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DE LA TRANSMISSION DE LA FOI AU SUJET DE LA PAROLE
Une urgence pastorale pour l’Église de notre temps
Mémoire
GASTON NDALEGHANA MUMBERE
Maîtrise en théologie
Maître ès arts (M. A.)
Québec, Canada
© Gaston Mumbere Ndaleghana, 2014
iii
Résumé
Le rapport entre la crise actuelle de l’Église – catholique tout au moins – et l’échec du
travail de transmission de la foi constitue une évidence mobilisatrice pour les intervenants
en pastorale. La mobilisation vise l’invention des nouveaux moyens performants, capables
de transmettre la foi à ceux qui l’ont perdue ou à ceux qui ne l’ont jamais reçue. De cette
urgence pastorale témoignent plusieurs écrits. À partir de ce constat, ce mémoire propose
un autre regard par rapport à la crise et à ses urgences. Il s’agit d’un regard qui évalue la
crise à partir de l’écoute de « ceux qui ont perdu la foi ou de ceux qui ne l’ont jamais
reçue ». Cette écoute n’est autre que celle de l’humain témoignant quotidiennement de la
foi de par son existence. Pour vivre il n’y a pas d’autres chemins que de faire crédit. La foi
est ainsi donnée originairement à chaque humain. Elle est donc constitutive de l’existence
humaine. De ce fait, l’urgence pastorale n’est certainement pas celle de la foi ni celle de la
performance de sa transmission. Elle est plutôt ailleurs. Tout en n’étant pas unique,
cet « ailleurs » est identifié pour notre travail dans l’écoute de l’humain devenu « sujet »
construit à partir de la circularité de la parole. Cette urgence de requalification est posée
dans ce mémoire à partir de la lecture sémiotique de quelques textes bibliques, théologiques
et synodaux sur la nouvelle évangélisation.
v
Table des matières
Résumé ............................................................................................................................... iii
Avant-propos ..................................................................................................................... vii
1. 1 Problématique .............................................................................................................. 2
1. 2 Choix et Intérêt du sujet .............................................................................................. 9
1. 3 Méthode et division du travail ................................................................................... 10
Chapitre premier ................................................................................................................ 13
État de la question : la crise de l’Église et la transmission de la foi ................................. 13
Introduction ....................................................................................................................... 14
1.1. De quelle crise est-il question ? ................................................................................. 15
1.2. Des voies nouvelles pour la transmission de la foi .................................................... 18
1.3 La controverse des nouvelles voies ............................................................................ 21
1. 4 La foi, comme donnée intransmissible ...................................................................... 24
Conclusion ......................................................................................................................... 31
Chapitre deuxième ............................................................................................................. 35
Le sujet, un regard à nouveau frais .................................................................................... 35
Introduction ....................................................................................................................... 36
2.1 Karl Rahner et le tournant anthropologique .............................................................. 37
2.1.1 Les conditions de l’accueil de la Vérité ................................................................ 38
2.1.2 L’homme, un être de transcendance ................................................................... 43
2.2. Témoignage du prologue de 1 Jean 1, 1-4 ................................................................. 47
2.2.1 Une pratique réglée de lecture ............................................................................ 48
2.2.2. Le sujet et la lecture ............................................................................................ 51
2.2.3 Lecture de 1 Jean 1,1-4 ........................................................................................ 54
vi
2.2.4 Le témoignage d’une écriture pour la joie .......................................................... 58
Conclusion ........................................................................................................................ 62
Chapitre Troisième ........................................................................................................... 65
L’émergence du sujet de parole. Une urgence pour l’Église de notre temps ................... 65
Introduction ....................................................................................................................... 66
3.1. Parcours appréciatif du Synode ................................................................................ 67
3.1.1 La XIIIème Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques ....................... 68
3.1.2 Lecture des documents........................................................................................ 70
3.2 La Samaritaine et le sujet de parole ........................................................................... 84
3.2.1 Lecture et écoute du texte .................................................................................. 86
3.2.2 La Samaritaine et quelques incidences pastorales .............................................. 91
Conclusion ........................................................................................................................ 93
Conclusion générale .......................................................................................................... 95
Bibliographie .................................................................................................................... 99
vii
Avant-propos
Comment parler pour que ma parole sollicite l’écoute de mon interlocuteur ? Comment
parler pour que ma parole instaure l’autre comme sujet de parole ? En fait, ce mémoire
propose un itinéraire où la parole de plusieurs sujets ne saurait rester unilatérale. Autrement
dit, ce mémoire a été une école où, à plusieurs reprises, notre écoute de la parole des autres
nous a construit comme sujet parlant, sujet qui nomme son manque. C’est ainsi que nous
tenons à leur exprimer nos sincères remerciements.
Nous voudrions en premier lieu remercier la professeure Anne Fortin de la faculté de
théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval, directrice de cette recherche,
pour son accompagnement passionné tout au long de ce travail. Ses connaissances, ses
sensibilités, son ouverture en théologie pastorale et en sémiotique nous ont aidé à
approfondir notre question de recherche. À travers elle, notre gratitude s’adresse également
à tout le corps professoral de la faculté de théologie de l’Université Laval, où nous avons
été sensibilisé avec rigueur et humanité aux questions théologiques sur plusieurs registres.
Nous réitérons notre gratitude à Jean de Dieu Itsieki Putu Basey et à Monique Lortie pour
leurs lectures remarquables de ce travail. Puissent les compagnons de classe trouver ici
notre gratitude pour toutes les joies partagées ensemble. Ces mêmes remerciements
s’adressent à ma famille : mon père Cosmas Kyahwere, ma mère Antoinette Poroto, mes
frères et sœurs, mes ami(e)s.
Enfin, qu’à travers ces pages soient remerciés pour leurs encouragements, leur amour et
leur fraternité, la communauté assomptionniste du Montmartre de Québec, la communauté
chrétienne du Montmartre et ses laïcs de l’Assomption. Nous remercions la province
Assomptionniste d’Amérique du Nord et des Philippines pour son investissement humain,
spirituel et intellectuel en notre modeste personne. Qu’elle découvre à travers ce texte
l’hommage de notre reconnaissance.
À tous et à chacun, je dis et j’écris : MERCI !
viii
À tous les humains marqués par la parole
Introduction générale
2
1. 1 Problématique
Dans la littérature chrétienne catholique contemporaine, l’expression « transmission de la
foi » traverse plusieurs écrits et différentes pratiques pastorales. Cette récurrence témoigne
largement de la place de choix accordée au travail de la transmission de la foi. Les rayons
des bibliothèques réservés à la théologie pastorale ou catéchétique présentent une
multiplicité de titres1 traitant de ce sujet. Face à la variété d’approches dictées par
différentes urgences et préoccupations selon les contextes, les cultures et les temps, un
premier réflexe pourrait consister à inventorier ces différences d’approche de la
transmission de la foi à travers l’histoire. Cependant cette démarche s’accorderait mieux au
travail d’un historien. Dans la perspective qui est la nôtre, nous nous limiterons à la
littérature et aux pratiques pastorales de notre temps2, dans la mesure où elles suffisent à
indiquer à quel point la transmission de la foi semble demeurer une priorité pour la vie de
l’Église.
Aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, cette question se pose avec acuité et urgence devant la
situation « d’agonie » ou « de crise » que l’Église traverse : désertion des fidèles,
dissensions internes, tarissement du clergé3, etc. Réelle, manifeste et démontrable, cette
crise ne saurait être ignorée. Elle mérite d’autant plus d’être prise au sérieux, qu’elle est
1 Delumeau, Jean, La Religion de ma mère : les femmes et la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992, 387
pages ; Benoît XVI, pape, Catéchèse et transmission de la foi, Perpignan, Tempora, 2008, 106 pages ;
Bezançon, Jean-Noël, La transmission, un défi impossible?, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, 98 pages ;
Lanouette, Mélanie, Du par cœur au cœur : formation religieuse catholique et renouveau pédagogique en
Europe et en Amérique du Nord au XXe siècle, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009,
288 pages ; Lefebvre, Jean-Paul, En quoi l'Église doit-elle changer?, Québec, Fides, 1994, 306 pages ;
Société canadienne de théologie. Congrès (1988 : Montréal, Québec), Enseigner la foi ou former des
croyants? : actes du Congrès de la Société canadienne de théologie tenu à Montréal les 7, 8 et 9 octobre
1988, Montréal, Fides, 1989, 233 pages ; Casas, Bartolomé de las, 1474-1566, De l'unique manière
d'évangéliser le monde entier, Paris, Cerf, 1990, 145 pages ; Scouarnec, Michel, La foi, une affaire de goût :
annoncer l'Évangile et proposer la foi aujourd'hui, Paris, Éditions Ouvrières, 2000, 185 pages. Plusieurs
autres titres de ce genre sont mentionnés dans la bibliographie de ce mémoire. 2 Soit le XX
e et XXI
e siècle, en lien avec certains traits qui le caractérisent : sécularisation, laïcité,
développement de moyens de communication, professionnalisme, etc. 3Joseph Moingt revient largement sur ces questions, à son avis périlleuses pour la foi de notre temps, dans
Croire quand même. De libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, Paris, Temps présent,
2010, p. 23-82.
3
aggravée par les nouveaux phénomènes du monde – la sécularisation, les pauvretés,
l’athéisme, l’agnosticisme. Selon René Latourelle,
L’Église est comme frappée de stérilité. Ses pasteurs et ses communautés
religieuses vieillissent. Les Églises se vident et les centres d’apostolat
diminuent ou se ferment, pendant que les centres d’accueil et les infirmeries
se multiplient. L’Église ne parvient pas à engendrer de nouvelles recrues.
Les communautés religieuses enregistrent les vocations au compte-gouttes,
ou n’en comptent aucune. L’Église subit l’épreuve de l’impuissance. Elle a
perdu son influence dans les écoles et les hôpitaux. On ne l’écoute plus dans
les débats éthiques sur le divorce, l’avortement, l’euthanasie, le suicide. Elle
n’arrive plus à freiner la décomposition morale galopante. L’ivraie des
médias étouffe la semence de la Parole. [Finalement] l’Église n’arrive plus à
transmettre sa foi4.
Ainsi, dans une certaine mesure, cette crise découlerait d’un déficit de transmission. Ce
rapport entre la crise en tant que telle et la transmission de la foi est aussi souligné, de
manière ironique, par le théologien Joseph Moingt : la cause profonde de la crise, c’est que
la transmission ne se fait plus. Auparavant, elle se faisait de celui qui commande à celui qui
obéit, du curé à ses ouailles. La transmission a éclaté : c’est ça, la crise de notre
civilisation5. Il y a donc un réel échec, et l’Église ne signifie plus rien, ses mots, ses gestes,
ses rites ne se transmettent plus sans heurts et ne trouvent plus de résonance chez un peuple
qui en a perdu le sens.
L’Église est humiliée, constate Latourelle, mais l’humiliation pourrait conduire à
l’humilité6. Là est proposée une piste intéressante qui mériterait un regard à nouveaux frais.
Plusieurs chemins conduisant à cette humilité seront donc envisagés, et c’est dans cet
espoir qu’il faudrait inscrire la plupart des travaux sur les stratégies de la transmission de la
foi. Plus près de nous, on se référera aux travaux des pères synodaux7 lors du Synode sur la
nouvelle évangélisation. À leur tour, ils se sont intéressés à la crise actuelle de l’Église
relativement à question de la transmission de la foi. Le sujet de leurs assises portait sur la
« nouvelle évangélisation et la transmission de la foi ».
4 René Latourelle, Quel avenir pour le Christianisme ?, Montréal, Guérin, 2000, p. 26-27.
5 Joseph Moingt, Croire quand même Croire quand même. De libres entretiens sur le présent et le futur du
catholicisme, Paris, Temps présent, 2010, p. 56. 6 René Latourelle, Quel avenir pour le christianisme…, p. 29.
7 Les Pères synodaux sont des évêques réunis en assemblée pour discuter d’une question majeure de l’Église.
4
Les textes de ce synode posent un regard résolument conscient et soucieux de la vie de
l’Église en crise. Les priorités et les couleurs sont clairement affichées. On le remarque déjà
dans le titre du texte préparatoire au synode : La nouvelle évangélisation pour la
transmission de la foi chrétienne8. Ainsi mentionnée d’emblée dans le titre, l’expression
« transmission de la foi » souligne l’orientation dynamique du synode. On comprend dès
lors sa récurrence dans l’Instrumentum laboris9. La « transmission de la foi » paraît la voie
obligée pour relever l’Église de ses misères désormais visibles. Le numéro 9 dudit
document10
l’indique explicitement : « Le Synode sur la nouvelle évangélisation et la
transmission de la foi se situe au cœur de cette volonté de relancer la ferveur de la foi et du
témoignage des chrétiens et de leurs communautés. »11
Ainsi le Synode attend que
« l'Église multiplie le courage et les énergies en faveur d'une nouvelle évangélisation
conduisant à redécouvrir la joie de croire et aider à retrouver l'enthousiasme de
communiquer la foi. »12
En fait, il ne s’agit pas d’imaginer quelque chose de nouveau, mais
de « donner un regain d'enthousiasme et des motivations nouvelles. La foi s'affermit
lorsqu'on la donne »13
. Et ici, « donner » se lit aisément comme « transmettre ». Selon cette
perspective, « la foi s’affermit lorsqu’elle se transmet ». Pour ce faire, l’Instrumentum
laboris a indiqué même les lieux, les instruments et les actions propices à la transmission
de la foi : la liturgie, la catéchèse et la charité, en transmettant la foi qui doit être professée,
célébrée, vécue et priée14
. Dans la même perspective, le document soutient une pédagogie
de la transmission de la foi développée dans les quatre grands titres du Catéchisme
Romain : le credo, les sacrements, les commandements et la prière du Notre Père15
.
Ces notations de l’Instrumentum laboris soulignent suffisamment que la transmission de la
foi est véritablement le but et l’objectif de la nouvelle évangélisation16
. C’est vers ce but
8 Instrumentum laboris, 13
ème Assemblée Générale Ordinaire des évêques, Rome-Vatican, 2012. Cf.
[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20120619_instrumentum-xiii_fr.html],
(Consulté le 10 mars 2014). 9 « Instrumentum laboris…» Textes préparatoires ou instrument de travail pour les fins du synode
10[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20120619_instrumentum xiii_fr.html]
(Consulté le 10 mars 2014). 11
Instrumentum laboris, N° 9. 12
Idem. 13
Idem.. 14
Instrumentum laboris, N° 17. 15
Instrumentum laboris, N° 100. 16
Instrumentum laboris, N° 31, 90.
5
qu’il faudrait canaliser les énergies pour lutter contre les obstacles devenus agressifs à la foi
chrétienne, lesquels, selon l’Instrumentum laboris, sont dus aux changements très rapides
de la culture17
.
Dès lors, la question urgente paraît incontestablement celle des moyens de communication
pour l’efficacité et la performance de la transmission de la foi. Il ne s’agit donc pas de
chercher et d’imaginer un autre objet à transmettre mais de trouver les modalités de la
transmission de la foi et de l’Évangile dans une culture changeante. Compris en ces termes,
l’Évangile ou la foi ne sont absolument pas interrogés dans leur constitution même. L’enjeu
consiste plutôt en une communication plus enthousiaste à ceux qui ne les possèdent pas
encore. Cela revient à souligner que le travail de la nouvelle évangélisation consiste à
revivifier les formules et les pratiques de foi, à réfléchir sur leur mode de transmission.
Cette entreprise est légitime ou louable et l’Église a sans doute beaucoup de progrès à faire
en ce domaine.
Mais, est-il vraiment nécessaire et prioritaire de prendre cette voie pour une nouvelle
évangélisation capable de sortir l’Église de la crise ?
Lorsqu’on rapproche le texte préparatoire au synode du Message18
final de ce même
synode, on constate un écart significatif et un déplacement des méthodes ou des stratégies
traditionnelles, voire un changement de la nature même des méthodes anciennes ou
nouvelles utilisables pour le travail de la transmission objective de la foi. La distance entre
ces deux textes n’est donc pas anodine : elle témoigne d’un déplacement, des formules
toutes faites à une écoute de la parole de l’autre. Un nouvel élément apparaît dans le
processus. Il ne s’agit plus d’écouter la méthode de l’autre, mais d’écouter l’autre, que nous
appellerons désormais « sujet de parole ». Entre le premier texte et le deuxième, la
différence est qualitative et place le sujet au centre de la nouvelle évangélisation. C’est un
parcours de vertige, de déséquilibre, où l’objet se dérobe progressivement au profit d’une
parole partagée. C’est ce que nous pouvons, par exemple, lire dans cet extrait :
17
Instrumentum laboris, N° 103. 18
Message au peuple de Dieu, 13ème
Assemblée Générale Ordinaire des évêques, Rome-Vatican, 2012.
[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20121026_message-synod_fr.html],
(Consulté 10 mars 2014).
6
Ne pensons surtout pas que la nouvelle évangélisation ne nous concerne pas
personnellement ! Ces jours-ci, à plusieurs reprises, des voix se sont levées
parmi les évêques pour rappeler que, pour pouvoir évangéliser le monde,
l’Église doit avant tout se mettre à l’écoute de la Parole. L’invitation à
évangéliser se traduit en un appel à la conversion19
.
Dans ce texte du Message final, nous constatons qu’à partir de leurs échanges, les pères
synodaux ont osé une parole qui va au-delà d’une simple transmission de la foi. De ce fait,
la foi, l’Évangile, bref, la Parole de Dieu change de registre par rapport à l’enjeu de la
transmission. Cette Parole ne se transmet pas comme le discours des hommes et des
femmes. Pour la théologienne France Quéré, on peut transmettre une légende, une histoire,
une science, une renommée, une rumeur. Mais la Parole de Dieu résiste, échappe, achoppe
et n’obéit à aucune des lois humaines20
. S’inscrivant manifestement dans cette perspective,
les pères synodaux se sont engagés dans la confiance envers un monde rempli de
contradictions et de défis. Ainsi ils rappellent qu’au-delà de ses contradictions, ce monde
reste une création de Dieu ; blessé certes par le mal, mais toujours aimé de Dieu, et dans
lequel peut germer à nouveau la semence de la Parole21
. Ce déplacement opéré entre les
deux textes est symptomatique d’un malaise qui pose la nécessité d’un changement de
posture par rapport au travail pastoral. Michel de Certeau, s.j.22
décrit ce malaise : « Le
christianisme […] semble être devenu une religion du livre, le commentaire institutionnel
d’une tradition écrite et de rites transmis. »23
C’est cette situation qui paraît intenable dans
le deuxième texte des pères synodaux, la transformation souhaitée n’y étant cependant
encore qu’en gestation.
Ainsi, nous réalisons que les stratégies communicationnelles, les méthodes, les
performances pour la transmission de la foi ne sont plus l’enjeu principal dans le deuxième
texte. Ce n’est plus la reproduction de manière améliorée ou la répétition des formules de
foi rendues actuelles qui ont suscité ce parcours des pères synodaux dans le deuxième texte.
Il y a plutôt eu une parole construisant et laissant émerger des sujets. Déjà en 1973, le
19
Message au people de Dieu, N° 5. 20
France Quéré, La foi peut-elle se transmettre ?, Paris, Cerf, 1974, p. 5. 21
Message au peuple de Dieu, N° 6. 22
Michel de Certeau, jésuite, philosophe et historien français. Né le 17 mai 1925 à Chambéry et mort le 9
janvier 1986 à Paris. 23
Michel de Certeau, « La parole du croyant dans le langage de l’homme », dans Esprit, 35(Octobre 1967), p.
455.
7
théologien Jacques Grand’Maison24
ressentait le désir d’évangéliser autrement qu’en
restant sur le seul registre répétitif : « On n’a pas encore évangélisé quand on a répété et
expliqué l’Écriture. »25
Pour lui, « l’Évangélisation la plus authentique passe par ce lieu
obligé de l’humanisation exprimé concrètement et [que] la démarche fondamentale de
l’évangélisation s’inscrit dans les premières formes d’humanisation. »26
Ce « lieu obligé »
appelle (et ressemble à) ce qui se produit lorsqu’on s’inscrit dans l’écoute de l’autre :
l’avènement du sujet de parole. C’est ce chemin qu’à leur manière reprendront les évêques
québécois dans un document de 2004 intitulé : Jésus-Christ, chemin d’humanisation27
.
Au regard de ce cheminement, est-il encore légitime de lier la crise actuelle de l’Église à
l’échec de la transmission de la foi ? La crise ne découle-t-elle pas plutôt de cet oubli
d’humanisation, du sujet qui passe toujours et inlassablement par la circulation de la
parole ? Dans ce cas, comment faire de la pastorale, et aujourd’hui de la nouvelle
évangélisation, un véritable lieu pour le sujet de la parole, alors que la Parole a été si
longtemps maintenue à l’écart au sein de notre Église catholique ? Telle est la question
principale qui alimente notre recherche. Il s’agit, à partir des Écritures, d’aller à la
rencontre de la Parole qui ne pourrait jamais se réduire à un code, à un message, à de
l’histoire ou à de l’information. L’enjeu consiste à lire les Écritures comme étant les traces
d’une parole en attente d’un sujet-interprète. La Parole instaurera ainsi le sujet et lui
permettra de parler à son tour. Car en effet, ces Écritures sont déjà elles-mêmes investies
d’une Parole, d’un Verbe fait chair qui inscrit son parcours dans les sujets, une Parole qui
vient d’ailleurs et qui échappe à tout essai d’enfermement dans une quelconque formule.
Dans cette perspective, il nous paraît légitime de postuler une première hypothèse de
travail : pour quiconque écrit, lit, interprète ou commente les Écritures, il s'agit de refaire le
chemin de la Parole comme au second degré, en son lieu énonciatif, son lieu du « manque à
24
Jacques Grand'Maison, sociologue, théologien, prêtre et écrivain canadien est né le 18 décembre 1931 à
Saint-Jérôme. Outre son doctorat en sociologie (université grégorienne à Rome, 1962), il a obtenu son
doctorat en théologie à l'Université de Montréal en 1969. 25
Jacques Grand’Maison, La seconde évangélisation, Montréal, Fides, 1973, p. 183. 26
Ibid., p. 234-235. 27
Assemblée des évêques catholiques du Québec, Jésus-Christ, chemin d’humanisation. Orientation pour la
formation à la vie chrétienne, Montréal, Médiaspaul, 2004.
8
dire »28
où les lecteurs adviennent des sujets de parole. En d’autres termes, ce lieu
énonciatif permet au lecteur de s’inscrire dans l’itinéraire où l’on réalise qu’en deçà des
écrits manifestes, existe une instance qui tient l’ensemble des énoncés comme un tout de
signification. L’énonciation est en fait l’instance qui habite le texte, bien que manifestée
nulle part de façon explicite, l’instance énonciatif commande et permet de lire tous les
éléments du texte dans leurs rapports mutuels29
.
Ainsi, lire, écrire, parler, catéchiser ou commenter engage à entendre comment le texte
inscrit dans un langage, dit ce qu’il dit à partir de cette instance énonciative, mieux
immanente, capable d’ouvrir les interlocuteurs vers le passage de la Parole au cœur des
sujets. Ce lieu énonciatif nous ouvre ainsi à lire au-delà et en-deçà des mots, nous invite à
nous laisser convoquer par la Parole reçue dans sa façon de parler et pas simplement dans
son savoir et son message qui serait à transmettre. En ce sens, la mise en discours du Verbe
n'apporte pas la première expérience de la Parole comme s'il s'agissait de donner un savoir
sur le Verbe. Elle met plutôt en œuvre, comme le mentionne Louis Panier30
, cette
expérience où la Parole du commencement agit à nouveau et fait sentir ses enjeux. Lire ou
évangéliser de cette manière ne consistera plus à se coller au texte, ajoute Jean Delorme31
,
mais à s’affronter à une altérité irréductible et à courir le risque de devenir soi-même autre
à l’écoute d’une Parole qui ne se laisse pas posséder32
. C’est ce qui nous conduit à notre
deuxième hypothèse : l’Église de notre temps – dans son travail de reconstruction – ne
pourrait-elle pas s’inspirer du parcours de la Parole, tel qu’il se manifeste dans les
Écritures ? Une Parole entendue au-delà de la communication manifeste. Une parole qui
28
Le manque à dire atteste de l’incapacité pour le sujet à articuler logiquement selon la cohérence sémantique
les parcours figuratifs ou narratifs qui se donnent à lire. Voir Jean-Yves Thériault, « Quel sujet d’énonciation
pour la lettre aux Colossiens ? », dans Les lettres dans la Bible et dans la littérature, 181 (1996), Paris, Cerf,
p. 177-193. 29
Jean-Yves Thériault, « Quel sujet d’énonciation pour la lettre aux Colossiens ? », dans Les lettres dans la
Bible et dans la littérature, 181 (1996), p. 183. 30
Louis Panier né le 8 juillet 1945 à Dole (Jura) en France et mort le 24 octobre 2012 à Sainte-Foy-Lès-Lyon
en France. Il fut professeur à l'Université Lumière Lyon 2 (Département des sciences du langage) et chercheur
au Centre pour l'analyse du discours religieux (CADIR) à l'Université catholique de Lyon. Il a écrit plusieurs
articles et ouvrages dont, La naissance du fils de l’homme, Paris, Cerf, 1991. 31
Jean Delorme est né en 1920 (Savoie, France) et mort en 2005 (France). Dévoué à la lecture de la Bible, il
fut d'abord professeur d'Écriture Sainte au Grand séminaire d'Annecy, ensuite professeur de l'exégèse des
évangiles aux Facultés catholiques de Lyon. Il est cofondateur du Centre pour l'analyse du discours religieux
(CADIR) ainsi que de la revue « Sémiotique et Bible ». Professeur invité dans plusieurs universités,
conférencier, animateur de sessions, Jean Delorme est un auteur prolifique à travers plusieurs pays : en Corée,
à Madagascar, au Tchad, au Canada, en Hollande, en Lituanie, en Suisse, en Algérie,… 32
Jean Delorme, Parole et récit évangéliques, Montréal, Médiaspaul, 2006, p. 32.
9
atteint les sujets de l’écoute. Autrement dit, le parcours de la Parole tel qu’il se laisse lire et
de la manière dont il interpelle son lecteur devenu « sujet », pourrait être reconnu en tant
que structure sous-jacente pour l’Église. Dans ce sens, l’Église ne pourrait plus se contenter
de répéter les savoirs sur la Parole ou sur la foi, mais vivre pleinement d’une Parole qui
précède tout travail d’évangélisation : une Parole d’humanisation qui puise à la source du
commencement.
1.2 Choix et Intérêt du sujet
À dire vrai, notre question de recherche et ses hypothèses témoignent aussi de notre propre
parcours de rencontre entre deux Églises – celle du Diocèse de Butembo-Beni en
République Démocratique du Congo et celle du Québec, dont les particularités diffèrent
considérablement. Cela est normal car la théologie ne peut s’élaborer qu’en fonction de
conditions concrètes d’existence, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales. En
passant d’une réalité ecclésiale à une autre, nous avons été progressivement éveillé à la
question de « la crise de l’Église et de la transmission de la foi ». Cet éveil fut donc nourri
par deux réalités d’Église : l’une pleine et l’autre quasiment vide. Dans le contexte des
églises pleines à Butembo-Beni, la question de la transmission de la foi semblait aller de
soi : les paroisses enregistrent des nombres record de baptêmes, de mariages, et même
d’ordinations presbytérales. De prime abord, ce grand nombre de participants peut attester
d’une foi surabondante. À Québec, nous avons trouvé des églises immenses mais presque
vides. Le petit nombre qui participe est majoritairement âgé et féminin. Dans cette
perspective, il n’est donc pas faux de dire qu’à Québec, la foi connaît une décroissance
remarquable. Sans doute faut-il oser le dire ?
Engagé dans un travail pastoral au Centre Culture et foi du Montmartre de Québec, animé
par les religieux Assomptionnistes dont je suis membre, j’entendais souvent qu’il fallait
inventer un langage nouveau, des moyens nouveaux de communication (par exemple, être
présent sur les réseaux sociaux) et des stratégies nouvelles pour redonner la foi à ceux qui
en avait perdu le sens ou qui ne la possédaient pas encore. Ce besoin d’inventer de
10
nouveaux outils est-il le signe ou le résultat de la baisse de la pratique religieuse, réelle,
visible et démontrable au Québec ? Quoiqu’il en soit, la recherche de nouveaux modes de
transmission est devenue urgente et nécessaire pour redynamiser ces Églises.
À toute fin pratique, lorsque l’on observe de près ces deux Églises, on voit que la
transmission, plus ou moins urgente, se joue essentiellement sur le registre du nombre.
Ainsi le quantitatif paraît la mesure de la crise actuelle de l’Église. Cependant, faut-il
vraiment nous en tenir à ce critère et dépenser tant d’énergies pour cette fin alors que le
problème se trouve peut-être ailleurs ? Valable pour les deux Églises où se situent mes
racines d’appartenance, cette question pourrait aussi en éclairer d’autres, car le problème
est fondamental et concerne aujourd’hui toute l’Église : le nombre, la foule, la quantité.
Ainsi, suscités par les réalités de l’Église de Québec, le souci et l’intérêt de ce travail sont
principalement d’ordre pastoral. Il s’agit d’une pastorale qui nous invite au déplacement
suggéré par la lecture des Écritures. Car finalement, il faut reconnaître que ces écrits ne
sont pas une transcription, une conservation des énoncés, un reportage, une information ou
un document comportant un message à communiquer afin d’accroître le nombre ou attirer
des foules. Leur lecture nous invite plutôt à nous laisser disposer au passage de la Parole,
qui fait du lecteur un sujet lecteur à l’écoute de l’autre. C’est cela que nous voulons
démontrer.
1.3 Méthode et division du travail
Le déplacement sous l’enseigne duquel nous inscrivons cette recherche nous amène à
privilégier l’approche de la lecture sémiotique appliquée aux textes bibliques et aux
pratiques pastorales pour l’Église de notre temps. Dans la perspective de Louis Panier et
Jean Delorme, cette approche s’attache à construire une signification qui ne soit pas
simplement le maniement des signes constitués et codifiés. Le regard porte surtout sur le
texte, sur les pratiques pastorales ou sur les autres figures, pour autant qu’ils soient analysés
pour eux-mêmes et considérés comme un tout de signification à même de produire du sens.
Pour ces deux auteurs, ce type d’écoute du texte, c’est-à-dire à partir de son lieu énonciatif
11
n’est pas à confondre avec la communication. Cette dernière considère le texte ou une autre
figure (pratiques pastorales, les œuvres architecturales…) comme un message transmis
d’un émetteur au récepteur, d’un auteur au lecteur. En ce sens, la priorité est accordée au
destinateur, à ses intentions, ses stratégies, son histoire avant de pouvoir lire le texte ou
l’œuvre d’art.
Entendu dans ce sens, le texte ne s’articule pas vraiment à la Parole qui toujours le précède
et le déborde. C’est pour cet effet que nous privilégions la sémiotique (surtout les parcours
énonciatifs), une lecture qui nous dispose avantageusement à l’écoute de la Parole par
laquelle peut advenir un sujet de parole. Le passage par l’énonciation permet de cerner
l’enjeu de salut donné à partir d’une Parole qui prend chair et qui assume la démarche, qui
ose faire un parcours à partir de l’immanence même du texte, d’un manque à dire faisant
basculer tout objet de savoir.
Pour bien mener notre travail dans cette perspective, nous l’organiserons en trois chapitres.
En premier lieu, à partir d’une revue de la littérature, nous présenterons l’état actuel de la
recherche sur notre sujet. Sans être exhaustif, ce chapitre vise à relever comment et dans
quels termes la question de la crise de l’Église est posée et corrélée à l’échec de la
transmission de la foi. En deuxième lieu, nous nous inscrirons dans un autre mouvement ou
un autre regard qui aborde la question de la crise à partir de l’instance du sujet avant que
l’urgence ne soit méthodologique et communicationnelle. À cette fin, nous revisiterons
avec un grand intérêt le tournant anthropologique, tel qu’exprimé par le théologien
allemand Karl Rahner. Cette lecture anthropologique sera suivie par le témoignage du
prologue de la première lettre de saint Jean, qui indiquera à sa façon l’impasse d’une
quelconque transmission. En dernier lieu, après un parcours comparatif de deux textes du
synode sur la nouvelle évangélisation, suivi d’une courte analyse de l’exhortation
apostolique La joie de l’Évangile, nous lirons le récit de la Samaritaine en Jean 4, 1-30 qui
souligne résolument ce passage et l’émergence du sujet de la parole. Enfin, une conclusion
non-récapitulative recueillera les éléments essentiels de notre cheminement pour indiquer
au lecteur et à la lectrice l’intérêt incontestable que l’on peut tirer de cet itinéraire du sujet
de la parole, au cœur de la pastorale.
Chapitre premier
État de la question : la crise de l’Église et la transmission
de la foi
14
Introduction
Il est désormais d’usage d’associer la crise que traverse l’Église – catholique – à l’échec de
la transmission de la foi, cette dernière étant parfois considérée comme un des plus
importants, sinon le principal, objectifs de toute évangélisation. Au premier regard,
l’articulation de la crise et de l’échec va de soi et plusieurs n’hésitent plus à l’assumer.
Cependant, plusieurs auteurs que nous évoquerons dans ce chapitre s’interrogeront s’il faut
tout simplement reconnaitre cette association des faits. Leur questionnement signale
implicitement que la simple reconnaissance ou la simple description de ce phénomène de
crise n’est pas encore, à proprement parler, un travail déterminant ou décisif menant vers la
sortie de la crise. Il faudrait donc aller plus loin. L’approfondissement de cette question
telle que nous venons de la poser a fait l’objet d’une vaste littérature chrétienne au XXe
siècle et nous proposons ici d’en ressortir les principales articulations. Ces avenues
resteront toutefois limitées et interprétées à l’intérieur de notre problématique. Elles
n’auraient aucune prétention d’analyser la question de la transmission de la foi sous tous les
angles et à travers toute l’histoire du christianisme. À partir de ces quelques articulations
nous nous limiterons surtout à poser la question de la prise au sérieux de la crise de l’Église
à l’égard de l’échec du travail de la transmission de la foi, en cherchant à en dégager des
solutions en lien avec notre questionnement.
En d’autres termes, à partir de ce chapitre, nous relèverons les termes, les cas, les
conditions qui légitiment l’existence de la crise en Église. C’est dans ce sens qu’il convient
de comprendre ce chapitre comme un « état de la question », c’est-à-dire, une prise en
compte du « comment la question traverse ou intéresse la littérature existante » et en
quelles expressions elle fut et reste posée.
Cela étant, pour mener à bien cette présentation, il nous semble adéquat de soulever trois
points : relever d’abord selon quelles conditions et dans quels termes l’on évalue la crise de
l’Église qui soit tributaire à l’échec du travail de transmission de la foi. Il s’agit en ce point
de reconnaître les travaux d’un échantillon d’auteurs, surtout ceux qui, du début du XXe
siècle à nos jours, traitent la crise de l’Église en lien avec l’échec de la transmission de la
foi. Ensuite, nous soulignerons les pistes que ces quelques auteurs proposent dans le but de
15
renforcer la transmission de la foi ; car il faut dire déjà que pour ces auteurs, bien que le
travail de la transmission soit un vrai défi pour notre siècle, il ne représente pas un pari
impossible. Enfin, en considérant ce qui sera soulevé à partir de ces deux premiers sous
points, nous visiterons d’autres auteurs qui remettent en question le travail de la
transmission de la foi du point de vue de sa réception.
1.1. De quelle crise est-il question ?
Lorsque nous analysons de plus près, il ressort que la crise de l’Église est devenue un lieu
commun qui n’est plus à prouver pour en saisir les articulations qui l’alimentent, écrit
Joseph Ratzinger33
. Ceci signifie que ce sujet n’est plus une nouveauté dans le domaine de
la recherche. Plusieurs travaux y ont été consacrés, motivés surtout par la question de
« comment transmettre la foi aujourd’hui ? » Il faut alors souligner, comme le
reconnaissent quelques écrits, que la difficulté à transmettre la foi est le symptôme d’une
crise réelle que traverse l’Église. On ne peut donc pas nier son existence.
Cependant, au-delà de ce lieu commun, comme le constate Joseph Ratzinger par exemple,
ne serait-il pas encore mieux d’approfondir les recherches jusqu’à identifier les causes
majeures qui entretiennent la crise ? Car il serait insuffisant de nous référer à ce lieu
commun, parfois ambiguë, et de nous en contenter, sans commencer le travail souhaité :
sortir l’Église de la crise. C’est dans cette perspective et à partir de quelques écrits de la
littérature existante que nous voulons relever et identifier en quelques grands traits les
causes majeures de la crise de l’Église et du déséquilibre dans le travail de transmission de
la foi. Ces causes étant nombreuses, nous en donnerons quelques repères, regroupés en
deux catégories : les causes externes et les causes internes.
À l’externe, une grande partie du réquisitoire de la crise gravite autour du changement très
rapide de la culture, perçu comme un handicap majeur pour le travail de la transmission de
33
Joseph Ratzinger, Catéchèse et transmission de la foi, Perpignan, Tempora, 2008, p. 7.
16
la foi. Ce changement est surtout expliqué par le développement plus accéléré de la
technique.
Dans son ouvrage Catéchèse et transmission de la foi, Joseph Ratzinger consacre quelques
pages à cette question. Il analyse la crise et l’échec de la transmission de la foi en les
rattachant de prime abord au monde de la technique. En celui-ci, soutient-il, « ce n’est pas
le Créateur qu’on rencontre d’abord, mais l’homme ne rencontre toujours que lui-même. Sa
structure fondamentale est d’être faisable, le mode de ses certitudes est celui du
calculable. » 34
Ce monde de la technique offre le salut en fonction du pouvoir de l’homme
qui veut devenir son propre créateur. Aussi, poursuit Ratzinger, la morale s’y identifie-t-
elle avec celle de la sociabilité, celle de l’humain envers lui-même dans son milieu.
Le changement très rapide de la société a donc si profondément affecté plusieurs foyers de
la transmission de la foi qu’il a bouleversé même ceux qui, jadis, furent des cellules
portantes de la culture chrétienne : les familles. Cette nouvelle image du monde surtout
nourrie par les médias a ainsi marqué les consciences des hommes et des femmes de notre
temps35
. Cela influence considérablement l’enseignement de la catéchèse pour la
transmission de la foi. Le pilier classique de la catéchèse – qu’est la société chrétienne – est
brisé, « sans pouvoir prendre appui sur l’expérience vécue de la foi dans une Église
vivante ; la foi semble condamnée au mutisme en un temps où le langage et la conscience
se nourrissent plus que de l’expérience d’un monde qui se veut son propre créateur. »36
Au comble, le monde de la technique entraîne l’homme dans l’arbitraire, dans l’autonomie
à l’égard de son Créateur. D’où son relâchement progressif par rapport à la Vérité37
. Force
est donc de dire que la crise que vit l’Église ne saurait être isolée du développement
technique construit par l’homme, qui ne lui permet que de rencontrer l’homme, lui-même.
Dans l’univers ainsi dépeint, comment « dire la foi chrétienne à des jeunes ou des enfants
plongés dans un monde sécularisé, où le christianisme n’est plus dominant et se trouve
aussi mis en concurrence avec d’autres traditions religieuses ? »38
interroge Jean-Noël
34
Ibid., p. 7-8. 35
Idem. 36
Ibid., p. 9. 37
Ibid., p. 11. 38
Bezançon, Jean-Noël, La transmission, un défi impossible?, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, p. 8.
17
Bezançon. Dans ce monde, les destinateurs de la foi peinent à partager les convictions ou
les mots de la foi ; la pratique ou les rites semblent appartenir à un autre âge39
. Ce paysage
est donc devenu hostile face au travail des intervenants en pastorale. Ils se rendent de plus
en plus compte que notre monde a profondément changé et qu’il devient difficile de
transmettre la foi selon les méthodes traditionnelles.
À l’interne, quelques noms suffisent pour décrire le problème par le relâchement progressif
des cadres et des grilles qui jadis orientaient objectivement les intervenants en pastorale.
Pour Emilio Alberich, Henri Derroitte et Jérôme Vallabaraj, l’établissement des cadres, au
sens objectif, est le véritable chemin à promouvoir afin de sortir l’Église de la crise. Grand
expert de la catéchétique de l’Université Pontificale Salésienne de Rome, Emilio Alberich
déplore l’absence de cadres, soutenant que les catéchistes sont laissés à eux-mêmes dans
leurs efforts pour fournir tout ce qu’implique le message révélé. Pour lui, la crise est surtout
liée à l’incapacité de présenter de manière intelligible le message chrétien à nos
contemporains. De fait, la catéchèse traditionnelle ne signifie plus rien pour l’homme
contemporain ; elle ne communique rien40
. Bien que, dans la stratégie pastorale
d’aujourd’hui, poursuit Alberich, on peut trouver de nombreux indices laissant présager un
avenir prospère : floraison des communautés nouvelles, réapparition des ministères des
laïcs, nouvelles relectures de la Bible, etc. il faut aussi reconnaître que la catéchèse
ecclésiale présente également des signes évidents d’une crise grave. Certains parlent même
d’identité catholique perdue ou d’analphabétisme théologique ; c’est l’état général de
crise41
exprimé par ce relâchement de cadres qui jadis présentaient objectivement la Vérité
révélée.
Est ainsi cernée une des causes majeures de « l’affaissement de la transmission de la foi [et
de l’] échec alarmant dont les proportions sont à l’échelle de toute une génération »,
constate cet auteur42
. Emilio Alberich n’hésite pas à attribuer cet échec à « la dérobade
39
Idem. 40
Emilio Alberich, collaboration de Henri Derroitte et Jérôme Vallabaraj, Les fondamentaux de la catéchèse,
Montréal, Novalis, 2006, pp. 24-27. 41
Ibid., p. 23. 42
Ibid., p. 26.
18
éducative [et à la] liberté culturelle. »43
Pour lui, les organes traditionnels ont échoué à
transmettre les croyances et les valeurs, de sorte que les convictions et les mœurs
religieuses ne sont plus transmises d’une génération à une autre.
Logiquement, ce climat ne manquera pas de susciter un certain découragement ou un
vertige chez certains intervenants en pastorale. Cet extrait d’une conférence de Jean-Pierre
Rosa, délégué général des Semaines sociales de France, peut en témoigner éloquemment :
« Face à la crise de la transmission qui affecte la foi chrétienne, nous nous sentons
démunis, pressés par l’urgence ou encore tentés par la démission ; à moins que nous nous
surprenions à regretter les temps anciens où les choses étaient claires, pensions-nous ! »44
Certes, « nous pouvons légitimement être pris de vertige face aux bouleversements »45
que
le monde de la technique annonce et face aux impacts qu’il provoque dans le travail de
transmission de la foi. Mais, faut-il vraiment se décourager, alors que les humains ont
fondamentalement besoin de la transmission de la foi comme donnée indispensable à leur
existence, s’interrogent trois autres auteurs dont il sied de présenter les arguments.
1.2. Des voies nouvelles pour la transmission de la foi
Commençons par le regard autre que celui des théologiens. Frédéric Mounier46
, journaliste,
ouvre la réflexion en évoquant les mutations, les changements qui affectent les familles et
dont nous n’avons sans doute pas encore pris toute la mesure47
. Pour lui, la famille,
auparavant lieu idéal pour la transmission de la foi, connait désormais une inversion de
sens. Et il serait vain de vouloir rechercher cet ordre ancien « où l’homme, la femme et
43
Idem. 44
Jean-Pierre Rosa, La foi chrétienne à l’épreuve de la transmission, Conférence donnée au cours de la
session des Semaines sociales de France : Transmettre, partager des valeurs, susciter des libertés. Forum 4,
sur l’Église, 2005. Voir [http://www.ssf-fr.org/offres/file_inline_src/56/56_P_20517_1.pdf], (Consulté en
février 2014). 45
Bezançon, Jean-Noël, La transmission, un défi impossible ?..., p. 11. 46
Fréderic Mounier, est rédacteur en chef délégué du Croire aujourd’hui (Bayard), producteur-animateur de
Face aux chrétiens, émission politique de La Croix, Radio Notre-Dame, président de la délégation catholique
pour la coopération. Cf. Bezançon, Jean-Noël, La transmission, un défi impossible ?..., p. 25. 47
Ibid., p. 9.
19
l’enfant se trouvaient assignés à vie à des rôles prédéterminés. »48
Ce schéma est
bouleversé dans notre société marquée par le changement très rapide de la technique. Dans
ce cadre « ultra-souple », selon quel mode d’emploi faudra-t-il transmettre49
? Car la
différence de rôles ne fonctionne plus comme avant. Les pouvoirs ne sont plus fixés par le
père de la famille. D’ailleurs dans le monde de la technique, l’enfant se révèle mieux
informé que ses parents. Faut-il pour autant céder au désespoir, à l’amertume et au repli ?
Certainement pas50
, répond Mounier.
Pour cet auteur, rien ne justifie le découragement pour le travail de transmission de la foi. Il
nous convie à découvrir des voies nouvelles qui correspondent à notre monde tel qu’il
est. « Certes l’urgence existe. Mais il s’agit pour nous, en particulier si nous nous
réclamons de la foi en Jésus-Christ, de voir le monde tel qu’il est, de discerner là où il
pourrait aller, et si possible, de lui éviter de plonger dans la barbarie, c’est-à-dire la
négation de l’humain. » 51
Le chemin que trace Mounier nous conduit à la transmission de
l’homme. Cette transmission assume implicitement celle de la foi. Pour lui, le but de
l’Évangile n’est pas de faire des chrétiens, mais des humains qui construisent le corps du
Christ. Dans ce sens la question n’est plus celle de la foi à transmettre, mais plutôt celle de
« quel type d’homme peut produire le christianisme dans le monde dessiné ci-dessus ? »52
Face à cette question, Fréderic Mounier suggère au christianisme, dans son travail de la
transmission de la foi, quelques propositions, humbles et capables de promouvoir l’humain
: affirmer la liberté contre la résignation de la fatalité, être ami du temps, sortir des ghettos
afin de rencontrer l’autre, combattre le mal à son humble mesure, revêtir la foi d’une
dimension sociale, cultiver l’esprit critique, reculer face aux modes, aux grandes marées
médiatiques53
. Il faut donc du courage, de la perspicacité et du discernement pour oser cette
transmission, ajoute l’auteur.
Outre ce regard de journaliste, d’autres voix militent pour une autre manière de transmettre
la foi afin de sortir l’Église de la crise qu’elle traverse. « Malheur à moi si je n’annonce pas
48
Ibid., p. 14. 49
Ibid., p. 15. 50
Idem. 51
Idem. 52
Ibid., p. 21. 53
Ibid., p. 22-25.
20
l’Évangile » (1 Co 9, 16). C’est dans l’exigence de cet extrait de la première lettre aux
Corinthiens que Pierre Chalvidan54
inscrit la nécessité des voies nouvelles pour la
transmission de la foi dans le monde d’aujourd’hui. Cet universitaire catholique est
remarquable par son intérêt et son sérieux à l’égard de la question portant sur la place de la
foi et de sa transmission. Chalvidan part aussi de l’idée qu’il existe bien « un défi à la
transmission et avant tout parce que nous sommes dans un environnement culturel, un ethos
qui est, par nature, plutôt hostile à la transmission. »55
Cet environnement ne met pas en
péril les moyens de la transmission, mais les fins, le but : l’humain lui-même. Car l’humain
ne peut se passer de la transmission. Ce péril devient effectif par quelques traits dont la
société dote l’humain : l’individualisme, le subjectivisme, le poids du conformisme, les
sociétés utopiques qui créent des individus sans enracinement, les sociétés a-bibliques, le
règne de la rationalité instrumentale qui lamine toutes les autres formes de rationalité –
philosophique, littéraire, poétique, théologique – pourtant porteuses de transmission56
. Pour
Chalvidan, ce serait faire fausse route que de lâcher prise devant tous ces maux qui rongent
la transmission. Pour lui « les défis devraient être relevés […] en ne surévaluant pas les
obstacles pour les transformer en alibis et en renonçant, comme le conseille Marcel
Gauchet, à la tonalité apocalyptique. » 57
Dans ce sens, dénoncer les erreurs du monde ne
signifie pas le condamner, car de cette dénonciation peut surgir la lueur de la transmission,
de l’espérance qui redonne l’identité oubliée. L’Église « reste la principale institution »58
à
même de redonner cette espérance de la transmission de la foi. Dès lors, termine Pierre
Chalvidan, « proposer la foi suppose de reconnaître celle-ci : comme grâce […] comme une
vérité révélée à laquelle on adhère de sans cesse l’approfondir…»59
Toujours dans la quête des nouvelles pistes pour la transmission de la foi en ce temps du
monde de la technique, découvrons en dernier lieu ce que propose le théologien Jean-Noël
Bezançon60
. Lui aussi reconnait le problème : la crise qu’est le déficit dans le travail de la
transmission de la foi, même s’il n’est pas saisi de la même façon partout dans l’Église. Il
54
Pierre Chalvidan, Maître de conférence à l’Université Paris XII – Val-de-Marne. 55
Bezançon, Jean-Noël, La transmission, un défi impossible ?..., p. 31. 56
Ibid., p. 31-36. 57
Ibid., p. 36-37. 58
Ibid., p. 38. 59
Ibid., p. 39. 60
Jean-Noël Bezançon, théologien et cure de paroisse en banlieue parisienne. Il a écrit Un chemin pour aller
ensemble au cœur de la foi.
21
reconnaît qu’« il est de bon ton aujourd’hui de se lamenter sur la transmission qui ne se fait
pas ou qui se fait mal. »61
À dire vrai, transmettre la foi ne va plus de soi comme si les
temps ne sont plus favorables à l’annonce de l’Évangile. Les crises de familles, des écoles,
de l’emploi en sont à la fois les causes et les conséquences.
Mais conviant ses lecteurs et lectrices à ne pas lâcher prise, Bezançon appelle à transmettre
la foi avec passion et courage : « La foi doit être semée, plantée : elle ne poussera pas toute
seule […] Toute transmission suppose des semeurs passionnées. D’ailleurs le drame de
bien des vies ne vient-il pas de ce qu’elles ont été semées sans passion, ou même sans
véritable affection ? »62
Aux côtés de la passion et du courage, l’auteur ajoute d’autres
remarques qui sortent la transmission de la foi d’un simple exposé des doctrines vers la
naissance d’un « nous » implicatif. Celui-ci signifie que la foi, bien que communautaire,
demande une implication personnelle. En comparant la foi à l’amour l’auteur estime
qu’« on ne tombe pas amoureux par procuration. »63
Cette note nous alerte déjà sur
quelque chose d’important que nous développerons plus tard. Pour le moment,
reconnaissons ce qui est commun pour ces trois auteurs : inventer des nouvelles voies qui
soient capables de transmettre la foi dans le monde tel qu’il est. Personne ne renonce
jusqu’à présent à tout essai de la transmission. La nouveauté revient à « transmettre
autrement » dans ce monde de la technique.
1.3 La controverse des nouvelles voies
Cet effort nouveau de « transmettre autrement la foi » apparaît comme un nouveau souffle
pour la pastorale, mais cette nouveauté ne va pas de soi. Car en y regardant de près, comme
le remarque Ratzinger, ce geste d’effort à transmettre selon que nous sommes dans le
monde édulcore d’une certaine manière la foi authentique, un tout de structure fondamental
puisé aux sources d’une tradition totale. La conséquence de ces efforts, c’est la
61
Ibid., p. 45. 62
Ibid., p. 52-53 63
Ibid., p. 72.
22
fragmentation de la proclamation de la foi64
. « Celle-ci fut non seulement livrée à
l’arbitraire dans son exposé, mais encore remise en question dans certaines de ses parties,
qui appartiennent pourtant à un tout et qui détachées de lui, apparaissent décousues. »65
La crise n’est donc pas seulement causée par une source extérieure (le monde de la
technique), ni par une source interne (le relâchement des cadres dans la manière de former à
la foi) et qui pourraient être corrigées comme le témoignent implicitement les exemples
éloquents de ces tentatives contemporaines dites « nouvelles » (courage, initiatives,
invention, passion). Le problème est plus fondamental et profond. Joseph Ratzinger est plus
sévère et intransigeant quand il aborde ce sujet. Pour mieux saisir l’enjeu de sa remarque,
un détour vers la théologie pratique s’avère nécessaire.
En fait, face au soi-disant mutisme de la foi dans le monde de la technique, la théologie
pratique dans certaines de ces réalisations, indique Ratzinger, avait tracé des voies
nouvelles et mieux adaptées pour le travail de la transmission de la foi. Cependant, on
constate que ces nouvelles voies de la théologie pratique ont davantage aggravé le
problème qu’elles n’ont aidé à le résoudre. L’exemple le plus flagrant aux yeux de
Ratzinger, c’est la suppression du Catéchisme, déclaré même « dépassé »66
. Certes,
poursuit Ratzinger, le Catéchisme comme livre était devenu vieux, mais « la transmission
de la foi, comme structure fondamentale née de la logique de la foi, est aussi ancienne que
le catéchuménat, c’est-à-dire que l’Église. Elle découle de la nature même de sa mission et
on ne peut donc pas y renoncer. »67
Cet auteur dénonce là une erreur grave : « une décision
erronée, hâtive et universelle »68
ayant des liens avec des nouvelles méthodes de lecture
devenues des critères pour valider le contenu. En d’autres termes, cette situation a prouvé
que les méthodes ne sont plus le véhicule des contenus, mais elles se sont érigées en
critères de validation de contenu. C’est ainsi que sont « définies les voies de la catéchèse
nouvelle. »69
Il en résulte que la foi elle-même est paralysée.
64
Joseph Ratzinger, Catéchèse et transmission de la foi…, p. 10. 65
Idem. 66
Ibid., p. 9. 67
Ibid., p. 9. 68
Ibid., p. 10 69
Idem.
23
Dès lors, poursuit Ratzinger, la théologie pratique n’est plus comprise comme un
développement concret de la théologie dogmatique ou systématique, mais comme une
valeur en soi. Dans ce sens, ses aspirations correspondent à la tendance actuelle de
subordonner la vérité à la praxis70
. Cette préséance de la méthode sur le contenu, cette
prédominance de l’anthropologie aux dépens de la théologie conduit incontestablement au
découragement puisqu’on ne peut plus « présenter la foi comme un tout organique en soi,
mais seulement comme des reflets choisis d’expériences anthropologiques partielles
[reposant] en dernière analyse sur une certaine défiance à l’égard de la totalité. »71
La foi
est pourtant celle de l’Église de tout le temps, souligne Ratzinger72
.
Tout compte fait, il nous semble que cette remarque de Ratzinger vaut son pesant d’or.
Sans entrer dans le débat d’écoles qu’il soulève au sujet de la méthode, du contenu ou alors
de la vérité, on doit reconnaître à Ratzinger le mérite de recadrer le débat. En effet, la
question de la foi n’est pas à traiter simplement au niveau des méthodes capables de
rassurer la transmission. La foi, en elle-même, constitue une épineuse question qui déborde
le temps. Elle est de l’ordre de la vérité dogmatique qui ne saurait se ramener aux aléas du
temps : « la foi elle-même est anticipation sur ce qui est actuellement inaccessible »73
. Dans
ce sens, la remarque de Ratzinger devient on ne peut plus éloquente, la transmission de cet
« inaccessible » ne pouvant pas simplement se réduire aux méthodes du transmetteur.
Plus radicalement, comment aujourd’hui les intervenants en pastorale sauront-il transmettre
cette anticipation de l’inaccessible, à moins que l’inaccessible lui-même fasse ce travail en
chacun74
? Cette question bouleverse déjà le projet de tout travail de la transmission de la
foi. Déjà chez Jean-Noël Bezançon, ce malaise transparaît quand il essaie de donner des
nouvelles pistes pour la transmission de la foi. Avec lui, on doit reconnaître qu’« on ne
tombe pas amoureux par procuration ». C’est en chaque sujet que se joue le mystère de cet
amour ou de cet inaccessible, qu’est la foi. André Fossion le perçoit bien lorsqu’il souligne
70
Ibid., p. 11. 71
Idem. 72
Idem. 73
Ibid., p. 19. 74
C’est nous qui posons cette question et non Ratzinger.
24
que « la transmission de la foi elle-même n’est pas de notre ressort »75
, autrement, elle se
ferait par étape, d’une personne à une autre, d’une génération à une autre. Il y a donc un
caractère irrésistible de la foi, qui nous pousse à chercher le problème de la crise ailleurs
que dans sa transmission toute faite. Mais auparavant, il convient de nous arrêter un instant
sur la foi elle-même et chercher à saisir avec quelques chercheurs, pourquoi elle résiste à
tout essai de transmission.
1. 4 La foi, comme donnée intransmissible
Aujourd’hui, comme nous venons de le mentionner, la crise que traverse l’Église
catholique conduit plusieurs à se lamenter sur l’absence de la foi chez un grand nombre de
personnes qui ne se soucient pas prioritairement des pratiques religieuses, considérées
comme expressions visibles de cette foi. Pour la majorité de gens, on en arrive à conclure
que la crise de l’Église signifie la « panne de la transmission de la foi ». Pourtant, la
dimension inaccessible de la foi, telle que démontrée dans les paragraphes précédents,
amène à appréhender la crise autrement. Est-ce le manque de foi en l’humain qui engendre
la crise ou l’ignorance de cette foi inhérente en l’humain ? Posée en ces termes, la question
nous oblige à analyser, à la lumière de la littérature existante, le rapport que l’humain
entretient avec la foi, avant de penser sa transmission, pour autant qu’elle existe en tant que
telle.
Au premier regard, l’on attribue aisément la foi au lexique religieux, particulièrement à
celui du christianisme. Comprise dans ce sens, la foi apparaît comme l’essence de Jésus ou
un savoir sur Dieu qu’il convient d’intégrer intellectuellement. De plus, la foi se voudrait
une morale à appliquer, un sentiment, une intuition, voire, une émotion que l’on devrait
éprouver. Se rétrécit ainsi sensiblement, la frontière entre la foi et l’expérience ou l’objet à
acquérir. Elle deviendrait une possession, une intuition extérieure à l’humain. Finalement,
elle doit être acquise.
75
André Fossion, « Quelle annonce d’Évangile pour notre temps ? » dans Une nouvelle chance pour
l’Évangile. Vers une pastorale d’engendrement, sous la direction de Philippe Bacq et Christoph Théobald,
Paris, Les Éditions de l’Atelier, (2005), p. 78.
25
Pourtant, comme le souligne Christoph Théobald, la vie ordinaire de l’humain témoigne
chaque jour de la foi au-delà de toute acquisition. Ici, nous sommes loin d’identifier la foi
au credo, ni même aux enseignements proprement chrétiens. La foi dont nous parlons
renvoie premièrement, et prioritairement, à « l’acte élémentaire de confiance que nous
posons tous les jours pour vivre. […] Pour vivre, il n’y a pas d’autre chemin que de faire
‘‘crédit’’. »76
Cette expérience élémentaire de la foi traverse toute existence, la vie de
chaque jour. Presque tous les domaines de la vie sont marqués par cet acte élémentaire de
foi. Croyance, créance, crédit, fiabilité, fiançailles, mariage, associations, etc. sont autant de
réalités qui traduisent quotidiennement l’acte de foi déjà présent en l’être humain. C’est en
ce sens que peuvent vibrer en nous ces paroles remarquables du sociologue Fernand
Dumont : Il n’y a pas la foi77
d’un côté et son absence de l’autre ; la foi est constitutive de
l’existence, au même titre que la raison et le langage78
. La foi est donc une réalité
fondamentalement et profondément humaine qui nous ouvre vers quelque chose : une
rencontre avec l’autre ou l’Autre. Nous estimons que ce désir de rencontre ne saurait être
comblé dans la transmission d’un dogme ou d’une doctrine de foi aussi soigneusement
formulé qu’il puisse l’être.
De ce point de vue, il devient possible d’intégrer la foi que Jésus reconnaît et admire chez
le Centurion (Mt 8,5) : « Va, qu'il te soit fait selon ta foi » ; ou chez l’aveugle de Jéricho
(Mc 10, 52) : « Va, ta foi t’a sauvé ». Dans tous ces cas, comme le souligne le théologien et
psychanalyste Jean-Daniel Causse, rien n’indique une quelconque adhésion à des vérités
révélées ou à un enseignement doctrinal qui, par la suite amènerait au croire. Dans ces deux
cas, point n’est besoin de croire en quelque chose, mais de faire confiance à partir d’une
rencontre de foi existentiellement humaine. Dès lors, ne pourrait-on pas naturellement
confesser que la foi est tout simplement une manière d’exister, une conviction qui anime
l’être humain pour vivre79
?
Sous cet angle, et à la lumière de ce qui vient d’être dit, nous réalisons que la foi ne se
perpétuerait ou ne se maintiendrait pas dans sa transmission, ni dans son explication. Cette
76
Christoph Théobald, Transmettre un évangile de liberté…, p. 22. 77
Encore ici nous n’entrons pas dans les subtilités différentielles entre foi, croire, confiance… C’est leur
racine étymologie qui nous intéresse. 78
Fernand Dumont, Une foi partagée, Québec, Bellarmin, 1996, p. 17. 79
Conférence de Jean-Daniel Causse, Ce que nous avons à transmettre, Montpellier, (inédit), 2007, p. 6.
26
foi mérite d’être appréhendée autrement. Elle exige le mouvement vers l’Autre, car elle est
une tension qui fait agir. Elle est en action et moins en mode d’objet à transmettre. Pour la
communiquer, on ne pourrait se contenter de la décrire : à son sujet, toutes les définitions
restent limitées. Raymond Panikkar dépeint la foi comme « ouverture existentielle vers la
transcendance. »80
Cette ouverture signale que vivre de la foi, c’est être encore en chemin
comme un itinérant. Aucun homme ne pourrait donc estimer avoir épuisé toutes les
possibilités d’itinérance. Ce mouvement, cette itinérance, cette ouverture marquent
considérablement l’existence humaine. Autrement dit, parler de l’humain, c’est aussi parler
d’un être de devenir ou alors d’ouverture. Ainsi comme le mentionne Panikkar, l’ouverture
qui caractérise la foi est naturellement constitutive de l’être humain81
. Le mouvement de
cette ouverture n’est pas premièrement dû à la capacité intellectuelle de le concevoir. Il est
plutôt existentiel, appartenant à un stade précédant tout savoir. C’est seulement « la nudité
de l’ordre existentiel qui offre l’universalité désirée »82
de cette ouverture.
Le caractère inachevé de l’être humain explique encore mieux la description de la foi,
comme soif, comme désir ancré originellement en l’humain pour la vie. À en croire les
anthropologues, « à la différence de l’animal, l’être humain est radicalement inachevé
quand il naît et il le reste tout au long de son existence. »83
C’est en étant inachevé que
l’humain éprouve sa capacité de faire confiance et de croire à la vie. Le germe de la foi est
donc déjà là, dans la structure profonde de tout être humain. En même temps, il faut
souligner que ce germe ne fonctionne ou ne travaille pas à la même vitesse chez tous. Il ne
sera donc pas étonnant, comme le souligne Théobald, de rencontrer des humains qui ont la
difficulté à croire en la vie ou en l’Autre qui les engendre à la vie. Selon Théobald, c’est à
ce niveau que le travail pastoral s’avère capital, car bien que la foi soit au cœur de
l’humanité, l’humain vit par ailleurs cette foi dans une relation concrète - surtout lorsqu’il
est devant l’inconnu, ou devant des lendemains sans horizon. Cet humain, poursuit l’auteur,
doit franchir chaque fois des seuils quand il s’agit de faire tomber la peur et les fétiches de
sécurité pour céder la place au simple courage d’être et de vivre ; toutes les cultures le
savent, qui accompagnent ces passages décisifs par des rites d’initiation. Mais cette
80
Raymond Panikkar, L’homme qui devient Dieu, Paris, Éd. Montaigne, 1969, p. 55. 81
Idem. 82
Ibid., p. 56. 83
Christoph Théobald, Transmettre un évangile de liberté…, p. 22.
27
initiation essentielle de l’humain ouvert aux autres sert tout simplement à réactiver la foi
déjà inaugurale en tout homme84
.
Susciter la foi ou la ressusciter, estimons-nous, ne pourrait s’identifier au travail de sa
transmission. Susciter implique surtout le réveil de quelque chose qui est déjà présent : la
disposition de l’humain de vivre la foi qui consiste à « choisir sa vie, [à] parier sur la
condition humaine parfois avant de mettre un nom sur la transcendance. Loin d’être la
négation de la raison, elle la confirme dans son irrémédiable ouverture. »85
En choisissant
ainsi la vie, il ressort que celle-ci précède toutes sortes d’affirmations fines ou toutes sortes
de croyances. Cette compréhension de la foi privilégie la vie et nous entraîne à nous
dépouiller de tout dogmatisme qui n’arrive plus à parler à l’homme.
Pour Christoph Théobald, il n’est point de doute que c’est cette foi que Jésus loue chez la
femme hémorroïsse, le paralytique, le centurion : « c’est ta foi qui t’a sauvé(e) » ; une foi
entendue comme source de vie. Si tel est le cas, il devient vraiment difficile de concevoir
une vie humaine sans foi86
. Témoigner de sa foi, comme le prétendent bon nombre de
chrétiens, reviendrait alors à s’ouvrir au mouvement de la vie avant toutes les formules
orthodoxes, dogmatiques et moralistes, car la foi, on ne l’offre point, ni on ne la reçoit à la
manière d’un objet. La foi est quelque chose de vivant qui dépasse tout essai de
transmission dogmatique. Elle se reconnaît dans les parcours imprévisibles qui échappent à
tout contrôle humain87
. Ignorer la dimension inédite, inouïe et imprévisible de la foi
orientée vers la vie, ce serait réduire la pastorale aux seuls registres des savoirs, des
sentiments, des émotions, au détriment de la vie constitutive de l’être humain.
L’inédit, comme le dit excellemment Walter Kasper, signale que la foi n’est pas davantage
une adhésion raisonnable à des préceptes tenus pour vrais. Elle est plutôt le fruit d’une
attitude fondamentale et existentielle de l’être humain88
. Michel Hubaut va plus loin ; il
souligne que Dieu ne peut rien sans la confiance de l’homme. Ce franciscain français valide
ce parcours en s’appuyant sur le quotidien de Jésus : Jésus dit et répète qu’il est venu pour
84
Ibid., p. 23. 85
Fernand Dumont, Une foi partagée,… p. 23. 86
Christoph Théobald, Transmettre un évangile de liberté…, p. 23. 87
Fernand Dumont, Une foi partagée,… p. 163. 88
Walter Kasper, La foi au défi, Tübingen, Nouvelle cité, 1987, p. 57.
28
que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. C’est pourquoi, poursuit Hubaut,
toute rencontre de Jésus se réalisait dans la complicité avec son interlocuteur. Il ne peut agir
que s’il y a rencontre, non pas nécessairement une connaissance parfaite du mystère de sa
personne, mais un peu de confiance, un peu de foi comme la graine de moutarde. Sans
doute, entre la confiance initiale, parfois encore timide, hésitante, et la foi explicite en
Jésus, fils de Dieu, il y a souvent un long chemin à parcourir, mais l’essentiel se joue déjà
dans cette première ouverture du cœur89
.
Tout en sollicitant la foi de ses interlocuteurs, le Fils de l’homme nous signale que la foi
ressemble à la capacité existentielle présente en chaque humain, cette capacité de sortir de
soi, de se décentrer et de faire confiance en quelqu’un d’autre que soi-même. Ce parcours
‘‘de faire confiance’’ et de ‘‘sortir de soi’’ n’est possible que lorsque les interlocuteurs
reconnaissent que la foi précède leurs échanges et leurs rencontres. La rencontre de Marie-
Madeleine (en Luc 7, 49-50) avec Jésus est assez éloquente à ce sujet : Tes péchés sont
pardonnés. Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! C’est sa confiance, écrit Hubaut, qui l’a libérée
de l’impasse d’une vie sans joie, de la désespérance. Marie-Madeleine s’est finalement
sentie regardée, aimée pour elle-même, et non pour son corps mais dans sa chair, dans sa
vie. Ce regard qui traverse sa vie qui est donc à même de susciter la foi qui est déjà en elle
et lui redonne ainsi sa dignité de femme90
. Dans ce parcours, Marie-Madeleine ne passe pas
par les formules orales de la foi. D’ailleurs elle ne dit mot. Il s’agit encore ici d’une foi
fondamentalement existentielle.
Dans cette perspective, rien maintenant ne peut nous empêcher d’endosser cet extrait de la
préface du livre de Karl Rahner : « Nous serions infidèles à nous-mêmes, à notre existence
concrète et à la structure même de notre esprit, si nous cessions de croire. »91
Logiquement,
perdre la foi renvoie finalement à la mort ou à la non-existence. Ce type de foi, redisons-le
encore, n’est ni un code de conventions dirigeantes, ni un ensemble de principes sociaux ou
doctrinaux. C’est la foi, insiste Rahner, « au sens réel du mot. Elle vient d’une décision de
la personne. Elle met en jeu des énergies profondes. Elle implique un retournement du
89
Michel Hubaut, Hors des sentiers battus. L’aventure de la foi. Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 84-85 90
Ibid., p. 86. 91
Karl Rahner, Est-il possible aujourd’hui de croire ? Dialogue avec les hommes de notre temps, Paris,
Mame, 1966, p. 12.
29
cœur. »92
Ce retournement que la foi annonce et sollicite trouve son point d’appui dans
notre propre existence inconditionnelle. Selon cette logique, il est quasiment
incompréhensible de dire que nous avons trouvé la foi ou de dire que nous l’avons perdue.
Les mots de Karl Rahner le disent encore mieux : « Je n’ai pas eu à trouver moi-même la
foi, je n’ai pas non plus rencontré de motif contraignant ou valable de ne pas croire. »93
Vivre de sa foi revient à assumer son existence qui est toujours ouverture, sinon l’humain
perdrait son unité profonde. ‘‘Assumer’’ souligne ici que la foi s’enracine dans le
commencement inaugural qui échappe à tout examen et à toute transmission. En définitive,
« s’il est vrai que la foi se situe dans une zone profonde de notre être, soustraite à la
réflexion et à toute expression » savante94
, il n’y a donc aucune raison de cesser d’être ce
que nous sommes : des êtres fondamentalement de foi, et dont la vie en est l’ultime
expression. Il n’y a que la vie qui soit en mesure de nous parler de la foi : ainsi nous
découvrons que nous avançons progressivement vers quelque chose d’irréductible à l’objet
à transmettre.
L’interpellation de Christoph Théobald oriente notre attention dans ce sens. Pour lui, la foi
est de l’ordre du mystère de l’intransmissible qui ne cesse pourtant de s’engendrer devant
nos yeux à chaque fois qu’un enfant commence sa trajectoire. Pour cet enfant, rien ne
garantit qu’il prendra un jour la liberté de croire en la vie, de transformer le caractère
inachevé de son existence en tâche et de se laisser former, tout en donnant lui-même et
librement forme à sa vie. Sur ce,
L’inquiétude générale par rapport à la transmission ne doit pas nous faire
oublier cette vérité élémentaire : le jaillissement de la foi en vie est
intransmissible. Cette loi oppose une barrière infranchissable à toute
stratégie volontaire de transmission mais nous libère pour l’essentiel. Jésus
de Nazareth le sait bien : jamais il ne dit à quelqu’un : ‘‘je t’ai sauvé’’, mais :
‘‘ta foi t’a sauvé’’95
.
Face à cette intransmissibilité de la foi, Jean-Marie Donegani propose un autre type de
pastorale qui, à notre avis, mériterait un approfondissement dans le cadre d’un autre travail.
92
Ibid., p. 14. 93
Ibid., p. 15. 94
Ibid., p. 15. 95
Christoph Théobald, Transmettre un évangile de liberté…, p. 25-25.
30
Toutefois, pour en dire un mot, la proposition de Donegani redonne un nouveau souffle à
l’Église. Sa démarche consisterait à « passer d’une pastorale de l’inculcation et de la
conformité à une pastorale de la proposition et de l’engendrement. »96
Ce parcours
considère que les hommes et les femmes en attente de sens ne sont pas des consommateurs
passifs, mais des sujets qui attestent que la Parole précède tout travail d’évangélisation. Ce
parcours signale aussi que l’Église, loin d’offrir le visage d’une institution détentrice de la
vérité sans partage, cherche plutôt dans l’écoute les signes de sa propre identité et de sa
propre mission97
. Pour cet auteur, c’est au bout d’une pastorale de l’engendrement que peut
alors se célébrer une foi ouverte à la vie.
96
Jean-Marie Donegani, «Inculturation et engendrement du croire», Une nouvelle chance pour l’Évangile.
Vers une pastorale d’engendrement, sous la direction de Philippe Bacq et Christoph Théobald, Bruxelles,
Montréal, Lumen Vitae, Novalis, 2004, p. 44 97
Cf. Idem.
31
Conclusion
Pour récapituler ce parcours, donnons la parole au cardinal Walter Kasper qui souligne que
« la crise est si profonde et si générale qu’il ne saurait suffire de rechercher des méthodes
plus appropriées et plus efficaces, ou de perfectionner les cadres de la transmission de la
foi. »98
Ce point de vue exprime convenablement le but de cet état de la question. Il indique
assez fortement, selon nous, que la question de la transmission de la foi n’est pas aussi
prioritaire et urgente qu’on le pense pour une Église en crise.
De tous les arguments présentés, il ressort que la préoccupation urgente pour la pastorale de
notre temps n’est pas celle de trouver la « bonne méthode » ou la « bonne stratégie
astucieuse » de la transmission de la foi pour relever les défis que traverse l’Église. Dans
les analyses des auteurs évoqués dans ce chapitre, cette avenue de la « bonne méthode »
s’est écartée progressivement au profit d’une nouvelle question : l’homme et son rapport à
la foi.
Il ne s’agit donc plus de savoir comment transmettre la foi en l’humain, mais de
s’interroger sur la relation que l’humain entretient avec la foi. En d’autres mots : c’est
l’humain lui-même qui est en cause ; pas simplement l’humain, mais l’humain croyant. À
partir de cette nouvelle question nourrie par les écrits de plusieurs auteurs, il a été possible
de découvrir et d’intégrer la foi comme le mystère intransmissible déjà présent en l’humain.
Par son caractère inachevé, cet humain témoigne de sa foi à travers ses gestes de chaque
jour : la confiance dans la rencontre, croire en la vie alors qu’on vient de vivre un deuil,
s’engager dans des fiançailles, faire un crédit même à un inconnu, autant des gestes qui
traduisent la foi. Bien que ces gestes soient élémentaires, ils traduisent néanmoins
l’essentiel ou la base fondamentale de la foi en Jésus-Christ. Ce genre de foi est tout
simplement de l’ordre de l’intransmissible. Elle n’est ni l’apanage des uns au détriment des
autres, ni une dette qui réclame d’être transmise.
C’est donc avec raison que Jean-Daniel Causse, professeur à Montpellier, affirme que les
frontières sont quasiment nulles entre la transmission et la dette. Pour lui, la transmission
98
Walter Kasper, La foi au défi, Nouvelle cité, Tübingen, 1987, p. 10.
32
est à prendre sous le mode d’une dette. Et donc, rembourser la dette revient à transmettre
unilatéralement ce que nous avons reçu. Sur ce registre, comme l’explique l’auteur, l’on
comprend que le don n’a pas été vraiment donné ou que le don n’est pas un don, mais
quelque chose transformé en un dû. Le même auteur indique cependant qu’il y a une autre
façon de penser le don. Rendre ce que l’on a reçu en tant que don, le donner ou l’engendrer
à notre tour. Ici, donner, ne signifierait jamais, transmettre99
, il signale par contre, un
mouvement relationnel.
De tout ce qui précède, pouvons-nous encore vraiment assumer la transmission de la foi ?
interroge Jean-Daniel Causse100
.
La foi, comme nous l’avons reconnue, ressemble tout simplement à l’événement d’où
s’origine la vie. C’est un événement que nul ne pourra transmettre ni ne pourra
communiquer. Elle est intransmissible, car personne ne peut vivre la rencontre à la place
d’un autre. Ce qu’on peut, suggère Jean-Daniel Causse, c’est d’être pour un autre une
occasion de vivre sa foi en donnant témoignage, car le disciple n’est pas le maître qui
donne à un autre de croire, il est simplement lui aussi un disciple qui donne à un autre de
devenir disciple101
. Autrement, la foi meurt quand on cherche à la circonscrire et à la
contenir dans un savoir définitionnel à transmettre.
C’est là, selon nous, le point de départ dérangeant mais propice pour un travail pastoral : le
geste de l’animateur en pastorale ne saurait être premier par rapport à la Parole, mais
second et consistant à susciter ce qui est déjà semé par quelqu’un d’autre. C’est là le geste
qui prend l’humain au sérieux, car il ne pourrait être passif dans le processus catéchétique,
mais l’acteur actif. C’est ce qu’avait souhaité Martin Heidegger ou même le cardinal Walter
Kasper. Pour le premier, « l’élève ne commence à apprendre que lorsqu’il éprouve ce qu’il
prend comme ce qu’il a déjà lui-même en propre. Là seulement est le véritable apprendre,
où prendre ce qu’on a déjà, c’est se donner à soi-même, et où cela est éprouvé en tant que
99
Cf. Jean-Daniel Causse, Ce que nous avons à transmettre,… p. 3. 100
Cf. Ibid., p. 8. 101
Cf. Ibid., p. 9.
33
tel. »102
Et pour le deuxième, il souhaite, dans un travail catéchétique, de « rendre les
catéchisés […] acteurs de leur propre existence au sein d’une tradition vivante. »103
Dès lors ne sommes-nous pas désormais obligés de chercher ailleurs le registre de l’urgence
pastorale devant la crise de l’Église ? Car nous venons de nous rendre compte que la
priorité ne réside pas dans la bonne transmission de la foi : les catéchisés sont acteurs de
leur propre parcours. Par ailleurs, avant de scruter cet « ailleurs », il nous semble urgent de
comprendre comment et à quelles conditions ces catéchisés se positionnent en acteurs de
leur existence, ou de leur foi. Ce sera l’objet de notre deuxième chapitre.
102
Martin Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, Paris, Gallimard, 1971, p. 85. Cité par Anne Fortin,
L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres. Une théologie du Verbe fait chair, Montréal, Médiaspaul, 2005,
p. 31. 103
Walter Kasper, La foi au défi…, p. 401.
Chapitre deuxième
Le sujet, un regard à nouveaux frais
36
Introduction
Au regard des arguments avancés par les différentes études dont nous venons de faire état,
une évidence semble s’imposer : l’urgence pastorale face à la crise que traverse l’Église ne
serait pas à chercher dans l’efficacité du travail de la transmission de la foi. Le chemin ainsi
indiqué n’est pas le résultat de quelque intuition qui conduirait vers une voie
inhabituelle, autre que celle privilégiée jusqu’à présent par les textes autorisés. La personne
et la foi étant fondamentalement et irréductiblement liés, l’urgence s’impose, à cette étape
de notre recherche, de requalifier l’« humain » en un « sujet » qui, en tant que tel, met en
évidence le malaise de la transmission de quelque chose qui lui est déjà donné
originairement par un autre. En effet, si on peut transmettre à ce sujet une définition de la
foi, un héritage, une légende, une histoire, le fait qu’il soit personne et sujet rend la
transmission de la foi très difficile : il est inadéquat de séparer l’humain et la foi.
Par ce parcours, nous avançons vers une certaine prise de distance face à la manière
objective de s’approcher de ce mystère de la foi. Si ce n’était pas le cas, le malaise identifié
dans les nouvelles méthodes n’aurait pas de raison d’être. Ainsi la transmission de la foi
échappe au contrôle des supposés transmetteurs. André Fossion le remarque quand il
souligne que « la transmission de la foi elle-même n’est pas de notre ressort »104
, autrement,
elle se ferait objectivement par étape, d’une personne à une autre.
Par conséquent, rien ne justifierait le travail de la transmission de la foi comme urgence
face à la crise. Cependant, l’évidence d’intransmissibilité de la foi que posent certains
auteurs évoqués ne suffit pas en elle-même pour provoquer un déplacement fondamental
dans le travail pastoral. Nous inscrirons donc dans le creux de cette insuffisance ce
deuxième chapitre qui, particulièrement, pousse autant que possible jusqu’au bout les
arguments qui soutiendraient l’urgence de la transmission objective de la foi face à la crise.
C’est un travail d’un autre regard ou d’une autre approche : alors que dans le premier
chapitre les arguments soutiennent le registre de la foi présente en chaque humain, qui
pourrait se traduire dans la confiance lors de la rencontre de Jésus comme dans les cas de la
104
André Fossion, « Quelle annonce d’Évangile pour notre temps ? » dans Une nouvelle chance pour
l’Évangile. Vers une pastorale d’engendrement…, p. 78.
37
femme malade hémorroïsse, du paralytique ou du centurion, dans ce deuxième chapitre
nous allons poser la question autrement, en mettant en avant le sujet de la foi.
Il s’agira de nous arrêter sur ce « sujet personnel » afin d’analyser les conditions qui
valident sa démarche devant le mystère intransmissible – la foi. Autrement dit, pourquoi et
comment le catéchisé se définit davantage comme acteur de son propre parcours de foi ? Y
aurait-il « quelque chose » chez l’humain qui conditionnerait cette démarche du « sujet
personnel » et suffirait à provoquer ce déplacement face au travail de la transmission
objective de la foi ?
Si nous admettons que la foi est de l’ordre de la Vérité qui ne pourrait se réduire à des
méthodes, comment saurons-nous que cette Vérité agit dans les catéchisés ? Plus
concrètement, qu’est-ce qui rend possible cet « agir » dans les catéchisés ? Est-ce vraiment
la transmission objective de la foi selon ce que disent les habitudes pastorales ?
Nous développerons cette question en deux grands points. Dans une première partie
essentiellement théorique, nous étayerons les arguments revalorisant le tournant
anthropologique inauguré par le théologien allemand Karl Rahner105
. Faisant notre profit de
ces arguments, nous consoliderons dans la deuxième partie la place du sujet déjà ouvert à
l’Originaire par contraste avec la transmission d’un quelconque contenu de foi par une
analyse du prologue de la première lettre de saint Jean.
2.1 Karl Rahner et le tournant anthropologique
Sans prétendre résumer ou synthétiser l’œuvre remarquable de Rahner, les pages qui
suivent s’intéressent à l’itinéraire qu’elle propose, aux intuitions majeures et fondamentales
qui fondent sa cohérence sans pour autant en faire un système. En effet, c’est en nous
105
Karl Rahner, né le 5 mars 1904 à Fribourg-en-Brisgau et décédé le 30 mars 1984 à Innsbruck, est un prêtre
jésuite allemand, écrivain et professeur de théologie, qui fut reconnu comme l'un des théologiens catholiques
les plus éminents du XXe siècle. Cf. Jean-Yves Lacoste, Dictionnaire critique de théologie, Paris, P. U. F.,
2002, p. 979-983.
38
engageant sur ce chemin de l’esprit de l’œuvre – au lieu de reproduire des réponses –, que
nous trouverons les clés de la réponse à la question de notre recherche.
Rendu plus accessible surtout à partir du Traité fondamental de la foi de l’allemand Karl
Rahner, le tournant anthropologique a considérablement contribué au développement du
travail de l’acte théologique dont les incidences se répercutent sur les postures pastorales.
2.1.1 Les conditions de l’accueil de la Vérité
Pour la petite histoire, l’œuvre de Rahner signale d’une certaine manière le différend qui
l’oppose aux écrits de Hans Urs Von Balthasar106
. Sans entrer dans les subtilités
proprement théologiques de ce différend, indiquons quelques points de repères essentiels
qui nous aideront à avancer dans notre recherche.
Le différend a pour enjeu principal la manière de développer la contribution théologique de
Karl Barth107
face à la théologie libérale108
. En effet, à l’opposé de la théologie libérale,
Barth soutient que « la théologie, comme toutes les autres fonctions de l’Église, est fondée
sur le fait que Dieu a parlé et que l’homme peut écouter. »109
Ainsi, la théologie ne peut
même pas présenter, d’une façon générale et systématique, les limites qu’elle étudie, ni son
droit d’exister parmi d’autres sciences, ni prouver même indirectement que ses prémisses
106
Hans Urs Von Balthasar, né à Lucerne (Suisse) le 12 août 1905 et décédé à Bâle (Suisse) le 26 juin 1988,
est un prêtre catholique suisse du diocèse de Coire. Jésuite de 1928 à 1950 et théologien de grand renom. Cf.
Dictionnaire des théologiens et de la théologie chrétienne sous la direction de Gérard Reynal, Paris, Bayard,
1998, p. 43-44. 107
Karl Barth (Bâle, 10 mai 1886 - Bâle, 10 décembre 1968) est un théologien et pasteur protestant suisse
considéré comme l'une des personnalités majeures de la théologie chrétienne du XXe siècle. Cf. Dictionnaire
des théologiens et de la théologie chrétienne sous la direction de Gérard Reynal, Paris, Bayard, 1998, p. 46-
48. 108
Courant théologique plus complexe du XVIIIe siècle. Largement tributaire de la philosophie des Lumières,
et de la critique historique des textes bibliques. Les théologiens libéraux restent très attentifs aux évolutions
scientifiques et culturelles de leur temps. Cf. Jean-Yves Lacoste, Dictionnaire critique de théologie, Paris, P.
U. F., 2007, p. 789-795. 109
Karl Barth, L’Épitre aux Romains, Genève, Labor et Fides, 1922, p. 43.
39
soient légitimes, car son postulat, c’est la Révélation, l’action de Dieu lui-même dans sa
Parole et par son Esprit110
. Pour Barth donc, Dieu a parlé et l’homme doit écouter.
C’est dans ce contexte que le différend entre Rahner et Balthasar mérite d’être interprété :
tous deux posent la question des conditions d’accueil de cette Parole, de cette Révélation
(vérité) soulignée par Barth. Qu’est-ce qui favorise et permet l’accueil de cette Vérité, de
cette Révélation chez l’humain ? De la manière dont cette question est menée surgira la
lumière face à notre question.
Au début de la première étape de son Traité fondamental de la foi, Rahner pose la question
qui sous-tend sa posture par rapport à l’accueil de la Parole : « Quel type de récepteur
suppose le christianisme pour que son message ultime et le plus essentiel puisse
simplement être entendu ? »111
Pour lui, il ne s’agit pas d’une question morale mais d’une
question ontologico-existentielle. C’est donc en passant par la philosophie – celle
d’Emmanuel Kant, de Martin Heidegger – que Rahner s’intéressera aux conditions d’écoute
de la Parole de Dieu : comment l’homme peut-il entendre cette Parole ? Pour Rahner,
l’humain est le point de départ qui indique le type de récepteur que suppose le
christianisme. Pour développer et élaborer ce type de récepteur, l’auteur propose une
démarche critique qui met en valeur le moment nécessairement subjectif de toute
connaissance, lequel (moment) n’est pas le résultat d’une expérience ni d’une connaissance,
puisqu’il est toujours déjà-là en l’humain de manière apriorique112
. C’est la source113
même
des conditions de toute expérience. Ces conditions de possibilités de connaissances ne
peuvent s’éprouver que de manière subjective. Ainsi, selon cet auteur, l’humain n’est pas
simplement « humain », il est nécessairement « sujet », voire personne, car c’est de manière
subjective qu’il éprouve ce moment de possibilités ou d’ouverture pour l’accueil de la
Révélation.,
Dans cette perspective, l’expérience du sujet ou de la personne est fondamentale. En fait,
l’humain se met toujours en question. Et, en se mettant lui-même en question, en s’ouvrant
110
Ibid., p. 41. 111
Karl Rahner, Traité fondamentale de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion,
1983, p. 37. 112
Jean-Yves Lacoste, Dictionnaire critique de théologie, Paris, P. U. F., 2002, p. 980. 113
Le moment nécessairement subjectif.
40
à l’horizon illimité d’un tel questionnement, « l’homme s’est déjà saisi lui-même », et par
là il s’est posé lui-même comme celui qui fait cela114
, au niveau subjectif. Il est justement,
« cet être-amené-devant-soi-même. »115
Dès lors, il convient que « l’homme en son unité
est […] toujours posé devant soi comme dans une question déjà au-delà de toute réponse
partielle empirique possible. »116
En ce sens, « l’homme est éprouvé comme sujet, comme
la subjectivité justement de ces objectivités plurielles auxquelles ont affaire les sciences
humaines empiriques. »117
Ce moment, poursuit Rahner, n’est pas un moment à côté des
autres éléments. Et c’est là « une réalité qui constitue le caractère subjectif de l’homme, par
différence d’avec la choséité de ce même homme. »118
Ce sera donc ce type d’homme en tant que personne et sujet anthropologique que Rahner
installe comme le point de départ, autrement dit, central de l’accueil de la Révélation ou de
la Vérité. Ce type de sujet présente une coïncidence avec l’annonce du christianisme, et
plus largement avec la Révélation ou la Vérité. Cette coïncidence consiste dans le fait que
l’homme se pose comme question et alors, « l’énoncé fondamental du Christianisme est à
prendre en considération comme réponse à la question qu’est l’homme. »119
Selon cette
lecture, la coïncidence entre la question et la réponse ne peut que se réaliser dans les
conditions où l’humain est une personne, mieux un sujet. En d’autres mots, la réalisation de
la coïncidence ou de la correspondance entre la question et la réponse s’éprouve de manière
subjective en l’humain qui était déjà prédisposé à l’accueil de la Révélation par la
Révélation elle-même. Rahner le dit mieux en ces termes : « ce message appelle l’homme
par-devant la vérité effective de son être. Par-devant la vérité qui le lie inéluctablement,
même si en définitive une telle captivité s’avère l’espace infini de l’insaisissable mystère de
Dieu. »120
Face à la même question des conditions de l’accueil de la Révélation, Balthasar trace un
autre chemin, plus complexe et subtil qu’il ne paraît de prime abord. Nous en tirons
seulement quelques repères utiles à notre recherche.
114
Idem. 115
Idem. 116
Ibid., p. 44. 117
Idem. 118
Idem. 119
Ibid., p. 24. 120
Ibid., p. 38.
41
La posture de Balthasar est très différente de celle de son contemporain Rahner. Pour lui,
l’accueil de la Révélation ne saurait se réaliser dans la coïncidence entre l’humain en tant
que question et la Révélation en tant que réponse. À la lecture attentive de ses œuvres, on
constate que Balthasar pose une limite face à toute démarche qui privilégie les
préliminaires ou annexes possibles et légitimes dans le mystère de la Révélation. Pour
Balthasar, loin de favoriser l’accueil de la Parole, ces préliminaires représentent plutôt un
danger lorsqu’ils s’érigent en propédeutique pour la Révélation. De plus, cette
propédeutique, surtout exprimée dans les sciences philosophiques modernes, se considère
comme fondement stable et défini s’imposant comme normes et critères pour juger du
contenu de la foi, « comme si avant même de tenir de la Révélation, l’homme
connaissait la science définitive ce qu’est la Vérité, la Bonté, l’Être, la Vie, la Foi » 121
ou encore « comme si la Révélation divine de pareilles réalités s’insérait dans un
ensemble déjà bien établi de concepts philosophiques. »122
De toutes ces considérations, Balthasar déduit que la Révélation, définie objectivement, est
le critère supérieur qui valide tout accueil d’elle-même. Dans ce sens, la théologie est
envisagée comme l’exposition de la Révélation dans la foi123
. Pour ce faire, les théologiens
ne devraient pas se dissocier du sens plein des « docteurs de l’Église », ayant pour charge
de présenter cette Révélation pleine et entière124
. Dès lors, Balthasar inscrit la vraie
théologie sous le mode d’une obéissance dans la foi car découlant de la Révélation125
. Si le
contenu de la dogmatique – et plus largement de la théologie – est la Révélation elle-même,
il va de soi que sa forme trahit l’attitude de la prière du penseur docile à sa foi en présence
de l’objet de sa réflexion126
. Somme toute, chez Balthasar, les conditions de l’accueil de la
Parole sont avant tout possibles dans la reconnaissance de l’objectivité de la Révélation et
non d’abord dans les possibilités anthropologiques.
Deux chemins sont donc tracés par ces deux auteurs. Alors que pour Rahner, la théologie
est anthropologique au sens de structure apriorique de la subjectivité humaine, Balthasar
121
Hans Urs Von Balthasar, «Théologie et sainteté», in Dieu Vivant, 12 (1948), p. 20. 122
Idem. 123
Idem. 124
Ibid., p. 17. 125
Ibid., p. 28. 126
Ibid., p. 30.
42
propose une théologie trinitaire des transcendantaux127
. En outre, là où Rahner se préoccupe
des difficultés de l’auditeur de la Parole, Balthasar place la vision de la figure qui ravit et
engage son auditeur128
. Dans ce cas, la théologie se fait dans la prière, dans l’adoration. Ce
qui suscite la question de savoir si nous ne serions pas proches d’une théologie soumise et
obéissante.
Quoi qu’il en soit, il faudra reconnaitre que cet apport de Balthasar complique la question
et que demeure inassouvie notre soif de savoir comment la vérité agit déjà dans les
catéchisés. Nous n’arrivons pas à intégrer en toute aisance ce moment subjectif, nécessaire
à tout accueil de la Parole ou ce moment préalable de toute connaissance. Pour Rahner,
serait-ce simplement un décret ou une pure intuition qui valorise le subjectif au détriment
de l’objectif ? En d’autres mots, comment arrive-t-on à cette appréhension qui postule
l’humain comme point de départ pour l’accueil de la Parole ?
C’est ainsi qu’il convient de retourner chez Rahner. Nous avons relevé chez lui que « le
concept de personne et de sujet est d’une importance fondamentale pour que soit
possible la Révélation chrétienne et que le christianisme soit en mesure de se
comprendre lui-même. »129
Il ajoute tout de suite que cela n’exige aucune explication130
.
En même temps, il reconnaît que la relation personnelle avec Dieu, l’accueil de son salut
unique, inouï et la Révélation de la Parole, lorsque Dieu s’est adressé à l’homme, ce sont
des énoncés prodigieusement obscurs et difficiles, mais qui, pourtant, constituent la réalité
concrète du christianisme131
. Il poursuit en indiquant que « tout cela ne pourrait absolument
pas être compris si n’est pas entendu là, explicitement ou implicitement ce qu’ici nous
visons par ‘‘personne’’ et ‘‘sujet’’. »132
Ces énoncés méritent donc d’être encore analysés.
127
Les transcendantaux renvoient ici aux attributs très généraux qui dépassent toutes les catégories (pensons
par exemple aux dix catégories d’Aristote : substance (essence), quantité, qualité, relation, temps, lieu,
situation, action, passion, avoir), qui expriment une propriété commune à tout ce qui est, et qui se
convertissent l'un dans l'autre. L’Unité, le Vrai, le Bien sont les propriétés générales des transcendantaux.
Certains philosophes reconnaissent six transcendantaux : l’être, la chose, quelque chose, l’unité, le bon, le
vrai. Cf. [http://www.dogmatique.net/M1.pdf], (Consulté le 12 mars 2014). 128
Gibellini, Rosino, Panorama de la Théologie au XXe siècle, Montréal, Médiaspaul, 1994, p. 288.
129 Karl Rahner, Traité fondamentale de la foi…, p. 39.
130 Idem.
131 Idem.
132 Idem.
43
2.1.2 L’homme, un être de transcendance
Dans son Traité fondamental, Rahner écrit : « ce qu’on entend plus précisément en parlant
de ce caractère subjectif que l’homme éprouve apparaît avec plus de clarté quand nous
disons que l’homme est être de transcendance. »133
Classiquement, l’instance de la
transcendance est souvent attribuée à un être infini de qualité supérieure agissant sur les
autres êtres, pour ainsi dire, considérés inférieurs. Plusieurs encyclopédies la définissent
comme le caractère d’une cause qui agit sur quelque chose qui est différent d’elle, qui lui
est supérieure. La transcendance est donc située en dehors du sujet lui-même, caractérisé
pour sa part par l’immanence. Autrement dit, l’immanence est ce qui caractérise le sujet,
son principe, sa substance interne. Elle est le contenu d’un être qui résulte de la nature
même de cet être et non pas d’une action externe. Dès lors, on comprend pourquoi, selon
les croyances de plusieurs religions, l’histoire de la pensée attribue l’instance de la
transcendance à Dieu, être supérieur alors appelé « Dieu-Transcendant ». Naturellement
aussi sera reconnue à l’humain l’immanence pour son caractère fini, ou mieux, limité.
Toutefois, ce portrait abrégé de la transcendance-immanence du sujet ne fait pas
l’économie d’un autre qui, pour sa part, ne s’élabore pas seulement à partir d’un point de
vue purement conceptuel. Pour le dire autrement, l’itinéraire que nous proposons ici
n’enlève rien à ce schéma classique qui attribue la transcendance à Dieu et l’immanence à
l’homme. Il ne s’agit donc pas d’élever l’homme à Dieu ni de réduire Dieu à l’homme.
Nous voulons plutôt mettre en évidence la fonction, l’agir ou l’action de la transcendance
dans les êtres finis. C’est ce mouvement ou cette ouverture de la transcendance dans les
êtres finis qui nous autorisera à parler de l’homme comme un être de transcendance. Plus
concrètement, il s’agit d’analyser dans quelles conditions la transcendance atteint
effectivement le sujet immanent. À supposer que la foi soit d’origine transcendantale, dans
quelles conditions pourrait-elle intéresser l’homme ? Est-elle un donné que les hommes
reçoivent comme tel, puisque découlant d’une transcendance ? Ou l’acte de la foi que
posent les hommes signale-t-il autre chose de potentiellement préparé pour cet accueil ? En
d’autres mots, qu’est-ce qui pourrait rendre possible la rencontre du Verbe et de la chair, la
rencontre de la Révélation et de l’homme ? Est-ce tout simplement le fait que cette
133
Ibid., p. 45.
44
Révélation est toute puissance qui influencerait l’adoration de l’homme ? Ou alors y a-t-il
autre chose que la simple adoration bienheureuse ?
Ces questions nous mènent à visiter à nouveaux frais les arguments de Rahner à ce propos.
Dans son analyse remarquable de l’œuvre de Rahner, Bernard Sesboüé souligne avec force
que « l'homme est habité par une expérience transcendantale qui anime de l'intérieur toute
son activité catégoriale. »134
Tout de suite, il convient aussi de signaler que cette dimension
transcendantale du sujet n’est pas une vacuité pure et simple, autrement, il n’y aurait
aucune raison d’y insister. En effet, afin de donner une explication soutenue de cette
transcendance, quoi de plus approprié que de fonder l’argumentation de départ sur le lieu
commun qu’est la finitude. L’homme se sait fini. Ce qui ne lui interdit pas pour autant
de « rêver », au vrai sens du mot. Car, à dire vrai, toute réalité et toute félicité
expérimentées ou possédées ne pourraient pas satisfaire le désir de l’humain. Ce dernier
est toujours en quête d’une félicité encore plus grande, il « est en soif ». Habité par la
finitude, l’humain est toujours en soif permanente. C’est donc en assumant la finitude de
manière radicale qu’il se surpasse de manière infinie. C’est même cela qui constitue
l'expérience transcendantale, ainsi appelée « parce qu'elle fait partie des structures
nécessaires et invincibles du sujet connaissant lui-même, de même qu'elle tient justement
dans le surpassement d'un groupe déterminé d'objets possibles, de catégories. »135
Autrement dit, la soif du devenir, le questionnement permanent suscité par l’expérience de
chaque jour installe l’humain – qui, pourtant, est fini – dans un surpassement ouvert à des
possibilités d’être infini.
En outre, « il va de soi que cette expérience transcendantale de l’homme n’est pas
l’expérience de quelques singularités objectives que l’on expérimente à côté des autres
objets. »136
Telle qu’entendue ici, la transcendance ne vise donc pas le concept de la
« transcendance comme puissance objective » thématisé classiquement. Cette
transcendance est plutôt « cette sorte d’ouverture à priori du sujet à l’être en général qui est
donné précisément lorsque l’homme, dans le souci et l’inquiétude, dans la crainte et
134
Bernard Sésboüé, Karl Rahner, Paris, Cerf, coll. « Initiations aux théologiens », 2001, p. 111. 135
Karl Rahner, Traité fondamental de la foi, Paris, Centurion, 1983, p. 33. 136
Ibid., p. 49.
45
l’espérance, s’éprouve exposé à la plurielle quotidienneté de son monde. »137
Rahner va
jusqu’à avancer que la transcendance est en deçà de l’homme, dans l’origine ; elle est là,
jusqu’à un certain point, comme un ingrédient secret. C’est l’homme qui en fait
l’expérience et de ce fait, « l’infinité de la réalité, indisponible et silencieuse, se rend
durablement présente comme mystère. C’est par là que l’homme est fait pure ouverture à ce
mystère, et c’est ainsi qu’il est posé devant lui-même comme personne et sujet. »138
Différente d’un acte puissant qui constituerait l’espace infini du sujet dans sa maîtrise
absolue, la transcendance est plutôt ce surgissement de l’horizon infini de l’être à partir de
celui-ci même, à partir de l’humain de manière subjective, écrit Rahner. La transcendance
ne lui enlève pas ses qualités d’humain. Car, c’est seulement là où règne l’infinité de l’être
– se dévoilant et se dérobant – qu’un « étant » trouve la place et le lieu à partir duquel il
peut s’assumer et répondre de soi139
. La transcendance de l’humain ne saurait donc signifier
que l’humain devient un être absolu. En éprouvant « sa transcendance comme celui qui
pose question, celui qui est inquiété par ce surgissement de l’être, celui qui est propulsé
vers l’indicible, il ne peut se comprendre comme sujet au sens de sujet absolu, mais
seulement au sens de l’accueil de l’être, finalement de la grâce. »140
Ainsi, c’est à partir de
sa donnée existentielle que l’homme expérimente sa transcendance de manière subjective.
Cette donnée existentielle est non déductible. Elle se mélange en toute expérience
singulière comme sa condition a priori pour toute connaissance. En étant personne et sujet,
l’homme signale par ce fait qu’il est non réductible à son savoir thématique. Il est celui qui,
depuis toujours est remis à lui-même.
Dans le cadre de ce travail, parler du tournant anthropologique, c’est décidément faire appel
à cette expérience transcendantale exprimée par Rahner, laquelle fait en l’homme une
marque du mystère absolu. Une marque qui le provoque, le suscite et le crée en arrière de
lui-même et l’oriente dans un en-avant-infini. Ce mystère absolu est ce que le chrétien
nomme Dieu141
; ce Dieu qui donne ainsi un savoir anonyme et non objectif de lui-même.
137
Idem. 138
Idem. 139
Karl Rahner, Traité fondamentale de la foi. Introduction au concept du christianisme.., p. 48. 140
Idem. 141
Bernard Sesboüe, Karl Rahner…, p. 114.
46
C’est en étant un savoir anonyme au fond de moi, que mon désir peut m’amener à le
reconnaître, à l’accueillir142
.
Cette dimension transcendantale des sujets apporte un nouvel éclairage à la question des
catéchisés, déjà traversés par la grâce avant même la prédication de cette grâce. Car, nulle
part, écrit Rahner, « on ne rencontra un agir salvifique de Dieu en l’homme qui ne soit
également d’emblée un faire salvifique de l’homme. Et nulle Révélation qui pourrait se
faire autrement que dans la foi de l’homme à l’écoute de cette Révélation. »143
En plus,
poursuit Rahner, le salut de Dieu et la grâce se trouvent à l’œuvre dans la mesure où
l’homme ne peut jamais commencer à faire quelque chose ou aller vers Dieu sans y être
déjà porté par la grâce de Dieu.
Finalement, ce mouvement se réalise avec un sujet libre, remis à lui-même, de façon
responsable. C’est dans ces conditions que le salut, la foi, la Révélation, la Vérité, Dieu
auront un sens pour l’homme, car en lui et selon sa liberté, il y a existence de quelque chose
qui ressemble à une histoire du salut et de la Révélation, et qui présuppose que Dieu occupe
une position spatio-temporelle à l’intérieur de notre expérience144
. Ainsi comme le
mentionne Rahner, l’histoire du monde signifie l’histoire du salut, l’offre que Dieu fait de
lui-même à la totalité de l’humanité étant par définition le salut de l’homme. Cette offre est
l’accomplissement de la transcendance de l’homme, par laquelle il se transcende lui-même
en se portant vers l’absolu de Dieu145
. Pour le dire autrement, l’autocommunication de Dieu
confirme et valide l’expérience transcendantale, correspondant à l’histoire du salut. La
Parole est audible parce qu’opère déjà un travail de Dieu dans le sujet, le travail de la grâce.
Dieu crée les prédispositions de l’écoute. On peut donc dire que la Parole précède toute
annonce chrétienne. De ce fait, tout sujet est potentiellement sauvé indépendamment de sa
connaissance du message chrétien, soutient Rahner.
S’il en est ainsi, comment serait-il encore possible d’envisager la transmission de la foi
comme urgence pastorale alors que tout catéchisé est sujet de transcendance affirmant et
attestant de possibilités d’ouverture à l’accueil de la Vérité, de la foi, du salut ? Car, tout
142
Ibid., p. 34. 143
Ibid., p. 167. 144
Ibid., p. 164. 145
Ibid., p. 168.
47
compte fait, croire se confond définitivement avec le désir ardent d’exister, présent chez
tout humain, désir qui traverse l’humain de manière subjective. Il n’y a donc pas une
catégorie de personnes qui possèderaient ces possibilités d’ouverture à la foi et qui par la
suite les transmettraient à ceux qui ne les possèdent pas. Le fait du « sujet » change
radicalement toute la donne. Tous, de manière originaire sont des êtres de finitude ouverts
subjectivement au questionnement sur le devenir, ouverts aux réalités de la Vérité, de la foi,
du salut. Aussi, semble-t-il difficile de légitimer la transmission de ce qui est donné à tous
par l’Origine. Ce genre d’expérience n’appelle que le témoignage et non sa transmission
comme nous le lisons dans le parcours du prologue de la première lettre de saint Jean.
2.2. Témoignage du prologue de 1 Jean 1, 1-4
L’humain étant désormais posé comme personne et sujet atteste par ce fait même d’une
ouverture originaire qui le prédispose à l’accueil de la Parole, de la Révélation, du Salut, de
la Vérité et pourquoi pas de la Foi. Le tournant anthropologique rend ainsi difficile le
travail de la transmission de la foi comme urgence pour l’Église de notre temps. L’acte de
la transmission comme tel s’en trouve ruiné. La lecture du prologue de la première lettre de
saint Jean en témoigne fortement. Son analyse nous permettra non seulement de vérifier s’il
s’agit d’une lettre qui encourage la transmission, mais aussi de cerner le parcours du sujet
qu’il nous propose. Pour cet effet, nous nous mettrons à l’écoute des structures, des
fonctionnements du texte en lui-même. Mais avant tout, quelques préalables sur notre
manière de lire s’avèrent indispensables.
48
2.2.1 Une pratique réglée de lecture
Depuis environ une quarantaine d’années, on voit se développer aux côtés de l’approche
historico-critique, des nouvelles lectures appliquées aux textes des Écritures146
. Anciennes
ou nouvelles, toutes ces méthodes ont une pertinence particulière qui ne manque pas
d’influencer les réflexions théologiques147
et leurs incidences se traduisent à travers les
différentes pratiques pastorales. Par ailleurs, dans ce présent travail, notre analyse ne
consistera pas à examiner la validité ou la solidité de ces approches les unes en face des
autres ; ni à montrer que leurs objectifs sont loin d’être les mêmes. La nature de notre
recherche – dont les racines sont anthropologiques – nous oblige à privilégier plutôt la
pratique réglée de lecture qui vise à décrire la signification telle qu’elle se manifeste dans le
texte, une lecture où le sujet se trouve interprété et transformé par le texte : c’est la
sémiotique. Au premier abord, ce choix peut paraître arbitraire : il favorise le
développement d’un point de vue (le texte) au détriment de l’autre (l’histoire, le rédacteur,
l’auteur, le récepteur). C’est là l’inconvénient des résumés et autres synthèses dont la
brièveté risque de donner l’impression d’une simplicité caricaturale. Or la sémiotique est
autrement plus complexe. Dans cette étude, nous en assumons le choix pour prendre au
sérieux la place du sujet dans le geste pastoral. Nous y insistons parce qu’il convient de
146
Pour en donner une idée, sans entrer dans les débats d’écoles au sujet des méthodes appliquées aux textes
bibliques, relevons-en trois principales : premièrement, l’historico-critique (avec un regard diachronique, le
texte est considéré à travers le temps) qui est une approche de littérature accentuant le contexte historique,
c’est-à-dire le climat des idées, des croyances et des conventions littéraires qui entourent et influencent
l’écrivain. Le point de départ pour la critique est la conviction qu’il existe un lien étroit entre l’histoire et la
littérature, de sorte que l’histoire influence le texte littéraire et permet une compréhension qui dépasse ou
complète celle qui est disponible dans le texte seul. Des textes littéraires contribuent également à notre
compréhension de l’histoire en tant qu’ils sont des artefacts de l’histoire permettant de comprendre les
cultures du passé, nous-même et autrui (Cf. Northrope Frye, Sheridian Baker, George Perkins, Harper
Handbook to literature, New-York, Harper and Collins, 1985, p. 228.) Deuxièmement, les méthodes
formalistes (avec un regard synchronique se concentrant sur l’étude du texte biblique tel qu’il se donne à lire
dans son état final) est une approche des études bibliques qui comprend des méthodes qui ne considèrent
comme source de sens que le texte en lui-même, privé de son contexte de production. On recherche le sens de
diverses manières dans les structures profondes du texte. La stylistique, la narratologie, l’analyse rhétorique,
et la sémiotique offrent des exemples de cette orientation que l’on désigne généralement sous le vocable de
formalisme. Troisièmement, les méthodes axées sur la réception prétendent que c’est le lecteur ou l’auditoire
qui construit le sens au moment de la réception du texte et selon le contexte de réception. On pense ici
souvent au « reader response », à la déconstruction, à la critique féministe, à la psychanalytique, et aux formes
de la critique matérialiste… (Cf. Robert Hurley, «« Les trois approches principales des études bibliques »,
Manuel du cours Séminaire multidisciplinaire thématique : Fictions de la fin du monde hier et aujourd’hui
(SCR 7011), Automne 2012. 147
Cf. Louis Panier, « Sémiotique du discours biblique et questions christologiques », Laval théologique et
philosophique, Québec, 3 (octobre 1985), p. 289.
49
reconsidérer sans complaisance, à partir du processus de lecture, le rôle inaliénable que
joue le sujet dans la pastorale.
Quant aux préalables théoriques dont nous aurons besoin pour avancer, ils seront
précisément sélectionnés selon ce qui nous aidera le mieux à comprendre le geste de lecture
que nous aurons à effectuer lorsque nous lirons le prologue de la Première lettre de saint
Jean. Pour commencer, nous citons quelques extraits qui disent de façon rigoureuse l’acte
de lecture en tant que tel. À propos de la sémiotique que certains prendraient pour une
grille, elle est plutôt une pratique de lecture. Irréductible à « une méthode appliquée ou une
technique mise en œuvre, elle entraîne nécessairement un retour sur la théorie ; c’est une
pratique telle que les textes lus eux-mêmes proposent parfois une réorganisation des
données de la théorie. »148
Nous sommes donc en présence d’une pratique de lecture qui propose d’aborder les textes
comme des discours intransitifs dont la fonction n’est pas seulement de rendre compte
d’objets extérieurs, ou de les représenter, mais « d’établir des modes d’émergence et de
construction de la signification pour autant que ces textes font objet d’une lecture, d’une
pratique énonciative. »149
En d’autres mots, la lecture dite énonciative signale que « l’écrit
– ou le dit – n’est pas le texte. »150
Cet écrit est pour l’instant la promesse, une trace ou la
virtualité d’un texte pris en charge par un sujet lecteur inscrit dans une distance du texte.
Ainsi, « lire, interpréter un énoncé, en constituer la cohérence, cela revient à actualiser le
texte – dont l’objet textuel n’est encore que la promesse – en vue de le saisir comme un tout
de signification, comme un ensemble organisé de relations. »151
À la lumière de ces arguments, on réalise qu’à la différence d’autres approches, « la
sémiotique considère la signification qui se joue dans le texte lui-même. »152
Nous
intéressera donc, le « sens-dans-le-texte »153
tel qu’il se dégage de la forme, mieux, dans la
structure. Dans cette perspective, interpréter revient à écouter tout en décrivant le sens
148
Louis Panier, « Figurativité-discours-énonciation », dans Sémiotique et Bible, Lyon, 131(2008), p.1. 149
Louis Panier, « Figurativité-discours-énonciation »…, p. 2. 150
Ibid., p. 2 151
Ibid., p. 3. 152
Louis Panier, « Sémiotique du discours biblique et questions christologiques »…, p. 290. 153
Idem.
50
signalé à partir des structures du texte. Pour ce faire, dit Panier, il faudrait avoir à l’esprit
que le texte à lire n’est sûrement pas
[Le] contenant dans lequel serait caché le sens à découvrir, il n’est pas la
mise en forme littéraire (le fond classiquement opposé à forme), mais il est
une organisation particulière du langage qui produit (construit) le sens. La
sémiotique cherche donc à décrire les conditions internes (immanentes) de
production de la signification dans un texte particulier154
.
En conséquence, par ce geste de lecture du « texte » et plus particulièrement par ses effets,
la démarche théologique, voire pastorale, est ouverte à une distance nécessaire qui lui
permet de respecter « l’autre du texte ou le texte comme autre. »155
Selon Jean Delorme,
lire les textes bibliques tout en nous disposant au passage de la Parole qu’ils incarnent, c’est
finalement mettre en valeur la fonction scripturaire des Écritures. Cette démarche,
estimons-nous, permet de préciser en théologie le statut des écritures (écrits) par rapport à
la Parole. À juste titre, ces écrits sont la manifestation visible ou les traces qui attestent de
l’absence de quelque chose : la Parole. Jean Delorme soutient qu’ils sont, comme on le dit,
« testament » au sens premier du mot, c’est-à-dire « témoins » souscrits dans la clôture
même du texte.
Pour Louis Panier, « s’il y a un sens dans l’écriture que je lis maintenant, il n’est [pas] dans
le monde ou dans les personnages représentés ou décrits, il est dans le langage de cette
écriture et dans la prise que ce langage a sur moi, sur mon langage et sur mon langage en
moi. »156
La prise en compte ou la considération attentive de la fonction scripturaire devrait
favoriser l’émergence d’un lecteur qui ne se contenterait pas de reproduire ce que
mentionne matériellement la lettre de la Parole. Ainsi ce lecteur n’est plus simplement
lecteur, mais sujet lecteur.
154
Ibid., p. 291. 155
Jean Delorme, Parole et récit évangélique. Études sur l’évangile de Marc…, p. 31-32. 156
Ibid., p. 32.
51
2.2.2. Le sujet et la lecture
Comment le lecteur advient-il sujet lecteur ? C’est à partir d’un long cheminement où l’on
apprend à chaque pas à construire des significations au fil de l’élaboration des parcours du
texte, enseigne la professeure Anne Fortin157
. Un tel chemin nous encourage à lire le texte
pour lui-même, à l’écouter et le laisser venir à nous, le laisser traverser notre vie, bref le
laisser se répercuter sur le lecteur toujours susceptible de devenir sujet lecteur. Il nous
semble que ce point est capital : le sujet advient dans son acte de lecture, un sujet lisant. La
lecture le construit comme sujet actif, interprète et énonciateur à son tour. Il est un
participant attentif au mouvement, au chemin que le texte lui trace ; il est aussi attentif à
l’émergence du sens que le texte structure et organise. Autrement, les textes ne seraient que
des dépositaires de savoirs qu’il conviendrait de découvrir d’après telle ou telle autre grille
afin de se l’approprier comme un objet.
Comme le souligne Jean Delorme, s’approprier le texte suit une démarche selon laquelle la
lecture se déploierait en deux étapes : mettre d’abord le texte à distance en le replongeant
dans ses origines ; et dans un deuxième temps assimiler le texte, le prendre pour soi,
autrement dit, se l’approprier158
. Cette appropriation revient finalement à supprimer toute la
distance qu’un texte porte en tant que texte et qu’il instaure entre lui et le lecteur. La
distance que signale Delorme ne serait pas à identifier dans le fait de replonger tout
simplement les textes dans l’histoire pour ensuite se les approprier de manière définitive.
Ainsi, s’approprier, signifie l’annulation du mouvement, du va-et-vient interprétatif que le
texte réclame entre lui et son lecteur. Ce mouvement interprétatif devrait être permanent.
Au regard de tout ce qui précède, le sujet lecteur ne peut qu’être une attitude, une manière
de se rendre disponible ; autrement dit, un « se-disposer à entendre l’autre du texte » plutôt
que de chercher à se l’approprier159
. En fait, ce lecteur est un sujet qui se construit par ce
va-et-vient que le texte lui réclame. Il n’y a donc pas un sens préalablement caché du texte
que le lecteur devrait assimiler. Pour qu’il devienne sujet, le lecteur est invité à se disposer
157
Anne Fortin, L’Annonce de la bonne nouvelle aux pauvres. Une théologie de la grâce et du Verbe fait
chair, Montréal, Médiaspaul, 2005, p. 23. 158
Jean Delorme, Parole et récit évangélique. Étude sur l’évangile de Marc…, p. 32. 159
Ibid., p. 33.
52
à l’écoute du texte. Laisser le texte venir à lui comme dans un dialogue où la Parole
traverse la chair, la vie des interlocuteurs. Ce dialogue entre le sujet et le texte indique que
le texte est bien davantage que des traces sur papier. Il signale une Parole issue de ce que
nous appelons « l’énonciation du texte » ou encore « l’immanence du texte » qui traite les
agencements et articulations offertes par le texte comme des figures signifiantes. Les
formes de ces figures appellent un lecteur interprète plutôt qu’un lecteur en quête des
informations ou des messages proposés par le contexte de la production du texte.
Finalement, le sujet lecteur est le sujet de la lecture. En faisant acte de lecture comme sujet,
ce dernier pose à son tour un acte d’énonciation. La signification réside dans cet acte
même. Ainsi, le sujet dépendra toujours de l’acte de lecture et des fonctionnements
figuratifs qu’il parcourt et qui se répercutent sur lui, le traversant, l’interprétant,
l’interpellant et le transformant. Sans cette écoute du texte à partir de son immanence (la
Parole enclose dans les structures, les fonctionnements en-deçà du texte), le lecteur reste
pris dans les informations ou des comptes rendus du récit.
En fait, pourquoi cette insistance sur la lecture en-deçà du texte comme lieu où le lecteur
advient sujet lecteur ? Louis Panier indique qu’il n’y a pas d’un côté un lecteur et de l’autre
des objets de valeur à croire. C’est plutôt dans l’acte de lecture que se constituent le sujet et
la vérité du sujet. En d’autres termes, la valeur n’est pas connaissable en dehors de
l’expérience qu’on en fait. La lecture fait ainsi advenir le sujet comme co-énonciateur.
Pour donner un exemple du processus de la constitution du lecteur en sujet-lecteur, mieux,
en sujet énonciatif, nous aimerions reprendre l’interprétation que propose Louis Panier de
l’histoire de Philippe et l’Eunuque dans le livre des Actes des apôtres :
L’eunuque a besoin d’aide pour devenir lecteur. Comment lis-tu ? demande
Philippe. Il est d’abord bloqué dans une lecture figurative, encyclopédique.
De qui parle ce texte ? Philippe ne répond pas à la question, il fait pour
l’eunuque acte de lecture : partant de cette écriture, il lui annonce Jésus-
Christ. La lecture effectue le changement de posture du lecteur, qui change
de rationalité et de croire. L’eunuque est renvoyé de sa situation d’altérité
(eunuque) à cette autre où tous deux sont dans l’eau pour le baptême. Pour
l’eunuque, le texte du prophète n’a pas changé de contenu, il n’a pas résolu
la lecture comme énigme : il est devenu lecteur, sujet affecté par le texte lu.
Sans doute, le texte parlait-il de lui, l’eunuque, et de ce qui l’affecte, mais
cela n’est pas dit directement, ni le résultat d’un meilleur décodage des
53
figures, cela est montré dans le jeu des acteurs et dans la manière dont
l’eunuque est instauré comme sujet de cette lecture160
.
Il ressort de cet exemple une construction du sujet-lecteur qui est advenu à partir et par la
lecture du texte. Ce sujet s’est laissé traverser par le texte et de ce fait, il a écouté quelque
chose qui parle de lui à partir de l’énonciation du texte. C’est en ce sens que, tel que le
propose Jean Delorme, l’énonciation est comme le point de fuite où quelque chose de
l’homme se dit, quelque chose que le dire ne dit pas mais sans quoi il ne dirait rien. Lire
dans ce sens, ce n’est donc pas seulement chercher le sens des mots et la suite des idées.
C’est, se disposer au passage de la Parole, nous l’avons dit. Il importe par conséquent de
chercher les articulations par lesquelles le texte s’organise, avec ses cohérences et ses
cassures, en direction d’un point aveugle et silencieux grâce auquel une Parole peut
advenir, et où un sujet parlant peut être convoqué161
. Dans ce sens, le texte n’est pas
seulement un texte écrit, il est une construction de langage, lieu de nos interrogations
majeures sur l’homme, le monde et Dieu. Le lieu où le sens ne se mesure pas à l’échelle des
mots, des phrases, mais à l’échelle des ensembles signifiants162
.
En définitive, l’acte de lecture – ce à quoi nous allons nous adonner à partir de l’extrait de
la Première Lettre de saint Jean – est toujours le geste d’un sujet lecteur. En lecteur, nous
serons invités à la lecture de ce texte en tant que texte et non comme un dépôt de savoirs
qu’il conviendrait de reproduire. Lire à la manière d’un sujet, redisons-le, consiste à écouter
les paroles adressées à des sujets, des paroles qui se répercutent et qui disent la vie. C’est
sur ce chemin impliquant la vie que nous arrivons à dire avec Anne Fortin :
Le texte se présente comme une écriture à lire pour retrouver en soi le
parcours de la parole, pour re-connaître la solidité des enseignements reçus.
L’écriture à lire traversera toutes les régions de l’humain, afin que la lecture
éveille l’attente de la parole dans tous les méandres possibles et impossibles
de la chair163
.
Ce sujet lecteur émerge là où quelque chose de l’humain se dit, quelque chose qui
ressemble au mouvement de la main du peintre qui désire représenter le monde. Car,
160
Louis Panier « le lecteur comme sujet d’énonciation. Approche sémiotique », dans Sémiotique et bible 150
(juin 2013) p. 8. 161
Jean Delorme, Parole et récit évangéliques…, p. 26. 162
Ibid., p. 23. 163
Anne Fortin, L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres…, p. 40.
54
comme l’indique très bien Jean Delorme, la peinture, ce n’est pas seulement le savoir-faire
du peintre qui représente la réalité sur un tableau ; l’essentiel est plutôt dans le mouvement
de sa main saisie par autre chose qu’est son désir de peintre le monde164
. Nous réalisons
qu’il est difficile de formaliser ce « quelque chose » sinon par des métaphores. C’est à
l’écoute du mouvement de ce « quelque chose de l’homme » que nous commençons la
lecture de ce prologue.
2.2.3 Lecture de 1 Jean 1,1-4
1
Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous
avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont
palpé du Verbe de vie – 2 et la vie s’est manifestée, et nous avons vu, et nous
témoignons, et nous vous annonçons la vie, la [vie] éternelle, qui était auprès
du Père et qui s’est manifestée à nous – 3 ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que vous aussi soyez en
communion avec nous ; et notre communion à nous est avec le Père et avec
son Fils Jésus Christ. 4 Et cela, nous l’écrivons, nous, pour que notre joie soit
en plénitude165
(1Jn 1,1-4).
Le tournant anthropologique tel que présenté par Karl Rahner a indiqué l’humain en tant
que sujet comme point de départ de l’accueil de la Révélation. Cet humain tout en étant un
être de finitude expérimente de manière singulière la soif du devenir. Il « est en soif »
permanente. Ainsi, il s’éprouve comme un être de transcendance inscrit subjectivement
dans un surpassement à chaque fois qu’il éprouve sa finitude. Telle est son expérience en
tant que sujet. Il est celui qui s’éprouve comme sujet, car étant déjà prédisposé à cette
expérience. Celle-ci n’est pas donnée. Elle est là, chez tout être fini. Dans ce sens, l’urgence
ne consiste pas à donner ou transmettre cette expérience de surpassement ; l’urgence est
plutôt d’un autre ordre : examiner comment cette expérience de soif, cet état des sujets se
répercute ou chemine dans la vie des humains. En fait, il ne s’agit pas de donner la soif,
mais de scruter et de considérer le parcours de sa réalisation. De même, au lieu de chercher
164
Jean Delorme, Parole et récit évangélique…, p. 25. 165
Nous utilisons la traduction d’Osty et Trinquet, Éditions Siloé, 1974.
55
en ce prologue la soif à transmettre, le lecteur que nous sommes se disposera à écouter les
structures que ce texte construit pour un sujet lecteur.
Au premier regard, ce prologue semble proposer un itinéraire, un parcours dont l’objet
serait la transmission du Verbe que nous inscrivons sur le même registre que la foi. Le
lecteur aurait devant lui les informations, les reportages ou le récit de la rencontre entre les
disciples et leur Maître. Le lecteur se trouverait ainsi inscrit dans le processus de perpétuer
ce qui est raconté à ceux qui n’auraient pas encore reçu l’information de la rencontre. En
d’autres mots, le lecteur pourrait s’engager dans le travail de la transmission du Verbe
raconté, de la foi relatée. Ce prologue est-il vraiment un archétype de la transmission du
Verbe qui appelle d’autres transmetteurs ? Et si tel n’est pas le cas de quoi pourrait-il être
question ? Pour mener à bien ces deux questions nous nous inspirons du commentaire166
de
Louis Panier qui nous oriente à lire ce prologue comme une organisation particulière de la
Parole mise dans un langage dont le sens ne saurait se réduire à un reportage des éléments à
transmettre. C’est en lisant dans le langage que pourra donc apparaitre le lien entre ce
prologue et notre question de recherche.
2.2.3.1 Le prologue et l’examen du schéma de la transmission
Devant un texte pareil, le lecteur peut être tenté de parler à la place du texte et de l’utiliser
selon un but ou selon un intérêt particulier. Dans ce sens, le lecteur est alors un savant, il
sait ce que voudrait dire un texte sans pour autant le lire. Cependant, plutôt que de donner
une leçon sur les manières de lire, revenons ici à notre question : la lecture de ce prologue
nous permet-elle d’envisager une quelconque transmission du Verbe ? Nous situons ici le
Verbe, la Vérité, la Révélation, la Foi, dans un même lieu de parole bien que tous ces
mystères procèdent de parcours différents. C’est donc le lieu de la parole qui nous intéresse
pour le moment. Et c’est en ce sens que cette écoute du « Verbe du commencement »
s’applique aussi à la foi.
166
Louis Panier, La naissance du fils de l’homme..., pp. 35-46.
56
Pour revenir à la question de la transmission, il résulte à première vue que ce prologue
propose une transmission selon le modèle de communication de Roman Jakobson167
. De
manière abrégée, ce modèle enseigne un mouvement de communication d’un message qui
part d’un émetteur vers un récepteur. Ce modèle aurait donc influencé considérablement le
travail de pastoral des dernières décennies168
. En ce sens, la Parole de Dieu serait
considérée comme un message à communiquer aux destinataires (récepteurs) par les
destinateurs (émetteurs). La Parole est dès lors réduite à un message, à une information, à
une histoire à raconter, ou alors à transmettre. Ce schéma ainsi présenté, exige la clarté, le
contrôle, la compétence des agents de communication par rapport à des contenus bien
déterminés pour que la transmission soit effective et efficace.
Dans le cas de ce prologue, il y aurait donc, dans un premier temps les premiers disciples
qui auraient vu, entendu, touché le Verbe. Dans un deuxième moment, ces premiers
témoins, par souci de transmission, auraient écrit pour les autres afin que ces derniers soient
en communion avec les premiers par le biais de l’objet transmis. En d’autres mots,
l’émetteur se définirait dans le personnage de l’écrivain (supposons Jean), le message ou le
contenu serait le Verbe et le récepteur s’identifierait au personnage du lecteur. Dans cette
logique, aujourd’hui, l’on présenterait ce prologue pour justifier le travail de la
transmission de la foi selon les performances communicationnelles : de même que les
premiers disciples se sont souciés de transmette le Verbe de manière précise à leurs
lecteurs, l’Église sentirait aujourd’hui le même besoin : transmettre professionnellement la
foi à ceux qui ne l’auraient pas encore.
167
Le schéma de la communication selon Jakobson distingue six fonctions de communication, chacune
associée à une dimension du processus de communication et à un agent de la communication. 1) La fonction
référentielle est liée au contexte et concerne principalement le référentiel dans lequel le message doit être
interprété. 2) La fonction expressive centrée sur le destinateur (l'émetteur) et lui permet d'exprimer son
attitude, son émotion, et son affectivité par rapport à ce dont il parle. 3) La fonction conative est portée par le
destinataire. Il s'agit de reconnaître au langage une visée intentionnelle sur le destinataire et une capacité
d'avoir sur ce dernier un effet. 4) La fonction phatique sert à établir la communication, à assurer le contact et
l'attention entre les interlocuteurs. 5) La fonction métalinguistique est liée au code, (exemple, la langue,
employée pour la communication). 6) La fonction poétique met l'accent sur le message lui-même et le prend
comme objet. Cf. [http://chraiet.voila.net/document/jakobschem.htm], (Consulté en Janvier 2014). Aussi,
Anne Fortin « Faire circuler la parole dans l’espace public », dans, Précis de théologie pratique, Montréal,
Novalis ; Bruxelles, Lumen Vitae, 2004. 168
Anne Fortin « Faire circuler la parole dans l’espace public », dans, Précis de théologie pratique, Montréal,
Novalis ; Bruxelles, Lumen Vitae, 2004, p. 296.
57
Il semble pourtant qu’après une telle lecture, il est toujours avantageux de laisser le texte
venir en nous pour enfin suivre son parcours, ses cassures, ses pierres d’achoppement, qui
sont en définitive, une « Parole » pour un sujet d’écoute.
2.2.3.2 L’écriture du Prologue, une expérience des sujets
Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous
avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont
palpé du Verbe de vie. (1Jn 1,1).
« Ce qui était dès le commencement… » Tels sont les premiers mots d’une lettre qui,
d’entrée de jeu semblent aller de soi. Et pourtant, la lettre nous laisse dans un flou.
Tout d’abord l’auteur ne se présente pas. Rapidement, on pourrait attribuer ce texte à
l’apôtre Jean. Mais ce serait là un autre type d’étude. En lisant ce texte comme pour une
première fois, rien ne saurait indiquer avec précision l’auteur de cette lettre. Et pourtant elle
parle. Une Parole nous atteint. Il est donc possible d’identifier l’auteur (destinateur) par ce
qui le modalise : il nous exprime quelque chose tout en se décalant ou en prenant la forme
d’un « nous » pluriel. Rien ne nous précise le lieu géographique de sa production ni le
temps chronologique de son écriture. Le lecteur a simplement devant lui une Parole qui
déborde le lieu et le temps. Ainsi, il écoute cette Parole qui dit : « Ce qui était dès le
commencement, ce que nous avons entendu… ». Il y a donc une Parole qui dit et un lecteur
qui lit et écoute sans pour autant chercher l’auteur du texte. Le décentrement du destinateur
appelle ainsi non seulement un lecteur, mais un sujet lecteur qui écoute et expérimente
comme le premier témoin (destinateur) la Parole originaire, celle du commencement, le
Principe qui tient tout seul, - l’archè en langue grecque.
Ensuite, « ce qui est exprimé » par cette Parole ne semble pas clairement définir l’objet de
son dire. Le lecteur a tout simplement devant lui des pronoms indéterminés « ce ».
Imaginons-nous recevoir de la poste une lettre semblable. Nous parions qu’une telle lettre
ne saurait nous laisser indifférent. Elle sollicitera en revanche notre attention, mieux notre
écoute du « comment la lettre se structure ». L’attention portée à cette lettre provient en
58
fait, de la volatilité de l’objet. (Nous parlons évidement du manque d’objet cernable
objectivement, car de toute façon chaque lettre contient littérairement un objet). Cependant
pour ce prologue, l’objet nous apparait tout en nous échappant. La présence et l’absence
définissent alors bien l’objet de ce prologue. L’objet est là tout en n’étant pas défini. C’est
le « ce ». Il ne s’agit donc pas d’une quelconque formule de foi bien définie ni d’un
enseignement moral à transmettre. C’est plutôt « ce qui était au commencement. » C’est
cette présence-absence que le lecteur écoute à partir d’un lieu de parole décalé. Dès lors le
texte commence à être signifiant pour le sujet lecteur. Le texte ne lui expose plus des
informations sur le Verbe. En tant que sujet, le lecteur expérimente déjà la présence et
l’absence de quelque chose. C’est dans cette posture qu’il peut continuer la lecture, il
marche, il cherche encore.
À dire vrai, ce flou sur l’auteur et ce manque d’objet précis de la lettre, signalent, nous
semble-t-il, quelque chose d’inouï pour des sujets marqués par l’expérience de la rencontre
du Verbe, autant chez le témoin (écrivain) que chez le lecteur. L’écrivain n’ose pas parler
par lui-même, c’est une autre voix qui parle et qui prend la forme du « nous ». Le
destinateur physique du texte se décale et laisse la parole à l’énonciateur. Ce geste décalé
du destinateur invite le lecteur à entrer dans le mouvement, dans l’orientation vers le Verbe
car la parole de l’énonciateur atteint tous les partenaires de l’écoute. Le texte en laissant
indéterminé l’auteur, crée en quelque sorte un espace vide où circule un mouvement entre
la parole énonciative, le témoin qui écrit et le sujet qui lit. Il y a naissance des sujets. Il ne
s’agit plus d’un privilège entre ce premier témoin et le Verbe. La voix énonciative arrive
jusqu’au dernier lecteur de la même manière décalée. Si tel est le cas, serait-il encore
envisageable de voir en ce prologue un écrit de transmission ? Un récit qui transmet un
quelconque contenu de foi pour les générations futures ? La suite du texte nous oriente vers
autre chose qui n’a rien de commun avec l’idée de la transmission.
2.2.4 Le témoignage d’une écriture pour la joie
La première analyse vient de disposer des éléments déterminants à même de nous ouvrir
sur le reste du texte : la place de l’inaugural au début, le flou sur l’objet concret de la lettre
59
et la position décalée du destinateur. Ainsi disposés, ces éléments invitent le lecteur à
écouter différemment le texte, car l’objet à transmettre disparait sous son regard. Pour le
moment, la quête consiste dans l’écoute d’une parole qui dit l’expérience de rencontre avec
le Verbe. C’est cela que nous appelons « témoignage ». De fait, il devient clair que l’objet
de la lettre n’est pas ce « ce » à transmettre. La lettre est par contre l’expression d’un
témoignage, et tel serait peut-être l’objet ou le but de la lettre : « …et la vie s’est
manifestée, et nous avons vu, et nous témoignons, et nous vous annonçons la vie, la [vie]
éternelle, qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous » (Verset 2). Il s’agit d’un
témoignage de vie qui s’est manifestée et dont on ne peut témoigner qu’à partir de la vie
concrète des sujets, des destinateurs, en « nous ». La vie a donc été vue, entendue,
contemplée et touchée. Ces indications corporelles sont la marque concrète du témoignage.
Toutefois, ce témoignage de vie ne se fait pas de manière directe, du « je » au « tu ». La vie
qui se manifeste reste elle aussi décalée, car elle n’agit pas de son propre chef. Cette vie
témoigne si et seulement si elle reste celle qui était auprès du Père. C’est de cette vie ainsi
manifestée dont témoignent les destinateurs de la lettre. En fait, le témoignage consiste à
indiquer comment la vie fut manifestée. Ce serait ce genre de vie décalée, ouverte à un tiers
qui se serait répercutée dans les yeux, les mains, les oreilles des destinateurs et c’est cela
qu’il convient d’annoncer. Nous estimons que c’est le « comment » de cette manifestation
de la vie qui sous-tend la communion entre les destinateurs et les lecteurs: « ce que nous
avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que vous aussi soyez en
communion avec nous ; et notre communion à nous est avec le Père et avec son Fils Jésus
Christ.» (Verset 3). La communion dont on parle ici ne serait certainement pas avec les
premiers témoins ni dans l’objet à transmettre. Elle est plutôt à inscrire dans l’ouverture au
mouvement ternaire qui manifeste la vie dans les sujets. Le texte le dit en pointant vers un
mouvement trinitaire : « et notre communion à nous est avec le Père et avec son Fils Jésus
Christ. » Être en communion avec les destinateurs, c’est finalement s’inscrire dans ce
témoignage de la Parole ternaire, où chaque sujet, chaque lecteur se sent convoqué par la
même Parole du commencement, du principe, de l’archè.
Ici la communion ne saurait être la transmission d’un contenu de foi, elle est plutôt un
appel, une invitation à s’inscrire dans la vie telle qu’elle se manifeste et se répercute dans la
vie des destinateurs. Cela suppose que l’écriture de ce prologue arrive après une certaine
60
expérience de la manifestation de cette vie dans les destinateurs. Ce qu’ils écrivent pourrait
mieux s’interpréter comme les effets du « comment de la manifestation » dans leur vie. Ces
effets sont ainsi rendus dans une lettre. Comme le dit Louis Panier169
, la lettre est donc
l’attestation de ce qui est expérimenté avant d’être dit. Cela étant, nous serions donc
autorisés de dire ceci : comme l’acte d’écriture atteste l’accomplissement et la réception
dans les destinateurs, ainsi en va-t-il pour le lecteur dans son geste de lecture : c’est là une
attitude qui confirme son statut de sujet. Dès lors, la communion commence son chemin.
Le témoin et le lecteur, tous deux s’ouvrent au regard de cette Parole originaire. Ainsi,
« recevoir la Parole, ici, n’est pas recevoir d’un locuteur un discours ou un message à
transmettre »170
, mais plutôt donner lieu à la Parole et l’attester dans notre corps, dans
notre vie, dans notre chair. Dans ce sens, le geste d’écriture s’achève et s’accomplit dans
le sujet-lecteur afin qu’il mesure, perçoive et expérimente en tant que sujet singulier les
effets présents de la Parole171
.
Et cela, « nous l’écrivons, nous, pour que notre joie soit en plénitude » (Verset 4). Tout ce
parcours, tout ce témoignage, tout ce qui suit, le destinateur l’écrit pour la plénitude de la
joie172
. C’est en témoignant de ce qu’ils éprouvent – la manifestation ternaire de vie – que
la joie devrait être en plénitude. La joie ne saurait arriver pleinement sans cette écriture qui
en est la trace. Encore ici, il ne s’agirait pas d’une transmission d’un certain contenu de foi.
Il est plutôt question d’écrire pour la joie issue de la manifestation de la vie du
commencement. La plénitude de cette joie réside dans son écriture qui oriente le lecteur
vers la manière dont la vie se manifeste dans le corps de témoins. La plénitude de la joie se
réalise chez les destinateurs dans la mesure où le lecteur s’inscrit dans ce mouvement qui
indique comment la vie du Verbe fut manifestée dans les témoins. L’important, n’est donc
pas d’éprouver cette joie selon les mêmes registres, ni les mêmes contenus. L’important
serait plutôt, pour le lecteur de se positionner, se disposer, s’ouvrir au mouvement, au
chemin, à la structure qui indique comment la vie se manifeste.
169
Louis Panier, La naissance du fils de l’homme..., p. 37-38. 170
Idem. 171
Idem. 172
Ibid. p. 38.
61
En d’autres termes, il ne s’agit pas pour les destinateurs de donner la vie, mais d’indiquer
les chemins qui peuvent rendre cette vie joyeuse. Cette logique de la vie peut alors
s’appliquer à la foi qui réclame incessamment des chemins joyeux de son expression. Il ne
s’agit pas ici de la donner ou de la transmettre. Comme la vie, la foi est dans l’économie du
Père. Indiquer les chemins qui signalent comment la vie se manifeste, tel serait le
témoignage de ce prologue de la première lettre de saint Jean, un témoignage pour un sujet
lecteur.
62
Conclusion
Somme toute, cet itinéraire effectué autour du « sujet lecteur » entérine résolument les
conclusions retenues de notre premier chapitre. Le tournant anthropologique que nous trace
ce parcours nous découvre l’humain comme un être de transcendance éprouvée lorsque
l’humain expérimente de manière radicale sa finitude. C’est en étant fini que l’humain se
surpasse dans un questionnement l’ouvrant au devenir. Il « est ainsi en soif » permanente.
Cette expérience transcendantale ne saurait donc être le privilège de quelques esprits. C’est
une expérience universelle car elle s’éprouve de manière subjective. Et c’est à l’intérieur de
ces schèmes que peuvent se comprendre le mystère de la Révélation ou du salut. Ce salut
est possible car il rencontre dans l’humain en tant que sujet une transcendance, un désir,
une ouverture qui coïncide avec les attentes de la Révélation, de la Vérité, mieux de la foi.
De ce fait, tout sujet est potentiellement sauvé, car la foi est constitutive de son existence.
Et si tel est le cas, il semble que la transmission de la foi ne présente pas l’urgence pastorale
face à la crise que traverse l’Église.
C’est à ce même parcours que nous a conduit le prologue de la première lettre de saint Jean.
Loin de voir en ce prologue un texte qui autoriserait la transmission de la foi selon la
théorie de communication de Jakobson, ce texte a plutôt résonné dans un autre sens. Cette
nouvelle résonnance se fonde sur un parcours qui valorise le fonctionnement, la structure,
l’agencement que le texte lui-même organise. De cette lecture ainsi nouvelle, le prologue
signale davantage un geste de témoignage de la vie telle qu’elle se manifeste dans la vie des
témoins. Et le lecteur devenu sujet lecteur témoigne de cette même joie lorsqu’il s’inscrit
dans ce chemin signalé de manière décalée par les témoins. L’important n’est pas de
transmettre le Verbe de vie, mais d’écouter le chemin que ce Verbe emprunte pour
manifester la vie. Car, de toute façon, la transmission ou le don de la vie n’est pas du
ressort des témoins. Les témoins sont tout simplement témoins et non des donateurs de la
vie ou de la foi.
Par conséquent, l’urgence pastorale, semble pouvoir être décalée car nous aboutissons aux
témoignages, aux effets de la rencontre rendus sur papier dans la lettre de saint Jean, et qui
63
sollicitent un sujet lecteur, un sujet de la parole. N’est-il pas là un geste plus urgent à
revisiter pour la pastorale ? Tel sera l’objet de notre troisième et dernier chapitre.
Chapitre Troisième
L’émergence du sujet de parole. Une urgence pour
l’Église de notre temps
66
Introduction
Afin de montrer pourquoi nous considérons urgente l’émergence du sujet de parole au sein
de l’Église de notre temps, sans doute convient-il de rappeler le chemin que nous venons de
parcourir jusqu’à maintenant. Nous sommes partis d’un constat : la baisse ou la
décroissance des pratiques religieuses. C’est en fonction de ce critère quantitatif qu’on
évalue généralement la crise que vit l’Église catholique. Cette crise est causée soit par le
changement très rapide de la société à la suite du développement technique du monde, soit
par le relâchement des cadres catéchétiques établis par l’organisation dirigeante. Au fil du
temps, ces phénomènes ne favorisent plus le travail de la transmission de la foi authentique.
Ainsi, il n’est plus étonnant d’associer la crise de l’Église à l’échec de la transmission de la
foi. Face à cet échec, la réaction courante consiste à concevoir de nouvelles méthodes de
transmission adaptées au contexte du monde moderne. Différentes selon les cultures, les
pays et les temps, ces nouvelles méthodes ont la transmission comme dénominateur
commun. De là vient le mot d’ordre : « Transmettre autrement. »
Toutefois, les arguments développés dans les chapitres précédents sur la notion de l’humain
comme personne et sujet de transcendance nous ont permis de poser le problème
différemment. La crise persiste-t-elle à cause du déficit dans le travail de la transmission de
la foi ou du fait que l’on oublie de considérer l’humain comme fondamentalement habité
par la foi qu’il expérimente en tant que sujet de transcendance ? L’humain est, en effet, en
soif permanente de devenir et éprouvé de manière subjective, cet état résiste à tout effort de
transmission. On peut seulement susciter, décrire ou témoigner de cet état qui nous est
donné de façon originaire par un tiers, dont l’instance est tout autre que celle de celui qui
s’érige en « transmetteur ». Oublier ce parcours, ne constitue pas moins, nous semble-t-il,
une crise qui réduirait l’humain à un simple récepteur. L’humain crie pourtant sa souffrance
de rester longtemps un déversoir d’opinions ; mais sa parole est étouffée alors qu’il désire
témoigner de son expérience transcendantale. N’y a-t-il pas là une urgence pastorale qui
mériterait une attention nouvelle ? Autrement dit, comment faire de la pastorale un lieu
d’où émerge le sujet de parole ? Telle est la question qui alimente les paragraphes qui vont
suivre.
67
Pour aborder ce chapitre, nous commencerons par une analyse comparative et appréciative
de deux textes du Synode sur la nouvelle évangélisation tenu en octobre 2012 à Rome. Il
s’agit ici d’examiner comment et en quels termes les évêques furent les témoins de ce
parcours du sujet de parole au cœur de la pastorale. Ensuite, nous apprécierons comment
l’écoute de la parole des sujets marque l’Exhortation apostolique La joie de l’Évangile du
Pape François. En fin, nous suivrons le même parcours dans le récit de la Samaritaine en
Jean 4, 1-26, proposé par les pères synodaux à la fin de leurs assises. Ici encore, le but est
de savoir comment et à quelles conditions ce récit agence et construit le sujet de parole.
Enfin, nous tirerons de ce parcours quelques incidences pastorales.
3.1. Parcours appréciatif du Synode
Le parcours que nous nous proposons d’aborder dans cette partie porte sur trois textes173
du
Synode sur la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne :
l’Instrumentum laboris174
, le Message au peuple de Dieu175
et l’Exhortation apostolique La
joie de l’Évangile176
. En fait, notre travail ne consiste pas en une étude historique, ni même
en une critique de ces textes. Nous voudrions plutôt analyser les différences, les écarts, les
distances qui se creusent entre ces trois textes. Ces éléments nous permettront ensuite de
déterminer comment et à partir de quels lieux ces textes parlent. Toutefois, avant de nous
avancer dans l’analyse proprement dite, nous retracerons rapidement le contexte de ce
Synode.
173
Les deux premiers textes ne sont pas encore rendus sous leur forme papier. Pour le moment nous y
accédons seulement en ligne, sur le site du vatican.ca
[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/index_fr.htm], (Consulté en novembre 2013). 174
[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20120619_instrumentum-
xiii_fr.html], (Consulté en mars 2014). 175
[http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20121026_message-synod_fr.html] 176
Pape François, Exhortation apostolique. La joie de l’Évangile, Paris, Bayard, 2013.
68
3.1.1 La XIIIème Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques
À la fin des travaux de l'Assemblée spéciale du Synode des évêques sur le Moyen-Orient,
le pape Benoît XVI avait convoqué le Synode sur la nouvelle évangélisation pour la
transmission de la foi chrétienne. À cet effet, des Lineamenta177
furent élaborés afin de
faciliter la préparation de ce nouveau Synode. Des réflexions et des opinions, des
suggestions issues des conférences épiscopales, des Synodes des évêques des Églises
catholiques orientales, des dicastères de la curie romaine et de l'union des supérieurs
généraux, ou des suggestions issues des consultations personnelles ont été alors
rassemblées dans le document intitulé Instrumentum laboris178
.
Au regard du lieu et du moment de sa production, ce document se révèle d’une importance
capitale. Ses quatre chapitres en font un outil de travail qui résume les aspirations de
l’Église face au risque qu’elle court. Ces chapitres entendent fournir les contenus
fondamentaux et les instruments facilitant la réflexion et le discernement devant les
nouvelles situations de l’Église et du monde.
Le premier chapitre s’attache à redécouvrir le cœur de l'évangélisation qu’est l'expérience
de la foi chrétienne. Le deuxième développe la réflexion sur le discernement et la claire
perception des transformations qui interpellent la façon de vivre la foi et influencent les
communautés chrétiennes. Y sont analysées les raisons pour lesquelles se diffuse le concept
de nouvelle évangélisation et les diverses initiatives que les différentes Églises particulières
adoptent face à la crise. Dans le troisième chapitre, sont attentivement examinés les lieux
fondamentaux, les instruments, les sujets et les actions permettant la transmission de la foi
chrétienne : la liturgie, la catéchèse et la charité, en transmettant la foi qui doit être
professée, célébrée, vécue et priée. Dans cette perspective, le quatrième et dernier chapitre
présente une discussion sur les secteurs de l'action pastorale spécialement consacrés à
l'annonce de l'Évangile et à la transmission de la foi179
.
177
Lineamenta : les lignes directrices, les lignes majeures 178
Synode des évêques, XIIIème
assemblée générale ordinaire, Instrumentum laboris. La nouvelle
évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, cité du Vatican, 2012, N° 1. 179
Ibid., N° 17.
69
Ces chapitres sont élaborés comme des réponses aux Lineamenta qui soulignaient l’urgence
d’une assemblée générale afin d’évaluer la façon dont l’Église vit sa foi et sa vocation
évangélisatrice, celle des origines. Ces réponses mettaient au jour une crise vécue sous
plusieurs formes. Dans l’avant-propos de ce document, Nikola Eterović, Archevêque
titulaire de Cibale et secrétaire général du synode des évêques, mentionne déjà de façon
abrégée le genre de crise que vit l’Église : « Beaucoup d'Églises particulières connaissent
un éloignement des fidèles - dû à l'insuffisance de leur foi, de la vie sacramentelle et de la
pratique chrétienne, dont certains pourraient même être insérés dans la catégorie des non-
croyants »180
. En même temps, Monseigneur Eterović reconnaît que nombreuses sont les
Églises qui, après un premier enthousiasme, expérimentent la lassitude, la peur face à des
situations très difficiles dans le monde d'aujourd'hui. Dans ce contexte, il était donc temps
de renforcer l’importance de la foi en organisant un synode portant sur l’évangélisation et la
transmission de la foi chrétienne181
.
Du 7 au 28 octobre 2012, les évêques se sont réunis à Rome dans le but d’épargner à
l’Église le risque de la dislocation, de la dispersion et de la fragmentation courante
favorisée par le monde d’aujourd’hui. On retiendra, d’après ce que souligne l’Instrumentum
laboris, que ce synode s’adressait particulièrement aux nombreux frères et sœurs qui, bien
que baptisés, se sont éloignés de la pratique chrétienne182
. Sur ce point, les réponses issues
des Lineamenta avaient fourni une liste tout à fait impressionnante d'initiatives mises
en œuvre par les différentes réalités ecclésiales qui méritaient une attention
particulière183
. Mais devant « une telle richesse d'initiatives, rapportée dans un ton de
clair-obscur du fait qu'elles n'ont pas toutes obtenu le résultat espéré, la convocation
synodale a été vue comme l'occasion favorable pour créer un moment unitaire et
catholique d'écoute, de discernement et, surtout, pour apporter unité aux choix qui
devront être faits. »184
180
Synode des évêques, XIIIème
assemblée générale ordinaire, Instrumentum laboris. La nouvelle
évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, cité du Vatican, 2012, Avant-propos. 181
Idem. 182
Idem. 183
Ibid., N° 4. 184
Ibid., N° 5.
70
La tenue de ce synode fut donc l’occasion de marquer ce moment. Les différentes prises de
parole qui ont souligné ce moment mériteraient aussi une attention particulière. Mais nous
nous arrêterons seulement sur trois textes185
. Le premier dont nous venons de donner le
contexte et le deuxième, intitulé Message au peuple de Dieu. En fait, ce deuxième texte
n’est que la conclusion partielle186
et retouchée des échanges des évêques. Nous disons
retouchée, car elle ne reprend pas toutes les prises de paroles formelles ou informelles ni
tous les déplacements de vision qui ont été provoqués par l’écoute entre différents
intervenants. En dépit de cette réduction du contenu, ce Message au peuple de Dieu a
interpellé à ce point notre attention que nous voulons l’analyser en parallèle avec
l’Instrumentum laboris. Le troisième et dernier texte est un document qui a été publié une
année après la tenue du Synode. Nous le lirons comme une intégration, un retentissement
de la Parole semée et partagée lors du Synode.
3.1.2 Lecture des documents
Il s’agit ici d’examiner comment et à quelles conditions les évêques témoignent du parcours
bien que de manière embryonnaire du parcours de la parole du sujet au cœur de
l’évangélisation. Cet examen portera particulièrement sur les différences que ces trois
documents font voir. Nous serons donc attentif à ce qui se joue déjà dans l’écoute de l’autre
comme sujet, c’est-à-dire, au geste qui consiste à laisser de côté les objets à transmettre
pour porter l’attention sur l'écoute de la parole de l'autre, comme sujet. Dans cette
perspective, il ne sera donc pas possible d’analyser ces documents dans tous les sens,
paragraphe par paragraphe. C’est plutôt leur esprit ou leur manière de présenter le contenu,
mieux, leur geste de la prise de parole qui sera privilégié. Pour arriver à nos fins, nous
lirons d’abord l’Instrumentum laboris, ensuite le Message au peuple de Dieu, enfin
l’Exhortation apostolique.
185
Site du vatican.ca. [http://www.vatican.va/roman_curia/synod/index_fr.htm], Consulté en novembre 2013. 186
Ce Message n’est pas la Conclusion du Synode. À sa suite nous retrouvons les 58 propositions que les
évêques ont soumises au Saint Père, dans le but de la publication ultérieure d’une Exhortation portant sur ce
sujet de la nouvelle évangélisation. L’exhortation apostolique parue en novembre 2013 fait suite à ces 58
propositions.
71
La prise de parole de l’Instrumentum laboris
Pour commencer, lisons cet extrait de l’avant-propos :
Comme toujours, aujourd'hui encore l’évangélisation a pour but de
transmettre la foi chrétienne. Elle ressort en premier lieu de la communauté
des disciples de Jésus-Christ, organisés en Églises particulières, diocèses et
éparchies, dont les fidèles se rassemblent régulièrement pour les célébrations
liturgiques, écoutent la Parole de Dieu et célèbrent les sacrements, en
particulier l'Eucharistie, en ayant à cœur de transmettre le trésor de la foi aux
membres de leurs familles, de leurs communautés et de leurs paroisses. Ils le
font en proposant la vie chrétienne et en témoignant, à travers aussi le
catéchuménat, la catéchèse et les œuvres de charité. Il s'agit d'évangélisation
au sens général, en tant qu'activité régulière de l'Église. Avec l'aide de
l'Esprit Saint, cette évangélisation – ordinaire, pour ainsi dire – doit être
animée d'une nouvelle ardeur. Il faut rechercher de nouvelles méthodes et de
nouvelles formes d'expression permettant de transmettre à l'homme
d'aujourd'hui l'éternelle vérité de Jésus-Christ, toujours nouveau, source de
toutes les nouveautés. Seule une foi solide et robuste, caractéristique des
martyrs, peut motiver un grand nombre de projets pastoraux - d'un
rayonnement plus ou moins grand -, revitaliser les structures déjà existantes,
et susciter la créativité pastorale à la hauteur des besoins de l'homme
contemporain et des attentes des sociétés actuelles. Le dynamisme renouvelé
des communautés chrétiennes donnera un nouvel élan aussi à l'activité
missionnaire (missio ad gentes), aujourd'hui plus urgente que jamais, si l'on
considère le nombre important de personnes qui ne connaissent pas Jésus-
Christ non seulement dans les terres lointaines, mais aussi dans les pays
d'ancienne évangélisation187
.
Devant un texte pareil, il est difficile d’identifier directement son auteur, à moins de se
contenter de la signature qui se trouve à la fin. Quoi qu’il en soit, s’il nous faut rester dans
le texte lui-même, rien ne garantit au premier regard l’identité de son auteur. Cela peut se
justifier par sa manière neutre de parler : « comme toujours » ; « il s'agit d'évangélisation au
sens général » ; « il faut rechercher de nouvelles méthodes », etc. En considérant ce
morceau de texte devant nous, nous réalisons qu’il serait un travail difficile, voire
improbable de nous investir dans la quête de l’auteur. Pourtant, ce texte parle ! Ce parler
nous invite plutôt à écouter la voix du texte et non d’abord de son auteur ou rédacteur. De
cette manière, nous n’allons plus nous arrêter sur ces annotations neutres pour ensuite
187
Synode des évêques, XIIIème
assemblée générale ordinaire, Instrumentum laboris. La nouvelle
évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, Cité du Vatican, 2012, Avant-propos.
72
confirmer en conclusion « l’absence de l’auteur ou du destinateur ». Il nous semble qu’à ce
niveau, nous n’entrons pas encore dans l’écoute de ce texte. Nous le lisons encore en
surface, selon que le texte se manifeste à nous. Il est donc possible de lire autrement et de
définir la position de son auteur, de celui qui parle. Dans ce sens, nous mettre à l’écoute du
texte nous évite d’aplatir ce texte ou d’identifier matériellement la voix du texte à son
auteur ou rédacteur.
« Qui parle dans le texte ? » Est-ce prioritairement le secrétaire général du synode des
évêques ou une autre instance ? Pour ne point entrer dans une polémique frontale, il nous
semble avantageux de définir celui qui parle à partir de l’instance énonciative du texte lui-
même. Ainsi le texte déjà produit n’appartient plus à son auteur, mais il est à interpréter, ou
à lire. En d’autres mots, la naissance d’un texte tue en quelque sorte son auteur. Le texte
produit s’offre désormais à la communauté interprétative.
En fait, l’énonciateur de ce texte est moins un sujet individuel qu’une position, une
délégation, adoptée pour préciser ou recadrer une situation qui courait le risque de se
désagréger. Pour ce « destinateur », il était impérieux de rendre fluide son exposé. Ainsi il
dira, par exemple : « Comme toujours, aujourd'hui encore l’évangélisation a pour but de
transmettre la foi chrétienne. »188
Il ne dit pas : « La situation d’aujourd’hui nous demande
de repenser la transmission de la foi comme but de l’évangélisation ». Pour ce destinateur,
le but de la nouvelle évangélisation est de « toujours…», fixé dans le temps de manière
précise. Le destinateur ne parle pas de nulle part. Il appuie son argument sur les anciens ou
sur une vérité supposée connue de tous. Le texte en effet poursuit :
Elle [l’évangélisation] ressort en premier lieu de la communauté des
disciples de Jésus-Christ, organisés en Églises particulières, diocèses et
éparchies, dont les fidèles se rassemblent régulièrement pour les célébrations
liturgiques, écoutent la Parole de Dieu et célèbrent les sacrements, en
particulier l'Eucharistie, en ayant à cœur de transmettre le trésor de la foi aux
membres de leurs familles, de leurs communautés et de leurs paroisses.
But de l’évangélisation, la foi à transmettre est de toujours ; elle est en lien avec le Christ
se manifestant dans les disciples, les communautés… Le destinateur appuie ses arguments
188
Idem.
73
sur des autorités supposées incontestables. Ce qui n’est sans doute pas anodin car il veut
être crédible dans son message afin que l’évangélisation se fasse avec ardeur.
En fait, il en ressort encore que le mouvement est unilatéral. S’appuyant sur les anciens et
sur le Christ, le destinateur signale un processus qui part de lui vers un destinataire visé.
C’est ce qui ressort, entre autres, de cet extrait : « Il faut rechercher de nouvelles
méthodes et de nouvelles formes d'expression permettant de transmettre à l'homme
d'aujourd'hui l'éternelle vérité de Jésus-Christ, toujours nouveau, source de toutes les
nouveautés. » Ces nouvelles méthodes de transmettre la foi s’adressent à l’homme
d’aujourd’hui. Mais cet homme n’est pas le destinateur du message. Autrement dit, tout
en étant déjà inscrit dans la foi, le destinateur écrit pour l’homme d’aujourd’hui sans pour
autant s’intégrer lui-même dans le mouvement de la nouveauté que réclame
l’évangélisation. Cette manière d’écouter le texte à partir de son instance énonciative
signale, décidément, que le destinateur n’est pas prioritairement concerné par la nouvelle
évangélisation. Ce sont plutôt les « besoins de l’homme contemporain et [les] attentes des
sociétés actuelles »189
qui conditionnent l’urgence de nouvelles méthodes. Ainsi, celui qui
parle dans le texte est finalement défini par rapport à sa position dans le travail de la
nouvelle évangélisation. Ce n’est pas essentiellement le secrétaire général du Synode,
mais le destinateur en tant que tel qui assume cette position unilatérale, où lui-même n’est
même pas impliqué dans la nouveauté. Dans cette perspective, la nouvelle évangélisation
est pour les autres qui ont perdu la foi. D’ailleurs, le texte le dit mieux : « Le dynamisme
renouvelé donnera un nouvel élan […] si l'on considère le nombre important de personnes
qui ne connaissent pas Jésus-Christ non seulement dans les terres lointaines, mais aussi
dans les pays d'ancienne évangélisation. »190
Cet extrait de l’Avant-propos de l’Instrumentum laboris que nous venons d’analyser n’est
pas le seul à fournir au lecteur cette posture du destinateur. Nous aurions souhaité analyser
tout le document selon cette attention, mais ce serait là un travail d’un autre ordre. Nous
voulons seulement, à partir des quelques extraits, montrer le lieu d’où parle ce document
afin de mieux enregistrer les différences avec le deuxième texte.
189
Ibid., Avant-propos. 190
Ibid., Avant-propos.
74
C’est en ce sens que nous allons faire ressortir dans les paragraphes qui suivent quelques
autres extraits qui signalent aussi, mais de manière plus directe, cette posture unilatérale
du destinateur, qui en même temps trahit en grande partie l’esprit de tout le document.
Le premier extrait, le numéro 20, affirme que la nouvelle évangélisation est d’abord une
occasion de mesurer la foi des chrétiens par rapport au mandat confié par leur Maître.
« Avant toute chose, la nouvelle évangélisation doit être assumée comme l'occasion de
mesurer la fidélité des chrétiens à ce mandat conféré par Jésus-Christ. »191
Il est ici
question de la fidélité des chrétiens. Le destinateur n’est pas souligné explicitement ou ne
l’est pas du tout.
Le deuxième extrait indique la nécessité pour l’Église d’intervenir tout en justifiant son
action.
« …nécessaire de fournir une réponse à ce moment particulier de crise, dans
la vie chrétienne également ; en ce moment historique particulier, l'Église
doit savoir trouver comme un ultérieur encouragement pour rendre raison de
l'espérance qu'elle porte […] Le terme « nouvelle évangélisation » rappelle
l'exigence de renouveler la modalité de l'annonce, en particulier à ceux qui
vivent dans un contexte – comme celui d'aujourd'hui – où les
développements de la sécularisation ont laissé de lourdes traces aussi dans
les pays de tradition chrétienne »192
.
Finalement, transparaît dans ce document une certaine tendance à comprendre la nouvelle
évangélisation comme une mission pour les autres avant qu’elle ne concerne le
destinateur. Les « autres » sont supposés être éloignés de la voie normative que
représente, sans le dire, le destinateur. C’est en ce sens que le document évoque plusieurs
énoncés qui ressemblent à celui-ci : « La première annonce s'adresse en premier lieu à
ceux qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ, aux non-croyants et à ceux qui, de fait,
vivent dans l'indifférence religieuse. »193
Suffisantes, à notre avis, ces annotations révèlent d'une manière ou d’une autre le lieu d’où
parle ce texte, ses questionnements, son but, mais aussi la posture qu’il adopte par rapport
191
Ibid., n° 20. 192
Ibid., N° 44. 193
Ibid., N° 139.
75
au travail de l’évangélisation. Nous désirons appliquer ce même geste d’attention à la
lecture du deuxième texte.
La prise de parole dans le Message au peuple de Dieu
‘‘Que la grâce et la paix soient avec vous tous, de la part de Dieu notre Père
et de Jésus Christ le Seigneur’’ (Romain 1,7). Nous, évêques venant du
monde entier, réunis à l’invitation de l’évêque de Rome, le Pape Benoît XVI,
pour réfléchir sur « la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi
chrétienne », avant de rentrer dans nos Églises particulières, nous voulons
nous adresser à vous tous, pour soutenir et orienter le service de l’évangile
dans les différents contextes où nous nous retrouvons pour témoigner194
.
À l’instar de l’Instrumentum laboris, ce document commence par une référence biblique.
Mais ces références ne signalent pas le même lieu de parole. Dans le premier, la
référence implore la robustesse de la foi afin de mieux agir sur le terrain : « Augmente
en nous la foi ! » (Luc 17,5). Cette demande ne peut être accordée d’abord qu’au
destinateur afin qu’il soit crédible dans la proclamation de la foi. Dans la deuxième
référence, on observe plutôt une certaine implication du destinateur dans le « tout » du
travail de l’évangélisation : le destinateur fait en même temps partie des destinataires. Ainsi
son premier mot est « la paix », mais une paix qui nous vient d’une autre instance. Le
destinateur est donc décentré ou décalé. Son premier geste n’est pas de justifier son agir
auprès de ceux qui ont perdu la foi. Il s’agit préférablement de souhaiter la paix au début
d’un document produit à la fin des discussions sur les nouvelles manières de transmettre la
foi aux autres. Le geste est louable, ainsi que le confirme la suite du texte : « Avant de
rentrer dans nos Églises particulières, nous voulons nous adresser à vous tous, pour soutenir
et orienter le service de l’évangile dans les différents contextes où nous nous retrouvons
pour témoigner. »195
Tout d’abord l’adresse est pour tous, pas seulement pour quelques
individus.
Ce premier décrochage signale déjà le lieu d’où parle le texte comme un lieu décalé,
distancé. L’auteur du texte et le lecteur sont orientés ensemble vers ce lieu décalé. Dès lors,
194
Introduction au Message au peuple de Dieu. 195
Idem.
76
il est normal que le geste des évêques soit de « soutenir le service de l’évangile. » Ce n’est
donc pas le service de quelques individus mais celui de l’évangile qui pousse au
témoignage. « Avant de dire quelque chose concernant les formes que doit assumer cette
nouvelle évangélisation, nous ressentons l’exigence de vous dire, avec une conviction
profonde, que la foi se décide tout entière dans le rapport que nous instaurons avec la
personne de Jésus qui vient le premier à notre rencontre »196
. Ce passage montre
excellemment un parcours de décentrement. N’ayant plus le monopole de la
proclamation, le destinateur se sent lui-même concerné par l’urgence de la nouvelle
évangélisation : « L’œuvre de la nouvelle évangélisation consiste à proposer de
nouveau, au cœur et à l’esprit souvent distraits et confus des hommes et des femmes de
notre temps, et avant tout à nous-mêmes, la beauté et la nouveauté de la rencontre avec
le Christ. »197
Ainsi, témoigner de l’Évangile n’est le privilège de personne.
Outre cet écart de la posture subtilement décalée du destinateur, ce document ne souligne
pas explicitement le renouveau et l’urgence pastorale dans la performance du travail de la
transmission de la foi. Il affirme plutôt qu’il ne s’agit pas « d’inventer on ne sait quelles
stratégies, comme si l’Évangile était un produit à placer sur le marché des religions, mais
de redécouvrir la façon dont, dans la vie de Jésus, les personnes se sont approchées de lui et
ont été appelées par lui, afin d’introduire ces mêmes modalités dans les conditions de notre
temps. »198
Progressivement, l’urgence sort des cadres définis. L’objet et le but, tels
qu’indiqués dans le premier document, c’est-à-dire la transmission de la foi, ne sont plus
mentionnés comme tels. D’ailleurs, dans l’ensemble du texte, l’expression « transmission
de la foi » n’apparaît qu’à peine trois fois, dans le titre et dans le paragraphe statuant sur le
rôle des familles dans le travail de la transmission de la foi. Quoi qu’il en soit, ce manque
d’objet à transmettre montre déjà un déplacement de regard, différent de celui du premier
texte. Même si ce déplacement n’est qu’embryonnaire, l’essentiel se joue déjà dans cette
posture.
196
XIIIe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques 7-28 octobre 2012, Message au peuple de
Dieu, N° 3. 197
Idem. 198
Ibid., N° 4.
77
Par ailleurs, qu’est-ce qui peut favoriser le déplacement que ce deuxième texte assume ?
Bien que les récurrences soient moins nombreuses, il semble que les évêques se soient mis
à l’écoute entre eux mais aussi à l’écoute de plusieurs voix qui, jadis, furent étouffées : les
situations du monde. Ce dont ils témoignent explicitement : « Ces jours-ci, ce fut pour nous
une expérience émouvante d’écouter les voix de tant de vénérables responsables d’Églises
et de communautés ecclésiales qui nous ont témoigné de leur soif du Christ et de leur
dévouement à l’annonce de l’Évangile. »199
Ainsi, en ce moment, l’urgence n’est pas
d’abord dans l’encadrement de l’objet à transmettre, mais dans l’écoute de la parole de
l’autre, seule à même d’opérer le déplacement vers les acteurs sujets de la nouvelle
évangélisation.
L’écoute entre les acteurs est donc remise au centre de l’évangélisation. Ces acteurs ne sont
pas seulement identifiés comme des individus ayant perdu la foi ou ne l’ayant pas du tout.
L’écoute est celle de tous les partenaires de cette parole qui dit « la nouvelle
évangélisation. » En ce sens peut être intégré cet autre extrait : « Les scénarios sociaux,
culturels, économiques, politiques et religieux changeants nous appellent à quelque
chose de nouveau : à vivre d’une manière renouvelée notre expérience communautaire de
foi et son annonce, […] orientée principalement vers les personnes. »200
L’appel mentionné
ici ne peut mieux se traduire que par l’écoute orientée vers les personnes. C’est même là le
point important qui a sollicité notre attention comme partenaires-acteurs de la nouvelle
évangélisation. La prise de parole, on le constate, fut donc un enjeu capital pour les
évêques. Il n’est plus question d’une parole monologue mais d’une parole partagée,
entendue par les lecteurs et les lectrices – peuple de Dieu – et plus globalement par la
société.
Toutefois, il ne faudrait point fermer les yeux et conclure que tout le document souligne
cette écoute des personnes et des phénomènes sociaux. Quelques passages intègrent
difficilement le lecteur ou la lectrice du document. Relevons-en deux exemples :
Ce courage serein inspire également notre regard sur le monde contemporain.
Nous ne nous sentons pas intimidés par les conditions des temps que nous
vivons. C’est un monde plein de contradictions et de défis, mais il reste la
199
Ibid., N° 8 200
Ibid., N° 2.
78
création de Dieu, blessée certes par le mal, mais toujours aimée de Dieu, dans
lequel peut germer à nouveau la semence de la Parole afin qu’elle donne un
fruit neuf201
.
Notre deuxième exemple est tiré du numéro 7 de ce même document :
Il y a des couples qui mènent une vie commune sans le lien sacramentel du
mariage, les situations familiales irrégulières construites après l’échec de
mariages antérieurs se multiplient : douloureux événements qui se répercutent
aussi sur l’éducation des enfants à la foi. À tous ceux-là nous voulons dire
que l’amour du Seigneur n’abandonne personne, que l’Église les aime aussi et
reste une maison accueillante pour tous, qu’ils demeurent membres de
l’Église même s’ils ne peuvent recevoir l’absolution sacramentelle et
l’Eucharistie202
.
Ces paragraphes isolés et d’autres du même genre montrent que dans ce mouvement, dans
ce déplacement de regard des évêques pour dire une parole qui soit adéquate, pertinente
pour les hommes et les femmes de notre temps, se mélange en même temps un sentiment de
contrôle du destinateur sur le destinataire. Ainsi on réalise qu’émergeant timidement, la
parole n’est pas encore aussi libérée qu’on aurait pu le souhaiter.
Cependant, malgré cette timidité de la parole, le point de départ est déjà posé. Le document
ouvre une piste à approfondir pour risquer une parole. Car l’évangélisation, avons-nous
souligné, « ne consiste pas à inventer quelques stratégies, comme si l’évangile était un
produit à placer sur le marché des religions, mais à redécouvrir la façon dont, dans la vie de
Jésus, les personnes se sont approchées de lui et ont été appelées par lui »203
. C’est dans cet
esprit qu’il convient d’analyser l’écriture de l’Exhortation apostolique largement tributaire
du Synode pour la nouvelle évangélisation
La prise de parole dans l’Exhortation apostolique, la joie de l’Évangile
Il est habituel que l’instance pontificale, après la lecture des propositions issues de
l’Assemblée synodale, publie une exhortation post-synodale constituant en quelque sorte
l’enseignement autorisé. La joie de l’Évangile est le titre du document de conclusion des
201
Ibid., N° 6. 202
Ibid., N° 7. 203
Ibid., N° 4.
79
travaux du Synode sur la nouvelle évangélisation et la transmission de la foi chrétienne.
Publié une année après la tenue du Synode par le pape François, ce document mérite donc
une attention particulière pour notre recherche. Soulignons tout de suite que cette attention
ne tient pas simplement à la position de son destinateur. Il est plutôt une prise de parole
d’un sujet, du témoignage éloquent qui a un rapport direct avec l’analyse de deux
documents étudiés dans les paragraphes précédents. C’est ainsi que notre lecture principale
de la Joie de l’Évangile portera sur l’éclairage que ce texte apporte au sujet de l’objet du
synode : la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne. Il s’agit de
nous mettre à l’écoute du texte et de repérer la place que l’Exhortation apostolique réserve
à la transmission de la foi, alors que cette dernière tenue dans l’Instrumentum s’éclipsait
subtilement dans le Message au peuple de Dieu au profit de la Parole partagée entre les
sujets.
En fait, l’exhortation porte la signature du pape François, figure de l’autorité. Cependant,
dès les premières lignes du texte, cette signature d’autorité laisse la parole à une autre
instance : « la joie de l’évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent
Jésus. »204
Il ne dit pas « à la suite du Synode, je vous écris ces quelques lignes directrices
portant sur la nouvelle évangélisation ». Mais il se décentre tout en orientant le lecteur vers
une expérience de joie jaillissant de la rencontre avec un tiers. Le texte impose donc un
déplacement de regard dès les premiers mots. Ce déplacement n’est constaté qu’à partir du
lieu d’où parle le texte, autrement dit, de son instance énonciative, de son esprit. C’est pour
cela que notre analyse de cette Exhortation consistera à discerner la place réservée à la
transmission de la foi à partir du lieu de parole que ce document offre au lecteur. Comment
ce texte dit la transmission de la foi ? Dans les limites de notre question, nous estimons que
les 18 premiers numéros suffisent pour nous indiquer le regard de l’Exhortation face à
l’urgence de la nouvelle évangélisation.
À dire vrai, ce texte parle autrement de la place réservée à la transmission de la foi. Rien ne
nous indique explicitement la transmission de la foi comme urgence pour la nouvelle
évangélisation. C’est au terme de ces 18 numéros que nous serons à même de mieux
apprécier cette place. Pour le moment, le chemin qui nous est offert sollicite notre écoute en
204
Pape François, Exhortation apostolique. La joie de l’Évangile, Paris, Bayard, 2013, N° 1.
80
ces termes : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent
Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide
intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours. » Rappelons que,
tel que mentionné par l’Instrumentum laboris, le but du synode consistait à renforcer les
moyens pour transmettre la foi. Cependant, devant ce texte, le lecteur se trouve ailleurs. La
foi ne semble plus une préoccupation première qu’il convient d’acquérir avant de vivre la
joie de l’Évangile. Ici, c’est de la joie dont il s’agit. La foi est-elle déjà acquise ? Là n’est
pas la question, ni l’urgence. C’est la joie de l’Évangile qui est en œuvre, une joie donnée
par un tiers. À ce tiers revient même l’initiative de toute évangélisation : « Bien que cette
mission nous demande un engagement généreux, ce serait une erreur de la comprendre
comme une tâche personnelle et héroïque, puisque l’œuvre est avant tout la sienne, au-delà
de ce que nous pouvons découvrir et comprendre. »205
L’Exhortation parle donc de la joie tout en indiquant un tiers dans un texte supposé parler
de la foi. C’est en étant orienté vers ce tiers que le destinateur et le lecteur peuvent parler ou
écouter une Parole constituant l’urgence pastorale. Le passage par le tiers autorise et attire
l’écoute de l’autre. En d’autres termes, le destinateur ne se préoccupe pas tellement de
gagner l’écoute de l’autre à force des fins arguments. L’essentiel se joue étonnamment dans
le décentrement. Ainsi, « le bien tend toujours à se communiquer. Chaque expérience
authentique de vérité et de beauté cherche par elle-même son expansion, et chaque
personne qui vit une profonde libération acquiert une plus grande sensibilité devant les
autres. »206
Dans ce sens, l’expression de cette Exhortation ne consiste pas en une
vulgarisation, ni en une objectivité des enseignements à observer. Elle est une joie au-delà
de toute objectivité enseignée, une joie qui met le lecteur dans le mouvement des
expériences de vie quotidienne, une expérience qui dépasse tout enseignement. Bref, une
expérience de l’humain. C’est pourquoi « celui qui désire vivre avec dignité et plénitude
n’a pas d’autre voie que de reconnaitre l’autre et chercher son bien. »207
L’autre est tout
simplement l’humain avant qu’il ne soit l’observateur des enseignements portant sur la foi.
C’est peut-être là la proposition chrétienne qui ne saurait vieillir bien qu’elle « traverse des
205
Pape François, Exhortation apostolique. La joie de l’Évangile…, N° 12. 206
Ibid., N° 9. 207
Idem.
81
époques d’obscurités et de faiblesses ecclésiales. »208
Ces faiblesses ecclésiales ne peuvent
donc pas voiler toute la joie que l’humain éprouve dans la rencontre avec l’autre. En dépit
du déficit dans les canaux ecclésiaux qui jadis extériorisaient la joie entre humains, il
s’avère que cette joie ne dépendait pas de ces canaux, de ces moyens d’expression. La
source de la joie vient d’ailleurs et elle ne vieillira jamais. C’est le Christ qui peut toujours
renouveler notre vie et notre humanité209
.
C’est dans ce décentrement que l’Exhortation peut se référer au numéro 14 et, pour la
première fois, aux travaux du Synode sur la nouvelle évangélisation. Il est dit : « À l’écoute
de l’Esprit, qui nous aide à reconnaître, communautairement, les signes des temps, du 7 au
28 octobre 2012, a été célébrée la XIIIème
Assemblée générale ordinaire du Synode des
Évêques sur le thème La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne.
»210
En étant à l’écoute de l’Esprit, l’Exhortation rappelle les trois grands domaines qui
méritent un regard pastoral renouvelé. Premièrement, l’Exhortation ouvre le domaine
pastoral à l’animation du feu de l’Esprit. Deuxièmement, concernant le domaine de
personnes baptisées et ne vivant pas des exigences du Baptême, le texte les oriente vers la
joie de la foi et le désir de s’engager avec l’Évangile. C’est la joie et l’Évangile qui leur
sont présentés. L’Église ne peut que les encourager à s’y convertir. Ces personnes ne sont
pas d’abord appelées à revenir à l’Église, mais à vivre la joie et s’engager avec l’Évangile.
Troisièmement, l’évangélisation est le partage de la joie à ceux qui ne connaissent pas Jésus
ou l’ont toujours refusé. Elle ne saurait être une imposition ni un devoir, mais, un bel
horizon qui offre un banquet désirable, car l’Église ne grandit pas par prosélytisme mais par
attraction211
.
Au regard de toutes ces considérations, comment lire la transmission de la foi comme but
de la nouvelle évangélisation telle qu’exprimée dans l’Instrumentum laboris ? Le lieu de
parole de l’ensemble de ce document est quand même inattendu. Il nous oriente ailleurs
alors que l’attente et le regard portaient sur la transmission de la foi. La Parole fait donc son
chemin à partir des Lineamenta, de l’Instrumentum Laboris, du Message au peuple de
208
Ibid., N° 11. 209
Idem. 210
Ibid., N° 14. 211
Ibid., N° 14.
82
Dieu, en passant par les 58 propositions jusqu’à l’Exhortation apostolique… Ainsi, cette
exhortation est un témoignage éloquent d’un homme mis à l’épreuve du parcours de la
Parole. Il peut désormais parler et attirer l’écoute des autres humains. Sa prise de parole
indique les lieux de l’urgence pastorale pour l’Église. Afin de saisir ce déplacement de
perspective par rapport à la question de la transmission de la foi, une analyse attentive des
numéros 16, 17 et 18 s’avère nécessaire.
J’ai accepté avec plaisir l’invitation des Pères synodaux à rédiger la présente
Exhortation. En le faisant, je recueille la richesse des travaux du Synode. J’ai
aussi consulté différentes personnes, et je compte en outre exprimer les
préoccupations qui m’habitent en ce moment concret de l’œuvre
évangélisatrice de l’Église. Les thèmes liés à l’évangélisation dans le monde
actuel qui pourraient être développés ici sont innombrables. Mais j’ai
renoncé à traiter de façon détaillée ces multiples questions qui doivent être
l’objet d’étude et d’approfondissement attentif. Je ne crois pas non plus
qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète
sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde. Il n’est pas
opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement
de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce
sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation”
salutaire212
.
D’après les 58 propositions des Pères synodaux, le Pape était invité à rédiger un texte qui
comprendrait les enseignements majeurs issus du Synode. Au pape en tant que pontife
revenait cet honneur d’écriture. Il ne rejette pas l’invitation. Il est d’ailleurs admiratif et
reconnaissant à l’égard des richesses des travaux pères synodaux. Néanmoins cette prise de
parole en lien avec l’invitation des pères est en même temps surprenante à plusieurs
niveaux : tout d’abord, celui qui parle n’est plus le pontife tel que souhaité par les 58
propositions. Il parle en « je », en sujet qui assume sa parole : « J’ai aussi consulté
différentes personnes, et je compte en outre exprimer les préoccupations qui m’habitent en
ce moment concret de l’œuvre évangélisatrice de l’Église. » Il est présent et concret, en
écoute de l’œuvre évangélisatrice. Celui qui parle abandonne ainsi son chapeau et se met
lui-même à l’écoute de l’œuvre évangélisatrice. Il estime que le magistère papal ne saurait
posséder une parole définitive sur toutes les questions. Dès lors, quoi de plus normal que
d’admirer ce décentrement ? Le deuxième niveau de surprise concerne l’éclipse de l’objet
de l’Exhortation. Il passe de la transmission de la foi (sans la nommer) aux préoccupations
212
Ibid., N° 16.
83
qui l’habitent en ce moment concret. L’objet à transmettre n’est plus défini objectivement.
Il est nommé en tant que « préoccupations concrètes du moment ». Le numéro 17 le
reprend en quelques points :
Ici, j’ai choisi de proposer quelques lignes qui puissent encourager et
orienter dans toute l’Église une nouvelle étape évangélisatrice, pleine de
ferveur et de dynamisme. Dans ce cadre, et selon la doctrine de la
Constitution dogmatique Lumen Gentium, j’ai décidé, entre autres thèmes, de
m’arrêter amplement sur les questions suivantes : a) La réforme de l’Église
en ‘sortie’ missionnaire. b) Les tentations des agents pastoraux. c) L’Église
comprise comme la totalité du Peuple de Dieu qui évangélise. d) L’homélie
et sa préparation. e) L’insertion sociale des pauvres. f) La paix et le dialogue
social. g) Les motivations spirituelles pour la tâche missionnaire213
.
Après ce décentrement, preuve de l’écoute de la situation par celui qui parle, le destinateur
peut proposer quelque chose. Encore ici, il s’agit de quelques thèmes parmi d’autres. Ces
thèmes sont choisis selon que le destinateur écoute des lieux qui nécessitent l’urgence de la
nouvelle évangélisation. Cette Exhortation est ainsi un encouragement et une orientation à
entrer dans l’écoute de cette nouvelle étape évangélisatrice. Ces thèmes proposés
envisagent encore l’urgence ailleurs que dans la transmission. La transmission n’y figure
pas. Sa place est indiquée par son absence. Le destinateur veut seulement montrer
l’importante incidence pratique de ces thèmes sur la mission actuelle de l’Église. Pour lui, il
ne s’agit pas d’un traité mais d’un style évangélisateur déterminé. De cette façon, ajoute le
destinateur, nous pouvons accueillir, dans notre travail quotidien, l’exhortation de la Parole
de Dieu : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous »
(Ph 4, 4) 214
. Ainsi tout le programme est donné à partir de ces 18 premiers numéros.
Somme toute la prise de parole dans l’Exhortation apostolique appelle à sa manière au
déplacement de regard face à la question de la crise de l’Église en lien avec l’échec de la
transmission de la foi. Alors qu’elle est supposée donner une conclusion objective et
directrice sur « comment transmettre la foi », l’Exhortation, assumant une autre mission du
«sujet écoutant», oriente et propose la joie à l’Église. Nous estimons que cette Parole de
joie du sujet écoutant captive l’attention de plusieurs lecteurs et lectrices. Toutefois,
pourquoi cette Parole qui dit « la joie » attire l’écoute des lecteurs et lectrices ? Autrement
213
Ibid., N° 17. 214
Ibid., N°18.
84
dit, alors que les évêques dans le Message au peuple de Dieu ou l’Exhortation nous
proposent d’écouter les personnes et les situations de ce temps, comment cette écoute sera-
t-elle à même d’intéresser les partenaires de la parole ? Pour aller plus loin, dans quelles
conditions, à partir de son écoute, l’Église pourrait-elle être signifiante pour ses fidèles,
pour le monde de ce temps ? Ces questions trouvent réponse dans le récit de la Samaritaine
en Jean 4,1-26, dont nous proposons ici une relecture.
3.2 La Samaritaine et le sujet de parole
1 Quand donc le Seigneur connut que les pharisiens avaient entendu dire que
Jésus faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean – 2 pourtant, ce
n’était pas Jésus lui-même qui baptisait, mais ses disciples – 3 il quitta la
Judée et s’en alla de nouveau en Galilée. 4 Il lui fallait traverser la Samarie.
5
Il vient donc dans une ville de Samarie appelée Sychar, près du domaine que
Jacob avait donné à Joseph, son fils. 6 Là se trouvait la source de Jacob.
Jésus donc, fatigué du voyage, était assis à même la source. C’était environ
la sixième heure. 7 Vient une femme de Samarie pour puiser de l’eau. Jésus
lui dit : « Donne-moi à boire. » 8 Ses disciples en effet étaient partis à la ville
pour acheter des provisions. 9 La femme samaritaine lui dit donc : «
Comment ! Toi qui es juif, tu me demandes à boire, à moi, qui suis une
femme samaritaine ! » Les juifs en effet n’ont pas de relations avec les
Samaritains. 10
Jésus répondit et lui dit : « Si tu savais le don de Dieu et qui
est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’en aurais prié, et il
t’aurait donné de l’eau vive. » 11
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour
puiser, et le puits est profond. Comment donc l’aurais-tu, cette eau vive ? 12
Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y
a bu, lui, et ses fils et ses bêtes ? » 13
Jésus répondit et lui dit : « Quiconque
boit de cette eau aura encore soif, 14
mais celui qui boira de l’eau que moi je
lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en
lui une source d’eau jaillissant en vie éternelle. » 15
La femme lui dit : «
Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif et que je ne me
rende plus ici pour puiser. » 16
Il lui dit : « Va, appelle ton mari et viens ici. » 17
La femme répondit, et elle dit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu
as bien dit : je n’ai pas de mari, 18
car tu as eu cinq maris, et maintenant celui
que tu as n’est pas ton mari ; en cela tu as dit vrai. » 19
La femme lui dit : «
Seigneur, je vois que tu es un prophète !... 20
Nos pères ont adoré sur cette
montagne, et vous dites, vous que c’est à Jérusalem qu’est le Lieu où il faut
adorer. » 21
Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, elle vient l’heure où ce n’est
ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22
Vous
adorez, vous, ce que vous ne connaissez pas, nous adorons, nous ce que nous
85
connaissons, parce que le salut vient de juif. 23
Mais, elle vient, l’heure – et
c’est maintenant ! – où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et
en vérité ; tels sont, effet, les adorateurs que cherche le Père : 24
Dieu est
esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité. » 25
La
femme lui dit : « Je sais que le Messie (celui qu’on appelle Christ) doit venir
; quand il viendra, celui-là, il nous annoncera toutes choses. » 26
Jésus lui
dit : « Je le suis, moi qui te parle. » 27
Là-dessus viennent ses disciples….
(Jean 4, 1-26)215
Au synode sur la nouvelle évangélisation, les évêques ont proposé une lecture de ce récit
déjà au premier numéro du Message au peuple de Dieu. Pour eux,
Il n’y a pas d’homme ou de femme qui ne se trouve, à un moment de sa vie,
comme la femme de Samarie, près d’un puits avec une cruche vide et
l’espérance de trouver la réalisation de l’aspiration la plus profonde du cœur,
la seule qui puisse donner sa pleine signification à l’existence. Aujourd’hui,
nombreux sont les puits qui s’offrent à la soif de l’homme, mais un
discernement est nécessaire afin d’éviter des eaux polluées. Il est urgent de
bien orienter la recherche pour ne pas devenir la proie de désillusions
destructrices. Comme Jésus au puits de Sychar, l’Église aussi ressent le
devoir de s’asseoir aux côtés des hommes et des femmes de notre temps,
pour rendre présent le Seigneur dans leur vie, afin qu’ils puissent le
rencontrer, car lui seul est l’eau qui donne la vie véritable et éternelle216
.
Devant cette approche, on peut se demander comment les lecteurs et lectrices, en tant que
sujets, accueillent cette parole, lorsqu’il est dit : « Aujourd’hui, nombreux sont les puits qui
s’offrent à la soif de l’homme, mais un discernement est nécessaire afin d’éviter des eaux
polluées. Il est urgent de bien orienter la recherche pour ne pas devenir la proie de
désillusions destructrices. Comme Jésus au puits de Sychar, l’Église aussi ressent le
devoir…». Il y aurait sans doute lieu de s’inquiéter. Toutefois, au lieu de se crisper devant
cette manière de lire, il convient de chercher plutôt ce qui y a présidé et qui est au-delà de
cette lecture. La lecture des évêques est faite en groupe, entre les personnes qui se parlent.
Un enjeu de Parole préexiste ou précède les manières dont l’Église ressentirait le devoir
d’offrir les puits non polluants. Le fait que ce texte soit placé au premier numéro du
document montre d’une certaine manière la primauté de l’espace de Parole que les évêques
ont vécu durant leurs échanges, espace auquel les peuples de Dieu aspirent. À partir de cet
espace de Parole, nous voulons privilégier dans les paragraphes ci-après une voie parmi tant
215
Nous utilisons la traduction d’Osty et Trinquet, Éditions Siloë, 1974. 216
Message au peuple de Dieu,… N° 1.
86
d’autres217
, qui nous ouvre à la construction du sujet de parole, condition même souhaitée
dans toute évangélisation. Au cours de notre lecture, nous serons attentifs, en nous laissant
disposer, au passage de la Parole structurée par des acteurs situés dans le temps et dans
l’espace.
3.2.1 Lecture et écoute du texte
Au verset 3, Jésus quitte la Judée pour s’en aller de nouveau en Galilée. Son départ
intervient alors que les pharisiens s’accrochent aux rumeurs sur le nombre record de
baptêmes entre Jésus et Jean Baptiste. Nous comprenons que ce ne sont que des on-dit, car
le texte prend soin de corriger ce que pensaient les pharisiens : « Pourtant, ce n’était pas
Jésus lui-même qui baptisait, mais ses disciples ». De toute façon, le texte nous signale dès
le départ un enjeu de nombre indéterminé. Pour les pharisiens, c’est donc le nombre qui est
ici intéressant et important.
Cela étant posé, nous lisons ensuite : « Il lui fallait traverser la Samarie. Il vient donc dans
une ville de Samarie appelée Sychar, près du domaine que Jacob avait donné à Joseph, son
fils » (Verset 4). Ces espaces concrets construisent une signification remarquable. Alors
que Jésus s’en allait en Galilée, le texte indique une sorte d’obligation de passer par la
Samarie et, précisément, par le puits de Sychar. Au début, on observe l’imprécision, les
rumeurs, ici le texte cerne au plus près les choses. Il s’agit de Samarie et précisément de
Sychar, du puits de Jacob. L’adresse est si complète qu’il serait difficile de la manquer. Ce
qui est signalé sous forme d’une obligation : « Il lui fallait ».
C’était environ la sixième heure. Il ne s’agit ni de la neuvième, ni de la onzième, mais de la
sixième heure. Les indices deviennent de plus en plus précis. Vient une femme de Samarie
pour puiser de l’eau (Verset 7). Pour le moment, la femme est définie par sa ville et son
activité : une quelconque femme de Samarie qui vient puiser de l’eau. C’est à partir de son
activité ordinaire que Jésus osera une Parole. Il aurait pu attendre un autre moment ou une
217
Plusieurs auteurs, même en sémiotique, ont commenté ce texte. Nous voulons, pour notre part, le lire et
l’écouter comme s’il s’agissait de la première fois. Nous nous efforcerons à écouter la parole qu’il construit à
partir de son fonctionnement ou de sa structure.
87
foule pour livrer son enseignement sur les vrais adorateurs, notamment. Mais, c’est à ce
moment singulier, dans cet espace singulier, que tout commence, les disciples étant, par
ailleurs, partis chercher des provisions.
« Donne-moi à boire », demande Jésus. Tout fatigué, comme le souligne le verset 6, Jésus
exprime un besoin essentiel pour tout humain : l’eau. En étant aussi un besoin pour Jésus,
l’eau est en même temps un objet qui enclenche le dialogue. Il ne faudrait donc pas écarter
rapidement cette eau comme besoin essentiel de Jésus fatigué par le voyage.
Ce parcours de demande au niveau primaire permet donc le commencement d’une parole
encore en gestation. À partir de la parole de Jésus, la femme placera une autre parole. La
parole de Jésus a ainsi sollicité celle de la femme, bien qu’elle soit de l’ordre d’une
réplique : « Comment ! Toi qui es juif, tu me demandes à boire, à moi, qui suis une femme
samaritaine ! » Qui pourrait imaginer que le simple fait de demander de l’eau à boire
pourrait amener à réveiller le conflit entre Juifs et Samaritains, ou d’indiquer la place
qu’occupe la femme dans cette société ? Les juifs ne s’entendaient guère avec les
Samaritains. Qui plus est, cette demande ne pourrait pas se faire entre un homme juif et une
femme samaritaine. Toutefois, bien qu’il y ait une parole échangée, cette parole reste
entendue en rapport avec la Loi.
Devant ce blocage de la parole par la Loi, l’interlocuteur de la femme n’est pas découragé.
Il va parler autrement : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à
boire, c’est toi qui l’en aurais prié, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Verset 10). Ici le
dialogue devient de plus en plus transformateur. L’objet de la demande se dérobe
progressivement au profit d’une écoute de la Parole ; cette Parole indique désormais de
l’eau vive. Mais, comment cette écoute est-elle sollicitée ? La femme est appelée à changer
de registre de savoir : du savoir sur le savoir-vivre sociétal au savoir sur le don de Dieu. Il y
a un changement de sujet de discussion afin que la femme soit installée comme sujet
parlant. En outre, ce changement de sujet de discussion introduit un nouvel acteur, un tiers :
« le don de Dieu ». À la lumière de ce nouvel acteur s’interpréteront les transformations qui
suivent. Ainsi, il n’y a pas que la femme qui soit transformée, mais tous les deux : le
demandeur est devenu le donateur décalé quand il dit « …c’est toi qui l’en aurais prié, et il
t’aurait donné de l’eau vive. »
88
Ce décalage ou ce décentrement prend en charge cette Parole : « Si tu savais le don de
Dieu. » Jésus parle en nommant une autre instance que lui-même qui donnerait de l’eau
vive. Ses autres paroles seront agencées dans la même posture : « Quiconque boit de cette
eau aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus
jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant en vie
éternelle. » Il s’agit ici de « quiconque, de celui, de vie éternelle » autant de gestes de
distanciation, de décalage qui ne sauraient être gratuits dans l’acte de parler. Ces gestes
intégrateurs provoqueront la parole de la femme, car d’emblée celle-ci ne se trouve pas
dans un vis-à-vis. Mais les interlocuteurs (la femme et Jésus) sont orientés vers cette autre
instance capable de donner de l’eau vive. Ce geste va provoquer ce que nous appelons le
« débrayage » ou décentrement chez la femme. C’est-à-dire, elle va être en mesure
d’entrer dans le mouvement, parce qu’elle ne se sent pas opprimée, elle est plutôt
installée dans une position d’écoute, condition de sa prise de parole.
D’où sa demande : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif et que je ne
me rende plus ici pour puiser. » (Verset 15). La femme aurait pu s’en aller dès le début, car
de toute façon, sa loi ne lui permet pas ce qu’elle est en train de faire. Mais pourquoi
continue-t-elle à parler ? Il ressort que la manière de parler de son interlocuteur suscite sa
soif de rester au risque d’enfreindre la loi. Néanmoins, ce débrayage (ce lâche prise)
demeure partiel, comme la suite du verset l’indique : « …que je n’aie plus soif et que je ne
me rende plus ici pour puiser ». Pour le moment, la femme est dans un mouvement qui
provoque une prise de parole différente, elle-même décentrée, un mouvement de
débrayage-embrayage (embrayage qui renvoie à une reprise du contrôle). Elle comprend et
ne comprend pas en même temps. Ainsi son objet de demande consiste à combler une
corvée : puiser de l’eau. Elle veut être satisfaite une fois pour toute. Elle voudrait ne plus
être caractérisée par ce geste répétitif de puiser de l’eau. Elle ne veut plus avoir soif.
Or, comme le montre la suite, il advient que l’enjeu ne consiste pas à combler la soif, mais
à la nommer en tant que sujet, un « je ». Ainsi, par sa prise de parole, Jésus va lui permettre
de nommer cette soif plutôt que de la combler : « Va, appelle ton mari et viens ici. »
(Verset 16). Cette Parole installe la femme dans son lieu de manque. Un manque qu’elle
voudrait esquiver et qu’elle n’arrive pas à nommer. La femme voulait supprimer le va-et-
89
vient rendu par la figure de « puiser ». Sa suppression consisterait dans l’«avoir de l’eau
vive ». Mais la Parole ici ne valide pas ce parcours. Elle amène la femme dans son lieu de
souffrance, non point par complaisance mais dans le but de dire, de nommer ou de parler à
partir de ce manque, de cette soif. Finalement, l’enjeu n’est pas à chercher au niveau de
l’eau à boire – et jusqu’à la fin du récit, on ne verra pas Jésus en train de boire de l’eau.
L’enjeu réside dans les transformations qui s’opèrent chez les acteurs, exprimées par ce
passage des objets de complétude à la nomination de l’incomplétude. Bien qu’elle fasse
souffrir, cette incomplétude réclame pourtant et pour le moment le désir d’être nommée.
« Je n’ai pas de mari », parlera la femme. Elle peut finalement dire une parole vraie ; une
parole qui pointe sa souffrance et cela de la bouche de la concernée elle-même. Bien que
cette parole soit rectifiée par son interlocuteur, il semble que tout se joue déjà dans ce
débrayage dont témoigne la femme. D’où son exclamation : « Seigneur, je vois que tu es un
prophète ! » (Verset 19).
Par ailleurs, le décrochage de la femme à l’égard des choses à savoir ne sera pas achevé, de
façon à être installé une fois pour toute dans ce mouvement qui lui fait nommer sa
souffrance. Étant devant un prophète, la femme semble en profiter pour poser des questions
contestées, espérant trouver une réponse qui départagerait les protagonistes : « Nos pères
ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous, que c’est à Jérusalem qu’est le Lieu où il
faut adorer. » (Verset 21). Cette intervention de la femme ouvre plutôt à autre chose. La
femme n’est plus la Samaritaine, mais une « femme ». C’est de cette façon singulière
qu’elle sera appelée au « croire ». Cette singularité est même exprimée explicitement dans
le temps : « L’heure vient » et plus loin « L’heure vient et c’est maintenant ! ». Les choses
se passent ici et maintenant devant une singularité subjective. C’est en ce sens que
l’adoration peut entrer en jeu. L’adoration sollicite un sujet singulier à ce moment favorable
où la Parole circule entre les interlocuteurs. Autrement dit, c’est dans l’espace de cette
Parole qui dit vrai, cette Parole qui nomme la soif, le manque, que s’inscrit l’adoration. Ce
sont de tels adorateurs que veut le Père (encore ici une autre distanciation par un tiers),
ceux qui adorent dans la vérité et en esprit. Il n’est plus important de faire une guerre de
montagnes, de lieux ou de connaissances de l’objet à adorer. Le tout se joue dans « le dire
vrai » qui consiste à nommer, par la parole du sujet lui-même, le manque. C’est peut-être ce
90
caractère du manque qui justifie l’embrayage et le débrayage, d’une seconde à une autre, de
la femme. Ce manque, on le voit, est alors un manque nécessaire et persistant… pour autant
qu’il soit nommé ou intégré. Et il persiste jusqu’à ce que les disciples, des tiers, viennent
interrompre le dialogue. Mais avant leur interruption, il y a une sorte de balbutiement, de
déséquilibre dans la prise de parole. C’est ce qui ressort du verset 26 : « Je sais que le
Messie (celui qu’on appelle Christ) doit venir ; quand il viendra, celui-là, il nous annoncera
toutes choses. » 26
Jésus lui dit : « Je suis, moi qui te parle »…
Somme toute, au-delà des balbutiements, de ce débrayage-embrayage, il advient que
l’essentiel est à chercher dans le fait que la femme parle déjà en tant sujet de parole, c’est-à-
dire, arrive à nommer son manque au niveau singulier ou subjectif. Cette nomination ne
vient pas de nulle part. Elle est plutôt inscrite dans le mouvement décalé de son partenaire
de dialogue, qui, d’une part lui a permis de parler alors que la loi le lui interdisait et, d’autre
part, l’a aidée à nommer sa souffrance. Celle-ci est précisément un manque, une soif qui ne
sera pourtant pas comblée par Jésus, soit en lui donnant de l’eau une fois pour toute, soit en
lui donnant un mari (le mari qui est une figure de répétition, de manque, imposée par la
Loi). Ce manque est nécessaire non pas au niveau primaire mais au niveau existentiel. Jésus
ne saurait pas valider la souffrance d’une multiplicité de maris. Mais cette multiplicité de
maris est une figure à nommer et qui, du coup, est existentielle en tant que soif, une soif qui
met la femme dans le va-et-vient.
De ce qui précède, nous réalisons que ce qui compte se trouve dans l’émergence du sujet
qui parle ce manque, cette soif, qui est au départ une souffrance tant qu’elle n’est pas
nommée par un sujet. Autrement Jésus répondrait à ses besoins. Mais il installe la femme
dans un désir nommé, mieux, un désir parlé de manière personnelle, singulière ou
subjective. C’est sur ce ton que nous pouvons humblement proposer quelques postures
pastorales devant la crise que vit l’Église.
91
3.2.2 La Samaritaine et quelques incidences pastorales
Devant la crise que traverse l’Église catholique, nous avons à plusieurs reprises postulé
l’urgence d’une pastorale dans un « ailleurs » plutôt que dans la simple performance du
travail de la transmission de la foi. À la suite de la lecture de ce récit de la Samaritaine,
nous estimons qu’il convient maintenant de nommer les termes qui construisent cet
« ailleurs ». Ce serait donc un ailleurs qui se construit et non l’inverse.
En fait, le deuxième texte des évêques avait déjà commencé une construction en donnant
une orientation vers l’écoute des personnes, et celle des situations de ce monde. Les
évêques avaient en même temps proposé à chacun, de se laisser transformer par le fait que
les personnes venaient elles-mêmes vers Jésus. Cependant, ces invitations des évêques
pourraient être accueillies comme des énoncés ou des « dires » qui disent l’idéal. Par
conséquent, elles ne nous indiquent pas comment et à quelles conditions cette écoute de
Jésus sous-tendrait ou influencerait la pratique pastorale en termes d’urgence devant la
crise. Ces invitations restent tout simplement des énoncés positifs qui affichent un regard
positif des évêques sur le monde ou envers les non-croyants – ce qui est déjà louable, mais
jusqu’à quel déplacement ?
Par contre, le récit de la Samaritaine nous offre un lieu résolument évangélisateur de
mémoire et de naissance de cet ailleurs exprimé par l’émergence du sujet parlant le
manque. C’est ce parcours qui serait à proprement dit une structure sous-jacente pour la
pastorale de l’Église en ce temps de crise. Le texte nous montre directement que la crise
n’est pas celle des églises vides due au déficit dans le travail de la transmission de la foi -
ce serait une raison d’ordre purement matériel, voire accidentel ; mais bien plus, cette crise
est celle du sujet de parole en tant que tel. La crise signifie donc que la parole du sujet est
restée longtemps étouffée et lorsqu’on essayait de la libérer, elle prenait seulement la forme
d’énoncés polis ou de « dires » sur les sujets ou les thèmes en jeu. Ces énoncés polis restent
au niveau de la communication d’un fait, d’un événement, vécus dans l’histoire par Jésus-
Christ. Là, justement, se situe la crise : en rester sur les formes, les énoncés, les messages
bien formulés portant sur le sujet et ne disant pas ce qu’est le sujet.
92
Si tel est le cas, quoi de plus urgent que de suggérer la nécessité du passage des énoncés,
des dires, à la parole de sujet tel que construit dans le récit de la Samaritaine ? Une Parole
autre que ce que nous donne le système de communication habituel, où la production d’un
message est une simple opération d’encodage et la lecture une affaire de décodage. C’est ce
que font, comme le fait remarquer Jean Delorme, le très respecté cofondateur de la revue
Sémiotique et Bible, les commentaires formulés souvent comme des entrées de dictionnaire
qui disent ce que signifie telle expression, telle image, telle manière de s’exprimer ou de
représenter Dieu, le monde, l’histoire218
. Nous sommes donc d’avis, avec lui, que la Parole
ne pourrait être réduite à une réalité à saisir comme objet de connaissance ou comme le
médium d’une communication. La Parole fait plutôt émerger le sujet, le construit, elle est
constitutive avec le sujet. En plus, cette Parole ne dit pas seulement quelque chose de ce
qu’elle donne à connaître, autrement dit, elle ne se contente pas que de l’art de parler, de la
maîtrise des moyens de la phraséologie et de la communication. Cette Parole, comme dit
Delorme, est une naissance du sujet219
. La Parole fait émerger ainsi un sujet « non-
objectivé ».
En fait, afin de prendre au sérieux la question d’évangélisation en rapport avec les
nouveaux traits de ce monde, faire-Église, c’est finalement devenir disponible au passage
de la Parole, à l’éveil en nous du sujet de parole, sujet d’énonciation ouvert à un tiers.
Ainsi, comme le souligne Anne Fortin, « Le déplacement des concepts à une personne se
comprend en ce que c’est Dieu lui-même qui se communique par le don de sa Parole en son
Fils. Voilà pourquoi le christianisme n’est pas une religion du livre mais du Verbe incarné
et vivant. »220
218
Jean Delorme, Parole et récit évangéliques : études sur l’Évangile de Marc…, p. 24. 219
Ibid., p. 21. 220
Anne Fortin, « Les chemins de la Parole », dans Prêtre et Pasteur, (mai 2012), p. 258.
93
Conclusion
Tout compte fait, nous sommes conscient que, face à la crise que vit l’Église, les chemins
restent toujours multiples en termes d’urgence pastorale. Cependant, le parcours de ce
dernier chapitre nous a conduit à considérer le chemin qui conduit au sujet de parole
comme une des urgences indispensables, sinon primordiales pour toute évangélisation.
Pour la nouvelle évangélisation ou la pastorale, il ne s’agit donc pas simplement de
Parler autrement, de mettre son message dans des forces contemporaines,
mais de laisser place à cet Autre dans sa parole. Si une institution, quelle
qu’elle soit, donne l’impression de répéter sans cesse ‘écoutez-moi’, si elle
semble s’approprier le ‘tiers’ et fermer l’horizon sur elle-même, elle ne sera
pas écoutée. Ainsi, l’Église comme corps du Christ doit se demander
comment ses paroles s’inscrivent dans le mouvement d’une voix
insaisissable qui dit ‘Écoutez-le’221
.
La nécessité du passage des « énoncées » à la « parole du sujet » est donc souhaitée,
autrement la nouvelle évangélisation passerait à côté du sujet. Voire même de son but. Ce
sujet n’est pas isolé. Il est, par contre, mis en relation à partir de la Parole. Cette Parole ne
saurait se réduire à une pure communication entre l’émetteur et le récepteur, encore moins à
des actes de « dire », verbal ou non verbal. Il y a plutôt dans la rencontre quelque chose à
entendre d’un ou pour un sujet de parole. C’est là un signal intéressant pour l’Église dans
son travail de prise de parole, d’interprétation de la Parole au milieu d’une société en
grande mutation. L’Église devrait toujours se poser la question « comment parler ?
Comment lire ? Comment interpréter la Parole qui nous vient d’ailleurs ? Qu’entend la
société lorsque je parle ? »
Le récit de la Samaritaine en Jean 4, 1-26, offre certainement des pistes de réponse à ces
diverses questions qui pourtant au premier niveau sont d’ordre linguistiques. En le lisant
attentivement, ce récit nous oriente ailleurs. Il ne s’agit plus de regarder comment les mots
sont placés les uns à côtés des autres et quelle fut l’histoire de leur rédaction. L’ailleurs
construit par le texte est surtout au niveau des structures signifiantes qu’il organise,
desquelles émerge un sujet de parole. Ainsi, « l’exigence de l’exactitude historique et
221
Anne Fortin, « Les chemins de la Parole »…, p. 263.
94
l’impératif de la vulgarisation »222
du message, du dogme ou de la doctrine ne serait pas
une urgence pour notre temps. L’évangélisation est ce parcours parsemé des figures du don,
du tiers, du dialogue, de l’espace du manque, du vide où se jouent les relations de désirs
réciproques car, « vis-à-vis de la Samaritaine, Jésus, lui aussi, se transforme : de demandeur
(d’un objet, l’eau à boire), il devient sujet de parole en tant qu’il parle à un ‘tu’ et qu’il est
révélateur de la vérité. »223
En définitive, l’essentiel se joue dans une relation trinitaire : la
Parole circule entre trois pôles, où chacun reçoit ce qui vient d’ailleurs.
222
Anne Fortin, « De l’animation biblique de toute la pastorale », Sémiotique et Bible, Lyon, 147 (2012), p. 7. 223
Soon-Ja Park, « L’entretien avec la Samaritaine », Sémiotique et Bible, Lyon, 96(1999), p. 41.
Conclusion générale
96
Au terme de cet itinéraire, parcouru en trois grandes étapes, il convient de souligner que ces
dernières pages n’aspirent pas à une conclusion au sens de clôture. Nous souhaitons plutôt
qu’elles résonnent chez le lecteur ou lectrice en termes d’invitation à poursuivre le
mouvement qui a façonné notre marche. Conclure en ces termes d’invitation implique que
ce mémoire montre le parcours d’un homme qui espère et croit à la « Parole » partagée en
toute liberté entre des sujets-personnes. Par son invitation, cette Parole partagée sollicite le
concours des lecteurs et lectrices susceptibles d’éveiller à l’émergence du sujet de parole.
L’invitation n’oblige à rien, mais elle est une façon gratuite de nous mettre à l’écoute de la
parole de l’autre qui m’invite. Elle renferme ainsi un désir de dialoguer qui appelle l’autre,
sollicitant à cet effet son désir authentique et profond224
de parler. C’est sur ce fond que
nous désirons inscrire un retour, non-récapitulatif, sur l’ensemble de ce mémoire.
Ce mémoire s’inscrit prioritairement dans le domaine de la théologie pastorale. C’est en
vivant dans deux Églises particulières, celle du diocèse de Butembo-Beni en R. D. Congo,
et celle de Québec, que nous avons été progressivement sensibilisés à la question de la crise
de l’Église. Cette crise est d’abord lue en fonction du nombre de ceux qui continuent les
pratiques religieuses. Plus ce nombre diminue, plus la crise devient alarmante. Plusieurs
écrits auxquels nous nous sommes référés attribuent cette crise à l’échec du travail de la
transmission de la foi. La transmission ne se fait plus comme avant, du curé aux fidèles, des
parents aux enfants. Cette situation méritait d’être prise aux sérieux, car, ainsi que nous
l’avons mentionné, la transmission de la foi serait inhérente à l’homme. Et c’est là
l’urgence pastorale.
Par ailleurs, plusieurs éléments nous ont empêché de valider ce point de vue. Premièrement
la lecture de deux documents issus du synode des évêques pour la nouvelle évangélisation :
l’Instrumentum laboris et le Message au peuple de Dieu. Nous avons lu ces deux
documents tout au début de notre recherche, car nous estimions qu’ils traitaient directement
de la crise de l’Église en lien avec la transmission de la foi. L’écart que nous avons constaté
entre ces deux textes fut pour nous un élément déstabilisateur. Nous l’avons montré dans la
première partie du troisième chapitre de ce mémoire. La place du destinateur dans le
224
Bernard Sesboué, Croire. Invitation à la foi catholique pour les femmes et les hommes du XXIe siècle,
Paris, Droguet et Ardant, 1999, p. 7.
97
premier et le deuxième document n’est plus la même. Alors que l’Instrumentum laboris
oriente l’urgence de la nouvelle évangélisation vers les personnes ayant perdu la foi, le
Message au peuple de Dieu construit l’urgence autour de l’écoute orientée vers les
personnes ou vers les situations actuelles. Ainsi, ce qui a prédominé dans le deuxième texte
(l’écoute des personnes) nous a obligé à chercher l’urgence pastorale ailleurs que dans la
simple performance du travail de la transmission de la foi.
Deuxièmement, avant de nous orienter vers cet « ailleurs », il nous a paru urgent de
comprendre le rapport que l’humain entretient avec la foi. Ce retour sur l’humain est
capital, car il pose la question décisive : est-ce la foi manquant en l’humain qui cause la
crise ou l’oubli de cette dimension de foi en l’homme ? En passant par les écrits de
quelques auteurs (seconde partie du premier chapitre, et tout le deuxième chapitre) et en
tenant compte de notre expérience concrète de chaque jour, il nous a été difficile de
concevoir un homme sans foi. Celle-ci est constitutive de l’existence humaine. Vivre sans
foi serait nier notre existence, disait Karl Rahner, le distingué théologien catholique
allemand. C’est une expérience que chaque être humain éprouve de manière singulière et
donc subjective. Personne ne peut la vivre à la place de l’autre, ni par procuration. Cette
expérience est là, en l’humain, et ne dépend pas du contrôle de quelques individus. Elle est
possible car elle met les humains dans le désir d’opter pour la vie, d’opter pour un avenir.
Le désir de ce genre est toujours permanent et intransmissible. Sa permanence nous conduit
à la dimension transcendantale des êtres humains. Une transcendance qui s’éprouve de
manière personnelle, subjective. Bien qu’il soit un être naturellement fini, l’humain n’a
jamais épuisé la soif de l’avenir, la soif de la vie : la foi. Il est toujours en marche, en quête
permanente. En éprouvant sa finitude, il se surpasse en même temps dans un devenir. Il se
réalise ainsi comme un être de transcendance. Personne ne pourrait être auteur de cette
dimension transcendantale. Elle est en chacun comme la grâce qui précède toute annonce
de l’Évangile.
Cette enquête sur le rapport que l’humain entretient avec la foi ne nous a pas autorisé à
identifier, à notre tour, la cause de la crise à l’absence de la foi chez l’homme. Elle nous a
ouvert plutôt à la prise en compte du sujet qui désire que sa dimension transcendantale soit
écoutée, soit vécue, lorsqu’il croit à la vie, à l’avenir. Lui dire qu’il n’a pas de foi, c’est
98
fermer l’oreille devant son désir de vivre. Ainsi il ne se sent pas écouté, car l’on voudrait
lui transmettre ce qui lui est donné de manière originaire, tel que le signale, nous l’avons
montré, le prologue de la première lettre de saint Jean.
Ces deux réalités que nous venons d’évoquer, soit l’expérience des évêques au Synode et le
rapport que l’homme entretient avec la foi, nous amènent de préférence à privilégier le sujet
qui parle comme urgence pastorale devant la crise que vit l’Église. Il ne s’agit pas de
donner la foi à ce sujet, ni de parler de lui ou sur lui, mais de le laisser advenir comme sujet
parlant son manque grâce à une Parole partagée. C’est l’itinéraire que nous propose le récit
de la Samaritaine dans l’évangile de saint Jean (4, 1-26). Ce récit nous construit le chemin
du décrochage des objets à transmettre. Par sa structure et son fonctionnement, ce récit
favorise l’émergence du sujet installé par la Parole décalée de l’autre. Ainsi, il ne se sent
pas opprimé dans son lieu de parole. Tout en étant sujet, c’est-à-dire singulier, il est rétabli
par une Parole capable d’ouvrir sur le manque, jadis étouffé par la Loi. C’est à l’intérieur de
ce mouvement qui installe le sujet dans la vérité par sa parole que peuvent s’inscrire, selon
nous, les pratiques religieuses.
De ce fait, l’Église ne s’investirait-elle pas davantage dans le partage de la Parole de
nomination du manque nécessaire plutôt que construire des pratiques religieuses qui,
aujourd’hui, s’éloignent de plus en plus des désirs profonds des humains ? Toutefois, ce
projet d’écoute ne saurait se réaliser dans les grandes églises où les personnes n’arrivent pas
à se parler en vérité. Il serait avantageux alors de promouvoir les petites communautés…
qui ne soient pas non plus des Églises en miniature. Cette question mérite d’être examinée
dans une autre recherche…
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