditerranéen”, les réfugiés etles migrants, la Méditerranée c’est Braudel, de Paul de Tarse auPape François, citoyenneté et laïcité...

Les exposés et questions d’actualité, ont été complétés par la vi-site de la ville (Notre-Dame de la Garde, la basilique St Victor et leMUCEM) et par des activités de loisir en commun.

La prochaine session aura lieu en Allemagne, près de Spire, sur lethème de la forêt.

Benoît PetitAoût 2016

Marseille et laMéditerranée

Rencontre franco-allemande

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Nouvelle rencontre de la FEEC-SIESC pour une cinquantaine decollègues de dix pays d’Europepour la première fois en Roumanie,pour découvrir une partie du pays,la Transylvanie avec un thème ap-proprié à la région : Identité et vivreensemble : éduquer à la diversité/pluralité. À Cluj nous sommes ac-cueillis magnifiquement dans uncentre jésuite construit après lachute du communisme, par un prê-tre, un frère jésuite et deux sœurs,quatre personnes disponibles avecun sourire rayonnant. Les collèguesde l’AGRU, organisation roumainede laïcs gréco-catholiques, se mon-trent très organisés et disponibles.

L’Église gréco-catholique compteenviron 160 300 fidèles tandis quel’Église orthodoxe majoritaire encompte 16 367 270. Nous avonsl’occasion de découvrir cette Égliseet son histoire lors d’une confé-rence et lors de la célébration dudimanche matin dans une pa-roisse de la ville. Le rite est celuide Saint Jean Chrysostome. Nousdécouvrons également les persé-cutions qu’a subies cette Églisesous le communisme en visitant leMémorial des victimes du com-munisme et de la Résistance deSighet, à la frontière avecl’Ukraine. Sous le communismeles douze évêques gréco-catho-liques ont refusé de rejoindrel’Église orthodoxe et en consé-quence ils furent emprisonnéscomme de nombreux prêtres. Cer-tains moururent en détention ouen résidence surveillée. La visitedu Mémorial, dans le lieu de la pri-son de Sighet, nous rappelle lesabominations commises par lecommunisme envers ses adver-saires. Nous avons la chanced’être guidés par un prêtre gréco-

catholique dont le père a été danscette prison et dans d’autres pen-dant seize ans. Un autre prêtrenous accompagne, lui aussi filsd’un ancien prisonnier. À la fin dela visite nous prions dans la cha-pelle en mémoire de toutes cesvictimes, pour le père JacquesHamel, tué la veille alors qu’il cé-lébrait la messe près de Rouen etpour toutes les victimes de la bar-barie dans le monde.

Les conférences sont toutestrès intéressantes. Nous avonsd’abord un aperçu de L’architec-ture religieuse roumaine entrel’Orient et l’Occident, réflexionssur un milieu varié le premier jouroù nous percevons la place qu’oc-cupe la Roumanie dans l’Europe,à cheval sur plusieurs cultures.Nous retrouvons cette diversité/unité dans les églises que nous vi-sitons à Cluj. Il est parfois difficilede faire la distinction entre leséglises orthodoxes ou catholiquesde l’extérieur. Comme nous l’a ditle Président de l’AGRU le premiersoir, Cluj est un bon exemple duthème de la rencontre : sur unmême boulevard se trouvent deuxéglises Saint-Michel sur la transfi-guration : une romano catholiqueet une orthodoxe avec des mo-saïques faites par Rupnik, jésuiteslovène que nous avions rencon-tré lors de la rencontre à Kranj.

La deuxième conférence faitepar le provincial des jésuites enRoumanie a toute sa place dans leSIESC : L’éducation en temps decrise. Le père Talos proposequelques pistes de réflexion sur cethème et il nous laisse cettephrase : “Aujourd’hui nous avonsperdu l’attention aux autres, à soiet à la prière”. La troisième confé-rence d’une enseignante universi-

taire : Le multilinguisme entre glo-balisation et tolérance parle del’enseignement des langues et dela place des langues avec desexemples précis et des sites inter-net. La dernière conférence nousexpose, comme déjà évoqué,“l’évolution historique de l’Églisegréco-catholique de Roumanie”.

Nos groupes de travail linguis-tiques nous permettent commetoujours d’échanger entre partici-pants de quatre ou cinq pays diffé-rents, ce qui est une richesse.Malheureusement cette année peude collègues des pays de l’Europedu Centre et de l’Est sont venus.Seuls sont présents des Slovèneset des Roumains. Dommage !

Comme toujours nous quittonscette rencontre fatigués mais lesyeux pleins d’images et le cœurrempli de joie après tous ces mo-ments partagés, ces conversa-tions en différentes langues. Nousnous retrouverons l’année pro-chaine en France, à Vichy. Ungroupe de CdEP a déjà commencéla préparation. Il nous faudra faireaussi bien que les Roumains, cequi n’est pas facile !

Catherine Le CozGrenoble

1/ Fédération Européenne d’Ensei-gnants Chrétiens

Identité et vivre-ensembleFEEC-SIESC1 2016 : Roumanie Cluj

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Vie culturelle

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Les cinéastes du collectif et du“vivre ensemble” sont souventceux qui revendiquent le plus ou-vertement leur étiquette “gau-chiste” : Ken Loach en Angleterre,Robert Guédiguian en France. Àl’opposé (cinématographique etpas nécessairement politique),Nanni Moretti s’exclamait dans unde ses premiers films (dont c’estd’ailleurs le titre) : “Je suis un au-tarcique” ! La fiction met plus vo-lontiers en avant des hérosindividuels que des collectivités.Évoquons donc plutôt ici deux do-cumentaires récents qui, de ma-nière très différente, dessinent unportrait de la France et du mondetel qu’ils (ne) vont (pas).

Dans Les Habitants, RaymondDepardon, parcourt la France encaravane. À chacune de sesétapes, il y invite divers “couples”(amis, amoureux, parent/enfant,

toutes les configurations sont pos-sibles) à dialoguer devant sa ca-méra, sans jamais intervenirlui-même. On y entend parler de lapluie et du mauvais temps, maissurtout du présent et de ses in-certitudes. On y voit des jeunes engalère, des anciens désabusés,des couples en crise, des parentsinquiets pour l’avenir de leurs en-

fants. On y entend parlerd’amour aussi, un peu,mais aucune discussionou presque ne porte surla vie sociale, politique,sur la société au delà dupetit cercle des intimes.Les utopies ont depuislongtemps déserté les es-prits, l’avenir ne fait pasrêver. Peut-être est-ce dûen partie au dispositif :cette caravane rétro pro-pice au repli et à la nos-talgie, ces conversationsnon dirigées entaméesdans la rue. Cette Francedes régions en panned’espoir.

C’est tout le contraire qui trans-parait dans Demain. Le constat dedépart est pourtant encore plusinquiétant, puisqu’il porte sur lesdérèglements écologiques multi-ples qui menacent la planète, et àterme la survie même de l’huma-nité. Mais le ton, ici, est délibéré-ment, à défaut d’être optimiste,disons “proactif”. L’objectif est demettre en évidence, aux quatrecoins du monde, des organisa-tions collectives qui vont dans lebon sens : jardins urbains géréspar des communautés, fermesbio, usines qui recyclent tous leursdéchets, systèmes de monnaieset d’échanges locaux, écoles derue... La liste est assez hétéroclitemais les bonnes pratiques parta-gent de nombreux traits com-muns : privilégier le “fait-maison”aux solutions industrielles toutesprêtes, le local sur l’importé, le col-lectif sur les replis individuels. Est-ce de cela que demain sera fait ?En tout cas, ce futur-là donne plusenvie que celui qui s’entend dansles conversations de la caravane.Mais il reste à construire...

I. TellierParis

“Vivre ensemble”aujourd’hui et demain

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Ce livre de la ministre de la Jus-tice qui a démissionné n’est pasun chuchotement mais un cri, unavertissement. L’ancienne Gardedes Sceaux publie ses convictionsqu’elle veut transmettre, avec sonexpérience, aux générations fu-tures. Après les drames qu’avécus la France en 2015, com-ment empêcher que le monde sedéfasse devant la “stratégie atro-cement habile et la mentalité deforbans” de ce terrorisme “tenta-culaire... qui se moque des fron-tières, des langues, des cultures,des ancrages, des parentés, desdestinées” ?

L’affirmation des droits et la dé-fense de la République deman-dent de l’imagination mais aussiun travail de mémoire, appelantl’histoire et l’actualité. Nos instru-ments sont obsolètes : la peine demort et la déchéance de nationa-lité, mais la France se doit de res-pecter ses principes et lesconventions qu’elle a signées, ellene peut fabriquer des apatrides niproduire des effets collatéraux. Niprendre des mesures d’exception,ni efficaces, ni crédibles.

“La République laïque a pris sesdistances d’avec les religions.Sans les récuser”. Elle affirmedans la Constitution respectertoutes les croyances, elle permetla liberté de conscience. Mais laRépublique a du mal “à être mieuxqu’une incantation, plus qu’untotem, à se décliner sur tous lesterritoires, dans le quotidien, l’or-dinaire et même l’extraordinairede chaque citoyen”.

Que signifie la nationalité ? Elledit qui est dedans, qui est dehors.Ceux qui sont dehors ne sont niadversaires ni ennemis par es-sence. Ils peuvent le devenir parchoix. Les injustices insupporta-bles sont celles qui émanent desinégalités d’accès à l’éducation,aux soins, à l’emploi, à la culture,au droit, à la mobilité, aux respon-sabilités, celles qui poussent surles désordres d’une solidarité dé-faillante et d’une inéquitable ré-partition des sacrifices et desrichesses. Ces injustices doiventêtre combattues sans répit.

Le vivre ensemble ? C’est fairela différence entre la sûreté, pres-crite par la Déclaration des droitsde l’homme et du citoyen commeun droit naturel et imprescripti-ble, et la sécurité. Celle-ci en faitpartie, elle doit être assurée pardes politiques publiques préven-tives et répressives adaptées etefficaces.

Le peuple de France, en ce11 janvier a failli vaciller mais “il aécrit des éclats de poèmes, cueilli

ou acheté des fleurs…” Le ven-dredi 13 novembre l’a sidéré plusencore, mais il a montré sa rési-lience et la puissance de riposte.

“Tandis que la jeunesse se ré-vèle, les vocations émergent et lescandidatures affluent pour ac-complir un service civique, inté-grer la police, servir dansl’armée”. Ces jeunes veulent pren-dre leur part dans la protectiond’un pays en danger, “ils saventles trésors de l’altérité et l’inanitédu rejet d’autrui. Les exceptions,probables, n’y changent rien”. Ap-partenir à un peuple oblige. Obligeà connaître sa force, à se savoirpartie d’un tout de grande vitalité,insolite et coriace… À ne pas dé-taler devant la complexité deschoses…

Ce livre n’est pas sans parti prisquand il fait l’apologie de “laGauche”. Celle-ci ferait “la diffé-rence entre le nationalisme,crispé, soupçonneux, souvent hai-neux, voyant et traquant des en-nemis partout, au-dehorsau-dedans, et le patriotisme quiconsiste à exprimer son attache-ment à son pays pour ce qu’il estet pour la part qu’il prend à hau-teur du monde”.

La militante d’Outre-merconvoque plus de 80 auteurs(mais ils sont évoqués plus quecités, comme la lettre de 126 sa-vants musulmans) et une ving-taine de poètes ou de chanteurs.Cela suppose une grande cultureet on souhaiterait un peu plus deprécisions ou de références.

Benoît Petit

MURMURES À LA JEUNESSE

Taubira, ChristianePhilippe Rey éd., 2016

Vie culturelle

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Les enseignants de français etlangues vivantes (anglais,...) et delangues anciennes (grec, latin)ainsi que tous les chercheurs surles Évangiles et l’ensemble duNouveau Testament apprécierontbien cette étude comparative cri-tique. Depuis des années, JeanBescond, laïc breton, travaille surla Parole de Dieu, et a publié sapropre traduction : Le NouveauTestament en vers et versets (éd.Golias, 2010), puis La Bible envers (2013), ainsi qu’une histoiredes traductions de la Bible : Ainsicheminèrent les papyrus de laBonne Nouvelle (2011). C’est lefruit de son expérience qu’il déve-loppe ici avec, en sous-titre, ses144 raisons de douter, douter destraductions disponibles, 144 étantun chiffre symbolique (Apoc.21,17). Passant en revue l’ensem-ble du Nouveau Testament, l’au-teur compare neuf traductionsconnues, catholiques, protestantes,œcuménique : Bible Bayard, Biblede Jérusalem, Segond (ancienneversion et la nouvelle), la traduction

œcuménique TOB, en Français cou-rant, et, en anglais, la King Jamesversion (et sa nouvelle version), laNew International version, ainsique le texte latin de la Vulgate, etsa propre Bible en vers. Avec pa-tience et minutie, J. Bescond re-lève quatre types de “trahison” dutexte original. D’abord, desnuances ignorées : gallicismes,ironie, mot juste, contexte. Puis lescontresens dus au mot qui neconvient pas, à la recherche in-tempestive d’un nouveau vocabu-laire, au mauvais exemple,parfois, de la Vulgate, aux erreursà répétition, aux erreurs gramma-ticales, les mots-charnières affai-blis... Et encore les erreursflagrantes : sens incomplet, motsmal traduits, et non-sens... Enfinles incohérences : inconstances,incohérences répétées, oubli deparallèles dans le même verset,négligence du lien avec le versetprécédent, décalage par rapport àl’ensemble du texte considéré.

Au passage, J. Bescond pointeles difficultés de vocabulaire, parexemple des affaiblissements determes : ‘envoyé’ pour ‘apôtre’,‘souffle’ (Bayard) pour ‘Esprit’,voire ‘réveillé’ pour ‘ressuscité’,...Et le choix d’une minuscule oud’une majuscule : assemblée ouAssemblée (pour Église), esprit ouEsprit,… et les enjeux de la ponc-tuation. Chemin faisant, J. Bes-cond justifie les choix qu’il a faitsdans sa propre traduction de laBible, “traduction toujours perfec-tible”, précise-t-il. À la fin, figurentdeux utiles Index : des passagesbibliques cités (Évangiles, Actes,Épîtres, Apocalypse), et un lexiquegrec et français. Une telle étudeest un véritable guide des traduc-tions bibliques et un “discours sur

la méthode” concernant l’art si dé-licat de la traduction. Elle appelleà la vigilance à la fois les traduc-teurs et les lecteurs. Sur cettebase, il est intéressant d’analyserla nouvelle traduction officielle li-turgique (2013) d’où sont tirésnos Lectionnaires maintenant enusage. Si l’auteur énumère biendes “manques de clarté, de lo-gique et de cohérence” (p. 223), ilse réjouit cependant de ce queces manques n’altèrent pas lefond sur le plan de l’expressiondoctrinale de la foi. Il termine parce souhait intense et priant, évo-quant le Christ Exégète auprèsdes disciples d’Emmaüs : “Puissele Seigneur nous ouvrir à l’intelli-gence des Écrits !” (Luc 24,45).

P. Pierre Fournier

PAROLE D’ÉVANGILE, PAROLE TRAHIE ?Jean Bescond, éd. Golias, 2016, 230 p., 16 €.

Vie culturelle

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Domenico Ghirlandaio (1449–1494)Saint Jérôme à l’étude. On lui doit la tra-duction de la Bible de la Septante en latin,fin XVe s.Chiesa di Ognissanti, église de tous lesSaints, Florence.

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Vie associative

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Rencontre Nationale de CdEP

29/30 avril 2017 à Issy-les-Moulineaux.

Cette rencontre accompagnera l’Assemblée Générale annuelle de CdEP

Voir page 48, le thème choisi pour cette rencontre

Appel, plus que jamais, à vivre l’Évangile !Mercredi 27 juillet 2016, Michèle Lesquoy a réagi aux attentats de juillet. Son texte a été mis en ligne sur

le site de l’association ainsi qu’un certain nombre d’autres réactions dont celle de Gérard Fischer, responsa-ble du site. Ce texte est daté, mais il reste d’actualité en cette période de reprise de l’activité scolaire.

Les horribles attentats commis au nom de Daesh se multiplient à travers le monde. Notre pays vient d’êtrefrappé par deux fois encore, à deux semaines d’intervalle : le 14 juillet, atroce attentat à Nice qui a fait plusde 80 victimes et plus encore de blessés, souvent des familles entières qui revenaient, joyeuses, du feu d’ar-tifice, hier matin assassinat ignoble du père Hamel, qui officiait dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray.

Suite à de tels événements, nous sommes bien évidemment anéantis, révoltés, plongés dans l’effroi.

Comment résister alors à une telle barbarie ? Quelles armes employer contre ces hommes aveuglés par laviolence et la divination de la mort ?

Opposons leur une cohésion solide, une véritable solidarité !Les enseignants chrétiens que nous sommes avons plus que jamais la responsabilité d’éduquer nos élèves,

c’est-à-dire de les faire grandir en savoir et en humanité. Témoignons-leur de la dignité de leur personne et pro-posons-leur le respect de la dignité humaine, de la tolérance, des valeurs républicaines et de ce à quoi elles en-gagent tout citoyen. Initions-les à la pratique de l’esprit critique, du dialogue avec l’autre, si différent soit-il.

Bien évidemment, unis avec tous les chrétiens, les membres de CdEP répondront à l’appel du pape et deMonseigneur Pontier et prieront le vendredi 29 juillet pour le père Hamel et toutes les victimes de ces bar-bares.

Plus que jamais, apprenons à vivre l’Évangile, c’est-à-dire l’amour duprochain, tout particulièrement de nos frères musulmans.

Comme le soulignait Monseigneur Pontier, “l’ouverture des JMJ est la réponse à ce qui s’est passé ce matin”.

Puisse le Seigneur nous aider à résister, à l’exemple des chrétiens d’Orientsouvent martyrisés, à la peur et à la haine, et à garder, malgré tout,l’Espérance en un monde meilleur.

Bien fraternellement.

Michèle Lesquoyprésidente de CdEP

pour tous les membresde l’association

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CdEP partenaire des Semaines Sociales sur l’Éducation

Vie associative

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Rencontre d’animation à Issy-les-Moulineaux Date : du jeudi 20 au 22 octobre 2016 de midi à midi. C’est l’occasion pour l’association de réfléchir sur son fonctionnement

Titre de la rencontre :

Recherche de sens et de spiritualité à l’école publique Le 21 octobre, Mme Nicole Le Maître, professeure d’histoire moderne (1989-2010) à l’Université

Paris 1 Panthéon-Sorbonne, interviendra en réponse à la question suivante :

“Comment en accompagnant des étudiants, a-t-elle pu être témoin d’une certaine spiritualité…en enseignant dans un cadre laïc ?”.

Elle est membre du Centre de recherches en histoire moderne (CRHM). co-auteure de “l’Histoire descurés” avec Jean Delumeau.

Pour préparer la rencontre, un questionnaire intitulé

Une place pour la spiritualité à l’école publique ?sera envoyé à l’automne.

Samedi 19 novembre 2016→ Trois conférences à plusieurs voix :

Quelles finalités pour l’éducation aujourd’hui ?

Les défis actuels de l’éducation (avec, notam-ment, Édith Tartar-Goddet de l’Ap2e)

La réalité des alliances éducatives

→ Un forum pour proposer, échanger, expérimen-ter à propos de l’éducation. Chaque participant com-pose son programme “à la carte”, en mêlant :

Ateliers-agora : présentation et mise en débatdes propositions pour l’éducation élaborées surla plateforme collaborative des SSF. CdEP sou-tient particulièrement : il est important au-jourd’hui que des croyants s’inscrivent dans uneécole qui ne soit pas une école confessionnelle.

Ateliers-expérimentation avec des associationspartenaires : pour découvrir des outils, des bonnespratiques et des expériences innovantes sur l’édu-cation. (Cdep propose un atelier sur la charte de lalaïcité, animé par Bernard Lepage.)

Conversations avec des acteurs de l’éducation,experts ou praticiens. (CdEP propose de décou-vrir le Fil Continu, dispositif d’accompagnementde collégiens exclus temporairement de leur éta-blissement et, avec le réseau éducation sansfrontières des Bouches du Rhône, un atelier “àl’école et sans papiers”.

Dimanche 20 novembre 2016→ Célébration eucharistique

→ Propositions pour l’éducation et dialogue avecle monde politique

→ Conférence : Renouveler le pacte éducatif

Des dates à retenir

dès maintenant

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Tu as enseigné en collège et enlycée, ZEP et non-ZEP, que peux-tu nous dire de la prise encompte dans tes cours desquestions liées au corps ?

Dans la majorité des cas en 6e

et en 5e, les élèves ne sont pastrès regardants de leur corps et ducorps des autres. Ils aiment enrègle générale pratiquer l’EPS,même s’ils sont en surpoids, celacorrespond à un besoin de se dé-penser. Ils pratiquent volontiersdes activités de contact, mêmedans le cas de groupes mixtes :l’initiation au rugby dans deséquipes mixtes fonctionne bien en6e. À partir de la 4e, surtout pourles filles, la place du corps devientcentrale. Avant tout, pour cha-cune, il s’agit d’être mieux.Comme femme, et femme jeune,je suis interrogée sur la manièrede soigner mon corps, de garderun ventre plat… Les filles de la 4e

à la 1ère sont souvent intéresséespar la perte de poids. Certainessont désireuses de prati-quer du fitness dans ou àl’extérieur de l’établis-sement. La formephysique du profleur paraît moti-vante, et c’est pour-quoi je m’efforce depratiquer le plus possi-ble avec mes élèves ; enlycée professionnel, l’enga-gement du prof dans les activi-tés est capital. Petit à petit, lesgarçons veulent apparaître “bien”

aux yeux des filles et cherchent àsculpter leur corps. Je proposetoujours des activités mixtes, maisne les impose jamais : lors d’uncours il se peut que se constituentdes équipes mixtes, et d’autresqui ne le sont pas. Dans certainesclasses, la mixité fonctionne, dansd’autres cela ne marche pas. En4e, quand les filles la souhaitent,c’est pour montrer leur force. Lesgarçons en ont un peu peur ! (En5e, pour les garçons, les filles c’estbeurk !) Pour faire fonctionner lamixité dans les activités, on passedu corps à corps (rugby, lutte) àdes activités avec moins de contactcomme l’accrosport ou ladanse. Parfois en

3e, la mixité des groupes d’activitése fait naturellement. Les premierscouples filles-garçons, commen-cent d’ailleurs à se former avec lespremiers émois. Il leur arrived’aborder ce sujet avec moi. Les re-lations sexuelles ne commencentpas vraiment pour la majorité desélèves au collège, mais au lycée.Les garçons ont globalementmoins de problèmes de surpoidsque les filles, et font plus de sport àl’extérieur de l’école, les parentsleur payant plus volontiers qu’auxfilles ces activités sportives… Glo-balement les questions de sur-

poids touchent plus les élèves deZEP que les autres, cela en

lien avec leur équilibre ali-mentaire…

Le corps et l’ÉcoleVie associative

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Le Conseil d’administration de CdEP a décidé que la rencontrenationale 2017 (voir page 46) aurait comme sujet “Le corps etl’École”. Deux aspects de cette question sont mis en avant : lecorps support de l’unité de la personne, et support de la com-munication entre les personnes. Pour lancer l’échange, noussommes allés interviewer une enseignante d’Éducation Physiqueet Sportive qui va faire sa huitième rentrée… pour la premièrefois dans le même établissement que l’année précédente.

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Chacun réalise sacourbe de performance, et es-saye de la faire évoluer en se fixantdes objectifs. Ne pars pas trop vite,voilà un conseil qui donne une phy-sionomie à la courbe ! C’est à lafois l’activité physique qui devientintelligible, et l’outil mathématiquequi prend du sens. On réalise desenquêtes statistiques sur l’ensem-ble de la classe.

Il me semble que l’enseignantd’EPS doit avoir comme missionde mettre les élèves en confiance.Le ludique n’est pas l’opposé dutravail. On a la chance de partiravec un a priori positif : la majoritédes élèves adorent venir en EPS,qu’on soit en ZEP ou ailleurs. Ànous de ne pas les décourager del’école !

Je suis témoin d’une très grandediversité dans la manière de com-muniquer avec son corps. En 6e, ily a des contacts physiques entreles jeunes d’un même sexe, sur-tout entre filles. Les garçons et lesfilles n’utilisent pas la bise maisdes salutations rituelles, leschecks*, entre garçons surtout.Ensuite apparaissent des contactsentre filles et garçons.

Ce que tu fais en ÉducationPhysique et Sportive autour del’importance du corps est-il enrelation avec ce qui se fait dansles autres cours ?

J’ai vécu cette année une situa-tion difficile : une élève n’est pasvenue en EPS, car elle avait hontede son corps. Elle était forte, maispas obèse, une fille gentille. Pen-dant la demi-journée où j’avaiscours avec elle, elle restait cachéedans sa cage d’escalier, en man-quant aussi les autres cours.Après de multiples échanges (In-firmière, médecin, chef d’établis-sement, collègues), j’ai acceptéqu’elle ne vienne pas en coursd’EPS à condition de venir dansles autres cours de la demi-jour-née. En fait cela n’a pas fonc-tionné, le décrochage s’estamplifié dans d’autres matières.Sa honte d’elle-même était unsymptôme (difficultés familiales,mère qui repart au pays). Les pro-fesseurs d’EPS peuvent aussiaider à réguler des questions ves-timentaires, et en parler avec lesélèves : « Venir en jogging àl’école, c’est trop moche, c’est lahonte ! » Eh bien on propose deschangements de tenue avant etaprès le cours…

Je suis engagée dans une acti-vité Mathématiques-EPS. On tra-vaille avec le professeur demathématiques sur le demi-fond.

Tu crois donc que la mise enœuvre de l’activité corporelle estbénéfique aux élèves ?

J’ai la passion de l’activitéphysique, car elle lie effort etplaisir. C’est cela que j’essaie

de faire partager aux élèves.Psychologiquement l’acti-vité physique permetd’avoir un contrôle, unemaîtrise du corps. Il y a làla possibilité pour desélèves d’acquérir un

équilibre de vie. À traversla manière de soigner son

corps, il y a enmême temps la vo-lonté de se plaire àsoi-même, et deplaire aux autres.Ces deux éléments,leur équilibre, sontessentiels pour la

vie personnelle etpour la vie sociale.

Les valeurs partagées dans lessports collectifs contribuent à leurtour à cette vie sociale. Plus tard,il y aura d’autres défis, à faire éga-lement partager à mes élèves : jesuis convaincue qu’on peut vieilliret s’efforcer de rester en formephysiquement.

C.K.Collège REP 69100

*On peut lire l’origine de ce geste surComment le “check” s’est imposédans la vie de tous les jours, sur le sitewww.francetvinfo.fr/monde (23 avr.2015).

Vie associative

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Rencontre Nationale de CdEP29/30 avril 2017

à Issy-les-Moulineaux.

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L’église St Louis de Fontaine-bleau abrite depuis 1624 cettegrande toile (343 x 260 cm) deQuentin Varin (1570-1626), unpeintre profondément marqué parMichel-Ange et le maniérisme ita-lien. Elle était sur le maître-autel,mais déjà décriée au XVIIe sièclepour ses nudités, elle y fut rem-placée en 1840, et se trouvemaintenant dans le transept nord.

Ce grand tableau s’inspire durécit de la guérison du paralytique,selon Jean ch. 5 et met en scènele v. 8 : “Jésus lui dit : ‘Lève-toi,prends ton grabat et marche’. – Etaussitôt l’homme fut guéri ; il pritson grabat et il marchait”. Le pein-tre se veut fidèle au reste du texte,à la foule présente : “[Là] gisaitune multitude d’infirmes…”, et à lapratique ancienne qui consistait àdescendre un malade dans la pis-cine “lorsque l’eau était agitée”,pour qu’il soit guéri.

Dans cette composition structu-rée par des cadres rigides, le pein-tre met tous ses personnages enmouvement, mais il les organiseselon deux cercles concentriques.

Le premier cercle, qui occupe leplan central et toute la largeur dutableau, est dynamisé par deuxmouvements. À gauche celui duparalytique qui se lève d’un bond,il avance sans regarder personne,et à droite le mouvement de Jésusdont le bras tendu explique le sur-gissement miraculeux du paraly-tique. On reconnaît, dans ce gestegénérateur de vie, celui de Dieudonnant vie à Adam, dans lafresque de la Sixtine. Le cercle seferme en bas avec des malades al-longés et écrasés qui semblentn’être que des faire-valoir, par rap-port à la puissance du paralysébondissant. À l’intérieur de ce

grand cercle, on en distingue unautre, plus petit et situé en arrièreplan : un homme allongé est sou-tenu par deux autres, qui le des-cendent dans la piscine afin qu’ilsoit guéri dès le bouillonnementmiraculeux de l’eau.

Je voudrais proposer une inter-prétation mettant en relation tousles plans et tous les personnages.

Si le geste de Jésus renvoie à laCréation, le mouvement du para-lytique renvoie à la Résurrection :il se lève en tenant son grabat,mais le peintre le fait surgir d’uncoffre qui ressemble à un sarco-phage. Il n’est pas seulementguéri d’une infirmité mais créé ànouveau, relevé de son tombeau,ce qui est le sens originel du mot“ressuscité”. Et Jésus, vêtu dubleu du Ciel, est la Parole de Dieu.

L’interprétation du premier planest plus délicate. À droite on voitun enfant et une femme, elle estcertes peu féminine mais biendans la tradition de Michel-Ange.Cette femme est en position d’ac-couchement, mais l’enfant est tropgrand pour être un nouveau-né ;par contre il reproduit exactementles gestes du paralytique guéri, etsurtout il semble plus rentrer dansle sein de sa mère qu’en sortir.Cela renvoie à la parole de Jésus àNicodème : “À moins de naîtred’en haut, nul ne peut voir leRoyaume de Dieu. Nicodème luidit : Comment un homme peut ilnaître, étant vieux ? Peut-il une se-conde fois entrer dans le sein desa mère et naître ?” Jn, 3, 3-4. Parla parole salvatrice de Jésus, le pa-ralytique est “re-né”, et l’enfant quien est l’image par les gestes, mon-tre symboliquement cette renais-sance en mimant la parole deNicodème. Cette lecture est confir-

mée par le geste vertical du jeunedisciple imberbe à côté de Jésus,l’apôtre Jean, l’auteur présumé del’Évangile concerné. Toujours enbas, mais à gauche, un autrehomme malade et prostré, regardeà la fois Jésus et l’enfant, et com-mence à s’agiter. Or cet homme aexactement la même tête que celledu paralytique : c’est son frère ; etla Parole de Jésus s’adresse à luiaussi, car la parole de Saluts’adresse à tout homme, touthomme est appelé à se relever, àressusciter. Ce grand cercle de laParole qui sauve, donne sens aupetit cercle de l’homme plongédans la piscine, car c’est par lebaptême que les hommes sontdésormais appelés au Salut.

La guérison du paralytique selonJean, a été représentée par lesplus grands peintres, mais ils choi-sissent soit le dialogue préalableentre Jésus et le malade, soit lemoment où le paralytique guériquitte la scène, jamais à maconnaissance, le moment du mira-cle lui-même. Et comme cette re-présentation du miracle est loin decertaines images pieuses ! Certes,l’arabesque des corps, la précio-sité des attitudes et la forme desvisages relèvent d’un certain ma-niérisme ; mais quelle force dansle mouvement de l’homme guéri etsauvé ! C’est elle qui nous est di-rectement communiquée. Cetteforce, le paralysé la reçoit, nous larecevons, gratuitement, car cetteguérison est la seule qui, dans lesévangiles, ne soit pas demandéepar le malade mais proposée parJésus lui-même. Cette force, quel’homme avait accumulée pendantdes années, il la libère, nous la li-bérons, pour aller de l’avant, sansregarder en arrière, mais en re-connaissant que Dieu agit.

La guérison du paralytique par Jésusde Quentin Varin

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Le peintre a situé cette scènedans une belle architecture an-tique ; or, ce qui est surprenant,c’est que la piscine de Bethesda(ou Bézétha) qui est décrite dansle texte comme étant proche de la“porte des Brebis”, et dotée decinq portiques, a bien existé et est

toujours visible : elle a été retrou-vée tout près de l’église Sainte-Anne, au nord du mont du Temple.Or un temple proche, dédié à Es-culape, suggère que des guéri-sons pouvaient être égalementattribuées à ce dieu. Jésus pour-rait donc être ici un simple thau-

maturge ; mais le génie du peintrea montré que son action dépas-sait très largement le simple mira-cle de guérison, pour nouscommuniquer un message de foien la vie nouvelle.

Serge Céruti

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Collaborateurs :

Comité de Rédaction :

Chrétiens dans l’Enseignement Public - 67 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 ParisTél. : 01 43 35 28 50 - site électronique : http://www.cdep-asso.org/ - courriel : [email protected]

Serge Céruti (iconographie)G. Million, D. Thibaudeau, L. Louvel (dessins)Tcho Picault, Françoise Pontuer (secrétariat)Andrée Fabre, Paulette Molinier, Juliette Panek(relecture)

Mireille NicaultBenoît PetitCatherine RéaliniMarie-Inès SilicaniÉdith Tartar GoddetIsabelle TellierJacqueline Xhaard-Bourdais

Suzanne CahenPierre DarnaudJean-Louis GourdainChantal GuilbaudMonique JudenneAnne-Marie Marty

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