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10 Dossier PRÉHISTOIRE DE LA NOTION DE RÉSEAU On partira ici de l’étymologie. Le mot « réseau », du vieux fran- çais « résel » (Marie de France, XIIe s.), variante de « réseuil », vient du latin « retiolus », diminutif de rete-retis, filet, qui a aussi donné le mot « rets ». Le filet en question a d’abord été un filet de chasse, destiné à rabattre de petits animaux en direction de leurs poursuivants. Mais, très vite, le filet s’est fermé, donnant lieu au sac à mailles, ou encore à la résille, coiffe enserrant, à l’époque, la chevelure féminine. Par analogie, des constructions à colom- bages étaient appelées, dans le monde romain, « maçonneries réticulaires » (reticulata structura) Considéré dans ce premier sens, le « réseau » est donc essentiellement un outil de capture, ce qui situe sa place de façon précise dans la culture. Si l’on adopte, en effet, la classi- fication proposée par André Leroi-Gourhan (4), l’ensemble des techniques peut être divisé en deux grandes classes: les tech- niques de percussion et les techniques de préhension (ou de capture), opposition philosophiquement fondée sur deux modes de rapport au monde tout à fait opposés : pénétrer ou fil- trer, aller vers, se projeter en avant ou, au contraire, entourer, encercler, lier. Cette opposition, très prégnante dans l’Antiquité, était alors illustrée par l’affrontement symbolique du gladiateur (teneur de glaive) et du rétiaire (détenteur du filet). Les Anciens étaient si conscients des avantages et désavantages réciproques des deux techniques (complémentaires plus que contradic- toires) que chacun des combattants voyait compenser les défauts de son arme majeure par une arme du registre opposé : le bouclier, pour le gladiateur, le trident et le petit couteau pour le rétiaire. Quelques aspects historiques de la notion de réseau Daniel Parrochia Notre ambition, dans cet article, est tout à fait modeste. Il s’agit de présenter, comme notre titre l’indique, quelques aspects historiques de la notion de réseau. Cette entreprise n’est pas la première du genre. Nous avons, naguère, en un temps où la notion de réseau était moins en vogue qu’aujourd’hui, contribué à mettre cette histoire en lumiè- re (1). Depuis, Pierre Musso a, à plusieurs reprises, développé une critique très utile des représentations auxquelles elle a donné lieu (2). Toutefois, comme Hegel l’a montré, des représentations de concepts ne sont pas des concepts, c’est pourquoi la mythologie, l’art, la religion, ne sont pas des moyens adéquats pour l’expression de la pensée (3). De plus, nous entendons nous limiter, pour l’essentiel, à l’histoire du noyau rationnel de cette notion, sans prétendre évidemment, dans la limite de l’espace qui nous est imparti, à l’exhaustivité. Soucieux de montrer de façon claire comment la notion de réseau s’est peu à peu dégagé du halo d’images et d’obstacles épistémologiques qui l’entou- raient, nous irons de ses aspects préhistoriques (le réseau comme filet) à ses usages effectifs dans la théorie des graphes et des réseaux de transport en montrant comment, de l’organisation de la matière à celle du territoire puis des moyens de communication, cette notion s’est avérée, peu à peu indispensable pour décrire les sociétés contem- poraines où, selon une thèse célèbre de Mac Luhan, les échanges et la re-production deviennent aussi importants, sinon plus, que l’appareil productif lui-même. Flux n° 62 Octobre - Décembre 2005 pp. 10-20 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.230.122.207 - 24/06/2015 11h21. © Métropolis Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.230.122.207 - 24/06/2015 11h21. © Métropolis

Daniel Parrochia-Quelques Aspects Historiques de La Notion de Reseau

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  • 10 Dossier

    PRHISTOIRE DE LA NOTION DE RSEAU

    On partira ici de ltymologie. Le mot rseau , du vieux fran-ais rsel (Marie de France, XIIe s.), variante de rseuil ,vient du latin retiolus , diminutif de rete-retis, filet, qui a aussidonn le mot rets . Le filet en question a dabord t un filetde chasse, destin rabattre de petits animaux en direction deleurs poursuivants.

    Mais, trs vite, le filet sest ferm, donnant lieu au sac mailles, ou encore la rsille, coiffe enserrant, lpoque, lachevelure fminine. Par analogie, des constructions colom-bages taient appeles, dans le monde romain, maonneriesrticulaires (reticulata structura)

    Considr dans ce premier sens, le rseau est doncessentiellement un outil de capture, ce qui situe sa place defaon prcise dans la culture. Si lon adopte, en effet, la classi-fication propose par Andr Leroi-Gourhan (4), lensemble destechniques peut tre divis en deux grandes classes : les tech-niques de percussion et les techniques de prhension (ou decapture), opposition philosophiquement fonde sur deuxmodes de rapport au monde tout fait opposs: pntrer ou fil-trer, aller vers, se projeter en avant ou, au contraire, entourer,encercler, lier. Cette opposition, trs prgnante dans lAntiquit,tait alors illustre par laffrontement symbolique du gladiateur(teneur de glaive) et du rtiaire (dtenteur du filet). Les Ancienstaient si conscients des avantages et dsavantages rciproquesdes deux techniques (complmentaires plus que contradic-toires) que chacun des combattants voyait compenser lesdfauts de son arme majeure par une arme du registre oppos:le bouclier, pour le gladiateur, le trident et le petit couteau pourle rtiaire.

    Quelques aspects historiquesde la notion de rseau

    Daniel Parrochia

    Notre ambition, dans cet article, est tout fait modeste. Il sagit de prsenter, comme notre titre lindique, quelquesaspects historiques de la notion de rseau. Cette entreprise nest pas la premire du genre. Nous avons, nagure,en un temps o la notion de rseau tait moins en vogue quaujourdhui, contribu mettre cette histoire en lumi-re (1). Depuis, Pierre Musso a, plusieurs reprises, dvelopp une critique trs utile des reprsentations auxquelleselle a donn lieu (2). Toutefois, comme Hegel la montr, des reprsentations de concepts ne sont pas des concepts,cest pourquoi la mythologie, lart, la religion, ne sont pas des moyens adquats pour lexpression de la pense (3).De plus, nous entendons nous limiter, pour lessentiel, lhistoire du noyau rationnel de cette notion, sans prtendrevidemment, dans la limite de lespace qui nous est imparti, lexhaustivit. Soucieux de montrer de faon clairecomment la notion de rseau sest peu peu dgag du halo dimages et dobstacles pistmologiques qui lentou-raient, nous irons de ses aspects prhistoriques (le rseau comme filet) ses usages effectifs dans la thorie desgraphes et des rseaux de transport en montrant comment, de lorganisation de la matire celle du territoire puisdes moyens de communication, cette notion sest avre, peu peu indispensable pour dcrire les socits contem-poraines o, selon une thse clbre de Mac Luhan, les changes et la re-production deviennent aussi importants,sinon plus, que lappareil productif lui-mme.

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  • Parrochia - Aspects historiques de la notion de rseau

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    Le sens de filet est constant jusquau XVIIe sicle, o lemot rseau est la fois un mot technique et populaire utili-s par les tisserands et les vanniers pour dsigner un entrecroi-sement de fibres textiles ou vgtales (5). Prsent dans les dic-tionnaires de Furetire (1670), de Richelet (1680) et delAcadmie (1694), il dcrit une sorte de tissu de fil ou de soie.Cest dans ce contexte et dans ce contexte seulement queDescartes lemploie. Dans son clbre Trait de Lhomme (6), lanotion de rseau sapplique la description de la zone cen-trale du cerveau, au-dessus de lhypophyse (la fameuse glan-de pinale dont Descartes pensait quelle tait le point decontact de lme et du corps). Cette zone joue le rle dunesorte de tamis pour les esprits animaux , particules reliant lesterminaisons nerveuses priphriques au centre crbral et

    assurant la transmission de linformation. Soit dansle sens centripte: les esprits vont alors agiter laglande pinale et susciter dans lme des affections,motions ou passions. Soit dans le sens centrifuge:ils transmettent alors aux muscles les ordres du cer-veau et rendent compte du mouvement volontaire.Le texte de Descartes est sans ambigut :

    Concevez [la] superficie AA, qui regarde lesconcavits EE, comme un rseau ou lacis assezpais et press, dont toutes les mailles sont autantde petits tuyaux par o les esprits animaux peuvententrer () pensez que les pores dont il est ici ques-

    tion ne sont autre chose que les intervalles qui se trouvent entreces filets, et qui peuvent tre diversement largis et rtrcis, parla force des esprits qui entrent dedans. (7).

    Contrairement ce quon a pu parfois soutenir, ce sont bienles mailles qui sont les tuyaux et les esprits ne circulent nul-lement le long des mailles. Ils les traversent. En consquence, lanotion de rseau na ici aucun sens circulatoire . Cesttout simplement un filtre.

    Au XVIIIe sicle, une premire inflexion va se produire danslhistoire de la notion de rseau. Ceci, cependant, ne la rap-proche nullement du sens moderne quelle a pour nous aujour-dhui. Le modle textile du filet va rester en place. Simplement,le faisceau de fibres quil constitue va prendre un caractreplus dynamique. Dans le contexte anti-mcaniste dvelopppar lcole de Montpellier, o la mdecine de Barthez mneune forte critique de la thorie des animaux-machines, la for-mation des vivants ne peut plus tre assimile une construc-tion technique. Influenc par le sensualisme de Locke et de sondisciple franais Condillac, Diderot imagine, quant lui, des brins sensibles capables de dveloppement, runis en fais-ceaux, et dont lensemble constitue ce quil appelle un rseau . Do le clbre dialogue du Rve de dAlembert, oBordeu, alias Barthez, dveloppe la variante dun filet sensibleen croissance:

    Mlle de Lespinasse. Et ce rseau?

    Bordeu. Na son origine aucun sens qui lui soit propre;ne voit point ; nentend point, ne souffre point. Il est produit,nourri ; il mane dune substance molle, insensible, inerte, quilui sert doreiller, et sur laquelle il sige, coute, juge et pro-nonce. (8)

    Daprs Descartes (1953), Trait de lHomme,Paris, Gallimard, p. 845

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    Dans cette conception, nulle volont dchapper lordreni la centralit. Pour Diderot, lorganisation du rseau fibr esthirarchise, et elle est galement enracine dans la tte.Limage sous-jacente est, en fait, celle de la toile daraigne:

    Les fils sont partout ; il ny a pas un point la surface devotre corps auquel ils naboutissent ; et laraigne est nichedans une partie de votre tte que je vous ai nomme, lesmninges, laquelle on ne saurait presque pas toucher sansfrapper de torpeur toute la machine (9)

    Un constat simpose donc: jusquau XVIIIe sicle, la notionde rseau a bien le sens dun filet , statique ou dyna-mique, mais rien ne circule encore le long de ses fibres. ChezDescartes, les esprits animaux en traversent les mailles.Chez Diderot, cest la fibre elle-mme qui se dploie commeune tentacule, et ragit tout entire aux sollicitations. Ce pre-mier sens du mot na donc rien voir avec le ntre et il seraitillusoire de chercher le rapprocher de nos proccupations.

    DE LA MATIRE AU TERRITOIRE

    Issue de la mtaphore textile, la notion de rseau , telle quenous la connaissons, va en fait se constituer dans le courant duxviiie sicle, en premier lieu dans le contexte dune rflexionsur lespace concret et sa mesure: Lespace physico-chimique,dabord, avec la naissance de la cristallographie chez Hay,Delafosse et Bravais. Lespace militaire ensuite, avec la rformedes dispositifs de fortification de Vauban, repenss parCormontaingne (1732) puis les investigation des gomtres(rticule de Labb La Caille, 1751; rseau de triangulations deCassini, 1780) qui, pour la premire fois de faon vraimentrationnelle, vont mettre en carte lespace gographique.

    Commenons par la cristallographie. Les premiresrflexions sur la matire et ses agencements, mene dans leTime, avaient conduit Platon souligner limportance de cinqpolydres rguliers (cube, ttradre, octadre, icosadre etdodcadre) qui formaient, selon lui, les lments fondamen-taux du monde, par agencement de triangles lmentairescontenus dans la Chra (espace btard lorigine de sa cos-mologie). Ces solides platoniciens dont Kepler avait cru, untemps, pouvoir faire un usage astronomique, vont alors servirun but plus modeste. LAbb Ren-Just Hay (1743-1822) enfera les types cristallographiques fondamentaux.

    Dcelant dans la nature un langage doublement articul, cesavant montre que les pierres conglomrent des minraux, maisque chaque minral se rduit lui-mme des pices de base,quil nomme molcules intgrantes , et dont les polydresplatoniciens et leurs troncatures forment tous les systmes pos-sibles (10).

    Delafosse, lve de Hay, introduira explicitement la notionde rseau en soulignant quun corps apparat sous formecristalline lorsque ses molcules offrent un rseau continu etuniforme , un systme rticulaire complet ou trois dimen-sions .

    Avec Bravais, au XIXe sicle, la notion de rseau se prciseraet admettra une dfinition vectorielle. En criture moderne,cest lensemble des points M dfinis par une origine O quel-conque et lquation:

    OM = m1a1 + m2a2 + m3a3o a1, a2 et a3 sont trois vecteurs non coplanaires, m1, m2 etm3 tant trois entiers positifs ou ngatifs non simultanmentnuls (11)

    Paralllement au dveloppement des sciences de la mati-re, la fin du XVIIIe sicle, comme nous lavons dit, voit galementlessor dune rflexion sur lespace concret. En 1781, AchilleNicolas Isnard (12) rflchit sur lutilit des routes et des voiesnavigables et prconise linterconnexion de ces deux rseauxfondamentaux dans de grands comptoirs rservs aux mar-chands et tablis le long des voies deau (13). A laube duXIXe sicle, en 1802 trs exactement, DAllent, dans son Essai deReconnaissance Militaire, montre limportance stratgique desvoies de communication et dcrit lespace gographiquecomme le double canevas des routes et des eaux . (14) Dansles annes 1850-1863, J.G. Kohl puis L. Lalanne (1811-1892)

    Daprs Y. Qur (1988), Physique des matriaux,Paris, ditions du Marketing

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  • Parrochia - Aspects historiques de la notion de rseau

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    ingnieur des Ponts et Chausses; se proccuperont dela gomtrie des rseaux de transport (15).

    Lanalyse spatiale progressant, le gographeChristaller (1938) en viendra alors formuler desconditions dorganisation gnrale du territoire, quimettent en jeu les distances entre ses ples urbains. Ilsretrouvent deux lois clbres, formules pour la pre-mire fois par Lalanne (16) et qui malgr leur carac-tre approximatif souvent mis en exergue par les go-graphes jettent les bases de lanalyse spatiale:

    La loi dite de lquilatrie qui affirme que lesdistances mutuelles de deux agglomrations voisinesde mme ordre scartent peu, en moyenne dune lon-gueur donne.

    La loi des distances multiples, qui stipule que la distancemoyenne de deux agglomrations dun mme ordre de gran-deur est un multiple exact de la distance moyenne relative chacun des ordres infrieurs.

    Le rsultat cumul de ces lois est une structure cristallinehexagonale qui semble rpliquer, au niveau du territoire lesorganisations mmes de la matire.

    Ainsi, dans le domaine microscopique comme dans lorga-nisation de lespace grande chelle, on voit ainsi merger unconcept de rseau dun genre nouveau, cependant encoreincomplet : dans ce type dapplication, le concept reste encorepurement spatial, proche de ce que sera un jour la notion degraphe (dans le cas o les artes ne sont pas orientes ). Ilnest pas question ici de circulation. Le filet que les Anciens

    rservaient au domaine de la vie quotidienne sest simplementtendu dans linvisible. Et il a diffus, paralllement, dans les-pace gographique. Mais on ne prend toujours pas en comptece qui y circule.

    RSEAU ET CIRCULATION

    La question des flux et des circulations a emprunt un tout autrechemin. Comme on la vu, le mot rseau navait pas, danslAntiquit, le sens de rseau de transport ou de rseau decommunication . Bien entendu, cela ne veut pas dire que lesAnciens navaient pas de pense de la communication. EnGrce, dj, Herms se posait en dieu des voleurs et des carre-fours. Il tait li lide de ruse (mtis) (17) aux images du pigeet du labyrinthe, Ddale et la mythologie de lartisan (18).Chez les Romains, Mercure devait hriter de ses prrogatives.

    rseau cubique structure chimique de type hexagonal

    La thorie des centres de Christaller

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  • Flux n 62 Octobre - Dcembre 2005

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    Mais cest surtout la ncessit dorganiser la vie dans la citqui a amen les Romains crer dauthentiques rseauxconcrets (voies routires, aqueducs, rseaux de distribution etdvacuation des eaux urbaines) (19), dont il subsiste aujour-dhui, comme on le sait, de nombreuses traces archologiques.

    Toutefois, les Romains nutilisaient pas le mot rete-retis pourdsigner ces systmes de distribution ou de communication.

    En revanche, au Moyen ge, les progrs de lanatomieferont dcouvrir chez certains mammifres (paresseux, ctacs,pinnipdes et loutres) des organisations capillaires denses dusystme circulatoire quon baptise immdiatement, cause deleur forme en filet, retia mirabilia , rseaux admirables .Cette appellation est dautant mieux choisie quon connataujourdhui le rle de ces organisations: la fois filtre etrchauffe, elles dissolvent les bulles dair accumules en prio-de de plonge, et font remonter la temprature du corps delanimal quand, par inversion de la circulation veineuse, le sangse concentre dans ces rseaux, qui agissent un peu comme une rsistance .

    On doit cependant viter tout anachronisme. De fait, on nepossde pas de thorie relle de la circulation sanguine avantWilliam Harvey (1578-1657). Ce savant, qui dissque daborddes cadavres Cambridge, travaille ensuite Padoue. Cest l

    quil rencontre Fabrice dAcquapendente, mdecin et physi-cien. Dans le cadre galilen dune explication mathmatique etmcaniste de la nature, celui-ci vient de dcrire les valvules desveines comme des soupapes qui sopposent la circulationdu sang dans la direction cur-tissu et la laisse circuler dans lesens tissu-cur. La thse, lpoque, est rvolutionnaire, carelle contredit la thorie de Galien, pour qui le sang, dans lesveines, va du cur au foie puis du foie au tissu. Comment prou-ver la nouvelle hypothse? En examinant des grenouilles, dontles battements cardiaques sont particulirement lents, Harveydcouvre le rle des oreillettes, voit leur contraction, qui faitpasser le sang dans les ventricules, et met en vidence lacontraction systolique du cur, cause du pouls. Il va jusqumesurer la quantit de sang chass en une heure: il ne lui fautpas longtemps pour sapercevoir que, si chaque battementchasse 100g de sang, 70 battements par minute doivent en pul-ser 420 kg. Il en dduit quil est impossible que tant de sangprovienne du foie, ce qui signifie que le sang est ncessaire-ment recycl. En 1616, il propose donc un schma de la circu-lation o le cur (muscle) agit comme une pompe aspirante-refoulante (20).

    Ds lors, le schma harveyen de la circulation du sang dansle corps humain va relguer les explications cartsiennes auxoubliettes : le cur nest plus un viscre, il nagit pas comme

    Schma de distribution des eaux urbaines Rome(Daprs J. Bonnin (1984), Leau dans lAntiquit, Paris, Eyrolles, p. 47).

    Fig.2-8. - Schma dune distribution deau romaine

    conduite dadductionchteau deau3 conduites de mme diamtreciternesconduites de trop-plein des citernes extrieuresalimentation des maisons privesalimentation des bassins et fontaines publicsalimentation des thermesmaisons privesbassins et fontainesthermes

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  • Parrochia - Aspects historiques de la notion de rseau

    Dossier 15

    une chaudire vaporisant le sang dans les artres. Ce muscle esten ralit un circulateur . Sa fonction devient gnrique, etelle pourra, terme, tre transpose au plan du corps social .Ce schma de la circulation, en particulier, animera longtempsla rflexion des conomistes, non sans tre, cependant, multi-plement contest. Au XVIIIe sicle, en effet, si nous en croyonsFrancine Markovits (21), deux modles conomiques saffron-tent. Lun, harveyen, compare la circulation des flux cono-miques dans le corps social la circulation sanguine dans lecorps humain (pour Law, par exemple, la banque constitue-ra prcisment une sorte de cur ). Lautre modle (dfendupar Condillac, Turgot ou Montesquieu) sinspirera davantage delhydraulique: ainsi, la dispersion des marchs est pense limage des fontaines, qui rassemblent le ruissellement dessources, suivant les courbes de niveau alimentant les vallons,pour la plus grande fcondit de la cit et le plus grand bonheurdes citoyens. Via la mdecine et lhydraulique, le filet acquiert donc des capacits circulatoires. Le dveloppementdes grands rseaux de transport au XIXe sicle (rseau routierpuis ferroviaire) va parachever cette rupture.

    LA NOTION DE RSEAU DE TRANSPORT

    Comme nous lavons montr dans notre ouvrage en suivant lesbeaux travaux dAndr Guillerme (22), des ncessits concrtesdevaient amener rformer les routes, quune voirie mal pen-se rendait incertaines, dangereuses, et mme insituables (lesgrosses pierres dont elles taient paves, dplaces sous lactiondes intempries et du roulage, laissaient la place des orniresimmenses qui obligeaient des contournements de plus en plusimportants). Une triple rvolution devait amener, en quelquesannes, une rforme complte du rseau: la technique de lem-pierrement et du blocage, avec linvention du procd MacAdam (1818) qui prconise un gravillonnage lger en multi-couches convexes, bloques par des bornes; la rforme de lavicinalit (1836), qui met les liaisons dpartementales dans ladpendance des prfets et des conseils de rgion; un encadre-ment quasi militaire des agents-voyers, calqu sur lorganisationhirarchique du corps des Ponts et Chausses, et qui veille lexcution de travaux pratiquement imposs. Do, enquelques annes, un dveloppement fantastique du rseau rou-tier, qui passe denviron 30000 kilomtres avant la Rvolution 600000 dans les annes 1880.

    La construction du rseau ferroviaire devait doubler cettepremire irrigation du territoire dune seconde, plus rigide et

    srement plus contrainte, mais non moins essentielle. Lide decombiner la traction vapeur connue depuis les inventions deDenis Papin (1671), James Watt (1665) et Nicolas Cugnot(1669) avec le roulement sur rail, dont les vertus sont dcou-vertes ds le dbut du XVIIe sicle (mines de Newcastle), remon-te aux premires annes du XIXe sicle en Angleterre. RichardTrevithick y fait circuler la premire locomotive vapeur en1804. Quelques annes plus tard, en 1808, il en prsente unenouvelle Londres, avant que William Hadley apporte, six ansplus tard (1814), la preuve exprimentale de ladhrence fer-fer,avec une locomotive de 8 tonnes, qui pouvait remorquer50 tonnes 8 kilomtres heure. En 1823, les Anglais George etRobert Stephenson fonderont, Newcastle, la premire usinede construction de locomotives. En 1825, le premier train devoyageurs, tir par une locomotive de 90 tonnes, circulera surla ligne Stockton-Darlington; prs de 20 kilomtres heure.

    Lavnement dun vritable rseau devait exploiter linven-tion de laiguillage, systme dont le point de dpart est linven-tion de langlais William Jessop en 1789, et qui, en autorisantles bifurcations, donne de la souplesse au rail, jusque l li une trajectoire unique et rigide. Son lectrification permettra en1898, de commander les voies de la gare de Lyon. Ds lors, lesrseaux ne vont cesser de crotre. Les grandes lignes se dve-loppent partir de 1827, et lon saligne, progressivement, surun mme cartement des voies (1,435 m) dans la plupart despays dEurope. Peu peu, les vitesses augmentent et le rail sal-longe. Au milieu du XIXe sicle, le chemin de fer comptait dj90000 kilomtres de lignes dans le monde, parmi lesquels14000 kilomtres aux tats-Unis, 10500 en Angleterre, 5800en Allemagne et un prs de 4000 en France. Multipliant lesvitesses par dix, les charges remorques par cent, le chemin defaire rvolutionne lconomie: la houille se diffusant dsormaisloin du carreau des mines, la production industrielle en estacclre, le commerce galement. Le tourisme suivra le mou-vement. En France, ds 1833, le plan Legrand trace une toiledaraigne ferroviaire partir de la capitale. En 1878, le planFreycinet portera le rseau ferr de 20000 40000 kilomtres.Dans la seconde moiti du XIXe, o leffort sintensifie, lenombre de voyageurs-kilomtres passe de 100 millions 11 milliards, tandis que le nombre de tonnes kilomtres passede 400 millions 14 milliards.

    Si lon ajoute cela la naissance des tlcommunications,dont il serait trop long de parler ici le tlgraphe de Chappe(1792), bientt lectrifi, linvention du tlphone (Bell, 1876),

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    les dispositifs de captage des ondes radio (Hertz, Branly, Lodge,Tesla, Popoff) puis la tlgraphie sans fil ou TSF (Marconi,Edison, Fleming, Lee de Forest) respectivement dcouvertesdans la deuxime moiti et vers la fin du XIXe sicle, la plantese couvre peu peu de rseaux invisibles qui contribuentobjectivement, quoiquon en pense, rapprocher les hommes.

    Ces rvolutions les deux premires en particulier nepouvaient laisser indiffrents les philosophes, qui vont lesaccompagner, les justifier, leur trouver un ancrage naturel et desextensions. Ainsi, pour Saint-Simon, le corps humain est djun ensemble de rseaux composs de canaux, vaisseaux, capa-cits et tubes divers. La bonne sant du corps (social commehumain) suppose la libration de la circulation dans lesrseaux: de la circulation sanguine dans le corps humain, de lacirculation de largent dans le corps social. Do la ncessit decrer des circulateurs artificiels (chambres dinvention,dexamen, dexcution de projets) pour hter les circulations etvivifier le corps social. Do une utopie de la communication laquelle, au besoin, la religion aidera: une fausse tymologie dumot ne veut-elle pas quil signifie ce qui relie ? Dans lesannes 1825-1831, Decaen, Enfantin, Chevalier (voir sonarticle sur le systme de la mditerrane , fvrier 1832) dve-loppent le concept de rseau. Ils prconisent notamment lamise en communication de lOrient et de lOccident. Dolide dEnfantin, de percer listhme de Suez. F. de Lesseps(1805-1894), diplomate franais saint-simonien, reprenant cetteide, fera percer Suez en 1869, et en 1881, commencera lecreusement du canal de Panama, lequel ne sera achev, commeon sait, quaprs sa mort, en 1914.

    Pierre Musso, qui a rappel lessentiel de cette histoire asoutenu quavec le Saint-Simonisme, la notion de rseau attein-drait ainsi son point dacm. Car le moment o elle parvient la conceptualisation que lui donnent les saint-simoniens est

    aussi celui o elle dgnre en idologie, et mme en tholo-gie: avant que la cyberntique (N. Wiener), le systmisme(Bertalanffy, Parsons) ou la mythologie New Age de certains internautes ne sen mlent, il sagit dj, au fond, pour cespenseurs, de rtablir une hypothtique transparence entre leshommes en instituant une nouvelle communion sociale. Le suc-cdan de cette croyance se retrouverait alors dans les idolo-gies qui se sont dveloppes la fin du XXe sicle autour destlcommunications, des autoroutes de linformation, et delide fragile et dangereuse dune rgulation sociale par lesrseaux (23). On se gardera de confondre, cependant, les basesscientifiques et techniques des approches systmiques et rticu-laires, et les idologies plus ou moins dlirantes auxquellescelles-ci ont pu donner lieu.

    VERS LA THORIE DES GRAPHES ET DES RSEAUX

    En-dea ou au-del de ces idologies, demeure cependant unoutil efficace, et, au fond, assez neutre: le noyau rationnel de lanotion de rseau. Mathmatiquement labor dans le courantdu XXe sicle, celui-ci se constitue dans le contexte de la tho-rie des graphes, qui plonge ses racines les plus lointaines dansun travail du mathmaticien L. Euler. En plein XVIIIe sicle, aumoment o le quantitatif est lhonneur, le mathmaticiendmontre lun des premiers thormes dAnalysis situs, discipli-ne fonde par Leibniz et anctre de la topologie. Pour tre anec-dotique, le problme qui en fut loccasion nen est pas moinsrest clbre en mathmatiques: cest celui des Ponts deKnigsberg, dfinitivement rsolu par Euler en 1736 (24).

    Le problme est le suivant : tant donn que la ville estconstruite sur deux les relies au continent par six ponts, etentre elles par un pont, trouver un chemin quelconque permet-tant, partir dun point de dpart choisi, de passer une seulefois par chaque pont et de revenir son point de dpart (tant

    Le problme des ponts de Knigsberg

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    entendu quon ne peut franchir leau que par un pont).

    Par une dmarche purement qualitative, le mathmaticienprouve quun tel chemin est impossible, et cela, pour une rai-son trs simple: lorsquon reprsente ponts et territoires par deslettres, la dfinition du chemin amne une suite impaire au lieudune suite paire. En langage moderne, Euler prouve que si ungraphe connexe a plus de deux sommets de valence impaire, ilne peut contenir de cycle eulrien.

    Une autre origine de la thorie des graphes, lie la prc-dente car relevant tout autant de lAnalysis Situs, se trouve dansla pratique du jeu dchecs, plus spcifiquement, le problmedu parcours du cavalier, lui-mme li la gomtrie du tissage.Les travaux du mathmaticien A.-T. Vandermonde (1735-1796),qui remarque cette parent, permettent dinstituer une crituredestine figurer lentrelacement tridimensionnel des fils dansles motifs (24), dont la figure gnrale sapparente au dplace-ment du cavalier aux checs.

    Malgr ces dbuts prometteurs, le concept de graphe pro-prement dit ne sera vritablement constitu que bien plus tard.Il sera dailleurs prcd par le concept d arbre mathma-tique, dont linvention sera suscite par les progrs de lalgbreet de la chimie.

    Cest le mathmaticien Arthur Cayley (1821-1895) qui jouaici un rle de pionnier (26). Il travaillait lpoque sur desexpressions algbriques o des termes de mme nature P, Q, U,figuraient la fois comme oprateurs et comme oprandes.Dans ce contexte, lexpression PU tait cense traduire le rsul-tat de lopration P appliqu U Le produit QPU figurait, quant lui, le rsultat de lopration Q applique PU.

    Posons alors QPU = (Q x P) U + (QP)U, avec Q x P produitalgbrique et QP rsultat de lopration Q applique P.Comment diffrencier (Q x P)U et (QP)U? Le problme devientcrucial si lon rajoute un quatrime oprateur R. Comment

    sparer les diffrentes formes susceptibles dtre produites?

    La solution de Cayley est graphique. On peut reprsenterfacilement les oprations prcdentes au moyen des schmassuivants :

    Le concept d arbre , comme graphe connexe sanscycles en rsulte ncessairement.

    Tout de suite, la nouvelle structure savre particulirementutile aux sciences de la nature. Dans les annes 1850, face lacomplexification introduite par la chimie organique, on assisteavec Kkul, Frankland et Sylvester, la naissance dun systmegraphique de notation chimique nouvelle qui finira par prendrela forme suivante, assez proche de la ntre. Mais, trs vite, ilapparat que les mmes molcules peuvent tre arranges diff-remment, soulevant la grande question des isomres. Parexemple, la formule C3H7OH donne lieu aux deux dispositionssuivantes (graphique page 17) :

    Ceci amnera Cayley travailler une thorie mathma-tique des isomres: il peroit immdiatement que le problmede lnumration des isomres se ramne la possibilit den-gendrer tous les arbres mathmatiques possibles ayant unnombre fix de nuds et de liaisons. De la natra la notion de graphe chimique . Le vocabulaire de la thorie des graphesen sera, du reste, pour longtemps influenc. Au milieu duXXe sicle, on nommait encore valence des sommets dungraphe le nombre darcs incidents quils contenaient.

    La notion de graphe G (X,U), avec le sens quelle aaujourdhui, apparat pour la premire fois dans une note deJames Joseph Sylvester de fvrier 1978 (27) et la premire tudesystmatique des graphes sera mene par Denes Knig (1884-1944) en 1936. Mais il faudra attendre un article de W.T. Tuttede 1947 pour trouver lexpression de graph theory (28).

    Sur le continent, et notamment en France, pour de longuesannes, la notion de graphe et celle de rseau vont se

    PU (Q x P) U (QP)U

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    confondre. En 1926, le mathmaticien Andr Sainte-Lagupublie un livre intitul Des rseaux (ou graphes) . En 1934,Julien Pacotte fera paratre un ouvrage intitul Le rseau arbo-rescent qui relve pour lessentiel de la thorie des algbresde Boole. La confusion persistera longtemps puisque le mot rseau sera mme au dpart utilis pour traduire langlais lattice , avant que nmerge la notion de treillis . On trou-ve encore dans les annes 1970, certains ouvrages dArnoldKaufmann o les notions de treillis , lattis ou ensemblerticul sont prsentes comme quivalentes (29).

    Malgr ces ambiguts, et alors quun concept proprementalgbrique de rseau allait se dvelopper dans la mathma-tique bourbachique, le rseau au sens de network allaitprendre son autonomie dans les annes daprs guerre, avec lathorie mathmatique des rseaux de transport . Issue destravaux de L.R. Ford et D.R. Fulkerson (30), cest sous limpul-sions de proccupations pratiques et en liaison avec des pro-blmes de recherche oprationnelle quelle a pris son essor,provoquant, en retour, un retentissement mathmatique impor-tant sur la thorie des graphes o, associe un formalismealgbrique, elle permet de rsoudre de nombreux problmes,pour la plupart suscits par le dveloppement de rseaux com-plexes, tels le rseau lectrique.

    Mais travers le dveloppement de linformatique, lanotion de rseau devait encore subir des gnralisations remar-quables. Avec lide dassigner aux nuds dun rseau unevaleur capable de varier sous certaines contraintes, la notion derseau a pu tre ensuite tendue diffrents domaines de lau-tomatique. Les rseaux deviennent alors des outils capables dersoudre des problmes lis des processus stochastiques qui

    vont de la thorie de linformation la reconnaissance desformes. Par ordre de gnralisation croissante, on voit alorsapparatre les graphes stochastiques, les rseaux de files dat-tente, les rseaux de Ptri, puis, avec le progrs de lalgorith-mique et la matrise des rseaux multicouches, les rseau deneurones formels, lorigine du regain du paradigmeconnexionniste (31) dans les annes 1970-1980.

    DES FORMALISMES LUNIT DU MONDE

    Au cours de sa lente formation, trois aspects des rseaux et troistypes de problmes ont donc merg:

    Le premier aspect est laspect topologique. Des objets tantdisperss dans lespace, la question essentielle est dabord dereprer leur site et de dnombrer leurs liaisons, ainsi que dva-luer la longueur de certains parcours. Les problmes majeursrencontrs ici sont des problmes de plus court et de plus longchemin, lanalyse de la forme du rseau passe par une panopliedindices bien connus des gographes et des psychologues (dia-mtre, centralit, connexit, connectivit, etc.) (32).

    Le deuxime aspect de la notion est laspect rhologique. Sides lments circulent sur des arcs, il faut assurer de bonnesconditions de transport du point de dpart au point darrive,viter la saturation des arcs comme laffaiblissement des flux.Do les grands thormes de la thorie des rseaux: thormedu flot compatible, thorme du flot maximum. Par ailleurs, lancessit dassurer la rgulation de ce qui circule impose desrservoirs ou des rpteurs : lagent de police, la gare de triage,la station de pompage, le relais hertzien assurent ainsi des fonc-tions identiques. Une immense unit du monde se dgage duformalisme utilis (33).

    Alcool propylique Alcool de Friedel

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    Le troisime aspect est laspect stochastique. Il sagit dsor-mais de grer une certain alatoirit des liaisons ou des flux,donc de matriser les processus squentiels ou parallles quiassurent la transition de site site, vident ou alimentent lesrservoirs, selon des modalits qui sont parfois plus complexesque ce que la programmation linaire peut prendre en compte.Do le recours la notion de plan rvisable et linterven-tion de stratgies et dheuristiques combinant au support gra-phique des lments de thorie des jeux ou du calcul des pro-babilits (34).

    Les notions de graphe et de rseaux rendent donc dim-menses services aux socits modernes, confronts des pro-blmes majeurs : lordonnancement de tches en vue de laconstruction dobjets techniques complexes, la fiabilisation desactivits industrielles, loptimisation ditinraire de tournes(postier chinois, voyageur de commerce), la rsolution de diffi-ciles problmes de taxinomie, la maintenance et remplace-ment de matriels vtustes dans une usine, laffectation de per-sonnel, la gestion optimale des rserves ou des stocks en fonc-tion des alas des apports ou des ventes, la rotation dunensemble de vhicules ou dquipage, etc. (35).

    Lavnement de la gomtrie fractale, la dcouverte du ph-nomne dinvariance dchelle, la physique de la turbulence etdes changements dtat ont rcemment rvl lintrt dtudierla dynamique de rseaux molculaires, ainsi que les phno-mnes de diffusion et de percolation dans un rseau (36). Il enrsulte que des phnomnes aussi diffrents que les transitionsde phase, les tremblements de terre, la propagation dun incen-die de fort, la conformation de polymres, le rythme car-diaque, la diffusion et la croissance dinterfaces, sont justi-ciables des mmes modles, qui peuvent eux-mmes servir deparadigmes pour la comprhension de ce qui se passe dans unesocit entre des individus dautres chelles (propagation

    dune rumeur, krach boursier, etc.) On en vient donc penserlmergence de formes nouvelles inattendues en termes dedynamisme rticulaire.

    CONCLUSION

    Au fil de lhistoire des sciences et des techniques, sest dgagprogressivement le caractre profondment rticulaire de laplupart des organisations naturelles et sociales La forme gn-rale du rseau a merg des problmes concrets qui seposaient face aux ralits naturelles et aux constructionssociales, et ses proprits ont alors t tudies pour elles-mmes dans le cadre de laxiomatique de la thorie des grapheset des rseaux. Aujourdhui, la notion de rseau est un outilthorique dutilisation courante qui met en relation diffrentsdomaines des mathmatiques (algbre, topologie, thorie desnombres, etc.) dont aucun scientifique ne songerait se passer.

    Des approches plus rcentes en font galement un outil dela physique non linaire, de lconomie, de la gographie etpeut-tre de la sociologie (37). Mentionnons en particulier lestravaux de Gabriel Dupuy sur lurbanisme des rseaux ou lin-formatisation des villes, qui font de la notion de rseau un outilmajeur pour comprendre et matriser la complexit urbaine, ou,plus rcemment, le travail sur la gographie dinternet et sesanalogies avec les autres rseaux (38).

    Au-del du Saint-simonisme, la notion de rseau reste doncbien vivante, effective et utile et cela, quelles que soient lesidologies dont elle peut saccompagner par ailleurs.

    Daniel ParrochiaUniversit Jean Moulin - Lyon III

    NOTES

    (1) Parrochia, D. (1993), Philosophie des rseaux, Paris,PUF.

    (2) Musso P. (2001), Gense et critique de la notion derseau in Parrochia, D. (ed), Penser les rseaux, Seyssel,Champ Vallon, pp. 194-217. Voir galement : Musso, P. (2003),Critique des rseaux, Paris, PUF; et Musso P. (2003), De lamythologie grecque lidologie dInternet , in Musso, P. (ed),Rseaux et socit, Paris, PUF.

    (3) Hegel, G.W.F. (1971) Leons sur lhistoire de la philoso-phie, I, tr. fr. Paris, Gallimard, p. 242.

    (4) Leroi-Gourhan, A. (1971), Lhomme et la matire, Paris,Albin Michel, p. 43; cf. Leroi-Gourhan, A. (1973), Milieux ettechnique, Paris, Albin Michel, pp. 86-92.

    (5) Guillerme, A. (1988), Gense du concept de rseau.Territoire et gnie en Europe de lOuest, 1760-1815, Universitde Paris VIII, p. 7-8.

    (6) Descartes, R. (1953), Trait de lHomme, uvres, Paris,Gallimard, p. 842-43.

    (7) Ibid., p. 844-846.(8) Diderot D. (1984), Le Rve de dAlembert, Paris, Livre de

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    Poche, p. 59.(9) Ibid., p. 49.(10) Dagognet, F. (1973), criture et Iconographie, Paris,

    Vrin, p. 135.(11) Bravais, A (1866), tudes cristallographiques, Paris. Cf.

    Qur, Y. (1988), Physique des matriaux, Paris, Ed. duMarketing.

    (12) Isnard, A.N. (1781), Trait des Richesses, Part. 1, liv. II,p. 113-116, cit in Flux (1989), numro spcial, RseauxAnthologie 1781-1963 , GDR 903 Rseau, CNRS, p. 9.

    (13) Lepetit, B. (1989), in Flux (1989), op. cit., p. 7; cf.Lepetit, B. (1983), Chemins de terre et voies deau: rseaux detransport et organisation de lespace en France, 1740-1840,Paris, EHESS.

    (14) DAllent (1802), Essai de reconnaissance militaire in (1802) Mmorial topographique et militaire, rd (1827),Mmorial du dpt de la guerre.

    (15) Lalanne, L., (1863) Thorie des rseaux de chemins defer, fonde sur lobservation des faits et sur les Lois primordialesqui prsident au groupement des populations, in (1863)Compte Rendus de lAcadmie des sciences, 27 juillet, t. 57,pp. 206-210; cf. Flux (1989), op. cit., pp. 49-56.

    (16) Cf. Pinchemel Ph. et G. (1988), La Face de la Terre,Armand Colin, p. 84.

    (17) Dtienne, M., Vernant, J.-P. (1974), Les ruses de lintel-ligence, la mtis des Grecs, Paris, Flammarion, p. 50.

    (18) Frontisi-Ducroux, F. (1975), Ddale, Mythologie delartisan en Grce ancienne, Paris, Maspro, p. 192.

    (19) Bonnin, J., (1984), Leau dans lantiquit, lhydrauliqueavant notre re, Paris, Eyrolles, p. 47.

    (20) Tubiana, M. (1995) Histoire de la pense mdicale, leschemins dEsculape, Paris, Flammarion, p. 139-140.

    (21) Markovits, F., (1986), Lordre des changes, philosophiede lconomie et conomie du discours au XVIIIe sicle, Paris,PUF, p. 12.

    (22) Parrochia, D. (1993), Philosophie des rseaux, Paris,PUF, p. 84 sq; cf. Guillerme, A (1984), Corps corps sur laroute. Les routes, les chemins et lorganisation des services auXIXe sicle, Presses de lcole Nationale des Ponts et Chausses,p. 22 sq.

    (23) Musso, P., (1997) Tlcommunication et philosophiedes rseaux, la postrit paradoxale de Saint-Simon, Paris, PUF,pp. 217-218.

    (24) Euler, L. (1736), Solutio problemata ad geometriamsitus pertinentis, Commentarii Academiae ScientiarumImperialis Petropolitanae (8), p. 128-140. Cf. Biggs, N.L., Lloyd,E.K., Wilson, R.J. (1986), Graph Theory 1736-1936, Oxford,Clarendon Press, pp. 3-11.

    (24) Vandermonde, A.-T., (1771) Remarques sur les pro-blmes de situation , in Mmoires de lAcadmie Royale desSciences (Paris), pp. 566-574; cf. Biggs, N.L., Lloyd, E.K.,Wilson, R.J. (1986), op. cit., pp. 22-27.

    (26) Cayley, A. (1857), On the theory of the analyticalforms called trees , Philosophical Magazine (4), 13, pp. 172-176.

    (27) Sylvester, J. J. (1878), Chemistry and Algebra Nature, p. 284; rd. in Collected mathematical Papers, 4 vols,Cambridge, Cambridge University Press, vol. III, pp. 103-104.

    (28) Tutte, W.T. (1947), A ring in graph theory , Proc.Camb. Soc. 43, pp. 26-40.

    (29) Kauffmann, A. (1973), Introduction la thorie dessous-ensembles flous, 1, lments thoriques de base, Paris,Masson, p. 304.

    (30) Ford, L.R., Fulkerson, D.R. (1962), Flows in networks,Princeton Press.

    (31) Parrochia, D. (2001), La rationalit rticulaire , inParrochia, D. (2001), Penser les Rseaux, Champ Vallon.

    (32) Cf. Ciceri, M., Marchand, B., Rimbert, S. (1977),Introduction lanalyse de lespace, Paris, Masson; Dupuis, G.,Systmes, rseaux et territoires (1985), Paris, Presses de lcoledes Ponts et Chausses. Voir galement : Bakis, H. (1993), Lesrseaux et leurs enjeux sociaux, Paris, PUF ; Fors, M.,Degenne, A. (1994), Les rseaux sociaux, Paris, A. Colin.

    (33) Parrochia, D. (1993), op. cit., p. 286.(34) Mass, P. (1946), Les rserves et la rgulation de lave-

    nir, Paris, Hermann, 1946; cf. Mass, P. (1965), Le Plan ou lan-ti-hasard, Paris, Gallimard.

    (35) Gondran M., Minoux, M. (1979), Graphes etAlgorithmes, Paris, Eyrolles.

    (36) M. Lagus, A. Lesnes, Invariances dchelle, des chan-gements dtats la turbulence, Belin, 2003.

    (37) Cf. P. Merckl, Sociologie des rseaux sociaux, Paris, LaDcouverte, 2004.

    (38) G. Dupuy, Lurbanisme des rseaux, Paris, A. Colin,1992; voir aussi : Linformatisation des villes, Paris, PUF, 1992;et enfin: Internet, Gographie dun rseau, Paris, Ellipses, 2002.

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