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LECHO DE F RANCHE C OMTÉ REVUE DE LA DÉLÉGATION DE FRANCHE COMTÉ SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE LA POSTE ET FRANCE TÉLÉCOM É2015 – n° 52 – ISBN 1154-2691 Louis Pergaud

DE FRANCHE COMTÉ · Dans l’eau du jour levant ... Qui verse la douceur aux vieux chaumes moisis, Il tend les ventres ... Le couple est nommé en 1905 à Landresse, un village

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L’ ECHO

DE FRANCHE COMTÉ

REVUE DE LA DÉLÉGATION DE FRANCHE COMTÉ

SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE LA POSTE ET FRANCE TÉLÉCOM

ÉTÉ 2015 – n° 52 – ISBN 1154-2691

Louis Pergaud

l’écho de Franche-Comté

N° 52

Les auteurs sont responsables de leurs écrits ainsi que de leurs illustrations. Reproduction interdite sans notre autorisation préalable. Dessin page 30 Baptiste Michel.

Poésie : L’éveil du village p 2 Biographie Gérard Large p 3 Termes d’argot Francs Comtois p 13 Poésie : Renaissance, Veillée p 14 La guerre de Louis Pergaud Guy Mollaret p 15 Bibliographie p 22 Poésie Claude Cagnasso p 23 La mnémotechnique Guy Mollaret p 24

Poésie : Gilles Simonnet p 27 & 28 Charlie : Poésie Vivianne Papillon p 29 Hommage à Charlie Maryvonne Malivoir , G. Large p 30 & 31 Chant des Partisans Gérard Large p 32 Poésie : Serge Truche p 33 Détente Guy Mollaret p 34 Vie de l’association p 35 Cartouche p 36

Sommaire

Editorial D epuis le premier août 2014 notre pays commémore le centenaire de la grande guerre.

Si le territoire de la Franche-Comté n'a pas été le lieu d'affrontements (hormis Belfort qui fut bombardée), 40600 soldats de notre région militaire perdirent la vie durant ce terrible conflit. Parmi eux Louis Pergaud dont une grande partie de ce numéro retrace la vie et l'œuvre. Certains d'entre-vous apprendront qu'avant d'être le conteur et romancier que l'on connaît, l'ins-tituteur Pergaud s'essaya à la poésie. Nous avons aussi voulu apporter notre soutien à Charlie Hebdo dont le comité de rédaction fut décimé en janvier dernier. Les textes de nos poètes sont aussi une réponse à la barbarie qui fait de plus en plus partie de l'actualité. Ce 52ème numéro se termine par un aperçu des moyens mnémotechniques d'hier et d'aujour-d'hui, et par un clin d'œil à Gustave Flaubert à qui nous devons les rébus sur "l'âge du capitaine" Bonne lecture. N'hésitez pas à nous faire part de vos avis et à nous transmettre vos poésies, nou-velles ou articles historiques. Nous serions heureux d'insérer de nouvelles signatures sur les pro-chains Echos.

Guy Mollaret

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POÉSIE DE LOUIS PERGAUD

L’éveil du village Salué par la voix virile de la cloche, Il a sous le manteau d’argent bleu des fumées, Ployant de leur douceur l’essor de la journée, Dans l’eau du jour levant baigné son front de roche. Quand le soleil cambrant ses ergots de clarté, Au seuil frais de la vie béante sur terre A chanté au néant son hymne de lumière, D’un ample geste d’or, il vêt sa nudité. Simple sous sa couche enluminée de paix Qui verse la douceur aux vieux chaumes moisis, Il tend les ventres ronds de ses murs décrépits Aux chastes baisers chauds du gai soleil de mai. Les cigales d’été aux élytres sonores Vont frôler la fraîcheur odorante de l’herbe, Et les versets des coqs alternent leur superbe Comme les litanies joyeuses de l’aurore. Alors, âme enfumée, de sagesse couverte, Quand le travail, au, jour sonne l’olifant Son grand cœur lézardé verse sur ses enfants La pétulante ardeur de sa vieillesse verte. Aux moissonneurs partant vers la blondeur des plaines Le geste de ses bras indique les chemins, Car il sait, contempteur apeuré des demains, Qu’il faut, au soir de l’an, que les granges soient pleines Et que les gros gars de la glèbe aux bras puissants Rentre le foin bien sec, embaumant les étables, Avant que le temps ait, de son geste immuable, Fauché son andain sombre au boulingrin des ans Village qu’adula mon enfance lointaine, Du fond de mon exil, quand le matin s’éploie, Je sens encore en moi mon cœur crier sa joie De lancer par ma chair du vieux sang de ta veine ; Tes chaumes ne sont plus qui couvraient sous leurs ailes Chaudement la candeur naïve de mon âme, Mais l’ardoise de cendre ou la tuile de flamme Convient encor mon cœur aux haltes paternelles…

L'Herbe d'Avril Les Ombres Maternelles ( 1908)

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BIOGRAPHIE

L e 22 Janvier 1882 Louis Emile Vincent Pergaud voit le jour à Belmont, département du Doubs ; il est le fils d’Elie Pergaud instituteur et de Noémie Collette, l’année suivante la fa-mille s’agrandira avec la naissance de son frère cadet Lucien. Les deux familles sont issues d’une longue lignée de paysans Francs Comtois originaires de la région d’Orchamps-Vennes

(Doubs). Mais en 1889 son père est muté à Nans Sous Ste Anne(Doubs) .En fait, Elie Pergaud est vic-time du rejet des instituteurs de la Répu-blique par une population majoritaire-ment catholique, c’était souvent le cas pour ceux que Charles Péguy a surnom-mé quelques années plus tard les « hussards noirs de la République », noirs en référence à leur blouse noire. Dès leur arrivée à Nans, Noémie Pergaud se lie d’amitié avec Mme Chatot, la receveuse des Postes dont le fils Eugène restera toute au long de sa vie le plus proche ami de Louis Pergaud. C’est dans ce petit vil-lage blotti à la source du Lison, que se déroulera un incident qui va marquer l’existence de Pergaud et sans doute à l’origine de son œuvre la plus connue, ainsi que le raconte Eugène Chatot : « Nous avions l’habitude de nous bagarrer avec les enfants de Montmaou, un village voisin, dans un endroit au nom prédestiné : Les Ba-tailles. Un jour Louis Pergaud est capturé par les enfants de Montmaou, il est d’abord déculot-té, puis fessé devant tous ses adversaires. » Il est certain qu’il se souviendra de cette humi-liation quand, vingt ans plus tard, il écrira La Guerre des Boutons, même s’il a transpo-sé l’action dans un autre village du Doubs. A Nans il va vivre avec son frère Lucien deux années inoubliables, dans un site grandiose, cet écrin naturel d’où jailli la source du Lison. Mais en 1890, son père a l’opportunité de se rapprocher du ber-ceau familial en obtenant un poste à Guyans-Vennes, un village situé au début de la reculée du Des-soubre. Côté scolaire, c’est un très bon élève, toujours le premier dans toutes les matières, y compris en histoire sainte mais ses excellents résultats vont le «condamner » au métier d’enseignant, lui qui aurait vou-lu être garde-forestier. On devine déjà chez lui un sens inné de l’observation pour cette nature préservée qui l’entoure. Cet univers va marquer son existence, mais malheureusement pour lui, il en est assez rapi-dement privé, il se retrouve en internat à Morteau, puis il entre à l’Ecole Normale de Besançon, cursus habituel pour un futur enseignant. En 1897, Elie Pergaud victime d’une cabale est contraint de déplacer à nouveau sa famille, il est muté à Fallerans (Doubs). Cette mutation aura une suite tragique, il ne survi-vra pas à cette nouvelle injustice, il meurt le 20 février 1900, et son épouse un mois plus tard. A l’an-nonce de ce drame, Louis Pergaud est désemparé, ainsi qu’en témoigne son journal intime:

Louis Pergaud

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BIOGRAPHIE

« Mercredi 21 février : Mon Père est mort hier, mon Dieu cher Papa, pauvre Maman ! Mercredi 21 mars : aujourd’hui on vient me chercher à l’école, tristes pressentiments. - Maman est morte! Oh !c’est trop mon Dieu ! Je veux la rejoindre. Je veux mourir. Oh! ma Maman chérie ! Oh! est-ce possible ? Mon pauvre Lucien, qu’allons nous devenir ? Je deviens fou .Oh !si tu n’étais pas là, je n’aurai pas le courage de vivre, je me tuerai ! Vendredi 23 mars : Enterrement. » En juillet 1901, Pergaud retourne à Belmont, chez son oncle, le seul parent qui lui reste. Il évoquera ce retour plus tard dans Terre Natale : « La route et le paysage semblaient maternels à mon corps lassé par une étape de 5 ou 6 lieues à travers ces campagnes natales que j’avais quittées tout enfant. Ma marche devenait de plus en plus lente au fur et à mesure que j’approchais du but de mon voyage. Tant de choses me retenaient ou me retardaient .Ce calme de la nature à peine égratigné par un crépite-ment d’insecte, la chute d’un fruit ou au loin les semailles argentines d’un troupeau »

Sorti de l’Ecole Normale, en Avril 1901, troisième de sa promotion, pour son premier poste d’insti-tuteur, Pergaud est affecté à Durnes, sur les hauteurs de la vallée de La Loue, il loge à La Barèche, un ha-meau à proximité. En 1903, il épouse sa collègue, Marthe Caffot. Entre temps son ami Eugène Chatot lui a fait découvrir Léon Deubel , un poète assez connu à l’époque qui aura une très grande influence sur les premiers écrits de Pergaud. Deubel lui fait la surprise d’assister à son mariage, Louis Pergaud, qui lui voue une immense admiration, est fou de joie : un poète célèbre présent au mariage d’un modeste instituteur de campagne ! Ce jour là, il délaissera totalement sa nouvelle épouse pour se consacrer entiè-rement à Léon Deubel. En Août 1904, Gisèle nait au foyer de Louis et de Marthe, malheureusement elle décède à l’âge de 3 mois. Pergaud se sent poursuivi par la mort après la disparition de ses parents quelques années plus tôt, il note dans son journal : « Le clocher noir de La Barèche, solitaire au milieu du paysage a des allures d’un glas. »

Louis Pergaud et sa classe en 1906 à Landresse, son épouse à droite

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BIOGRAPHIE

Une amitié profonde se lit entre Pergaud et Deubel, ce dernier séjournera à deux reprises en 1903 et 1905 à La Barèche, sa présence aggravant les tensions existant déjà au sein du couple. Encouragé par son nouvel ami, Pergaud publie en Avril 1904 une première plaquette de vers intitulée « L’Aube ». Mais, instituteur républicain dans un village profondément catholique, poète, ne fréquentant jamais l’église, de plus en instance de divorce, il est totalement rejeté par les habitants. Le couple est nommé en 1905 à Landresse, un village près de Belmont, catholique comme la quasi totalité des communes rurales du Doubs à cette époque. On est en pleine séparation de l’Eglise et de l’Etat, les tensions entre l’église et l’école laïque sont à leur apogée. Pour lui les difficultés continuent dans sa nouvelle résidence, d’autant plus qu’il n’est pas du tout motivé pour l’enseignement, on raconte que ses chiens assistaient à ses cours et qu’il n’hésitait pas à interrompre la classe pour aller griffonner de la poésie. « J’ai trois mois de résidence ici, et…j’ai déjà, parce que je ne vais pas à la messe, toute cette plèbe puante contre moi. Bien plus il y a une véritable croisade contre ton serviteur : dénonciations, pétitions, délibérations du conseil municipal, mais je ne me porte pas plus mal et je tiens tête à la bête qui, comme le serpent de La Fontaine, s’y cassera les dents….je suis en train de faire sauter le maire et le conseil, histoire de passer le temps et de leur rendre la pareille …» Extrait d’une lettre à son ami Eugène Chatot du 19 janvier 1906. Ndlr : Et cela fait seulement quatre mois qu’il a pris ses fonctions au sein de ce village! Les seules choses qui le passionnent sont la chasse, la nature, et la poésie. Le cordonnier cafetier du village, Jules Duboz, l’accueille chaleureusement en le traitant comme un fils. Duboz a plusieurs enfants dont une fille de 23 ans, Delphine dont Pergaud ne tarde pas à tomber amoureux. Delphine, la douce Delphine, simple, compréhensive, ad-mirative, possède toutes les qualités pour consoler et épau-ler Pergaud. Delphine, la demoiselle de Landresse, Delphine, la demoiselle tendresse raconte leurs premiers échanges : « Mon père aimait beaucoup la chasse, jovial, c’était aussi un conteur truculent ; leur amour commun de la nature, des chiens, de la chasse, les a immédiatement rapprochés. Louis m’écrivait des vers qu’il me glissait en cachette quand il venait à la maison … .» La demeure de Papa Duboz, dit Le barbu, sera bientôt pour Pergaud son havre de paix. Mais cette situation va rapide-ment le conduire au divorce, et à son départ de Landresse, ainsi qu’il l’évoque dans une lettre à Eugène Chatot du 18 janvier 1907 : « Je paye en ennuis quotidiens et viagers sans doute mes enthousiasmes de mes vingt ans : principes politiques, sociaux, féministes…Chansons que tout cela ! Embêtements des populations catholiques : dénonciations, pétitions, répétitions ; embêtements dans la famille ! Quel bilan que tout cela ! » Ainsi Pergaud obtient un congé de l’Education Nationale et rejoint Deubel à Paris, le cœur chargé d’images de sa Franche Comté natale mais sans Delphine, sa bien aimée. Mal logé dans une chambre minuscule au 15 rue de l’Ave Maria, il occupe un emploi sans intérêt à la Compagnie des Eaux. Les dé-buts sont difficiles tant au plan moral que financier, comme en témoignent ces extraits de lettres adres-sées à sa chère Delphine: « Je suis habitué un peu à cette vie de Paris fiévreuse et factice, qui me fait regretter les belles journées passées à errer dans les bois ou à causer avec ton père près de toi, mais quand tu seras ici, j’aurai tout ce qu’il faut pour oublier les délices de la vie des champs. » (24 aout 1907)

Delphine Duboz

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BIOGRAPHIE

« Je n’ai pas encore trouvé le logis idéal que nous occuperons…. Nous devrons pour joindre les deux bouts faire des prodiges d’économie. Songe que nous n’aurons que 130 francs par mois, que le logis nous en prendra au moins 30. La nourriture est horriblement chère, mes pièces de 20 francs fondent dans mes mains comme du beurre au soleil. » (29 août 1907) Grâce à Léon Bocquet, directeur de la revue « Le Beffroi », il publie au printemps 1908 son deuxième recueil de poésie, intitulé « L’herbe d’Avril ». Sa plus grande joie est l’arrivée de Delphine avec qui il s’ins-talle rue de l’Estrapade, mais ils logent Léon Deubel. Plus patiente que Marthe Caffot à Landresse , Del-phine fait comprendre à Louis qu’il représente une intrusion permanente au sein de leur couple, d’au-tant plus que Deubel mène une vie de bohème, ce qui ne facilite pas la cohabitation. Après son second recueil de poèmes, encouragé par Delphine, Louis se lance dans la prose car il a compris qu’il a en lui des histoires à raconter, des nouvelles… Ses sources d’inspiration sont faciles, il lui suffit de se remémorer ses jeunes années en Franche Comté : les forêts, les bêtes sauvages, la chasse, le braconnage, les récits colorés de Papa Duboz, un monde qu’il connait bien ! Sur la page de garde du recueil « L’Herbe d’Avril », Pergaud avait déjà annoncé comme « ouvrage à paraitre La Mort de Goupil, Conte sylvestre ». Ce manuscrit de trente pages envoyé à différents journaux avait retenu l’attention d’Alfred Vallette, directeur de la revue littéraire Mercure de France. En apprenant que cet éditeur va publier son conte animalier Pergaud est enthousiasmé, la publication d’un texte par Mercure représente à ses yeux une consécration, c’est aussi la première fois que sa plume va lui rapporter un peu d’argent ; les soixante dix francs du mandat carte qui va suivre vont lui permettre d’acheter du charbon, dans un foyer où il en manquait ce jour là ! Ce récit remporte un franc succès auprès des lecteurs en 1909, c’est ce qui pousse Valette à imprimer progressivement les autres contes. En fin d’année, Delphine et Louis ont emménagé au N° 6 de la rue des Ursulines. Il quitte alors la Compagnie des Eaux pour réintégrer l’Education Natio-nale, avec beaucoup de méfiance de la part de l’administration. Nommé instituteur provisoire dans un premier temps (donc surveillant) puis instituteur adjoint au printemps 1910, il assume ce métier avec autant de résignation qu’en Franche Comté. Il écrit à son ami Léon Bocquet : « Mon métier de chien m’épuise, parti le matin à 7h00, je ne rentre qu’à 5h15 de l’après midi, éreinté…C’est à Mai-sons-Alfort que j’opère actuellement avec 75 gosses qui ne sont incapables d’assembler deux lettres… » . En juillet 1910, divorcé de Marthe Caffot depuis deux ans, il épouse Delphine. Finalement, le succès du public aidant, Alfred Vallette décide de réunir les huit contes sous le titre « De Goupil à Margot »et de proposer ce recueil pour le prix Goncourt en 1910. Ce recueil débute par La Tragique aventure de Gou-pil et se termine par La captivité de Margot. Le 9 décembre 1910, Louis Pergaud reçoit le courrier suivant: « Monsieur et cher Confrère, Nous avons le plaisir de vous annoncer que l’Académie des Goncourt, dans sa réunion de ce soir vous a attribué son Prix annuel de cinq mille francs. Recevez, Monsieur et cher Confrère, l’assurance de nos sentiments les meilleurs » N B : Ce courrier manuscrit est signé de tous les membres du jury. Il est fou de joie, il avait pourtant comme adversaire Guillaume Apollinaire, Colette, Marguerite Au-doux…et au dernier tour il obtient le prix par 6 voix contre 4 à Gaston Rouffenac. Ce prix Goncourt pour « De Goupil à Margot » fait de lui un écrivain reconnu dans le monde des lettres. Cela fait à peine dix ans que le Goncourt existe, et pour la première fois un éditeur doit réimprimer immédiate-ment des ouvrages car les libraires sont en rupture de stock. De Goupil à Margot : Avec cette publication Pergaud acquiert sa notoriété, des récits pour lesquels il a choisi comme personnages de petits animaux sauvages, pas de gros gibiers. Les huit contes qui com-pose de Goupil à Margaux se déroulent tous dans les environs de Belmont et toutes les bêtes ont une fin cruelle. Pergaud les observe attentivement, et il est sans doute le premier à nous faire ressentir si in-tensément leurs souffrances, quelles soient physiques ou morales, qu’elles soient dues à la captivité, à la

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BIOGRAPHIE

peur, ou à la solitude. Pergaud constate que l’animal ne gémit, et ne se plaint que sous l’effet d’une cause extérieure : le lacet qui l’étrangle lentement, les mâchoires d’un piège qui le retient prisonnier ou tout simplement une épine enfoncée dans une patte. C’est grâce à des connaissances acquises pendant son enfance, en parcourant les champs et les bois, à un âge où l’esprit est pleinement ouvert aux secrets de la nature, qu’il a pu discerner leurs douleurs. Pergaud nous dévoile aussi les bonheurs fugitifs que peu-vent connaître ces bêtes sauvages, l’herbe grasse pour le lièvre, les faînes du hêtre pour l’écureuil… Dans une étude extraite de La vie des Bêtes, intitulée « La Fontaine et la Vie animale », édition posthume de 1923, Pergaud reconnait les mérites du fabuliste mais exprime ouvertement son désaccord sur « la légende d’un psychologue raffiné et scrupuleux observateur des bêtes. Il n’est pas nécessaire de suivre bien loin le fabuliste pour découvrir que la vérité est toute autre,… »

De Goupil à Margot s’étant vendu à 15 000 exem-plaires, un chiffre conséquent à l’époque, les deux jeunes mariés louent un appartement plus spacieux 3 rue Marguerin dans le XIVème arrondissement, ce sera son dernier domicile. Au début de l’année 1911, il quitte de nouveau l’Education nationale pour un poste à la Mairie de Paris. Cette année là il publie La Re-vanche du Corbeau, un livre contenant lui aussi huit récits, mais qui rencontrera beaucoup moins de succès que le précédent. Cette œuvre marque pour son auteur une forme de revanche sur la vie qui lui sourit avec en-fin, la réussite à la clé. Cette brusque célébrité, si inté-ressante qu’elle soit sur le plan financier a des revers, car elle comporte aussi des obligations mondaines, qu’il regrette (lettre du 10/02/1911 à J Chevenez ): Voici bientôt un mois que tu m’as écrit et je n’ai pas trouvé

moyen de te répondre….Je ne m’appartiens plus. Moi qui étais sauvage, casanier, suis obligé presque tous les jours, d’aller dans le salon de M X…ou de Mme Z… pour prendre le thé, manger des gâteaux et entendre des rosseries sur les absents. C’est rigolo les premières fois, mais à la fin ce n’est plus drôle du tout ; les femmes d’hommes de lettres et les bas-bleus de la littérature sont le plus souvent si laides et si bêtes. Je ne connais que Rachilde Vallette qui soit une femme d’esprit char-mante. Mais tout le reste ne vaut pas un pet de lapin. J’ai diné avec les Goncourt. C’était intime et cordial. J’étais entre ce grand et vieil enfant terrible qu’est Mirbeau et ce bon oiseau de proie de Rosny ainé, deux de mes électeurs… A ce dîner était aussi invité Raymond Poincaré (1) qui plaida et gagna le procès de l’Académie. C’est l’homme le plus aimable qu’on puisse rêver. Judith Gautier, la fille du grand Théo (2) présidait, fraîchement décorée… . Elle m’a fait promettre d’aller la voir le dimanche et voilà encore une visite de plus. Je n’en finis pas des banquets, des thés, des réceptions, des papoteries, des réunions…. » L’année 1912 verra la publication de l’œuvre de Pergaud la plus connue du grand public « La Guerre des Boutons, Roman de ma douzième année ». Quand on évoque le nom de Pergaud c’est la pre-mière de ses œuvres qui vient à l’esprit, comme« La Jument verte » pour Marcel Aymé ou « Les Misérables » et « Notre Dame de Paris » pour Victor Hugo. Sans doute parce qu’elle a été, elle aussi, popularisée par le cinéma à diverses reprises (voir Bibliographie p 22 ). C’est bien la nostalgie de sa douzième année, celle d’un « jeune sauvageon franc et vigoureux » laissant libre cours à son imagination débordante, sur les traces de son auteur favori : Rabelais. La Guerre des Boutons est une histoire drôle, on s’y amuse beaucoup, on devine aisément qu’il portait en lui cette histoire autobiographique en se remémorant sa mésaventure survenue quelques années plus tôt (évoquée précédemment). C’est à l’instant où il atteint la consécration, un écrivain reconnu par ses pairs, qu’il se décide enfin à nous la raconter. Dans cette œuvre il se libère complètement du point de vue littéraire, on y constate une sorte de plénitude dans son écriture. Tout au long du roman deux bandes de gamins s’affrontent dans des combats héroïques ; il s’agit des enfants de

Plaque 3 rue Marguerin Paris XIV ème

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Longevernes( NB : il a situé cette histoire à Landresse) commandés par le « Général » Lebrac contre ceux du village voisin de Velran, dont voici un extrait d’une bataille, Le retour des victoires (livre deux, chapitre quatre) « Cependant l’Aztec des gués, ayant de nouveau rassemblé ses hommes surexcités et furieux et pris conseil, décida d’un assaut général. Il poussa un sonore et rugissant : « La murie vous crève ! » et triques brandies, bâtons serrés, s’élança dans la carrière, toute son armée avec lui. Lebrac n’hésita pas davantage. Il réplica par un « A cul les Velrans » aussi sonore que le cri de guerre de son rival et les épieux et les sabres de Longevernes pointèrent encore une fois en avant leurs estocs durcis. - Ah, Prussiens ! Ah, salauds !- triples cochons !-andouilles de merde !-bâtards de curé !-enfants de putains !-charognards !-pourriture !-civilisés !-crevures !-calotins !-sectaires !-chats crevés !-galeux !-mélinards !-combisses !-pouilleux ! telles furent quelques-unes des expressions qui s’entrecroisèrent avant l’abordage. Non, on peut le dire, les langues ne chômaient pas !Quelques cailloux passèrent encore en rafales, frondonnant au-dessus des têtes, et une effroyable mêlée s’ensuivit : on entendit des triques tomber sur des caboches, des lances et des sabres craquer, des coups de poings sonner sur des poitrines, et des gifles qui claquaient, et des sabots qui cassaient, et des gorges qui hurlaient, pif ! paf ! pan ! zoom ! crac ! zop !... » S’il existe aussi une joie de vivre formidable dans La Guerre des Boutons, la présence de Delphine à ses cotés n’y est pas étrangère : on retrouve un Pergaud heureux de vivre après des années difficiles, des années de doute et de conflits. Ce roman est sans doute le plus savoureux de toutes ses œuvres, le plus

sincère car Pergaud s’y est livré complètement. En raison de son caractère « gaulois » ce livre fut assez mal accueilli à sa sor-tie. Ce sont surtout les gros mots qui ont conduit à le mettre à l’index pendant de trop nombreuses années. Ils traduisent le langage d’enfants s’opposant aux adultes : parents, instituteur, curé….Ce vocabulaire est pour eux une forme de libération par les mots, une façon de se positionner face aux représentants de l’Institution, donc un rejet de leur Autorité en se délivrant du pouvoir des adultes grâce à des mots d’argot. (Voir tableau page 13). Cette écriture fut une surprise pour les lecteurs de Pergaud sachant qu’il avait toujours eu le souci du « beau style », il était même précieux dans ses premiers recueils de poèmes. Comme toujours, il recherche la précision, le détail infime, d’ailleurs certains lui reprocheront son style « léché » contrastant avec les gros mots de la Guerre des Boutons. Pergaud disciple de Rabelais : Depuis sa plus tendre en-fance Pergaud a toujours eu beaucoup d’admiration pour Fran-çois Rabelais, et dans ce roman il a placé en exergue les deux premiers vers qui sont extraits d’une œuvre de son modèle : « Cy n’entrez pas hypocrites bigots Vieux matagots, marmiteux borsouflez… » François Rabelais Film d’yves Robert 1962

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Et dans la préface Pergaud assume cette source d’inspi-ration : « Tel qui s’esjouit à lire Rabelais, ce grand et vrai génie fran-çais, accueillera, je crois, avec plaisir, ce livre qui, malgré son titre, ne s’adresse ni aux petits enfants, ni aux jeunes pucelles…Le soucis de la sincérité serait mon prétexte, si je voulais me faire pardonner les mots hardis et les expressions violemment colorées de mes héros. Mais personne n’est obligé de me lire. Et après cette préface et l’épigraphe de Rabelais adornant la couverture, je ne reconnais à nul caïman, laïque ou religieux, en mal de morale le droit de se plaindre. Au demeurant, et c’est ma meilleure excuse, j’ai conçu ce livre dans la joie, je l’ai écrit avec volupté, il a amusé quelques amis et fait rire mon éditeur * : j’ai le droit d’espérer qu’il plaira aux « hommes de bonne volonté » selon l’évangile de Jésus et pour ce qui est du reste, comme dit Lebrac un de mes héros : je m’en fous. » * Ceci par anticipation. Après cette préface, l’avertissement aux lecteurs est clair concernant la teneur du texte qui va suivre! Nous replon-geons dans Gargantua, le conflit entre les bergers de Grandgousier et les fouaciers de Pichrochole, tout y est : la prépa-ration du combat, les injures avant le début des hostilités, la bataille illustrée de corps à corps entre les champions de chaque camp, la victoire : le triomphe pour les gagnants, l’humiliation pour les perdants. Un autre point commun entre les deux auteurs, conjointement ils dénoncent l’autorité et la violence exercée par les plus forts sur les plus faibles.

Il resterait encore beaucoup à dire concernant cette œuvre majeure de Pergaud, par exemple, la ré-plique culte de Petit Gibus au cinéma (NB : prononcer Ti-gibus) :« Si j’aurais su, j’aurais pas venu »

Pourquoi La guerre des Boutons ? Les boutons des prisonniers représentaient la rançon symbolique payée à l’adversaire par les combattants capturés. Pour eux débutait la triple voire la quadruple peine, et pour l’avoir vécue dans les années cinquante, je m’en souviens comme si c’était hier, un très mauvais souvenir ! Les vainqueurs commençaient par couper les boutons de tous les vêtements de leurs captifs: les boutons de chemise mais surtout ceux du pantalon ou du short suivant la saison, puis ils étaient dévêtus publiquement es-suyant les moqueries de leurs geôliers. Venait ensuite l’étape la plus pénible de ce chemin de croix, rentrer au village, raser honteusement les murs en tenant d’une main ferme son pantalon serré à la ceinture afin qu’il ne nous retombe pas sur les genoux, bien sûr sous l’œil goguenard de l’adversaire qui n’en perdait pas une miette. La dernière sanction était l’arrivée à la maison pour essuyer l’ultime châtiment : le martinet. La réponse à la tra-ditionnelle question « Qui t’a fait çà ? », posée par nos parents, était toujours la même « Je sais pas, c’est les autres, ils étaient plusieurs, j’ai pas vu ! » Malgré les traces écarlates laissées par les lanières de cuir sur une peau laiteuse, nous fermions les yeux, essayant de supporter cette douleur en serrant les dents, bien décidés à rien avouer ; vaincus, nous ne tenions pas, en plus, à passer pour des « cafteurs »! Le sort aidant, si quelques mois plus tard, après une rude bataille, vous aviez la chance d’être dans le camp des vainqueurs, le mot pitié n’existait plus pour vous ayant en mémoire toutes ces humiliations subies. Bien entendu, les boutons récupérés finissaient dans une boite en fer, renfermant un hétéroclite trésor de guerre. La guerre des Boutons: Une grande journée (Livre 1er, chapitre 3) : « Il commença par la blouse, il arracha les agrafes métalliques du col, coupa les boutons des manches ainsi que ceux qui fer-maient le devant de la blouse, puis il fendit entièrement les boutonnières, ensuite de quoi Camus fit sauter ce vêtement inutile ; les boutons du tricot et les boutonnières subirent un sort pareil ; les bretelles n’échappèrent point, on fit sauter le tricot. Ce fut ensuite le tour de la chemise, du col au plastron et aux manches, pas un bouton ni une boutonnière n’échappa ; ensuite le pantalon fut lui-même échenillé : pattes et boucles et poches et boutons et boutonnières y passèrent ; les jarretières en élastique qui tenaient les bas furent confisquées, les cordons de souliers taillés en trente six morceaux…. -Eh bien ! maintenant, fous le camp !... Rien ne tenait plus des habits de Migue la Lune et il pleurait, misérable et petit, au milieu des ennemis qui le raillaient et le huaient. »

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BIOGRAPHIE

n’existe pas dans le roman de Pergaud. Elle a été ajoutée par le dialoguiste pour les besoins du film, vraisemblablement pour le neveu d’Yves Robert, Martin Lartigue qui interprétait ce rôle en 1962. Lais-sons le mot de la fin à l’un des personnages clé, La Crique, qui prononce la dernière phrase du roman : « Chacun songeait à sa fessée, et, comme on redescendait entre les buissons de la Saute, La Crique, très ému, plein de mélancolie de la neige prochaine et peut être aussi du pressentiment des illusions perdues, laissa tomber ces mots : -Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ! ». Est-ce une vision prophétique de l’âge adulte et de leurs illusions perdues ? Le Roman de Miraut, Chien de chasse fut d’abord publié en feuilleton dans le journal l’Humani-té (censuré par son directeur littéraire à l’époque), puis édité par le Mercure de France en 1913. Il est dédié par son auteur à « A tous ceux qui aiment les chiens et particulièrement à mon excellent ami Paul Léau-taud, romancier rarissime, chroniqueur savoureux, providence des chats perdus, des chiens errants et des geais borgnes….». Moins connu que La Guerre des Boutons il possède néanmoins plusieurs points communs avec ce dernier : ce sont ses deux romans les plus importants, on y retrouve des personnages de ce terroir comtois auquel il était tant attaché, les situations conflictuelles y sont fréquentes entre Lisée, et son épouse la Guélotte, un nom qui à lui seul, laisse présager son caractère revêche. Elle se plaint, se lamente, son « gouillant » de mari s’est offert un fusil à la foire avec l’argent destiné à l’achat d’un petit cochon, et de plus il lui ramène un jeune chiot, un « viôce » qui salit sa cuisine, cristalli-sant les colères de la Guélotte . Excellent chasseur, le chien Miraut ignore les périodes d’ouverture de la chasse et tue le gibier en toute saison ; il se fait attraper plusieurs fois par les gardes forestiers. Pour s’ac-quitter des différents procès, Lisée doit se résoudre à vendre ce chien qu’il adore à un rentier, mais le fidèle compagnon revient obstinément à son ancien domicile. Lisée est au désespoir, le miracle de l’ami-tié survient avec un copain généreux, le « Pépé de Velrans » va lui prêter l’argent nécessaire afin qu’il puisse racheter son chien au rentier. Une dernière colère homérique de la Guélotte qui ne veut pas re-voir cette « carne » dans sa maison, va déclencher une réponse musclée de Lisée et il va lui rappeler fer-mement avec ses larges « battoirs », qui commande sous son toit :

« Eh bien ! je vais te faire un peu voir et comprendre qui est-ce qui est le maître ici. Et d’un violent coup de poing, appuyé d’une bourrade puissante il l’écarta. -Grande brute! assassin, voleur de chien râla-t-elle en se précipitant, griffes dardées sur lui… -Ah ! tu n’as pas compris encore et tu ne veux pas te taire, non !... Et saisissant sa femme par le bras, il lui lança à toute volée une calotte terrible qui la fit pivoter sur elle-même et lui démolit le chi-gnon…. » Pendant que l’épouse acariâtre s’est barricadée dans une chambre à l’étage, les copains réunis devant une bonne bouteille peuvent rêver à leurs futures chasses. Tout au long de ce roman, l’auteur dévoile le lien fusion-nel existant entre le chien de chasse Miraut, et son maître. Pergaud le sensible, nous permet de discerner les sentiments du fidèle compagnon de Lisée ; le romancier entraine le lecteur au plus profond de l’âme d’un chien, comme personne ne l’avait fait avant lui. Pour Louis Pergaud, c’est certain, les bêtes ont une âme aussi sensible que celle des êtres humains, comme en témoigne la scène où Lisée ne peut se résoudre à l’abandon définitif de son chien: « Miraut, qui ne le quittait pas des yeux, compris et s’arrêta. Un immense désespoir de bête, un désespoir que les humains ne peuvent pas

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BIOGRAPHIE

comprendre ni concevoir parce qu’ils ont toujours eux, pour atté-nuer les leurs, des raisons que les chiens n’ont pas, le gonfla comme une voile sous l’orage. Il s’assit sur son derrière et regarda encore, regarda longuement Lisée qui, les jambes flageolantes et le dos rond, disparaissait au coin de la rue, derrière les maisons… Et il vit Lisée revenir et il se redressa de nouveau, secoué d’un frisson, ému d’une espérance. Le chasseur se redemandait ce qu’il ferait, la lutte en lui n’était pas finie. Peut être allait-il céder à son cœur, à son sentiment à son désir ; mais la Guélotte parut : -Encore cette sale carne, hurla-t-elle en ramassant des cailloux. Et l’homme laissa faire. Miraut compris que tout était fini, qu’il n’avait plus rien à at-tendre ni à espérer et, …il s’en alla sombre, triste, honteux, la queue basse et l’œil sanglant jusqu’à la corne du petit bois de la Côte où il s’arrêta. Alors il se retourna, regarda le village et, de-bout sur ses quatre pattes, il se mit à hurler, à hurler longuement, à hurler au perdu, à hurler au loup, à hurler à la mort, ainsi qu’il l’avait fait aux heures tragiques de sa vie….Et sa plainte sonna comme un glas, et les autres chiens y répondirent, et tout le monde s’en émut, c’était vraiment lugubre et désespéré. » Comme dans ses œuvres précédentes, Pergaud im-merge son récit au cœur de sa chère campagne Franc Comtoise, et pour les personnages de cette histoire, il s’est inspiré de villageois rencontrés dans sa région.* Irrésistiblement, Pergaud était attiré par la chasse non pas pour le plaisir de tuer un animal traqué mais parce qu’il avait accompagné son père dès son adoles-cence dans cette pratique campagnarde, elle lui procurait des sensations fortes, et il est certain que la rencontre avec Jules Duboz, son beau père, lui aussi chas-seur invétéré, a amplifié cette passion. Même si Pergaud écrit à Paris, il retourne chaque année pour les vacances en Franche Comté à Landresse, pays de Delphine, là-bas il trouve son inspiration, il chasse, écoute attentivement les Racontottes de papa Duboz. C’est parce qu’il a su s’éloigner de sa Franche Comté natale, qu’il sait aussi bien la retrouver dans ses écrits. Lucien Descaves, membre influant de l’Académie Goncourt disait de Pergaud lorsqu’il lui rendait visite le dimanche : « j’avais l’impression que l’on ouvrait une fenêtre, il entrait apportant avec lui l’air vif et salutaire de son pays ». Une excellente étude de notre imprimeur, l’ami Daniel Leroux, parue en 1984, illustre parfaitement cette vie campagnarde si bien détaillée par Pergaud: « Cependant pour Louis Pergaud la campagne est bien loin de se limiter au village et à son mode de vie. Elle ne s’ap-préhende pas seulement à partir de la place ou du café…. C’est pourquoi, jamais l’histoire contée, l’évènement décrit ne s’isolent du milieu où ils se produisent ou plutôt qui les

Départ à la chasse, Louis Pergaud est à droite et

Jules Duboz à gauche

*D’après une recherche d’Eugène Chatot, l’ami de toujours, dans un article publié en 1959 concernant les personnages de ce roman : Lisée serait le portrait d’Adolphe Clerc, dit le Mousse, maire du village. Pour la Guélotte cette mégère criarde, Pergaud n’a pas eu beaucoup à chercher, l’épouse d’Adolphe Clerc, dit la Moussotte avait la réputation d’une femme acariâtre, avare, aux sautes d’humeur et aux colères fréquentes. Le Pépé de Velrans semble avoir été calqué sur un dénommé Gullaud, du hameau de Courtetain, on le disait parait-il guérisseur de chiens. Quant à l’histoire du paysan parti à la foire pour acheter un petit cochon, et revenu avec un fusil et un chien, elle était arrivée à Barbe de Bouc , surnom d’ un vieux braconnier qui appréciait beaucoup la « chopine ». D’autres personnages de ce ro-man, comme le garde forestier, des paysans, ressemblent particulièrement à certain villageois.

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BIOGRAPHIE

produit. C’est qu’ils ne sont, en vérité, qu’une des facettes de la vie de ce milieu qui les fait naître et où ils retournent, dès que leur temps de vie a abouti pour se métamorphoser en une nouvelle péripétie. Ces mille manifestations éphémères et quasi cycliques de la Vie s’enchaînent pour donner une œuvre qui, prise dans sa totalité, s’impose comme l’histoire d’un terroir associant intimement sur le même plan, les enfants, les adultes, les animaux domestiques et sauvages, les arbres et les plantes, en un mot tout ce qui participe au règne du vivant pour s’émerveiller, jouir, souffrir, rire et mourir…. Dans ce terroir grouillant de vie, la description balance entre l’énumération détaillée des différentes présences qui l’habi-tent et la saisie fugace du moment où tous les signes du vivant se fondent d’un seul coup pour ne constituer qu’un seul être. » (3) En cette année 1913, Louis Pergaud va connaître un événement dramatique, des mariniers retirent de la Marne, à proximité de Maison Alfort le corps de son ami Léon Beudel qui s’est suicidé. Boulever-sé, il prépare un choix de poèmes en hommage à son ami disparu, que publiera le Mercure de France sous le titre Régner. Avant de répondre à la mobilisation générale de 1914, Pergaud aura encore le temps d’écrire cer-taines œuvres comme Les Rustiques*, La Vie des Bêtes, Etudes et Nouvelles, Lebrac Bucheron (roman inachevé), qui seront publiées à titre posthume au Mercure de France entre 1921 et 1923, avec d’autres textes comme ses Correspondances ou ses Carnets de Guerre. (Bibliographie de Louis Per-gaud page 22). Dans les pages suivantes, Guy Mollaret vous dira tout sur les mois de guerre de Louis Pergaud et les derniers jours de sa vie. Louis Pergaud, fauché dans la fleur de l’âge, nous laisse avec beaucoup d’amertume le sentiment d’une carrière littéraire dramatiquement écourtée, qui compte tenu de ses premiers écrits nous amène à croire qu’il nous réservait sans doute encore beaucoup d’autres chefs d’œuvres.

Gérard LARGE *Manuscrit remis à son éditeur la veille de son départ sur le front. (1) Raymond Poincaré : Homme d’Etat français, Président du Conseil, Président de la République de 1913 à 1920. (2) Théophile Gauthier (3) Extrait de La vie grouillante du terroir, étude de Daniel Leroux Rédacteur en Chef de La Racon-totte, article paru dans la revue Les Amis de Pergaud N°3 voir bibliographie ci-après. Bibliographie : - Louis Pergaud Œuvres Complètes Préface de Pierre Gascar Mercure de France 1987 - Louis Pergaud Biographie Henri Frossard L’Amitié par le livre Néo Typo Besançon 1982 - Louis Pergaud Anthologie Henri Frossard CRDP Ed Cêtre Besançon 1993 - Louis Pergaud La nature et les bêtes N° 2 Les Amis de Louis Pergaud CRDP Besançon 03/1984 - Louis Pergaud Les enfants et les hommes N° 3 Les Amis de Louis Pergaud CRDP Besançon 03/1984 - De nos jours à Pergaud film de Jacques Tréfouël écrit par Jean Pierre Ferrini Les Films du Lieu Dit et France 3 FC. Interview de Françoise MAURY Association Les Amis de Louis PERGAUD

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TERMES D’ARGOT FRANC COMTOIS

râtelle colonne vetébrale

galapia/galvaudeux/gouape

voyou

brûle -gueule pipe

calotin prêtre

gouilland ivrogne

fiautot sifflet

fouette-cul maitre d'école

tatouille raclée

engouloir bouche

gouri cochon

kisse sarbacane en sureau

pantets pans de chemise

tope pistolet en sureau

carcan vieux cheval

le « noir » le curé

godon caillou

géline poule

gruègues pantalon

meufion muffle, museau

niguedouille idiot

ronsin cheval

tire jus mouchoir

gribiche méchante femme

pays village

traje Sentier, raccourci

pattier marchand de chiffons

bacul taudis, abri

murie charogne (insulte)

affutiaux vêtements

gésine accouchement

tire-jus mouchoir

embouélage noeud

cabe chèvre

peignée bagarre

miguer cligner des paupières

assetote siège

blaude blouse

cancoine hanneton

cro corbeau

les gens les parents

seille seau

croquet biscuit

truerie bêtise

poutiu trou

coudre noisetier

taugner rosser

crevi couvert

vie Chemin, voie

se rebraquer Se redresser

sommière chaumière

traje raccourci

brûle-gueule pipe

châtre-bique/eustache

couteau

tocbloche fou

la bué la lessive

gargotte gorge

gavouiller agiter l’eau à la main

cabe chèvre

peut vilain

piquer une larme boire la goutte

regauper rajuster

gigues jambes

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POÉSIE DE LOUIS PERGAUD

Renaissance

J’ai grandi, libre et sain, comme un arbre en plein vent, L’air vif de la Comté tanna ma rude écorce Et, gonflant de santé les bourgeons de ma force, Me fit un front farouche avec un cœur d’enfant. Le malheur, paternel, a veillé sur mes ans, Les destins déchaînés ont fait fléchir mon torse Sans que la peur, ce vin dont le désir se corse, Ait fait chanter plus clair les sources de mon sang. J’ai jeté ma jeunesse au loin comme un manteau Dont je laisse, pensif, du fond des capitales Polluer la blancheur et froisser les lambeaux ; Mais des désirs puissants ont rénové ma sève Et les haines soufflant des montagnes natales Ne pourront plus courber les tiges de mon rêve.

Veillée De l’âtre écussonné d’un grand lys héraldique, L’ombre, comme un rôdeur, à petits pas s’approche ; Au-dehors, sur les champs, s’effeuille un son de cloche Et la retraite meurt dans l’air mélancolique. L’aïeule a raconté, branlant son chef antique, La Vouivre et son front où la perle s’accroche, Et sous un vent de peur, les rêves s’effilochent En ce soir pastoral frère des soirs bibliques. Les grillons se sont tus dans leurs loges de cendres, La flamme du foyer se tord en bleus méandres Léchant de baisers lents et chauds la crémaillère, Et la nuit et le vent, complices de la pluie, Qui font gémir la vitre et crépiter la suie Creusent jusqu’à l’effroi les cernes des paupières.

L'Herbe d'Avril Les Ombres Maternelles ( 1908)

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

La guerre de Louis Pergaud

En 1904, Pergaud adressa au Flambeau, journal anticlérical et antimilitariste de Besançon, des poèmes révolutionnaires, intitulés : « Le vrai ré-veil », « Des morts », «Visions »... qui attirèrent sur lui l’opprobre des bourgeois, mais aussi des jeunes ouvriers. Peut-être partageait-il certaines affinités avec la direction du journal, mais ce qu'il devait sans doute chercher avant tout, c'était à faire publier ses poèmes ? Son anticléricalisme est évident. En témoigne ce qu'il écrit le 24 janvier 1915 sur son carnet de guerre à propos d'un camarade: « un s/s lieutenant de réserve, curé de son métier, vient le convertir car il n'a jamais été baptisé. Il nous raconte ses impressions d'hier en voyant le type (le curé) entrer dans la guérite (le confes-sionnal), et chuchoter avec un autre... » Etait-il antimilitariste ? Oui et non, car devançant l'appel en 1902 pour se « débarrasser » du service militaire, c'est surtout du manque de liberté et de dénuement dont il se plaindra durant son séjour à Belfort comme il le rapporte le 23 mai 1903 dans son journal intime : « Je suis affamé de liberté, de la vraie vie loin des tracas militaires et du terre à terre de la famille. Partir !lâcher tout et affronter l’inconnu ! Je bats malheureusement une lamentable purée. Encore huit sous en poche ! Ah !oui, lâcher tout ! Vivre miséreux, mais vivre […] » On n'aura pas manqué de remarquer que, par Guerre des boutons interposée, il exprimera son scepticisme à l'égard de l'enseignement du culte

de la revanche prodiguée alors aux écoliers de la III ème république et qu'il symbolisera de ce fait « un certain recul du patriotisme belliciste dans l'éducation nationale ». On est donc surpris d'apprendre que c'est sans arrière-pensée qu'il rejoint son affectation, car un autre sentiment balaye alors ses convictions paci-fistes. Sitôt passé le choc de l'assassinat de Jaurès, c'est son patriotisme, en phase avec le discours de R. Poincaré sur l'union sacrée, qui prend le des-sus : l'Allemagne est l'agresseur, la France l'agres-sée, mais elle saura défendre la paix... Pergaud sera donc un militaire sans état d'âmes, et sans pitié pour l'ennemi, car certain de servir la civili-sation contre la barbarie. Sa lettre du 2 août à son ami Marcel Martinet est surprenante à ce titre : «Mon cher ami, adieu les va-cances. C’est Verdun que je m’offre demain pour villégia-ture sans frais. Tu sais : je pars de bon cœur ! J’ai suivi les événements, je ne dirais pas sans fièvre, mais avec beau-coup de calme et de sang-froid. Nous avons voulu passion-nément la paix mais à Berlin on veut la guerre. Jamais je n’accepterais la botte du Kaiser !» Et cette autre à Lucien Descaves :« Vous savez avec quelle ardeur je suis parti, ... Pacifiste et antimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du Kaiser que de n’importe quelle botte éperonnée pour mon pays ; je défendais ce vieil esprit pour lequel il me semble avoir déjà combattu par la plume. J’étais disposé à oublier tout, à passer sur tout, persuadé que dans le danger tout se fondrait... Je me bat-trai, certes, avec la même énergie qu’auparavant ; mais si

L orsque la guerre avec l'Allemagne est déclarée en août 1914, le franc-comtois Louis Pergaud a 32 ans. Il vient juste de déposer le manuscrit des « Rustiques » qui paraîtra en 1921. Par contre il laisse inachevée la suite de la Guerre des boutons. C'est un homme déterminé qui part au combat, mais quelles convictions profondes Pergaud

s'était-il forgées au cours de la douzaine d'années de sa vie d'adulte ? On l'a qualifié de républicain, socialiste, anticlérical, antimilitariste, pacifiste... Profondément laïque, il fut confronté, comme son père également instituteur, aux conflits qui opposè-rent église et état, la loi de séparation de 1905 venant envenimer les choses dans les régions qui comme le Haut-Doubs étaient profondément attachées à leurs prêtres et à la religion. Il faut dire qu'il préférait aller à la chasse qu'à la messe et refusait d'enseigner le dogme catholique à l'école jusqu'à ce que la laïcité de l'école soit effective.

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

j’ai le bonheur d’en revenir, ce sera, je crois, plus antimili-tariste encore qu’avant mon départ. Pergaud dans la guerre. Pour lui elle ne durera qu'un peu plus de 8 mois. Mobilisé dans le 166ème RI, il rejoint Verdun le 3 août et prend son poste de sergent à la 29ème compagnie. Son baptême du feu n'a toutefois lieu que le 7 octobre. Il est ensuite promu adjudant le 9 février 1915 dans la compagnie « hors rang » ce qui lui laisse 15 jours de répit avant le retour au front. Nommé le 9 mars sous-lieutenant commandant la pre-mière section de la 2ème compagnie, il participe à la première bataille de la Woëvre qui se déroula du 6 au 14 avril afin de reprendre Marchéville aux Allemands. Blessé au pied lors d'un assaut près de la cote 233 dans la nuit du 7 au 8 avril 1915, il sera porté disparu. Ses camarades croiront un moment qu'il faisait partie des blessés que les Al-lemands purent mettre à l'abri dans leurs tran-chées avant un puissant tir de barrage français, mais un autre témoignage réfutera cette hypo-thèse. Son corps, sans doute déchiqueté, n'a pu qu'être enseveli sous la boue du champ de bataille bouleversée par les explosions des obus (1). Le patriote convaincu venait de donner sa vie pour que son pays puisse défendre sa liberté. Le monde des écrivains français avait perdu un de ses brillants représentants dont les derniers écrits seront un carnet de guerre et une correspondance assidue avec ses amis et son épouse (2). Près du lieu de sa disparition fut implantée une stèle (3).

On peut y lire : « Parti à la tête de ses hommes, Louis Pergaud, prix Goncourt 1910, auteur de la Guerre des boutons, disparut dans la nuit du 7 au 8 avril 1915 dans l'attaque de la cote 233 de Mar-chéville » Delphine, avec laquelle il entretenait une correspondance quasi quotidienne s'accrocha à l'espoir qu'il aurait pu être fait prisonnier et at-tendit 1919 pour faire son deuil. Le tribunal de la Seine n'officialisa sa disparition que le 4 août 1921. Le carnet de guerre (4) Louis Pergaud a tenu un carnet durant les quelques mois de sa présence sur le champ de bataille, y rapportant au quotidien ses journées et ses réflexions. Il l'avait laissé dans sa cantine (5) lors de cette ultime journée du 7 avril, alors qu'il le gardait souvent sur lui...

La cantine ayant été expédiée à sa veuve, le carnet est parvenu jusqu'à nous. De couleur marron, il est de petites dimensions (10,5cm par 17 cm) et comporte 150 pages quadrillées (6). Louis Per-gaud n'en utilisera que 60. Son récit débute le 3 août 1914 (arrivée à Verdun par le train et 4 km à pied de nuit pour rejoindre sa compagnie), et est interrompu le 6 avril 1915 (Pergaud parle notam-ment de ce qui sera la dernière photographie de lui (reproduite en frontispice du livre Carnet de guerre). Ce même jour Pergaud envoie son ultime lettre à Delphine : « ce matin, comme j'allais voir au bureau s'il y avait des ordres, j'ai trouvé les sous-officiers en train de se faire photographier. Ils m'ont invité à pren-

Cantine de Pergaud

Stèle à Marchéville-en-Woëvre

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

dre place parmi eux, et j'aurai peut-être dans quelques jours une nouvelle photo à envoyer à mon petit cri-cri »...

La rédaction est aux antipodes du style adopté pour la rédaction de ses romans et nouvelles qui se caractérise par des phrases parfois très longues et chargées de détours que certains critiques rail-leront en parlant de « prose fleurie au style appli-qué ». Rapporté du fond de la tranchée, le dérou-lement de certaines journées se résume à quelques mots. Les phrases ou bribes sont heur-tées et interrompues, souvent écrites dans l'ur-gence car la préparation au combat ou la nécessi-té du repos abrègent le temps qu'il peut consacrer au rapport de sa vie de soldat, d'autant qu'il écrit par ailleurs énormément : à ses amis mais surtout à sa femme à qui il envoie quotidiennement une lettre. - « repos. Oui, à peu près du repos, Lettres et colis, écris. Le soir, chansons et gaîté -nuit noire » (16 novembre) - « arrivée à Fresnes. Couché à la cuisine avec les cuisi-niers -bien chaud, bien dormi. Reçu lettres Delphine, Ma-chard, Laval, Martinet » (24 novembre) Analyse du contenu du carnet. Il y a totale cohérente avec ce que d'autres écri-vains- soldats ont rapporté. -Un optimisme initial, car Pergaud est convaincu, comme beaucoup, que la guerre sera remportée rapidement : «panorama magnifique, enthousiasme de tous, on joue au Tonkinois, vie agréable » (4 août) -« sensation d'écrasement, de spleen » (4 décembre) -La désillusion et l'horreur quand on passe à la guerre de tranchées. «très abattu, très déprimé, rêvant du foyer de Landresse et de Delphine. Tiendrai-je jus-qu'au bout ? » (14 décembre) -« les 2 premiers, horriblement mutilés sont projeté hors de la tranchée » (3 janvier) -Les conditions climatiques, pluie, froid, humidi-té, d'autant plus difficiles à supporter que les

tranchées françaises offrent très peu de protec-tion. « je vais essuyer mon linge au feu des cuisines. Hu-midité perpétuelle » (20 octobre). «nous commençons par essuyer une terrible averse ; grêle, giboulées, qui nous glace jusqu'aux os ».(28 décembre) -« l'humidité ambiante rend difficile le séchage du linge » -« froid glacial. Brr-- » (20 novembre) -La fatigue due aux courtes durées de sommeil, et aux conditions de vie éprouvantes. « pas dormi de la nuit, ça fait 2 nuits sans dormir » (5 octobre). «repos ou semi- repos. Le repos total n'existe pas dans la tranchée » (31 octobre). « 6h de sommeil représentent une bonne nuit » (11 novembre) -« éreinté, je m'endors sans avoir la force de manger » (4 décembre) -L'absence d'hygiène qui entraîne des problèmes sani-taires. « coliques, crises de foie » (4 août). « il y a des cas de typho. et des diarrhées suspectes » (9 octobre). « que c'est bon de se laver après 8 jours passés dans la crasse » (11 octobre). « 40 malades environ à la compa-gnie » (4 janvier). « j'ai été très mal fichu ces temps-ci : rhume, grippe, courbatures, fièvres, sueurs de nuit » (20 février). -La boue, conséquence des pluies incessantes « crottés et trempés nous ne pouvons fermer l'oeil » (1er décembre). « Nuit atroce ...dans l'eau la boue et la merde » (11 dé-cembre). -Le manque de place dans la tranchée. « après avoir fait serrer les hommes, on arrive à me faire une petite place où je dois rester 11h ni assis, ni debout, mais vaguement accroupi, les pieds dans l'eau, les fesses sur une banquette humide » (12 janvier) -L'attente lancinante des directives. « nous ignorons la date de notre départ » (1er octobre) -Le stress général comme ce sera le cas le 19 mars. Ce jour-là, la compagnie attend l'heure fixée pour l'attaque sachant qu'elle va, à coup sûr, être envoyée au massacre. Finalement le con-trordre parvient in extremis 3 mn avant l'assaut. Le vécu et le ressenti de Pergaud Que ce soit comme patriote ou comme sous-officier, Louis Pergaud sera confronté à la dure réalité de la guerre. Il saura cependant conserver la foi dans la victoire finale malgré les terribles conditions de vie sur le front et l'incompréhen-sion face aux décisions de certains généraux peu soucieux de limiter les pertes humaines. Il sera à la fois un chef et un camarade pour les poilus de sa compagnie, sachant se faire respecter mais éga-lement s'émouvoir.

Pergaud (en clair) avec les sous-officiers de son régiment

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

Les relations avec sa hiérarchie - « causerie avec mon chef de section, lieutenant Boizeau sorti de St Cyr. Il est bourguignon, nous sympathi-sons » (4 octobre) - « le colonel se souvient de mon livre et de mon nom qu'il a lu dans les journaux » (1er janvier) - « remis au colonel « de Goupil à Margot et la Re-vanche » (11 février) - « le capitaine me remercie de la préface que j'ai écrite à son journal » (21 octobre) - «légère attrapade avec Ferret qui a déclaré qu'on n'était pas de la même caste » (1er janvier) - «Jean n.d.d. est de plus en plus insupportable, être de jour est un supplice » (28 septembre) - « le capitaine a une nouvelle saute d'humeur....c'est moi qui écope et cela commence à m'échauffer les oreilles » (9 janvier) - « j'apprends que j'ai 15 jours d'arrêts pour ne pas con-naître qui a volé des poules dans le poulailler voisin de notre cantonnement. Il importe peu qu'au moment du vol, toute la section était là et que j'étais malade, incapable de faire un mouvement... Je suis écœuré d'une telle injus-tice » (16 décembre). Les relations avec ses hommes - « marche en retraite avec les hommes qu'il fallait soute-nir, guider, encourager comme des enfants » (9 août) - « mes hommes roupillent, je veille » (1er novembre) - «comme je sommeille vaguement, les pieds gelés, on vient m'avertir que Gautier, qui vient de recevoir une balle au cou, demande à me serrer la main avant de mourir » (2 décembre) - «je case comme je peux mes malheureux poilus transis, navrés, pour qu'ils ne soient pas visibles des boches...De mon trou, je supplie mes poilus de ne pas se montrer » « (17 décembre) - «je déjeune et je dors avec 5 ou 6 poilus dans mon abri » (16 mars) - «il y a, à la section, deux ou trois tire-au-cul dont il faudra absolument la purger » (2 janvier) La solidarité et la convivialité - «repas en commun, promenades, exercices, tout se fait en groupes » (4 août) - « le soir sous la tente, les sergents chantent » (13 octobre) - «pour charmer les heures, les hommes chantent et plai-santent » (5 novembre) - «on fait le réveillon, ça dégénère un peu » (24 décembre) - (face à la mort d'un camarade) « ... les larmes mouillent les paupières » (19 octobre) - «Gautier m'offre du beurre pour manger avec mon pain, je lui donne du chocolat » (3 octobre)

- « on parle de la folie dangereuse de Boucher de Morlain-court, de l'odieux de l'attaque, des camarades morts » (20 mars) - «le soir, on se réunit pour chasser le cafard et plaisanter sur les crétins de la division de marche qui nous envoient à la mort sereinement alors qu'eux se terrent jusqu'aux blusses au moindre danger » (21 mars). Les échanges avec l'arrière du front Ils se font par l'intermédiaire des lettres et colis de ses amis et de sa femme à qui il écrit quasi quotidiennement. Grâce à celle qu'il aime tendre-ment il saura conserver un bon équilibre mental. - «reçu colis : tricot, passe-montagne, chocolat de Persky etc. Joie du déballage. 6 lettres dont 2 de Delphine » (22 octobre) - «voulu envoyer une lettre à Delphine. Trop tard, il faut qu'elle parte avant 10h et ce c. de Tioréano ne m'en a pas averti. J'en pleurerais de rage. Pauvre gosse qui va at-tendre sa petite lettre quotidienne » (27 novembre) - «gros colis de Delphine, moult provisions de choix- joie émue » (22 décembre) - « je m'endors et je rêve d'elle, de ses tendresses » (24 décembre) - « envoyé à Delphine sa bague en aluminium et un man-dat-carte de 400 F » (2 avril) -le 8 octobre, sous le déluge des obus, il craint pour sa vie et laisse un message d'adieu à sa femme. Il lui dit qu'elle ne doit pas avoir plus peur que lui, qu'il tient son rôle de défenseur de la patrie. Il est prêt à mourir pour elle. Il termine par un rageur « je lâche le crayon pour le flingot et vive la France », car le devoir l'appelle. Sa vision des Allemands Si, comme la plupart des poilus, il les surnomme souvent les boches, il n'a pas une haine des enne-mis qui comme lui n'ont pas d'autre choix que de combattre. Pergaud trouve principalement sa mo-tivation dans la défense de la patrie. - « un boche prisonnier, grand gaillard solide est passé ce matin dans Manheules entre 4 poilus, baïonnette au ca-non. Il marchait d'un air décidé et les hommes faisaient la haie sur son passage » (14 février) - « on hisse le drapeau de la Croix rouge, et il se dresse sur le parapet. Les boches n'ont pas tiré. Calme, Mistarlet s'avance jusqu'au blessé, salue, charge son homme sur le brancard, et resalue en s'inclinant. Les Allemands lui rendent son salut, les têtes apparues un instant au haut du parapet se rabaissent. On n'a plus tiré de toute la journée. Malgré toutes les horreurs, il reste une certaine humanité des 2 côtés » (29 mars).

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

- C'est donc avec surprise que l'on prend connaissance de ce qu'il écrivit à Paul Léautaud :« je ne donnerais pas ma place pour je ne sais quoi. On tire du boche comme du lapin. ». Est-ce que ces affir-mations traduisaient vraiment sa pensée ? Nous pouvons en douter en parcourant son carnet de guerre. C'est le 8 avril 1915 que se termine la courte vie de cet écrivain qui tient une place particulière dans le cœur des Franc-Comtois. Comme le précise sa fiche indivi-duelle, ce n'est qu'en 1921 que sa disparition sera actée. Son souvenir est aujourd'hui bien présent grâce aux monuments, statues (8), timbre, circuit de la Guerre des boutons ... Un musée (7) a été ouvert à Belmont sa ville natale et un prix Louis Pergaud a été créé en 1953 pour récompenser les auteurs traitant de la Franche-Comté . De nombreuses écoles et rues portent son nom ainsi qu'une rame du nouveau tramway (9) de Besançon. En-fin une association milite activement à la conservation de sa mémoire. Merci ami Louis pour tes contes et romans mais aus-si pour ton sacrifice suprême ! Guy Mollaret Notes : (1) Louis Pergaud n'est pas le seul écrivain de renom national a avoir laissé sa vie durant la grande guerre. On doit citer Alain-Fournier, Charles Péguy, Ernest Psichari, Léon de Montesquiou, Adrien Bernard, Jean Allard... Guillaume Apollinaire survécut à une grave blessure à la tête, mais mourut de la grippe espagnole en 1918. Une stèle fut inaugurée au Panthéon le 15 octobre 1927 par le président de la République Gaston Doumergue en l'honneur des écrivains tués durant la Grande guerre. Sur 4 panneaux de marbre ont été gravés les noms de 560 d'entre-eux. Certains survivants prendront la plume pour rapporter leur vécu de cette guerre horrible dont Henri Barbusse (le Feu, prix Goncourt 1916), Georges Duhamel (Civilisation, prix Gongourt 1918), Maurice Genevoix (Ceux de 14), Pierre Drieu-La Rochelle (La comédie de Charleroi), Roland Dorgelès (les Croix de bois)...Plus de 300 livres sur le sujet paraîtront jusqu'en 1923. Outre-Rhin, Erich Maria Re-marque témoignera magistralement avec « A l'Ouest, rien de nouveau ! » (2) Eugène Chatot, son ami d'enfance, publia, chez Mercure de France, une partie des lettres de Pergaud en 1955 sous le titre Correspondance 1901-1915.Voici ce que dit son éditeur (Mercure de France/le Temps retrouvé) en 2014 : « ...Pergaud écrit beaucoup, tous les jours, à quelques amis et membres de sa famille mais surtout à Delphine, son épouse. Ce ne sont pas moins de 136 lettres, 87 cartes et 4 cartes postales qu'il lui adressera depuis le front. Les mots qu'il emploie sont empreints d'une grande sensuali-té : le désir et le manque s'y lisent à chaque ligne. Les réponses de Delphine ont été détruites, sans doute par pudeur. À celle qu'il appelle affectueusement «ma petite gosse chérie», Pergaud raconte la réalité de cette guerre, dit crûment le froid, la faim, la vermine. Sans rien lui cacher des problèmes de la vie quoti-dienne, qu'il continue ainsi de partager avec elle par le pouvoir de l'écriture épistolaire, il veille cepend-dant toujours à rassurer celle qui s'inquiète à l'arrière... La correspondance de Pergaud est un document historique et littéraire exceptionnel duquel émerge Delphine, figure lumineuse, belle et vaillante. » Édi-tion 2014 d'Eugène Chatot complétée par Bernard Piccoli, actuel président de l'Association (Notes par Eugène Chatot, Françoise Maury, Bernard Piccoli et Patrick Ramseyer). (3) C'est l'Association des Amis de Louis Pergaud, créée en 1965, qui a érigé cette stèle le 24 novembre 1996. Elle est due à Raymond Corbin, alors président de l'association et membre de l'Institut.

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(4) Ce sont des extraits du carnet de Pergaud qu’Eugène Chatot fit paraître au Mercure de France en 1938 sous le titre « Mélanges ». Une première édition intégrale sera proposée en 1994 dans le n°30 du bulletin de l'Association des amis de Louis Pergaud. Françoise Maury, membre de cette association, dut pour cela procéder à un long travail de déchiffrage, tandis que Patrick Ramseyer se chargeait d'identifier les personnages cités. Après une 2ème édition en 2006 par Bernard Piccoli sous le titre « les tranchées de Louis Pergaud », c'est à nouveau Françoise Maury qui, à l'initiative et avec la collaboration de Jean-Pierre Ferrini, a établi cette édition intégrale du carnet de guerre. En complément figure un texte de Jean-Pierre Ferrini, « Un tombeau pour Louis Pergaud ». (5) Pergaud avait droit à sa propre cantine de par son grade d'adjudant. Il demanda à un sapeur du régi-ment de lui en confectionner une en bois et en fit part à son épouse dans un courrier du 21 février 1915.Après sa disparition, Delphine demanda l'envoi de ses effets personnels. Elle reçut la malle le 17 juillet 1915. Celle-ci contenait le fameux carnet, des vêtements, les chaussures acquises pour la cérémo-nie du Goncourt, un couteau « suisse », des crayons, un sifflet, une pipe... Elle devait sans doute conte-nir initialement les lettres que Delphine lui avait adressées. Delphine fit don du carnet à la bibliothèque Doucet de Paris et de la malle, avec son contenu, à l'Association des amis de Louis Pergaud, qui la céda en 2008 au Mémorial de Verdun. (6)Pour coller d'une certaine manière à la réalité, Mercure de France/le petit Mercure a imprimé en 2011 l'édition intégrale du carnet de Pergaud dans le format 10cmx16cm proche des dimensions du car-net. (7) Dans sa maison natale qui est actuellement la mairie de Belmont, a été aménagé en 1989 un petit musée évoquant sa vie et son œuvre. On peut voir également la reconstitution d'une salle de classe. A l'extérieur une plaque commémorative porte " Le 22 janvier 1882 / est né dans cette maison d'école / l'écrivain Louis Pergaud / Prix Goncourt 1910 / Mort pour la France / le 8 avril 1915. " A l'occasion du centenaire de sa naissance, un médaillon le représentant fut inauguré sur l'esplanade de la mairie de Vercel Villedieu-le-camp. Il est dû à Raymond Corbin. Un timbre à son effigie fut émis cette même an-née. (8) On peut voir une statue de Pergaud en soldat promenade Micaud à Besançon. Les titres de certains de ses romans ont été gravés sur le socle. Ce monument en bronze, dû à Antoine Bourdelle, fut inaugu-ré en 1932 alors que le sculpteur était décédé depuis 3 ans. Contrairement à d'autres statues, dont celle de Proudhon, il ne fut pas fondu par les Allemands durant l'occupation suite à une requête du maire de l’époque Henri Bugnet. Certains y virent une faveur accordée aux Francs- maçons dont Bourdelle aurait fait partie et dénoncèrent un complot judéo maçonnique. Or si, à partir de 1920, le sculpteur signait ses œuvres d'un monogramme ressemblant à un pentagramme inachevé et d'autres inscriptions non signifi-catives, il semble avéré qu'il n'était pas Franc-maçon (Pergaud non plus d'ailleurs). Remisée jusqu’à la libération, la statue fut ensuite réinstallée. (9) L'une des 19 rames du nouveau tramway de Besançon est baptisée Louis Pergaud. L'écrivain est ain-si honoré à l'égal de Pasteur, Hugo, Proudhon, Courbet, Vauban, Ledoux... Annexe

Extraits du carnet de guerre,

7 novembre : Je fais nettoyer la rue, qui est vraiment dégoûtante, et curer les fossés d'écoulement de l'eau. Mais vers 9h, le bombardement commence et nous sommes arrosés copieusement de shrapnels et de marmites dans notre coin. Le toit de la bergerie est crevé et la maison d'en face percée de plusieurs trous. A la soupe, les hommes se plaignent que la 9ème escouade qui a pu arracher des pommes de terre n'ait pas partagé et a tout bouffé à elle seule, alors qu'à Manheulles, eux ont tout donné pour la section.

18 mars :...A 3h coup de canon - la grande canonnade se déclenche. Les 75 rasent notre tranchée pour aller éclater en ceinture noire sur les tranchées allemandes - 10mn et on va se lancer. La fusillade commence et nous partons en P2 rem-

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LA GUERRE DE LOUIS PERGAUD

placer la 5ème - la batterie de Maizeray nous tire dessus et les mitrailleuses allemandes, non réduites, nous fauchent. Notre tir d'artillerie a été inefficace. Tant pis. J'arrive au P2 en franchissant un réseau Brun où mes poilus se prennent. L'adjudant me suit avec sa section 50m derrière. Il tombe tué, plusieurs poilus aussi. La mitrailleuse nous fauche juste derrière P2 et les 77 nous éclatent devant le nez, nous brûlant les yeux. Quantité de cadavres gisent déjà. Larant tombe blessé d'un éclat puis achevé par une balle. Renaut, Coquenlarge, Philippe, mon brave Philippe...

Lettre à Edmond Rocher (un de ses amis)

17 octobre 1915- Mon bien cher vieux...« Sers la France, mon vieux, sers la bien dans la mesure de tes forces et ne demande pas à venir partager la vie que nous menons ici. Tu n’y tiendrais pas probablement : les nuits sont terribles dans les marais de la Woëvre et à la suite dans les fatigues harassantes des jours. On se réveillait après deux heures d’un som-meil hanté de cauchemars et qui n’était pas du repos, avec des frissons dans le dos, les genoux ankylosés, les pieds comme des glaçons, tous les poils hérissés et blancs de givre (…) J’ai vu éclater sur ma tête et à mes côtés autant d’obus qu’il est possible, j’ai vu tomber des hommes et mon lieutenant, j’ai dû faire replier moi-même la section dont je devenais le chef à 20m 100m en arrière pour échapper à ce feu d’enfer. A aucun instant je n’ai connu la peur : j’avais autre chose à faire »…

Lettre à son épouse Delphine

Jeudi 1er avril 1915. A Delphine. « Que tes lettres me sont douces à lire, si débordantes de vraie tendresse, de bon amour, et comme je suis heureux de les savourer, de les lire de les relire. Je suis avec toi, je vois ta main qui court sur le papier, tes yeux qui suivent les mots et je suis heureux. Aujourd'hui il fait un temps magnifique, mais il faut que je t'écrive avant toute chose. J'ai plus de plaisir à vivre ainsi en pensée avec toi qu'à courir les routes ne fusse qu'avec le plus beau soleil ! »

Poilus montant à l’assaut

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LOUIS PERGAUD

Bibliographie

Poésie : - L’Aube Ed du Beffroi Lille 1904 - L’herbe d’Avril Ed du Beffroi Roubaix 1908 - Poèmes Posthume. 1928 Paris Romans et nouvelles : - De Goupil à Margot Mercure de France Paris 1910 Prix Goncourt 1910 - La revanche du Corbeau Mercure de France paris 1911 - La Guerre des Boutons Mercure de France 1912 - Le Roman de Miraut paru dans un premier temps en feuilleton dans le journal l’Humanité, et fut publié ensuite au Mercure de France en 1913. - Les Rustiques première édition posthume Mercure de France 1921 - La Vie des Bêtes, Etudes et Nouvelles, suivies de Lebrac Bucheron Mercure de France 1923 - D’autres documents et nouvelles, réunis en un volume furent publiés en 1938 au Mercure de France : Histoires de Loups, Les Petits gars des champs, Léon Deubel, Lettres à sa femme, et les des fragments de Carnet de Guerre. - Correspondances (1901-19015) Mercure de France 1955 Adaptation pour le cinéma : - La Guerre des Gosses de Jacques Daroy 1936 avec Saturnin Fabre, Serge Grave, Charles Aznavour et Marcel Mouloudji enfants, l’action se passe dans le sud de la France. - La Guerre des Boutons d’Yves Robert 1962 avec Jacques Dufilho, Michel Galabru, Jean Richard, Martin Lartigue, André Treton, Michel Isella...tourné en grande banlieue parisienne. - La Guerre des Boutons, çà recommence de John Roberts 1995 tourné en Irlande avec Greeg Fitz-gerald, Evaenna Ryan, Liam Cumminghan … - La Guerre des Boutons de Yann Samuell 2011 avec Eric Elmosnino, Mathilde Seigner et Fred Testo le film a pour cadre un village du sud de la France en 1960. - La Nouvelle Guerre des Boutons de Christophe Baratier 2011 avec Laetitia Casta et Guillaume Ca-net se déroule dans un village de Haute Loire en 1944. Pour ces différents films les réalisateurs et dialoguistes ont pris beaucoup de libertés avec l’œuvre originale de Louis Pergaud. Cette liste n’est pas exhaustive, des poèmes, des articles, et différents textes ont été publiés dans les journaux ou dans d’autres revues, de son vivant ou après sa disparition.

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POÈMES INÉDITS DE CLAUDE CAGNASSO

ABANDON L’étrange aventure s’achève. Six heures du matin. Tu dors. Je suis blotti contre ton corps. C’est la fin d’une nuit de rêve. Sur la mer le soleil se lève. Clapotis des flots ourlés d’or Nous voici arrivés au port. La traversée a été brève. Comme une enfant dans son berceau Tu t’abandonnes…Le tangage, Le roulis de notre vaisseau Ont accompagné le voyage. Bientôt tu vas ouvrir les yeux Sur les plus éclatants des cieux.

ATTENTE A trente ans j’avais tout écrit, La route était déjà tracée Dans la solitude angoissée De l’enfant toujours incompris. Je savais par le cœur meurtri Qu’à mon nom la pierre glacée Au cimetière était placée Qui accueillerait mes débris, Mais aussi que l’âme impatiente Espérait, attendait l’Amour, Le soleil, la vie et le jour Où viendrait l’étoile brillante Me tirant vers l’éternité, Promesse de sérénité.

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LA MNÉMOTECHNIQUE

L e recours aux procédés mnémotechniques se révélait autrefois salutaire lorsque nous avions une hésitation concernant, par exemple, l'écriture d'un mot, la liste des 7 péchés capitaux (1)... En effet, nous n'avions pas toujours un dictionnaire à portée de main quand ces questions se

posaient à nous. Mais, à l'ère d'internet, la grande majorité de la population actuelle (la totalité des 10-25 ans) dispose d'un terminal connecté donnant accès à une multitude de bases de données et correcteurs orthogra-phiques (incluant même les noms propres), voire grammaticaux. Alors, à quoi bon retenir des moyens que certains estimeront désuets voire obsolètes ? Pour en juger, je propose de passer en revue une sélection de ces astuces (pas si anciennes que cela pour certaines...), et ce dans deux domaines : les connaissances générales et l'orthographe. Les connaissances générales -Une phrase facile à retenir pour retrouver un nombre. Il y a bien sûr celle, célèbre, permettant de disposer de la valeur de Pi avec un nombre certain de chiffres après la virgule : « Que j'aime à faire con-naître ce nombre utile aux sages... » En comptant le nombre de lettres de chaque mot, les 10 premiers chiffres après la virgule du célèbre nombre irrationnel s'offrent à nous (3,1415926535), et ce n'est qu'un début. De conception forcément récente « Chacun saura convertir notre monnaie » rappellera la valeur de l'Eu-ro en Francs : 6,55957. - Pour distinguer les stalacTites des stalagMites : on retiendra que les premiers Tombent et les se-conds Montent. -Passage à l'heure d'hiver/ retour à l'heure d'été : « en AVril (fin mars en fait), on AVance sa montre,et en octobRE, on la REcule » La phrase fournit directement la solution. -Nom et ordre des couleurs de l'arc-en-ciel (de l'intérieur vers l'extérieur) : Grâce au mot cabalis-tique VIBUJOR, nous disposons des 7 couleurs soit, Violet, Indigo, Bleu, Vert, Jaune, Orange, Rouge (le U est à lire comme un second V) -Ordre des planètes du système solaire (en s'éloignant du soleil) : « MERe, Viens TERminer MA JUPe, SA coutURe NE tient PLUs » soit Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Nep-tune, Pluton. Ou encore : Mon Vaisseau Te Mènera Jeudi Sur Un Nuage Poudré. -Dieux de la mythologie romaine « Jeune Veuve Joyeuse, Cherche Vieux Barbon Même Malade Afin De Vivre Mieux » : Junon, Vénus, Jupiter, Cérès, Vulcain, Bacchus, Mercure, Minerve, Apollon, Diane, Vesta, Mars. -Distinction entre le charme et le hêtre : « le charme d'Adam c'est d'être à poil », ce qui signifie que les feuilles de charme ont des dents alors que celles de hêtre ont des poils. -Evolution de l'espèce humaine : « Les AUSTRALiens HABILes eurent une ERECTion quand ils aperçurent dans le NEANt des SAPIns gigantesques » : Australopithèques, Homo-Habilis, Homo Erec-tus, Homme de Néanderthal, Homo Sapiens. -Budapest et Bucarest : Vous hésitez pour l'attribution de ces 2 capitales à la Hongrie et la Rouma-nie ? Retenez donc que « si on crie, Boudha peste » : Budapest est en Hongrie. -Urgences médicales extra-hospitalières. Si le « P.A.S. » rappelle l'ordre des actions à mener : proté-ger/ alerte/ secourir, la procédure d'intervention elle-même est résumée par « L'ABCDEF » à savoir : faire l'état des Lieux / apostropher (')- chercher à parler à la victime/libérer les voies Aériennes/ assurer la ventilation pulmonaire (Breathing en anglais)/ contrôler la Circulation sanguine/ recourir éventuelle-ment au Défibrillateur/ protéger la victime si elle est Exposée au froid à la pluie../ informer la Famille. L'orthographe (consonnes doubles, accents, terminaisons...)

(1) Par goût, Colette envie l'orgue luxueux d'avarice : paresse, gourmandise, colère, envie, orgueil, luxure, avarice.

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LA MNÉMOTECHNIQUE

-Colline a deux colonnes, mais colonne a deux collines (les colonnes sont les « l » et les collines les « n ») -Satellite prend deux l (ailes), car c'est nécessaire pour voler, mais un seul t , car il tourne au-tour d'une seule Terre. -L'accent de cime est tombé dans l'abîme, et celui du boiteux est tombé dans la boîte :cime et boiteux n'ont pas d'accent sur le i contrairement à abîme et boîte. -Les adjectifs qualificatifs terminés en [anciel] sont plus athées que proches du ciel : Essentiel, providentiel... ont un t [à t ]) et non un c (de ciel) dans leur suffixe. -Abaque/bac, acné/année, arcane/âne, argile/ île... : en associant 2 mots phonétiquement proches, on connait le genre du premier à partir de celui du second (abaque est masculin, car associé à bac qui l'est sans conteste). La liste complète comporte une quarantaine de couples. -Un paresseux couronné caressait une carotte avec un air intéressé. Cette phrase regroupe 5 mots pour lesquels le r n'est pas doublé. -C'est définitif, au futur et conditionnel, on garde l'accent de l'infinitif . Par exemple, l'accent aigü de céder est conservé pour écrire cédera/céderait. -La fourmi, la perdrix, la souris et la brebis sont privées d'œufs, de bougie et de sortie . La ter-minaison en [i] des noms féminins s'écrit ie, à l'exception des 4 cités ils sont privés du e d'œufs). -La demoiselle aux belles dentelles adore la marelle et les mirabelles. Mais elle n'est pas un modèle pour le zèle auprès de la fidèle clientèle. La terminaison [el] de la plupart des mots féminins s'écrit elle, à l'exception de fidèle, clientèle...à l'instar des mots masculins modèle et zèle. -Hier, j'ai vu le joaillier, le marguillier et le quincaillier, mais pas l'écailler . Seuls 3 premiers mots en [yer] prennent un i après les deux l. -Les amants ont deux aimants fin. Il faut 2 m aux suffixes amment et emment ( 2 m en fin). -Abaco soutra vanviem synthétise les 8 mots en ail qui ont leur pluriel en aux : ail, bail, corail, soupi-rail, travail, vantail, vitrail, émail. Pour rentrer à l'X, il faut perdre son accent : pas d'accent sur les voyelles précédant un x (exact, vexer, convexe, texte...). La liste est loin d'être exhaustive. On notera que l'orthographe rectifiée de 1990, que chacun est libre d'adopter, met un terme à cer-taines de ces particularités orthographiques, mais pas à toutes. Quoi qu'il en soit, l'écriture du français nécessite quelques repères que la mnémotechnique peut ap-porter, à moins que l'on choisisse la facilité en ayant recours aux correcteurs d'orthographe... Cependant, il est un domaine où les mnémoniques restent très utiles, c'est lors de passage d'examens. Il semble, d'une façon générale, qu' écrire correctement le français sans l'aide d'un dictionnaire doive demeurer, comme autrefois, un objectif pour tout collégien, lycéen ou étudiant. En dehors de l'orthographe, l'aide mnémotechnique est appréciable pour améliorer sa culture géné-rale, ou retenir absolument des connaissances indispensables à l'exercice de certaines professions. Ceci est particulièrement vrai en médecine (2) ou en aviation(3) qui en font grand usage.

Guy Mollaret

(2) A titre d'exemple, pour retrouver les muscles épitrochléens du membre supérieur, les étudiants mémorisent « Grand papa cuve et ronfle » pour Grand palmaire, petit palmaire, cubitus antérieur, rond pronateur, fléchisseur commun superficiel. (3) L'acronyme ACHEVER est utilisé pour lister tout ce qu'il ne faut pas oublier de vérifier avant de décol-ler : A pour Atterrisseur - C pourCommandes, Compensateur, Carburation (réchauffage froid), Carburation (mélange plein riche), Contact - H pour Huile, Harnais - E pour Essence - V pourVerrière, Volets - E pour Electricité, Extincteur - R pour Réglage, Radio.

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LA MNÉMOTECHNIQUE

Jours des mois de l’année

Premier et dernier quartier de lune

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POÉSIES : GILLES SIMONNET

Que les amours ont triste fin !

L’amour a des frissons de tulle

Et du bonheur au bout des doigts

Et des gestes de funambule

Heureux à la crête des toits.

L’amour a des regards de gave,

Des pirouettes de dauphin

Et des instants au masque grave

Que les amours durent sans fin !

L’amour n’a que des larmes douces

Et qu’attentes de paradis

Et que couchants aux teintes rousses

Et semaine aux quatre jeudi.

L’amour n’est pas amour coupable ;

Il cuit le pain, verse le vin

Et pose le sel sur table.

Que les amours durent sans fin !

L’amour est de cristal fragile

Et ne supporte que les fleurs,

La paume d’une main agile

Et parfois celle des voleurs.

L’amour est chemin de rocaille

Et parfois même plus chemin

Au plus brûlant de la bataille.

Que les amours durent sans fin !

L’Amour a le temps dans sa poche

Et se moque du sablier ;

Mais quand le bonheur s’effiloche

Le cœur se fait vite oublier.

Aux portes des fins d’aventure,

Au cimetière de la faim,

Les désamours ont la dent dure.

Que les amours ont triste fin !

Un mot suffit Un mot suffit pour tarir les fontaines, Pour mettre en chapelet les jours et les semaines, Pour enlever la foi du charbonnier ; Un mot de trop, un mot de crépuscule Qui jette les espoirs au fond de l’ergastule Avec le sourire premier. Un mot suffit au hasard des injures Et l’on devient vent fol effeuillant les ramures, Prince déchu du temple souterrain Et l’on va l’amble, étranger sur ses terres, En maraudant les nuits pour des rêves austères Qui n’auront pas de lendemain. Un mot lancé du bout de la fatigue Creuse profond la douve et maçonne la digue Qui barrerons la route des amours. Et vont les jours, territoires en friches, Qui ne gémiront plus pour des promesses riches Sous la caresse des labours. Un mot suffit pour figer un visage Et pour remettre au feu la lame hors d’usage Qui souillera les plages du bonheur ; Un mot de trop, un mot sans importance, Mot jeté dans le vent qui cingle le silence Et qui blesse à jamais le cœur.

Recueil Mi- fugues Mi- raison Prix d’Edition poétique de la

ville de Dijon Mars 2014

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POÉSIES : GILLES SIMONNET

Tu peux Tu peux partir, claquer la porte Tirer le verrou sur ton cœur, Jeter tous les mots que colporte Le vent des amours en fureur Depuis longtemps ma peine est morte. Tu peux fuir vers un autre enfer, Faire lever d’autres tempêtes Et croire que j’aurai souffert Au souvenir de tes conquêtes ; Mon bateau n’est plus sur ta mer. Tu peux courir la prétentaine, Planter le feu de ton regard Sur tous les regards que t’amène La rose des vents du hasard ; Tu n’es plus au bout de ma chaîne. Tu peux triompher, oui, tu peux ! Et cracher sur mes derniers doutes, Me laisser seul au coin du feu Pendant que tu poursuis ta route ; Tu compteras bientôt si peu. Tu peux nettoyer ma demeure, Epousseter mes souvenirs, Baisser la lampe pour que meure La flamme de notre avenir ; Ce n’est pas sur nous que je pleure.

Pas aujourd’hui Elle a dit : non ! pas aujourd’hui ; Mes soleils ont trop de lumière Et la rose primesautière N’a pas donné son sauf-conduit. Demain, peut être, si la nuit Se fait douce et si ta prière M’embrasse aussi bien que le lierre, J’ouvrirai ma porte sans bruit. Elle sait jusqu’où sa tendresse Peut laisser glisser la caresse Quand elle s’abandonne un peu. Elle est comme chatte frileuse Ronronnant sur une chauffeuse Mais en prenant bien garde au feu.

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POESIE : VIVIANE PAPILLON

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CHARLIE

Hommage à Charlie Hebdo S’ils sont partis ailleurs, ils sont toujours vivants Car s’ils ne sont plus là ce seront les survivants Qui reprendront le droit de penser et d’écrire De pouvoir dessiner et puis celui de rire. Ces monstres sanguinaires en leur ôtant la vie Croyaient pouvoir détruire chez les autres l’envie De traduire sur le papier en toute liberté Leur façon de sentir, d’exprimer leurs idées. Car eux ne pensent pas, ils tuent au nom d’Allah, Les armes sont réponse à tout, oui mais voilà, Ils ne se doutaient pas que dans notre pays Des millions de personnes crieraient « Je suis Charlie ». Ils recommenceront, certes, ici ou ailleurs Essayant de détruire et d’engendrer la peur Mais ils ne pourront pas ôter de notre cœur Le souvenir ému de ces dessinateurs Ayant perdu la vie dans un grand bain de sang, Et tout à côté d’eux ces pauvres innocents Qui à travers le monde sont devenus des proies Pour assouvir la haine de ces hommes sans loi. Maryvonne Malivoir, 12 Janvier 2015

Voltaire et le fanatisme « Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des ex-

tases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice

qui donne de grandes espérances ; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu….

Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui répandu, de proche en proche, adoucit

enfin les mœurs des hommes et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès il faut fuir et attendre que

l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion loin d’être pour elle un aliment

salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés….

Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un fréné-

tique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule

loi qu’ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr

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CHARLIE

de mériter le ciel en vous égorgeant ?

Lorsqu’une fois que le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires,

qui en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux : leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps

tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.

Oui je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tendre leur membres et écumer. Ils criaient : « Il faut du sang ».

Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.

Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils res-

semblent à ce vieux de la montagne qui faisait dit-on goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une

éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils aillent assassiner tout ceux qu’il leur nom-

merait… »

Extrait du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire (1764)

Un texte qui malgré ses deux siècles et demi n’a pas pris une ride ! Au pays de Voltaire, on ne transige pas avec la liberté d’expression ! Mais que reste-t-il, trois mois plus tard de ces manifestations monstres qui ont fait descendre des millions de personnes dans les rues en criant « Je suis Charlie » ? C’est bien connu, la liberté d’expression ne s’use que si l’on ne s’en sert…pas ! Il est évident que toute la population devait se mobiliser contre ces crimes odieux perpétrés en France. Par contre, en ce qui concerne les quarante quatre Chefs d’Etat étrangers venus apporter leur soutien à notre Président, donc à la France, je suis plus nuancé. J’ai beaucoup de réserves vis-à-vis de quelques-uns, l’association des mots « Liberté d’expression » n’existe pas dans leur propre pays, pour ce qui est de la liberté il suffit de considérer les centaines d’opposants politiques qui croupissent dans leurs geôles ! Que faisaient-ils dans ce cortège de biens pensants ! Quant à la liberté de la presse en France, donc le vecteur de la libre d’expression, elle subit depuis bien des années le diktat économique, Charlie Hebdo en sait quelque chose ! Toutes les publications subissent des difficultés financières, seuls les magazines « people » ont peut être encore une vente suffi-sante pour leur permettre de survivre ; je doute que seules les éditions numériques suffisent à une presse libre de toute contrainte économique et politique, pour qu’elle puisse envisager sereinement l’avenir. Alors la liberté d’expression ne pèse pas lourd face aux réalités économiques. Le gouvernement fera-t- il un pas pour sauver une presse à l’agonie ? Tous ces gens qui sont descendus dans la rue vont-ils retourner chez leur marchand de journaux au nom de la liberté d’expression ? Sans le soutien financier des lecteurs à une presse libre, il reste sans doute un avenir bien sombre à cette liberté d’expression pour laquelle des millions de personnes se sont mobilisées en janvier 2015.

Gérard LARGE Avril 2015

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LE CHANT DES PARTISANS, UN HYMNE À LA RÉSISTANCE

P endant les événements tragiques de janvier 2015, La Marseillaise fut fréquemment en-tonnée par les participants pendant les différentes manifestations politiques, sportives et autres. Un autre chant républicain nous rappelle immédiatement les heures sombres de la seconde guerre mondiale : il s’agit du Chant des partisans composé pendant ce conflit.

Mais pour quelle raison cet hymne de l’Armée des Ombres se nomme-t-il le Chant des partisans ? Il est né sous la plume d’Anna Marly, une jeune femme d’origine russe née à St Petersbourg en 1917 où son père a été fusillé par les bolcheviks ; elle a grandi en exil en France. En 1942, émue par la résistance de l’armée rouge autour de Smolensk face aux nazis, elle apprend par la presse que l’armée allemande est quotidiennement harcelée, sur ses flancs et sur ses arrières par des attaques inopinées de partisans russes. Elle prend sa guitare et compose immédiatement, en russe, une Marche des parti-sans, cette chanson est reprise régulièrement par la BBC. L’écrivain célèbre Joseph Kessel, s’est exilé à Londres en 1942 avec son neveu Maurice Druon, un jeune journaliste ayant publié dans Paris Soir un article au titre évocateur : « J’ai vingt ans et je pars ». En 1943, les deux hommes travaillent pour la BBC, lorsque Joseph Kessel entend cette chanson à la radio, il s’écrie alors : « Voila ce qu’il nous faut pour la France !» Ils décident alors d’adapter des paroles françaises sur cette musique d’Anna Marly. Leur composition, destinée à la Résistance française, est violente et sans équivoque sur la détermina-tion des résistants français, ceux que les Allemands appellent des « terroristes ».Ce texte s’adresse à des hommes en lutte, dans un pays occupé, face à des ennemis dont les atrocités sont quotidiennes. Le dan-ger est permanent, la torture et la mort planent au-dessus de leur tête, leur vie ne tient qu’à un fil, chaque minute qui passe peut être la dernière. Cette chanson passe pour la première fois à la BBC le 30 mai 1943, interprétée par Germaine Sa-blon, sa rediffusion sera quotidienne. Elle est imprimée dans les journaux clandestins, les maquisards la choisissent comme signal de ralliement ou mot de passe. Dans le cœur des Français elle deviendra un hymne à la résistance. Reprises par de nombreux chanteurs après la guerre : des Compagnons de la Chanson à Johnny Hal-liday, sans oublier Yves Montand, Léo Ferré, Juliette Gréco, Line Renaud, Mireille Mathieu, Joan Baez, le Chœur de l’Armée Rouge… elle sera même récemment réactualisée par le groupe Zebda, rebaptisée Motivés.

Gérard LARGE Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaine ? Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme Ce soir l’ennemi connaîtra le goût du sang et des larmes. Montez de la mine, descendez des collines, camarades! Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite! Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite... C´est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères. La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère. Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves. Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève...

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POÉSIES : SERGE TRUCHE

La main tendue Déjà le soleil se lève Et dans la plaine aride, Avant que ne finisse leur rêve, Les enfants s’éveillent dans l’air torride. Les yeux rougis par la moiteur Ils s’en vont très tôt vers leur labeur, Cependant que dans leurs entrailles Grouille la faim qui les tenaille. Mais leur village, pays lointain Ne peut les nourrir tous. Alors ils s’en vont au-delà de la brousse Dans la rue, tendre la main. Et de retour le soir chez eux, Parmi les leurs qui meurent de faim Ils pensent à tous ceux Qui pour une photo, leurs ont donné du pain. Alors le soleil couchant descend Derrière les dunes dorées Tandis que le ciel incandescent Se pare de teintes colorées. Et ces enfants sous la nue S’endorment sous la lune qui luit Et se demandent si pour vivre aujourd’hui Il faut rester la main tendue.

La mer Dans ton cœur tout dort. Tout est calme, et la mer Au loin vient peu à peu au bord De la grève à l’écume amère. Tes yeux regardent le ciel Et rêvent d’abstrait et d’irréel. En toi tout encore sommeille, Mais voilà le jour qui s’éveille. Et la mer vient à ta rencontre, T’appelle, t’attire et t’hypnotise, Elle te veut à elle, tout contre Là, sur la plage où la vague agonise. Tu pars au devant d’elle Entre les montagnes qui se fondent Au loin où elles lèchent le ciel Quand la nuit devient profonde. Alors, tu avances, tu veux t’en aller, Laisser sur la grève des larmes d’écume. La mer te prend, et sans amertume T’entraîne au fond d’elle, dans son cœur salé.

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DÉTENTE

L'âge du capitaine L'« âge du capitaine » est une expression qui renvoie à un problème énoncé de manière à n'avoir aucune réponse possible malgré un nombre important d'indices, ceux-ci se révélant sans rapport avec l'énigme.

C'est Gustave Flaubert qui, dans une lettre envoyée à sa sœur Caroline en 1841, a fait passer à la posté-rité ce type de rébus :

« Puisque tu fais de la géométrie et de la trigonométrie, je vais te donner un problème : Un navire est en mer, il est parti de Boston chargé de coton, il jauge 200 tonneaux, il fait voile vers Le Havre, le grand mât est cassé, il y a un mousse sur le gaillard d'avant, les passagers sont au nombre de douze, le vent souffle NNE, l'horloge marque trois heures un quart d'après-midi, on est au mois de mai... On demande l'âge du capitaine. »

On crut initialement que Flaubert alors âgé de 21 ans en 1841, qui reconnaissait être nul en mathé-matiques, avait cherché à se moquer de sa sœur. En fait il avait été vexé de ne pas réussir à résoudre le problème alors qu'on lui avait affirmé qu'un enfant de 10 ans pouvait trouver la solution.

Le rébus tel qu'il l'a posé à sa soeur est en fait insoluble, car mal formulé. Flaubert aurait dû écrire :

« Tu diriges un navire qui est parti de Boston chargé de coton... » , la réponse est alors immédiate : l'âge du capitaine est celui de la personne à laquelle on pose l'énigme.

Depuis, les rébus de ce type fleurissent impliquant toujours un capitaine (de la marine ou de l'armée) à la différence que les informations fournies permettent, malgré les apparences, de trouver cet âge et plusieures autres inconnues…

En voici un exemple :

Le X ème jour du Yème mois de l’année 1900+Z, un bateau à U hélices et V cheminées, qui embarque W hommes d’équipage est lancé. Il se dirige vers New-York à 18 nœuds de vitesse moyenne et arrive 31 jours plus tard. Durant la traversée un passager calcule que le produit UVWXYZ augmenté de la racine cubique de l’âge du capitaine est de 4002331. Trouver l'âge du capitaine dont on sait qu'il était grand-père, les caractéristiques du bateau, la date du lancement et le nombre d’hommes d’équipage.

Solution 1° L'âge du capitaine a une racine cubique entière puisque les autres nombres et le total sont entiers. Parmi les premiers nombres : 1, 2, 3,4, 5…seule 4 au cube (64) est possible, car 3 au cube (27) est trop faible pour un grand-père et 5 au cube (125) trop élevé… le capitaine avait donc 64 ans. 2° le produit des 6 nombres U,V,W,X,Y,Z, est 4002331-4= 4002327. Il se décompose justement en 6 facteurs pre-miers : 3x3x7x17x37x101= 4002327 Comme il y a autant de cheminées que d'hélices (une hélice et une cheminée correspondent à un moteur), il ne peut y avoir que 3 hélices et 3 cheminées. 3° Parmi les 4 nombres restants, il n'y a qu'une seule répartition possible : 7 ne peut être que le mois, 17 le jour, 37 l'an-née et 101 les hommes. Le bateau avait 101 hommes d'équipage et a appareillé le 17 juillet 1937.

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VIE DE L’ASSOCIATION

Notre délégation Dans le précédent numéro j’avais alerté nos lecteurs sur des difficultés financières menaçant cette publication, voire la totalité de nos activités. La majorité des adhérents ont répondus positivement à cet appel, au nom de toute l’équipe de Franche Comté je les remercie chaleureusement. Sachez aussi que ces difficultés passagères ont été résolues grâce à une subvention exceptionnelle de notre siège parisien. L’Echo de FC s’exporte bien puisque deux nouveaux abonnés le découvrent au-delà du cercle po-laire arctique où ils séjournent plusieurs mois par an. Il est vrai que la revue, née aux portes de la petite Sibérie Jurassienne doit avoir les gènes nécessaires lui permettant de résister aux températures po-laires ; j’en profite pour saluer Jacqueline et Roger, nos deux lecteurs polaires. Une coquille d’imprimerie s’est glissée par ma faute dans notre dernier numéro en réalisant la ma-quette. A force de déplacer le titre pages 30 et 32, le mot Musée, correctement orthographié par son auteur au départ, a fini par perdre son E, sans que je m’en sois rendu compte. Responsable de cette er-reur, je présente mes excuses à nos lecteurs, ainsi qu’à l’auteur de l’article, mon ami Jacques Banderier.

Gérard Large

Vacances L’enfant n’a jamais vu la mer, Il n’a jamais vu la montagne. Il ne connaît qu’aux jours d’hiver La neige courant la campagne. Ses parents lui ont dit qu’un jour Ils l’emmèneraient en vacances Et qu’il connaîtrait à son tour Les plus beaux paysages de France. Son père l’entraine à la rivière Pêcher la truite saumonée Et sa maman, elle, est très fière De les voir ainsi passionnés. Il sait courir à travers champs, Faire un bouquet de fleurs sauvages, Reconnaître des oiseaux le chant, Trouver leur nid dans le feuillage. En vacances dès le matin Il roule dans les chemins creux En vélo avec ses copains Et c’est un enfant très heureux.

Maryvonne Malivoir

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CARTOUCHE

DIRECTEUR DE PUBLICATION M. Bernard RAUTUREAU Président de la Société littéraire de la Poste et de France Telecom 57, rue de la Colonie 75013 Paris Tél. secrétariat : 01 40 05 02 98 SECRÉTAIRE RÉGIONAL M. Guy MOLLARET Le Champ de l’Étang 25720 Pugey Tél. dom. : 03 81 57 28 28 E-mail : [email protected]. TRÉSORIER RÉGIONAL M. Jacques BANDERIER 350 chemin de Pymont 39000 Lons le Saunier Tél. : 03 84 47 40 55 DÉLÉGUÉ POUR LA HAUTE-SAONE

DÉLÉGUÉ RÉGIONAL ET DÉLÉGUÉ POUR LE JURA M. Gérard LARGE 90 rue du Val d’Amour 39100 Dole Tél. : 03 84 82 66 04 E-mail : [email protected] DÉLÉGUÉ RÉGIONAL HONORAIRE M. Bernard CLAUDON 7 rue des lilas 25000 Besançon Tél. : 03 70 02 03 86 DÉLÉGUÉ POUR LE DOUBS M. Jacques ROULLOT Chemin de la Vie au Loup 25870 Tallenay Tél. dom. : 03 81 58 81 51 DÉLÉGUÉ POUR LE TERRRITOIRE DE BELFORT M. Gérard MACHY 7 rue de Bruxelles 90000 Belfort Tél. dom. : 03 84 22 21 21 bur. : 03 84 90 46 08

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À MONT DE LAVAL.