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CAMPAGNES ET ANALYSES De l’école de la nature… à la nature de l’école C ’est avec les grandes lois scolaires de la Troisième République (1882-1884), produits de la volonté d’un monde rationaliste redevenu dominant sur le plan politique, que les sciences naturelles vont progressivement s’affirmer dans les programmes et les manuels scolaires. Si cette innovation pédagogique avait été tentée dès 1850, elle ne sera effective dans le primaire qu’en 1891, en particulier dans le cadre du certificat d’étude. Mais le mouvement d’introduction de la nature à l’école est loin d’être uniforme comme nous allons le constater dans cet article. La formation des élèves dans les écoles rurales va progressivement se différencier de ce qui sera enseigné dans les écoles urbaines. La conception de la nature deviendra de plus en plus utilitariste, au fur et à mesure qu’un enseignement spécifique de l’agriculture s’affirmera. Dans le monde urbain, un vaste mouvement d’éducation nouvelle va faire de la nature un support éducatif de choix, ce qui aura une influence sur le contenu des manuels. Puis, dans les années soixante, c’est la diffusion de la pensée écologique qui gagnera le grand public ainsi que le monde de l’édition. Et enfin nous analyserons pour conclure les conséquences de l’effacement de l’éducation à la nature au profit de « l’éducation » au développement durable. Les célèbres affiches « Deyrolle » ont couvert de très nombreux murs de classe à partir du milieu du XIXe siècle. La maison d’édition du même nom existe toujours et continue à fournir les affiches d’origine et de nombreuses autres affiches à vocation pédagogique. Deyrolle, 46 rue du Bac, 75007 Paris. www.deyrolle.com Après avoir présenté la nature dans l’éducation de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au XIXe siècle dans le précédent numéro de L’Ecologiste, Olivier Sigaut explore ici la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Comment est-on passé d’une école de la nature à une école où la nature semble dissoute dans le « développement durable » ? Quels sont les enjeux ? © Deyrolle L’ECOLOGISTE n°36 – VOL.13 N°1, JANVIER-MARS 2012 15

D el'école de la nature...à la nature de l'école

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Perd t'on l'éducation à la nature et sa pédagogie de la conscientisation au profit d'un dressage au développement durable?

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CAMPAGNES ET ANALYSES

De l’école de la nature… à la nature de l’école

C’est avec les grandes lois scolaires de la Troisième République (1882-1884), produits de la volonté d’un monde

rationaliste redevenu dominant sur le plan politique, que les sciences naturelles vont progressivement s’affirmer dans les programmes et les manuels scolaires. Si cette innovation pédagogique avait été tentée dès 1850, elle ne sera effective dans le primaire qu’en 1891, en particulier dans le cadre du certificat d’étude. Mais le mouvement d’introduction de la nature à l’école est loin d’être uniforme comme nous allons le constater dans cet article. La formation des élèves dans les écoles rurales va progressivement

se différencier de ce qui sera enseigné dans les écoles urbaines. La conception de la nature deviendra de plus en plus utilitariste, au fur et à mesure qu’un enseignement spécifique de l’agriculture s’affirmera. Dans le monde urbain, un vaste mouvement d’éducation nouvelle va faire de la nature un support éducatif de choix, ce qui aura une influence sur le contenu des manuels. Puis, dans les années soixante, c’est la diffusion de la pensée écologique qui gagnera le grand public ainsi que le monde de l’édition. Et enfin nous analyserons pour conclure les conséquences de l’effacement de l’éducation à la nature au profit de « l’éducation » au développement durable.

Les célèbres affiches « Deyrolle » ont couvert de très nombreux murs de classe à partir du milieu du XIXe siècle. La maison d’édition du même nom existe toujours et continue à fournir les affiches d’origine et de nombreuses autres affiches à vocation pédagogique. Deyrolle, 46 rue du Bac, 75007 Paris.www.deyrolle.com

Après avoir présenté la nature dans l’éducation de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au XIXe siècle dans le précédent numéro de L’Ecologiste, Olivier Sigaut explore ici la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Comment est-on passé d’une école de la nature à

une école où la nature semble dissoute dans le « développement durable » ? Quels sont les enjeux ?

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villes ayant pour origine, les crises économiques nombreuses dans la seconde moitié du XIXe siècle. À cela s’ajoutait le fait que la Troisième République souhaitait fonder sa légitimité sur le monde paysan, elle qui fut tout au long du XIXe siècle contestée sur un plan politique par différents mouvements factieux (Mac Mahon, Boulanger etc.). Il fallait donc former de façon spécifique le monde agricole, le faire entrer dans la modernité sans trop le déstabiliser, en l’encadrant grâce au corps des ingénieurs agricoles (3). À la même époque, on trouve les nombreuses actions de la Ligue de l’enseignement, créée par Jean Macé, à destination du milieu rural ce qui participe à la mise en place d’associations d’éducation populaire locale. Ces dernières devaient permettre la mise en place de bibliothèques circulantes, de collections scientifiques ainsi que de cycles de conférences, destinées à faire la promotion de la culture et de la science en milieu rural. Il s’agissait à travers ces dispositifs de développer des pratiques agricoles plus efficaces mais aussi de sortir les populations d’un certain obscurantisme dans lequel les avaient plongés la religion et le non-accès à la formation professionnelle. C’est une vision utilitariste et pratique de la nature qui va progressivement s’installer dans les campagnes, d’une façon pérenne. Une série de livres pédagogiques sera éditée, ils s’adresseront plus spécifiquement aux petits paysans, élèves des écoles primaires rurales. On y trouve des notions scientifiques enseignées dans les cours supérieurs des écoles rurales, dans l’optique de la préparation au certificat d’études primaires et de l’obtention d’une connaissance rationnelle de l’agriculture. De même, dans les manuels de formation des maîtres, il est présenté une approche pédagogique scientifique et expérimentale de la nature destinée à faire adopter une attitude rationnelle dans les pratiques agricoles. Il faut rappeler qu’il sera créé à cette époque dans le monde rural, des cours du soir destiné aux adultes soucieux de posséder des bases scientifiques pour leurs activités professionnelles, ces formations se déroulant en hiver quand les activités agricoles sont réduites. Une approche utilitaristeCes initiatives pédagogiques destinées à permettre l’émancipation du monde rural vont conduire celui-ci à adopter un rapport à l’environnement beaucoup plus technique, voire utilitariste, et le tenir ainsi à distance de la nature. On va progressivement assister à ce que P. Barral nomme « l’empaysannement des campagnes » (4). L’émergence d’une rationalité agricole (5) va se faire au détriment des cultures rurales traditionnelles et des différents savoirs vernaculaires. Dans le domaine de la botanique par exemple, c’est la connaissance des « simples », c’est-à-dire des plantes locales qui constituaient la pharmacopée populaire, qui va progressivement disparaître avec la modernisation agricole. Dans le monde rural, la botanique comme

La nature et l’agriculture en milieu ruralLa question de la formation des populations rurales et agricoles a toujours représenté un épineux problème pour le pouvoir politique depuis déjà l’Ancien Régime. En effet, la société curiale permettait au roi de contrôler les nobles qui s’avéraient un peu trop belliqueux. D’autre part, le monde urbain était lui sous la coupe de la bourgeoise dominante sur le plan de l’initiative économique. Mais le monde des campagnes constituait une inconnue pour le

pouvoir central. La population rurale fonctionnait en effet essentiellement en autarcie au sein de communautés villageoises pluriséculaires. Les liens de sociabilité se fondaient à la fois sur des rituels magico-religieux et sur des modes de relation économiques territorialisées et profondément ancrés dans l’univers symbolique. Et l’on avait depuis des siècles refusé

toute formation à destination du monde paysan de peur que ceux-ci ne volent leurs maîtres. C’est ce que disait déjà en son temps le général agronome romain Columelle, un discours que l’on retrouvera encore présent au 19e siècle (1). L’enseignement scientifique de l’agriculture sera l’occasion d’inverser ce mouvement, en faisant pénétrer la modernité dans les campagnes : il fallait fixer les populations rurales en leur assurant un revenu conséquent. Les professeurs départementaux d’agricultureUn événement, important dans l’amorce de ce mouvement de rationalisation, sera la mise en place du corps des professeurs départementaux d’agriculture. Le premier poste a été créé en Gironde en 1836 (2). Ce corps va permettre la diffusion de ce savoir agricole d’une façon massifiée et très encadrée. Ces professeurs au statut si particulier vont dispenser pendant des décennies, au sein des écoles normales, des cours d’enseignement agricole à destination des futurs instituteurs. Ces mêmes instituteurs ruraux deviendront eux-mêmes, progressivement, les propagateurs indéfectibles de la modernisation agricole en marche. Ainsi, dans les programmes du certificat d’études primaires destinées au monde rural, vont figurer des notions élémentaires de sciences naturelles adaptées à l’agriculture. Il était en particulier spécifié qu’un enseignement des sciences de la nature devait s’appuyer « sur l’observation des faits journaliers, l’analyse des phénomènes naturels que l’enfant peut observer dans son environnement (milieu) campagnard afin de comprendre les différentes opérations culturales », donc de l’utile et du productif. Il faut signaler qu’à l’époque, le pouvoir politique voyait avec inquiétude l’exode rural progresser. Un phénomène qui constituait selon les gouvernants un facteur d’instabilité sociale. Cette fuite vers les

Les premiers postes de « professeurs

départementaux d’agriculture » sont

créés en 1836

Olivier Sigautest professeur de sciences

sociales et de gestion de l’environnement au

ministère de l’Agriculture, en disponibilité. Il achève une thèse sur les politiques

publiques d’éducation à l’environnement à

Sciences-Po Bordeaux. Il mène également des recherches et

des formations sur le développement soutenable

et l’écologie urbaine avec son bureau d’étude Angelika ecosystem. Il prépare un film sur le

géographe libertaire Elisée Reclus ainsi qu’un moyen métrage sur les jardins et l’agriculture ultra-urbaine

en Europe. Contact : [email protected]

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libertaire de l’ancien inspecteur et ami de Ferdinand Buisson : Paul Robin (9). Une éducation intégrale qui privilégie les classes promenades, la découverte de la mer et de la nature, en plus d’une vision libertaire de l’éducation (10). Sébastien Faure (11) fondera en 1907 la Ruche, une école en liberté dans laquelle l’étude de l’agriculture et de la botanique constitueront des matières fondamentales. Après la première guerre mondiale s’affirme un vaste mouvement d’éducation nouvelle, soutenu par des pédagogues comme le Suisse Ferrière, le Belge Decroly, l’américain Dewey et le français Cousinet. Célestin FreinetAu début des années 1920, un éducateur va faire de la connaissance de la nature la base de sa pédagogie : c’est Célestin Freinet (12). Ce dernier, durant près de cinquante ans, va être le créateur avec ses compagnons pédagogues d’une impressionnante bibliothèque pédagogique avec des revues comme La Gerbe ou les célèbres Bibliothèques de Travail. Il est important de rappeler que dès les premiers numéros, les « BT » avaient fait de la connaissance de la nature et du monde physique leur point d’ancrage pédagogique. Avec comme exemple emblématique cette bibliothèque de travail publiée en 1956 en collaboration avec l’Union internationale pour la protection de la nature (UIPN) qui abordait déjà la question de l’érosion de la biodiversité. Cet intense travail de diffusion sera perpétué inlassablement dans les années cinquante par le réseau de l’Ecole moderne et les éditions PEMF, malheureusement disparues il y a peu. Après la Seconde Guerre mondiale on trouvera, dans certains manuels de sciences naturelles du secondaire mais aussi de leçon de choses du primaire, les fondements pédagogiques d’une approche écologique que l’on pourrait qualifier d’holistique, présentant les interactions entre les milieux et les espèces enseignées. En 1950, Roger Heim, directeur du muséum d’histoire naturelle de Paris et un des fondateurs de l’Union internationale pour la protection de la nature, va publier un ouvrage prophétique intitulé Destruction et protection de la nature. A cette occasion, il rédigera un chapitre entier sur la nécessité de mettre en place une éducation à la nature, éducation à la fois populaire et scientifique. En 1952, on voit

l’entomologie se réduisent essentiellement aux espèces cultivées et cultivables. Nous observons que ces pratiques vont progressivement codifier la relation aux espèces dans le monde agricole. Enfin, il est à noter que cet encadrement pédagogique des populations agricoles voire rurales se retrouve dans la formation qui leur est actuellement dédiée et qui constitue une singulière exception française. Il est important d’observer qu’aujourd’hui globalement les bases de l’enseignement agricole n’ont pas changé. En effet le savoir s’avère encore aujourd’hui essentiellement dispensé dans les disciplines techniques par d’ingénieux ingénieurs. Dans le cadre de programmes encore sous le contrôle des lobbies professionnels agricoles, même si un habile verdissement pédagogique est pratiqué depuis quelques années : l’enseignement agricole comme savoir « vert » ! Au final, nous sommes plus en présence d’adroites opérations de communication, voire de greenwashing, que dans une situation de remise en cause d’un enseignement répondant à une idéologie dominante agricolo-agricole de type productiviste. Nature et éducation nouvelle dans les écoles urbainesCe qui va se passer dans le monde urbain en matière de connaissance de la nature est autant paradoxal que ce qui c’est passé dans le monde rural. Un mouvement d’innovations pédagogiques fondé sur l’observation de la nature aura pour origine, au début du XIXe siècle, des pédagogues comme Rousseau, Pestalozzi et Fröbel, les précurseurs d’une éducation nouvelle s’appuyant sur la connaissance de la nature. Ce que l’on sait moins, c’est que dans les écoles urbaines une instruction à la nature va se renforcer progressivement, en particulier dans le cadre des classes promenades initiées par Ferdinand Buisson, le directeur de l’instruction publique et le fondateur de la ligue des droits de l’Homme et futur prix Nobel de la paix. Dans les villes, on assistera au très rapide développement des jardins ouvriers à l’initiative de l’abbé Lemire et de la ligue du coin de terre (6). L’intérêt pour la nature dans le monde urbain avec des pédagogues comme Paul Jovet (7) aura pour origine ce vaste mouvement. On assiste à la mise en place de jardins scolaires qui constitueront des supports éducatifs privilégiés dans le domaine de la connaissance de l’entomologie et de la botanique. On trouvera en complément pédagogique la célèbre série de manuels (leçon de choses, hygiène, botanique, flore) rédigés par le célèbre botaniste et écologue Gaston Bonnier (1853-1922), dont la flore est encore utilisée aujourd’hui en milieu scolaire L’éducation nouvelle sera promue par Demolins (8), le fondateur de l’école des Roches, un collège d’avant-garde qui prenait pour modèle les écoles anglaises de Bedales et d’Abbotsholme célèbres pour leurs enseignements tournés vers la nature et les exercices physiques. On trouve entre 1880 et 1894 à Cempuis les expériences d’éducation

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L’émergence d’une rationalité agricole se fait au détriment des cultures rurales traditionnelles

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la marge de l’école jusqu’à la nouvelle circulaire de 2007 dans laquelle on parle désormais d’éducation au développement durable. Ce glissement sémantique consacre, à notre avis, un changement profond, celui d’un abandon progressif d’une éducation populaire à l’écologie et l’environnement de type émancipatrice issue du XIXe siècle au profit d’un vague socle de compétences au service d’un néocapitalisme vert. ConclusionCes dernières années on a assisté à l’affirmation des préoccupations éducatives concernant les questions écologiques et environnementales. Cependant, on constate aujourd’hui dans la circulaire déjà citée de 2007 de l’Education nationale mais aussi dans la production éditoriale la disparition rapide de l’éducation à l’environnement au profit d’une « éducation au développement durable ». En effet, nous nous interrogeons sur un plan sémantique et pédagogique sur le développement outrancier de cette notion de « développement durable » (14). Une idéologie très moderne qui a tendance à occulter habilement les conditions politiques de sa construction sociale (15).

L’éducation au développement durable (et à l’environnement) constitue au final une excellente porte d’entrée et un bon prétexte pour permettre au monde du management (16) de s’inviter dans les classes d’école ! Selon nous, nous pouvons parler aujourd’hui de l’émergence d’une « bioécopolitique » (17) dans les sociétés occidentales au sein desquelles une écologie aliénée tend à devenir un prétexte pour la surveillance efficace des différentes populations. Nous sommes là bien loin du XIXe siècle et des conditions de l’affirmation d’une éducation populaire à la nature, accompagnée de méthodes actives d’éducation (18) ayant comme support la connaissance du vivant et des milieux. On constate au final le glissement d’une pédagogie de la conscientisation vers des pratiques de domination avec l’émergence d’une éducation (voire un dressage) au développement durable. ■

Notes

(1) O. Sigaut, « La construction de la nature dans les manuels scolaires et parascolaires : entre affirmation de nouvelles valeurs éthiques et naissance des proto-politiques publiques éducatives », in L’Education au développement durable (de l’école au campus). Actes du colloque d’Albi de juin 2008, sous la direction de Marie-Christine Zélem, Odile Blanchard, Didier Lecomte, L’Harmattan, 2009, p. 175-190.(2) P. Muller, Le Technocrate et le Paysan. Essai sur la politique française de la modernisation : de 1945 à nos jours, éditions Economie et Humanisme, 1984.(3) ibid.

apparaître en France les livres de vulgarisation scientifique de Rachel Carson à l’exemple de Cette mer qui nous entoure rédigée par la célèbre biologiste et spécialiste du monde marin qui publiera par la suite Printemps silencieux, un des premiers manifestes d’écologie politique.

Education populaire Puis, à partir de 1970, Bernard Fischesser, ingénieur et écologue, grand vulgarisateur, fait

paraître son extraordinaire livre sur La Vie de la forêt, un très bel ouvrage d’écologie scientifique et d’éducation populaire qui vient d’être réédité. Suivront par la suite, du même auteur, La vie de la montagne et Les Richesses de la nature en France. Il faut noter que les bases de la biogéographie et de l’écologie sont abordées dans ces ouvrages d’une façon admirable.

Le Conseil de l’Europe décrète 1970 comme étant l’année de la nature. A cette occasion sera publié par la Documentation française un livre au titre très évocateur intitulé : La Nature n’en peut plus, rempli d’images mettant en exergue les ravages de l’homme sur le milieu naturel. Dans un autre ouvrage étonnant, datant de 1972 et titré L’Enfant et l’environnement, il est important de souligner que l’on ne parle plus de nature mais d’environnement, terme encore peu usité à cette époque, même si le ministère du même nom a été créé en 1971. Ce livre, rédigé par des professeurs d’écoles normales à destination des enseignants est, sur le plan écologique, très intéressant par sa modernité. D’une part, les graphiques du rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance sont présentés et adaptés à une utilisation pédagogique. Par ailleurs, la tri-répartition chère au développement durable, l’économique, le social et l’environnemental y figure aussi. De plus, des notions comme l’écologie des paysages, les corridors écologiques, la dynamique des populations sont abordées, reflétant une véritable approche en termes d’écologie scientifique adaptée à la pratique de l’enseignement. À partir de 1975, l’UNESCO fait paraître une série d’ouvrages portant sur les questions spécifiques d’éducation à l’environnement dans le cadre des différentes conférences organisées sur le sujet à Tbilissi en 1975 puis à Belgrade en 1977. Durant ces mêmes années, on trouvera un ensemble de publications comme le journal La Hulotte destinées à sensibiliser les jeunes aux questions environnementales voire écologiques. Un mouvement pédagogique et éducatif était apparemment lancé et l’éducation relative à l’environnement reconnue avec une circulaire ministérielle de 1977. Le ministère de l’Environnement et de l’Education nationale s’associent même dans les années quatre-vingt (13) pour faire paraître une série d’ouvrages sur les questions d’écologie. Cependant, malgré l’abondance de textes et circulaires de toute sorte, l’éducation à l’environnement restera toujours à

CAMPAGNES ET ANALYSES

La connaissance de la nature est la base

de la pédagogie de Célestin Freinet (1896-

1966)

Les éditions des Equateurs ont eu la bonne idée de rééditer ce best-seller de René Leblanc paru il y a plus d’un siècle, en 1909. Cinquante sujets « accessibles aux intelligences de douze ou treize ans » sont abordés pour préparer le cer tificat d’études. Citons seulement un passage : « Les travailleurs de la terre oublient trop souvent que leurs meilleurs auxiliaires contre les insectes nuisibles, sont les petits oiseaux ; non seulement il ne faut pas les détruire, mais l’intérêt de tous exige que l’on protège leurs nids et leurs couvées. Qui se doute, à la campagne, qu’une seule mésange consomme, en une saison, quarante à cinquante milliers de chenilles ? Qu’un couple de chouettes dévore ou apporte à ses petits une centaine de souris ou de mulots en une semaine ? (…) Détruire sottement ces charmants auxiliaires (…) est un acte de barbarie méritant la réprobation universelle. » (p. 80-81). En 2012 encore, la destruction des haies et l’utilisation massive de produits chimiques laisse à penser que cette leçon du certificat d’étude de 1909 n’a pas été tout à fait assimilée…René Leblanc, L’Agriculture au certificat d’études. Questions et réponses, Editions des Equateurs, 2011, 128 p.

L’agriculture au certificat d’études

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un opérateur de neutralisation de la conflictualité », Langage et Société , numéro 134, Editions de la MSH, décembre 2010.(15) L. Sauvé, « L’équivoque du développement durable », Chemin de traverse, N° 4, 2007. (16) C. Laval, Le Nouvel ordre éducatif mondial. oMC, Banque mondiale, oCDE, Commission européenne, Editions syllepse, 2002.(17) O. Sigaut, « L’éducation à l’environnement entre politique et politique publiques », in Education relative à l’environnement : regards/recherches/réflexions, volume 9, La dimension politique de l’éducation relative à l’environnement, 2010-2011, p. 59-75. (18) O. Sigaut, « Sociogenèse d’un proto-enseignement agricole, une archéologie des politiques publiques d’enseignement agricole dans leurs relations à la construction sociale de la nature », in L’Education au développement durable dans tous ses états, coordination Michel Vidal, Editions sup agro, 2010, p. 16-37.

(4) P. Barral, Histoire des agrariens français de Méline à Pisani, Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 1968.(5) C. Grignon, L’ordre des choses. Les fonctions sociales de l’enseignement technique, Editions de Minuit, 1971.(6) B. Cabedoce et P. Pierson (sous la dir.), Cent ans d’histoire de jardins ouvriers, Editions Creaphis, 1996.(7) B. Lizet, A.E. Wolf, J. Celecia, Sauvages dans la ville. De l’inventaire naturaliste à l’écologie urbaine, Publication scientifique du muséum, 1999.(8) E. Demolins, L’Education nouvelle, Librairie de Paris – Firmin-Didot, 1898.(9) N. Bremand, Cempuis. Une expérience libertaire, Édition du monde libertaire, 1992(10) N. Baillargeon, Education et liberté, éditions Lux, 2005.(11) R. Lewin, Sébastien Faure et la « ruche » ou l’éducation libertaire, Editions Davy, 1989.(12)M. Barré, Célestin Freinet : un éducateur pour notre temps. Editions PEMF, 1995.(13) P. Giolitto, C. Cossat, G. Jollivet, Pour une éducation à l’environnement, numéro 2, septembre 1986.(14) A. Krieg-Planque, « La formule “développement durable” :

Le journal La Hulotte créé en 1972 lança des clubs CPN « Connaître et protéger la nature » pour les enfants qui eurent et ont toujours un grand succès. Ils sont aujourd’hui réunis dans une fédération, qui fait par exemple en ce moment campagne pour connaître et préserver la nature des bords de chemin.www.fcpn.org

Aujourd’hui, l’éducation à l’environnement est remplacée par l’idéologie du « développement durable »

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