56

DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Nous sommes à un tournant historique, à une phase de transition, pour les médias qui vont changer plus en 5 ans que pendant les 50 dernières années. Darknet apporte une découverte de ce futur pour le cinéma, la télévision, la musique, les jeux, l'art... et montre les choix que nous avons en tant que société. Darknet raconte l'affrontement entre la force irrésistible de l'innovation technologique et l'immobilisme des dirigeants des médias et du spectacle. Darknet emmène le lecteur dans le monde secret, l'underground des films, là où les pirates et les trafiquants encerclent Hollywood et les représentants de la loi. Ce livre fait le portrait du futur avec le changement de la balance du pouvoir entre les grands médias et les gens de tous les jours.Biographie de l'auteurJ. D. Lasica, journaliste et blogueur américain reconnu, a écrit de nombreux articles pour des journaux comme le Washington Post, Salon, le Industry Standard... Il est le fondateur du site ourmedia. org qui est au centre du phénomène du journalisme citoyen au niveau mondial. Auparavant, éditeur du principal quotidien de Sacramento, le Sacramento Bee, pendant 11 ans et responsable de l'équipe éditoriale dans trois start-up.

Citation preview

Page 1: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique
Page 2: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

J. D. Lasica

Darknet la guerre d’Hollywood contre la génération digitale

Traduit de l’Américain

par Adeline Mesmin

M21 Editions

Page 3: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

ISBN: 2-916260-01-3 Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

pour tous pays.

Titre original : Darknet : Hollywood’s War Against the Digital Generation

Editeur Original : John Wiley & Sons, Inc.

ISBN original : 0-471-68334-5 Copyright © 2005 J.D. Lasica. All rights reserved

This translation published under licence.

Traduction : Copyright © M21 Editions 2006

M21 Editions Paris

M21editions.com

Page 4: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

RSS, Blogs : nouvel outil pour le management, la syndication des flux d’informations et des blogs pour l’entreprise de Jean-Claude Morand. Etudes de cas et 101 applications du RSS.

le Management de l'intelligence collective, de Olivier Zara, vers une nouvelle gouvernance.

Collection Nouvelles Technologies

Gutenberg 2.0 : le Futur du Livre, de Lorenzo Soccavo, contribution de Constance Krebs. Le livre, objet culturel, technique, industriel et commercial, va vivre sa 2ème révolution après celle de Gutenberg, il y a plus de 500 ans.

Voyage au Coeur du Numérique, de Fanny Bouton, Sébastien Berthoud, Grégory Caulier. Le livre tout en couleurs pour le plaisir de découvrir les technologies de notre nouveau quotidien.

Les réseaux sociaux, de Alain Lefebvre, dessins de Fix. Pour comprendre et exploiter ces nouveaux réseaux professionnels.

Page 5: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

les Blogs de Benoît Desavoye avec Christophe Ducamp, Xavier de Mazenod et Xavier Moisant. Le phénomène médiatique d'aujourd'hui.

les Wikis, de Jérôme Delacroix. Pour les nouveaux espaces de l'intelligence collective.

Collection Prospective

Darknet, de JD Lasica. La guerre d’Hollywood contre la génération numérique, une réflexion sur les enjeux des médias, de la culture et de la création,

L'Age de la Connaissance, de Marc Halévy. La nouvelle économie des idées.

Foules intelligentes, de Howard Rheingold. L'arrivée de la nouvelle révolution sociale.

Page 6: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Préface Par Howard Rheingold

Si vous regardez mes précédents ouvrages, Tools for Thought, Virtual reality, et The

Virtual community, vous pourrez noter qu’il y a plus de citations, et qu’elles sont plus longues, que dans mon dernier livre, Smart Mobs1 . L’explication est que l’usage autorisé - la tradition fondamentale de construction sur les bases des travaux précédents (attribués bien évidemment à leurs auteurs ! ) - a été sévèrement restreint par de puissants “propriétaires de contenus”. L’édition était un monde beaucoup plus tolérant, avec de grandes marges de manoeuvre accordées pour le bien de la culture. Du moment que des guillemets, des parenthèses ou des paragraphes étaient indiqués en italiques, et que des notes attribuaient chaque extrait à son auteur, en bas de page et/ou dans la bibliographie, les auteurs étaient libres d’utiliser le travail des autres afin de souligner le leur. La règle informelle était que pour une citation de moins de 500 mots, une permission explicite n’était pas requise.

Néanmoins, lorsque j’ai écrit ces précédents ouvrages, l’édition était une entreprise tout à fait différente. Par exemple, j’aurais pu proposer mon livre à Random House, Knopf, Doubleday, Dell, ou Bantam. Aujourd’hui, tous ces éditeurs font partie du groupe Bertelsmann. Les éditeurs ne sont plus seulement là pour produire leurs livres, ils ont considérés comme des sources de revenus pour de grands groupes industriels. Et ces compagnies protègent leur propriété grâce à des menaces de poursuites judiciaires, restreignant les usages autorisés. L’éditeur de Smart Mobs m’a dit que je devais obtenir une permission écrite pour chaque citation de plus de 250 mots. Bien qu’il n’y ait pas de précédent légal à ce sujet, les avocats de mon éditeur ne voulaient pas subir des intimidations à la Cour par les départements légaux des compagnies qui possédaient les autres éditeurs.

Si vous avez les moyens d’engager un assistant, d’écrire une douzaine, voire même une centaine, de demandes de permission ce n’est pas un problème, et pour la plupart des cas, les coûts d’autorisation seront très faibles. Cependant, le problème en question est plus important. Tout d’abord, il ne s’agit pas seulement d’une restriction des usages autorisés en édition. Depuis que les éditeurs se sont rendus sans se battre, qui pourrait empêcher les grandes compagnies de pousser encore plus loin dans les prochaines années, demandant à tous les auteurs d’obtenir et de payer les permissions pour toutes les citations ?

Ensuite, ce phénomène n’est pas limité à l’édition. Si vous voulez faire un film indépendant, vous avez intérêt à ne pas le faire sur un coup de tête. Chaque marque, chaque poster, chaque image pouvant être sous copyright à l’arrière-plan de votre film nécessite une permission – qui n’est pas toujours accordée, et celles qui sont accordées ne sont pas toujours à portée de bourse. La situation est déjà hors de contrôle et empire. Il ne s’agit plus maintenant d’un problème qui ne concernerait que les auteurs, les réalisateurs, ou autres « professionnels », puisque nous sommes maintenant membres du monde des médias. Cela a pris une décennie pour que les gens acceptent que chaque ordinateur, et maintenant chaque caméscope numérique ou portable avec appareil photo intégré, est une centrale d’impression

Page 7: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

globale, un outil d’organisation, et une station d’émission. Les débuts du World Wide Web ont marqué un glissement de pouvoir historique des grandes sociétés aux individus, de ceux qui regroupent l’information et les idées à ceux qui veulent les partager. Ce n’est pas étonnant que les grands pouvoirs des médias aient l’écume à la bouche au sujet d’Internet.

Maintenant la prochaine phase de cette transformation digitale est devant nous, phase qui implique des médias démocratisés, des réseaux peer-to-peer, des outils collaboratifs, des programmes informatiques sociaux, et la technologie omniprésente des téléphones portables avec appareil photo intégré ; des outils portables, et de minuscules puces peu onéreuses présentes dans la majorité de nos outils de tous les jours. L’issue de cette prochaine phase de l’Internet perturbateur est beaucoup moins certaine, tandis que la bataille fait rage pour le contrôle des régimes sociaux, économiques, et politiques que ces nouvelles technologies rendront possibles. La façon dont nous allons résoudre cette guerre culturelle aura de grandes conséquences. Dans cinq ou dix ans, qui sera capable de créer ou de partager des médias – les individus ou seulement les intérêts des puissants ? Lorsque des centaines de millions de gens arpentent les rues en transportant des outils de travail constamment connectés des centaines de fois plus puissants que les ordinateurs d’aujourd’hui, que pourront-ils en faire ?

Ces décisions, qui sont prises aujourd’hui à Washington et dans les forums privés des grandes industries, peuvent modeler la culture pour les générations à venir. Ces batailles peuvent se résumer à un simple choix : voulons-nous être des utilisateurs ou des consommateurs ? Dans une vision, les individus seront libres de créer et de distribuer des courts-métrages, des travaux de musique personnelle, des vidéos maisons, empruntant de temps en temps des fragments de la culture présente autour d’eux. Les individus, agissant comme des réseaux de média personnel, construiront sur des travaux précédents pour créer et distribuer des histoires digitales envoûtantes, des drames inspirés de faits réels, de la fiction de fan, des spectacles télévisés composites, des jeux vidéo améliorés, et de riches mondes virtuels. Certains utilisateurs iront plus loin créant non seulement de nouveaux contenus, mais aussi des formes de médias entièrement nouvelles.

La seconde vision, poussée par les intérêts du divertissement et leurs alliés à Washington cherche à préserver le statu quo – une vision restrictive de notre futur digital qui s’appuie sur un contenu formaté largement diffusé le long de canaux à sens unique à une audience passive et anesthésiée. Sous ce régime, les consommateurs auront bientôt le pouvoir de choisir parmi 500 marques, proposées par la même poignée de vendeurs, avec peu ou pas de pouvoirs pour créer leurs propres produits culturels.

Comme chaque chose dans la vie, le choix entre la culture digitale et la société de consommation n’est pas une proposition alternative, puisque chaque jour qui passe nous fait jongler entre nos rôles de créateurs de contenus et de spectateurs passifs. Mais de façon croissante, nous résistons à ce média à sens unique. Nous rejetons le mégaphone de l’ère de la grande diffusion et nous nous tournons vers les ficelles collaboratives de l’Internet. Et tandis que nous le faisons – que nous devenons de plus en plus à l’aise dans nos nouveaux rôles d’éditeurs, de producteurs, de designers, et de distributeurs de media – nous commençons à nous heurter à un régime législatif qui menace de bloquer nos libertés digitales et de faire de millions d’entre nous des scélérats. C’est à ce moment là que la lumière se fait et que nous commençons à voir la menace à l’encontre des technologies populaires d’innovation.

Certains nous montrent leurs étincelants nouveaux jouets comme preuves que tout va

Page 8: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

bien. Michael K. Powell, qui a récemment renoncé à son poste de responsable de la FCC (Federal Communications Commission), s’est adressé en ces termes au National Press Club début 2004 : « Les sermons visionnaires des futuristes de la technologie semblent s’être matérialisés. Ce ne sont plus les ingrédients des romans de science-fiction, des boules de cristal et des conférences académiques, c’est devenu réel... la technologie apporte plus de pouvoir aux gens. »

L’accès à l’informatique et le pouvoir de communication arrivent à la population parce que les forces des puces silicones, du stockage de masse et des connections haut débit à Internet se sont combinées pour produire des outils plus petits et plus puissants qui peuvent tenir dans la main, plutôt que dans les mains de grandes institutions centralisées.

Cela retourne l’esprit de voir les fantastiques produits qui nous sont accessibles aujourd’hui. Un simple aperçu suffit pour le constater : les appareils photo digitaux et les imprimantes photo sont sortis de la pièce noire vers notre foyer. Des lecteurs de musique, comme l’iPod, se sont emparés des rangées de CDs de votre marchand de musique pour les placer dans votre poche. Les terminaux vidéo d’enregistrement, comme TiVo, nous ont donné plus de contrôle sur ce que nous regardons et quand nous le regardons. Nous voulons des salles de cinéma dans nos foyers. Des récepteurs satellites GPS sont installés sur des tracteurs. Des lecteurs de DVD nous permettent de regarder des films en haute qualité presque partout – il suffit de regarder par la fenêtre arrière des voitures familiales, qui quittent votre voisinage le samedi matin, pour voir la saison complète de Bob l’Eponge.

Ce n’est pas que nous ayons accès à une technologie fracassante, c’est que nous avons accès à des supers ordinateurs de poche qui, il y a encore peu de temps, auraient été le domaine exclusif du MIT, de la NASA ou de la compagnie du téléphone. Cette économie signifie que ces produits continueront à devenir plus puissants et moins chers, rendant ainsi le futur plus brillant. En clair, nous accélérons notre chevauchée vers le futur.

Dans son discours, Powell oublie certaines choses. Il a négligé de mentionner les efforts des corporations pour boucler l’Internet, et pour limiter l’habilité des gens ordinaires à produire des oeuvres culturelles qui pourraient entrer en concurrence avec les conglomérats des medias. Il a oublié de mentionner les tentatives d’Hollywood pour remplacer l’Internet ouvert par un système contrôlé de livraison de contenus qui ressemble à la télévision. Il n’a pas mentionné les efforts faits pour contrôler le flot des informations en ligne, à travers une révision fondamentale de l’architecture des PC, dans le seul et unique but de servir les intérêts à court terme de l’industrie du divertissement. Il a oublié de mentionner les efforts couronnés de succès d’Hollywood – avant même la FCC – pour imposer un régime durci de contrôles sur la télévision digitale qui supprime les droits dont bénéficiaient les spectateurs pendant l’ère analogique.

Lorsque je vois ma fille en âge d’aller à l’université, je m’interroge sur le monde des médias qui l’attend. Il est impératif que les jeunes qui ont grandi avec la liberté accordée par le PC, l’Internet et les téléphones mobiles n’acceptent pas d’être remis dans une boite passive.

Dans Darknet : la guerre d’Hollywood contre la génération digitale, le journaliste et avocat du média libre J.D. Lasica nous propose le premier regard compréhensif sur les restrictions posées à nos libertés digitales par les grands pouvoirs des medias. Il offre aussi une vision positive des opportunités qui s’ouvrent aux gens qui utilisent les technologies de demain – si seulement les dirigeants apeurés des entreprises du divertissement et des légistes mal guidés voulaient bien dégager le passage.

Page 9: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Dans des mains moins capables, cet ouvrage aurait pu être un livre sur les excès des lois des copyrights, ou à propos des guerres sur la réglementation publique du piratage et du partage de fichiers. Mais l’auteur tend à un but plus important : une collection accessible d’histoire à propos de gens dont les vies sont au centre de ce combat épique sur le futur de la culture digitale. Vous n’avez pas besoin d’être un accro du clavier, un étudiant en droit, ou un obsédé des règles pour vous tenir au courant des problèmes importants décrits dans ces pages.

Et voila pourquoi tout cela importe tant : les technologies en ligne et en réseau peuvent transférer le centre de la sphère publique d’un petit nombre de puissants propriétaires de média à des populations entières. Dans les années à venir, les média fondés sur Internet exerceront de plus en plus d’influence sur ce que les gens savent et pensent, sur leur façon d’interagir, et sur la façon dont ils étireront les limites de la communication et du divertissement dans de nouvelles directions créatives.

Faites passer le mot – il y a beaucoup de choses en jeu. Maintenant est le bon moment pour agir de façon intelligente pour le bénéfice de notre futur partagé. Nous pouvons créer un monde tellement plus riche que le désert du média de masse actuel. Howard Rheingold Mill Valley, Californie

Page 10: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

L’auteur JD Lasica, journaliste et blogueur américain reconnu, a écrit de nombreux articles pour

des journaux comme le Washington Post, Salon, le Industry Standard... Il est le fondateur du site ourmedia.org qui est au centre du phénomène du journalisme citoyen au niveau mondial. Auparavant, éditeur du principal quotidien de Sacramento, le Sacramento Bee, pendant 11 ans et responsable de l’équipe éditoriale dans trois start-up.

.

Page 11: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Introduction 

Darknet raconte l’histoire de la révolution du média numérique. Le futur des films, de la

musique, de la télévision, des jeux vidéo, et de l’Internet est en première ligne dans cet affrontement entre la force irrésistible de l’innovation technologique et l’immuabilité des dirigeants des médias du spectacle.

J’ai écrit ce livre pour deux raisons : pour raconter l’histoire de ces fortes personnalités et de ces personnages hauts en couleur à l’instant capital de cette bataille mémorable, et pour mettre en lumière la menace posée à la culture numérique. Darknet vous emmènera dans le monde secret, l’underground des films, là où les pirates et les trafiquants encerclent Hollywood et les représentants de la loi. Mais le piratage et le partage de fichiers ne sont que des intrigues secondaires. À la place, ce livre vous fait le portrait du futur. Pour voir où la société se dirige, il faut trouver des gens qui viennent du futur et les étudier, comme l’a conseillé un jour le futuriste Watts Wacker. Vous allez rencontrer beaucoup de gens qui viennent du futur dans ces pages – des gens qui ont choisi très tôt de suivre le style de vie digital, des pionniers de la télévision nouvelle génération, des concepteurs de jeux ayant créé des mondes virtuels, tous combattant la loi ou se confrontant à de grandes puissances afin de maintenir le statu quo.

Darknet passe derrière la scène, pour soulever le rideau sur Hollywood, les techniciens innovateurs, et les provocateurs digitaux qui rôdent dans les coins les plus sombres du cyberespace. Vous rencontrerez un pasteur de Boston qui utilise de façon illégale des extraits de films hollywoodiens dans ses sermons du dimanche ; un agent double qui est payé pour s’engager dans le piratage de films par une grande compagnie des médias ; le vice-président d’une des plus grandes compagnies de création informatique qui pourrait tout à fait avoir enfreint la loi fédérale ; des adolescents qui ont passé sept ans à re-filmer Les Aventuriers de l’Arche Perdue ; le disc-jockey d’un night-club qui utilise des scènes de danse de vieux films de Fred Astaire dans son activité ; l’ancien chanteur des Byrds, Roger McGuinn, qui utilise Internet pour aider à maintenir la musique folk en vie ; et beaucoup d’autres qui traversent ce changeant paysage technologique, éthique, et légal de l’âge digital.

Toutes ces histoires – rapportées ici pour la première fois – parlent de la technologie et du changement de la balance du pouvoir entre les grands médias et les gens de tous les jours. La montée des « médias personnels » est en train de jeter les vieilles lois aux orties.

Nous ne sommes plus des loques, vautrées sur notre canapé, absorbant n’importe quel média de masse dirigé dans notre direction. Nous produisons, publions, réinventons et partageons nos médias personnels. Nous réalisons nos propres films, créons des photos digitales, des animations, des sites spécialisés, des hyperfictions, et des albums de photos en ligne. Nous programmerons nos enregistreurs vidéo personnels de façon à pouvoir regarder les programmes, non pas aux horaires décidés par les chaînes de télé, mais quand nous le désirons.

Page 12: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

1 Disponible sous le titre « Foules Intelligentes » chez MM2 Editions Notes page 289

Page 13: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Chapitre 1:La révolution des médias personnels 

Ayant grandi dans une minuscule ville du sud du Mississippi au début des années 1980,

Chris Strompolos, alors âgé de 10 ans, regardait par sa fenêtre et rêvait. Il fantasmait sur la possibilité qu’une brise d’aventures vienne souffler sur sa ville. Par un après-midi pluvieux de juin 1981, il trouva dans l’obscurité d’un cinéma de quartier le véhicule de sa soif d’aventures. Bouche bée, il regarda Harrison Ford distancer un rocher dégringolant, esquiver un essaim de dards empoisonnés ou bien rester suspendu au-dessus d’une fosse grouillante de serpents dans Les Aventuriers de l’arche perdue. Chris Strompolos fut littéralement soufflé. Ce film captura son imagination comme rien d’autre ne l’avait fait auparavant. Il pensa, je veux faire ça. Et c’est ce qu’il fit. Chris mentionna pour la première fois son étrange idée à un enfant plus âgé que lui, Éric Zala, un élève de terminale de leur école de Gulfport. Chris ne suggéra pas un hommage rapide et facile aux Aventuriers, qu’il pourrait boucler en un week-end dans l’arrière-cour. Oh, non. Il proposa alors de tourner une adaptation, scène par scène, de l’intégralité du film. Il voulait faire tout son possible afin de créer un remake du succès instantané de Spielberg, qui avait été filmé avec un budget de 20 millions de dollars et en avait rapporté 242 millions, rien que dans les salles de cinéma américaines. Chris et Harris acceptèrent le fait qu’ils devraient supprimer quelques parties, au vu de la modestie de leurs économies, mais, oui, bien entendu qu’ils pouvaient le faire ! Éric, un ami dessinateur, commença les esquisses des costumes de chacun des personnages. Très vite, un fan de films de troisième zone, Jayson Lamb, intégra l’équipe. Il était déjà passionné par les effets spéciaux : le maquillage, le marionnettiste, et les éclairages. Il prit en charge le travail des caméras avec une encombrante caméra vidéo Betamax (Sony). Éric créa les story-boards pour chacune des 649 scènes du film, tandis que l’extraverti et rondouillard Chris jouait le rôle principal d’Indiana Jones. La production acquit vite une existence propre. Des mois passèrent, puis des années. À leur anniversaire, les garçons demandaient du matériel et des accessoires ; Chris eut un fouet et Éric un caméscope VHS. Les week-ends ne se passaient plus au parc à jouer au base-ball, ou à la maison à se distraire devant un nouveau jeu vidéo appelé Atari, mais servaient à mémoriser des répliques, à créer des masques en plâtre et à filmer prises sur prises jusqu’à ce qu’ils aient parfaitement exécuté une scène. Ils achevèrent leur projet près de sept ans plus tard. Le résultat, d’après ceux qui ont pu voir cette oeuvre – incluant Harry Knowles, créateur du site Internet de fans de cinéma Ain’t it cool news, et Jim Windolf, auteur de Vanity Fair – est un véritable tour de force cinématographique. Dans cette version adolescente des Aventuriers de l’arche perdue, les acteurs vieillissent et leurs voix deviennent plus graves en quelques minutes. Des poils apparaissent sur le menton de Chris tandis qu’il grandit de près de 20 cm. Il reçoit son premier baiser d’une fille, capturé à l’image dans le film. La fille qui joue Marion, le personnage de Karen Allen, voit sa poitrine apparaître et se développer. Pendant le tournage du film, les enfants sautent à travers des fenêtres, font exploser un camion, cousent près de 40 costumes arabes traditionnels, remplissent une cave de serpents, créent de gigantesques statues égyptiennes, entourent Indy de guerriers blonds et

Page 14: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

à demi-nus armés de lances, déguisent des amis en nazis pré-pubères ou en porteurs himalayens grâce à des barbes postiches, et tuent encore et encore Kurt, le petit frère d’Éric. Dans un des effets spéciaux un acteur se fait tirer dessus et du faux sang suinte d’un préservatif dissimulé sous sa chemise. Les acteurs ont aussi effectué quelques substitutions inspirées : un bateau à moteur remplace l’avion, le chiot de Chris remplace le singe apprivoisé de Marion, la banlieue de Gulfport tient lieu de Caire, et une colline de terre devient le Sahara. Mais ils l’ont fait, cette reconstitution fidèle du film original, et tout y est : le rocher dégringolant sur Indy dans une grotte au Pérou (en réalité, la cave de la mère d’Éric), les vermines grouillantes (des rats et des serpents apprivoisés), le sous-marin de la seconde guerre mondiale, l’exemplaire du magazine Life de 1936, la poursuite palpitante en camion. Et partout, des explosions et des flammes. Plus tard, Jayson expliquera comment ils ont pu créer tous ces effets pyrotechniques : « J’avais 12 ans et je pouvais entrer dans un magasin et acheter de la poudre. » C’était, après tout, le Mississippi. Ils connurent quelques mésaventures, comme lorsqu’ils construisirent un faux rocher dans la chambre de Chris, pour ensuite découvrir qu’il ne passait pas la porte. Ou bien la fois où ils versèrent sur le visage d’Éric dix cm de plâtre industriel pour faire un moule facial, pour se rendre compte par la suite que celui-ci ne se décollait pas. Ils durent se précipiter à l’hôpital pour le retirer, ce qui coûtât à Éric tous ses cils et la moitié de ses sourcils. Ou encore lors de la reconstitution de la scène de l’incendie du bar népalais, où l’intégralité du décor s’embrase. Dans cette scène, Éric jouait un villageois népalais dont les vêtements s’enflamment, mais personne ne réussit à l’éteindre jusqu’à ce que Chris ait le bon réflexe d’agripper l’extincteur. Lorsque le tournage s’acheva, et que le montage fut effectué par un studio professionnel, les familles des garçons mirent en scène une première mondiale à Gulfport, limousine et smoking inclus. Près de deux cents personnes, amis, familles et membres de l’équipe de tournage, étaient là pour regarder les cent minutes du film. Mais bientôt leur petit chef-d’oeuvre sombra dans l’oubli alors que leurs chemins se séparaient vers leurs universités et leurs carrières respectives. Puis, un jour de 2003, il refit surface. A l’université de filmographie de New York où Éric Zala avait étudié, quelqu’un transmit une vidéocassette vieille de plusieurs années au réalisateur de films d’horreur, Eli Roth. Roth ne connaissait pas les garçons, mais il fut stupéfait par ce qu’il vit. Il fournit une copie à un cadre de Dreamworks, où elle se retrouva rapidement dans les mains du maître en personne. Et Steven Spielberg regarda le film et l’adora. Quelques jours plus tard, il écrivit aux trois jeunes auteurs : « Je voulais vous écrire pour vous faire savoir à quel point j’ai été impressionné par votre hommage inspiré et détaillé à notre film Les Aventuriers de l’arche perdue. J’ai pu voir et apprécier la quantité d’énergie et de passion que vous avez investie dans votre film. J’attends le jour où je pourrais voir vos noms sur le grand écran. » Roth fournit aussi une copie de la vidéocassette à Knowles et à Tim League, propriétaire du cinéma Alamo Drafthouse à Austin au Texas, qui furent également impressionnés. Fin mai 2003, League organisa pendant trois jours une « première mondiale » du film : Les Aventuriers de l’arche perdue : l’adaptation, bien qu’il ait pris soin de supprimer le thème musical de John Williams avant la projection, par peur des problèmes de droits d’auteur. La bande-annonce montrant Strompolos esquivant un énorme rocher déclencha un tel intérêt dans les semaines précédant l’événement que des centaines de personnes se virent refuser l’entrée par manque de place.

Les trois réalisateurs étaient venus en avion pour l’occasion; Strompolos, devenu réalisateur de films indépendants ; Zala, travaillant dans l’industrie du jeu vidéo en Floride ; et Lamb, un technicien audiovisuel à Auckland. Les trois hommes, jeunes trentenaires, ne

Page 15: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

s’étaient pas vus depuis des années, et étaient surpris à l’idée que quiconque puisse venir voir leur projet d’enfance. À leur grande stupéfaction la salle était pleine à craquer. Le public regarda Chris Strompolos capter l’esprit d’Indy avec son sourire malicieux et son chapeau froissé. Il contempla, hypnotisé, les enfants réussir à reconstituer les scènes de façon crédible, les unes après les autres. Lorsque l’écran s’assombrit finalement et que les crédits apparurent, le public se leva pour une ovation fracassante pendant près de quatre minutes – presque 20 ans après le tournage de la première scène.

Le jour suivant, Knowles écrivit sur sa page Web : « J’ai le sentiment que ceci est le meilleur film de fan que j’ai jamais vu. L’amour, la passion et le sacrifice se retrouvent dans chacune des scènes de ce film... C’est ce qui me fait apprécier cette oeuvre... C’est l’expression du rêve de ce que les films peuvent faire. C’est ce qui motive les enfants à apprendre pour le refaire plus tard. »1

Windolf approuve dans Vanity Fair : «Nous avons été tellement diverti et pendant si longtemps que nous avons, en un sens, oublié ce que c’était que d’être diverti. Un public lassé par une succession de films à gros budget est tout à fait prêt à accueillir un film d’action fait avec amour au lieu d’argent. »2

Il aurait été superbe de pouvoir faire partager cet amour du cinéma partout et avec tous les publics. Mais seulement quelques centaines de personnes ont pu voir les Aventuriers : l’adaptation. Les enfants sont plus vieux maintenant et au courant des réalités de la loi fédérale. Toute oeuvre présentant des « similarités substantielles » avec un travail original sous droits d’auteur est punissable d’une peine allant jusqu’à un an de prison et d’une amende de 50 000 $ – même si pas un centime n’a été versé pour la projection. Heureusement, ni Spielberg ni Lucasfilm n’ont l’intention de porter plainte, mais aucun des jeunes réalisateurs ne veut prendre de risques. Strompolos ne distribue plus de copies du film à ceux qui veulent le voir. En fait, il a même demandé à ceux qui possédaient des copies de les rendre, par peur que ce remake ne se retrouve sur les réseaux illégaux d’Internet.

Pour plaisanter, Strompolos proposa à Spielberg et Lucasfilm d’inclure leur hommage maison dans le coffret DVD d’Indiana Jones sorti en 2003. Le studio approuva. Lamb acheta alors une vieille caméra Sony Betamax sur Ebay afin que lui et ses amis puissent digitaliser les mètres de bobines de leurs anciennes prises, et début 2004 un producteur hollywoodien acheta les droits afin de raconter leur histoire. En ce qui concerne le visionnage de leur version des Aventuriers à d’autres personnes, Strompolos m’expliqua : « Nous avons des contraintes légales. Nous ne pouvons tirer profit des opportunités que ce soit pour une distribution dans les salles ou un visionnage au domicile parce que la propriété intellectuelle ne nous appartient plus. »3

Par là même, nous avons un aperçu de l’absurdité des lois qui nous permettent d’avoir un documentaire sur l’oeuvre des enfants, mais qui interdit de visionner l’oeuvre elle-même. Si vous voulez voir le travail de nos jeunes héros, vous devrez attendre l’an 2076, lorsque les droits d’auteur de la version originale des Aventuriers auront expirés (à moins que le Congrès ne décide d’étendre encore une fois la durée des droits d’auteur. Les garçons devraient s’approcher de leur 105ème anniversaire d’ici là. Un consultant en divertissement, qui travailla comme conseiller pour la direction de Disney pendant de nombreuses années, me raconta une réunion qui s’était déroulée avec des dirigeants d’un autre grand studio d’Hollywood au début de l’année 2003. Alors que celui-ci cogitait sur l’importance de l’impact qu’aurait la création par les consommateurs de leur propre divertissement, l’étonnement se lisait sur les visages des gens présents autour de la table. Pour finir un des dirigeants demanda :

Page 16: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

«-Mais que faisaient les gens avant la télévision ? -Eh bien, il y avait d’autres médias de masse, comme la radio, répondit le consultant. -Oh, oui, je suppose que les gens écoutaient la radio. - Et, avant ça, les gens lisaient des livres. - Oh, oui, d’accord. -Et, avant ça, les gens se distrayaient les uns les autres. -Mais comment pouvaient-ils faire ça ? » Le directeur du studio semblait sincèrement perdu. Le consultant expliqua que de nombreuses années auparavant, les gens se racontaient des histoires, jouaient de la musique, et chantaient. Sourires de la part des employés du studio. Très pittoresque en effet. « Si je devais parier, continua le consultant, je dirais que la société revient à ses traditions. La génération qui grandit actuellement préférera sûrement regarder les créations de films digitaux des uns et des autres – ce qu’ils peuvent produire eux-mêmes. Ils préféreront expérimenter les mondes qu’ils créent plutôt que ceux qu’Hollywood crée pour eux. »

Tous les employés du studio assis à cette table réfutèrent cette affirmation. « Vous êtes fou », affirma l’un d’entre eux, « personne ne tournerait le dos au divertissement hollywoodien. » À l’intérieur de la bulle hollywoodienne, les affaires se déroulent comme d’habitude. À l’extérieur, dans la rue, des choses beaucoup plus intéressantes sont en train de se passer. Les jeunes apprennent à se servir des outils digitaux et créent des films et de courtes vidéos. D’autres remixent les grands spectacles télévisés ou les films à gros budget dans des DVD de fans. Certains créent de nouvelles formes de musique sur leurs ordinateurs dans leur chambre. Tandis que des millions affûtent leurs techniques de photographie numérique, beaucoup d’autres ont commencé à utiliser les appareils photo intégrés à leurs téléphones portables pour envoyer des images ou des expériences personnelles à un public plus global. Le monde a changé depuis l’époque où Chris Strompolo avait 10 ans. Ce qui prenait sept ans à être produit pourrait maintenant être achevé en un seul été d’exubérance adolescente. Ce qui nécessitait auparavant un équipement encombrant et cher et l’aide de studios professionnels, peut maintenant être accompli avec un ordinateur et un enregistreur de poche. Tandis que les outils deviennent moins chers et plus simples à utiliser, le genre de narration qui habite Les Aventuriers : l’adaptation comme la passion, l’émerveillement, la résolution, se diffuse à travers notre culture. Un travail si personnel nous rappelle qu’il est dans notre nature de raconter des histoires et d’être créatif – des instincts trop souvent réprimés pendant l’époque du média de masse imposé de force dans nos salons.

Cela ne veut pas dire que des gens comme Chris Strompolos et compagnie, ou que d’autres petites sphères de créativité peuvent inquiéter de grandes sociétés telles que Paramount, Disney ou la MGM. Les industries des studios cinématographiques, les labels musicaux, les réseaux de télévision, les éditeurs de livres, et les créateurs de jeux vidéo ne seront pas minés par des adolescents filmant leurs exploits sur des caméras numériques, des auteurs de journaux sur Internet, ou des musiciens répétant dans le garage armés d’Apple Powerbook. Ne faites pas erreur : les médias personnels vont compléter, et non pas supplanter, le vieil ordre du média et de la culture de masse. La plupart d’entre nous continueront à regarder des divertissements créés par des professionnels qui travaillent dans les grandes sociétés de médias. Le divertissement de grande qualité prend du temps, de l’argent, du talent et des efforts pour être créé.

Mais ce n’est plus suffisant. De nombreux individus ont commencé à dépasser le média de masse pour créer ou expérimenter des musiques digitales, des journaux intimes filmés, des blogs, des sites Internet accrocheurs – en fait, des médias personnels. Parfois ce travail personnel sera une création entièrement originale, empruntant des techniques et des idées

Page 17: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

peut-être, mais ni musique, ni vidéo, ni photo créées par d’autres. A d’autres moments, ces créations seront des collages ou des hybrides, empruntant des fragments du média de masse traditionnel mélangés à du matériel fourni par l’utilisateur ou bien remixés d’une façon intéressante et transformés en quelque chose de tout à fait neuf.

« Les gens ne sont plus satisfaits par les médias qui ne peuvent être que consultés, sous quelque forme qu’ils aient été distribués par l’industrie du divertissement, écrit Greg Beato dans son blog musical Soundbitten. La véritable interactivité n’est pas juste la possibilité de trois fins alternatives sur un film en DVD; c’est de pouvoir permettre à l’utilisateur de faire ce qu’il veut avec. Ce qui veut dire, entre autres, le copier à volonté, l’utiliser, modifier son contenu, le combiner à d’autres médias, et faire tout ce qui peut être fait pour annuler plusieurs centaines d’années de loi sur les droits d’auteur. »4

Quelque chose de nouveau est en train d’arriver. Tandis que les professionnels font leur travail, les amateurs5 expérimentent de nouvelles façons de s’informer, de se divertir et de communiquer entre eux. Appelez ça du média personnel, du média ouvert, du média maison ou bien du média amateur – cela revient à la même chose : des gens qui piochent dans la culture générale de façon créative. « Aujourd’hui, moins de 5 % de la population a les moyens de créer. Les autres regardent, écoutent, lisent, consomment, dit Marc Canter, un pionnier du multimédia cofondateur du géant du software Macromedia. Les nouvelles technologies promettent de changer ça, permettant au reste de la population d’exprimer sa créativité. Créer son film amateur, faire de la photographie digitale, écrire dans des journaux en ligne sur des sujets que l’on connaît bien – tout cela représente des formes de créativité. Et tout cela se développe.»6

Pourquoi maintenant ? La technologie en est une des raisons. Les ordinateurs personnels sont maintenant si puissants et si présents dans notre environnement (deux maisons sur trois aux États-Unis) et les programmes informatiques de niveau professionnel se sont répandus si facilement que la plupart des gens ont maintenant les outils de la créativité digitale à portée de la main. La communication est une autre de ces raisons. Les moteurs de recherche et les forums permettent des collaborations et des échanges d’idées qui n’étaient accessibles qu’aux professionnels ou aux personnes suivants des formations coûteuses.

Mais la raison plus profonde de ce développement des créations personnelles peut être autre : un besoin d’authenticité, peut-être une mémoire jungienne partagée du temps où les histoires avaient du pouvoir et où l’expression créative n’était pas réservée à une classe privilégiée. « Si vous revenez en arrière d’une centaine d’années, la plupart des médias étaient des médias personnels, observe Henri Jenkins du MIT, le besoin de créer des histoires, d’écrire des chansons, de peindre des tableaux est dicté par notre culture. Il y a une courte période dans l’histoire humaine où la culture de masse a chassé le reste. D’une façon ou d’une autre, nous avons été convaincus que seulement quelques personnes très particulières avaient des talents ou des visions qui méritaient d’être suivies. Mais cette époque arrive à son terme, et maintenant la culture de masse et la culture démocratique doivent apprendre à vivre ensemble. Et cela terrifie les grandes sociétés des médias qui continuent à résister à la participation du public à la culture et au processus créatif de façon plus directe. »

Un simple regard sur la différence fondamentale entre les deux styles de médias augure des conflits à venir et permet de comprendre pourquoi les principales sociétés médiatiques n’ont pas encore compris qu’elles se trouvaient sur des sables mouvants.

Les vieux médias, nés pendant l’âge industriel, s’appuient sur l’économie d’une production de masse et de la rareté de l’atome. La communication audiovisuelle envoyait des

Page 18: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

programmes en sens unique, à un public de consommateurs ne requérant que des contenus formatés, convenant à tous. Les membres du public participaient rarement au processus médiatique. Certains écrivaient des lettres aux éditeurs. D’autres pouvaient appeler une chaîne de télévision si leurs programmes favoris étaient éjectés de la chaîne. Mais que Dieu vienne en aide au renégat qui veut extraire du matériel d’une chanson, d’un film, d’une mission intelligente, d’un magazine, ou d’un livre pour l’utiliser dans ses créations personnelles. Le jeu des avocats, des droits d’auteur, des trappes et des embûches permet de s’assurer qu’un tel joueur ne franchisse que rarement la ligne d’arrivée.

On ajoute à cette équation l’effet perturbateur des médias personnels dans l’âge de l’information numérique. Tandis que le monde de l’analogique a pendant longtemps présenté un paysage stable de médias de masse, d’objets fixes, et d’atomes prévisibles, aujourd’hui nous nageons dans une mer digitale turbulente et agitée, aux informations quasi illimitées. Les outils digitaux permettent maintenant aux gens de créer du matériel de haute qualité sur Internet, d’en faire autant de copies qu’ils le désirent, et de les partager avec le monde entier. Des centaines de millions d’entre nous considèrent Internet comme une source de média alternative, pas seulement parce que les renseignements sont meilleurs (bien qu’ils puissent l’être), mais parce que nous sommes attirés par ce moyen de communication qui permet aux gens comme nous de participer aux conversations. Dans ce nouvel espace, un espace d’échange, nous pouvons choisir bien plus que des centaines de chaînes de télévisions différentes, mais plutôt des millions de sujets. L’interactivité et la personnalisation sont la monnaie de ce nouveau royaume. Dans la vieille formule, la consommation de masse vous maintenait à l’extérieur. Aujourd’hui, comme le reformule Shigeru Miyagawa, du MIT : « Dans les médias personnels, vous êtes toujours à l’intérieur du média, par nature capable de contrôler le point de vue. »7 Les vieux médias demandaient une adhérence stricte à un code de lois rigides et obscures. Par contraste, les règles et les codes entourant la re-création et le partage artistique sont encore très mouvants et flexibles.

La différence entre les médias personnels et les médias traditionnels est encore plus profonde. Ce ne sont pas des univers parallèles mais des mondes qui s’entrecroisent et coexistent dans le même espace. Presque invariablement, le média personnel emprunte à la culture populaire. La culture de masse fournit les briques et le mortier de nos créations. Dans l’émergence de la culture du digital, ce que nous créons avec notre propre matériel et ce que nous empruntons à d’autres, peuvent parfois se confondre. Tandis que les médias deviennent de plus en plus digitaux, de tels mélanges deviennent la règle plutôt que l’exception. Prenons cette scène dans un night-club. Un samedi soir dans les bas quartiers de Manhattan, un jeune vidéo jockey brun, sec et nerveux, habillé d’un pantalon ample et d’un T-shirt à la mode, contemple la piste de danse du Roxy Club. Une foule mélangée d’adolescents, toutes origines ethniques confondues, s’agite en rythme sur du drum’n’bass tandis que ceux âgés de plus de 21 ans s’agglutinent autour du bar pour acheter des boissons hors de prix. Alors qu’un jeune asiatique avec des dreads et une jeune femme vêtue d’un corsage de paysanne, de pantalons de la marque Lithium et d’un bonnet Kangol se pavanent près de la scène surélevée, le VJ s’allume une cigarette et déclenche un assaut de rythmes graves sur le système sonore Phazon. Soudain, une vague d’images déferle sur deux écrans de projection suspendus au-dessus de la foule vibrante. Pendant les trois heures qui suivent, un projecteur LCD fait ruisseler une cascade d’images rétros de notre culture. Des danseurs de breaks d’un film des années 70 emplissent l’écran. Sean Connery partage son ADN avec une jeune James Bond girl, Fred Astaire se lance dans une chorégraphie, accélérant et ralentissant le long des escaliers en rythme avec la musique

Page 19: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

syncopée. Le montage est fascinant. À la fois attirant et absurde, il arrive à capturer le thème, le rythme et le cœur de cette scène. Des mains s’élèvent vers le ciel, des danseurs se tortillent sur la piste, et au-dessus de tout ça, un VJ maigrelet nommé Bruno Lévy tient audience, crée une soirée digitale à partir de morceaux disparates de sons et de scènes tout en communiquant avec les participants d’une façon imperceptible qui élève l’expérience à un niveau quasi mystique. Des dessins à la craie, des personnages de dessins-animés japonais, des clips, de vieilles émissions de télévision, d’obscurs films, et l’image récurrente de Fred Astaire comme bégayant sur ses pas de danse en rythme avec la musique– les images coulent ensemble dans un montage visuel libre, sans forme, onirique. Plus tard, j’ai interrogé Levy sur l’usage non autorisé de ces images hollywoodiennes. « Oh, ce que nous faisons est complètement illégal, répond-il franchement. Mais c’est la même chose pour le sampling de musiques, et c’est l’essence même de la scène dans les boîtes de nuit. »8

Levy se rend souvent chez un loueur de vidéocassettes et revient avec deux ou trois douzaines de vidéo, qu’il utilise pour tisser un montage visuel et culturel. « Nous vivons dans un monde où nous coupons, échantillonnons et collons, dit-il. Avec la génération aujourd’hui, vous testez des idées, vous copiez et empruntez des rythmes, des sons et des images, vous les hachez pour en faire quelque chose de neuf que vous resservez au public. La technologie a rendu cela si simple maintenant. Les mouvements créatifs dans l’art, la musique, et la culture ne marchent que lorsque chacun copie sur l’autre. »

Emprunter d’oeuvres précédentes a toujours été une part honorée et respectée de la tradition créative. Chaque peintre apprend en copiant les maîtres. Chaque musicien acquiert son propre style et sa propre voix en commençant par copier ceux qui sont venus avant lui. Les réalisateurs débutants imitent les oeuvres de Spielberg, Kubrick, Kurosawa, ou Cassavetes. Les fans célèbrent la culture pop en se l’appropriant : les jeunes adultes publient des fanzines de comics qui empruntent des images sous droit d’auteur ; sur les sites Internet de fans de séries télés, sont écrits des épisodes qui ajoutent de nouveaux traits de caractère aux personnages pour plus de cinq-cents séries différentes ; des vidéastes amateurs ont créé plus de quatre cents versions maison de La Guerre des étoiles et les ont fait circuler sur Internet. Chaque nuit, des DJs de boîte de nuit et des MCs amalgament numériquement des versions maison des hits du Top 50 de façon remarquable et innovante.

« En utilisant cette mer omniprésente de symboles, d’images, de sons et de textes comme source matérielle, des millions de gens se réclament ainsi de leur héritage culturel, peut-on lire dans le National Post. Qu’on appelle ça postmoderne, qu’on appelle ça les ressource ouvertes, qu’on appelle ça du rip/mix/burn, le résultat est une culture transformée. »9 Si Bruno Levy et ses collages audiovisuels dans les boîtes de nuit sont à la pointe des changements culturels dans nos attitudes vis-à-vis du média personnel, l’Amérique moyenne n’est pas en reste. Dans le monde analogique, lorsque nous ramenons chez nous un album vinyle et que nous faisons courir nos doigts sur ses crêtes, ou bien que nous feuilletons un livre, de telles expériences tactiles nous suggèrent que nous possédons cet enregistrement ou ce livre. Et d’une façon très réelle, nous les possédons : nous pouvons corner le livre, revendre l’album, les offrir à des amis, ou les donner à une bibliothèque. Aujourd’hui, alors que les médias digitaux parcourent nos maisons, nous voulons maintenir cette relation tangible. Lorsqu’un article de média général entre dans notre domaine, nous nous l’approprions. Les chansons sur nos iPod, les émissions de télé que nous enregistrons, les clips vidéo que nous pouvons visionner sur nos nouveaux lecteurs portables, les films que nous regardons dans nos collections de DVD – nous croyons que ces tranches digitales de médias nous appartiennent aussi de façon très réelle.

À partir de là, il n’y a qu’une courte distance à parcourir pour ceux qui veulent remixer les

Page 20: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

chansons qu’ils ont enregistrées et téléchargées. Beaucoup d’entre nous voudront échanger des clips musicaux sur nos lecteurs portables. Nous voudrons ajouter « nos» fragments d’enregistrement de Brad Pitt ou de Cameron Diaz au DVD d’anniversaire que nous créons pour un ami. Certains d’entre nous pourront vouloir envoyer un clip d’informations ou la recette tirée d’une émission de télévision à travers la ville à un membre de sa famille – ou à travers le monde – à un ami.

En bref, les changements dans la technologie accélèrent les changements dans les normes culturelles. Les experts Sheldon Brown et Henri Jenkins comptent parmi ceux qui affirment que la société est en train de vivre une remarquable transformation dans son approche des médias. Il suggère que les jeunes, en particulier, adoptent un tout nouveau système d’attente vis-à-vis de notre interaction avec les médias. Le professeur Brown, directeur du centre de recherche informatique et artistique à l’université de Californie, à San Diego, explique le début de la guerre culturelle entre les médias numériques et classiques par le résultat d’une transition épique dans le jeu des règles sociétales. « Nous sommes au milieu de ce débat aujourd’hui car une culture meurt et cède sa place à une autre, créant un nouvel espace. » Il a pu observer ce changement d’attitude pendant ses cours, au fil des années. Les élèves diplômés à qui il enseigne, les trentenaires, saluent la génération Atari. Ils ont grandi avec des jeux vidéo basse résolution et la télévision câblée, et viennent d’un monde où la technologie était spécifique à une tâche. Pour cette foule, les médias sont indépendants les uns des autres. La télévision, le téléphone, la vidéo, les ordinateurs personnels étaient considérés de domaines séparés. Brown décrit en revanche ses plus jeunes étudiants, non encore diplômés, de cette façon : « Ils sont plus à l’aise avec l’idée de la technologie bousculant tous ces domaines et ces codes culturels, sociaux et technologiques. Cette idée les excite et ils s’immergent dans l’expérimentation avec de nouvelles façons de communiquer, de s’entendre, et de partager les informations –envoyant des messages textes à leurs amis, se fixant des rendez-vous. Mais ils pensent toujours à ces différents domaines existants. »10

Lorsqu’on s’intéresse aux étudiants des classes primaires et maternelles, la situation change : « C’est pour eux une surprise totale de découvrir qu’il y a une différence entre les ordinateurs et la télévision, que des règles différentes contrôlent ces médias. Vous devez presque leur expliquer pourquoi ils ne peuvent regarder la troisième chaîne sur Internet ou bien utiliser Google pour connaître le programme du soir. Ces limitations et séparations n’ont pas de sens pour eux. Les plus jeunes sont aussi ceux qui se déplacent le plus librement entre ces différents espaces médiatiques. » Tandis que la génération numérique grandit, les plus jeunes ne sont plus satisfaits par les formes traditionnelles de narration linéaire. Ils s’attendent à ce que le divertissement, tel qu’on le connaît, puisse être altéré. « Parfois je me dis que dans 30 ans, nous trouverons comique de se souvenir de ces distinctions précises dans les différentes formes de médias, de voir que des films, des jeux vidéo et la télévision étaient des entités séparées, dit Brown. Il est plus que probable que nos expériences médiatiques soient simultanément multidimensionnelles. Ce sera plus du genre : est-ce que vous vous engagez là-dedans avec quatre personnes ou plus ? Est-ce que vous vous regardez sur votre téléphone mobile ou dans une pièce à 200 m de hauteur ? Chaque oeuvre sera créée avec ses multiplicités dimensionnelles intégrées. »

Le professeur Brown voit les modifications de nos attentes vis-à-vis des médias non seulement chez ses étudiants, mais aussi dans le cadre de sa propre famille. Il se souvient que lorsque sa fille avait quatre ans, son premier contact avec un média se fit avec une souris d’ordinateur et des livres éducatifs interactifs, et non pas avec une télécommande de

Page 21: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

télévision. « Elle trouva que la télécommande était un objet extrêmement frustrant, parce qu’elle était reliée à un dispositif qui ne permettait pas aux spectateurs d’être au centre de l’action. » L’histoire était intéressante et les images étaient belles, mais où était sa place ? La seule option disponible était de regarder autre chose ou de l’éteindre.

« La télévision ne demande jamais, que voulez-vous voir maintenant ? Elle vous jette des informations et des programmes à la figure et c’est à vous de comprendre comment esquiver la publicité et passer au crible les programmes. Par contraste, les interfaces d’ordinateurs modernes ont été conçues autour de l’idée que c’est vous qui leur dites quoi faire ensuite. Les jeunes enfants veulent et attendent des choses qui leur répondent et interagissent avec eux. C’est pour cela que les jeux sur ordinateur exercent un attrait aussi puissant. Les enfants deviennent des participants actifs à l’expérience du média. »

À travers le continent, vous pouvez presque voir Henry Jenkins approuver d’un hochement de tête. Directeur du programme d’études comparatives des médias au MIT et auteur de neuf livres sur la culture populaire, M. Jenkins explique que, dès le plus jeune âge, les enfants réinventent les personnages et les lieux des films et de la télévision. Ils jouent à des jeux vidéo qui permettent de contrôler un personnage sans limites ni contraintes. Les jeux les plus récents permettent un éventail encore plus grand d’interactivités et de comportements. Lorsqu’ils sont en ligne, ils peuvent partager leurs histoires, et des enfants de sept ans contribuent à des sites de fans en envoyant des histoires simples mais intéressantes sur Harry Potter ou les Pokémons. Jenkins appelle les Pokémons « la première forme de narration pour un monde de médias convergents, » saupoudrant des éléments de son univers à travers tout le spectre des médias. L’histoire peut vous arriver de nombreuses directions différentes : en tant que série télévisée, jeux vidéo, livres, films, et cartes à jouer. Des divertissements tels que les Pokémons ou Matrix apprennent à de jeunes fans à traquer et à réunir leurs propres expériences, les laissant creuser jusqu’au niveau d’engagement qu’ils désirent.11

Lorsque les plus jeunes grandissent un peu, ils peuvent étendre l’horizon de leurs médias avec un appareil photo ou un caméscope. « Lorsque j’étais jeune, j’avais une caméra super 8, mais si je voulais montrer les films que j’avais faits, il me fallait mettre un panneau sur la pelouse devant la maison pour que quelques voisins aient pitié de moi et viennent le regarder dans la cave, explique Jenkins. Aujourd’hui, je parle à des lycéens qui possèdent une caméra digitale et qui ont créé leur propre site Internet pour diffuser leur films. Leur travail est vu à travers le monde entier, et parfois même, ils sont invités à concourir dans des festivals cinématographiques. »

Jenkins cite son fils, maintenant âgé de 21 ans, comme exemple d’un enfant de cette culture globale et participative. À l’âge de cinq ans, le jeune Henri commença à raconter des histoires, que la famille tapait ensuite sur ordinateur, et il dessinait des images pour illustrer chacune de ces histoires. Pendant les cinq années suivantes, la famille imprima ces petits récits et les envoya à ses grands-parents pendant les vacances. La plupart des histoires avaient pour sujet des personnages de la culture populaire. « Ces histoires avaient deux effets, le premier de l’encourager à voir les médias comme quelque chose qui pouvait être réécrit à sa guise, et l’autre nous permettait de voir comment il intégrait les médias qu’il consommait, nous permettant de connaître ses peurs et ses valeurs. »

La plupart des parents ont connu une expérience similaire. Mon fils de cinq ans réalise déjà ses films maison (je suis son opérateur caméra) mettant en scène des combats titanesques entre ses héros et des méchants. Bobby est un fan des LEGO, le jouet modifiable original, mais ses icônes sont extraites des médias de masse : les Powers Rangers, les Transformers, Scooby Doo, et ainsi de suite. La génération précédente

Page 22: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

d’enfants faisait la même chose avec Superman, le Bouffon Vert, l’Aventurier Solitaire et les autres. « Au début de l’histoire humaine, les gens s’asseyaient autour des feux de camp et se racontaient des histoires à propos des grands guerriers et des grands héros de leur culture, explique Jenkins. Maintenant, nous empruntons à la télévision, aux films, aux bandes dessinées et aux jeux vidéo. Que ce soient les stars de la musique ou les personnages des médias de masse, ce sont les choses que nous avons tous en commun, quelles que soient notre réalité locale ou notre origine. » A mesure que les strates les plus jeunes de la population acquièrent des outils de plus en plus sophistiqués, elles se mettent à utiliser ces repères, ces balises de notre culture dans leurs propres créations – par exemple, en utilisant l’image ou la vidéo d’une star pour la modifier avec des effets spéciaux sur ordinateur et ensuite la partager avec leurs amis. Les médias, après tout, existent pour être réécrits et recréés. Parce que ces nouvelles formes de médias personnels incluent souvent des figures de la culture populaire auxquelles nous pouvons tous nous relier, et parce que les individus ont maintenant la capacité et le pouvoir de distribuer des médias à une audience et à un public plus large, nous avons là la recette idéale pour un conflit avec les sociétés des médias.

Les plus jeunes sortent troublés de ce conflit. « On les encourage à porter des logos de grandes sociétés et de marques célèbres, à les exhiber sur leur sac à dos et leur vestiaire, mais à la minute même où ils mettent ce logo sur leurs sites Internet, ils reçoivent l’ordre de le supprimer. Les sociétés médiatiques envoient des signaux plus que confus. »

Tandis que de plus en plus d’entre nous créent des médias plutôt que de simplement les consommer, se détournant ainsi du média de masse à sens unique pour s’immerger dans des médias plus ouverts tels que l’Internet et les mondes virtuels des jeux vidéo, les grandes sociétés médiatiques et leurs alliés ne peuvent répondre que d’une façon ou d’une autre : résister et mettre des barrières sur cette voie, ou se plier au vent du changement et embrasser cette culture de la participation. Ainsi, prenons l’exemple d’Hollywood qui n’est pas connu pour son accueil chaleureux du changement. Les aventuriers de l’arche perdue : l’adaptation en est un bon exemple : même si cette anecdote bénéficie d’une fin relativement heureuse, puisque personne n’a été poursuivi en justice, le film est maintenant interdit au public.

Mais ce qui est plus étonnant à propos de la lettre de félicitations de Spielberg à ces réalisateurs amateurs, c’est la rareté d’un tel comportement de la part des références d’Hollywood. Les menaces et la confrontation sont maintenant devenues monnaie courante dans la bagarre qui oppose l’industrie du divertissement et ceux qui utilisent leurs médias de façon non légale. Et l’industrie ne se dresse pas uniquement contre les pirates d’Internet, mais aussi contre les innovations techniques en général, les propriétaires de petites entreprises, les maisons de disques indépendantes, les artistes, et au final tout le reste de la population. Les jeunes en particulier voient la propriété intellectuelle sous un jour différent de leurs aînés. Pour beaucoup d’entre eux, il est normal de voir la propriété et la création comme une expérience partagée et vécue en collaboration. L’emprunt et le remixage des oeuvres sont pour eux une chose naturelle, et si Bruno Levy n’a pas pris la peine de demander aux studios la permission d’utiliser leurs films dans ses collages, c’est parce que ceux-ci auraient sûrement refusé. (Si vous avez des doutes quelconques à ce sujet, je vous conseille de consulter le chapitre quatre.) Les étudiants d’aujourd’hui perçoivent les médias personnels et le partage de fichiers comme

Page 23: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

un élément banal faisant partie de la vie quotidienne.

Brown explique : « Il est important de comprendre que c’est pour eux une articulation de leur courant culturel. Les étudiants d’aujourd’hui sont bombardés de centaines de courants d’information, leurs produits culturels commencent donc à refléter ce fait. Il y a tant d’autres choses qui attirent leur attention, qui la parasitent, de leurs salles de classe équipées du numérique, à leur dortoir connecté au Wifi, en passant par leur téléphone portable couleur et leur PDA constamment connecté. Du coup ils s’entraînent à maîtriser et à contrôler ce domaine médiatique, ce que ne faisait pas la génération précédente. Pour eux, les médias sont un matériau de base leur permettant de créer leur propre forme de culture. Au lieu de se focaliser sur l’album de chansons en tant qu’objet, comme le faisait ma génération, il semble que tout ce qui est de l’ordre de l’objet physique leur déplaise. Leur attitude à propos de la propriété est totalement modifiée et changée par Internet. Leur principale source de divertissement et de distraction se centre sur le collage et le mélange de musiques, et la modification du but originel des médias. » Les grandes sociétés médiatiques ont besoin de commencer à s’occuper de cette « culture du mélange, affirme Brown. La solution n’est pas de jeter des étudiants en prison pour avoir créé des sites en ligne d’échange musical, mais de concevoir des formes de médias qui ont cette hybridation intégrée en eux, de façon à ce que les jeunes puissent utiliser ces éléments dans leurs propres espaces de média personnel. » Nous devrions commencer à réfléchir à une façon de créer des espaces narratifs en ligne possédant des « crochets d’interaction » qui nous permettraient d’intégrer des éléments tels que Matrix, les Simpsons, ou Jane Austen, suggère-t-il. Au lieu d’acheter un DVD du film Matrix, nous pourrions, par exemple, acheter un programme qui créerait le personnage de Morpheus afin qu’il soit utilisé dans un autre média. Mais cela signifierait que les grandes sociétés médiatiques devraient abandonner une partie du contrôle sur leurs créations– un geste qu’ils rechignent à faire.

Jenkins explique que les grandes sociétés médiatiques ne sont pas prêtes à ces notions d’emprunt et d’appropriation inhérentes à la culture participative. « Des gens créent leur propre version des divertissements et des spectacles populaires, explique t-il, avec ou sans les sanctions des producteurs médiatiques. La question est donc maintenant, que va devenir la relation entre ces deux espaces ? Sera-t-elle de nature antagoniste, avec des interdictions légales de ce genre d’activité ? La capacité à manipuler le contenu sera-t-elle limitée par des mesures technologiques ? Ou alors verra-t-on le début d’une plus grande collaboration entre les producteurs professionnels et les amateurs de médias ? »

La charge du changement n’échoue pas entièrement aux grandes sociétés médiatiques. Les individus aussi ont leur part de responsabilités dans l’établissement de limites des formes acceptables des comportements sur le web. L’Internet n’a pas déclenché un nouveau système moral, mais le fait est que tous ces outils digitaux nous permettront de plus en plus de nous éloigner des limites légales. . Dans le même temps, les principaux courants médiatiques comprennent rarement la culture du partage, la confondant avec le plagiat et le vol. Ils ne savent que faire de ces jeunes qui mélangent et assemblent les idées et les images qu’ils trouvent dans la culture quotidienne. Pendant ce temps, la génération digitale considère, elle, que de tels actes d’emprunt, de transformation et de partage sont une affirmation de soi et une interaction proche de la création artistique. La population s’approprie le média de masse de façons variées, comme le note Jenkins, et il est important de souligner certaines différences. Ce dernier pense que la loi devrait être

Page 24: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

modifiée afin de faire une distinction légale entre l’appropriation par des amateurs et l’appropriation dans le but de faire du profit. L’emprunt et la recréation artistique des fans, ainsi que certains types d’échantillonnage musical, seraient alors permis. Une telle loi permettrait aussi la création d’une réserve géante de musique et d’extraits d’autres médias qui pourraient être consultés et empruntés à volonté. Mais elle interdirait la distribution de produits entiers n’ayant pas été altérés ou remixés par le public, comme le trafic de fichiers sur les réseaux illégaux d’Internet. « Je pense que les gens qui se soucient de droit du public à la participation à la culture médiatique devraient aussi s’exprimer contre les formes de distribution médiatique qui s’apparentent à du piratage pur et simple. » Mais il est évident pour Jenkins et d’autres, qu’à ce jour les grandes sociétés du divertissement et du spectacle ne font qu’aggraver leur cas lorsqu’ils marquent toute utilisation non autorisée de leurs œuvres comme un acte de piratage.

Tandis que de plus en plus de personnes s’engagent dans les médias personnels, les obstacles se font de plus en plus présents. Les sociétés du divertissement et leurs alliés au Capitole et dans les secteurs de la technologie semblent déterminés à nous contrôler, essayant de ré-imposer l’ancien système du média à sens unique et de la culture de consommation. Mais la culture participative ne peut pas revenir en arrière. Les gens sont de moins en moins tolérant vis-à-vis des médias à sens unique. Ils s’attendent à pouvoir interagir avec les images, les chansons et les jeux, à pouvoir les manipuler, et parfois même, à pouvoir les partager avec d’autres.

Certains individus ont même suggéré que nous avions atteint la fin de l’ère de la consommation. Dans un texte présenté sur son site intitulé « Repose en paix, consommateur, 1900 – 1999», le nouveau et influent théoricien des médias, Clay Shirki, écrit à propos des consommateurs, « Le média est quelque chose qu’on leur fait subir. » L’Internet a changé l’équation médiatique, remplaçant le consumérisme par le pouvoir des connexions partagées. « À l’âge de l’Internet, plus personne n’est un consommateur passif puisque chacun est devenu un exutoire médiatique... Il y a plus de consommateurs, parce que dans un monde où une adresse e-mail est un canal médiatique, nous sommes tous des producteurs maintenant. » 12

Est-ce que ces nouvelles règles qui sont en train d’être formulées par l’industrie et par le gouvernement nous permettrons de nous élever au statut de partenaires et de collaborateurs ? Ou bien tenteront-ils de nous enfermer dans des camisoles technologiques sévèrement contrôlées, nous enfermant dans des bidonvilles virtuels tandis que leurs tuyaux continueront à déverser des médias à sens unique ? Jusqu’à présent, les preuves ne sont pas encourageantes.

Page 25: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Chapitre 2: Et maintenant : Hollywood contre les combattants de la liberté numérique ! 

Les juristes, hommes d’affaires, et ingénieurs de trois industries s’assirent autour de la

table d’une petite salle de réunion de l’hôtel Hilton de l’aéroport de Burbank. Ce forum industriel, qui serait bientôt connu comme l’association du contrôle des copies de DVD (CCA), fut créé par une poignée de personnes qui parlaient pour les studios d’Hollywood, les industries de la haute technologie, et l’industrie des consommables électroniques.

Quelques mois auparavant, à l’aube de l’ère du DVD en 1996, ces trois groupes s’étaient disputés, avant de finalement tomber d’accord pour autoriser les films hollywoodiens à être lisibles sur des ordinateurs personnels en plus des lecteurs de DVD. Maintenant, tout ce que les studios désiraient était de mettre en place le nouveau système de « codage par zone » autour du globe. Tout comme les grandes puissances alliées avaient découpé l’Europe et le Moyen-Orient comme des prises de guerre, les magnats d’Hollywood avaient découpé le monde en six grandes zones. Pour permettre de préserver le système qui contrôlait les dates de sortie des films dans les marchés étrangers, les studios considèrent nécessaire de configurer les lecteurs de DVD de façon à ce qu’un DVD vendu aux États-Unis (zone 1) ne puisse être lu en Angleterre (zone 2), au Brésil (zone 4) ou en Inde (zone 5).

Mais, l’industrie d’Hollywood était toujours insatisfaite, craignant que le codage par zones puisse être contourné. Un petit nombre de cinéphiles à Paris, Londres, et Rome avait commencé à acheter ces nouveaux lecteurs de DVD dernier cri et à changer le réglage vers la zone 1. De cette façon, ils pouvaient acheter et visionner un DVD américain, bien avant que la version étrangère du même DVD n’arrive sur leur marché. Les ordinateurs de bureau ou portables étaient un autre problème. Des cinéphiles pouvaient récupérer un DVD hollywoodien, lors d’un voyage à New York, et le regarder – parfois même avant que le film n’arrive dans les salles dans leur propre pays – simplement en changeant le codage de région. Que faire ? Comment empêcher ces gens de contourner la loi ? Le délégué des bureaux d’Universal Studios se pencha sur la question. Il émit une idée simple : placer une puce reliée à un satellite GPS dans chaque lecteur DVD et ordinateur vendu avec un lecteur de DVD. Hollywood serait alors en mesure de traquer la localisation de chaque personne qui utilisait un lecteur de DVD et de contrôler son adhérence aux lois depuis le ciel. 1

James M. Burger, un juriste de Washington qui représentait les industries technologiques, raconte la réaction des employés des industries informatiques électroniques à l’idée d’implanter un système à la James Bond dans les machines de millions d’utilisateurs.

« Nous nous regardâmes les uns les autres, légèrement ébahis, me dit-il. -À cause des problèmes de respect de la vie privée ? lui demandais-je. -Oh, non ! À cause des coûts supplémentaires. Est-ce que vous avez une idée de ce que coûtaient les puces GPS à cette époque ? »2 Finalement, cette proposition fut rejetée et un système moins intrusif, et surtout moins cher, fut adopté : un utilisateur ne pouvait changer les codes de zone sur son ordinateur portable qu’un certain nombre de fois avant que celui-ci ne se bloque sur une zone de façon

Page 26: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

permanente. (Les membres de l’association du contrôle des copies de DVD ricanent maintenant en repensant à cette première idée, expliquant que beaucoup d’idées farfelues furent émises durant ces réunions.) Depuis longtemps, Hollywood a une tendance au théâtral et à l’impérial. Burger parle d’une audition publique qui s’était tenu à Washington et qui illustre parfaitement l’écart culturel entre Hollywood et la haute technologie.

« Un dirigeant de studio se leva et dit : “les gens payent pour avoir le privilège de voir nos films.” Pouvez-vous imaginer un dirigeant informatique dire : “les gens payent pour avoir le privilège d’utiliser nos machines.?” Il se serait fait massacrer. Il y a parfois une attitude très impériale à Hollywood. » Le plus frappant de ces écarts culturels est sûrement les différentes attitudes des industries vis-à-vis du changement. « Nous adorons les technologies perturbatrices », explique le vice-président d’Intel, Donald S Whiteside. « La seule constante dans Silicon Valley c’est le changement, ajoute Joe Kraus, cofondateur du moteur de recherche Excite. Hollywood a toujours eu une tendance à voir le changement comme une chose indésirable, et donc ils font tout ce qu’ils peuvent pour l’éviter. »

Ces dernières années, la presse a réduit le conflit entre Hollywood et Silicon Valley à un conflit à propos du piratage sur Internet. Mais le piratage n’est pas la question principale. Les studios sont majoritairement intéressés par la protection de leur étincelant nouvel empire du DVD. Deux technologies protègent ce modèle hollywoodien : l’encryptage (ou le contrôle des copies), qui empêche le copiage; et le codage par zone, qui permet un processus ordonné de sortie mondiale des films. Tandis que le contrôle des copies est valable pour lutter contre le piratage, l’encodage par zone ne fait rien pour empêcher les gens de redistribuer les films sur Internet. Au lieu de ça, le codage par zones permet à Hollywood de contrôler la distribution des films, du cinéma au domicile, au pay-per-view, à la vidéo à la demande, à la télévision par câble, ou au réseau télévisuel de chaque pays.3 Beaucoup d’Européens n’apprécient pas d’avoir à attendre de nombreux mois après qu’un film hollywoodien soit sorti en DVD aux États-Unis avant de le voir chez eux.4 Un programmeur français âgé d’une trentaine d’années habitant en Irlande, et qui se fait connaître par le nom technique de >NIL, dirige le groupe Pioneer Region Free DVD, qui permet d’aider ceux qui veulent contourner les encodages par zone sur leurs lecteurs de DVD (vous trouverez des centaines de sites semblables à celui-ci sur Google et des centaines de lecteurs de DVD dézonés à vendre sur eBay.) « Etant français, cela ne me gênerait pas de voir une révolution faire s’écrouler tout ce système monolithique », m’explique-t-il.

La controverse sur le piratage Internet n’est qu’une partie d’un problème beaucoup plus grand. C’est une bataille à propos de comment nous pouvons utiliser, posséder, et partager les médias numériques. Tandis que de plus en plus de personnes créent des médias personnels et commencent à participer à notre culture, nous pouvons voir les grandes sociétés tenter de contrôler toutes les utilisations et réutilisations de leurs travaux, même si c’est au prix des droits traditionnels des citoyens. Dans ce conflit, la presse a trop souvent omis de poser les vraies questions. Est-ce que cette nouvelle vague de restrictions imposées aux Américains respectueux des lois (décrits dans des chapitres ultérieurs) a un effet quelconque sur des pirates déterminés ? Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Les adaptations maisons seront-elles autorisées, ou est-ce que des verrous seront placés sur tous les matériels numériques pour empêcher le piratage, nous empêchant ainsi d’adapter les médias pour notre usage personnel ?

Cette longue bataille sur l’équilibre entre la liberté et le blocage total, dans cet âge digital, ne montre aucun signe d’apaisement. Tandis qu’Hollywood et la haute technologie se chamaillent à ce sujet, l’industrie de l’électronique, et ses 100 milliards de dollars de bénéfices, reste tranquillement sur la touche. Malgré quelques renégats, tels que Philips

Page 27: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Electronics (dont le siège social se situe aux Pays-Bas), Archos (en France), Pinnacle (en Allemagne), ou des start-up telles que Diamond Multimédia ou SonicBlue, les fabricants d’électronique ont la réputation d’être soumis aux grandes industries du divertissement. Et pour une bonne raison : personne n’achète un lecteur de DVD ou une télévision grand écran à moins qu’il n’y ait un super programme.

Fait contrastant, les géants de l’industrie technologique – qui sont à peu près 10 fois plus importants qu’Hollywood – sont moins susceptibles d’écouter les supplications ou les cajoleries de l’industrie du cinéma. Le résultat principal est que la haute technologie a été le meilleur ami du public dans les forums privés, où les innovations du numérique à domicile sont révélées. « Nous ne donnons pas tout clé en main à Hollywood. Nous négocions afin de préserver un usage juste et les droits des consommateurs », dit Stéphen Balogh, un dirigeant d’Intel qui représentait l’industrie informatique lors de la réunion susmentionnée. 5

Mais la haute technologie est de moins en moins du côté du public. Trois raisons expliquent ceci. La première est qu’une consolidation médiatique grandissante a brouillé les pistes. Par exemple, lorsque Sony n’était encore qu’une société d’électronique, son seul souci était de créer des outils cool et design. Maintenant que la société possède un studio de cinéma ainsi qu’un label musical, Sony oriente plus ses priorités vers la protection de son matériel sous droit d’auteur plutôt que de fournir à ses clients une « expérience de la meilleure qualité possible. » La seconde est que le Congrès a fait passer le message qu’il considérerait l’imposition gouvernementale si le secteur technique ne prenait pas en compte les inquiétudes des sociétés médiatiques sur le piratage numérique. Stimulés par une telle menace et par peur des procès, les créateurs d’ordinateur se sont réunis derrière une association créée pour bloquer le matériel et empêcher les gens de copier ou de manipuler les médias de divertissements distribués par les grandes sociétés. La troisième raison est que les grandes sociétés informatiques, voyant leur croissance ralentir, ont commencé à envahir le domaine du divertissement familial, devenant dépendantes des grandes sociétés de divertissement. En 2003, Hewlett Packard a lancé sur le marché 158 produits de consommation, de l’appareil photo numérique à un gadget qui convertit les vieilles cassettes VHS en DVD. Gateway a plutôt parié sur l’électronique en sortant des téléviseurs plasma, des lecteurs de DVD, des caméscopes numériques, et du matériel pour le numérique à la maison. Dell fait maintenant des télévisions numériques grand écran. Microsoft6 a lancé une télévision numérique, contrôlée par ordinateur, pour le salon. Apple vend le lecteur musical numérique le plus célèbre au monde; l’iPod, et les programmes qui l’accompagnent (iTunes, iMovies, iPhotos). Ces innovations ont moins à voir avec l’informatique qu’avec la création et la gestion de divertissement. Même le géant du téléphone cellulaire Nokia a franchi ses limites en créant des téléphones mobiles qui envoient des e-mails, prennent des photos, et possèdent des jeux intégrés. Il y a un curieux mot pour ça : la convergence.

Si vous appréciez de faire subir à vos enfants les histoires sur le bon vieux temps, un jour vous pourrez leur parler de cette étrange époque où les médias existaient dans des conteneurs séparés. Les programmes télés ne pouvaient être regardés que d’une télévision, la musique sortait d’une stéréo ou d’une radio, les grands films hollywoodiens n’étaient visibles à leur sortie que sur un écran de cinéma. Les films maison étaient regardés (s’ils pouvaient l’être) sur un drap grâce à un projecteur. Les ordinateurs servaient à la production. Les photos appartenaient à des albums ou à des boîtes à chaussures. Tout cela est en plein changement, grâce à la convergence, ce mot apparu dans les années 1990 et qui devient finalement réalité. Tandis que les médias se transforment en série de 1 et de 0 –programmes TV enregistrés sur des boîtes numériques, dix milles chansons pouvant tenir dans la poche d’une chemise – tout ce matériel nécessaire pour distraire ressemble de plus en plus à des

Page 28: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

ordinateurs personnels, avec un disque dur, des puces et des connexions pour le travail sur Internet. Qu’augure cette transformation ? D’après la haute technologie, la convergence signifie laisser tous les gadgets distractifs, présents à notre domicile, communiquer entre eux, pourquoi pas commandés par une unique boîte noire que les sociétés de technologie placeraient dans votre salon. Si vous écoutez les groupes médiatiques, vous pourriez penser que la convergence se réfère aux corporations travaillant en «synergie» et fournissant des «contenus» à travers de nombreuses dimensions. Les clients, s’ils sont pris en compte, sont considérés comme « des oisillons à la bouche grande ouverte, heureux de se saisir de tout ce que les grandes sociétés veulent bien leurs donner », d’après un participant au sommet du média digital de l’année dernière à New York7.

Mais la convergence, c’est beaucoup plus que des boîtes noires, de nouveaux jouets, ou le mariage de la technologie et du showbiz. La véritable convergence est un détonateur dans l’architecture à sens unique descendant des médias. Lorsque les médias se réunissent ensembles de façons innovantes, les consommateurs deviennent des producteurs qui veulent une plus grande capacité à participer à ces médias, pour les utiliser et créer leurs propres expériences. Les nouvelles technologies changent l’équilibre du pouvoir entre les sociétés de médias et leurs clients, de telle façon que, par exemple, les ordinateurs ne sont plus seulement des instruments permettant de rejouer de la musique et des films mais deviennent des laboratoires de photographies, des mini studios d’animation, et des studios d’enregistrements musicaux.

La véritable convergence se produit lorsque des gens créent leurs médias personnels ou capturent du média de masse et le personnalise. La convergence, de façon significative, implique son utilisateur. « Lorsque les médias s’entrecroisent, le public commence à archiver, à annoter, à s’approprier, et à retransmettre ce média. Chacune de ces étapes est valorisante pour le consommateur, explique M. Jenkins du MIT. Nous sommes maintenant témoins de cette guérilla de la terre brûlée entre les consommateurs et les corporations qui continuent à résister aux changements. Les corporations contrôlent toujours plus de cartes que les consommateurs. Mais elles contrôlent de moins en moins de cartes concernant la manière dont les consommateurs stockent les contenus des médias depuis l’apparition du magnétoscope, du photocopieur, de l’Internet, et des terminaux de stockage personnel (TiVo). » Les sociétés des médias et leurs partenaires techniques ne voient pas ça de la même façon.

Lors du Consumer Electronics Show de 2004 à Las Vegas, Carly Fiorina, directrice exécutive de Hewlett Packard, exprima sur scène sa vision de la révolution numérique, une ère dans laquelle chacun de nous devient créateur de ses photographies digitales, de ses films, et de sa musique (elle dut renoncer à son poste un an plus tard). « Nous sommes tous des révolutionnaires du numérique maintenant, proclama-t-elle. Dans cette nouvelle époque, nous devrons nous appuyer sur une technologie intime et intuitive, qui travaille où, quand et de la façon dont nous voulons qu’elle travaille. »

Mais elle en a surpris beaucoup dans la foule en lançant une attaque cinglante contre la piraterie digitale8 : « Ce n’est pas parce qu’on peut voler de la musique, qu’on doit le faire. Ce n’est pas parce qu’on peut s’emparer de la propriété intellectuelle d’autrui gratuitement, qu’on doit le faire. Simplement parce que vous pouvez le faire et ne pas vous faire prendre, ne veut pas dire que c’est bien. C’est illégal, c’est mal, et en tant que société technologique il y a des choses que nous pouvons faire pour aider et que nous ferons. »Fiorina exhiba alors à bout de bras le nouvel iPod ultramince que HP allait bientôt lancer sur le marché et se lança dans un discours de séduction, destiné aux dirigeants des sociétés médiatiques de New York et Los Angeles, en annonçant que la société utiliserait toute la puissance de sa valeur boursière de 57 milliards de dollars pour appuyer le showbiz. « À partir de cette année, HP s’efforcera de

Page 29: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

construire chacun de ces produits destinés à la consommation dans le respect des droits digitaux. En fait, nous avons déjà mis en application cette décision de fournir des produits tels que notre graveur de DVD, qui protège dès maintenant les droits digitaux. Si un consommateur essaye par exemple de copier une cassette VHS protégée, le graveur de DVD possède une technologie développée par HP qui empêche la copie; à la place un message apparaîtra, disant : « le contenu original de ce matériel est sous droit d’auteur. La copie n’est pas autorisée. » Et bientôt la même technologie sera présente dans chacun de nos produits. »

Il était très clair que les «droits digitaux» qu’HP allait maintenant protéger étaient ceux mis sous les verrous des grandes sociétés médiatiques. En ce qui concerne « mettre plus de pouvoir dans les mains des révolutionnaires du digital », HP vous permettra de copier, coller, emprunter, remixer, et remettre en circulation seulement le matériel culturel non protégé par ses systèmes. Ne pas approuver vous fait risquer d’être considéré comme un « pirate ». Sur la majorité des sujets publics de principe de cet âge numérique, l’industrie de la haute technologie s’est séparée en plusieurs factions. Certains créateurs de matériel comme Intel, par exemple, s’opposent à la loi qui fait du piratage informatique un crime fédéral, quelles que soient les circonstances. Intel a aussi rempli un dossier à remettre à la cour en faveur d’Éric Eldred9 et a vaillamment combattu le projet de loi anti-innovation INDUCE en 2004, et il a accueilli un sommet des droits digitaux pour mettre en lumière les menaces posées à l’innovation. Whiteside, le représentant d’Intel à Washington, résume le conflit au sujet des technologies numériques de cette façon : « Donner aux consommateurs la possibilité de créer leur propre liste de chansons préférées, leur permettre de filmer leurs propres extraits vidéo, et d’en adapter et recréer le contenu – tout cela rencontre une très forte résistance de l’industrie créative parce que l’intégralité de leurs modèles d’activité repose sur la distribution d’un contenu emballé et scellé, d’une façon qui développe leurs affaires. Ceci est le début d’une longue querelle qui durera des années. »10

Mais d’autres sociétés technologiques – plus particulièrement les créateurs de programmes – soutiennent les projets de verrouillage d’Hollywood. De nombreuses sociétés technologiques soutiennent les lois anti-innovation telles que le Digital Millenium Copyright Act, de même que les régulations gouvernementales et les standards industriels qui restreignent l’usage des médias électroniques au public. D’autres entreprises technologiques sont heureuses de participer à la construction de verrous numériques restrictifs pour les industries du spectacle. Le président de News Corporation interpella ainsi la foule présente au Comdex de 2002 : « Rejoignez-nous et aidez-nous à construire nos filigranes technologiques et nos programmes de cryptage ! »11

Si on ne peut pas toujours compter sur la haute technologie pour défendre les intérêts d’un public qui désire de plus en plus déchirer, mixer, et brûler les symboles culturels, vers qui peut-on se tourner ? Le mouvement de la culture libre. Tandis que les lignes de fissures créées par les nouvelles technologies s’agrandissent, Hollywood et un groupe avant-gardiste d’enthousiastes du numériques s’affrontent dans un duel digne de Règlements de comptes à OK corral. Les deux camps peuvent être personnifiés par deux individus : Jack Valenti et Lawrence Lessig.

La carrière de Valenti est un véritable roman. Lieutenant dans l’armée de terre pendant la deuxième guerre mondiale, il a effectué 51 missions de combat en tant que pilote d’un bombardier d’attaque B- 25 en Italie. Il était présent dans le cortège de voiture le 22 novembre 1963 à Dallas, et « il a vu ce jour un jeune et brave président se faire assassiner. » Sur ce fameux cliché de Lyndon B. Johnson prêtant serment à bord de l’Air Force One, accompagné d’une Jacqueline Kennedy abasourdie, Valenti est à droite. LBJ avait compté

Page 30: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

sur lui pour assurer la transition. Valenti a quitté le service du gouvernement en mai 1966 pour diriger l’association cinématographique américaine (MPAA), le groupement des studios cinématographiques. Pendant les 38 ans passés à ce poste, il est devenu une légende du lobbying. Lorsqu’il ralentit ses activités après avoir préparé son successeur, Dan Glickman, l’association resta la création de Jack. L’une des personnes les mieux introduites à Washington, Valenti transforma son association en une des bases du pouvoir législatif les plus puissantes de la capitale. L’industrie du spectacle fournit aux candidats du congrès à peu près 25 millions de dollars par élection, sans faire mention de tous les avantages fournis, tels que des rencontres avec les stars.12

Les studios sont la force qui guide et dirige la politique du MPAA. Avec l’acquisition de la MGM par Sony en 2004, la plupart des grands studios hollywoodiens sont maintenant intégrés à des conglomérats médiatiques qui possèdent aussi des réseaux de télévision, des stations de radio, des maisons de disques, et diverses activités annexes (lorsque je me réfère à «Hollywood» dans ce livre, j’inclus bien sûr toutes ces activités, et pas uniquement l’industrie de la réalisation cinématographique. Et il faut aussi insister sur le point qu’Hollywood n’est pas un monolithe. De nombreux éléments innovants, tournés vers l’avenir dans ce nouvel Hollywood embrassent la culture numérique. L’Hollywood auquel j’ai fait référence dans le sous-titre de ce livre est le vieil Hollywood qui résiste aux changements, celui qui voit les nouvelles technologies et les nouveaux acteurs de ce jeu comme une menace à l’encontre de son système.)

Bien que tous les studios membres du MPAA puissent s’exprimer sur l’élaboration de sa politique, certains sont particulièrement volubiles sur le sujet des droits d’auteur et du piratage. « J’ai mis du temps à comprendre que le MPAA représente les points de vue des joueurs les plus extrêmes, » dit M. Balogh, d’Intel. Les plus grands studios sont généralement prévisibles sur ces sujets : avec Disney et la Twenthieth Century Fox se campant sur les positions les plus rigides, Universal, la MGM et Paramount maintenant des positions intermédiaires; et Sony et Warner Bros qui montrent le plus grand degré de flexibilité.

L’association a, en quelque sorte, achevé son grand chelem en 1997 et 1998, lorsque le Congrès a ratifié le passage de trois lois. La loi contre le vol électronique (No Electronics Theft Act) soumet les individus à des peines maximales de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 $ d’amende pour toutes reproductions ou distributions de matériel, sous droits d’auteur, par des réseaux électroniques. Une autre loi a permis l’extension de la durée des droits d’auteur de 20 ans supplémentaires (Sonny Bono Copyright Term Extension Act). Enfin, et pour finir, une dernière loi a rendu illégale toute tentative d’altération des protections anti-copies sur le matériel numérique (Digital Millenium Copyright Act). Ce sont ces deux dernières lois, vilipendées par la plupart de la population, qui ont donné naissance au mouvement de la culture libre.

Valenti est devenu familier de beaucoup d’Américains grâce à ses apparitions sur scène aux Oscars depuis près de 30 ans. Sa plus grande réussite est sûrement le système, maintenant familier de tous les Américains, de classement du visionnage des films par tranche d’âge selon leur contenu13, créée en 1968 et qu’il continue de diriger. Il a aussi aidé à créer dans les années 90 le système, moins connu, de calibrage des puces de télévision.

Maintenant âgé de 83 ans, ce texan aux cheveux blancs, aux sourcils touffus, et à la silhouette frêle a toujours énormément de pouvoir. Le 24 février 2003, il s’est exprimé à l’université de Duke, lançant sa campagne « d’impératif moral » directement à la face de l’opposition : les campus d’université. Présentant bien, sûr de lui et légèrement impérieux, il a appelé les étudiants à déposer les armes du piratage informatique et à reprendre les vieilles vérités : «Des mots tels que le devoir, le service, l’intégrité, la pitié, la fierté, la compassion, et

Page 31: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

le sacrifice. » Cet orateur né a évoqué « la magie migratoire des suites de zéros et de uns du numérique » qui crée « une collision des valeurs de notre pays. »14 (Valenti écrit ses propres discours, mais sincèrement, qui donc pourrait le faire pour lui ?) Quelques mois plus tard il me dit qu’il s’est adressé à plus de 38 000 étudiants, dans huit universités différentes, cette année-ci. « Je crois sincèrement qu’il y a un désengagement de la population jeune à propos de qui possède quoi et pourquoi, clame-t-il de sa résonante et familière voix de baryton. Ils ont rationalisé en se disant qu’ils ne pouvaient pas faire de mal à une grande société cinématographique en copiant un seul film ? Mais ce dont ils ne se rendent pas compte, c’est que dix millions de personnes font la même chose et s’échangent ces fichiers. »15

Valenti, avec son charme sudiste et ses plaisanteries décontractées, semble apprécier ces duels avec les étudiants sur le sujet du piratage informatique. « Lorsque je leur demande, combien d’entre eux croit que ce qu’ils font est mal, moralement et légalement, la plupart d’entre eux lèvent la main. Mais ils rationalisent ce fait en disant que, oui, c’est un genre de vol, mais tout le monde le fait, et il est trop cher d’aller au cinéma. » Il a eu beaucoup plus de succès en ralliant à sa cause les dirigeants des universités. Sur l’ordre du MPAA, beaucoup d’universités ont adopté des codes de conduite qui punissent les étudiants qui téléchargent ou partagent du matériel sous droit d’auteur.

Mais le poids lourd hollywoodien et sa politique anti piratage a souffert de nombreux revers. En 1996, la première grande bataille digitale s’est déroulée lorsque Hollywood et les créateurs de consommables électroniques ont essayé de faire passer une loi à Washington qu’ils désiraient voir codifiée dans la législation fédérale. Parmi d’autres choses, la proposition aurait requis que chaque ordinateur scanne chaque dossier qu’il rencontrait - chaque mail, film, document, ou morceaux de musique - et recherche le code permettant de savoir si la copie était permise. Rhett Dawson, président d’un des syndicats professionnels à Washington pour l’industrie informatique, a expliqué au National Journal que cette proposition « était de la folie » parce qu’elle aurait ralenti les performances de chaque ordinateur d’au moins 50 %, sans aucun bénéfice pour l’utilisateur et sans accomplir ce que voulait Hollywood.

En 1998, les grandes sociétés du divertissement du spectacle ont obtenu quasiment tout ce qu’elles désiraient du Congrès avec le passage de la loi DMCA et l’extension des droits d’auteur de 20 ans. Mais début 2002, Hollywood était de retour pour tenter d’obtenir de nouvelles législations, et a sorti la grosse artillerie pour toute une série d’auditions avec le Congrès. Le directeur de Disney, Michael Eisner, a attaqué les grandes sociétés technologiques en les accusant de promouvoir le mixage comme façon de s’approprier la propriété d’autrui. Le directeur de Time Warner, Richard Parsons, et le président de News Corp, Peter Chernin, ont longuement évoqué la menace posée par la piraterie numérique et ont demandé au congrès de forcer l’industrie technologique à protéger les médias du pillage. Le Congrès a refusé de légiférer immédiatement, mais fin 2003 Hollywood a persuadé la commission fédérale des communications (FCC) d’adopter un plan qui restreint pour le public les transferts et les visionnages des spectacles télévisés.

Mais même cela n’est pas suffisant. Valenti reste extrêmement déçu par la façon dont on peut copier et transférer des matériaux sous droits d’auteur par ordinateur « sans qu’aucuns circuits intégrés ne puissent empêcher ce piratage. » Cependant, il prend à coeur les efforts des « entreprises de confiance » du monde informatique tel que Microsoft et ses alliés, qui visent à modifier les ordinateurs. Bien qu’il puisse parfois sembler que les directeurs de studio désireraient un Transmooker – cet instrument qui dans le film Spy Kids permet d’arrêter toute la technologie sur la planète – Hollywood a un long passé d’assimilation des nouvelles technologies. Disney, qui désire bénéficier d’une plus grande distribution de ses

Page 32: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

films classiques pour enfants, a été parmi les premiers studios à permettre la distribution de films par satellite. Grâce son partenariat avec Pixar, il a été un des pionniers de l’animation. Sur Internet, Disney a ouvert Toontown, le premier monde virtuel en ligne pour les enfants. Et il expérimente de nouvelles façons de distribuer ses films numériquement. Valenti non plus n’est pas un technophobe. Il possède même un terminal avec disque dur pour enregistrer ses émissions de télé préférées. Mais il dit qu’il y a des limites à ce que le public devrait être capable de faire avec les films et les émissions de télévision. À cette fin, le MPAA travaille en collaboration avec une douzaine de sociétés technologiques, incluant Microsoft et IBM, ainsi que des scientifiques du MIT et de Caltech, « pour essayer de découvrir le genre de systèmes de sécurité que nous avons besoin d’installer sur nos films... La technologie est la cause du problème et la technologie en sera la solution. »

Lors de ses performances décousues sur le thème de « nous contre le reste du monde » devant le Congrès, Valenti se sert souvent de raccourcis rhétoriques simplistes, comme lorsqu’il relie le piratage au «terrorisme».16 (Mon propre sénateur, Diane Feinstein, est devenu une partisane d’Hollywood dans ce conflit, considérant les réseaux de partage de fichiers comme un très gros risque pour la sécurité de la nation.) Valenti cherche aussi à stigmatiser tous les réseaux de travail peer-to-peer comme pourvoyeurs de piratage de pornographie. Ce n’est donc pas une surprise qu’il soit vilipendé dans de nombreux quartiers du cyberespace. Mais cela le dérange-t-il ? « Je ne l’apprécie pas, mais je sais que ce que je fais est bien, affirme-t-il. Je crois aux changements. Le changement irrigue chaque entreprise, et plus particulièrement le milieu du cinéma. Donc je l’accueille, tout en prenant soin de m’assurer que le vol ne mettra pas en pièces le futur que nous créons. » Sur un autre continent, Lawrence Lessig ouvre la porte de son bureau à l’université de Stanford. Derrière lui des piles de dossiers vacillent sur un bureau près du Macintosh qu’il a utilisé pour écrire « Code », « The Future of Ideas » et « Free Culture »,trois livres qui traitent des menaces à l’encontre de la liberté de la créativité dans cet âge numérique. Cet immense géant de la loi cybernétique porte un gilet bleu, une chemise jaune pâle au col déboutonné, et un jean noir. Des lunettes à monture métallique se perchent sur son visage compact. Tandis qu’il parle d’une voix douce et mesurée, on peut facilement imaginer une foule de caricaturistes se battant pour capter la taille et la majesté de son front étonnamment imposant pour une édition qui saurait piquer la conscience publique.

Ce jour-là, ce professeur de droit de 42 ans semble abattu, deux semaines après que la cour suprême des États-Unis s’est prononcée contre lui dans l’affaire Eldred versus Ashcroft, l’affaire la plus importante de sa carrière. Il s’était considérablement investi émotionnellement dans cette affaire concernant Éric Eldred, un programmeur informatique à la retraite, habitant le New Hampshire, qui avait créé un site Internet d’oeuvres littéraires sélectionnées dans le domaine public17. Ce site recevait 3000 visites par jour, d’étudiants du monde entier, cherchant à consulter la littérature de Nathaniel Hawthorne, Anthony Trollope, et bien d’autres. Eldred était très excité à l’idée de pouvoir ajouter les ouvrages publiés dans les années 20 : les histoires d’Ernest Hemingway, Ring Lardner, Virginia Woolf, Gatsby le Magnifique, Le Faucon maltais, des chansons de Gershwin et de Berlin, des livres du Dr Seuss, des poèmes de Robert Frost, et les premiers numéros du Times, du Reader’s Digest et du New Yorker. Un nombre incalculable d’autres personnes ont des projets similaires pour publier ou reconstruire sur ces oeuvres.

Cela peut vous surprendre, mais vous pouvez enfreindre la loi sur les droits d’auteur si vous mettez une demi-douzaine de vos poèmes favoris de Frost ou vos chansons favorites de Gershwin sur votre site Internet. Vous ne pouvez écrire la suite d’une nouvelle

Page 33: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

d’Hemingway sans l’autorisation de ses descendants. Vous ne pouvez pas échantillonner les chansons de Jimmy Rodgers, le père de la musique country, mort depuis 71 ans, sans avoir à payer une taxe à la BMG/RCA.18 Vous ne pouvez exhiber une pièce de musée à propos de la Grande Dépression ou de la migration de la population dans les années 30, sans auparavant rechercher qui possède le droit d’auteur de chacune de ces photos, clips vidéo ou audio que vous voulez inclure. À l’opposé, nous pouvons tous librement utiliser l’image du Père Noël, créée dans les années 1800 par le dessinateur Thomas Nast, seulement parce que ce cher vieux monsieur est entré dans le domaine public.

Jusqu’à récemment, les droits d’auteur sur une oeuvre expiraient 50 ans après la mort de l’auteur (75 ans dans le cas d’une corporation). À ce moment-là, l’oeuvre entrait dans le domaine public19. Une fois qu’une oeuvre était entrée dans cette zone, chacun était libre de l’utiliser, de la remixer, de la remettre à jour, ou de la redistribuer. Mais en 1998, le Congrès est intervenu et a servi les intérêts des médias en étendant les termes des droits d’auteur de 20 ans supplémentaires. La loi Sonny Bono a empêché une quantité estimée à 400 000 livres, films, et chansons d’entrer dans le domaine public avant 2019 – à moins que le Congrès n’étende ces limites une nouvelle fois, comme il a déjà fait 11 fois en 40 ans. En janvier 2003, la Cour suprême a exprimé ses doutes sur la sagesse de cette loi, mais a laissé cette décision au Congrès. Selon l’éditorial du New York Times après cette annonce, « la décision de la Cour est sensée sur le plan constitutionnel, mais elle ne sert pas bien le peuple... Les artistes méritent naturellement de conserver un droit sur leur travail, ainsi que les propriétaires de corporation sur le droit d’auteur. Mais le peuple a un intérêt tout aussi fort à voir les droits d’auteur disparaître après une période, rendant les oeuvres au domaine public – la grande pépinière démocratique de la création artistique – où elles peuvent être utilisées sans payer de royalties. La décision de la Cour suprême rend possible le début d’une ère où le domaine public disparaîtra et où le droit d’auteur sera perpétuel. »

Après le jugement de la Cour, Lessig se rappelle : « Un lobbyiste m’a dit, “ vous savez, Larry, tout ce que vous aviez c’étaient vos idéaux et vos principes. L’autre côté avait tout l’argent du monde. C’était quand la dernière fois où les idéaux et les principes ont gagné face à l’argent ?” »20 Mais Lessig continue le combat. Il reste convaincu que les droits d’auteurs se sont dangereusement éloignés de ce qu’ils devaient être. Les fondateurs n’ont jamais eu l’intention que les droits d’auteur deviennent un droit de propriété privée perpétuel. À la place, le copyright était vu comme une façon de stimuler la création artistique pour le bien-être général. C’est ce qui est écrit noir sur blanc dans cette clause de la Constitution : « Pour promouvoir le progrès de la science des arts utiles », le Congrès pouvait accorder des droits d’auteurs « pour une période limitée. » Ce équilibre délicat a été rompu ces dernières années lorsque le Congrès a tenté de récupérer l’appui de certains groupes d’intérêts. Tandis que la plupart des gens pensent souvent que le droit d’auteur est une façon, sans ambiguïté, de stimuler la créativité, Lessig affirme que son excès ne stimule plus maintenant la créativité, mais, bien au contraire, est utilisé par les sociétés médiatiques pour regrouper les idées et écraser la créativité21. Hollywood est la force motrice derrière tous ces efforts pour nous transformer en une « culture de la permission » qui inhibe l’expérimentation et la nouveauté.

Nous n’avons pas besoin de regarder en arrière, dans les années 20, pour voir des exemples de culture maintenue sous clefs. Les batailles de ces guerres de droits numériques sont moins à propos du passé qu’à propos du futur. Le combat ne fait que commencer pour l’accès aux oeuvres contemporaines. Dans cet âge numérique, comment des millions d’entre nous seront capables de se redresser, de s’adapter, d’emprunter, d’échantillonner et de réinterpréter les richesses de notre culture ? Lorsque les grandes sociétés médiatiques empêchent les utilisations légales de leur matériel – comme la lecture sur un ordinateur de

Page 34: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

chansons de films, la création de copie de sauvegarde de fichiers numériques ou tout simplement la possibilité de mettre sur son site personnel une simple photo d’un film avec son commentaire personnalisé – quels recours peuvent avoir les utilisateurs ? Quelles sont les règles d’engagement de ce nouveau monde numérique ? Lessig a longuement considéré ce sujet depuis qu’il s’est pour la première fois intéressé à la collision de la loi avec les nouvelles techniques et technologies d’Internet. « La loi fiche tout en l’air, donc il y a une mauvaise conscience latente chez les légistes. Un jour nous regarderons cette vision extrêmement simpliste qui a permis aux cours de justice de contrôler la parole et la créativité comme une chose stupéfiante. »

En plus d’avoir écrit trois livres à propos d’Internet et de la cybernétique, ce prodigieux professeur de droit a aussi fondé, à Standford, « le centre pour Internet et la société », un réservoir à idées et une immense base de ressources légales qui gère les cas impliquant la liberté numérique, et il a aidé à lancer Creative Commons, une organisation qui donne aux créateurs une flexibilité dans la gérance de leur droit d’édition. Fils d’un entrepreneur d’aciérie à Williamsport en Pennsylvanie, Lessig est devenu le champion de la cause des libertés numériques par des moyens détournés. Il était délégué de la Convention nationale républicaine en 1980, et se décrivait lui-même comme un « fanatique de l’aile droite »22 avant que trois ans à l’université de Cambridge en Angleterre ne changent son point de vue. Après une période inconfortable, en tant que seul employé libéral d’Antonin Scalia de la Cour suprême de justice, il enseigna à Yale, l’université de Chicago, et à Harvard avant de décider, avec sa femme, de se diriger vers l’Ouest. Le message qu’il répand est simple : la culture de masse est limitée par nature, tandis que les outils numériques permettent aux gens de participer à leur propre culture – si seulement la loi pouvait laisser faire.

« Nous venons d’un monde dans lequel il y a un million de façons d’utiliser du matériel créatif sans même invoquer les lois sur les droits d’auteur. Lire un livre, le vendre, le donner – tous ces usages ne sont pas contrôlés, parce qu’il n’y a pas de copies de faites. Mais sur Internet, tout ce que vous ferez sur ce livre inclura obligatoirement une copie. La loi, dans sa façon formaliste, s’exprime alors en disant : « maintenant, les lois sur les droits d’auteur sont invoquées. » Et cela signifie qu’un très grand éventail d’activités créatives ordinaires doivent maintenant combattre ce fardeau imposé par la loi. Le choix qui se présente à nous est la manière dont cet espace créatif sera régulé. Est-ce qu’il sera régulé et limité par la loi sur les droits d’auteur, où sera-t-il traité d’une façon plus équilibrée par rapport à la loi traditionnelle, en sécurisant des retours commerciaux tout en accordant de l’espace à l’usage créatif ? »

Lessig, qui a fait du pessimisme sa marque de fabrique, craint que le Godzilla médiatique ne piétine Internet à travers une combinaison de mauvaises lois et de restriction des copies. Il a réalisé avant tout le monde que le codage devenait une loi privée partout où les sociétés médiatiques verrouillaient leur matériel dans des armures digitales ou bien, pire encore, tentaient de réorganiser Internet en véhicule de livraison du divertissement et du grand spectacle.

Lessig dit aussi qu’un autre de ses objectifs sera d’éduquer le Congrès à ce sujet : « parce qu’ils n’ont aucune expérience de ce sujet, les membres du Congrès croient qu’il s’agit d’un débat à propos du vol de la propriété intellectuelle, alors qu’il s’agit en réalité d’autre chose. Nous sommes dans la culture du copier/coller. La question est donc de la légalité de ce comportement. Actuellement, il est présumé illégal, et cela n’a aucun sens. Cette manière de vivre est essentielle à la créativité, et devrait donc être présumée légale. Mais des gens qui ne passent pas leur temps à utiliser ces outils numériques ne savent pas de quoi nous parlons. » Hollywood et toutes ces grandes sociétés continuent, selon lui, à traiter les consommateurs comme des loques passives. Au lieu de laisser les gens emprunter et

Page 35: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

construire leurs travaux, les grandes sociétés de divertissement s’appuient sur des réseaux de distribution à sens unique pour fournir du matériel « enveloppé dans un récipient qui vous empêche d’en couper des parties et de les mélanger à d’autres. »

Lessig craint que ces récipients digitaux, où ces systèmes de protection anti-copie, « créent un gouffre dans notre culture qui deviendrait inaccessible d’ici cinq ans. » Nous ne serons plus une culture où l’on peut retirer la Bible de Gutenberg de l’étagère, l’ouvrir, et voir ce qu’il y a à l’intérieur. À la place, « nous l’ouvrirons, et nous ne trouverons qu’un ramassis de stupidités à l’intérieur – parce que la licence est expirée, parce que la société qui a construit le système de cryptage a disparu, ou parce que le programme est périmé. » Il n’y a pas si longtemps, Lessig a tenté de récupérer certains fichiers qu’il avait créés en 1990. Mais les fichiers étaient cryptés. La société qui avait créé cette protection anti-copie avait disparu. Il n’avait aucun moyen d’accéder à son propre matériel. « Nous pouvons être absolument sûrs qu’une grande partie des contenus actuels sera détruite exactement de la même façon. Nous sommes en train de brûler les bibliothèques avec l’encodage. »23

Pendant ces prochaines années, alors que des millions de personnes utiliseront les outils de la création numérique, nous verrons des usages remarquables de médias personnels. Il serait absolument fascinant, projette Lessig, de pouvoir voir l’histoire d’un lycéen de 16 ans fusionnée avec un cauchemar Orwellien grâce à l’emprunt de fragments du film 1984. « Ce genre d’expérience créative devrait être aussi simple que de rajouter des chansons à un film maison sur votre Mac. »

Et cependant, de tels emprunts peuvent être illégaux. Cela démange Lessig de pouvoir organiser une exposition publique où des familles pourraient voir les nouvelles technologies dans toute leur gloire du rip-mix-burn exposées à côté de deux avocats de la propriété intellectuelle. « Tandis que les enfants montreraient leurs films maison, les deux avocats interviendraient et diraient, “ ceci est une violation de la loi, et ceci aussi, et ceci aussi.” À un certain point, les familles et les membres de l’audience auraient une réaction similaire : “C’est scandaleux ! Pourquoi est-ce un crime ?” »

Il s’arrête et regarde par la fenêtre de son bureau alors qu’un tourbillon de feuilles traverse sa cour. « À moins que les gens ordinaires ne pensent que cela est fou – et pas seulement les intellectuels ou les académiciens ou les 5 % au sommet de la population mais tous les gens ordinaires – jusqu’à ce que cela arrive, nous ne pourrons pas gagner cette bataille. » Un mois plus tard, je le rencontre de nouveau, à la conférence South By Southwest Interactive, qui réunit, pour la 10e année consécutive, les intellos à Austin au Texas. Pendant son discours principal, Lessig gratifie la foule d’une de ses présentations PowerPoint qui sont sa marque distinctive. Le visage de Jack Valenti apparaît à l’écran, sous les quolibets de l’audience. Lessig entonne solennellement chaque mot alors qu’il apparaît à l’écran – devoir, honneur, intégrité, compassion – en un hommage moqueur à la campagne de Valenti sur « l’impératif moral. » Le débat sur les droits d’auteur et le piratage a été conduit dans les extrêmes, raconte-t-il à son audience captivée. Les « Tous », comme il les appelle, croient que leurs droits doivent être contrôlés parfaitement. Les « Tous » veulent construire l’Internet du futur où l’architecture se pliera à un régime du Tous Droits Réservés. À l’opposé, les « Sans » croient à un monde de totale liberté, ils pensent qu’aucun des droits créatifs de la communauté n’a besoin d’être préservé sur Internet, ils espèrent un monde « Sans Droits Réservés ». Quelques-uns des membres de la foule font partie de ce groupe ayant pour slogan « l’information veut être libre. »24 Pour finir, il y a les « Quelques », que Lessig distingue et félicite. Les « Quelques » font partie de ces 85 % de la population qui se trouvent au milieu.

Page 36: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Ceux qui veulent protéger certains de nos droits mais qui sont heureux de partager leur travail avec d’autres dans certaines circonstances.

« Tous ces gens qui se retrouvent dans les extrêmes, laissons ces êtres malheureux mener leur vie d’extrêmes. Ce que je veux, c’est un espace au milieu. La plupart d’entre nous pensent, voilà mon travail, je l’ai créé, mais il y a beaucoup de façon pour vous de l’utiliser sans que cela ne me dérange. » La loi a abandonné ce statut du milieu en s’alliant avec un des extrêmes. La voix de Lessig prend une intonation douloureuse alors qu’il parle de « l’extraordinaire frustration » qu’il ressent vis-à-vis de ses confrères avocats. « Laissez-moi vous parler de nous. Nous croyons au contrôle. Nous travaillons pour des clients qui viennent à nous et nous créons des structures de contrôle. Cela nous fait sentir que nous avons donné quelque chose à nos clients. Mais le contrôle n’est pas l’endroit où la plus grande étendue de créativité et d’innovation peut se développer. Tandis que les légistes viennent réguler cet espace, non pas pour le bénéfice de tous, mais seulement pour certains, vous devez vous lever et nous chasser de cette pièce. Vous devez réclamer cet espace parce que nous n’y appartenons pas. »

Lorsqu’il termine, la foule se lève comme un seul homme et rugit son approbation. Lessig recevra la seule ovation de cette conférence qui durera trois jours. Vous ne recevez pas une carte de membre lorsque vous rejoignez le mouvement de la culture libre, définir son étendue est donc difficile. Il n’y a pas à questionner le fait qu’un mouvement de protestation digitale ait commencé à grandir, dirigé par des enthousiastes de la technologie, des éducateurs, des libraires, des groupes d’intérêt public, et de nombreux artistes et écrivains. L’aile académique du mouvement des droits digitaux trouve son point de départ sous le toit du centre Berkam pour Internet et la société, à la faculté de droit de Harvard. Ses conférences sur le droit d’Internet tentent de restaurer l’équilibre de droits d’auteur dans cet âge digital. Un des intervenants, Yochai Benkler, de Yale, a dit au New York Times : « Nous sommes à ce moment de notre histoire où la liberté et la justice appartiennent à ceux qui peuvent les saisir en premier. » Il montre que chaque grande innovation dans l’histoire de la communication – l’impression, la radio, le téléphone– a été suivie par une brève période de liberté avant que les règles d’usage soient établies et que les alternatives soient éliminées. « Internet se situe dans cet espace actuellement.25

En dehors des pelouses de l’Académie, d’autres forces se sont rassemblées pour soutenir cette cause.26 Si Lessig joue alors le rôle du guerrier légal chevauchant pour défendre son royaume natal numérique des envahisseurs, John Perry Barlow est le théoricien du cyberespace et son guide spirituel, apparaissant comme Gandalf le Gris pour émettre des commentaires grandiloquents et mystiques équivalents aux oratoires lyriques de Valenti. Un ancien compositeur de chansons pour les Grateful Dead, Barlow, avait entrevu les conflits actuels entourant « le problème de la propriété digitalisée » avant tout le monde, en 1992, lorsqu’il a rédigé un article qui expliquait que « les lois sur la propriété intellectuelle ne peuvent être adaptées, modifiées, ou étendues, pour contenir les gaz de l’expression numérisée. »27 Barlow, âgé de 56 ans, a pris une position d’absolutiste sur la liberté Internet. Bien qu’il ait renoncé à ses appels à la liberté totale sur Internet, visant à supprimer les camisoles imposées par les gouvernements, il reste convaincu que l’Internet est un espace fondamentalement différent et non un simple média d’information qui doit être régulé « comme le câble, le satellite, ou UPS » comme l’avait fait un jour remarqué Valenti.28 Il y a des années, il m’avait dit : « l’Internet n’est pas un simple canal, c’est un océan, et c’est une chose tout à fait différente. » Lorsque nous nous sommes parlés récemment, il m’a dit que la population n’avait toujours pas saisi cette distinction. « L’Internet est un monde entier où tous les médias existants – l’impression, l’audio, la vidéo – se réunissent de façon nouvelle. » Il considère que le DMCA est « totalement à côté la plaque » et voit les protections digitales

Page 37: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

anti-copie comme l’équivalent de « construire des barrières pour éviter les tornades » et se crispe quand il entend que « donner à quelqu’un la copie d’une chanson est un crime. » La loi et la protection des copies se sont combinées pour paralyser non seulement la culture créative mais aussi l’expression politique : « Si vous ne pouvez citer la télévision ou un film ou d’autres genres de médias avec la même aisance que vous pouvez citer un texte, alors vous n’êtes plus capable d’exprimer la totalité de vos opinions politiques. »

Il suggère aussi que nous utilisons des métaphores éculées pour discuter du partage de l’information dans le monde numérique : « Il est dangereux de penser à l’expression comme une propriété. Nous avons les mauvais modèles pour distribuer son flot économique et pour créer des richesses de sa distribution. C’est un service, pas une marchandise. » Cela ne signifie pas qu’il adhère à la notion que toute information doit être gratuite.29 Il dit clairement que personne ne devrait profiter du travail des autres en le faisant passer pour le sien. Il dit aussi que des solutions émergeront pour refléter cette nouvelle réalité. Une des réponses est de changer le modèle de marché des grandes sociétés du divertissement pour abandonner un marché basé sur la rareté (ou le matériel physique est limité) et embrasser cette nouvelle réalité de fragments d’informations libres et multiples. En supprimant les intermédiaires – « ce groupe de voleurs » comme il appelle les maisons de disques – et en utilisant Internet pour interagir avec les fans, les musiciens pourraient gagner plus d’argent en vendant leur travail en ligne, et pendant leurs tournées, qu’actuellement avec leurs contrats d’enregistrement.

Le partage de fichiers ne peut être stoppé et tous les efforts pour finaliser cette reproduction de matériels finiront pas échouer, prédit Barlow. Les marchés et la loi ne sont simplement pas encore parvenus à entrer en accord avec les désirs de ses dizaines de millions de gens qui échangent de façon routinière leurs fichiers sur Internet. Il considère cela comme le conflit entre l’âge industriel et l’âge du virtuel30 – un combat à mort entre des systèmes ouverts ou fermés. L’Internet n’est pas seulement une technologie mais aussi un paradigme qui demande « la renégociation de l’autorité .» Le combat pour le pouvoir résultant de ce conflit sera sauvage et durera « bien plus longtemps que nous. »

En 1990, bien avant que quiconque ait entendu parler du Web, il a été le cofondateur de la fondation pour les frontières électroniques (EFF), combattant pour le droit à la parole et le droit à l’intimité dans le cyberespace. L’EFF, décrite comme une sorte d’université pour les intellos fans d’informatique, dirige maintenant le combat dans la guerre des droits digitaux. D’autres groupes d’intérêts publics s’impliquant dans ce combat incluent : Public Knowledge, Center for Democracy & Technology, et DigitalConsumers.org.

Parmi d’autres grands penseurs notables, dont les vues rejoignent le mouvement de la culture libre, trois peuvent être signalés. Brewster Kahle dirige la construction des archives Internet, la plus grande bibliothèque jamais assemblée en ligne. Il est en train d’ajouter lentement des programmes de télévision, des films, de la musique, des livres, et d’autres matériaux à sa collection. À ce jour, seulement 20 000 livres ont été numérisés sur les 16 millions disponibles dans le domaine public américain. Kahle travaille pour changer ça. L’auteur Howard Reinghold, lui, recueille les applaudissements des personnes les plus brillantes lors des conférences de technologie où il met en valeur l’importance des réseaux peer to peer et fustige les grandes sociétés du divertissement pour leur implication dans le blocage de l’innovation et les restrictions d’accès au matériel culturel.

Depuis des années, Doc Searls, co-auteur du manifeste Cluetrain, a prêché la bonne parole des nouveaux modèles d’échanges qui font des individus des partenaires équitables sur le marché. Il écrit : « La véritable guerre se passe entre quelques producteurs et leurs millions de consommateurs. C’est entre deux visions totalement différentes de l’Internet lui-même. Une partie le voit comme un moyen – un système de plomberie qui permet de pomper

Page 38: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

du contenu d’un producteur à ses consommateurs, contrôlé au sommet par ses fournisseurs. L’autre partie le voit comme un lieu où les gens se rencontrent pour créer la culture, faire des affaires et partager toutes ces choses qui rendent la vie plus intéressante... Une partie veut le protéger et le faire grandir, l’autre veut le diriger et l’exploiter. Une partie attend que l’innovation et les forces de marché résolvent les problèmes qui accompagnent naturellement sa croissance. L’autre veut que le gouvernement protège les industries établies contre ces problèmes – en restreignant les opérations sur Internet, ainsi que les outils qui permettent aujourd’hui d’utiliser Internet. »31

Un autre vétéran de cette guerre sur la propriété intellectuelle, Jordan B. Pollack, est intervenu sur le sujet à PopTech, une convention annuelle de techniciens et d’intellectuels à Camden, dans le Maine.32 Pollack, un scientifique, inventeur, et professeur à l’université de Brandeis, a profilé un futur dans lequel les grandes sociétés de médias arrêteront de vendre des objets et nous vendront à la place des licences d’utilisation. Un tel monde pourrait représenter un choix entre deux extrêmes : des « cyber-fascistes» ou des « cyber-communistes ». Ce premier groupe – composée des géants du divertissement, maisons d’édition, et des sociétés informatiques – dirigerait ce nouveau domaine comme de nobles monarchistes du média. En tant que propriétaires des droits d’auteur, ils nous accorderaient des licences de lecture et visionnage valables une seule fois. Le second groupe se compose des extrémistes du partage de dossiers et des avocats des programmes libres qui rejettent la simple notion de propriété intellectuelle et veulent s’approprier et partager toute information numérique librement et infiniment. J’ai rencontré certains de ces zélotes et leur système de croyance en de nombreuses occasions. Tout comme Pollack et Lessig, je trouve ce système difficile à comprendre et impossible à défendre.

Pollack explique à la foule que le monde virtuel est en train de transformer notre compréhension de la propriété et de la possession. Lorsque nous achetons un livre, nous achetons trois choses en même temps : l’information ou le texte, l’objet qui transporte cette information, et les droits qui accompagnent cet achat. Dans l’âge numérique, l’information est transportée par des Bits, le contenant physique devenant superflu, et les droits ne sont plus dirigés par un usage juste de la loi ou par une coutume sociale mais dans les conditions établies par le possesseur du droit d’auteur. Ce qui était auparavant un problème d’organisation publique est maintenant un problème de contrats privés.

Dans un tel monde, nous nous retrouverons de plus en plus confrontés à des accords de licence qui nous permettent seulement l’utilisation temporaire et au jour le jour d’un produit ou d’un fragment de médias, et qui restreignent nos droits de bien d’autres façons. Nous pourrons télécharger une chanson ou un film, mais ils auront une date d’expiration. Nous pourrons lire un e-livre, mais nous ne pouvons pas couper, coller, ou transférer des passages. « Tandis que le passage de la propriété à la licence se répand des programmes à la musique, aux films, et aux livres, la civilisation humaine basée sur la propriété est en train de changer de façon fondamentale. » Barlow l’a un jour exprimé ainsi : « Présenter le média dans ces nouvelles protections anti-copie peut se comparer à transformer un marché où le vin est vendu à la bouteille desquelles chacun peut boire indéfiniment – comme actuellement avec le livre – à un marché où tout le vin est vendu à la gorgée. Pour toujours. »33 Vous vous souvenez peut-être de la publicité créée par Qwest Communications en 1999, inspiré de l’ambiance des films noirs et de Twin Peaks, où un guerrier de la route se retrouve dans un motel miteux au milieu de nulle part et questionne la réceptionniste sur les aménagements. Sans lever les yeux de son livre, la magnifique jeune femme aux lèvres écarlates lui décrit les installations plus que spartiates. L’homme poursuit ses interrogations « et les divertissements ? »

Page 39: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

À sa grande surprise, elle répond alors que « toutes les chambres diffusent chaque film qui a jamais été réalisé, dans chaque langue, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. » Qwest a ensuite complété cette publicité avec deux versions similaires mettant en scène un jukebox contenant « chaque version de chaque artiste de chaque morceau de musique jamais enregistrée » et un présentoir de livres contenant « chaque édition de chaque livre jamais publié dans chaque langue. » C’est une vision étonnante, et cela arrivera un jour – pouvoir mettre toute la musique, tous les films, toute la télévision, et tous les livres du monde au bout de vos doigts. Pensez-y : une immense salle de concert, cinéma, studio de télévision, bibliothèque, et musée, tous présents au même endroit. Il y a trois façons possibles de construire une bibliothèque musicale universelle : en utilisant le modèle d’une bibliothèque publique, en utilisant le modèle commercial, ou en utilisant un modèle underground.

Des archivistes tels que Kahle travaillent dur sur ce projet. Tandis que les bibliothèques publiques peuvent contenir des livres dont les premières publications remontent à des siècles, les limitations imposées par la loi et la technologie ont largement empêché quiconque dans la sphère publique d’archiver la plupart des programmes télévisés, des films, des oeuvres musicales, ou des programmes radios. Mais Kahle a commencé à construire les archives télévisuelles, une entreprise à but non lucratif créé en 2001, qui a commencé à enregistrer 20 chaînes à travers le monde, avec le projet de donner aux chercheurs, historiens, et professeurs un accès permanent aux nouvelles et aux autres programmes télévisuels. (Il est improbable que le public s’intéresse à ce projet.) Il a aussi créé les archives des films, dans lesquelles 1300 courts-métrages sans droits d’auteurs ont été numérisés et placés sur Internet. De tels efforts pour rendre notre héritage visuel accessible sont dignes de louanges, mais il apparaît clairement que peu de spectacles télévisuels ou de films hollywoodiens seront présents dans une bibliothèque vidéo publique.

Pollack a expliqué au magazine Edge : « Cette idée du grand Internet contenant toutes les musiques que nous voulons écouter, tous les livres et les films que nous voulons lire ou voir, tous les jeux vidéo et les programmes que nous voulons utiliser, elle sonne bien, jusqu’à ce que vous réalisiez que ce n’est pas une bibliothèque publique, mais une réserve privée... C’est cela que les grandes sociétés des médias rêvent d’accomplir – pas d’usage raisonnable, pas de date d’expiration, pas de marché secondaire, pas de bibliothèques. Un projet parfait de location permanente, nous laissant tels des paysans sans possessions autres que nos salaires et nos vêtements. »34 Larry Kenswil, président de la division eLabs d’Universal Music, semblaient partager ce sentiment dans un article de 2003 du New York Times lorsqu’il disait à propos des fans de musique : «Vous n’achetez pas de la musique, vous achetez une clé. »35 C’est un monde où la licence remplace la propriété, et où le monde de la musique reste prisonnier d’une porte fermée.

Les directeurs des grandes sociétés de divertissement ont été très éloquents à propos du jour où les consommateurs seront capables de récupérer instantanément chaque chanson, film ou autre média d’une grande base de données commerciale. L’industrie de la musique a fait les plus grands progrès vers cette vision, lorsque les iTunes d’Apple ont finalement entraîné même les plus réticentes des maisons de disques dans l’âge digital avec un magasin de musique en ligne haut de gamme. Mais même ce magasin, avec plus de 700 000 titres, n’offre pas chaque chanson jamais enregistrée.37 Pour une part, jusqu’à trois-quarts des musiques délivrées par les grandes sociétés ne sont plus disponibles commercialement.38 Warren Lieberfach, l’ancien dirigeant visionnaire de Warner Home vidéo, pense qu’il ne se passera pas longtemps avant que nous ne soyons capables d’acheter et de stocker nos propres collections personnelles de films, de les transporter partout où nous le désirons dans notre domaine personnel. « Ils seront verrouillés de façon à ce que je ne

Page 40: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

puisse les communiquer à quelqu’un d’autre, mais je pourrais me connecter et avoir accès à ma collection complète de vidéos et de films partout où je suis, quand je le désire. »

Les fans peuvent d’ores et déjà enregistrer un concert qu’ils sont allés voir sur un mécanisme de la taille d’un briquet qui pendouille de leur trousseau de clés – et le partager ensuite avec des amis. Dans quelques années, la technologie permettra de transporter des centaines de films ou de spectacles télévisés sur un simple trousseau de clés. Mais est-ce que les grandes sociétés de médias et leurs alliés de la technologie nous aideront ? Pas si sûr. « Il y a un très fort sentiment des consommateurs, qui voudraient l’existence d’un catalogue mondial de ressources, téléchargeable à volonté et accessible partout. Le problème principal est que cette vision ne s’accorde pas à celle de ce dinosaure qu’est l’industrie médiatique », explique Chris Murray, de l’union des consommateurs.39

Un premier problème est le modèle analogique de commerce. Dans l’abstrait, une réserve de données musicales non contrôlée et disponible gratuitement peut sembler attirante, mais les grands patrons des médias ont montré peu d’intérêt pour ce changement vers un modèle qui supprimerait le marché lucratif des DVDs et des CDs. Un autre problème se trouve dans la loi sur les droits d’auteur. Un véritable buisson de droits et de licences devrait être supprimé de chaque pièce de médias qui doit être mis sur Internet. Lors d’une convention à laquelle je participais, j’ai rencontré Karen Randall, conseiller général du studio Universal, qui s’est plaint des contrats à long terme signés il y a des années qui empêchent les studios d’Hollywood de revendre leurs films sur les nouveaux marchés numériques.40 Les plus vieux films et spectacles télévisés sont confrontés aux mêmes problèmes : personne en réalité ne possède les droits pour les montrer sur Internet.

L’obstacle final est philosophique : le besoin de contrôle. Une véritable bibliothèque universelle nécessiterait un changement fondamental de la vision qu’ont les grandes sociétés du divertissement de leurs clients. Tous les verrous numériques dont discutent les sociétés ne permettraient pas aux consommateurs d’altérer ou de partager le matériel médiatique. Elles pourraient même vous empêcher de conserver votre propre copie. D’après Andrew Setos, vice-président du département technique de la Fox, dans un monde de médias transportables, chaque transfert d’un film d’un matériel à un autre devrait voir la disparition du film dans le matériel initial.

De nombreux utilisateurs vont se rebeller à l’idée d’un tel système. D’un côté, nous verrons des services légaux, définis, et limités qui fracasseront notre idée de la propriété actuelle, la propriété permanente, la possibilité de prêter à d’autres, le droit de revendre plus tard – beaucoup de ces traditions disparaîtront. En partie en réaction à cela, nous verrons l’apparition d’une grande bibliothèque de médias underground, spécialisée dans la culture hors la loi. La bibliothèque du Darknet – déjà bien en route – ne sera pas gérée comme un commerce, mais comme un service libre et décentralisé, nourri par et nourrissant des millions d’individus. À l’intérieur du Darknet, on pourra trouver des médias numérisés non accessibles par les réseaux traditionnels. Les gens pourront utiliser, adapter, réinventer et partager des médias avec qui et où ils veulent. Chaque chambre aura chaque film jamais réalisé dans chaque langage, n’importe quand, jour et nuit. Et sans menottes digitales en vue.

Le Darknet est un concept relativement nouveau. Ce terme fut pour la première fois utilisée de façon officielle en novembre 2002 dans un article scientifique publié par quatre chercheurs, employés par Microsoft, lors d’une conférence informatique.41 Les chercheurs ont défini le Darknet comme « une collection de réseaux de technologie utilisés pour partager des contenus digitaux. » Mais il s’agit de langage technique. Ils se référaient en réalité à cet immense rassemblement, à cette vaste économie, sans lois, de partage de musique, de

Page 41: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

films, de jeux, de programmes télévisés, et de pornographie – une bibliothèque libre qui pourra rivaliser avec tous les produits et services offerts par les grandes sociétés des médias. La conclusion de ces chercheurs était que les grandes sociétés des médias devaient utiliser les contrôles de contenus de façon judicieuse parce que les utilisateurs n’apprécient pas les verrous digitaux, et que quelqu’un saura les ouvrir à fin de communiquer le contenu au Darknet. La meilleure façon pour les sociétés de combattre le piratage du Darknet est d’offrir des services et des produits abordables, pratiques, et attractifs. En d’autres mots, la meilleure protection contre les copies est un bon modèle de marché.

Peu de temps après, la presse a commencé à employer ce terme et à utiliser d’autres définitions. Le New York Times a, par exemple, décrit les Darknets comme des cyberclubs privés requérant un code d’accès pour y pénétrer. Au même moment, les libraires ont utilisé les expressions Darknet, Dark Web et Invisible Web en référence à des informations telles que des livres et des périodiques situés dans des bases de données inaccessibles par les réseaux habituels de moteurs de recherche. D’autres encore se réfèrent au Darknet comme au monde du cyber crime, des terroristes informatiques, des spammers, et d’autres figures de l’underground qui utilisent Internet pour contourner la loi.

Dans cet ouvrage, j’utilise le terme Darknet pour me référer au réseau de personnes qui s’appuient sur des espaces sociaux fermés – des refuges dans le monde virtuel et dans le monde réel où il y a peu, ou pas, de peur de se faire repérer – pour partager des matériaux numériques sous droits d’auteur ou pour échapper aux restrictions, sur le média digital, imposées par les grandes sociétés. Le Darknet se réfère à tous ces réseaux de façon collective. Pour la plupart, le Darknet n’est que la partie underground d’Internet. Mais il y a de nombreux Darknets : les millions d’utilisateurs qui échangent des fichiers dans les réseaux de l’Usenet et des sites de Chat ; les étudiants qui envoient des chansons et des programmes télés à leurs amis en utilisant leur messagerie instantanée, et tous les endroits où les gens copient, gravent, et partagent des médias physiques tels que les CDs ; ainsi que cette nouvelle espèce de réseaux cryptés tels que Freenet que j’évoque dans le chapitre 12. (Kazaa, Grokster, BitTorrent, et d’autres réseaux officiels ne pourront se réclamer du Darknet tant qu’ils n’offriront pas, à leurs utilisateurs, l’anonymat. La police des droits d’auteur clame que personne n’est anonyme sur Internet, mais c’est un écran de fumée.) Darknet peut sembler sinistre, mais ses racines plongent dans les années 1960 et 1970 lorsque les gens ont commencé à copier leurs cassettes, lors du développement de l’ordinateur à domicile en 1980, lorsque les gens s’échangeaient librement des programmes sur des disquettes, une activité alors appelée «sneakernet». Les chercheurs de Microsoft considèrent Darknet comme appartenant à la même tradition : le partage du contenu dans un groupe social. Ces réseaux du Darknet peuvent être basés sur un simple partage de fichiers, des copies de films, ou l’utilisation de programmes d’application ou de serveurs : par exemple un client d’un service de messagerie instantanée sera tenté de partager avec les membres de sa liste de contact. Chaque étudiant sera un membre d’autres réseaux Darknets : sa famille, différents groupes d’intérêt, des amis d’école, et des collègues.

Le Darknet est moins un endroit ou une chose qu’une idée. À un niveau basique, le Darknet permet de récupérer du matériel gratuitement. À un niveau plus profond, il s’agit de millions de gens engagés dans une expérience de partage de médias, et trouvant une façon clandestine de contourner les restrictions imposées par l’industrie des médias. Il est certain que la plupart des contenus du Darknet sont illégaux. Il est clair que la plupart des activités underground sont douteuses du point de vue éthique, ou même, tout à fait mauvaises. Mais la plupart de ces choses sont compréhensibles, tandis que les gens cherchent une façon de rétablir l’équilibre dans un système qui s’oppose à la culture digitale. Mon intention n’est pas

Page 42: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

de présenter le Darknet de façon glamour ou de le condamner, mais simplement de l’expliquer et d’aider à le comprendre. Des millions de personnes arpentent Darknet chaque jour. Ses participants les plus actifs font partie des cyber-communistes de Pollack et de la frange des « Non » de Lessig.

À quoi le Darknet ressemblera demain ? Au final, ses dimensions seront définies par les actions des grandes sociétés du divertissement et par les légistes. Si la technologie ou la loi empêche les gens d’être capables de contrôler leur propre expérience des médias, ils ne retourneront pas dans le rôle de consommateurs passifs. À la place, ils commenceront leur voyage dans l’underground. Le Darknet pourrait bien devenir le dernier refuge des combattants de la liberté numérique.

Page 43: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Chapitre 3: Une plongée dans les bas­fonds du monde du cinéma 

Bruce Forest se balance dans sa chaise, riant convulsivement de l’amateur qui voulait

jouer aux pirates de cinéma. Berçant son clavier, il envoie une autre pique cinglante à ses camarades informaticiens au sujet de cet infortuné personnage qui vient d’être arrêté pour avoir ruiné l’été du studio Universal pictures. Deux semaines avant que le film Hulk ne sorte au cinéma en juin 2003, cette oeuvre ayant coûté 150 millions de dollars, a connu une sortie prématurée dans le cyberespace. Universal avait envoyé une cassette VHS contenant une version inachevée du film à une agence publicitaire new-yorkaise, où un employé a prêté la cassette à un ami, un courtier en assurances âgé de 24 ans, qui a numérisé la cassette et l’a envoyé dans un des réseaux illégaux d’échanges de films sur Internet (Darknet). Cependant, les filigranes parfaitement visibles contenant les étiquettes virtuelles de sécurité du studio, qui identifiaient parfaitement ses origines, ont gâché ce qui aurait dû être son exploit. L’homme finit par plaider coupable d’une infraction au droit d’auteur et fut condamné à six mois de résidence surveillée et trois ans de mise à l’épreuve.

Sous quelque lumière que vous l’éclairiez, cette affaire ressemble à une « Hulkesque » tragi-comédie d’erreurs. Lorsque cet ouvrage terne – auquel manquaient les effets spéciaux et qui avait une bande-son incomplète – fut diffusé en ligne, la rumeur se répandit vite parmi les ardents fans du héros de comics vert aux sérieux problèmes de self control. Après une première semaine fracassante, le film s’effondra bientôt au box-office. Cette première tentative du pirate novice sur l’océan d’Internet fut tout aussi courte. « Ses empreintes se retrouvaient partout, se moque Forest. C’était comme s’il avait cambriolé une banque et donné sa carte d’identité au caissier. L’inspecteur Clouseau aurait pu l’identifier. »1

Le Darknet n’est pas un endroit pour les amateurs. Forest le sait. C’est un membre d’un des six plus grands groupes de piratage de films. C’est aussi un opérateur sur le relais de discussions Internet pour 40 circuits de piratage. Il est, sous de nombreux aspects, l’expression ultime du renégat numérique, le genre de personne dont le mépris des droits d’auteur, et l’attitude négligente vis-à-vis de la loi donnent des sueurs froides aux géants des studios cinématographiques et aux dirigeants des sociétés d’enregistrement.À une exception près : il est payé pour commettre ce piratage par une grande société des médias. Il travaille en effet pour les deux côtés la barrière. Les groupes illégaux de piratage informatique ne savent pas qu’il est un consultant à temps plein pour le Goliath du divertissement global – il serait très mauvais pour Forest (son vrai nom) que son identité virtuelle soit révélée. En retour, les grandes sociétés bénéficiaires de ses conseils l’autorisent à arpenter les océans du piratage informatique comme un glorieux capitaine corsaire – échangeant des films et des musiques, se construisant une réputation dans les recoins les plus sombres du Darknet – une façon comme une autre d’infiltrer et de garder un oeil sur les réseaux d’échanges illégaux.

« Je suppose que cela fait de moi un véritable agent double », affirme Forest. Habillé d’un gilet, d’une chemise confortable et de chaussettes de coton beige, il étire son mètre 80, pose ses pieds non chaussés sur son bureau et se recoiffe négligemment du bout des doigts, tandis qu’un diamant de près d’un carat reflète la lueur des écrans d’ordinateurs qui nous entourent. « Je mène somme toute une double vie très confortable. »Forest, âgé d’une

Page 44: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

quarantaine d’années, est devenu les yeux et les oreilles d’une industrie qui se déchaîne afin de s’assurer qu’Hollywood ne souffre pas du même destin que l’industrie musicale. Depuis la création de Napster, des dizaines de millions de personnes se sont joints au pillage de masse des denrées numériques menaçant de transformer l’industrie musicale en une Carthage d’aujourd’hui. Pour beaucoup de membres de la génération numérique, la musique est aussi libre et gratuite que l’air que nous respirons.

La gratuité n’est pas la base idéale pour un marché robuste. Les directeurs de studios craignent que ce soit l’industrie du cinéma qui soit le prochain domino médiatique à tomber. Tandis que les connexions Internet sont de plus en plus rapides, les disques durs des ordinateurs de plus en plus puissants, et que les technologies de compression s’améliorent, les films sont destinés à devenir la prochaine cible principale dans la guerre du partage de fichiers.

« Nous devons nous tracer une ligne morale de conduite, et rejeter la notion qu’il est parfaitement acceptable de voler et piller, affirme M. Valenti de la MPAA.On ne veut pas permettre au vol numérique de mettre en pièces l’entreprise la plus extraordinaire d’Amérique, l’industrie du divertissement et du spectacle. » Cette bataille sur le piratage des films risque d’être encore plus impitoyable, acharnée et féroce que celle qui se joue dans le monde de la musique, au vu de la formidable puissance d’Hollywood sur le Congrès et sa présence dans quasiment chaque aspect de notre culture dominée par les célébrités. Bien que personne n’ait encore pu faire un lien entre le partage de dossiers de films et une baisse de revenus dans les cinémas ou chez les loueurs de vidéocassettes, Hollywood s’inquiète. Forrester Research estime qu’un adolescent sur cinq a déjà illégalement téléchargé un film. D’après ce qu’affirment les dirigeants des studios, lors d’un témoignage au Congrès, entre 400 000 et 600 000 films sont illégalement échangés en ligne chaque jour. (Cette estimation est intentionnellement surélevée, mais il est clair que l’échange de films est à la hausse, bien qu’à des niveaux toujours contrôlables.)2 D’après l’institut de recherche BigChampagne, près de 17 millions de fichiers pirates de films se retrouvent sur Internet.

Tout cela nous ramène à Forest, qui semble disponible – comme un véritable Forrest Gump – à chaque fois que les films et le piratage sur Internet se rencontrent. C’est Forest qui a pu estimer pour Hollywood les niveaux de piratage de films, un chiffre qu’il a obtenu, après avoir arpenté les recoins les plus sombres d’Internet, lors d’une semaine de sortie importante de films en mai 2002 – cette même semaine où CNN a effectué un reportage sur une silhouette anonyme téléchargeant l’épisode deux de Star Wars : l’attaque des clones. (Ce maraudeur masqué était bien évidemment Forest.) Lorsque cinq des principaux studios hollywoodiens ont dévoilé Movielink, leur service de location de films sur Internet, présenté comme une alternative au piratage, Forest en était l’un de ses principaux architectes, et il possède des droits sur cette technologie. Forest vient de dévoiler un nouveau modèle de travail pour la distribution numérique de films et de musiques (plus d’informations sur ce sujet plus tard). Lorsque j’ai cherché à rencontrer les dirigeants des réseaux illégaux d’échange sur Internet, c’est Forest qui a permis le succès de ces interviews.

« Ça m’a pris des années pour construire cette confiance et ce respect avec mes pairs. » Affirme-t-il dans ce discours rapide et aisé qu’il a développé lors de son enfance dans les rues de Forest Hills, dans le Queens. « Il ne suffit pas de se présenter sur un réseau et de dire, salut, je suis un petit nouveau et je voudrais certains de vos films. Ils vont d’abord se moquer de vous, et après ils vont vous bannir. C’est une justice de poste frontière. Vous devez gagner votre passage en leur offrant quelque chose de valeur, sous la forme de talent d’encodage, ou d’accès à votre meilleur matériel. »

Page 45: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Forest reconnaît qu’en 1997, alors qu’il creusait son chemin dans les hauteurs de la hiérarchie du piratage, il a rejoint son premier groupe de distribution – des assemblées de personnes travaillant secrètement en équipe pour distribuer illégalement des outils numériques sur le Darknet. Il a commencé en temps que « serveur », une position médiocre qu’il compare de façon sardonique à un homme de main de la mafia. Le serveur est celui qui court le plus de risques de poursuites judiciaires parce qu’il est celui qui distribue des dossiers et des films sur une adresse Internet ouverte. Un tel travail de tenancier permet souvent un avancement rapide dans les échelons et sur la scène – le nom utilisé par ceux qui récupèrent et échangent de façon active des films. (De façon non surprenante, personne sur scène n’utilise le terme pirate, ou ne lance l’occasionnel « Hisse et ho ! »)

Forest ne sert plus, ayant échangé sa familiarité avec la scène contre une lucrative activité de consultant. Il me répète souvent qu’il ne fait rien d’illégal. Cependant, pour prouver ses compétences, et maintenir la confiance de ses pairs qu’il a gagnée dans les bas-fonds, Forest partage avec quelques-uns d’entre eux le mot de passe de son serveur privé, une cache secrète de richesses numériques accessibles uniquement sur invitation. Lorsque je m’y arrête plus tard, je peux voir un coffre au trésor de matériel sous droits d’auteur : des milliers de chansons, de clips vidéo, de films, d’émissions de télévision (incluant tous les épisodes des Simpsons), des jeux vidéo pour l’Xbox de Microsoft, et des programmes informatiques qui remplissent plus de deux teraoctets d’espace sur ses disques durs en ligne. (Pour vous donner une comparaison, l’intégralité de la Grande bibliothèque du Congrès n’est que dix fois plus grande. L’intégralité des informations présentes sur son site pourrait remplir 1,4 million de disquettes.) Sa cachette en ligne inclus le top cent de chacune des chansons de ces 43 dernières années ainsi que des films tels que Spiderman, Gladiator, Gangs of New York, Le Parrain 2, et Austin Powers.

Prenez ce que vous voulez, c’est lui qui offre. Des étudiants de faculté ayant créé des réseaux similaires d’échange de dossiers ont été poursuivis pour moins que ça, mais Forest ne craint pas la police des droits d’auteur. Lorsqu’il a négocié son contrat, il a insisté sur une clause d’indemnités, une réserve qui le protège et lui permet de télécharger des films piratés appartenant à des grandes sociétés cinématographiques sans être poursuivi. Il est aussi consultant pour l’industrie musicale, et a été indemnisé par la RIAA (Association Américaine de l’Industrie Musicale.) Il peut être un espion, mais ce n’est pas une balance, et il prend grand soin de faire comprendre qu’il ne dénoncera personne de la scène.

Ces rencontres se sont passées sous différentes identités. Il en maintient plusieurs, d’un serveur débutant à un puissant et pétulant dirigeant, sur différents canaux IRC, afin de continuer à étendre sa sphère de contact. « Je possède différentes identités sur chaque canal, je dois donc être extrêmement consciencieux pour ne pas faire sauter ma couverture. » Forest – dont le travail se centre principalement sur le piratage de films mais qui couvre aussi les échanges de fichiers de spectacles télévisés, musique, ou jeu vidéo – écrit un rapport de 200 pages toutes les deux semaines, pour son client corporatiste, dans lequel il souligne ses dernières trouvailles, établit des grilles sur les films les plus piratés, et suggère des stratégies pour protéger la propriété intellectuelle de la société du mieux possible. Il a accepté de partager le meilleur de ce qu’il a observé pendant ces trois années où il a infiltré les plus sombres recoins du monde du piratage en échange de la promesse de protéger ses identités en ligne et une affirmation officielle que le point de vue personnel de Forest ne représentent pas ceux de la société qui l’emploie. Les groupes de distribution et la scène ont reçu peu d’attention de la presse pour une simple raison : aucun participant ne veut en parler.

Page 46: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

La publicité attire toujours l’attention de la loi. Mais Forest, tranquillement protégé, n’a pas autant d’a priori. Ceci est la première fois qu’un étranger au réseau est emmené visiter les terres sauvages du piratage informatique.

Forest commence chaque matin avec un expresso, dans son bureau. Il s’agit de son domicile, un ranch dans la banlieue du Connecticut sur un domaine d’une cinquantaine d’hectares situé à plus de 60 km au nord-est de Manhattan, que lui et sa famille partagent avec des daims, des cerfs, des coyotes, des renards et un troupeau de pintades qui sert principalement à contrôler la quantité de tiques présentes sur le domaine. Cette petite ville bucolique de 10 000 habitants a compté Robert Redford, Christopher Walken, Erica Jong et Keith Richards des Rolling Stones parmi ses résidents. Après que je suis arrivé chez lui sous une pluie battante, Forest me prépare une tasse de thé. Dépassant son salon rempli de richesses du multimédia, nous nous rendons dans son domaine souterrain, une caverne électrique où le seul son est le ronronnement des petits ventilateurs qui refroidissent les unités centrales des 13 ordinateurs, Linux et Macintosh.

Il s’enfonce dans une vieille chaise de bureau et contemple des rouleaux de textes techniques défiler le long de ses écrans. Il restera dans ce centre de commandement high tech jusqu’à cinq heures du matin. Quatre grappe de modems le relient au monde extérieur – une installation qui, selon lui, cumule plus de bande passante que certains gratte-ciel de Manhattan. Sur sa station de travail voisine, trois écrans permettent de traquer sa propre armée de programmes automatisés et de traceurs qui parcourent les bas-fonds de l’Internet, à la recherche des échanges de fichiers. Il passe de machines en machines, consultant alternativement ses mails, contrôlant les activités d’échanges de fichiers, et disputant Cookie, son chiot pitbull surexcité qui déchire mon magazine et boit dans ma tasse de thé. « Ce chien a besoin d’un valium », affirme-t-il en rigolant.En mesure de précaution supplémentaire, Forest utilise toujours un « rebond » pour dissimuler la localisation de son ordinateur. Plutôt que de se connecter à des canaux pirates de son domicile, ce qui révélerait l’adresse Internet unique de son ordinateur et sa localisation physique approximative, il se connecte dans un compte coquille à travers un ordinateur situé aux Caraïbes. Si quelqu’un essayait de tracer sa localisation, celle-ci suggèrerait qu’il se situe quelque part au sud de Saint-Barthélemy en train de siroter des mojitos.

Mon bloc-notes est rempli de questions, mais nous n’arrivons à répondre à aucune d’entre elles pendant une journée complète de démonstration puisque je ne cesse de m’émerveiller des découvertes que je fais, chacune d’entre elles en dévoilant une autre qui m’envoie dans une direction annexe. Forest a un passé assez curieux de producteur musical – il a mixé plus de 1000 bandes musicales et 24 albums de platine pour des artistes tels que Madonna, Whitney Houston, Elton John, Bruce Springsteen, Lou Reed, ou Robert Palmer parmi d’autres – mais il parle rarement maintenant de cette vie passée. C’est lorsqu’il est immergé dans le Darknet qu’il semble le plus à l’aise. La plupart des gens associent l’Internet à ce terrain de jeu du World Wide Web, mais des millions d’autres – des intellectuels, des lycéens et étudiants, des pirates purs et durs – naviguent vers d’autres ports sur la toile. Le Darknet est l’équivalent pour le cyberespace du monde d’Al Capone, une frontière dépourvue de loi et d’éthique résistant même aux légions des juristes de l’industrie. C’est là, dans le Darknet, que les batailles les plus épiques sur la protection des copies et le partage de fichiers seront menées.

Aujourd’hui, Forest m’a arrangé un entretien avec deux figures dirigeantes des bas-fonds d’Internet. Les règles de base sont simples. Les entretiens se feront par le programme d’Apple, iChat, qui permet aux participants de taper des messages sur l’écran de leur interlocuteur. Cette connexion est indétectable, grâce au « rebond » qu’ils ont installé. Je peux leur demander ce que je veux pendant ces deux sessions de dialogue séparées. Ils

Page 47: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

peuvent me voir à travers une Webcam, mais je ne peux les voir. « Ils veulent s’assurer que vous ne portez pas un uniforme », explique Forest, qui ne plaisante qu’à moitié.3

Le premier personnage des bas fonds que je rencontre se présente sous le nom de beneaththecobweb. Forest, qui le connaît depuis cinq ans, explique qu’il est membre de neuf groupes de distribution et qu’il en dirige six d’entre eux. En tant que tel, il est l’un des plus hauts membres de la scène. Forest le décrit comme un jeune homme âgé d’une petite trentaine d’années habitant un des états de l’Ouest. Beneaththecobweb me dira seulement qu’il est un citoyen américain travaillant temporairement en tant qu’administrateur de réseau dans l’ouest de l’Europe. « La chose la plus étonnante sur la scène, c’est qu’elle représente le cercle le plus interne... Un endroit où les gens de dizaines de différents pays peuvent se connecter, et travailler pour un but commun. » Le seul but de la scène est de donner à tous les gens, quels que soient leur classe sociale ou leur budget, un accès égal aux meilleurs musiques et films, m’explique-t-il. En retour, Hollywood et l’industrie de la musique devront « s’adapter à ce changement d’époque. »

Le second de ces personnages se fait appeler Ninja. Forest me dit que c’est un lycéen de Long Island et un pirate Internet de haute volée, qui a quitté la scène après avoir dirigé trois groupes de distribution de films et un de musique. Ninja explique qu’il a été attiré par la scène parce que : « J’avais accès aux films quelques jours seulement après leur sortie cinéma. » Lui aussi croit qu’Hollywood et les maisons de disques ont refusé d’embrasser leur destinée sur Internet. Pendant les trois heures suivantes, j’échange des messages avec ces deux personnes sur les mécanismes d’opération de la scène pendant que Forest se charge des commentaires.

Lorsque des copies de films tels que Le Monde de Nemo, Terminator 3, ou d’autres longs-métrages apparaissent sur Internet des jours, voire même des semaines avant leur sortie au cinéma, il est quasiment certain que c’est un groupe de distribution de films qui en est responsable. Bien que les premiers groupes soient apparus en 1997, la scène a vraiment connu son grand départ fin octobre 1999, lorsqu’un adolescent de 15 ans de Norvège a écrit quelques lignes de code qui permettaient facilement de prélever un film hollywoodien de son DVD protégé contre les copies. Un groupe de distribution typique, portant des noms tels que Flair, Esoteric, ou Opium,se compose en moyenne de 15 personnes. Aujourd’hui, il y a une quantité estimée de 140 groupes de distribution de films dans le monde, alors qu’il n’y en avait que 32 en 2002. D’autres groupes de distribution se focalisent sur les jeux, les programmes, les émissions de télévision, voire même les livres virtuels. Selon beneaththecobweb, distribuer un film sur Internet peut se résumer à un processus similaire à celui d’une ligne d’assemblage d’usine. Bien que le décryptage, l’encodage, et la distribution d’un simple film puissent être faits par une seule personne, la tâche est suffisamment ardue pour qu’il soit plus sensé de la partager à travers une équipe de spécialistes. Et c’est ainsi que l’industrie maison des bas-fonds d’Internet est née. Pour entamer ce processus, les groupes de distribution obtiennent généralement les films d’une source surprenante : les initiés d’Hollywood. Une étude publiée en septembre 2003 par AT&T Labs a montré que 77 % des films illégaux trouvés sur les réseaux de partage d’Internet viennent de personnes associées à l’industrie du film.

Les films apparaissent sur les réseaux de piratage de différentes façons. Parmi les plus précieuses, la copie obtenue pendant la post-production d’un film, lorsque le tournage est terminé et que des centaines d’employés ont accès au film pour ajuster les couleurs et les sons, ajouter les effets spéciaux, préparer les extraits et ajouter toutes les petites touches finales. Tout aussi tentantes pour les groupes de distribution, les « screeners », distribués en DVD à de petits groupes de visionnages avant même la sortie au cinéma. De même, les usines de production de DVD sont une véritable mine d’or, jetant des milliers de DVDs,

Page 48: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

contenant quelques légères fautes, des mois avant la sortie officielle du film. De même, un employé de cinéma peut tout simplement installer un caméscope dans la salle de projection afin de numériser le film de sa sortie au cinéma, ce processus s’appelle un « telesync ». Plus couramment, c’est un client qui à l’aide de son caméscope enregistre depuis la salle, même si la qualité médiocre de ces copies, ou « screen cams », peut comporter des tressaillements d’images, voire même tout ou une partie du crâne de la personne devant notre film. Cependant la qualité audio peut être excellente; les pirates obtiennent une excellente qualité de son en utilisant le matériel destiné aux malentendants. (Il n’y a pas longtemps, la police de Los Angeles a arrêté deux jeunes de 18 ans dans un cinéma alors qu’ils tentaient d’enregistrer le film Star Trek : Nemesis et un jeune homme de 28 ans qui enregistrait La Passion du Christ.) Les studios de cinéma ont tenté ces derniers temps de combattre ces « screens cams » en armant les employés de cinéma avec des détecteurs de métaux et des lunettes de vision nocturne à fin de capturer les opérateurs vidéo en flagrant délit.

Un autre lien dans cette chaîne est l’employé du magasin de vidéo qui a accès au DVD après la sortie au cinéma mais quelques jours avant son accès au public. Suivons la trajectoire typique d’un titre à travers les bas-fonds du cinéma sur Internet. Tout commence par un fournisseur, généralement quelqu’un qui travaille dans un studio de production, une usine de DVD, un magasin de vidéo, ou bien une organisation quelconque avec des liens dans l’industrie du cinéma. Le fournisseur permet l’accès à un film non encore distribué ou très récemment distribué – par exemple, un DVD inédit de Mission : Impossible 3 – à un contact dans un groupe de distribution ou un site de dépôt. Étape suivante, le fichier est transporté le plus rapidement possible à une personne capable de craquer l’encodage, que ce soit en envoyant le DVD par FEDEX ou en permettant au pirate de se saisir du fichier sur son ordinateur à travers une connexion virtuelle privée. La tâche du pirate est alors de copier les dossiers vidéo et audio du film et d’en supprimer toutes les protections anti-copie. Ensuite, lui ou un encodeur supprime toutes les marques identifiant le studio et permettant de traquer ces copies avant de le comprimer et d’optimiser les fichiers vidéo dans des formats convenant au téléchargement et au visionnage sur un écran d’ordinateur ou de télévision. Ensuite un distributeur place un fichier sur un des 30 topsites –l’équivalent virtuel d’un coffre-fort ultra sécurisé. De là, des courriers automatisés transfèrent le fichier à un site moins sécurisé ou à un serveur de distribution à grande vitesse (un ordinateur configuré pour partager les fichiers.) Les membres de ces organisations, des programmeurs talentueux qui sont souvent connus pour être des spécialistes universitaires ou de corporations des réseaux, ont accès à des ordinateurs extrêmement puissants possédant des connexions Internet ultrarapides. « Les courriers sont les mules de la chaîne de distribution », explique Forest. Les derniers maillons de cette chaîne sont les opérateurs de canaux, qui annoncent la disponibilité du film sur les canaux IRC individuels comme des chalands sur un marché aux poissons, déclenchant une véritable frénésie. (On estime à 15 000 les canaux ICR exclusivement consacrés au piratage.) Le processus au complet prend deux à trois jours – avec des informations qui souvent traversent les frontières. « C’est l’équilibre entre les Européens, les Américains, et les Asiatiques qui permet de travailler entre ces différents fuseaux horaires. » Affirme Ninja. Forest ajoute : « Je connais un groupe de distribution qui a un encodeur belge, des décrypteurs américains, des distributeurs asiatiques, et des administrateurs canadiens. »

Tout cela arrive d’une façon plutôt détendue, avec des individus qui travaillent de façon indépendante – généralement très tard dans la nuit – dans des chambres closes, des dortoirs de collège, et des bureaux plutôt que dans un seul endroit localisé. « Très peu de membres ont rencontré les autres en personne » note beneaththecobweb. Pendant toutes ces opérations, les administrateurs aident au bon déroulement, achetant le matériel, la bande

Page 49: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

passante, ou les comptes fantômes sur les ordinateurs qui distribuent le film. Un ou deux dirigeants de groupe organisent l’intégralité de cette entreprise. Et il y a les donateurs, généralement partisans, des bénéficiaires plus âgés qui donnent de l’équipement, de la bande passante, des facilités, ou des fonds à un groupe distribution en échange d’une appartenance, du respect de la communauté, et d’accès au trésor du groupe dans un « leech site ». Forest est un de ses donateurs, ayant fourni des ordinateurs et des caméscopes à différents groupes de distribution sur ses fonds propres. Forest, qui possède sûrement une paire de couilles en silicone, déduit toutes ces donations de sa déclaration de revenus, expliquant : « J’ai un comptable honnête. Il m’a dit que je pouvais déduire cela de mes taxes en tant que dépense légitime de travail. »

Certains groupes se spécialisent uniquement dans le craquage où l’encodage tandis que d’autres distribuent le titre, et d’autres encore s’occupent de tous les aspects de distribution. Une fois distribuée, un titre se répand parmi les nouveaux groupes de Usenet (allez sur Google, cliquez sur Groupe, et vous y êtes) et sur le partage de fichiers d’Internet. La meilleure façon de décrire le réseau de piratage informatique peut être de le comparer à une pyramide inversée, avec quelques milliers de membres de l’élite des groupes de distribution au sommet ; un groupe un peu plus grand de 50 000 à 200 000 utilisateurs qui opèrent sur des serveurs à la fois public et privé; à peu près 3,5 millions de personnes qui s’y connaissent en informatique, échangent des fichiers sur les canaux ICR, les sites publics FTP et les groupes de nouveautés; et pour finir les centaines de millions de gens à travers le monde – à peu près 60 millions aux Etats-Unis – qui utilisent les réseaux peer-to-peer tels que Kazaa, eDonkey et iMesh. Lorsqu’un film ou une chanson atteint la base de cette pyramide, il peut avoir un virus, ou cela peut être un fichier fantôme. Mais le matériel en haut de la pyramide, c’est de l’or.

Tout en haut de cette pyramide du piratage se trouvent les aventuriers du net, ceux qui vivent pour le frisson de la quête, les petits génies de la technologie (c’est encore une technologie principalement masculine) qui semblent tous partager ce manque de respect de l’autorité, cette attitude crâneuse de conviction profonde que, comme le dit beneaththecobweb : « Tout devrait être disponible sur Internet. » Forest décrit la plupart des membres des groupes de distribution de cette façon : « La plupart d’entre eux sont des garçons entre 15 et 25 ans. Un tiers d’entre eux sont des étudiants de faculté, un autre tiers sont de jeunes diplômés vivants dans des appartements miteux équipés d’une connexion haut débit, et le troisième tiers est constitué d’intellos ayant fait carrière dans ce secteur – typiquement un jeune administrateur de réseau sous-payé travaillant pour une corporation ou une université. Mais je connais un homme âgé de plus de 60 ans qui fait ça, et un gamin de treize ans qui est l’un des meilleurs encodeurs que j’ai jamais vus. Sur les canaux ICR vous voyez beaucoup de discussions d’adolescents, avec des gamins qui parlent des filles et de taille de soutien-gorge, mais lorsqu’ils commencent à parler de technologie, on croirait entendre Stéphen Hawking. »

Ce qui motive ces anarchistes du numérique est moins un mouvement politique ou une cause philosophique, qu’un désir profond d’appartenir à une fraternité secrète, interdite, et passionnante. Et, bien que maltraiter le Goliath d’Hollywood soit satisfaisant, à son niveau le plus basique la scène est une compétition sportive où des egos surdimensionnés s’opposent et s’affrontent. Celui qui bat l’équipe opposée gagne le prix – et le droit de s’en vanter. « Ça devient une course entre les groupes à qui pourra distribuer le film en premier, pour le prestige de la scène », explique Ninja. « C’est une question de statut », confirme Forest. Tandis que certains groupes de distribution n’aspirent qu’à être les plus rapides dans la distribution d’un titre, d’autres groupes tentent de produire la meilleure qualité numérique possible. Deux groupes possèdent la réputation de fournir la meilleure qualité possible :

Page 50: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Centropy, connu pour ses distribution de haute qualité, et VCD Vault, qui s’est donné pour mission de convertir les grands classiques du film des années 1940 à 1970 dans des formats numériques téléchargeables.

D’après Forest, il y a un effort concerté pour rendre disponibles au public tous les films qui ont été tournés, faisant paraître ce projet comme le plan de travail d’une start-up sur Internet. Cette mission a même un nom de code, le Projet Netflix, en hommage à la société de commandes sur Internet et son catalogue de 25 000 titres de DVDs. Des dizaines de membres de groupes de distribution ont ouvert un compte Netflix, qui leur permet d’obtenir autant de DVDs qu’ils désirent en un mois. « Je connais des gens qui ont craqué plus de 50 films en un mois avec Netflix », m’apprend Forest. Les membres de ce projet ont converti près de la moitié des titres disponibles sur Netflix. Les membres des groupes de distribution sont tout à fait conscients que leurs activités sont illégales, et ils prennent grand soin de dissimuler leur véritable identité. Mais la plupart des crackeurs de films, comme ils se font parfois appeler, ne se considèrent pas comme des pirates. (« Nous ne sommes pas de petits voleurs intrigants», clame beneaththecobweb), et beaucoup d’entre eux n’expriment que du mépris pour les trafiquants de DVDs et CDs pirates qui ne cherchent qu’à se faire de l’argent. « Essayer de profiter de la scène, qui est une organisation à but non lucratif, c’est ridicule » affirme Ninja, qui a récemment débuté une carrière officielle et légale. Le piratage commercial inclut généralement des fabricants en Asie et en Europe de l’Est qui impriment de grand nombre de CDs, DVDs, ou VCDs (compacts discs vidéo de mauvaise qualité) qui se retrouvent sur les étals des marchands à la sauvette ou dans les boutiques de vidéo de Hong Kong à une fraction de leur prix d’origine.

À l’opposé, le groupe de distribution Centropy a publié cette affirmation sur tous ses piratages de films : « Souvenez-vous : nous faisons cela pour le PLAISIR ! Nous ne nous faisons pas d’argent avec ce système... Les gens qui vendent des copies illégales de films pour le profit n’ont aucune excuse. En fait, nous allons tous au cinéma régulièrement, et nous payons pour nos places comme tout un chacun. Si chaque personne se contentait de regarder des copies illégales, il n’y aurait plus d’argent pour faire de nouveaux films.» De façon similaire, les gens avec qui j’ai discuté sur iChat m’ont affirmé la même chose : ils continuent à aller au cinéma et à acheter les DVDs des films qu’ils ont visionnés sur le Darknet. Beneaththecobweb écrit : « J’ai une collection croissante de DVDs, et je paye pour les films qui valent le coût d’être vus. ». De tels sentiments semblent authentiques. Très peu disputent le fait qu’un grand nombre de fans de cinéma regarde la version téléchargée illégale pour se faire une idée du film avant d’aller le voir sur grand écran ou d’acheter le DVD. Ninja admet ce fait : « La scène peut coûter de l’argent au vrai monde. » Mais il affirme aussi que seuls les films de qualité inférieure souffriront de cet état de fait, alors que les gens continueront à affluer pour regarder les productions de bonne qualité.

Ce qui nous amène à la question à un million de gigaoctets : pourquoi est-ce qu’ils font tous ça, connaissant la sévérité de ce qui les attend s’ils se font appréhender ? Ninja dit que certains membres de la scène sont juste là pour obtenir des films gratuits, tandis que d’autres se construisent une réputation sur le réseau qui leur donne accès à des jeux et à des programmes que seuls « des gens très riches pourraient s’offrir. » Beneaththecobweb, quant à lui, affirme que la camaraderie de la scène est sa propre récompense, et que, de plus, les autorités auraient du mal à attraper l’un d’entre eux à cause des extraordinaires précautions que les membres prennent lors de leurs interactions sur le réseau. « Considérer cela comme de la paranoïa constante serait le prendre à la légère. », souligne-t-il. En effet, il refusera de citer les titres que ses groupes ont distribués, bien qu’il ait

Page 51: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

donné certains indices pour des blockbusters tels que Memento ou Le Seigneur des Anneaux. Forest, qui pilote un catamaran sur l’eau, et une Ford Dodge sur terre (il a déjà survécu à deux accidents graves), propose son point de vue sur l’ambiance de la scène : « C’est ce petit goût de danger qui fait que c’est amusant. Les gens apprécient d’appartenir à une communauté soudée. C’est juste une communauté qui contredit un peu la loi. »

Pour finir, tandis qu’une véritable tempête de pluie menace de noyer mon véhicule dans les forêts du Connecticut, il est temps de partir. « Je suis choqué qu’ils vous en aient dit autant » me confiera Forest. (Pour une copie complète de ces entretiens, allez voir sur Darknet.com) à la fin des discussions, j’ai impression d’avoir fait une expédition anthropologique dans un monde intrigant et étrange. Quelques jours plus tard je mentionne la rencontre avec les pirates du Darknet à Valenti. S’il en avait eu l’occasion, qu’aurait-il dit à un membre de la scène ? Réputé pour ses talents d’orateur, Valenti garde le silence quelques instants. « J’emprunterai les mots du juriste Joseph Welch lorsqu’il s’est adressé au sénateur Joseph McCarthy. «Monsieur, n’avez-vous donc pas honte ?» Je demanderai à ce jeune homme, pourriez-vous entrer dans un magasin de vidéo, en glisser une furtivement sous votre manteau et sortir du magasin comme ça ? Bien sûr que vous ne le feriez pas. Mais vous ne voyez aucun mal à mettre un film dans le disque dur amovible de votre ordinateur et à vous balader avec. Mais vous ne savez pas que c’est mal ? Il pourra tenter de rationaliser, mais il sait que c’est un voleur. » Hollywood attribue une valeur de 3,5 millions de dollars par an à ses pertes mondiales causées par les bonnes vieilles techniques de piratage (les copies pirates susmentionnées de DVDs et de VCDs) ainsi que « d’immenses dommages additionnels» causés par le piratage sur Internet. En vérité il est impossible de chiffrer précisément le coût du piratage sur Internet. Est-ce que les étudiants de la fac, qui téléchargent des films et qui les regardent dans leurs dortoirs, coûtent de l’argent à l’industrie s’ils ne veulent pas payer pour voir les films au cinéma ?

La question n’a probablement rien à voir, selon John G. Malcolm, directeur des opérations mondiales anti-piratages pour le MPAA, qui contrôle le piratage depuis ses bureaux de Hong Kong, Bruxelles, Toronto, et Mexico. Que les grandes firmes cinématographiques le réalisent ou non, le piratage commercial en Asie s’empare des films disponibles sur Internet, les grave, et vend ces copies pirates à travers le monde, affirme-t-il. L’industrie du cinéma s’est emparée de plus de 54 millions de DVDs et cassettes vidéo pirates à travers le monde entier l’année dernière. « Je comprends que les leaders des groupes d’encodage disent qu’ils sont là pour le challenge et pas pour l’argent, mais ils sont très naïfs de penser qu’ils ne sont pas en train de causer des dommages substantiels aux autres industries », ajoute-t-il.4

Parce qu’il est très difficile de donner une valeur à l’échange de titres de films (ou plus correctement, à la copie, l’échangeur n’abandonnant pas sa version), les autorités ne se sont guère intéressées aux violations de droits d’auteur au niveau du peer-to-peer. Le sommet de la pyramide du piratage, les groupes d’échanges de fichiers illégaux, ont périodiquement été la cible du FBI. Les autorités fédérales ont arrêté un groupe «warez» (qui cachait des oeuvres sous droits d’auteur dans des zones secrètes d’Internet) et plus de 30 réseaux de piratage ont été interrompus entre les années 2001 et 2004. À chaque fois, cette opération calme l’activité de la scène pour seulement une courte période avant que les affaires habituelles ne reprennent. D’après Malcolm, « Chaque fois que la loi réussit à supprimer un groupe d’encodages, un autre est déjà présent pour prendre sa place. C’est très étrange. »

Cette exaspération est largement partagée par toute la communauté hollywoodienne. D’après le Los Angeles Times, les directeurs de plusieurs grands studios ont tenu un sommet

Page 52: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

anti-piratage à Hollywood, vers la fin septembre 2003, pendant lequel Valenti a usé de toute son influence pour que de plus fortes mesures technologiques soient utilisées, qui pourraient étrangler le piratage à sa source. Au lieu de cela, les dirigeants de studio demandèrent plutôt à Valenti de commencer le travail de base pour intenter des actions en justice contre les individus qui font le trafic illégal de films sous droits d’auteur. En novembre 2004, deux mois après que Valenti eut renoncé à son poste de dirigeant du MPAA, son successeur, Dan Glickman, annonça son projet de commencer à poursuivre en justice ceux qui partageaient des films sur Internet dès 2005.

L’industrie du cinéma a utilisé une approche carnassière pour lutter contre le piratage : l’innovation (principalement sous la forme des DVDs de nouvelles générations, qui apparaîtront dans les deux prochaines années), la législation, la régulation (sous la forme des nouvelles règles sur la télévision numérique et la diffusion), les poursuites en justice des services de partage de fichiers, et pour finir l’éducation. Valenti s’est exprimé dans plus de 12 universités, plaçant sa campagne de « l’impératif moral » directement dans les dents de l’opposition. Valenti affirme qu’il continuera à appuyer toutes les mesures supplémentaires qui permettront de combattre les pirates pendant qu’il réduit ses responsabilités de tous les jours au MPAA. « Si le piratage sur Internet restait à son niveau actuel, nous pourrions probablement y survivre parce que, même avec une large bande passante, ça prend au moins une heure de télécharger un film. » Mais la technologie n’est pas une chose statique, et donc le temps est l’essence du problème. À l’automne 2004, il visita Caltech, où un technicien de laboratoire téléchargea devant lui un film de qualité DVD en cinq secondes. « Je lui ai demandé quand est-ce que cela serait disponible sur le marché, trois ou quatre ans ? Il m’a répondu, non, avec le financement adéquat cela pourrait être sur le marché dans 18 mois. Honnêtement, je me suis senti pâlir. »

L’industrie du film n’attend pas d’obtenir des balles d’argent pour continuer la lutte, tandis qu’elle continue à poursuivre d’autres mesures moins technologiques pour combattre le piratage. Pour la saison 2002 des récompenses du cinéma, les studios ont envoyé des dizaines de milliers de DVDs, aux membres de l’Académie du cinéma et des arts, ainsi qu’aux critiques de cinéma, aux écrivains et aux acteurs pendant la compétition des Oscars. Des mois avant la sortie en DVD, des copies parfaites de Chicago, Gangs of New York, Arrête-moi si tu peux, ou Meurt un autre jour apparurent sur Internet portant des sous-titres avec la mention « ouvrage d’études.» En tout, 38 des 68 titres concourants furent piratés, incluant les 10 films les plus nominés. « Ce problème échappe à notre contrôle, clame Valenti. Un de mes ami voyageait sur la compagnie aérienne China Airlines, et, sur le film qui était diffusé pendant le vol, apparaissait cette mention. C’était une version pirate qui était diffusée. »

Forest quant à lui pense que toutes les mesures préventives que pourra prendre Hollywood échoueront. Avant l’anecdote des Oscars de 2004, il avait déjà repéré sur le Darknet des oeuvres prometteuses telles que Master and Commander, Retour à Cold Mountain, et bien d’autres. Dans chacun de ces cas, le numéro de série – installé par les studios afin de pouvoir tracer les copies illégales à leur source – avait été effacé numériquement. Forest me demande : « Tu veux voir à quel point c’est facile ? » Il navigue jusqu’à un site illégal et télécharge une version de Kill Bill. En moins de 10 minutes, il l’a téléchargé sur son disque dur et gravé sur DVD. Nous remontons dans la salle multimédia où un régiment d’instruments, un lecteur de DVD, un terminal à disque dur, un magnétoscope, un hub, un routeur, une Xbox et une PlayStation 2 – sont alignés sur une télévision Toshiba écran géant.

« Voilà ce contre quoi se bat Hollywood. » Il glisse le DVD dans le lecteur et quelques

Page 53: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

instants plus tard l’oeuvre de Tarantino sur le thème de la vengeance se déroule à l’écran, avec l’avertissement du FBI supprimé d’une façon quasi chirurgicale. C’est cela, le message que veut faire passer Forest : la piraterie n’est plus seulement le domaine réservé d’intellectuels dissimulés derrière leur clavier. Des Américains moyens téléchargent maintenant des films piratés sur leur disque dur, les gravent sur des DVDs, et les regardent dans leur salon sur un lecteur de DVD de mauvaise qualité. Forest me montre une pile de DVDs, chacun contenant un film piraté : « Regarde ça ! Cette copie pirate de Nemo est l’une des plus belles que j’ai jamais vues ! Pas de mouvements de caméra, très peu de pixelisation, et les couleurs sont magnifiques. Je peux même voir les pastels ! C’est parfaitement incroyable. » Le groupe de distribution, qui a copié ce film dans une salle de cinéma, a utilisé un caméscope numérique valant plus de 10 000 $.

On arrive au moment où le lecteur pourrait dire : « que les couleurs soient magnifiques ou pas, je ne regarderais pas un film piraté. » Pour l’instant, c’est la norme culturelle. Mais, garderiez-vous la même opinion si vous pouviez voir votre voisin le faire ? D’après Forest, cette situation est causée par les studios. « J’habite dans une zone rurale, le cinéma le plus proche est à 30 km. Soyons réalistes, ma femme et moi avons des enfants, des animaux, une maison et des responsabilités. Ce n’est pas facile d’engager une nourrice. Les studios ne fournissent aucune façon légale de voir des films récents chez nous, à moins d’attendre plusieurs mois le pay per view ou d’aller au vidéo-club. Ce n’est pas bien de voler des films, mais le partage de fichiers est le symptôme d’une population qui désire voir sa musique et ses films numériquement, et les studios pourraient en faire un peu plus. »

À Los Angeles, au Sony Pictures Plaza, les dirigeants de Columbia TriStar Home Entertainement affirment qu’Hollywood a déjà modifié ses techniques commerciales pour répondre au piratage sur Internet, qu’ils considèrent comme le problème le plus grave auquel a été confrontée l’industrie de la vidéo à domicile. Le président de cette société, Benjamin S. Feingold, qui a aidé à commercialiser le format DVD à la fin des années 1990, met en valeur le fait que maintenant un film est disponible à la location ou à la vente quatre mois après sa sortie au cinéma, alors qu’il y a encore quelques années il fallait attendre de six mois à un an. Les studios rajoutent à leurs DVDs beaucoup de bonus – entretiens, documentaires, fins alternatives, scènes coupées – qui rendent les produits d’Hollywood beaucoup plus attractifs que les versions pirates. Fiengold m’explique que les studios sont focalisés sur la prochaine génération de DVD, qui sera « une proposition encore plus intéressante » pour le consommateur, tout en lui rappelant que « télécharger des films sur Internet est une activité illégale. »5

Adrian Alperovich, le vice-président de la société, voit un autre sujet d’inquiétude se profiler, en particulier chez les plus jeunes. « J’ai de jeunes nièces qui téléchargent des films sur Internet et qui me disent qu’elles ne vont plus jamais au cinéma. C’est le nouveau truc à la mode – ce qui ne le rend pas légal pour autant. » Feingold rétorque que de telles choses ne peuvent être le facteur décisif de la nouvelle politique d’Hollywood. « On ne prend pas de décisions commerciales relatives au format des DVDs basées sur les taux de piratage, on les prend pour ses véritables clients. » Ce qui permettra la continuité du DVD, dont les ventes représentent maintenant près de 40 % des revenus des studios.

Warren Lieberfarb, l’ancien président de Warner Home Entertainement, considéré comme le père du DVD, dit qu’Hollywood aurait besoin de reconsidérer ses positions. « Je pense que la période de délai entre le cinéma, la vidéo à la demande, et la vidéo a besoin d’être encore raccourcie. Les modèles de travail existant peuvent très bien ne pas pouvoir survivre dans un monde digital et numérique. »

Page 54: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Pendant l’International Consumer Electronics Show de Las Vegas en 2004, le directeur exécutif de RealNetworks, Rob Glazer, a prévenu que les industries du film et de la vidéo devraient faire face à une augmentation massive du piratage sur Internet s’ils ne commençaient pas à offrir des services intéressants sur Internet. « Les industries ne bougent pas assez vite pour supplanter la « Napsterization », pour que la vidéo puisse éviter ce qui est arrivé à la musique, elle devra atteindre cette masse critique de meilleurs services, beaucoup plus vite que maintenant. »6

Même si, comme on dit, à Hollywood ce n’est jamais une question d’argent. C’est tout pour l’argent. Hollywood se refuse à faire des changements sans la certitude que ses bénéfices n’en souffriront pas. Les studios sont amoureux des DVDs, et Feingold affirme qu’en plus des techniques légales de téléchargement en ligne, des projets de DVD haute définition, possédant de meilleures protections anti-copie, sont en cours d’ici un an au plus. « La meilleure indication de notre futur, c’est notre passé. Le marché du pay per view n’a jamais été en mesure de concurrencer le marché des médias préenregistrés. Je ne pense pas que cela changera. »

Forest fait partie de ceux qui aimeraient voir un plus grand effort dans la distribution de films en ligne. Il a déjà prévu une stratégie personnelle pour cette industrie. À la différence des techniciens qui parlent un langage différent de celui des artistes du monde du cinéma et de la musique, Forest a l’avantage d’avoir parcouru cette route. Souvenez-vous de son passé. Anciennement DJ au Better Days, un club underground new-yorkais, il est ensuite devenu producteur de disques à Londres, il habitait l’ancienne maison de Boy Georges. Pendant six ans, il a produit des albums qui se sont vendus au total à plus de 40 millionsd’exemplaires. Il a mixé plus d’une douzaine de titres pour Elton John et a coécrit la chanson Understanding Women. À peu près à la même époque, il a remixé ou produit deux douzaines de chansons pour Boy Georges, il a remixé Roll With It de Steve Winwood, et a créé un remix rare des Bee Gees You should be dancing. Lorsqu’il a épousé sa femme, Mitzi, d’origine anglaise, à Londres en 1991, leur première danse se fit sur un enregistrement créé pour eux par Elton John au piano et chanté par Boy Gorges. Forest dépoussière son album photos de mariage et me montre une photo avec son témoin, Shep Bettibone (le producteur de Madonna qui a écrit Vogue), David Morales (producteur de Mariah Carey), et David Cole (le clavier du groupe C+C Music Factory, qu’il avait découvert pendant ses jours de DJ). Après plusieurs autres années dans le monde de la musique, il en eut assez de cet aspect de son travail et commença à formuler des idées pour changer le modèle de distribution du média numérique.

Forest reconnaît que son nouveau modèle de travail ne sera pas la réponse au piratage, mais il pourrait fournir une solution partielle. Il a soumis cette idée à un nouveau groupe privé, le Jun Group, qu’il a fondé avec trois autres partenaires. Leur projet, tout à fait officiel, est basé sur une théorie simple : « Le problème avec les industries de la musique et du cinéma est que leur atout ayant le plus de valeur est aussi le plus fragile et le plus vulnérable. La distribution doit donc changer. » Grâce à ce stratagème, au lieu de combattre les services de partage de fichiers, les musiciens s’accorderaient avec les Kazaas du monde entier en tant que système gratuit de promotion en ligne et de distribution pour un public de millions de personnes. Les groupes pourraient contourner les maisons de disque entièrement en faveur d’un sponsor, qui souscrirait les droits d’enregistrement.

En octobre 2003, cette théorie est passée du concept à la réalité. Le groupe de boissons Snapple, propriétaire de la marque de chocolat chaud YooHoo, a accepté de financer la sortie de cinq chansons de Kevin Martin (ancien chanteur du groupe de rock Candlebox) et des Hiwatts. La version initiale a été téléchargée plus de 3 millions de fois en moins d’un mois, accompagnée d’une vidéo amateur du groupe du style Wayne’s World. Une fois que

Page 55: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

les chansons sont téléchargées sur le PC, un message apparaît, créditant Yoohoo en tant que sponsor de cette musique. Le groupe espère que cette quantité de publicité en ligne leur permettra de meilleures ventes de billets pour leurs concerts, ce qui leur rapportera plus au final. De plus, si les ventes de Yoohoo augmentent, le groupe recevra une rémunération additionnelle.

Cet arrangement se base sur les connexions de Jun Group dans le monde d’Internet pour donner à ces fichiers une impulsion supplémentaire dans leur distribution. La théorie est simple : si vous ne pouvez pas battre les pirates, utilisez les pirates. Dans ce cas, cependant, de tels exploits sont maintenant tout à fait légaux. Forest et ses partenaires ont huit autres projets en cours. Il pense sincèrement que ce concept peut fonctionner avec des films – plus particulièrement les films indépendants ayant gagné des prix mais qui ne reçoivent pas d’aide des majors du cinéma – voire même avec des spectacles télévisés ou des jeux.

Beaucoup d’autres efforts semblables pour fournir les médias numériques en ligne seront nécessaires ces prochaines années si les sociétés du spectacle et du divertissement espèrent empêcher le piratage de devenir monnaie courante. Si de nouveaux modèles de travail innovants n’apparaissent pas pour s’occuper du public en ligne, Forest craint le pire. Il pense que l’industrie technologique reste aux mains de gens qui croient que « une solution légale et technologique reste possible, alors que la seule solution possible est culturelle. Il doit se produire un changement culturel. Actuellement la culture dit à ma petite fille de 10 ans que la musique et les films sont gratuits. C’est faux. La culture de tous les jours est en train de devenir je peux avoir ça pour rien » Dans cette bataille culturelle pour les coeurs et pour les esprits, le défi consistant à pouvoir réinventer notre approche du piratage et des médias numériques se fait sentir même dans la maison des Forest, où le droit d’auteur est un sujet complexe. Forest possède Microsoft Office, cette coûteuse suite de logiciels de productivité. Bliss, son adorable fille pleine d’entrain, nous rendra visite trois fois dans le sous-sol pour nous annoncer qu’elle ne peut utiliser Microsoft Word pour faire ses devoirs puisque son père a un document ouvert dans le réseau familial. D’après les termes du contrat de ce programme, une seule personne à la fois peut l’utiliser.

D’un autre côté, Bliss (nommée d’après le caractère principal du roman Fondation d’Isaac Asimov) possède un iPod qui contient 40 chansons qu’elle a téléchargées d’un réseau de partager de fichiers. Elle tient énormément à son petit classeur noir, dans laquelle elle range les deux douzaines de films piratés par son père tels que La Revanche d’une blonde, que Forest a téléchargé pour regarder les marques d’identification. Lorsque je lui demande si elle voit quelque chose de mal à télécharger des MP3 ou à regarder des versions pirates de films, avant qu’aucun de ses amis ne puisse voir la version légale, elle me regarde comme si je venais de Neptune. « Non », me répond-elle simplement et fermement.

Le grand problème américain du piratage ne commence-t-il pas à la maison ? Forest considère la question. Tandis que la petite fille s’éloigne, il me dit : « J’en ai discuté avec elle. Je sais que cela a l’air hypocrite, mais j’obtiens des copies de ces films par mon travail, donc pourquoi ne pourrait-elle pas les regarder ? C’est une enfant brillante, elle comprend ce que je fais pour vivre. Tant que cela se limite à la musique, je ne condamne pas le fait qu’elle pirate du matériel, parce que c’est comme ça que font les enfants d’aujourd’hui. Vous pensez sincèrement qu’elle va économiser deux semaines d’argent de poche pour acheter un seul CD de Christina Aguilera ? » Il se tait quelques instants. « Elle est beaucoup plus intéressée par les vêtements et l’apparence que par les ordinateurs ou la musique. Ce n’est qu’une enfant américaine comme les autres. »

Page 56: DarkNet, la guerre d’Hollywood contre la génération numérique

Nous sommes à un tournant historique, à une phase de transition, pour les médias qui vont changer plus en 5 ans que pendant les 50 dernières années. Darknet apporte une découverte de ce futur pour le cinéma, la télévision, la musique, les jeux, l'art... et montre les choix que nous avons en tant que société. Darknet raconte l'affrontement entre la force irrésistible de l'innovation technologique et l'immobilisme des dirigeants des médias et du spectacle. Darknet emmène le lecteur dans le monde secret, l'underground des films, là où les pirates et les trafiquants encerclent Hollywood et les représentants de la loi. Ce livre fait le portrait du futur avec le changement de la balance du pouvoir entre les grands médias et les gens de tous les jours.

J. D. Lasica, journaliste et blogueur américain reconnu, a écrit de nombreux articles pour des journaux comme le Washington Post, Salon, le Industry Standard... Il est le fondateur du site ourmedia. org qui est au centre du phénomène du journalisme citoyen au niveau mondial. Auparavant, éditeur du principal quotidien de Sacramento, le Sacramento Bee, pendant 11 ans et responsable de l'équipe éditoriale dans trois start-up.  

Découvrez  la  suite  de  cet  ouvrage  en  l’achetant  via  notre  site  web  www.fypeditions.com  

 rubrique  Acheter,  

 ou  en  le  demandant  à  votre  libraire.