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Copie interdite - 1 - Dans l’heureuse transparence des exils Intervention de Rémy Durand à la Maison de l’Amérique latine le 29 septembre 2010, à l’occasion du 4 ème Festival de poésie à Paris, « Paroles nomades » (Quelques photos à la fin du texte) Je me suis toujours demandé pourquoi j’écrivais, pourquoi l’écriture. Quelle porte s’est ouverte en moi, très jeune, dans quelles circonstances, dans quelles prédispositions ? Sur cette merveilleuse aventure – joie et douleur à la fois – nécessaire appréhension du monde avec les mots, comme un cœur qui bat pour le dire, pour me dire aussi ? Dévoilement et illumination dans un besoin de poésie qui, en dernier ressort, ne nécessite pas de pourquoi, comme la rose est sans pourquoi i Le poète qui écrit, nous dit Julio Pazos, Es un ser humano similar al venado que trisca en el campo inculto. / Semejante al jardinero que riega el macizo de begonias. / Heraldo de esta realidad apenas organizada./ Individuo de materia inconsistente y ductil. / Frecuenta láminas, recodos de novelas,/ Largas avenidas de interrogaciones. / Sabe que en el arrabal de sus contados días / sólo son importantes las afimaciones de amor. / ii La poésie est sans pourquoi, parce qu’elle est la poésie. Écoutons le poète : ¡ Atabé ! / Atabé ! / Ururé ! / Matabara ! / Tengo una hoguera de estrellas, / de las estrellas más altas, / y un lugar en plena luna / para que arda. La claridad crece y crece / con la fuerza de cien mañanas… Catala catun balé, / catun balé caté catala! iii Ces citations des poètes Équatoriens Julio Pazos et d’Antonio Preciado, en espagnol – pas celui de l’Espagne mais celui de l’Amérique latine qui a apporté tant d’innovations, de hardiesses et de créativité à la langue mère – inscrivent bien mon être en poésie parce que, sans doute aucun, le parler et l’écrire cette langue qui m’a entouré d’images, de peuples et d’Histoire fut l’une des circonstances premières de ma conscience au monde et à la poésie, à travers la geste fondatrice qui habite les hommes dès leur enfance :

Dans l’heureuse transparence des exils · Si queda un pintor de santos, si queda un pintor de cielos, que haga el cielo de mi tierra con los tonos de mi pueblo, con su angel de

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Dans l’heureuse transparence des exils

Intervention de Rémy Durand à la Maison de l’Amérique latine le 29 septembre 2010, à l’occasiondu 4ème Festival de poésie à Paris, « Paroles nomades »

(Quelques photos à la fin du texte)

Je me suis toujours demandé pourquoi j’écrivais, pourquoi l’écriture. Quelleporte s’est ouverte en moi, très jeune, dans quelles circonstances, dans quellesprédispositions ? Sur cette merveilleuse aventure – joie et douleur à la fois –nécessaire appréhension du monde avec les mots, comme un cœur qui bat pourle dire, pour me dire aussi ? Dévoilement et illumination dans un besoin depoésie qui, en dernier ressort, ne nécessite pas de pourquoi, comme la rose estsans pourquoii

Le poète qui écrit, nous dit Julio Pazos,

Es un ser humano similar al venado que trisca en el campo inculto. /Semejante al jardinero que riega el macizo de begonias. / Heraldo de estarealidad apenas organizada./ Individuo de materia inconsistente y ductil. /Frecuenta láminas, recodos de novelas,/ Largas avenidas de interrogaciones. /Sabe que en el arrabal de sus contados días / sólo son importantes lasafimaciones de amor. /ii

La poésie est sans pourquoi, parce qu’elle est la poésie. Écoutons le poète :

¡ Atabé ! / Atabé ! / Ururé ! / Matabara ! /Tengo una hoguera de estrellas, / de las estrellas más altas, / y un lugar enplena luna / para que arda.La claridad crece y crece / con la fuerza de cien mañanas…Catala catun balé, / catun balé caté catala!iii

Ces citations des poètes Équatoriens Julio Pazos et d’Antonio Preciado, enespagnol – pas celui de l’Espagne mais celui de l’Amérique latine qui a apportétant d’innovations, de hardiesses et de créativité à la langue mère – inscriventbien mon être en poésie parce que, sans doute aucun, le parler et l’écrire cettelangue qui m’a entouré d’images, de peuples et d’Histoire fut l’une descirconstances premières de ma conscience au monde et à la poésie, à travers lageste fondatrice qui habite les hommes dès leur enfance :

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Je me souviens d’une pierre vivante et primitivepierre sonore d’eau et de révolted’enfance entêtante et têtuepierre solaireJe me souviens de cette pierre de puma qui flaire le fleuve

Je me souviensde ma languecelle de mon enfancel’espagnole l’américaine la caraïbebrûlure d’Orénoque équateur de son désir

Je me souviens des improvisations incantatoires des aguacerosiv

de la stupeur de ses phonèmes tropicauxJe me souviens d’une langue très libre et très vibranteque je parlais langue miennemasque vrai de mon identité

Je me souviens des verbes orchidéessollicités de rythmesdes mots charnus et de leurs chants sensuelsdans leur intimité

Je me souviensde ma langue obstinée de soleilsubstantielle des agaves et des arepasv

ma langue d’aguardiente et de maïsJe me souviens du lit des volcansqui m’invitaient aux agapes des manguierset de l’araguaney vi

Je me souviens de ma langue sous les larges jupes de conquêteset les masques d’orRecuerdoRecuerdo une langue comme un diamantsculptée aux pontons des nuagesJe me souviens d’avoir parlé cette langue comme une tapisseriede temps et d’espace réconciliésfraternels de l’astre et de ses filles, verbe du condorvii

C’est ainsi qu’au Venezuela j’appris de nombreux poèmes, que je disais àhaute voix, dans le plaisir et la joie de m’identifier à leur chant, à leurs

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phonèmes, à leurs sonorités, à leur rythme, à leur cadence, et j’imitais leur« dire » avec éloquence, noblesse et euphorie.viii

Un poème d’Andrés Eloy Blanco avait été élu, dans ma famille, patrimoine del’humanité :

Pintor de santos de alcobapintor sin tierra en el pecho,que cuando pintas tus santosno te acuerdas de tu pueblo,que cuando pintas tus vírgenes,pintas angelitos bellos,pero nunca te acordastede pintar un angel negro;pintor nacido en mi tierracon el pincel extranjero,pintor que sigues el rumbode tantos pintores viejos,aunque la Virgen sea blancapíntame angelitos negros !…Si queda un pintor de santos,si queda un pintor de cielos,que haga el cielo de mi tierracon los tonos de mi pueblo,con su angel de perla fina,con su angel de medio pelo,con sus angelitos blancos,con sus angelitos indios,con sus angelitos negros,que vayan comiendo mangopor las barriadas del cielo. »ix

Il me vient à l’esprit les autres circonstances de mon devenir en écriture : auVenezuela, en 1957, ce fut la peur, la peur de la guerre insidieuse et infâme,celle que la dictature imposait, celle qui m’entourait, celle qui détruisait lajeunesse de ce pays, ses journalistes, ses ouvriers, ses hommes et ses femmes enesclavage et qui avaient faim sous le joug du tyran. Je me souviens d'avoir vupasser sous ma fenêtre le sinistre convoi des grosses voitures américaines auxvitres noires de su excelentísimo y muy ilustre Marcos Pérez Jimenez, protégé

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tous les cinquante mètres par cent mitraillettes aux mains de sbires casqués etbottés jusqu’au cou, et dont le slogan préféré était « al paredón ! »x

Je me souviensde l’affreux dictateur petit gros gras d’operetteil s’appelait Pérez Jimenez et fusillait à l’enviJe me souviens des ranchos et de la misèredes manœuvres la nuit des avions et de la peurxi

C’est peut-être à ce moment-là que la genèse de mon recueil de poèmes,Chiliades, en hommage au frères chiliens torturés et assassinés, publié après lecoup d’état au Chili, a commencé.

Deux autres « tatouages » ont touché mon enfance au Venezuela : la gestebolivarienne et mon amour pour Manuela Saenz : et voilà, je vous l’avoue,j’étais amoureux d’elle, la belle, la forte, la courageuse Équatorienne ! Jem’adressais à elle, dans un rêve impossible, comme le Libertador, arrivétriomphant à Quito où il rencontra Manuela le 16 juin 1822 à l’occasion d’unbal. De fait, ce fut moi qui l’invitai à danser, et qui, le 18 juin, passai une nuitexquise et sensuelle avec elle au Palais du Gouvernement ! Je copiaisconsciencieusement sur mes cahiers d’écolier les lettres que Bolivar avaitadressées à Manuela , et rêvais de ce pays qui avait vu naître cette adorablerévolutionnaire : Apreciada Manuelita, Bellísima Manuela, es loca mi pasiónpor tí ; Mi adorada Manuelita, Benevolente y hermosa Manuelita ; Mi bella ybuena Manuela, et elle me répondait Suya de corazón y alma, Mi amoridolatrado, je commençais mes lettres de même ou tout simplement par Mi amoret je les terminais souvent par Tu amante - quels frissons ! – Mi bella y buenaManuelita, Profunda preocupación tiene mi corazón, a más de admiraciónpor tu valentía… Sé lo que haces por la causa de la Libertad, a más que por mimismo, con la intrepidez que te caracteriza…xii

Je me souviens de la haute voix d’indépendanceJe me souviensde Manuela l’Équatorienneque Bolivar aimait tantde Simón qui libérait son continentpour ses peuples et pour son amourpour Manuela la quiteña xiii

Je me souviens des tablettes de chocolat Savoyet des vignettes qui racontaientles combats de Bolivar et son amour pour Manuelaxiv

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J’avais dix ans ….L’Équateur, pays de Manuelita la quiteña et des orquidées ne pouvait être qu’ungrand et beau pays. Mon père y fit un voyage en 1963, et revint ébloui parl’hospitalité qu’il reçut, la finesse et la dignité des Équatoriens, la stupéfiantebeauté de ses paysages, l’intelligence créatrice de son peuple et sa sagesse, alorsque son riche voisin tombait dans une guerre interne sans fin et sans merci.Ma deuxième approche de l’Equateur se fit ainsi au récit de son voyage et de sesrencontres. Je décidai d’en parcourir la géographie dans les livres et sur lescartes. Ma première mémoire de l’Équateur fut la lumière mystérieuse de motspeuplés d’images, de couleurs, de parfums, Ingapirca, Cochasqui, Cayambe,Antisana, Cotopaxi, Guápulo, Guagua Pichincha, Latacunga, Otavalo,Guangopolo, Pintag, Zámbiza, Calderón, Papallacta, Illinizas et bien d’autresencore. Alors que j’étais en poste à Bogotá, dans les années 70, je fis un voyageà Quito, et, pour la première fois découvris le pays qui avait peuplé mes penséeset mes rêves. Je fus stupéfait, car quelque chose entrait en moi et me disaitl’équilibre, l’envie de vivre autrement, une certitude de créer et de communiqueravec ceux qui m’entouraient, comme si je trouvais là mon Centre, un omphalostoujours recherché. Peut-être cela venait-il de la transparence de l’air, de cetteterre siempre verde si chère à Jorge Carrera Andrade, à une mise en relationavec quelque chose de mythique, de magique :Piedras

céspedesárboles

invitan a las nubesa un festin de claridad.Nacen las velas en el mar : veranoLa ira de la espuma se convierte en remanso…De arbol a arbolTienden lazos invisiblesLos vuelos de los pajaros.

Ahora eterno ahora

Plus tard, en 1982, j’eus l’insigne chance d’être nommé à Quito : j’y ai passé lessix années les plus heureuses de ma vie. On m’y a ouvert toutes les portes, cellesde l’amitié et de la fraternité, de l’intelligence et je pus rendre à ces dons macontribution à un dialogue des cultures ininterrompu depuis lors. On peut lire surmon site les articles que j’écrivis à propos des peintres et écrivains équatoriens,et qui furent tous publiés dans les quotidiens de la capitale. Je me permets de

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rendre un hommage fraternel à Rodrigo Villacís Molina du Comercio et àFrancisco Febres Cordero de Hoy.

Et puis je lus les poètes, beaucoup de poètes ; j’entrai en Équateur dans l’espritet la chair des poèmes :

Les incantations de César Dávila Andrade :

¡Y vi toda la sierra de Tomebamba, florecida !¡Sibambe, con sus hoces de azufre, cortando antorchas en la altura !Las rocas del Carihuayrazo, recamadas de sílices e imanes¡El Cotopaxi, ardiendo en el ascua de su ebúrnea lascivia!¡Hasta la mar dormida en la profundidad,Después de tanta audacia estéril y voluble !

¡Todo ardía bajo los despedazados cálices del sol !¡La infinitas grietas corrían como trenzas oscurasSobre los bloques poderosos en que respira cada siglo el Cielo!

¿Qué profundos centauros pacen sobre tu corteza embrujada ?xv

La force tellurique d’Alfredo Gangotena :

A la lisère des mon- Comme la nuit, à nouveau je m’enfonce et me replietagnes, sous le manteau de la douleur.

Dans la soie de leurs Pour de bon c’est l’hiver durci de mes yeux.murailles – La langue du loup vous savoure, ô routes, à mon

On entend les cadences approche, dûment effacées !de ma voix.

Et je referai, vraiment, vos longitudes, votre haleine, dans ma plénitude de nuée.Aligne, ô front, l’assaut des veines !Incertitudes, pensées de l’éternelle attente,Vos feintes m’auront roulé par toutes les rades de l’année !L’ululante forêt s’avance dans les bras du vent nocturne ;Au fond des souches elle décante et purifieLa gorgée latente de l’incendie ;Elle siffle dans les racines ancestrales de sa force,Elle bat de ses ailes très puissantesDans la vagabonde et rayonnante écorce de l’éclair.xvi

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C’est que dans ce pays du milieu du monde, l’Équateur, il ne faut pas croire ausommeil éternel des volcans. Les formidables éruptions ont enfanté des villesdont l’orogénie est au cœur des peintres et des poètes. Bien qu’il ait écrit enfrançais, Gangotena appartint toujours à cette terre où les déchirements du solengendrent ceux de l’âme et du corps, l’imprécation à l’ombre, à la lumière,au sang, à l’exaltation devant l’entaille matricielle de l’écorce terrestre et lemagnétisme des volcans, ces dieux tutélaires de feu et de glace. Les grands ventset les orages ont érodé les muscles des montagnes et ont participé de leurgésine :

L’ouragan lunaire s’engouffre dans les sombres plis de mes rideaux ?Le vent se lève, le vent !Et son prestige autour des ailes, autour des flammes, comme l’attirancelucernaire des océans !Ah ! tristement c’est Décembre, et c’est l’étoile du silence, l’étoile du retour :Seigneur, votre image taillée dans l’immense fatigue de mon sang !xvii

Le « sang rivé » du poète à son pays lointain coule dans une langue qu’il a faitsienne, un sang épais de cet exil qu’il attise d’étonnantes images telluriques,qu’il tisse du rythme d’une fougue tragique dont les mots lumineux roulent avecune vigueur de lave en fusion, avec pour contrepoint un mysticisme déchirantdevant tant de silence et l’indécence des « tempêtes secrètes » du corps,blessure/flamme d’amour vive, que provoquent les tensions d’une phrasepeuplée de vibrations sonores, expression de l’appel désespéré au bonheur, désirde conquérir la révolte, cette autre face du blasphème :

Ecoutez-moi, vous autres qui traversez le seul, l’infini désert,Vous, déjà ombres ! qui grincez telles les serrures moisies de la solitude,Ah ! Vous autres, dans l’urne du silence comme ces poussières, ces grimoires etles années !xviii

Il y a dans la poésie de Gangotena comme chez tant de poètes équatoriens, laréverbération de la lumière des Andes, l’éblouissement des villes accrochées auciel où le cœur palpite plus vite qu’ailleurs. Il y a le souffle imprécateur de lagrande poésie latino-américaine, son rythme, son souffle épique, comme ceslongues stances dans lesquelles excellent Gangotena et bien d’autres poètes. Il ya chez Gangotena la plus flagrante symbiose d’un glorieux métissage cultureldont l’Equateur et la France doivent être fiers.

Je me souviens de la Transparencia en el trébol de Hugo Salazar Tamaríz, de laParábola del corazón cardenal, d’Antonio Lloret, de la Memoria de la sangre

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d’Eduardo Ledesma, du Romancero del Guayas, d’Alejandro Velasco, desCuadernos de la tierra de Jorge Enrique Adoum, du Derrumbe d’EdgarRamirez, de la Botella al mar de Rafael Díaz Ycaza, de l’Ecuador, Padrenuestro, de Eugenio Moreno Heredia, que tous les jeunes Equatoriens devraientapprendre par cœur, je cite En la profunda noche interandina / oigo un rumor deríos bajando, / de inviernos desatados contra la cordillera / y entre el aire deoscuro metal vibrante / el vuelo de los cóndores.Estoy oyendo inclinado / sobre tu más antigua piedra, / Ecuador Padre nuestro.Je me souviens des poèmes d’Euler Granda, d’Ivan Egüez, de Violeta Luna, deJulio Pazos, de Simón Zavala, je me souviens de tant d’autres que j’aimeraispouvoir citer ici. Je me souviens du Sollozo por Pedro Jaraxix, d’Efraín JaraHidrovo, l’un des plus beaux poèmes d’Amérique latine, l’un des plus beaux enespagnol, dédié à celui qu’il nomme dans ce long poème, en un seul mot,néologismes de noms communs qui inscrivent dans la stance une mythologie dela douleurpedroasperón,pedromachu-picchu,pedropórfido, pedroinga-pirca, pedrosalpicaduredeola, pedropecíolo,pedrofronda, pedrorasguñodeviento, pedroguija, pedrorroca, pedroarena,pedromegalito, pedrocráterextinguido, pedrodesmoronamientodearena,

1 Desesperado revoloteo del instante2 nosotros3 los insensatos4 los alimentadores de desmesuras y de tumbas5 los que nos desvelamos6 por saber qué hacemos aquí7 anhelamos la inmensidad del océano8 y sólo nos pertenece la indecisión de las lágrimas9 pedropiélago te quise10 te tuve pedrogota11 pedromar te ansié

Te perdí pedroespuma

Pour terminer, je voudrais vous parler des deux dernières révolutions quel’Équateur a menées.La première, c’est la création du Ministère de la culture en janvier 2007. Undiplomate, me dit un jour que c’était banal. Non. N’oublions pas, comme l’écritsi justement Jorge Enrique Adoum dans son livre Ecuador, señas particulares :

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au commencement du nouveau millénaire nous aurons 170 ans de République,178 d’indépendance, 468 de métissage.xx

Non, ce n’est pas banal. Parce que le peuple Équatorien se nourrit de différentesethnies culturelles, parce que dans l’affirmation de son identité nationale il doitfomenter un dialogue des cultures au sein de son entité nationale, reconnaître lapluralité ethnico-culturelle de l’être humain Équatorien, dans une visionstratégique d’unité et d’intégration du pays, en s’éloignant de l’eurocentrisme etd’un snobisme faussement élitiste, pour une meilleure distribution du « painculturel » entre tous les Equatoriens, hommes, femmes, jeunes, enfants, ycompris les afroéquatoriens et les indigènes. La diversité culturelle et ledéveloppement culturel dans toutes les provinces est une richesse et un levainpour l’intégration des cultures et de ce qu’on appelle « l’interculturalidad ».Cette création, novatrice dans le fond comme dans la forme, vient avec éclatcomme une réponse à un poème de César Dávila Andrade, écrit en 1956 :

Yo soy Juan Atapam, Blas Llaguarcos, Bernabé LadñaAndrés Chabla, Isidro Guamacela, Pablo Pumacuri,Marcos Lezma, Gaspar Tomayco, Sebastián Caxicondor.Nací y agonicé en Chorlaví, Chamanal, Tantajagua,Nieblí. Sí, mucho agonicé en Chisingue,Naxiche, Guambayna, Paolo, Cotopitaló.Sudor de sangre tuve en Caxají, Quinchiraná,En Cicalpa, Licto y Conrogal.Padeci todo el Cristo de mi raza en Tixán, en Saucay,en Molleturo, en Cojibamba, en Tovavela y Zhoral.(…)A mí, tam. A José Vacancela, tam.A Lucas Chaca, tam. A Roque Caxicondor, tam.xxi

La deuxième révolution est la création en 2007 d’une zone, de hautesensibilité biologique, indéfiniment non exploitable d’environ 846 millions debarils de pétrole sur le champ ITT (Ishpingo-Tambococha-Tiputini), qui setrouve dans le Parc national Yasuní en Amazonie, afin de combattre leschangements climatiques, la détérioration de la biodiversité, le réchauffement dela planète et la déforestation. Soulignons que ce Parc abrite environ 150 espècesd’amphibiens, 121 espèces de reptiles, 596 espèces d’oiseaux, 200 espèces demammifères, 4 000 espèces de plantes, 100 000 espèces d’insectes (àl’hectare !), sans compter… les papillons !

Il est primordial de souligner que dans le projet Yasuní-ITT l’Équateurgarantit le droit des groupes indigènes qui vivent dans ce Parc – Kichwa oNaporuna, Waorani, Tagaeri et Taromenane – à conserver intrinsèquement et à

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développer leurs identités, leurs traditions et leurs écosystèmes. Ce projet stipulela protection de leurs espaces rituels et sacrés et entérine une sorte de « droit dusol » qui interdit tout déplacement de peuples hors de leurs terres. Pour lapremière fois, la Constitution fait mention de peuples « en isolementvolontaire » et à la défense de cet isolement. Leurs territoires resteront un bienancestral inaliénable. Aucune extraction de pétrole ne pourra être engagée, etl’Etat prendra les mesures qui s’imposent afin de garantir la vie des peuples,pour faire respecter leur autodétermination et leur volonté de vivres isolés.

Bien entendu, la communauté internationale est invitée à participeréconomiquement à ce projet d’environnement et de développement durable.

Un pays sans utopie s’éloigne de la paix. Gageons que les deux dernièresrévolutions pacifiques que l’Équateur a entreprises dernièrement s’inscrirontdans son Histoire.

Patrimoine de l’humanité, l’Equateur l’est avec Quito, l’une des villes lesplus belles d’Amérique du Sud, à qui Legarda a donné des ailes. La Vierge deQuito est ailée, et danse après avoir mis le dragon hors d’état de nuire. L’art deLegarda s’inscrit dans la remarquable épopée d’un pays qui n’a jamais cessé des’inscrire dans l’innovation et la culture, et qui a été désignée Capitale culturellede l’Amérique pour 2011.

i Titre d’un cours de Heidegger donné à Fribourg dans les années 1955 – 1956ii Julio Pazos, La peonza, poesía, ediciones el tábano, Quito 2005iiiAntonio Preciado, Matabara del hombre bueno, in Tal como somos, 1969iv Les orages à Caracas sont puissants de trombes d’eau et de fracasv Une sorte de tortilla de maïsvi Nom caribéen de cet arbre de la famille des Bignoniacées, emblématique du Venezuela. Après avoirperdu ses feuilles durant la saison sèche, il se couvre de fleurs jaune – orangévii Rémy Durand, in Je me souviens, Venezuela, Editions Les Amateurs Maladroits, 2001viii Nous avions la chance d’avoir sur disques 33 tours la voix des poètesix Andrés Eloy Blanco, Angelitos negros, in Algunos poetas venezolanos, Université centrale duVenezuela 1954Peintre d’images pieuses, / et sans patrie au cœur, / qui quand tu peins tes saints / t’éloignes de ton

peuple, / et quand tu peins tes Vierges / peins de beaux angelets, / sans jamais t’aviser de peindre unange noir ; peintre de mon pays / mais au pinceau d’ailleurs, / et qui suis la leçon / de tant de peintresanciens, / bien que la Vierg’ soit blanche / peins-moi des anges noirs.S’il est peintre de saints, / s’il est peintre de ciels, / qu’il fasse donc mon ciel / aux couleurs de monpeuple. / Avec ses anges fins / et ses anges mal peints, / avec ses anges blancs, / avec ses angesindiens, / avec ses anges noirs / qui mangent des mangots / dans les quartiers du ciel.. (TraductionRené L.F. Durand). A noter que le poète s’est opposé à la dictature du Général Gomez, qu’il futemprisonné pendant quatre ans puis confiné dans les Andes. Après la dictature il fut député etPrésident de l’Assemblée constituante sous le régime de Rómulo Gallegos et Ministre des Affairesétrangèresx Qu’on les fusille ! Marcos Pérez Jimenez fut Président du Venezuela de 1952 à 1958

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xi Rémy Durand, in Je me souviens, Venezuela, Editions Les Amateurs Maladroits, 2001xii Simon Bolivar y Manuela Saenz, correspondencia íntima, Trama ediciones 2006xiii Manuela Saenz était née à Quito et y vivait.xiv Rémy Durand, in Je me souviens, Venezuela, Editions Les Amateurs Maladroits, 2001xv César Dávila Andrade, in Catedral salvaje, 1951xvi Alfredo Gangotena, in Orogénie, Provinces éoliennes, 1928xvii Alfredo Gangotena, in Orogénie, Provinces éoliennes, 1928xviii Alfredo Gangotena, in L’orage secret, A l’ombre des séquoïas, 1926-1927xix 1978xx Editions Eskeletra, 2007 (Xème édition)xxi César Dávila Andrade, in Boletín y elegía de las mitas, 1956

LES POÈTES INVITÉSDe g. à droite : Alfredo Noriega, Ramiro Oviedo, Rémy Durand, Rocío Durán Barba, Telmo Herrera

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M. François Lebel, Maire du 8ème arrondissement de Pariset M. Carlos Játiva Naranjo,Ambassadeur d’Equateur en France Deux poètes : Rocío Durán Barba et Rémy Durand