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De l’autre côté du mur · 2018. 4. 12. · portes de l’appartement s’accommodait mal du passage du fauteuil. Je ne fus pas mécontente de quitter les lieux qui me rappelaient

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Je ne veux voir ni entendre personne. Même le chant des oiseaux m’est insupportable. Leurs sautillements de branche en branche me vrillent les nerfs. Alors qu’il leur suffit d’un battement d’ailes pour être libres, moi,clouée à mon fauteuil roulant, je ne chanterai plus, je ne sautillerai plus, je ne serai plus jamais libre.

Louise crie sa rage, son désespoir, son immense colère. Mais un jour,elle entend une voix de l’autre côté du mur, une voix qui pourraitbien changer le cours de sa nouvelle vie…

Un beau message d’ESPOIR,un « ré-apprentissage » de la VIE.

N001 ISBN 978-2-203-03333-7 5,25 €

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Je ne veux voir ni entendre personne. Même le chant des oiseaux m’est insupportable. Leurs sautillements de branche en branche me vrillent les nerfs. Alors qu’il leur suffit d’un battement d’ailes pour être libres, moi,clouée à mon fauteuil roulant, je ne chanterai plus, je ne sautillerai plus, je ne serai plus jamais libre.

Louise crie sa rage, son désespoir, son immense colère. Mais un jour,elle entend une voix de l’autre côté du mur, une voix qui pourraitbien changer le cours de sa nouvelle vie…

Un beau message d’ESPOIR,un « ré-apprentissage » de la VIE.

N001 ISBN 978-2-203-03333-7 5,25 €

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Cet ouvrage a reçu le prixdu Salon du livre de Limoges 2003

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87, quai Panhard-et-Levassor 75647 Paris cedex 13

www.casterman.com

ISBN 978-2-203-03333-7Conception graphique : Anne-Catherine Boudet

© Casterman 2003 ; 2011 pour la présente édition.Imprimé en avril 2011 en Espagne, par Novoprint.Dépôt légal : juin 2011 ; D. 2011/0053/11

Déposé au ministère de la Justice, Paris(loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse).

Tous droits réservés pour tous pays.Il est strictement interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment parphotocopie ou numérisation) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banquede données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

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Yaël Hassan

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UNE VOIX

Quelle est donc cette voix qui s’élève de l’autrecôté du mur, se hisse le long du lierre touffu pourdégringoler en cascade dans le silence de monjardin ? À qui appartient-elle ? Et de quel droitdérange-t-elle ma tranquillité ?

Je ne veux pas qu’on me dérange. Je ne veux voir

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ni entendre personne. Même le chant des oiseauxm’est insupportable. Leurs pépiements joyeux,leurs sautillements de branche en branche mevrillent les nerfs. Il leur suffit d’un battementd’ailes pour s’élever, s’envoler, être libres, maismoi, clouée à mon fauteuil roulant, je ne chanteraiplus, je ne sautillerai plus, je ne serai plus jamaislibre.

Qu’a-t-elle alors, cette voix, à s’immiscer enmoi ? C’est qu’elle me tape sur le système à la fin.Que faire ? Me boucher les oreilles ? Regagner la

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maison et m’enfermer dans ma chambre ? Pasquestion ! C’est à l’importun de s’en aller. Il va bienfinir par se taire, ce vieux ! Car, avec une voixpareille, il ne peut s’agir que d’un vieux. Un vieuxradoteur, qui plus est, et donneur de leçons proba-blement, comme le sont tous les vieux. Maiscomment pourrais-je le faire taire au travers de cemur qui n’offre pas la moindre ouverture, appa-remment ? Je dis apparemment, car je n’en saisrien, après tout. Je ne l’ai pas vraiment regardé cemur de briques. Le jardin est assez vaste et jamaisje n’en ai dépassé la tonnelle proche de la maison.Pourquoi l’aurais-je fait ? Pourquoi me serais-jeintéressée à ce jardin ? Plus rien ne m’intéresse.Alors, quelle est donc cette curiosité qui m’agitepuisque, depuis un an, j’ai cessé de regarder le

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monde pour ne plus le voir grouiller, vivre autourde moi ? Et je peux me vanter d’avoir réussi à fairele vide, à écarter de mon chemin tous les valides etbien portants, avec leurs airs dégoulinants decompassion, leurs regards apitoyés dont je n’ai quefaire. Ce ne fut pas facile, c’est vrai. Il en a mis dutemps à ne plus sonner, le téléphone. Et mamanqui chaque fois insistait lourdement, suppliante,larmoyante :

— Mais prends-la donc, ma chérie ! Cela fait dixfois que Nadia appelle.

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Et elle restait plantée là, devant moi, soncombiné à la main. Mais ne comprenait-elle pasque je ne voulais plus rien savoir de Nadia, Jessica,Martin, Julien et les autres ? Ils m’appelleraientcent fois que cela ne me ferait ni chaud ni froid.Qu’ils m’oublient à jamais, me fichent enfin lapaix. Il y eut aussi quelques tentatives d’incursionchez moi, mais maman, devant mon refus obstinéde déverrouiller la porte de ma chambre, ne putque faire barrage, ce qui la désolait, évidemment. Ilfallut de toute façon déménager. La largeur desportes de l’appartement s’accommodait mal dupassage du fauteuil. Je ne fus pas mécontente dequitter les lieux qui me rappelaient sans cesse quej’avais eu une vie avant.

Mes parents optèrent pour cette grande maison

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entourée d’un vaste jardin. Ils la choisirent pourmoi, pour mon confort et mon bien-être ! Commesi ces mots avaient encore un sens quelconque.Je les avais laissés faire, néanmoins, choisir,m’installer, sans desserrer les dents, indifférente.

Lors du premier été passé ici, j’étais restée assiselà, des heures durant, sans même le regarder, cejardin, sans même le voir. Papa s’était donné dumal pour l’aménager, élargir ses allées afin que jepuisse y circuler facilement. Mais j’avais obstiné-ment boudé les chemins dallés pour demeurer sous

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la tonnelle ombragée, tournant obstinément le dosau spectacle fleuri et verdoyant. Et voilà quesoudain ce jardin m’interpelle. Non, ce n’est pas lejardin qui m’interpelle. C’est la voix. Cette voix quia osé rompre ma solitude et qui s’est mise à titillersérieusement ma curiosité que je croyais endormieà jamais, tout comme moi. Et si je veux la trouver,cette voix, si je veux la faire taire, je suis bien obli-gée de partir à la découverte du jardin, à son explo-ration, sa conquête.

Commençons donc par longer le mur enfoui sousle lierre épais. Le chemin est semé d’embûches.Ici, une souche d’arbre qu’il me faut contourner, là,un amas de branchages qui me barre le passage,plus loin, une brouette de compost et puis,soudain, la voix stridente, hystérique de Bénédicte,

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ma « nounou », qui m’a sans nul doute, et pour latoute première fois, perdue de vue. Cela me faitsourire. Elle ne s’attendait guère à ce que je bouge.Je ne l’ai pas habituée à disparaître de son champde vision entre deux de ses roupillons. Alors, elles’affole.

— Louise ! Louise ! Mais où es-tu ? hurle-t-elle.Lui répondre ? Si je ne le fais pas, elle rappliquera

en moins de deux. Mieux vaut donc la rassurer.— Je suis là, Bénédicte, au fond du jardin !— Mais que fais-tu au fond du jardin ?

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« Je me dégourdis les jambes ! » ai-je envie delui crier. Franchement, que puis-je faire avec monfauteuil ?

— J’explore, Bénédicte. Je découvre.Erreur de tactique. Visiblement, ce n’étaient pas

les mots à employer. Trop nouveaux pour Béné-dicte. La voilà donc qui déboule, rouge, l’œil ahuri,les mains sur le cœur.

— Tout va bien, Louise ?Elle est au bord des larmes. Si je ne réagis pas

immédiatement par mon habituelle sécheresse,elle est capable de se liquéfier en mare à mes pieds.

— Laissez-moi, Bénédicte. J’ai bien le droit decirculer un peu, non ?

J’avais raison. Mon ton hargneux semble larassurer immédiatement. Elle bredouille quelques

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excuses et s’éloigne en marmonnant.Encore une idée de maman, la « nounou ». Le

garde-chiourme, oui ! Mais que craint-elle doncqu’il m’arrive quand elle n’est pas là ? Que je mesauve ? Que je prenne la clé des champs, la poudred’escampette ? Toute seule avec mes petits brasmusclés et mon carrosse turbo ? Que je m’en aillevisiter le monde pour m’assurer qu’il est moinsmoche et moins injuste ailleurs que chez moi ?J’hallucine ! Une nounou à quatorze ans. Et d’ungnangnan avec ça !

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Maintenant qu’elle m’a lâché les baskets, pour-suivons donc. Mais… La voix s’est tue. Muetsoudain le papy. Zut et re-zut ! Il aurait été drôle delui clouer le caquet à ce vieux perturbateur desilence. Raté ! Mais que cela ne m’empêche pas decontinuer mon incursion au fond du jardin. Diffi-cile d’y accéder, d’ailleurs. Un écran d’arbrisseauxserrés me laisse à peine passer. M’y voilà enfin !Essoufflée, les bras douloureux. C’est qu’il y a bellelurette que mes muscles mollassons se la coulaientdouce. Les voilà en émoi, trépidants, sortis bruta-lement de leur léthargie, eux aussi. Décidément,quelle journée !

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MON JARDIN SECRET

C’est la voix affolée de maman qui cette fois m’aobligée à rebrousser chemin. Que fait-elle donc à lamaison à cette heure-ci ? Six heures à peine !Jamais, elle ne rentre aussi tôt. Bénédicte l’auraitdonc avertie de mon escapade de trois centsmètres ? Il me faut dare-dare quitter l’endroit

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avant qu’elles ne m’y rejoignent. « Fissa », commedisait Nadia.

Nadia… Une bouffée de tristesse me submerge.Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Me voilà toute ramollie.Et qu’est-ce qu’elle vient faire dans ma tête,Nadia ? Je ne l’ai pas appelée, que je sache.Dehors ! Je ne veux personne. Ni Nadia, ni lesautres. Et un tour de roue, en direction de latonnelle ! Un tour de roue pour chasser, écraser lesfantômes du passé et surtout aller au-devant demaman avant qu’elle ne s’affole, elle aussi, de ma si

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lointaine escapade. Ce petit bout de jardinm’appartiendra, désormais. J’ai bien le droitd’avoir un endroit pour moi toute seule. Un jardinsecret, un carré de liberté abrité derrière ce rideaud’arbrisseaux. Nul ne sera autorisé à y mettre lespieds… Seules les roues de mon carrosse foulerontle tapis herbeux de mon îlot.

Le dîner est funeste. Regards en coin, interroga-teurs. On me trouve bonne mine (papa), fiévreuse,plutôt (maman). Je me tais. Je n’ai pas envie deparler, je n’ai pas envie de leur raconter ce qui s’estproduit de différent aujourd’hui. Je n’ai pas enviede leur dire que, en rentrant dans ma chambre, jeme suis regardée dans le miroir. Cela fait un an queje fuis mon image, que je me fuis. Et pourtant, j’aieu envie, là, de me voir, de me regarder. J’ai rude-

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ment changé. Amaigrie, bien sûr, les joues creuses,mais l’œil pétillant sans que ce soient les larmes,pour une fois, qui lui donnent cet éclat-là. Il s’estdonc bel et bien passé quelque chose aujourd’hui etj’ai du mal à croire que tout cela soit dû à cette voixdébile qui montait du jardin voisin. J’ai passélonguement la brosse dans mes cheveux, je me suisrafraîchi le visage et ai attendu que papa rentre. Jeles ai alors entendus parler à voix basse, devant maporte. C’est toujours comme ça. Quand papa rentre,il demande à maman si je vais bien. Avant de me le

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demander à moi, ensuite. C’est idiot. Qu’en sait-elle ? Comment peut-elle lui donner de mesnouvelles alors qu’elle ignore tout de mes étatsd’âme ? S’il fallait me confier à quelqu’un, ce neserait certainement pas à elle… Pas plus à papad’ailleurs. Alors à qui ? À personne, bien sûr,puisque c’est le désert autour de moi. Mais je nevois vraiment pas pourquoi je me pose ce genre dequestions. Je n’éprouve nullement le besoin de meconfier à qui que ce soit. J’avais envisagé de rédigerun journal. Cela, je pense, aurait pu me faire dubien, mais j’ai si peur que quelqu’un tombe dessusque cela m’en ôte toute envie. Mais revenons à papaqui a frappé trois coups discrets à ma porte et estentré, un sourire gêné sur les lèvres. Il a toujours cesourire-là depuis mon accident. Un sourire qui

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n’en est pas vraiment un. Une grimace, presque.Tout le monde ne fait plus que grimacer autour demoi. Les sourires et les rires sont forcés, les motssont forcés. On met des gants, on me regarde encoin, on chuchote, on ne sait pas comment meprendre, alors on me laisse. C’est ma faute, je sais.Tout est ma faute, mais je m’en fiche !

— Maman m’a dit que tu t’es aventurée jusqu’aufond du jardin ?

J’ai opiné de la tête, prise au piège. J’aurais dûdemander à maman et Bénédicte de se taire. Ça ne

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les regarde pas, après tout. Heureusement, papa n’apas insisté. Il a compris que je n’avais pas envied’en parler. Il s’est levé, a déposé un baiser surmon front, puis il est sorti.

Mais à table, le silence était lourd. Maman brûlaitvisiblement de savoir ce qui m’avait pris, pourquoice brutal changement d’attitude. Je sais bien que jelui ai fait de la peine. De toute façon, je ne lui faisplus que ça, depuis, de la peine. Mais commentaurais-je pu lui expliquer ce qui s’est passé alorsque je suis incapable de me l’expliquer à moi-même ? Comme elle avait l’air vraiment trop triste,j’ai fini par lui dire :

— Je crois qu’aujourd’hui je vais mieux.J’ai bien fait, finalement. J’ai eu l’impression

d’avoir jeté un os moelleux à un chien affamé. Elle

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frétillait de bonheur, soudain. Je sais que je suisdure, je sais qu’ils font tout pour essayer d’atténuerma peine, qu’ils ne méritent pas le mal supplé-mentaire que je leur fais. Mais c’est comme ça, jene peux m’empêcher d’être méchante avec mesparents. Puisque je n’ai personne d’autre autour demoi. C’est comme si je me vengeais sur eux. Cen’est pas juste, je sais. Mais avec moi non plus, lavie n’a pas été juste.

Je ne comprends pas très bien ce qui m’arrive.Jamais je n’ai eu de remords comme aujourd’hui,

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jamais je ne me suis dit que je devrais faire desefforts envers mes parents, être plus gentille. J’ensuis toute chamboulée et impossible de trouver lesommeil. De ma chambre, j’ai entendu mamanrire, là-haut. C’est la première fois qu’elle ritdepuis. J’ai eu envie de l’entendre encore, del’entendre rire à nouveau, rire comme avant, toutesles deux, pour un oui et pour un non. Alors, j’aiéclaté en sanglots. Ça aussi ça ne m’était pas arrivédepuis longtemps. Vraiment pleurer, je veux dire.Pas pleurnicher, non. Pleurer avec plein de larmeset des sanglots.

Les images ont alors défilé brutalement. Toutesles images que je ne voulais plus revoir, que jerepoussais chaque fois de toutes mes forces, parceque j’avais si peur de revivre l’accident et tout ce

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qui a suivi.Mais là, les images sont venues. Je ne les ai pas

repoussées. J’ai même réussi à les regarder en face.Et je me suis endormie calmement. Je n’ai pas faitde cauchemar. Je ne me suis pas réveillée au milieude la nuit.

Et ce matin, quand j’ai ouvert les yeux, j’ai tournémon regard vers la fenêtre donnant sur le jardin etj’ai eu envie de me lever. Enfin, façon de parler,bien sûr. Pour moi, se lever veut dire sortir du lit.Je n’avais plus envie de sortir du lit.

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Mais ce matin, non seulement je veux me lever,mais en plus, j’ai faim.

— Bénédicte, j’ai faim !Bénédicte, effarée, se précipite dans la chambre

et vient me tâter le front. Ce qu’elle m’agace !— Je vous ai dit que j’avais faim ! Pas que je ne me

sentais pas bien.Tandis que je me dirige vers la salle de bain pour

un énergique brossage de dents, j’énumère :— Un chocolat chaud, des céréales, des toasts, du

beurre, de la confiture et un jus de pomme. Sous latonnelle, Bénédicte !

Bénédicte, figée, reste plantée au milieu de lapièce.

— S’il vous plaît, Bénédicte, ai-je ajouté, un peusournoisement.

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Je vous l’avais dit. Bénédicte ne supporte pas magentillesse. La voilà qui fond en larmes et inondemon tapis. C’est à se demander qui des deux est lagarde-malade.

L’eau qui coule dans le lavabo ne parvient pas àcouvrir les chuchotements de Bénédicte au télé-phone, qui y va alertement de son rapport à maman.

— Je vous assure, madame, qu’elle m’a demandétout ça. Et elle veut déjeuner au jardin, sous latonnelle !

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Là, mon cœur se serre. J’imagine le sourire demaman, l’éclat dans ses yeux. J’ai deviné le soupiroù pointait un sanglot d’espoir.

Et je me suis sentie heureuse, l’espace d’unmoment, une fraction de seconde de bonheur.

Mais tout va trop vite. J’ai l’impression de perdrele contrôle. Je ne sais pas si j’ai envie de tout ça. J’aicomme l’impression d’être séduite par un mauvaisgénie. Cet état de grâce me semble anormal. Pour-quoi me sentirais-je mieux qu’hier ? Pourquoiaurais-je soudain envie de renouer avec la vie ?Pourquoi aurais-je à nouveau des envies, toutsimplement ? Je n’y vois pas clair. Il vaut mieuxrester prudente, garder encore pour moi seule cetteagitation que je sens vibrer à l’intérieur.

Aujourd’hui, je vais essayer de retrouver la voix

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d’hier, celle par laquelle tout a commencé.

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LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS…

Je prends mon temps. Je me délecte de mon petitdéjeuner que me dispute une abeille gourmande.Bénédicte s’affaire autour de moi en chantonnant.Puis je paresse dans mon bain. J’aime être dansl’eau. Je m’y sens légère. Me voilà enfin prête. Enroute, donc, pour l’aventure ! Je préviens Bénédicte

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que je me rends au fond du jardin. Pour tromperl’ennemie, j’emmène un bouquin.

Je sens malgré tout son regard posé sur mon dosquand je me dirige vers l’écran d’arbrisseaux quime mettra à l’abri de ses regards indiscrets. La voixde la veille ne se manifeste pas. Je longe le mur,écartant les branchages, les feuillages entrelacésdes chèvrefeuilles, malmenant le rideau de cléma-tites pourpres. Enfin, un renfoncement suspectsemble susceptible de m’offrir ce que je cherche. Jem’approche. Du moins, j’essaie. Cela m’impose

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Aux éditions Casterman

Prix du roman jeunesse 1996Prix Sorcières 1998

Grand Prix des jeunes lecteurs de la PEEP 1998Prix des Mange-livres de Carpentras 1999

Prix du premier roman de Châlons-sur-Marne 1999Prix du Jury et Prix des Lecteurs, Clamart, 2006

Prix du meilleur roman, Salon du livre de Jeunesse deSt-Laurent-de-la-Salanque 2009

Prix jeunesse de la ville de la Garde 2000Prix Chronos Suisse 2000

Prix des écoliers de Rillieux-la-Pape 2001Prix Tatoulu 2001

Prix du roman de Mantes-la-Jolie 2001Prix de la ville de Lavelanet 2001

Prix Chronos Suisse 2001Prix Saint-Exupéry 2001

Prix Chronos Littérature de Jeunesse 2002

Prix Julie des lectrices 2002Prix de Beaugency 2002

Prix du Salon du livre de Limoges 2003

Prix des Embouquineurs, Brest 2006

Prix NRP Collèges 2006Prix Gragnotte, Narbonne, 2007

Prix Littéraire Brivadois 2007

Prix NRP Collèges 2007Prix Chronos 2009

Prix Sainte-Beuve des collégiens du Nord-Pas-de-Calais, 2009

Prix Gragnotte de la ville de Narbonne, 2009Prix My Mots, Collège Rambam-Maïmonide

de Boulogne-Billancourt 2009

Prix PEP Solidarité 2009 de MetzPrix de la Vache Ki'Lit 2009 festival Au Bonheur des

Mômes - Le Grand Bornand (73)Prix Livre-Élu 2009 (6e) du Collectif Lecture

de Haute-Loire

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Prix des Embouquineurs, Brest, 2006

Prix Julie des lectrices 2002Prix Salon du livre Beaugency 2002

Prix NRP Collèges 2006Prix Gragnotte, Narbonne, 2007

Prix Littéraire Brivadois, niveau 5e-6e, 2007

Prix du Salon du Livre de Limoges 2003

Prix NRP Collèges 2007Prix Chronos 2009

Prix Sainte-Beuve des collégiens

Prix Lewis Carroll 1978

Prix du roman jeunesse de Rueil-Malmaison 1998

Prix Jeunesse France Télévisions 2005

Prix du roman jeunesse du ministère de la Jeunesse et des Sports 2005

Prix NRP Collèges 2005Prix Val Cérou sur l’univers médiéval, 2006

dès 12 ans

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du Nord-Pas-de-Calais, 2009Prix Gragnotte de la ville de Narbonne, 2009Prix My Mots, Collège Rambam-Maïmonide

de Boulogne-Billancourt 2009

Prix du Roman jeunesse de la ville d’Aumale 2006