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Danser avec une étoile pour les loups

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Inventez le vent, suivez le vers la rivière qui vient de vos rêves Vous entendez les loups ? C'est votre pays

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www.editionsruelle.fr

mail : [email protected]

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,

Intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN 978-1-4452-8488-0

Dépôt légal : 2011

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Aux chants des rivières …

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Inventez le vent, suivez le vers la rivière qui vient de vos rêves Vous entendez les loups ? C'est votre pays

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Eddy Lane Danser avec une étoile pour les loups

Préface

Vous qui venez d’ouvrir ce livre, ne le refermez pas : j’ai quelque chose à vous dire.

Pour le moment, vous ignorez ce qu’il contient – la couverture vous a attiré, ou le titre – et vous cherchez à en savoir davantage; je suis là pour ça. On m’a convié, en quelque sorte, à vous servir de guide.

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D’abord, laissez-moi vous indiquer ce que n’est pas ''Danser avec une étoile pour les loups''.

Ceci n’est pas un western, ceci n’est pas un recueil de nouvelles, ceci n’est pas un recueil de poèmes, ceci n’est pas un livre d’art, ceci n’est pas un roman, ceci n’est pas la vie, ceci n’est pas le monde…

Ceci est exactement le contraire de ce qu’il n’est pas. Son envers.

Ce qui se trouve dans les points de suspension quelques lignes plus haut.

Plus précisément : ''Danser avec une étoile pour les loups'' est un univers de l’envers et du rêve, un monde de chants, de nuits, de voix, d’étoiles, de chiens, de tout ce que vous ne saviez plus imaginer – et Eddy Lane ne va pas le décrire mais le conter, assis au bord d’une rivière, un chien ou un loup à ses côtés, tandis qu’un faucon passera en ombre devant la lune.

Vous le conter en ricochets dans la rivière qui vient de vos rêves, celle qu’enfant vous connaissiez mais dont vous avez oublié l’existence.

Le guide dont j’ai accepté le rôle se doit cependant de vous prévenir : ''Mais sans rêve, tu n’iras nulle part. Sans rêve, tes

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pas s’effacent comme les nuages. Sans rêve, tu n’es pas ici, ni ailleurs, ni né, ni mort.''

Rassurez-vous, on retrouve très vite, grâce à '' Danser avec une étoile pour les loups'' la capacité, le don de rêver. En ce sens, Eddy Lane est un réel magicien, un chamane, un peintre de l’onirique – j’ai eu la chance de découvrir ce que j’aime appeler ses ''narrats'' il y a quelques temps déjà : depuis, je ne cesse de me souvenir de ces rêves, de mes rêves, et de l’en remercier.

Vous qui venez d’ouvrir ce livre, ne le refermez pas ; il me reste une chose à vous dire, à vous lire : ''Inventez le vent, suivez le vers la rivière qui vient de vos rêves Vous entendez les loups ? C'est votre pays''

Et la porte est derrière cette page. Ne suivez pas le guide, précédez-le, vous êtes ici chez vous.

Soyez-y le bienvenu.

Christian G@rp

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e ne suis pas bon rêveur. Je ne sais rêver sans me voir effrayé, assis en face de mon sommeil, tremblant et adossé au mur.J

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Je n'entends pas les bruits agréables de la nuit. Les cris des sorciers non plus. Mes nuits sont silencieuses comme les âmes des assassinés.Quand la nuit tombe, je sais que les loups sont sortis. Je sais qu'ils me voient et qu'ils hurlent.Je sais, le Loup, au nom comme le mien, m'a dit, il a promis, mais je ne les entends pas.Je me dis que c'est normal, c'est comme ça pour tous ceux qui n'ont jamais observé la lune. Ma lune, même la pleine lune n'est qu'un soleil noir. Toutes mes nuits sont la nuit de ma naissance.Je suis né pendant la danse des étoiles. Ma mère a sacrifié mes frères. Ce n'était pas la nuit des sacrifices. La sage-femme est partie avec mon secret.Une vie m'a été promise. Je vis. Les lois de la nuit me sont interdites.Mais j'ai vécu avec les loups.Un jour, la nuit est venue. La nuit, quand je les ai entendus. Le Loup au nom comme le mien.―Tu rêves et tu m'entends ! Je te l'ai dit. C'était promis !Et je les ai vus. Ils montaient la colline de ma rivière. La lune, la pleine lune les éclairait.― Vous dansez ?La plus belle des étoiles m'invite. Ceci ne se refuse même pas dans un rêve.

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Nous dansons.Je n’entends plus les loups.A peine, puis-je voir la colline.C'est trop haut.

Nous dansons. Je ne vois plus la colline. ― Mais on nous voit, me dit l’étoile, tu es comme moi maintenant. Nous sommes étoiles.

La nuit ...La rivière ...

Y a-t-il nos rêves dans la vallée

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l’aube, les mots sont venus jusqu’aux nous. Nous les avons entendus vibrer parmi les feuilles des arbres. Nous les avons sentis

descendre vers nos cœurs fatigués, ne battant que pour un rayon d’espoir. Nous les avons compris. Les mots sont venus à l’aube, quand les blessures font moins mal. Mon bras saignait, en silence. Le sang le quittait moins qu’à la veille. Mes frères se levèrent, nos hommes aussi. Les pas ! Les pas et les voix des hommes. Ils étaient plusieurs à accompagner l’officier qui vint vers nous, vers les soldats autour de moi et de mes trois frères. Nous le savions. La forêt nous l’a murmuré, mais il nous était important qu’il le prononçât, lui même.― C’est fini ! La guerre est finie ! Ils sont partis le dire aux hommes fatigués, blessés, mourants et même aux morts, le long du camp que nous avons occupé depuis les derniers combats contre les soldats des autres. Nous sommes restés debout à nous regarder. Soudain : un loup ! Et puis un autre, plus près. Et deux, trois, quatre, qui leurs répondaient, tantôt à gauche, tantôt derrière …Les loups hurlaient autour de nous. 

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― Comme chez nous, dit Alexandre, et après un moment ajouta, nous sommes loin de chez nous. ― Maintenant, nous pouvons rentrer, dit Save.― Avez-vous vu la vallée sous cette colline ? Les loups se calmaient avec l’arrivée du jour, mais on les entendait encore et Vuje répéta : ― Avez-vous vu la vallée sous cette colline, la colline des loups ?― Oui, je l’ai regardée à chaque moment, quand les combats se calmaient, dis-je, et je regardais la rivière qui la traversait. ― Descendons avec le soleil venu pour toucher la terre de cette vallée, pour marcher le long de la rive. Goûter de l’eau de la rivière.― Il n’y a pas de pont, dis-je.― Descendons construire le pont. ― Descendons construire les maisons. ― Koste, tu as mal ? ― Descendons construire nos maisons, répondis-je, en me levant.― La vallée sera notre chez nous ? demanda Save. ― Si nos rêves nous reviennent, dit Alexandre, oui. Nous avons fait la guerre. Nous avons tué les autres. Ils ont tué les nôtres. Notre père et notre mère, nos chiens, nos noces, nos gosses avant même d’être nés. Mais nous pouvons vivre. On peut traverser le Monde avec ces souvenirs, ou en cachant ces

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souvenirs. Sans fortune aussi. Même sans vraie tête, tu peux avancer, sorti et poussé par un pote de l’auberge.  Si tu restes sans vie, c’est la mort que tu auras. Mais sans rêve tu n’auras même pas la mort. Sans raison dans la tête et sans fortune dans les poches, tu peux marcher. Errer, effleurer les traces sur les chemins. Mais sans rêve, tu n’iras nulle part. Sans rêve, tes pas s’effacent comme les nuages. Sans rêve, tu n’es pas ici, ni ailleurs, ni né, ni mort. Nous restons ici avec nos rêves ou nous partirons nous estomper avec la lumière, dans le noir.  

La nuit était une nuit de pleine lune. Les loups sont venus à la rivière. Ils nous ont vus. Ils nous ont regardés en silence. Un chien est venu se coucher non loin de moi. Il s’est endormi, près de moi, confiant. Mes frères parlaient encore, quand je me suis endormi sur la rive. 

J’ai vu ma maison construite.  Ses murs blancs cachaient les caresses et les sourires. Une femme en blanc est sortie de la maison :― Koste, va chercher le chien. Il est, encore parti dormir sur la rive.

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Les chiens des rues errantes

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ertaines nuits, les rues se déplacent en silence.Seules, sans personne.Les témoins portent malheur. Ils peuvent

changer les mots, se tromper.Sauf les chiens. Les chiens ne parlent pas, ne se trompent jamais, ils reniflent et trouvent les sens des eaux.Les rues les suivent, confiantes.Elles sortent sur les rives de la rivière, calmes, solennelles, elles disent les mots.Les rivières portent ces mots endormis au loin. La nuit, complice ne se lève plus. Les parents le savent, mais ils ne le disent jamais aux enfants.Ils ne savent pas commencer, ni trouver des mots.

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Ils ne savent pas regarder les petits apprendre la peur.

J'avais six ans quand j'ai vu le beau carrosse à quatre chevaux.Ma mère a parlé vite. ― Viens je t'achèterai des bonbons chez Madame Alta. Personne n'a vu Monsieur Petrouch passer dans la rue depuis.

J'avais trois mois de plus et j'ai eu des bonbons, et j’ai, encore, vu le beau carrosse qui passait dans la rue.Le vendeur des fruits du coin de notre rue ne les vendait plus, après.

Le carrosse est passé. Mon chien est parti et je l'ai trouvé à la rivière. J’ai entendu un nom. Je l'ai su, maintenant. Depuis je ne parle pas.Depuis, je ne m'appelle plus, je ne veux pas de nom ...

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La couleur des robes des filles ne change pas

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a couleur des robes de filles ne change pas.Si nous les voyons en rouge, bleu, bleu marine, vert mais plutôt foncé, jaune or, jaunes, bleu ciel,

c'est parce que nos regards traversent différentes couches que le temps perd sur son chemin.La couleur des robes de filles ne change pas.

LUn jour vient.Un jour qui se glisse entre les maisons et dépose l'odeur de nos rivières le long des rues.

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Sortez ! C'est le jour !Sortez et vous verrez les filles.Elles passent entres les bruits de la journée et les papillons blanc.Elles sont en blanc. Les robes de filles sont blanches.Blanc comme le mariage, comme la tristesse des Indiens.Leurs robes sont légères, blanches, décolletées.Le décolleté profond comme le destin.Mon chien fait le loup le jour des cloches de l'église.Je fais le loup le jour des papillons et l'odeur des rivières.Je sors et je suis le vent.Au coin de la rue des Moulins un tourbillon de robes blanches et de papillons.Une des filles a le visage que je ne vois pas, que je dois suivre.Elle court, se retourne et rit,Mes chiens la pourchasse et partent vers le pont. La robe blanche s'arrête sur le pont mais quand j'y arrive je ne la vois plus.Mes chiens sont loin, sur l'île que la rivière forme avec ses deux bras. Je les entends.La rivière, curieuse, tourne encore une fois et s'attarde sous le pont.― Où est-t-elle ?Il n'y a pas de vague. Silence. Elle s'en va. Au loin je

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vois que sa surface bouge,Les vagues, les mots partent avec le vent.Elle sait. La rivière sait.Mes chiens reviennent et courent les pattes dans l'eau vers la couronne d'écume sur la rive. Je la trouverai, la fille en robe blanche

Comme les ailes des oiseaux noirs

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C ette nuit, la rivière est passée par tes rêves. Te

souviens-tu de sa couleur ? As-tu vu les feuilles des saules flotter près de ses rives ?Ma mère était à côté de mon lit avec ma chemise et mon pantalon du dimanche.― Oui, les feuilles tourbillonnaient dans les eaux. Je pouvais les toucher et les entendre.― La nuit, quand la rivière de ta naissance vient dans ton sommeil, c'est la nuit d'une âme. Lève- toi. Lave ton visage. Le vent le séchera. Pars. La mère de ton ami et les femmes en noir descendent vers la ville.

Je marchais et j'entendis les pas d'un autre garçon. Il avait douze ans. Moi onze.― Tu as eu peur du chant dans ta rivière, dans ton rêve ?― Non !Ce n'était pas vrai. J'avais peur. J'ai peur même maintenant en marchant devant lui.Les femmes suivaient les courbes des virages du chemin descendant la colline du cimetière. Les

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foulards sur leurs têtes bougeaient comme les ailes des oiseaux noirs. Le vent les accompagnait. Il portait leur prière vers nous. Il séchait nos visages apeurés. Les femmes en noir se rapprochaient. Je n'entendais pas le bruit de leur pas. Leurs jupes noires et larges touchaient la terre battue du chemin, se tachant de quelques graines de poussière qu'elles soulevaient en se balançant autour des corps des femmes en prière.La mère de Méthodie me regardait. Les bouts de son foulard volaient en tourbillonnant sur ses épaules. Elle s'arrêta. Son sourire m'encouragea.― Bonjour.― Un très beau jour, oui...Elle tendit son bras. Elle tenait une petite assiette bleue avec des gâteaux dessus. Timide, j'hésitais. Je sentis le doigt de l'autre garçon dans mon dos. ― Prends !La femme en noir, la mère, toucha mon bras. Son sourire s'élargit. ― C'est pour son âme. Tu étais ... tu es son ami.Je pris un gâteau. La mère de Méthodie était contente. Souriante.

Et belle, belle, belle ...

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La Guerre, les noces

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’avais huit ans le jour qui s’est terminé par cette nuit. La nuit où, tout le monde fut réveillé. Les gens sont sortis dans les rues. Les voisins se

parlaient, essayaient d’expliquer, essayaient de calmer les femmes effrayées, les enfants en pleurs. Personne, même les plus âgés, ne se rappelait d’avoir vu un éclair et entendu le tonnerre en hiver. Quelques  hommes, inquiets sont allés vers la rivière pour y écouter les bruits venant  d’ailleurs, portés pas les vagues. Quelques femmes ont allumé des cierges.Trois jours plus tard, les cloches de nos églises ont sonné pendant trois heures. C’était la guerre ! Le lendemain, nos hommes sont partis. Les jours et les nuits suivantes, les chiens aboyaient et, puis ils se sont tus. Quelques nuits encore, les loups de la colline hurlaient et puis ils se sont tus. Nos hommes étaient loin. Loin ou morts. Loin et morts?

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 Ma grand-mère a dit que c’était une année à treize lunes. Je ne savais pas si c’était bien ou mauvais.

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J’avais neuf ans. L’année suivante était aussi une année à treize lunes comme le disait ma mère. Grand-mère ne parlait plus, depuis que nous avons appris la mort de mon père. Un an plus tard, elle mourut, j’avais onze ans.Les nouvelles parvenaient de loin. Elles disaient que la guerre faisait rage! Quelquefois, quelques lettres parvenaient de loin. D’autres fois, c’étaient des cercueils avec les corps de nos hommes qui nous parvenaient de loin. J’avais douze ans et j’aidais les femmes à enterrer leurs maris, leurs frères, leurs fils et pères.

Cette année, j’avais treize ans,  nous avons vu les autres, les soldats des autres. Beaucoup de nos femmes étaient tuées. Certaines étaient violées. Certaines violées et tuées. Les maisons ont été brûlées. Avec les vieux et les enfants dedans.

Je me promenais le long de la rivière tous les soirs, depuis mon quatorzième anniversaire. Elle était comme je l’ai connue enfant, puissante, calme, mystérieuse. Seul le pont vers la colline sur l’autre rive a été détruit. Les nuits, je rêvais la rivière. Elle était calme et passait lentement sous le pont qui était encore là, dans mon rêve. Un jour, j’avais seize ans, j’ai vu une fille nager dans la rivière. Elle est sortie sur l’autre rive. Cette nuit-là,  j’ai fait le rêve et j’ai vu la fille

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portée par les eaux calmes  sous le pont. Elle était morte et son corps transparent. Même morte elle était belle et excitante. Je suis parti à la rivière et j’attendais le matin, le jour, la fille qui nage. Elle n’est pas venue.

― C’est une année de treize lunes, a dit ma sœur, en me réveillant pour aller porter les pains aux vieux et aux malades. En passant sur la place de l’église, j’ai entendu un bruit et j’ai vu la porte entre ouverte.  Une fois dedans, je me suis retrouvé en face de deux hommes, deux soldats, deux soldats des autres. Un d’eux était assis, adossé contre le mur. Il était blessé. L’autre debout avec un couteau dans sa main. Ils étaient, fatigués, malades, barbus, l’uniforme sale, déchiré. J’ai saisi mon couteau pour attaquer ou pour nous défendre. A dix-sept ans je me sentais homme. Ma sœur passa près de moi. Elle tendit son bras et je vis un pain, dans sa main.― Pain, dit-elle, pain chaud.Le soldat prit le pain, dit quelque chose, mais nous n’avons pas compris. Il ne parlait pas comme nous, il parlait comme les autres. Mais Anna confirma.― Oui, il est toujours chaud.Nous sommes sortis.

Cette nuit, j’ai entendu les loups sur la colline. C’était fini. Je suis sorti et me suis dirigé vers la rivière. J’attendais mon rêve ici, sur la rive. Quelques chiens

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répondirent aux loups. C’était fini. Le courant tourbillonnait doucement portant le corps blanc et transparent de ma sirène morte, la belle fille blonde. Elle dansait avec les vagues et les tétons de sa poitrine se dressaient vers moi. Comme des fruits venus des légendes, comme des cerises dont je ne connais pas le gout. Elle me regardait  les yeux fermés. L’eau était froide. Le courant me portait. Je ne la voyais plus. Je dois fermer les yeux aussi. Le tourbillon connaît les racines des arbres.  Profond sur son fond la rivière prépare un lit nuptial. La plus belle des mortes, ma fiancée, elle m’y attend.

Les cloches sonnent.C’est fini.

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Le vieux Armand et son chien

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ersonne a jamais vu le vieux Armand sans son chien. Personne n’a jamais parlé de lui autrement que le vieux Armand et son chien.

Tout le monde connaissait sa maison avec le banc du vieux Armand, à côté de la porte et la gamelle de son chien à côté du banc.Les nuits des loups, il sortait, traversait le pont et se perdait au loin, guidé par la lune et son chien.  Tout le monde croyait qu’il montait la colline de l’autre côté de la rivière. La colline des loups. Certains prétendaient avoir entendu l’aboiement de son chien se mêler aux hurlements des loups. Quelques vieilles femmes y voyaient des signes pour une bonne ou pour ou une

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mauvaise année.― La nuit de mes noces, nous avons entendu le chien du vieux Armand et les loups de la colline. Que mon premier enfant allait être un garçon, nous le savions cette nuit même.  Les hommes acceptaient de boire un verre offert par le vieux Armand et lui offraient aussi un verre mais ils avaient toujours un peu peur de lui.  Les femmes étaient curieuses de savoir comment il vivait dans sa maison isolée au bout de la rue Basse, mais elles évitaient de le rencontrer quand elles n’étaient pas

accompagnées.  Les enfants, par contre aimaient jouer avec son chien, écouter les histoires et les rires du vieux Armand. Ils guettaient le moment où il se dirigerait vers la rive avec son chien en portant un bâton sous son bras.  Chaque jour le vieux Armand descendait à la rivière avec son chien. Il allait vers un endroit, toujours le même, s’asseyait et regardait les vagues en caressant son chien, allongé à côté de lui. Il sortait son couteau de poche et il gravait quelque chose  dans le bois du petit bâton, corrigeant le dessin, les signes, les lettres. Puis, il se levait, prenait le bâton et le lançait dans l’eau. Le chien du vieux Armand partait comme une flèche. Il engageait une course traversant l’eau plate de la rive, soulevant et

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envoyant, tout autour de lui, des nuages de gouttes scintillantes et bruyantes, pour la terminer avec un saut en avant, avec un plongeon dans la rivière. Pendant un instant le chien se perdait sous la surface et dans le suivant, son cou la déchirait nageant de toutes ses  forces  vers le bâton que ses dents saisissaient et  il rentrait, il sortait et courait l’apporter  à son maître. Et puis le bâton repartait. Le chien aussi. Et encore. Et encore. A la fin, après un dernier lancement, quand le chien lui déposait le bâton sous ses pieds, le maître le frottait et ils repartaient  à la maison. Le vieux Armand et son chien étaient, toujours, entourés par une meute de gosses. HH HHH Beaucoup de générations d’enfants ont pu voir ce jeu.Un jour d’été, comme la rivière est moins large, qu’en hiver ou en printemps, un des garçons demanda s'il n’était pas mieux de lancer le bâton sur l’autre rive. C’était, peut être possible ? Un autre, lui expliqua que c’était idiot. Le chien aime nager. Il aime nager et non traverser le pont pour aller ramasser le bâton. Le vieux Armand se tourna vers les enfants et confirma en riant.Il se tenait debout et lança le bâton. Les cris des enfants l’accompagnaient. Le chien ne bougea pas, il resta allongé sur place. Le vieux Armand se retourna surpris. Puis, il cherchât de son regard le bâton il le vit

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flotter en s’éloignant, puis s’arrêter, coincé entre deux rochers. De nouveau, retourné vers son chien, il lui désigna, avec son bras gauche tendu, la direction où le bâton sautillait entre les petites vagues, retenu par les pierres. Le chien ne se leva pas, n’entama pas sa course folle comme il le faisait tous les jours. Il resta immobile. Seulement quelques poils sur ses oreilles tremblaient au rythme des coups de la légère brise qui se levait  sur la rivière.  Le bras du vieux Armand resta tendu dans la même position, mais sa paume se tourna vers le haut comme quand on veut voir s’il pleut. Ce geste n’était plus une commande, c’était un appel.  Il invitait  son chien à essayer. Il le priait. Il priait. Il fit un pas vers lui, s’arrêta, resta avec son bras toujours tendu, oublié. La brise bougeait ses cheveux, sa barbe. Il s’agenouilla, le caressa, regarda les enfants. ― Partez les enfants ! Partez maintenant !Les enfants partirent, hésitants, se retournant, souvent, ne comprenant pas. Le vieux Armand resta assis auprès de son chien. La nuit n’était pas encore tombée quand il entendit les loups. Il se leva, prit son chien dans ses bras et partit. Le vieux Armand et son chien nageaient vers le bâton.Les pêcheurs les ont trouvés le lendemain. Ils avaient leur bâton. Sa surface portait les traces innombrables de dents du chien, du vieux Armand. Un nom était

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gravé et lisible parmi toutes ses traces. Vucko ! Le vieux Armand et son chien Vucko.

Personne n’a jamais vu le vieux Armand sans son chien Vucko. Personne n’a jamais parlé de lui autrement que le vieux Armand et son chien Vucko. Tout le monde connaissait sa maison avec le banc du vieux Armand, à côté de la porte d’entrée et la gamelle de son chien Vucko à côté du banc. Chaque jour le vieux Armand descend à la rivière, avec son chien. Il va vers un endroit, toujours le même, s’assoit et regarde les vagues en caressant son chien, allongé à côté de lui. Il sort son couteau de poche et il grave quelque chose dans le bois du petit bâton, corrigeant le dessin, les signes, les lettres sur celui-ci. Puis, il se lève, regarde la meute de gosses derrière lui.― Allez, les enfants, on rentre.

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La nuit, les loups, les chiens, les tziganes

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ette nuit, les loups, descendus de la colline de l’autre côté de la rivière sont venus jusqu’au pont. Réveillé par les chiens, debout

et collé à ma fenêtre,  je pus les voir longer la rive calmement, sans hurler. La rivière portait la lumière de la lune et la glissait sous le pont. Plus tard, vers l’aube, le Loup, le vieux, hurla fort par trois fois. Mes chiens s’enfonçaient dans les vagues de brouillard, en courant devant moi. En marchant vers la digue, je ne pouvais pas voir l’autre côte, la rive des loups. Les chiens s’arrêtaient, dressaient leurs cous, ouvraient les narines et reniflaient. Le passage des loups de cette nuit était un message. Le Loup a hurlé trois fois. La lune l’a entendu. La rivière le connaît. La rivière sait me parler. J’attends le soleil et le message des vagues.L’aurore nous rejoint. Mes chiens allongés et moi assis, nous sommes presque cachés sous la chevelure du saule pleureur. Les vagues à peine visibles sur la surface ont le murmure et l’odeur du moment, qui précède le soleil. Les oreilles des chiens se dressèrent et tout d’un coup, les rayons de soleil percèrent les restes de la nuit, à travers la brume, entre les lambeaux de brouillard épais. La lumière se brise, vole en éclats, plongeant dans la rivière. La rivière me dit :― Cette nuit! Cette nuit avec les tziganes !

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Ils étaient trois. Deux hommes et une fille. Le violon, l’accordéon et la voix. La voix, la fille fait, aussi, la danseuse  avec son tambourin.― Ce soir, je viens vous chercher. Cette nuit vous êtes à moi. Ils ne disaient rien. Le chef, le violon avait l’air de vouloir dire quelque chose, poser des questions, parler argent, négocier, mais la fille, fit un geste de sa main, d’accord !― Ce soir, je viens vous chercher. Ce soir je vous emmène ! En rentrant, en quittant le chemin des haleurs,  je l’ai vu sur un rocher blanc, de la rive opposée. Le faucon baissa sa tête et but de l’eau de la rivière puis il s’envola. Son cri arriva jusqu’à nous, au moment où, je ne le voyais plus. C’est cette nuit !

 Ils étaient prêts quand je suis venu les chercher avec mes chiens. ― On y va ?― On y va! Idemo, maître !Le chef, le violon confirma. Sa voix était la voix de gitan : chaude, cassée, colorée. La nuit était douce et calme avec les maisons et les rues, plongées dans le noir, dans le sommeil. Les chiens descendirent à la rivière. On les entendit boire et revenir vers nous.―Toi !

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― Mika! Je suis Mika.― Miko, cette nuit, vous êtes à moi, je suis votre. Il faut jouer comme jamais. Il faut jouer  à mort. Il faudra l’effrayer, la mort. Jouer pour la vie, à mort. Je veux le son, le chant, je veux la voix. Une musique qui trouve le cœur. Et l’âme. La musique qui invite les âmes dans un moment, quand ce temps s’arrête, s’arrête pour vous écouter. J’ai besoin d’une musique comme ça, j’ai besoin de toi, de vous. Promets que tu peux, dis-moi si vous : ta fille, ton fils et toi, vous savez nous y guider a travers vos sons ? ― Idemo, maître ! Nous suivions les chiens qui nous précédèrent en reniflant prudemment. J’entendis les tziganes préparer leurs instruments. La lune chassa les nuages au même moment où le violon surprit le silence, le long du chemin des haleurs et de la rivière. L’accordéon élargit la mélodie et le tambourin, dans la main de la fille rythmait nos pas. La fille lâcha sa voix qui s’éleva vers le violon. Doucement, très bas, comme un murmure, à peine audible. En avançant, les musiciens se mirent à jouer plus franc, plus fort. La nuit nous acceptait. Les mélodies traversaient le fleuve et allaient se déverser sur la rive de l’autre côté. La fille se mit devant nous et nous pouvions la voir danser et chanter, enveloppée par la lune. Les deux hommes, derrière moi jouaient, tout en accompagnant le chant

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de la fille par leurs voix douces et rauques, à la fois. Les chiens revenaient vers nous et repartaient en éclaireurs. Ils n’aboyaient pas. Seulement quelques jappements, de temps en temps, au moment de doute et puis, une fois rassurés, ils se calmaient. Tout en continuant de danser, mais sur place, Divna, la jeune tzigane nous attendait. Venu à son hauteur je sentis sa main sur mon bras.―Dis, maître ! C’est le chemin du cimetière. Qui as-tu là-bas ? Qui t’attend là-bas ? Vers quelle tombe nous emmènes-tu ?― Non. Je n’ai personne ! Mes tombes sont ailleurs, loin.― Mais, alors, pour qui ? Pour qui la musique ? A qui s’adresse ma voix ?― Mes tombes sont loin. Mes morts sont loin. Chante, appelle …―Idemo, maître !

Les chiens nous attendaient à l’entrée du cimetière. Un battant de la porte en fer forgé était ouvert. Je ne savais pas si, je devais entrer ou rester dehors. Les tziganes ne jouaient plus. La lune nous quitta.―Miko, musique ! Joue ! Chasse la nuit ! Appelle la lune ! Toi, Divna, chante ! C’est maintenant et ici !L’accordéon partit suivi par la voix de la fille. Forte, et en partant très haut. Le violon parvint comme le

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sifflement d’un fouet. La mélodie lente, s’accéléra, trembla et puis enragée, rapide, elle tournait autours de nous, tourbillonnait et partit, se précipita vers les vagues, vers les âmes réveillées. Les tziganes jouaient comme je l’avais pensé, comme je l’avais imaginé, voulu. La lune nous resta cachée. La nuit noire. Je ne voyais pas mes musiciens. Leur musique partit au loin, et revint avec ce chant de mon enfance, avec ce son de mes origines, de leurs origines. La lune restait couverte par les nuages, mais une petite lumière pale et tremblante apparut au fond de l’allée centrale, du cimetière. Les ombres de nos silhouettes se dessinèrent sur le sol. Nous pouvions nous voir de nouveau; nous deviner plutôt. Surpris et inquiets par cette lueur venant lentement vers nous, les tziganes ne jouaient plus. Je fis un geste, attention !― Avec moi, Divna ! Chante, cherche moi, trouve le chant. Suis-moi ! Miko ! Vous les garçons !  Allez ? Trouvez-nous ! Jouez ! Idemo !Ma voix à peine audible, très basse vibra dans ma gorge. Divna, pencha sa tête vers moi. Je sentis sa main sur mon épaule. Je senti son regard, elle sentit le mien. Nous n’avions pas les mots de la chanson, je m’en souvenais un peu, elle ne la connaissait pas, mais nous tenions la mélodie avec nos voix, nos gorges, nos cœurs, soutenues par accordéon …Tout

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d’un coup, portant la guirlande que le violon lui proposa la chanson jaillit de mes souvenirs. Il y avait aussi une rivière. Il y avait aussi un pont et il y avait cette chanson. Et les mots, les mots venus d’une autre langue, venus de loin. Pour tes yeux, cette chanson   Pour tes cheveux ma chanson Ecoute-la et fais ton rêve, dors bébé, dors …Une troisième voix se mêla aux nôtres. Une voix de femme. Tout en blanc, avec les cheveux longs et gris, la femme  franchit la porte en fer forgé et marcha vers nous. Elle chantait. La lumière pâle, autour d’elle, nous éclairait plus fort maintenant. Elle chanta la chanson jusqu’à la fin et puis elle me sourit. Elle était belle. Je n’ai jamais vu les lèvres d’un rouge si intense. Ou plutôt, pas depuis très long temps.― Viens, marchons le long de la rivière. La lune revint. Les chiens partirent devant nous, avec les musiciens. Hésitant, je ne bougeai pas.― Viens, marchons, c’est moi. … Nous marchions lentement et j’entendais nos pas. Nos pas ? Je me suis arrêté. La femme marcha seule, quelques pas. J’entendais le bruis du gravier sous ses pieds. Elle me sourit, encore.― Tu vois ? Je suis ici. Avec toi. Ici et ici et ici.Elle accompagna ses mots avec les gestes qui montraient : le chemin, ma tête et mon cœur.

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― C’est une belle rivière. Tu as toujours aimé les rivières et les ponts. Quand tu avais trois ou quatre ans, on regardait les canards sur notre rivière et tu disais :― Regarde ! La rivière rampe et les canards la chatouillent en lui mordillant le dos, regarde, mais regarde, maman ….J’éclatais de rire. Je riais et je riais. J’entendis les loups, puis mes chiens. Je voulais parler, poser des questions mais la femme n’était plus là. J’étais seul. L’aube pointait à l’est. Au pont les tziganes m’attendaient avec mes chiens.―Merci Mika. J’embrassai la fille, je donnai la main au fils. ― Merci.Je mis ma main dans une poche. Mika me pris le bras : non !― Au revoir, maître, au revoir les chiens, tiens, maître, il y a pleins de canards sur la rivière. Vos chiens ne les chassent jamais ?― Non, les canards chatouillent le fleuve qui rampe et on ne touche pas quelqu'un qui joue...

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Une voix d’elle

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epuis le parvis de notre église, les jours sans brouillard, on peut voir la colline de l’autre côte de la rivière. La colline des loups. Elle a l’air

d’être très proche après les pluies, quand on hume l’odeur des feuilles qui sèchent au vent.

DJe suis seul dans l’église. Je ne prie pas. J’attends. J’écoute et j’attends. Mon chien est sur le parvis. La porte de l'église s'ouvre mais je ne vois personne entrer. Contre la lumière par la porte ouverte, je vois la

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silhouette d’Argos. Il est debout, tourné vers moi, calme.  J’étais seul dans l’église. Je ne le suis plus.― Tu ne pries pas ?Je me retourne. Je ne vois personne dans l’église. Argos renifle, reste calme, s'assoit.― Tu ne pries pas ?― Je n’ai pas de prières, mon Dieu n’est …―  Mon Dieu qui n'êtes personne, donnez-moi chaque jour ma chanson quotidienne, mon Dieu qui n'êtes pas ici, je vous salue …―  Qui es-tu ?―  Touche mes cheveux, j’ai traversé ta rivière, touche - moi …

Argos s’écarte de la porte, marche quelques pas sur le parvis, s’arrête. Sorti de l’église, à côté de lui, j’entends le loup sur la colline, de l’autre côte du pont, de l’autre côté de la rivière. La nuit arrive.― Viens mon chien, on va à la maison, viens. Je dois dormir un rêve. Je dois me réveiller dans le rêve. Je descends la colline suivant Argos qui court, qui avance et qui revient. Je le vois s’arrêter, les oreilles dressées. Un peu plus tard, un peu plus loin, j’entends aussi. J’entends les loups de la colline de l’autre côté du fleuve. D’abord le Loup, tout seul et après les autres et ce qui est rare, j’entends les louves, comme je les ai entendues le jour de passage des dodolles,

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les jeunes filles gitanes qui viennent à l’aube du printemps. Elles traversent la rivière avec le vent et dansent le long de nos rues, devant les maisons. Les femmes écoutent leurs chants, leurs présages. Les hommes les regardent danser. Ce printemps, la plus jeune d’entre elles m’a regardé, m’a fait signe et m’a dit : ― Viens, laisse-moi voir dans tes yeux … C’est toi !

Je prends une pomme, mais je n’en mange que la moitié. Encore jeune, la nuit, avec quelques étoiles, seulement, attend la lune. Le bruit des sabots de nos chevaux dans la cour. Revenus des champs, ils prennent leurs places pour la nuit, gardés par les chiens sauf Argos qui est allongé devant ma porte. C’est le moment, quand j’appelle le sommeil pour me libérer de pensées que je laisse sans réponses, quand, j’évite les réponses. Ce soir, je dois m’accrocher au rêve et m’envoler vers un espace où, je planerai entre la terre et l’attente de cette odeur, que j’ai senti dans la rosée sur les feuilles de la couronne autour de la tête de la jeune gitane. C’était l’odeur de la brume dans les yeux d’une fille touchée par amour. C’est toi ! a-t-elle dit.

La nuit est calme. Les loups se sont tus. Le vent s’est endormi en oubliant les vagues sur la rivière. Comme les enfants, laissés seules, elles jouent et s’échangent

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des mots secrets. La lune venue, la nuit semble être un rêve, elle-même. J’ouvre la porte. Argos ouvre ses yeux mais reste allongé. Les chevaux dorment. La rue dort. Je fais quelques pas dans la cour. Argos m’observe, pose sa tête sur sa patte et s’endort. Je rentre et referme la porte. Je me suis endormi, dès que ma tête s’est posée sur l’oreiller.

Surpris par le bruit de la porte qui s’ouvre, assis sur mon lit, je l’ai vue. La fille marchait sur la lune étendue entre la fenêtre et mon lit. Sa robe blanche flottait légèrement. Ses cheveux longs et blonds étaient entrelacés avec les branches et les feuilles d’une couronne. Je rêve encore ? ― Parle-moi ! Dis-moi qui tu es ! ― Tu me connais. Tu connais ma voix … tu toucheras mes cheveux … Oui, c’était la voix de l’église, c’était sa voix, c’est sa voix. Je me lève, je fais un pas vers elle, je tends mes bras vers elle, mais elle me fait signe, arrête-toi. Reste-là ! Je ne bouge plus. Elle fait tomber sa robe. D’un pas, elle quitte le cercle de tissu blanc autour de ses pieds, reste nue. ― Regarde-moi ! Regarde-moi et retiens. Je veux que tu me voies, que tu me gardes dans tes yeux, que tu n’oublies pas. Regarde-moi ! Regarde ! Souviens-toi !

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La lumière de la lune sur son corps se déchire en serpents scintillants, en torrents sauvages tourbillonnant, devant moi, figé, pétrifié. Je la regarde, je la vois, je la perds, c’est noir, je ne vois rien, je suis aveuglé. Je sens que son regard touche le mien. Ma chambre tourne, s’envole, retombe. Dehors Argos aboie. Je la vois. Je la bois. J’ai chaud. Je tremble. J’ai peur … est-ce vrai, est-elle ici ? Le tapis de clair de lune entre nous pâlit. Sa couleur d’or devient argent, pâlit encore. La fille est dans une brume matinale. L’aurore s’annonce par le silence des loups. Elle me sourit, tend ses bras, avance. Sa main touche mon épaule, son corps se rapproche, ses seins me touchent, me brûlent, je brûle. Je touche ses cheveux. Je touche le murmure des vagues dans ses cheveux. Elle a traversé la rivière, je sens l’odeur de brouillard de ses yeux. ―Tu es venue, la gitane a dit … tu es vraie, tu es venue. ― Oui, je suis à toi. Je m’arrache de ses bras, je la prends par la main. ― Non ! Non ! Oui ! Non ! Attends ! Viens, viens avec moi, viens … BELCAN !! Je cours, j’ouvre la porte, je cours. Elle est si légère que je pense de l’avoir perdue, mais non, elle me suit … elle tient ma main, je cours. ― Belcan ! Belcan !… Argooos !

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Les chevaux troublés par mes cris, s’agitent. Belcan se rapproche, excité et un peu effrayé. Ses narines sont ouvertes, sa peau frissonne. Je monte sur son dos blanc. D’un geste, j’attire la fille. Je la sens derrière moi, ses bras autour de ma taille, sa tête contre mon dos. Ma main saisit la crinière de Belcan. De l’autre main, je saisis les deux bras de la fille, croisés sur mon ventre.

― Va, va, Belcan ! Va !… Argos viens !

Après, seulement, quelques pas Belcan se met au galop. Les autres, les chevaux derrière nous, aussi. Les deux noirs, les plus jeunes, s’approchent, courent à côté de nous, puis encouragés par mon geste, –allez !, ils passent devant et nous guident vers la rivière. Argos et les chiens prennent les rues et les ruelles, les raccourcis. En arrivant au pont, des milliers d’étincelles dansant sur les vagues du fleuve, s’envolent vers nous. Les sabots des chevaux pénètrent l’eau plane de la rive, brisent violemment le silence, soulèvent les nuages des gouttes affolées qui nous précèdent, qui nous suivent, dans un écume de la lumière du soleil et de l’eau fraîche de la rivière. La tête de Belcan bouge au rythme du galop, touchant presque les chevaux noirs devant nous. ― Va, va, Belcan ! Collée à mon dos, la fille libère un bras, déchire ma

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chemise ouverte, la laisse s’envoler tel un oiseau au - dessus des crinières des chevaux qui nous suivent, pour tomber dans l’eau à côté des chiens qui y passent, en ce moment suivant les chevaux. Entre mes genoux, les muscles puissants du cheval blanc palpitent. Je serre mes jambes, je lève mes bras. ― Va, va mon Belcan ! Sa voix dans mon dos ! ― Va, va Belcan !

Je laisse les chevaux ralentir et s’arrêter. Nous sommes en face de l’île du vieux Château. ― Viens ! Je prends sa main. A cet endroit, on peut traverser la rivière en marchant. L’eau est fraîche. Au milieu, où le courant est fort, je la prends et la porte. Depuis la rive de l’autre côté, je vois les chevaux dispersés dans le champ, leurs têtes baissées vers l’herbe abondante. Les chiens, allongés le long de la rive se reposent. La fille me regarde, sa main me touche, elle sourit. ― Viens. Mes doigts se mélangent dans ses cheveux. Je hume les messages dans ses mèches. Je vois une promesse dans ses yeux et la peur. Qui est-elle ? Quel est son nom ? Son doigt sur mes lèvres. Ne dis rien ! Ses lèvres sur mes lèvres. Je t’aime. Qui es-tu ?

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Je ne dis rien. Je suis venue. Tu vois ? Je suis à toi. Mes lèvres sur les siennes. Sur ses épaules, sur les seins. Ses cheveux autour de ma tête. Ses bras autour de mon torse. Ses jambes autour de ma taille. Tu es venue … tu es à moi …

Nous rentrons à pieds, nus, entourés de nos chevaux, précédés de nos chiens. Argos reste devant ma porte. Je prends une pomme, la partage et donne la moitié à la fille. Elle reste assise sur le lit pendant que je m’endors.

Surpris par le bruit de la porte qui s’ouvre, assis sur mon lit, je me réveille. La porte est fermée. Je suis seul. La nuit est calme. Les loups se sont tus. Le vent s’est endormi en oubliant les vagues sur la rivière. Comme les enfants, esseulées, elles jouent et s’échangent des mots secrets. La lune venue, la nuit semble être un rêve, elle-même. J’ouvre la porte. Argos ouvre ses yeux mais reste allongé. Les chevaux dorment. La rue dort. Je fais quelques pas dans la cour. Argos m’observe, pose sa tête sur sa patte et s’endort. Je rentre et referme la porte.

Depuis le parvis de notre église, les jours sans brouillard, on peut voir la colline de l’autre côte de la rivière. La colline des loups. Elle est très proche après les pluies, quand on hume l’odeur des feuilles qui

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sèchent au vent.Je suis seul dans l’église. Je ne prie pas. J’attends. J’écoute et j’attends. Mon chien est sur le parvis. La porte de l'église s'ouvre mais je ne vois personne entrer. Contre la lumière par la porte ouverte, je vois la silhouette d’Argos. Il est debout, tourné vers moi, calme.  J’étais seul dans l’église. Je ne le suis plus.― Tu ne pries pas ?Je me retourne. Je ne vois personne dans l’église. Argos renifle, reste calme, s'assoit.―  Tu ne pries pas ?―  Je n’ai pas de prières, mon Dieu n’est …―  Mon Dieu qui n'êtes personne, donnez-moi chaque jour ma chanson quotidienne, mon Dieu qui n'êtes pas ici, je vous salue …―   Qui es-tu ?―  Touche mes cheveux, j’ai traversé ta rivière, touche -  moi …

Ses cheveux sentent la rosée de la couronne et la brume dans les yeux d’une fille touchée par amour.

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Monsieur Glasnick reviendra

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epuis ma fenêtre, je peux voir la colline de l’autre côté de la rivière.D

Pendant les nuits des loups, il m’arrive de sortir et de descendre pour aller à la rivière. Je marche le long de la rive et je cherche le silence. Souvent je le trouve,  alors je m’arrête et j’écoute.

Il  y a soixante ans ma mère m’a vu quitter la maison, une nuit des loups. Elle m’a suivi. Elle m’a laissé écouter les chants des vagues au loin. A l’aube, quand je me suis retourné, quand je l’ai vue, elle m’a tendu le bras :― Viens !Elle m’a emmené et m’a présenté à la dame qui habitait seule dans la maison près du pont.La dame Blanche nous a accueillis, assises à son piano.  Elle m’a fait signe de m’asseoir à côté d’elle. J’avais six ans et elle me faisait peur. Ses cheveux blancs, sa voix haute.― Ecoute !Elle toucha le clavier avec un doigt. Doucement mais

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énergiquement. Puis elle chanta. Sa voix suivait les petits mouvements de sa main. ―Toi maintenant, chante!Ma voix tremblait. J’observais attentivement les doigts de la dame Blanche sur les touches blanches et noires. Je chantais, j’avais peur. C’était interminable ! Finalement, elle s’arrêta, resta immobile pendant quelques minutes et puis elle regarda ma mère.― Oui!Chaque jour, pendant les dix ans qui suivirent, j’allais chez elle. Chaque jour, j’avais peur en y allant. Chaque jour, je sortais heureux et j’attendais la leçon du lendemain avec impatience.  

Le premier jour du printemps, à l’aube, revenant de ma promenade sur la rive de la rivière, j’ai vu un homme me regarder. Grand, mince, le visage sans âge, un sourire imprécis.―Venez ! Marchons ensemble vers la ville, proposa-t-il.Mon chien qui va de suite vers la personne qui me parle, la vérifie en reniflant, propose un ‘’bonjour’’ en battant la queue, resta, cette fois, à côté de moi sans réagir, comme s’il ne le voyait pas du tout. L’homme me parlait du beau et du mauvais temps d’abord, puis du marché hebdomadaire du lendemain dans notre ville, puis de quelques uns de mes voisins. J’étais

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certain de ne l’avoir jamais vu et j’étais très surpris, qu’il connaissait beaucoup de détails de la vie de chez nous. Dans la rue Grande, nous rencontrions les gens qui me saluaient :―Bonjour Maître !―Comment allez-vous Maître !Quelques-uns donnaient un câlin à Argos mais personne n’a adressé un seul bonjour Monsieur ou tout au moins, fait un signe de tête, pour saluer mon compagnon. Comme s’ils ne le voyaient pas.  Au coin de ma rue, il s’arrêta me laissant partir vers ma maison. Quelque pas plus tard, je me suis retourné mais il n’était plus là.

Le soir, en me préparant d’aller au lit, je n’étais pas certain de l’avoir vraiment rencontré, vraiment vu. Mais le lendemain, sur la place du marché, il est venu vers moi et pendant que je faisais mes achats, il marchait à côté de moi et me parlait et encore, j’étais surpris et je me demandais comment peut-il savoir tout sur mes concerts, donnés, dans les villes très lointaines. Il citait les phrases et les compliments que les admirateurs m’adressaient ‘’ jouer avec la complicité d’un condamné à mort’’ ou bien ‘’ écouter ce virtuose en regardant les ombres de ses doigts hallucinant sur les touches en ivoire ‘’. Et, aujourd’hui encore, les gens semblaient ne pas se

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rendre compte de sa présence à côté de moi. Les marchands me souriaient et me parlaient comme si j’étais seul. Intrigué, je suis revenu et j’ai, directement, posé la question au boulanger, avait-il vu le monsieur qui était avec moi ?―Mais vous étiez seul Maître, enfin avec Argos.

Quelques jours plus tard le vieux professeur m’arrêta dans la rue et me dit :―Je vous ai vu avec quelqu’un que je connais aussi. Je vous parle de Monsieur Glasnick avec qui je vous ai vu à la place du marché. Il est venu me voir, plusieurs fois et nous avons passé des longues heures à parler ensemble. Le lendemain, j’ai pris mon pain et j’ai dit au boulanger  ― Vous vous souvenez, certainement, je vous ai demandé, il a quelque temps si vous avez vu le monsieur qui m’accompagne, car voyez-vous notre professeur m’avait vu en compagnie de ce monsieur et je … ― Maître, alors vous ne le savez pas ? Le professeur est mort cette nuit.

Une femme m’attendait avec un garçon d’à peu près six ans. Il me regardait. Il avait peur. Je me rappelai dame Blanche. Le garçon s’assit à côté de moi. Je touchai le clavier, je l’écoutais. Le garçon chantait

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suivant mes doigts sur le clavier. J’ai terminé. La mère me regardait.― Oui ! Elle se leva, promit de venir avec son fils tous les jours. De ma fenêtre, je les ai vus s’éloigner le long de ma rue. Au coin, ils se sont retournés et m’ont vu à la fenêtre. Ils m’ont fait signe, au revoir. Quand je me suis retourné j’ai vu Monsieur Glasnick assis sur une chaise au fond de la pièce. Il se leva, sortit et par la fenêtre qui donne vers la colline, je l’ai vu traverser le pont et s'éloigner.

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Le banc près du ravin

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e partais souvent de chez nous pour rencontrer et parler avec des gens. J

En rentrant, c’était toujours la nuit, j’aimais voyager sous la lune, je ne pensais jamais à ces rencontres, voire à ce qui c’était passé, lors de mes conférences.

Je pensais, je rêvais, je voyais toujours ma maison, près du pont. Je me voyais enfant, je me voyais jeune homme.

Je me voyais partir. Je me voyais réaliser cette idée que j'ai eue, que j’ai sentie, plutôt, quand j’avais eu

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dix, onze, douze ans, l’idée qui est devenue un rêve inaccompli plus tard.

Jeune, je pensais, je voulais sortir et partir. Traverser le pont, longer la route, prendre la direction des villes. Arrivé dans la première ville, je devrais m’installer dans une auberge et tous les matins sortir et partir à gauche, et encore à gauche et de nouveau à gauche et encore et continuer comme ça, élargissant les cercles chaque jour et marcher, marcher avec le but de traverser toutes les rues de la ville. Et partir pour une nouvelle ville, marcher dans celle-ci, le long des rues.

A pied, en marchant, sans jamais prendre de train. Sans jamais aller à la gare. Les gares me posent des questions. Ce sont plutôt les visages des gens que je vois sur les vitres des wagons, des trains qui passent, pendant que je suis sur un quai de gare inconnue, qui me posent des questions. ― Qui somme-nous ? Qui sont-ils ?

La nuit était douce, claire, une belle nuit d’été. Je traversais le village que je connaissais bien. J’y étais passé plusieurs fois. Mais je n'ai jamais vu le panneau qui indiquait une autre direction que celle que j’empruntais toujours. Mais maintenant, je voyais

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clairement : Église XII siècle ! A gauche. Je tournais à gauche. En quittant le village, la route commençait à monter. Je la suivais et montais. La côte était abrupte et surprenante. Je ne supposais pas des buttes de cette importance ici. J’aperçus un petit élargissement, à gauche de la chaussée. Je m'y dirigeai et m ’y arrêtai. La lune éclairait la surface et je voyais que je me trouvais sur un terrain vague bordé par une bande d'herbe sauvage. Je fis quelques pas vers le bruit d'une rivière. Vers la bande en herbe. Elle n'était pas très large et se terminait par un ravin. Je ne pouvais pas voir le fond. J'entendais seulement l'eau qui passait, lentement. La paroi du ravin de l'autre côté montait plus haut et en levant la tête, je vis qu'il se terminait en une surface légèrement montante. Tout près du ravin, il y avait un banc en bois. Un homme se tenait, debout avec une main posée sur son dossier. Un chien assis de l'autre côté du banc. Etrange mais je n'étais pas surpris. Je les regardais. Je pouvais les voir assez bien. Personne ne bougeait. Ni l'homme, ni moi, ni son chien. D'ici, je ne distinguais pas le visage ; ni les yeux ; mais j’étais certain qu'ils me regardaient. Le chien se leva, se rapprocha de son maître et s'assit. L'homme ne bougea pas, moi non plus. Seule, la rivière faisait un bruit en touchant ses rives et quelques rochers sur son passage. Je

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l'écoutais et essayais de définir sa direction. Le chien se leva et se rassit.

Je devais repartir. Je fis un petit signe avec mon bras. L'homme y répondit. Je me retournai. Je partis. Je marchais vers le village, endormi. Je regardai, encore une fois, vers le banc de l'autre côté du ravin. L'homme leva le bras. Il se retourna et s'en alla avec son chien. La lune était toujours très forte.

J’ai appris que ce village s’appelait Stol. J’y suis retourné quelques semaines plus tard. Le village était petit mais il y avait une auberge. La chambre que je pris donnait sur la place du village mais j'ai, aussi pu voir un chemin qui traversait un parc, d'abord et qui montait ensuite pour se perdre dans les bois. L’aubergiste m’a expliqué : ― La belle colline avec le banc ? C’est le banc à Boris. Tout près du ravin ! ― Le banc à Boris ? ― Oui, nous lui avons donné ce nom : Boris. Il y va souvent et y reste, pendant des heures, debout, avec son chien comme si, il attendait quelqu’un.

J'ai trouvé facilement. Sorti des bois, j'ai vu le banc. Il n'y avait personne. Je me rapprochais et une fois, proche du banc, j'ai aperçu l'autre côté, mon côté, l'endroit où, je me trouvais, cette nuit de pleine lune.

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La rivière chantait la même chanson. Comme Boris, je ne me suis pas assis. J'attendais.

L'auberge fermait au départ du dernier client. Je montai et je me couchai de suite. Je me demandais combien de temps devais-je rester à Stol pour rencontrer Boris. Ils disaient qu'il s’ y rendait chaque jour. Aujourd'hui, il ne s’y était pas rendu. Demain ?

Je m'endormis. Quand je me suis réveillé, il était minuit. Une nuit claire. Je me levai et dès que, je me suis mis à la fenêtre, je l'ai vu. La place du village, sous la lune, était vide. Il était debout. Son chien assis. Je saisis mon imper et je sortis. Il m'attendait. ― Je suis content que vous soyez venu. ― Vous êtes grand. ― Vous avez ma taille. Nous marchions ensemble. Le chien nous suivait. ― Vous partez demain.

― Je ne sais pas. ― Ce n'était pas une question. ― Je pars demain. ― Je suis content que vous soyez venu.

Il était midi, quand j'ai payé l'aubergiste pour partir. Il tenait une enveloppe et il me la donna. ― Ceci doit être pour vous. C'est adressé, Au

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Monsieur qui part aujourd'hui, et comme il n'y a que vous.... J'ouvris la lettre et je lis :

Je pars aussi. Il n'y a plus de raison pour moi de rester. Vous êtes venu, il n'y pas de trains qui passent et je dois marcher, marcher

Il s'appelle Lamy .

En sortant sur la clairière, je le vis près du banc. ― Lamy viens. ! Le chien se retourna et accourut. ― Lamy, viens, on s'en va !

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Le Roy Wook

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a Pierre du Loup est la plus grande et la plus blanche des pierres du mur, resté comme la seule trace de l'ancien port. C’était rare que

quelqu’un s’y rendait après que le dernier bateau fut parti da là, il y a bien des années. Les pêcheurs allaient plus loin cherchant la rive plus plate et les promeneurs, même si ils venaient ne restaient pas longtemps. Mais nous, les enfants nous y allions jouer au Roy Wook, presque chaque jour. Presque seulement les garçons. Les filles venaient rarement et ne jouaient jamais. Nous avions chacun, deux pièces d'argent. Nos pièces n'avaient de valeur que pour nous, que pour notre jeu.

L

― Regarde mes pièces, me dit Methodi, un jour.― Elles sont belles, on peut bien jouer avec.― Apprends-moi, apprends-moi le jeu !

Ce jour là, j'ai gagné contre deux adversaires. Methodi n'a pas joué.

― Je sais voir dans les rêves comme tu vois le jour. Cette nuit, tu verras aussi et demain, il y aura moins de joueurs, apprends moi.La nuit est venue avec l'orage et partie avec la lune. J'ai vu la clairière dans les bois, de l'autre côté de la rivière, et le Loup me regardait. J'ai vu, dans le rêve, comme dans le jour, comme Methodi me l'avait promis.

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Le lendemain, j'ai gagné tous mes jeux et j'ai fait le jeu égal avec le Roy. Ce dernier jeu était très long, la nuit venait, déjà, avec le vent. Au moment même où, ce jeu fut déclaré jeu égal, le Loup s'annonça de l'autre côté de la rivière et, nous l'avons vu, même sur la clairière avec la Louve et trois louveteaux. C'était le signe. Je suis le Roy Wook à tout jamais, même après une éventuelle défaite contre un autre joueur. Tout au long du chemin depuis La Pierre du Loup jusqu'au village les enfants criaient ma victoire. Methodi n'a pas joué, ce jour là.

Le jour suivant, je regardais jouer les autres. J'étais le Roy Wook et je ne jouais pas. Methodi, non plus. Il n'a pas joué ce jour là. Il me regardait apprends-moi. ― Demain, j'ai dit. Le lendemain je suis restas à la maison et je ne l’ai pas vu. Un jour plus tard, non plus. Il n’est pas venu regarder nos jeux. Deux jours plus tard, sa mère me guida vers son lit de malade. Je lui dis de faire, de me montrer ses ped et chèpe, les deux mesures, la distance, entre le pouce et le majeur de sa main posée sur le sol et fortement appuyée du haut vers le bas. Et la même chose mais avec l'index pour le chèp. Mesuré entre deux pièces au sol le ped désigne si un coup est valable ou non. Methodi sourit et nos mains se touchèrent. Je

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connaissais maintenant la taille de ses ped et chèpe .― Demain, tu joueras avec moi. Même si tu ne peux pas venir. Donne-moi tes pièces.― Demain, je joue avec toi, même si je ne serai pas là, sourit-il en me montrant les pièces.

Tôt, le lendemain matin, jje me suis dirigé vers La Pierre de Loup. Seul, j'ai joué. Nous avons joué. Je touchais la pierre lisse avant chaque coup. Une fois, pour lui et puis, une fois pour moi. Je caressais la pierre et le sol sur lequel les pièces tombaient rebondissant depuis la surface blanche. Chaque coup, chaque lancement doit être réfléchi, mesuré, senti. La pièce tenue avec deux doigts, touche la pierre. Une fois, deux. J'écoute. Le son est important, l'œil ne quitte pas la pièce de l'adversaire, par terre, déjà. La mienne devrait tomber à côté d'elle à une distance moindre que mon ped. Un coup sec ! Les doigts s'ouvrent, le vol s'engage, la pièce part, tournoi et tombe, C'est là que je mesure et je ris. Bien joué ! Moi maintenant ! Je joue ! A toi ! Nous avons joué longtemps. Personne n'est venu, ce jour là. Methodi a joué ce jour là. Methodi est mort, ce jour là.

J'ai vu son père poser le faire part, sur un arbre dans la cour. Toutes les façades et les portes le long de la rue en étaient couvertes. Je ne savais pas lire les

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signes et les lettres sur le papier. On apprend la lecture de l'arrivée de la mort et du départ d'une âme plus tard, plus âgé. Je suis resté caché. La nuit venue, je suis allé vers l'arbre. J'ai posé ma main sur le papier blanc. Je ne savais pas écrire. Je ne connaissais pas ces signes, ces lettres. Je suis resté la main sur ce morceau de papier jusqu'à l'aube et j'ai vu le rêve. Le Loup me regardait. Tu as dit. Je suis parti. Le matin, les gens venaient et lisaient. Une écriture incertaine d'enfant tout en bas du faire part disait que Methiodi a fait le jeu sans vainqueurs contre moi et était devenu lui - même Roy Wook à vie. J’ai gardé nos pièces mais je n’ai plus joué. Jamais.

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Le chant de Ria

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ette année là, le temps passait lentement. Au départ, à l'instant où, le temps se mit à ralentir, tout le monde crut que ceci pourrait

être bien, que c'était l'occasion de profiter de faire des choses que l'on ne peut pas faire, justement, par manque de temps. Mais le temps passait trop lentement. Cette année-là, personne ne vint chez nous. Nous ne vîmes pas de voyageurs passer le pont sur notre rivière. Même, les gitanes, les dodolles ne traversèrent pas la rivière au vent du printemps, pour danser et pour nous parler de l'avenir. Cette année fut une année sans présages. Les loups ne se firent entendre que très rarement et les enfants passaient leur temps à chercher les chiens allongés et muets, dans un coin de nos cours.Avec le temps, les gens finirent par craindre ce temps hésitant sur son chemin. Certains se sentaient observés, soupçonnés de quelque chose. Le temps lent offre plus de temps et pourtant, rien ne se passait. Personne n'est mort cette année-là.

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Effrayées, les femmes enceintes, allaient voir les sages-femmes. Celles-ci ne savaient rien dire d'autre que des mots d'encouragement.

Vers la fin de cette année étrange le village respira, soulagé quand quelques cris et pleurs de nouveaux nés annoncèrent leurs naissances.Une fête fut organisée pour accueillir le nouvel an. Personne n'en parla pas mais les gens sentirent le temps passer comme avant. Les loups hurlaient et nos chiens allaient leur répondre, depuis la rive, sous la lune. Avec le temps les gens oublièrent ce passage lent du temps.Sauf les mères des enfants venus au monde cette année là. Les mères regardaient leurs enfants grandir en bonne santé comme les autres, mais ces enfants apprirent à chanter avant d'apprendre à parler et avant même, de marcher. C'étaient des chants, de vrais chants et non des cris ou des pleurs. Les mères les écoutaient surprises et troublées de ne pas comprendre ces chants. Les petits chantaient des mots qu'elles ne connaissaient pas. Les pères et autres parents n'y croyaient pas.― Ce ne sont que des gémissements comme on entend depuis toujours chez les gosses qui pleurent. Ce ne sont pas des mots. Une seule personne connaît

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une langue des autres ! C'est la vieille Ria.

Ces enfants grandissaient comme les autres enfants. Comme les autres, ils aidaient les parents à pomper l'eau qui envahissait les caves des maisons, à la fonte des neiges. Les garçons parmi eux apprirent, tout petits, à nager, à pêcher, à bien pêcher à mains nues. Les chiens les aimaient et jouaient avec eux. Les mères finirent par écouter leurs chants avec un sourire aux lèvres et sans crainte, comme au début.Avec leurs couronnes en fleurs sur leurs têtes, les gitanes allaient le long de nos rues en dansant, en annonçant le printemps mais elles n'acceptaient plus les cadeaux et n'en tiraient plus de présages. Les jeunes hommes riaient.― Elles nous apportent le printemps en dansant et chantant. Elles sont tellement belles quand elles bougent leurs corps, qu'on ne voit que ce moment présent et on ne pense à rien d'autre.Mais les anciens et les femmes voulaient les entendre en parler comme elles le faisaient auparavant. Finalement une des dodolles arrêta sa danse.― Nous pouvons vous dire votre avenir. Votre avenir n'existe autrement qu'à travers votre passé. Si vous n'avez pas la nostalgie de vos souvenirs votre avenir n'aura pas lieu. Vos vies continueront d'une génération à l'autre, au long des années mais sans avenir.

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Les pluies arrivèrent après un été sec. Les enfants couraient d'une flaque d'eau à l'autre criant de joie, accompagnés des cris des parents d'arrêter immédiatement de se salir, de faire attention de ne pas tomber, de rentrer à la maison. Tout le monde savait que les enfants n'obéiraient jamais et beaucoup sortirent de leurs maisons  et se dirigèrent vers la rivière suivant les rires des enfants et et les aboiements des chiens qui les précédaient. Tout le monde voulait observer la danse des gouttes de la pluie sur la surface de la rivière. Soudain des cris de joie devinrent des cris terrorisés en se mélangeant à des hurlements des loups et les aboiements enragés et les grognements des chiens prêts à se battre.― Au loup ! Les loups ont descendus la colline.Les premiers des parents et d'autres adultes, arrivés à la proximité du pont virent les loups et les chiens courir affolés et perdus ne sachant par où partir. Ni les loups ni les chiens n'attaquaient les uns ou les autres. Effrayés et à la limite de la folie, de la rage, leurs poils mouillés et collés aux corps par l'eau de la pluie et fouettés par les vagues de leur course dans celle de la rivière, devenue sombre comme les nuit sans étoiles ni lune, ils faisaient une seule meute. Les mères cherchaient les enfants, leurs bras ouverts comme des ailes pour les protéger. Leurs voix entrecoupaient les

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cris des hommes appelant leurs chiens. Certains restaient sans bouger regardant devant eux les yeux grands ouverts. Quelqu'un hurla:― La rivière ! La rivière a perdu ses rives!Tout le monde s'arrêta. On entendit, encore, un ou deux gémissements d'un enfant, un ou deux jappements d'un chien,― Notre rivière n'a plus de rives !Personne ne bougea plus. La pluie s'arrêta mais personne ne s'en aperçut. Personne ne vit la vieille Ria arriver. Sa robe noire et son foulard ouvert, elle marcha entre les hommes. Elle avançait lentement dans l'eau de plus en plus profonde. Son regard partit au loin, dépassant la colline des loups, allant plus loin que les montagnes derrière celle-ci, plus loin que le point où le ciel et la terre se touchent. Elle traversa, de son regard, cette limite et pénétra les nuages de souvenirs qui s'offraient à sa vue. Quelques hommes, pris de peur à la vie de la l'eau monter de plus en plus haut sur sa robe noire, se précipitèrent vers la vielle femme pour l'aider, pour ne pas la laisser seule et offerte à la rivière. Un seul geste de sa part les arrêta. Elle ne se retourna, même, pas vers eux. Elle se mit à chanter. Sa voix n'avait pas son âge. Elle chantait et elle avançait toujours d'un pas lent mais décidé. Elle chantait toujours quand la surface de la rivière,

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froissée par une brise se referma sur elle. Un frisson courut ce moment. On l'entendit chanter de l'autre côté de l'eau. Les gens la virent de l'autre côté de l'eau. Ils se virent tous de l'autre côté de la surface de la rivière. Le chant venait de partout maintenant. Les enfants nés cette année du temps lent se mirent à chanter. La vielle Ria et les enfants chantèrent un chant dont les mots étranges venaient d'une autre langue et que, maintenant, tout le monde comprit. Tout le monde les connaissait depuis toujours. Certains essayèrent à lever leur voix et à chanter ensemble. Les autres plongèrent leurs têtes dans les vagues pour se voir nager, marcher, voler dans la rivière. Quelques uns se parlaient. Quelqu'un cria : ― La rive ! Les rives !La rivière avait ses rives. Un faucon survola la rivière et quelques autres s'annoncèrent par leurs cris. Les loups hurlaient tout en allongeant l'autre rive en partant vers leur colline. Les chiens aboyaient en sautant autour des enfants et autour de leurs maîtres. La rivière avait une couleur à tomber à genoux et à l'observer sans respirer.

La vielle Ria marchait entre les femmes et les enfants. Les hommes et les chiens les suivaient. Ses cheveux, sa robe noire et son foulard étaient secs.

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Cette année, les dodolles sont revenues en automne.― Nous voulons vous dire quelques présages.Les femmes les écoutèrent et les hommes les regardaient danser. Elles sont parties emportant leurs cadeaux et en traversant la rivière avec le vent.

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Depuis ruelle Mignonnette vers le Monde

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Editions Ruelle

ISBN 978-1-4452-8488-0

Imprimé en Pologne

Dépôt légal : 2011

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