De A à Z, ces personnagesqui ont fait l’histoire

Pierre Abélarddu théologien novateur à l’horrible mutilation…

Héloïse et Abélard reposeraient ensemble en paix au Père-Lachaise qui pourtant ne s’ouvrit qu’en 1804… Le tombeau néo-gothique, longtemps laissé à l’abandon, a été restauré en 1993.Chaque jour, il est des amoureux pour y déposer un bouquet.

Biographies et romans inspirés de leur passionmalheureuse, figurent toujours dans lessuccès de librairies.

On les retrouve même sur le Net, d’abordsur le site de l’association Pierre-Abélard(pierre-abelard. com), qui a son siège en mai-rie du Pallet, maisaussi sur d’autressites de Loire-Atlantique, person-nels ou institutionnels,de France ou de l’étranger,celui, par exemple, de lagénéalogiste britannique BrendaCook. Ils ont vécu une de ces belleshistoires d’amour qui, comme cha-cun le sait, finissent mal, en général…

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

17

A

Traditions populairesEn 1979, pour le 900e anniversaire de la naissance de Pierre

Abélard au Pallet, les habitants de la commune créaientl’Association culturelle Pierre-Abélard. Anne Roucou, alors maire,l’incitait à diverses initiatives : fête médiévale, exposition…

Des Palletais se lançaient dans la recherche. Paraissait, l’an-née suivante, un livre sur l’histoire du pays tandis que l’exposi-tion sur Abélard se transformait en musée d’art et traditionspopulaires, évoluant sur un musée du vignoble nantais. Celui-ci,à l’étroit dans les murs de la chapelle Saint-Michel, devait sedéplacer, en 1995, dans une structure neuve, sur la rive droitede la Sanguèze, à l’autre bout du bourg.

Président de l’association depuis 1999, Guy Demangeaugoûte peu les connotations passéistes. Aussi se réjouit-il de toutce qui se vit, aujourd’hui, autour d’Abélard : la création, début2001, par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, de l’opéraHéloïse et Abélard, dû à Ahmed Essyad; la conférence interna-tionale organisée par l’Université de Nantes, les 3 et 4 octobre2001, sur le thème « Pierre Abélard à l’aube des universités ».

Iconographie« Où est la très sage Héloïse, pour qui châtré fut et puis

moine… » On lira longtemps encore la Ballade des dames du

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

18

Céramique de Paul Dauce à la mémoire d’Abélard et d’Héloïse.

temps jadis de François Villon. Et sur la céramique commémo-rative créée par l’artiste Paul Dauce, apposée en 1979 sur lepied du donjon qui abrita les amours de Pierre et Héloïse, on litcette maxime du Maître : « En doutant, nous venons à larecherche, et en cherchant, nous percevons la réalité ».

L’association s’intéresse aux différentes dimensions del’homme Pierre Abélard. Le musicien, par exemple : « Abélard asigné les paroles et les musiques de nombreux chants religieux.Aujourd’hui, on les interprète, on les enregistre. Et, grâce àHéloïse, nous savons aussi qu’il fut un créateur et un interprètegénial de chansons d’amour, malheureusement disparues. »

Il y a eu l’étudiant vagabond, le professeur parisien, le maîtreincontesté. Beaucoup d’hommes en un. L’association s’est lan-cée dans une recherche iconographique : « Il n’existe pas de por-trait connu de lui. Par contre, au fil des siècles, une iconographieest née, avec des miniaturistes, des graveurs, des illustrateurs, desenlumineurs. » L’association inventorie, achète.

Un novateurPierre Abélard est d’abord connu du public pour son histoi-

re d’amour, qui a fait sa notoriété à l’époque romantique. Maisil ne faut pas négliger le philosophe, le théologien.

« C’était un novateur, souligne Guy Demangeau. Dans le hautMoyen âge, à défaut de recherche, l’Église diffuse le savoir, doncsa vérité officielle. Abélard va rencontrer les textes d’Aristote, qui

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

19

Vue du Pallet, gravure ancienne.

arrivent en France par l’Espagne, les Musulmans. Il abandonneson droit d’aînesse, quitte Le Pallet, pour adopter la vie vagabon-de d’étudiant à Paris. Devenu professeur, il est contesté etcondamné par l’Église, qui interdit ses écrits. Il revient à la char-ge, fonde sa propre école à l’extérieur des murs de Paris, sur lamontagne Sainte-Geneviève, qui deviendra le Quartier latin. »

À Laon, auprès d’Anselme, il s’initie au commentaire des Écri-tures saintes. Rapidement, l’élève en remontre au maître qui sefâche. Abélard retourne à Paris où la chaire tant désirée lui est,cette fois, offerte à l’École du cloître de Notre-Dame. Mais la chairest faible… Sa grande ambition se concrétise : la gloire interna-tionale, une foule d’élèves, l’argent et… l’amour, à quarante ans,avec Héloïse, née en 1101, de plus de vingt ans sa cadette.

Liberté de penséeLorsqu’il arrive à Paris, au début du XIIe siècle, Pierre

Abélard traîne déjà une réputation de provocateur né.Philosophie, théologie, logique…, c’est un boulimique qui s’at-tire le surnom de « nouvel Aristote » et s’autoproclame « le seulphilosophe au monde ».

Son propos est original. Il revendique la liberté de penséecontre la vérité établie. Pour lui, la liberté de croyance est objetde discussion, de démonstration, de dispute et de commentai-re. Ses étudiants sont fascinés par sa faconde et son érudition.Il est riche, célèbre; son orgueil ne connaît pas de borne. Lajeune Héloïse, très belle et très cultivée, tombe dans ses bras :« Moins nous avions l’expérience de ces joies, plus ardemmentnous les recherchions. »

Talent, génie…Quand il lui faut concevoir qu’il a vécu son amour pour

Héloïse au péril de son vit, il y a longtemps qu’il a conquis lacélébrité en tant que théologien et philosophe.

Il racontera avoir eu très jeune cette attirance et n’avoirjamais douté de ses dons : « Mon génie propre m’a conféré legoût des études littéraires. Je préférais, à toutes les autres disci-plines philosophiques, la dialectique et son arsenal. » Il n’a pasvingt ans qu’il se lance dans des joutes intellectuelles : « Dèsmes premières leçons, je m’acquis un tel renom de dialecticien

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

20

que la réputation de mes condis-ciples, la gloire même de monmaître en furent presque effa-cées. » Le spadassin estcapable de ferrailler contren’importe qui : « On ne tardapas à reconnaître que montalent théologique égalaitmon génie de philosophe. »

Joies nouvellesLongtemps, sa vie privée

n’est que chasteté : « J’abhor -rais le commerce grossier desprostituées. La préparation demes cours ne me laissait pasle loisir de fréquenter lesfemmes de la noblesse etj’avais peu de rapports aveccelles de la bourgeoisie. »Dans les rangs de ses élèves, il remarque Héloïse, « parée de tousles charmes qui attirent les amants ». Et il ne doute pas : « Il n’étaitpas de femme auprès de qui mon amour eût à craindre de refus ».Il obtient vite du puissant Fulbert, chanoine de Notre-Dame,oncle officiel d’Héloïse (mais probablement son géniteur), dedevenir le précepteur privé de la jeune fille.

On connaît la suite : « Sous prétexte d’étudier, nous nous livrionsentiers à l’amour. Nous échangions plus de baisers que de proposi-tions savantes. Mes mains revenaient plus souvent à son sein qu’ànos livres. Notre ardeur connut toutes les phases de l’amour, et tousles raffinements insolites que l’amour imagine, nous en fîmes aussil’expérience. Plus ces joies étaient nouvelles pour nous, plus nousles prolongions avec ferveur, et le dégoût ne vint jamais. »

Sœur en ChristDe leur amour fou, un enfant naît, Astrolabe (« Celui qui

atteint les astres », qui sera chanoine de Nantes). Héloïse le metau monde au Pallet chez la sœur d’Abélard. Fulbert fulmine.Abélard envoie Héloïse au monastère d’Argenteuil : « Quand lanouvelle en parvint à son oncle et à sa famille, ils imaginèrent

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

21

La belle Héloïse.

PERSONNAGES DU VIGNOBLE NANTAIS

que j’avais voulu les jouer et n’avait fait entrer Héloïse au couventque pour me débarrasser d’elle. »

Tout s’enchaîne. Fulbert décide de l’horrible punition : « Unenuit, l’un de mes serviteurs, acheté à prix d’or, les introduisit dansla chambre retirée ou je dormais et ils me firent subir la ven-geance la plus cruelle, la plus honteuse, et que l’univers appritavec stupéfaction : ils m’amputèrent des parties de mon corpsavec lesquelles j’avais commis le délit dont ils se plaignaient. »

Même si les amants ne se voient plus que rarement, leuramour reste intact. « Je ne parviens pas à susciter en moi unrepentir capable d’apaiser Dieu », écrit la très pieuse Héloïse.

Ayant repris son activité philosophique et théologique,Abélard finit par l’aimer moins comme sa femme que comme sa« sœur en Christ ».

L’ensemble des écrits de Pierre Abélard sera jugé hérétiqueet condamné lors du concile de Sens en 1140.

Il s’éteindra, épuisé, dans l’abbaye de Cluny, en 1143. Héloïsedécédera deux décennies plus tard. Ils accéderont au mytheéternel de l’amour brisé.