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144 DE L'ART AGRICOLE ET DE L'ÉCONOMIE RURALE DANS LA OnÈCE ANTIQUE (1), PAR M. J. GIRMWIN, Membre honoraire. Les documents sur l'art agricole, et dans un sens plus général, sur l'économie rurale dans l'ancienne Grèce, ne sont pas très nombreux, car des cinquante auteurs qui furent consultés avec fruit sur cet impor- tant sujet par Varron (2), il ne nous est parvenu que quatre ouvrages, à savoir: 1° Les Travaux (ou oeuvres) et les jours d'Hésiode, traité qu'il composa pour l'instruction de son frère Persée (3); (I) Fragments détachés «un ouvrage manuscrit sur les Arts chimiques, industriels et économiques chez les anciens. (2) 5.1. T. varronis rerum rusticarurn de Agriculturk. (Dans les Agronomes latins, édit, de M. Nisard. Paris, 1844). (3) Besiod., Opera et dies. Edition Boissonade: Paris, 1824, Traduct. française rie Chenu, 1844. I Document I_IIIilIIIIllIIllhiI 111111111111 0000005675883 n*i .1 4

DE LART AGRICOLE

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144

DE L'ART AGRICOLE

ET

DE L'ÉCONOMIE RURALE

DANS LA OnÈCE ANTIQUE (1),

PAR M. J. GIRMWIN,

Membre honoraire.

Les documents sur l'art agricole, et dans un sensplus général, sur l'économie rurale dans l'ancienneGrèce, ne sont pas très nombreux, car des cinquanteauteurs qui furent consultés avec fruit sur cet impor-tant sujet par Varron (2), il ne nous est parvenu quequatre ouvrages, à savoir:

1° Les Travaux (ou oeuvres) et les jours d'Hésiode,traité qu'il composa pour l'instruction de son frèrePersée (3);

(I) Fragments détachés «un ouvrage manuscrit sur les Artschimiques, industriels et économiques chez les anciens.

(2) 5.1. T. varronis rerum rusticarurn de Agriculturk. (Dans lesAgronomes latins, édit, de M. Nisard. Paris, 1844).

(3)Besiod., Opera et dies. Edition Boissonade: Paris, 1824,Traduct. française rie Chenu, 1844.

I Document

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2° L'Economique de Xénophon, ncyclopédie desplus remarquables pour l'époque. Seipion l'Africainl'avait toujours entre les mains. Cicéron la traduisit etVirgile lui emprunta le plus béaux pasages do sesGeorgiques. Le célèbre historien et moraliste grecconçut le premier l'idée des Comices agricoles, danslesquels des prix seraient distribués en chaquecantonou bourgade à ceux qui cultiveraient le mieuxleurs champs (1);

3' Les livres d'Axistote sur l'Eeonomie rurale, surl'histoire des animaux et sur les plantes. Cos ]ivres ren-ferment les instructions utiles sur les travaux de lacampagne, laissées par les philosophes Démocrite,Archytas et Epicharme (2);

4° Enfin l'Histoire des plantes e t le Traité des causesde la végétation de Théophraste (3).

Hésiode, le plus ancien des agronomes, vivait aucommencement du ix' siècle avant Jésus-Christ; il futpar conséquent contemporain d'llomùre. Sa familleétait originaire de Cyme en Eolide, mais il naquit et,vécut à A.scra, village situé au pied de l'Hélicon, enBéotie; il y parvint à une très grande vieillesse (4.Il y entretenait un troupeau et cultivait un ter-rain qu'il représente comme e mauvais en hiver,

(i) Xnophon, Dialogue entre Sirnonide et Hiéron.(2)OEuvres d'Aristote, collection Didot, ûdition de Berlin. 183t-

183G. 4 vol, in-4'.(3)Théoplir., traduction latine de Turr'àhe et traduction

française de Stievenard.4) 1irodot., lib, li, o. 53. - Manu., Oxonepoch. 29 et 30.--

Cicer., de Senectute, § 7, t. 3, r . 301

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CLASSE. DES SCIENCES.151

difficile en été, et n'étant bon en aucun teins »c'était probablement une argile compacte et forthumidb.

Les oeuvres et les jours d'Hésiode constituent unpoéme didactique et moral, dans lequel sont réunieset mêlées, comme dans un manuel de connaissancesutiles, des leçons, tantôt familières, tantôt poitiques,de justice publique et privée, d'agriculture, de navi-gation, de conduite, etc., dont se sont inspirés éga-lement les moralistes, même chrétiens, et les poètesdes âges suivants, entr'autres Virgile dans les Geot--gigues. -

On y apprend que la propriété des terres étaitabsolue; elle se partageait également entre tous lesfils, àla mort du père. Une des lois de Solon défen-dait d'acheter des terres au delà d'une certaineétendue- Un domaine contenant des sources ou deseaux courantes était fort recherché, surtout dansl'Attique. Il y avait une loi qui réglementait tout cequi se rapportait aux puits. Il n'y avait guère que lesenvirons des villages qui fussent constamment cul-tivés; là, les champs étaient entourés de haies; lereste du pays était à l'état de pâture commune.Les jachères d'été étaient en usage On donnait troislabours avant les semailles.

La charrue était un araire fort siniple, qu'on re-trouve encore de nos jours en Calabre et en Sicile, an -ciennes colonies grecques. 111 y avait aussi, à l'époqued'Hésiode, un araire composé avec sep, flèche etmancheron- Le soc était lait avec une espèce dechêne très dur, la flèche avec du boit de laurier oud'orme, le mancheron avec du chêne vert!; il n'entrait

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pas de fer dans la construction; ce n'est que beau-coup plus tard que ce métal fut employé pour le soc,et cette innovation fut attribuée à Cérès. par léspotes.

Les mules et les boeufs étaient les animaux detravail ; ces derniers, d'après un passage d'Homère,étaient attachés au joug parles cornes (1)- Cependanton voit, dans un ancien manuscrit d'Hésiode, que lejoug était aussi disposé de manière 'à s'appuyer surle cou des animaux (2).

Les charrues à roues ne furent employées quefort tarda Pline fait honneur de leur découverte auxhabitants de la Gaule cisalpine, mais il est prouvé,par plusieurs médailles et pierres gravées trouvéesen Sicile, que les Grecs les connaissaient,

De Caylus, et, après lui, de Lasteyrie en ont figuréplusieurs spécimens (3); dans celui qu'ils reprodui-sent, la charrue se compose d'une bècho ou d'une houeà deux manches, et d'un âge soutenir un avant-train; il y a un coutre disposé absolument commedans nos charrues modernes.

Lescultivateurs grecs avaient la notion des engrais.Dans Homère, on voit le vieux Laèrt& de sang royal,

(I) Borner., Riad., Xlii, y , 704-(2) Besiod-, toc. citat., Le?. —Cirta, De n rusticd, Il. — Gicer.,

NI), il, e,o.—Vitruv,, X, 3, R. - Ovid., ras?. TV, 216.(3) De Caylus, Recueil d'Antiquités, t. 5, pl. 83, ne 6. - De

Lasteyrie, Coliect. de machines, d'instruments, etc., employésdans l'économie rurale, domestique et industrielle, t. 2, pl. o(Origine des instruments d'agriculture).

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apporter lui-même du fumier dans ses champs (1).Plias rapporte à Augias, roide l'Elide, l'un des Argo-naute3, la coutume de fumer les terres. Théophrasteénumère six différentes sortes d'engrais, et il affirmeque l'urine de l'homme, mélangée avec les poils depeaux tannées est un engrais propre à transformercertaines plantes sauvages en plantes domesti-ques (2).

Il appert de là 'que le rôle et la puissance desengrais étaient déjà pressentis, et que les curieusesexpériences modernes de l'agronome Vilmorin père,sur la transformation de la carotte sauvage en racinecomestible, au moyen d'une riche culture, ne sontpie la confirmation des assertions du célèbre natu-raliste grec que je viens, de citer.

Ce dernier ajoute de plus qu'un mélange de terreproduit les mêmes effets que la fumure. « L'argile;dit-il, doit être mêlée avec le sable, et le sable avecl'argile. n Il suit de là que la connaissance des amen-dements est fort ancienne.

L'air, suivant le mème philosophe, joue un rôleimportant dans le développement des plantes; il enest de même des localités ou du terrain.

Lorsqu'on lit son Histoire des Plantes ou son Traitédes causes de iavégétation, on est émerveillé de découvrirtant de faits nouveaux, tant d'aperçus ingénieux, tantde généralités lumineuses dûs aux efforts d'un seulhomme, placé dans des conditions aussi peu favora-

(I) Homer,, Odyss., XXIV, V. 225. - Cicer., De Seneclute,C. M.

(2) Théophraste, lot, citai.

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bics sous le rapport de l'expérimentation. En effet,Théophraste a pénétré dans les mystères de l'orga-nisme végétal aussi loin qu'il était possible de lefaire sans le secours des instruments d'optique. C'està lui qu'on doit la première connaissance des sexesdans les punies etde lathéorie de la fécondation, desdifférents tissus élémentaires, des fonctions desfeuilles, etc.

Les physiologistes modernôs n'ont eu qu'à étendreet à compléter les notions fondamentales établies parThéophraste vingt-deux siècles auparavant. Son his-toire descriptive comprend environ 500 plantes de laGrèce, de l'Asie-Mineure, de l'Egypte, de l'Ethiopieet des Indes, qu'il est souvent très difficile de rap-porter aux espèces connues de nos jours. C'est lepremier catalogue des richesses du règne végétal.

On peut dire avec raison que c'est Théophrastèqui a créé la botanique et la minéralogie, ces sciencessi utiles à l'agriculture, car avant lui l'étude desplantes et des pierres n'avait eu pour objet que leursapplications à la médecine ou à la métallurgie; lascience proprement dite des végétaux et des espècesminérales' n'existait point encore (1).

Il ne sera pas déplacé de consigner ici qualquesmots de biographie sur le personnagc dont je viensde résumer les remarquables travaux en histoirenaturelle.

Son vrai nom était Tyrtame ; il naquit à Eressos,dans File de Lesbos, l'an 371 avant l'ère chrétienne

(I) Cap., Eludes biographiques pour servir 4 Vhistoire dessc iences, 2' série, L804, TMophrasle, p. 20.

L'

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sou père était-un foulonnier du nom de Mélanthas.Venu très jeune à Athènes, il suivit d'abord lesleçons de Platon, puis celles d'Aristote dont il de-

vint bientôt le disciple le plus aimé et le plus-#brillant; aussi lorsque le célèbre chef de l'Ecolepéripatéticienne quitta Athènes pour se réfugier àChalcis, il en laissa la direction à son élève préféréil ne s'était pas trompé dans son choix, car sous cenouveau maitre le Lycée compta jusqu'à deux milleélèves.

C'est que Théophrastejoignait à un savoir immensetoutes les qualités qui font le grand orateur et le pro-fesseur entraînant. Il méritait bien le surnom que luiavait donné Aristote et que la postérité lui a conservé,d'orateur à la parole divine. Cicéron, en effet, dit delui que c'est le plus élégant et le plus érudit desphilosophes (1).

Sa vie tout entière fut consacrée à la philosophiepratique, à l'enseignement, àla composition des deuxcent vingt-sept ouvrages qu'il écrivit sur la gram-maire, la logique, la dialectique, l'art oratoire, la phy-sique, l'histoire naturelle, les mathématiques, lapoê-sie, la musique, la morale et même la comédie. Lors-qu'il mourut, à l'âge de cent sept ans, il se plaignait dequitter la vie au moment où il commençait à savoirl'employer.

f1 n'est parvenujusqu'à nous de ce grand philo-sophe que deux traités sur l'histoire du règne végétal,un traité incomplet sur les pierres, quelques écritssur la physique et la médecine, et des fragments

(I) Gicer.. Tuscut, lib. V, e. IX.

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d'oeuvres morales connues sous le nom de Carac-

tères (I).Après cette digression qu'on me pardonnera, je

reviens à mon sujet.

L'utilité de l'eau pour la végétation était bienconnue dès le temps d'llomère. Ce poéte historiennous dépeint un cultivateur courant, une bêche à lamain, au milieu de ses champs, dès qu'un orage arrivepour diriger l'eau au pied de ses'arbres et pour enconduire le surplus dans des cavités pratiquées ex-près dans le roc (2).

Strabon, Pausanias, Apollodore disent que ce futDanaiis l'Egyptienqni fit connaitre l'art de creusailes puits dans le pays d'Argos, contrée très pauvre eneau, quand ce prince y arriva (3). Quelques savantsmodernes pensent que c'est encore lui qui introduisiten Grèce l'usage des pompes, ce qui est assez pro-bable, puisque ces machines hydrauliques furentemployées en Egypte de toute antiquité (4).

Plus tard, les Grecs construisirent des canauxsouterrains pour faire écouler des masses énormesd'eau qui eussent submergé de vastes étendues de -pays au grand détriment de la culture et de l'hygiènepublique. Voici dans quels termes Jaubert de Passaparle de ces grands travaux hydrauliques

« Etait-ce l'ouvrage des hommes ou un caprice

(I) Cap., Inc. citai-, p. 17 et suiv.(2) Borner., 1/lcd., XXI, y . 280 h 208.(ai Strab.. 11h. IX, p. 317. - Pausantus, III, 19.— Apoilod.,

B, I.(45 L. Marus.. Noies sur Pline. liv. Vil, c. LVII -

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n

CLASSE DES SCIE'N&IES. 157

de la nature que l'issue mystérieuse dit Stympha-lide vers les côtes d'Argos '7 !) On sait que les eaux dulac s'écoulaient dans deux gouffres situés à l'extrémitédu bassin; lorsque ces ouvertures s'obstruaient, leseaux couvraient un espace de plus de 400 stades ou53 kilomètres.

Le fleuve Stymphale, que les habitants del'Argolida appelaient Erasinus, n'était pas le seuldont le cours fut en partie souterrain; l'Alphée, aprèsavoir disparu plusieurs fois sous terre (2), plongeaitdans, la mer, selon les traditions mythologiques, pouraller jùsquen Sicile, mêler ses eaux à celles de lafontaine Aréthuse.

« La plaine d'Orchomènes devenait marécageuselorsqu'on négligeait le curage des conduits souterrainsqui donnaient aux eaux du mont Trachys un écoule-ment régulier. La plaine de Caphys était quelque-foi inondée par les eaux d'Orchoménes. Pourabriter dune manière permanente laville et le-terroir,les magistrats decaphys firent élever une chaussée lelong du canal d'écoulement; les sources qui jaillis-saient en arrière de la chaussée formaient plus loin lefleuve (3)

La plaine de Phénée, voisine des précédentes,resta longtemps inondée. A une époque inconnue,mais reculée, un tremblement de terre, selon lesuns, un prince bienfaisant, selon les autres, fitouvrir deux, gouffres ou Zcrcthra qui évacuèrent les

(1) Strab., VI, C. III, § 9, otvIIl, e. IX, e 4.(2) Pausanias, VIII, 44, 64.(3) Ibid., VIII, 23.

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eaux et assainirent le pays (1); enfin le bassind'Arténiisium, situé près de Mantinée et surnomméArgos, à cause do sa stérilité, devenait marécageuxtoutes les fois que les eaux obstruaient l'issue ou legouffre qui servait à leur écoulement.Ce conduit sou-terrain se prolongeait jusqu'à Genethlium,ville situéeen tête du lac Biné (2).

Voici encore ce que nous trouvons, sur le mêmesujet, dans Barthélemy

La Béotie peut être considérée comme un grandbassin , entouré de montagnes dont les différenteschaines sont liées par un terrain assez élevé.D'autresmontagnes se prolongent dans l'intérieur du paysles rivières qui en proviennentse réunissent laplupart dans le lac Copaïs, dont l'enceinte est de380 stades (14 lieues 1/3 environ), et qui n'a et né peutavoir aucune issue apparente. 11 couvrirait doncbientôt la Béotie, si la nature ou plutôt l'industrie deshommes n'avait pratiqué des routes secrètes pourl'écoulement des eaux (B). -

« Dans l'endroit le plus voisin de la mer, le lac setermine en trois baies qui s'avancent jusqu'au pieddu mont Ptotis, placé entre lainer et le lac. Du fondde chacune de ces baies partent quântité de, canauxqui traversent la montagne dans toute sa largeur; lesuns ont 30 stades de longueur (plus d'une lieue), les

(1) JIkJ., VIII, 14, 1$.(2) PauSnius, VIII. 7, 20, 21, 26. - Jaubert de Passa, 11e-

cherches sur les arrosages p liez les peuples anciens, t. 1V,p ' 36. -

(3) Strab., lib. 9, p. 40&401.

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autres beaucoup plus (I). Pour les creuser ou pourles nettoyer, on avait ouvert, de distance en distance,sur la montagne, des puits qui nous parurent d'uneprofondeur immense. Quand on est sur les lieux, onest effrayé de la difficulté de l'entreprise, ainsi quedes dépenses qu'elle dut occasionner et du tempsqu'il fallut pour la terminer. Ce qui surprend encore,c'est que ces travaux, dont il ne reste aucun souvenirdans l'histoire ni dans la tradition, doivent remonterà la plus haute antiquité, et que, dans ces sièclesreculés, on ne voit aucune puissance en Béotie capablede former et d'exécuter un si grandprojet.

« Quoi qu'il en soit, ces canaux exigent beaucoupd'entretien. Ils sont fort négligés aujourd'hui (2); laplupart sont comblés, et le lac parait gagner sur laplaine. Il est très vraisemblable que le déluge, ouplutôt le débordement des eaux qui, du tempsd'Ogygès, inonda la Béotie. ne provint que d'un en-gorgement dans les conduits souterrains (3). »

Les produits agricoles de la Grèce étaient absolu-ment les mêmes que ceux de la Grèce moderne, àl'exception des prairies artificielles qu'on ne connais-sait pas encore.Lorsqu'on manquait de fourrages, quele foin des prairies naturelles et des communauxétait insuffisant, on avait recours au Gui et au Cytise.

(I) Strab., ici. - Wheler, A Journ., p. 460.(2) Du temps d'Alexandre, un homme de Chalcis fut chargé

de les nettoyer. (Strab., lib. 9, p - 407).(3) Barthélemy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, t. 3,

P. 295.

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On a cru reconnaître dans cette dernière plante,depuis Mathiole, le Medicago arborca de Linné.

La luzerne ordinaire (Medicago saliva, L.) s'intro-duisit en Grèce à l'époque de la guerre avec Darius,roi de Perse; on la nomma mèdike' botanè (Medica desLatins) parce qu'elle vint de la Médie, au dire deStrabon (1). M. Fée fait cette remarque qu'à voirla manière dont elle est répandue aujourd'hui enEurope, on la croirait dans son lieu natal, et l'ondouterait presque de la vérité de l'assertion deStrabon (2).

Les fèves tenaient le premier rang parmi les lé-gumes; on en faisait des bouillies et on les mèlaitaussi au froment pour la confection du pain. Les gla-diateurs d'Asie en mangeaient habituellement, autemps de Galien, pour donner de la souplesse et dudéveloppement aux chairs. Les forgerons les consom-maient à l'état vert pour combattre la constipation àlaquelle ils sont sujets. On les servait avec leurscosses, non-seulemént chez le peuple, mais mêmechez les riches. On leur attribuait, du reste, une foulede propriétés fantastiques, et on en fesait des offrandesexpiatoires aux mânes des morts dans la cérémoniedes Le'murics. Didyme et Pythagore, qui professaientque ces plantes recèlaient les âmes des morts, eninterdisaient l'usage à leurs disciples. Chez lesEgyptiens et d'autres peuples de l'antiquité, elles

(I) Strab,, il, boo. - Aristot, Deani,n., VIII. - Dioscorid.,II, 177. —Plut., Iji IYtd Epie., p. 444. - Isidor, On gin., 11h.XVII, 4.-

2) Fée, NoLes sur le livre XViII do Pline, toc. citai., 't. Il,P. 411.

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U

CLASSE DES SCIENCES..161

étaient frappées de réprobation;. ils croyàient voir

dans leurs fleurs des signes cabalistiques.-Le chou-fleur, originaire de Chypre, entrait déjà

dans l'alimentation, mais certaines plantes, qui neligurent plus depuis longtemps dans le régime euro-péen, étaient cultivées comme comestibles, tellesentre autres que la mauve et surtout la mauve aicéeque les pythagoriciens regardaient, comme propreà favoriser l'exercice de la pensée et la pratique de lavertu; le c/tcrvi , le cardamome, le silpfzium de Bios-corides, qu'on croit être l'asa-/'œtida , dont- lesOrientaux se montrent encore si friands qu'ils lui ontdonné le nom de mets des Dieux.

Nous comprenons d'autant moins cette adoptiondans les usages culinaires que la matière résineusequi imprègne toutes les parties de cette plante exhaleune odeur alliacée si fétide que les Allemands l'ontappelée Stercus dioboli, fiente du diable. II est vraique l'odeur du citron, qui nous parait si agréable,était en exécration chez la plupart des peuples an-ciens. Jamais dicton populaire ne fut plus sensé quecelui qui dit qu'il ne faut pas disputer des goûts etdes couleurs.

On sait que les Grecs estimaient beaucoup leraifort ou radis noir (Raphanus sativus, puisqueMoschion lui a consacré un volume entier. Il en étaitde môme de l'oignon, de l'ail, du poireau, auxquels lesEgyptiens rendaient un culte (1). Les Athéniens,grands mangeurs d'ail, en fesaient surtout usage euvoyage. C'était un préservatif contre l'ivresse, etcette

(I) Juvenal, Sol. 15,

l-1

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croyance populaire .était palt%gée par Hippocrate. Lesathlètes en avalaient quelques gousses pour avoirplus de force dans lb combat (1). On en donnaitaussi aux coqs pour qu'ils se battissent avec plusd'ardeur.

Je dirai,à cette occasion, que les Grecs, qui avaientune sorte de passion pour les combats de ce genre,estimaient surtout les coqs de Tanagra, en Béotie,parce qu'ils étaient non-seulement d'une grosseuret d'une beauté remarquables, mais de plus trèsbelliqueux. Aussi les Tanagrééns en fesaient un grandcommerce, et pour rendre la. fureur de ces oi-seaux plus meurtrière , on armait leurs ergots depointes de bronze (2)..--. Lejeu si cruel des coqueleuxde la Flandre a donc, comme on le voit, des ori-gines dâns un passé bien lointain, ce qui ne suffitpas, toutefois, pour le justifier et l'ennoblir t

Les principaux fruits co\nestibles étaient lesraisins, les poires, les pommes, les coings, les figues,les amandes; les mûres, les dattes et les olives. Laculture de l'olivier fut enseignée aux habitants del'Attique par Cécrops lEgyptien, qui vint s'établirdans cette partie de la Grècé vers 1643 avant J-C.Les Athéniens fesaient de leurs figues sèchesun commerce assez considérable et les exportaientjusqu'en Perse (3). On raconte qu'un des motifs de laguerre de Xercès contre les Grecs fut le désir des'emparer d'un pays qui produisait de si bons fruits.

(I) Aristoph., Les Chevaliers, V. 760.(2) Colurnelt., lib. 8,c. 8,c. 2. - varie, lib. III, C. -

Pline, X, C. - Barthélemy, toc- citai., 3, P. 255.

(3) Athénée, lib. XIV, p. M.

E'

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CLASSE DES SCIENCES.163

Les figues d'Athènes sont encore do nos jours engrand renom en Turquie (1). Ce fut un des metsfavoris de Platon, qui en tira le surnom do Phi1-sukos.

Le noyer, qui était inconnu des Grbs au temps d'A-lexandre, abondé on Perse, suivant Hassequitz, et il yforme des forêts presque entières. C'est •de betterégion qu'il fut transporté en Grèce, et que de là il srépandit ensuite dans toute l'Europe. Pline fait !remarque que les noms donnés aux noix par lesGrecs indiquent qu'elles viennent des rois de Perse;en effet, les meilleures s'appelaient, de son temps,Persiques et Basiliques (2).

Le botaniste de Mirbel a chcrché à piouvêr que légland, dont se nourrissaient les premiers hommes,et que les auteurs latins désignaient sous le nom deCIuw ni us vietus, comme si les Chaoniens avalent étà lespremiers à en faire usage, n'était autre chose que lanoix. « Le nom de jugions, dit-il, traduit du 'grec,semble être une preuve de sa haute antiquité, et nousreporte à ce temps où les glands formaient la prin-cipale nourriture des anciens habitants de la Grèce etde plusieurs contrées de l'Asie... .. Le mot Glandavait chez eux une signification très étendue; ilsl'appliquaient, en général, à beaucoup de fruits dontles coques ligneuses renferment une amande; ';'estainsi que le fruit du noyer était également pour euxune sorte de gland; sa saveur agréable, l'emportantsur toutes les autres espèces, ils l'ont désigné sous

(I) Spon., Voyage. t. 2, p 147.(2) Pline, XV,c. XXIV, 22- - - --

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le nom de Dios bal.sauos, gland de Jupiter, Jouis glansen latin et, par abréviation, Jugians, gland par excel-lence. C'est du moins l'opinion de Pline et deplusieurs autres écrivains distingués. » (1).

.3e ne puis adopter cette manière de voir. S'il estbien vrai que, d'une manière générale, les anciensdésignaient sous le nom de glandes, glands, les fruitsde presque tous les arbres, cependant, en étudiantbien le texte des auteurs; on voit que, dans un sensplus spécial, ils appliquaient ce nom aux fruits duchêne, dont un certain nombre d'espèces étaiehtdéjà connues (2).

Quant aux glands comestibles, dont la farine ser-vait encore, au temps de Pline, à faire du pain lors-quo les grains manquaient (3), il est évident que cen'était point ceux de notre chêne commun (Quereus

robue), qui sont amers, astringens, non mangeables,mais les glands doux fournis par le chêne ballote(Quereus ballota), arbre très répandu en Italie, enEspagne, en Grèce, sur les côtes de l'Asie-Mineureet dans le nord de ' l'Afrique.

Ces glands fort allongés, d'une saveur douce,agréable, voisine (le celle de la noisette ou de lachataigne, abondent en fécule et On sucre. Aujour-d'hui encore, dans la province de Salamanque enEspagne, le peuple les mange avec plaisir; pendantl'hiver de 1812, l'armée française, bivaquée dansd'immenses forêts entièrement formées de ces arbres,

(I) De Mirbe), Histoire des arbres fruitiers. - Couverchel,Traité des fruits tant indigènes qu'ewotiques, P. 567.

(2) Mine, XVI, C. Ii à X.(3) Flue, XVI, e. VI, 5.

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CLASSE DES SCIENCES.165

trouva dans ces fruits un moyen précieux d'alimen-tation. M. Fée qui signale ce fait dit avoir trouvé unfort bon goût à ces glands (1). Les indigènes del'Algérie, de la Tunisie, etc, en font une grandeconsommation après les avoir fait bouillir dans l'eauou cuire sous la cendre. Le célébre botanisteDesfontaines assure que c'est une nourriturerecherchée (2).

Théophraste et Strabon en ont parlé. Homère ditqu'on servait des glands doux sur la table desDéesses 8). Cornelius Alexander, cité par Pline,raconte que les habitants de Chio se maintinrent etgardèrent leur ville, encore qu'elle fut étroitementassiégée, n'ayant d'autre aliment que ces mêmesfruits, de sorte qu'ils contraignirent l'ennemi à leverle siège (4.

Les faines, ou fruits du hêtre, servirent également àla nourriture de l'homme, en même temps que lesglands doux; le nom de Fagus, donné à cet arbre,

dérivé de phago, je mange, indique bien cet an-tique usage. Le hêtre, si souvent chanté par lespoiMos, était suivant quelques auteurs, commun dansla forêt de Dodone, et c'était sous son épais ombrageque les prêtres d'Apollon rendaient leurs oracles;il etcertain qu'il est répandu dans toute la Grèce (5).

(I) Fée, notes 16 et 31 du liv. xvi de Pline. toc. ci! et., t. 10,P, 191 et 200.

(2) Desfoutaines, Mémoire sur te chCne Ballote du mont Anas(mém. de l'Académie des Sciences, 5790; p, 394).

(3) Homère. Odyss., XIiI, 242.(4) Pline, XV!, C. VI, ô.5) Fée, note 23 du liv. XVI de Lime. Loc.citat., p 19e.

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Le noisetier ou coudrier et le chataignier étaientaussi connus des Grecs. Le premier était originairedu nord de l'Asie-Mineure, le royaume de Pont,aussi ces fruits étaient-ils désignés chez les Romainssous le nom de Noix poutiques. Le deuxième vint pri-mitivement de Sardes en Lydie, de là le nom deGlands de Sardes que les Grecs donnèrent aux cha-taignes; celles qu'on recueillait sur le mont Idaétaient surnommées Leucena (1).

Dans l'ue de Chypre, en Crète, et dans plusieursautres !les de l'Archipel Grec, fertiles en figuiers,en grenadiers, qu'on disait plantés par Vénus, plu-sieurs espèces de Cistes (Cûthos des Grecs, Cistus desLatins), petits arbrisseaux à fleurs roses et blanches,fournissaient la résine aromatique nommé Ladanum,qui a joué un grand rôle tant en médecine qu'en par-fumerie, et qu'on brille encore dans les maisonsturques pour parfum3r l'air. Hérodote a trouvé lesCistes dans lArabie, et il dit que la résine ou ledanonqu'ils sécrètent se ramasse dans la barbe des boucset des chèvres qui ont brouté leurs feuilles et leursrameaux; U ajoute que ce Ledanon entre dans lacomposition de plusieurs parfums, et que c'est prin-cipalèment avec lui que se parfdment les arabes.Théophraste a aussi mentionné cette résine, quoDioscoridea bien décrite, et que Tournefort a encore'u récolter .en promenant sur les arbrisseaux deslanières de cuir attachées ensemble et disposéescomme les dents d'un peigne. On racle bnsuite les

(I) Couverohel, loc. citas., p. 134.

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CMSSE' DES SCIENCES.167

lanières avec un couteau, et l'on renferme la résinedans des vessies, où elle acquiert plus de consis-tance. (1).

Le seul document curieux que nous ayons sur lejardinage proprement dit, c'est la description parHomère du jardin d'Alcinoiis, roi des Phéaques,dans l'île de Corcyre (aujourd'hui Corfou), dutemps de l'expédition des Argonautes, c'est-à-direen 1250 avant l'ère vulgaire. Ce jardin, d'uneextrême simplicité, servit de modèle â tous ceuxqu'on établit par la suite; ceux-ci, comme eh généralceux des Perses et des Juifs, ne renfermaient quedes plantes utiles ils n'avaient, au dire de Boettiger,ni allées couvertes, ni bosquets, ni terrasses, nifleurs, ni parterres; en un mot, c'était tout bonne-ment des clos et des vergers (2).

Si chez les Grecs l'hdrticulture. proprement dite,c'est-à-dire l'art des jardins d'agrément, ne reçutqu'un très médiocre développement, « il faut, ditM. Ar-thur Mangin,l'attribuerprincipalement âl'exiguité duterritoire et des ressources matérielles dont dispo-saient les citées grecques, et plus encore peut-être àleurs moeurs et à leur état politique et social. Eneffet, la plupart de ces petits Etats avaient une cons-titution essentiellement démocratique point de rois,peu de personnages possédant de grandes richesses;

(f) Olôscor, I, e;- 110. —Pline, XXIV, o, XLVIII, 5.—Tourne-fort, Voyage au Levant, 1, 84.

(2) Voir sur le Jardin d'Àtcinol2s et en génrat sur lejardi-nage chez tes anciens, ,la: dissertation de- Boettiger, trad. de J.Bag, Paris, 1801; in-8. -

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pa±tàntpôint de ces palais qu'accompagnent de ma-gnifiquesjardins. Mais c'est peut-être dans la Grèceancienne qu'il faut chercher le premier exemple dejardins publics créés par les soins des magistratspour l'agrément des citoyens. Tels furent ceux del'Académie et du Lycée, à Athènes D (1).

Les jardins particuliers, en petit nombre, étaientcommunément situés dans les faubourgs des villes;ceux de Pisistrate, de Cimon et de quelques autrespersonnages étaient ouverts au public.

Comme les Grecs fesaient une grande consomma-tion de fleurs dans leurs temples et pour l'ornementde leurs tables et de leurs lits, ils durent évidem-ment les cultiver sur une assez vaste échelle. On saitqu'ils connurent les narcisses, les jacinthes,les ané-mones, les iris, les violettes, les roses, les myrthes,les lauriers-roses, et toutes sortes de plantes odori-férantes, ainsi que le rapportent Athénée et Théo-phraste (2).

C'est par la greffequ'on adoucissait l'amertumeet l'âpreté des fruits qui viennent dans lesforêts (3).

Le mythe de Cérès fesant connaîtra le blé et lamanière de le cultiver à Triptolèh1e, fils de Célée, roid'Eleusis, qui, à son tour, l'apprit aux habitants de

(I) Arthur Mangin, Les Jardins, histoire et description, I vol.grand iii-fol.; avec dessins. Tours, l.(nme et fils, édit. 1867, p. 4.

(2) Athénée, lib. lb, e. 9, p' 683.— Theophr., toc. citat. fib. 6,C. 6, p 643.

(3) Ariétote, 4e Plant., lib. I, e, 6. t.2, p' I0I6..- Theopti,lac. citat., lib. I, C. 6 et 7.

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CLASSE DES SCIENCES.169

l'Atique, n'est qu'une reproduction du mythe del'lsis-Egyptienne, avec laquelle la première Divinitédoit être confondue, au dire d'Hérodote.

L'orge réussissait mieux dans le territoire monta-.gneux de l'Attique que le blé, tandis que cette der-nière céréale venait fort bien en Béotie et y donnaitdes grains beaucoup plus lourds, au dire de Théo-phraste (1). Les récoltes de l'Attique étaient donc'Insuffisantes pour faire face aux besoins de la popu-lation, aussi était-on obligé, comme cela a encore lieude nosjours, d'importer du blé étranger, notammentde la Scythe, de l'Egypte, des rives du BosphoreCimmérien ou du Pont-Euxin. Ce supplément indis-pensable dépassa souvent un million d'hectolitres (2).

Disons, en passant, qu'au vi e siècle avantj.-C., lemédimne, unité de mesure pour les grains, corres-pondant à 51 litres 79, coûtait un-drachme (0fr. 93),doit 1 fr. 78 l'hectolitre, tandis qu'au iv' siècle, lamême mesure valait 3 drachmes (2fr. 79), ou 5 fr. 38l'hectolitre. Le prix monta jusqu'à 16 drachmes, soit28 fr. 63 par hectolitre, à la suite d'une disette quidésola la Grèce à l'époque de Démosthène (3),

C'est dans l'île de Salamine que les récoltes arri-vaient les premières à maturité. Les semailles sefai-baient, non avec le grain de l'année, mais avec celuide l'année précédente. -- Quand le blé tendait à venir trop fort en herbe, on

(I) Tbeoph,, loc. citai., Viii, 4, ê 5.(2) Démostb., C. Leptinem, ë 32, Reiskc. p- 467— De Corona,87, Reiske, p. 254. -(3) Démosth., G. Phorrnionem, ê 39, Reisk., p.0!6-

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l'arrêtait, comme on le fait chez nous, en le faisantpâturer par les moutons. - Quand la paille étaitabondante, on ne la coupait qu'à moitié, comme celase pratique encore dans certaines contrées, au granddétriment du rendement des fumiers, et on brûlaitle reste sur pied. Nous verrons que cette mauvaiseméthode fut adoptée «ans plusieurs parties de l'Italie.

Le millet était aussi cultivé, ainsi que le sésame;les graines oléagineuses de cette dernière planteétaient mangées, et il parait qu'on les tenait en grandeestime, puisqu'elles coûtaient le double des autresgraines; de même que le cumin. Les Orientaux enfont encore des gâteaux. a En 1840, dit M. Boulé, unnavire marchand chargé de sésame avait été brisésur les rochers de Magne. J'étais sur le bateau â va-peur qui vint recueillir les naufragés et les épaves.Quand nous descendîmes à terre, nous trouvâmesles habitants à demi-sauvages de la montagne, man-geant ou fesant cuire le sésame, - qu'ils avaient re-cueilli sans le moindre scrupule (1).

Dans les pays montagneux, dit M. Duruy, lesplaines sont d'ordinaire d'une extrême fertilité- LaThessalie, la Messénie; le Nord de l'Elide et del'Eubée, qui fut le grenier d'Athènes, ne démentaientpas ce principe. La Béotie devait aussi à ses nom-breux cour d'eau et à leurs dépôts longtemps accu-mulés une -surprenante fertilité, surtout la vallé infé-rieure du Céjhise, fécondée comme l'Egypte par desinondations périodiques. Mais les habitants, gâtés parcette nature trop généreuse, s'engourdirent dans lés

(I) Boulé, Journal des Savants, mai 1866,,p..281.

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CLASSE DES SCIENCES.171

plaisirs sensuels. Tandis que l'Attique, si pauvre, secouvrait d'une active et ingénieuse population, laBéotir, nourrit un peuple dont la paresse d'esprit de-vint proverbiale, bien qu'il ait compté Hésiode etPindare parmi ses enfants.

« Les réglons élevées de l'Arcadie et ses valléesverdoyantes que mille ruisseaux arrosent, avaientpour habitants une race d'hommes qui ont quelquestraits de ressemblance avec les Suisses pat' leursmoeurs simples et pastorales, leur esprit belliqueux,leur amour du gain et leur dispersion en de nombreuxvillages.

« Prise dans son ensemble, la Grèce n'était pasassez fertile pour nourrir ses habitants dans l'oisivetéet la mollesse; elle n'était pas assez pauvre non pluspour les contraindre à dépenser toute leur activitédans la recherche des moyens de subsistance. Ladiversité du sel leur imposait cette diversité de tra-vaux qui multiplie les aptitudes et excite le génie despeuples, qui provoque la variété des idées par celledes connaissances, c'est-à-dire la civilisation. Deleur sel, les Grecs reçurent bien plus qu'aucun autrepays l'obligation d'être à la fois pâtres et labeuireurs,mineurs et marchands; ajoutez en face et à proxi-mité des contrées alors les plus civilisées, la Lydie,la Chaldée, la Phénicie, l'Egypte et Carthage (1). »

Quoi qu'il en soit, les Grecs ne manifestèrent jamaisun goût très prononcé pour les travaux des champs;il y a plus même, les races guerrières de la Laconie,de la Messénie, du Péloponèse, professant peur ces

(I) Duruy, histoire qrecque. 3 édition, Paris, 1861, p.8.

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travaux un insurmontable dédain, abandonnaient lessoins de la culture à leurs femmes et à leurs esclaves.Voilà pourquoi, de l'époque d'jiésiode à la domina-tion romaine, on ne remarque pas dans l'agriculturegrecque de bien grandes améliorations.

II y a plus encore; la Grèce qui, pas plus quel'Egypte et les autres nations de l'Antiquité, n'eutun système régàlier de culture et ne sut pas en-tretenir constamment les terres dans un même étatde production par l'apport continuel et suffisant dematières fertilisantes, tant organiques que minérales,la Grèce vit peu à peu s'abaisser le chiffre de ses ré-coites en tous genres. Voici, à cet égard, ce que ditl'illustre chimiste Liebig

Longtemps avant la légende de la fondation deHome, le peuple de la vieille Grèce et des côtes del'Asie-Mineure était entré dans la voie de la cultureet de la civilisation; mais, avant même quo Homeeut étendu son empire sur le monde alors connu, tousles symptômes de la décadence se révélaient dansl'épuisement de son sol. Déjà 700 ans avant la nais-sance du Christ, la réduction de la fertilité se mani-festait par l'émigration en masse des Grecs vers lesbords d6 la Mer-Noire et de la Méditerranée, ainsique par le dépeuplement progressif et la désolationdu pays.

« Avant la bataille de Platée (479 ans avantJ. -C.),Sparte put encore réunir 8,000 guerriers pour combat-tee les Perses. Cent ans plus tard, d'après Aristote (1),le même Etat n'en comptait pas 1,000 en état de porter

(I) Polyb. I], 0, 11, 12.

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CLASSE DES SCIENCES.173

les armes, et 150. ans après, Strabon se plaint de ceque des cent villes de la Laconie, non compris Sparte,il ne restait, de son temps, qu'une trentaine de bourgstout .au pins. Cent ans après Strabon, Plutarque dé-crit l'état triste et désolé de la Grèce et du vieuxMonde (1). Mais Rome aussi devait subir le mômesort. » (2)

Bien. que les anciens Grecs fissent au dieu Panl'honneur de l'invention du pain,,cet aliment ne leurétait pas familier, ou du moins la préparation à la-quelle on donnait ce nom différait notablement decelle à laquelle on l'appliqua plus tard. Us mangeaientla farine de blé simplement pétrie avec de l'eau,de la bouillie d'orge torréfiée, qu'ils nommaient AI-

phiton 0e polenta des Latins), et des galettes d'orge,nommées Maza. Ils mêlaient souvent à ces diversespréparations du lait, du miel ou du vin. Ce n'est quefort tardivement qu'ils confectionnèrent du véritablepain avec de la farine de blé et du levain.

Avant, et même après l'intention des fours à cuirele pain, on se servait, pour cet usage, d'un vase cou-vert, en terre cuite, percé de petits trous sur sonpourtour,et qui portait le nom de Clibanos ou Gribanos;après y avoir introduit la pâte, on l'entourait de cen-dres brûlantes, dont la chaleur, pénétrant par lestrou , donnait une température plus régulière et plus

(I) F'lutarq., mor., P. 413.(2) Liebig, Les lois naturelles de l'agriculture, traduit d'après

la dernière édition allemande, par M. Scheler, t. I, P. 113.

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174ACADÉMIE DE ROUEN.

égale que n'aurait pu l'être celle d'un four ordi-naire (1).

Athènes, qui après le règne de Périclès, était de-venue la reine des lettres, des arts et de l'élégance,devint aussi célèbre par l'habileté de ses boulangerset de ses cuisiniers; elle livrait à la consommationpublique une vingtaine de variétés de pain, parmilesquelles il s'en trouvait d'une grande blancheur etd'un excellent goût (2).

Suivant ce que rapporte Platon, l'art du boulangeraurait reçu en Sicile, un siècle avant lui, de notablesperfectionnements de la part d'un nommé Théa-non (3).

Les Cappadociens faisaient des pains très délicats,analogues à nos pains viennois, en ajoutant à la farinede blé un peu de lait, d'huile et de sel (4).

• Quel était le poids, quel était le prix du pain âAthènes? C'est ce que l'on ne sait pas d'une manièrepositive. On voit dans le discours de Démosthènecontre Phormion (5) que, lors d'une disette en cetteville, on distribua aux habitants du Pirée des painsdont chacun valait une obole, c'est-à-dire 15 centimesde notre monnaie. Dans la Lysisfrata d'Aristophane (6),il est question d'un pain fait avec une clzduice defarine (1 litre 07); mais,d'après le Scholiaste du même

(I) Dioscoride, 11,8! et 96.— Isidor, Ong., XX, 2— Columoli,V, 10, 4.Pline, XIX, 0.3.

(2)Archestr. et Antiph., Apud A (hen,, Eh. III.(3) Plate, in Gong., I, p. 518.(4)Athénée, lib. III, C. 28.(4) Demosth., C. Phornijoneyn, e 27. - Ileisk, 918.e) vers 1208.

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CLASSE DES SCIENCES.I75

poète, il y avait orainairement dans une chénjcequatre grands pains et huit petits (1).

Comme, ainsi que le fait remarquer M. Caillemer,on retrouva le même-prix d'une obole à des époquesbien différentes, au y' et Iv' siècles, alors que le prixcourant des céréales avait pourtant subi de notableschangements, il est permis de croire que les boulan-gers athéniens, tout en continuant de vendre leurmarchandise d'après le même tarif, n'avaient pasmanqué d'en diminuer le volume 2).

Les vainqueurs auxjeux d'Eteusis recevaientcommerécompense une mesure d'orge. II est probable qu'onajoutait à sa farine de la farine de blé pour améliorer laqualité du pain qu'on en fabriquait. A Sparte, où lerégime était si sévère, cette même farine était la basede la nourriture habituelle (3).

L'orge mondé était considéré comme un alimenttrès sain et très substantiel; on l'appelait Ptizo, quiveut dire j'écorce, parce qu 7 i]: était dépouillé de sonenveloppe extérieure par -le frottement; c'est de cemot que les Latins firent Ptisa&?aet nous Tisane (4).

Nous devons à Athénée la recette d'un mets fort es-timé des gourmets, dans lequel cet orge mondé jouaitle principal rôle. Le grain, moulu grossièrementdans un mortier, était additionné d'huile et cuit len-tement dans un vase approprié; ou remuait cons-

(1)Soholia in Vespas, Didot, p. 145.(2)Cailllemor, Noies sur le prix des denrées alimentaires d

AMènes (Méat de lAcadém. de Caen, vol. de 1870-1877, p. 600.(3) .JEtian., Par. ldslor., lib. XIII, C. 38, - Athée., Jib. IV.

- Stob, Sertit., 29, p. 208.(4)Pline, XVIII • e. XIV et XV.

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tamment cette bouillie, à laquelle on ajoutait de tempsen temps du jus de poularde, de chevreau ougneau, en ayant soin qu'elle ne se répandit pa ts horsdu vase ; on la servait quand elle était amenée aupoint convenable (le,duissolC(l) . Ou comprend que

cette espèce de polenta devait être fort nourrissante.On confectionnait des espèces de pàtés de lièvres,

de bec-figues et de petis oiseaux qui voltigent dansles vignes (2).

On trouve dans les écrits des podtes, des phito-.sophes, des historiens, des médecins des géographesune foule d'indications qui témoignent que l'art culi-naire était arrivé, à l'époque florissante d'Athènes,à un assez haut degré de perfection. - Archestrate,contemporain et ami d'un des fils do Périclès, à lasuite do longs voyages pour étudier les productionsvégétales et animales des différents climats et recueil-lir les meilleurs procédés culinaires us ités chez les

divers peuples du monde connu, composa un poémesur la gastronomie. C'était un trésor de science dontchaque vers, au dire de Théotiine, contenait un pré-cepte. Malheureusement cet ouvrage n été perduon en retrouve seulément des citations éparses dansles auteurs (3).

Il en a été ainsi des ouvrages composés sur lemême sujet par Mithœus de Sicile (4), 'TuméfliUs

(I) Athén., lib. III, e, 38.— Casaub., in Athen., P. 15I.-

(2) TCIOeL, ap. A-heu., 1W. XIV, e.14. - Poil., lib. VI, C. Il.

78.(3) Affiéne, lib. 5, e. 20. - Ibid., 7, C. 5. - Barthélemy, toc,

cUat., t. 2, P. 466.(4) Plat., in Gorg., J, P. SIS.

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CLASSE DES SCIENCES.177

d'ITéraclée, Hôgémon de Thasos, Philoxène de Leu-cade (1), Aclidès de Chio.,Tyndaricus de Sicyone (2).

Il y eut en Sicile et à Sybaris, dans la grandeGrèce, des académies gastronomiques où tout ce quia trait aux délices de la table était soumis â de sa-vantes discussions (8).

Outre l'ail, l'oignon, le poireau, le silphium, dontj'ai déjà parlé, les cuisiniers grecs employaient pourleurs sauces ou ragoûts une foule de condiments, telsque le sel, le poivre, le vinaigre, l'huile, le miel, lesésame, les raisins secs, les câptes, le cumin, la co-riandre, le persil, le fenouil, la menthe, l'origan, lethym, le cresson, les carottes, le freinage râpé, lesjaunes d'oeufs, les olives confites dans la saumure,les huîtres et autres coquillages, etc. (k).

On inventa une foule de gâteaux qu'on confection:naît avec de la farine, du lait, de l'huile et le mielfameux du mont Hymette; en y associait souventdes oeufs, du fromage, des fruits ou des plantes aro-matiques. On connaissait les oublies, pâte de farineet de miel réduite en feuilles minces qup la chaleurdu brasier faisait rouler sur elles mêmes et qu'onservait toutes chaudes pour les tremper dans du vin.On faisait des espèces de beignets avec de la farine de

(I) Ath Ail., 1, C. b.(E Athén-, XIV, c.23.— Poli., e. le, M 71. - Barthélemy, loto

citai., 2, p. 465.(3) J.-B. Gant, Mémoire sur l'historique de la confiture depuis les

Hébreux jusqu'à nos jours (R(perteire des travaux de la SociétéJe statistique do Marseille, t. 26, p. 321; 803,

(4)Athûuûe, lib. 11l, 0. 26. - Poil., VI, C. 10, e 66.— Arebestr.ap. Athen., VII, e. 5,— Schel. Aristepli., in eqWl. ., V, vos.

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sésame, du miel et de l'huile, dont le mélange bienbattu était cuit dans une poéle. Il y avait des iourtesavec des amandes et des raisins (1).

Le philosophe Bien disait t o II n'y a quA les gâ-teaux ou le vin de Thasos qui puissent plaire à tout

le monde. » -Les Laédémôniens, beaucoup plus frugals que

les autres Grecs, avaient une cuisine fort simple,même grossière. Tout le monde a entendu parler dece brouet ibir dans lequel ils trempaient leur painet qu'ils préféi'aieht aux mets les plus exquis.Meurius conjecture quo ce brouet n'était autrechose que du jus de viande de pore auquel on ajou-tait du vinaigre et du sel, seuls assaisonnements enusage chez ce peuple si sobre (2). Hicafd avance quec'était une espèce de potage et ajoute qu'on en faisaitun autre avec des anguilles, qu'on appelait le potage

blanc (3).J'ai parlé tout à l'heure du vin de Thasos, qu'Ans-

tophane comparait an nectar (4), et qui, à partir de ladomination athénienne dans cette 11e, cominonQa àacquérir de la célébrité, à devenir de mode à Athèneset à se répandre dan-,'toute la Grèce.

« O merveilleux antidote t s'écrie Athénée. Verse-moi du vin de Thasos. Quelque soit le souci qui me

(u) Casaub. in Atheji., p. 131.— Antidot. ai). Athen. 111, C. 25.- Atliéfl. XIV, C. (4. Poil., VI, C. Il, 78.

(2) Meursius, Miscet. iacon., lib. 1. c.8, 12, 13. —PIuL., de sanit.tuend., t.2, p. 128. - Ibid., InglU. tatou., t. 2, P. 286.

(3) Ricard, Noie . 41 sur la vie de Lycurgue de Plutarque. -Loo. citai., t. I, p. 235. -

(4) Anistoph., in Plut., V, 1022. - Pline, XXXIV, C. VII.

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ÇLASSE DES SCIENCES.

ronge, dès que j'en ai bu je reviens à la vie. C'estEseulape qui a répandu ceLte douce liqueur sur laterre (I). ,,

Chez les Romains de l'Empire, ce vin jouait ungrand rôle dans leurs débauches. Aujourd'hui, prove-nant de vignes cultivées sans soins et comme au ha-sard, puis fabriqué grossièrement, il ne se garde paet n'a plus de valeur (2).

Très souvent la date du vin était marquée surles amphores parle nom du magistrat sous lequelil avait été obtenu. C'est à Athènes surtout que l'ona trouvé un assez grand nombre d'anses d'amphoresportant le nom des Thasiens (3).

Mais il yavait bien d'autres vins tout aussi renom-més; tels étaient, entre autres, ceux de Nax'os,de Chie,de Lesbos, de Mendé, de Rhodes, do Chypre,de Corcyre qui s'exportaient dans le monde entier(4).Comme ils étaient très alcooliques et d'une consis-tance syrupeuse, pour ne pas.dire plus, on ne pou-vait les boire qu'avec de l'eau. Cléomène, roi deMacédoine, ayant voulu, au dire d'Hérodote, boiredu vin pur, selon la coutume des Barbares avec les-quels il traitait (les Scythes), fut pris d'un accès defolie. C'était de Bacchus lui-môme .qu'Ampbyctioû,roi d'Athènes, avait appris, le premier, suivant lestraditions reçues, à tempérer la forée du vin par

(1) Athen,. I, si.(2) 0, Perret, ildinoire sur lite de Thasos (Arehiv. des missions

scientifiques,série;, t. J, P. 55.(3) G. Perret, Sceaux trouvés sur des anses d'amphores 1ko-

siennes. (Revue archéologique. 1861.)(4) Aristoph., in Plut,, V, 1022. - Pline, XXXIV, e, vii.

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l'eau. Achille, dans l'Iliade, prescrit de ne mêler quepeu d'eau au vin que l'on sert à Ulysse, en raisonde son âge et de ses fatigues. Le mot Tettara désigne,dans Homère, un vin mêlé à partie ég.tle d'eau. Se-lon Athénée, on buvait le vin avec 2 1/2 à 3 partiesd'eau; cela devait dépendre, d'ailleurs, du degré deconcentration du vin lui même, ce qui variait beau-coup (1).

Mais les épicuriens préféraient la proportion con-traire, et sur la fin des repas ils oubliaient volontiersces règles austères. C'est ce que nous apprend lericheDinias donnant à souper à plusieurs de ses amis,« Solon, dit-il, nous défendait le vin pur. C'est detoutes ses lois peut-être la mieux observée, gràce àlaperfidie de nos inarchnds, qui affaiblissent cetteliqueur précieuse. Pour moi, ajoute Dinias, je fais

venir mon vin en droiture; et vous pouvez êtreassuras que la Loi de Solon ne cesera d'être violéependant tout ce repas » (2).

En achevant ces mots, Dinias se fit apporterplusieurs bouteilles d'un vin qu'il conservait,de-puis dix ans, et qui fut bientot reinplaeê par un vinencore plus vieux (3).

Le frelatage des vins avait nécessité à Athènes lacréation d'un contrôleur général pour s'y opposer.L'histoire grecque nous a transmis le nom du caba-retier Canthare, qui excellait dans la pratique des

(I) Athen., X, e 7. - Ustod-, oper., V, 596.— Aristoph., V,

1133(2)Alex. ap. Athen., X, e. 8.

(3)Ath., 11h. XI Il. - Barthélemy, toc- citai., t. 2, P. 474.

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CLASSE DES SCIENCES.181

mixtions les plus ingénieuses on disait artificieuxcomme Canthare. Sous la main de cet artiste l'eauacquérait des qualités vineuses auxquelles les oeno-phiies les plus distingués de l'époque se plaisaient àrendre hommage. -

On voit que lemouillage des vins a une antiquitérespectable, et que bon nombre de nos marchandsmodernes possèdent leurs auteurs grecs

Souvent on fesait sécher les raisins au soleil, pen-dant plusieurs jours, avant de les presser; c'est ainsiqu'on agissait pour faire le vin dit Diacltyton (1).

Ce procédé, qui complétait la maturité et par suiteaugmentait la proportion du sucre, est encore prati-qué dans plusieurs iles de l'Ârchipel,cn Espagne, enItalie, et dans nombre de localités de France, princi-paiement à Limoux, aux environs de Saumur, enTouraine, là où on fait le vin de paille.

D'autres fois, on tordait les pédoncules desgrappes avant leur entière maturité, et on les laissaitdans cet état longtemps encore sur la vigne; le jusobtenu, on l'empêchait de fermenter complètement,en'e soumettant à une basse température, comme.par exemple, en plongeant le vase qui le renfermaitdans de l'eau froide; c'était une espèce de vin douxet mousseux, nommé Mgteueos. —Nos vins,d'Arbois,de Château -ChMons en Franche-Comté, de Condrieu,de Rivesaltes, les célèbres vins de Tokai et de Johan-nisberg sont encore obtenus, à notre époque, avecdes raisins qu'on laisse dessécher et m&me pourrit- enpartie sur leurs ceps.

(I) Pline, XLV, c. xi.

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Parfois, on ajoutait au moût fermenté une certainequantité d'eau de mer; on avait ainsi ce qu'on appe-lait Tethalassomenort ou vin mariné, qu'il ne faut pasconfondre avec celui qu'on appelait Thalassites, par-ce qu'il avait été plongé dans la mer dans des jarres'hermétiquement fermées pour le faire mûrir (I).

Lés Vins de Zacinthe et de Leucade étaient addi-tionnés de plâtre; sans doute pour retarder leurfermentation et les rendre, parsuite, plus alcooliqueset plus colorés (2). On agit encore ainsi dans leRoussillon et dans certaines parties du Languedocpour obtenir les vins dits de Couleur ou vins teinturiersqui servent spécialement à colorer les vins de nuancetrop pâle, ou à changer les vins blancs en vinsrouges.

On aimait aussi en Grèce les vins doux et par-fumés. En certains endroits, on les adoucissait en je-tant dans le tonneau de la farine pétrie avec du miel (3).Presque partoutonymêlait de ]'origan, des aromates,des fruits et des fleurs (4). Souvent aussi on associaitdes vins odoriférans et moelleux avec des vins dunequalité opposée. Tel était le mélange du vin d'Ery-thrée avec coluid'Héraclée (5).

Le vin Siréen (sirœum) ou Sapa étâit extrêmement

(f) Pline, XIV, e. x. - Athon., 1.(2) Allier., 1, C. 15.— Eustath., in llomer. Odyss., 11h, VII. -

Palladius, XI, 14. - caillemer, Etude sur le plétrage du vin(Bulletin de la Société de statistique d'Isère, 3 série, t. I, p. 384.

(3) Athen., I, P. 20. -. Théophrast,, op. Atiien., p. 32.(4) Aristot., Problèm., section 20, t, 2, p. 776. - Spanli. in

Plut., Aristoph., Y, 809.(5) Theophr, ai) Athen., p. 32.

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CLASSE DES SCIENCES.183

doux, épais; il servait à falsifier le miel; on le pré-parait en faisant bouillir le moût jusqu'à réductiondes deux-tiers A. Sparte, on réduisait le moût d'uncinquième sur le feu et on le conservait pendantquatre ans avant de le boire (I).

Le Prétropura était du vin concentré par la chaleurdu soleil (2).

On mêlait souvent de la neige au vin pour le refroi-dir. C'est ce qu'on fesait, au reste, depuis longtempsen Palestine, dès le temps de Salomon (3). On rap-porte qu'Alexandre, fesant le siège de Pétra, et neperdant pas de vue les délices de sa table, fit creuser,dans un endroit ombragé par un gros chêne, trentefossés qu'on remplit de neige ; on ajoute qu'elle s'ycônserva longtemps (4).

Un bas-relief de composition grecque nous montrecomment, dans l'origine, on extrayait le jus desraisins. On voit un grand panier rempli de ces fruits,sur leqûel des faunes s'efforcent de placer un grosbloc de pierre, tandis que trois autres le soulèventavec un levier pour le faire tomber sur les fruits.

Bientôt les difficultés et les imperfections de cetteméthode firent imaginer une machine à pression plusrégulière et plus active. Les effets physiques du coin:déjà connus , reçurent une application heureuse.

(I) Democrit., Geopon, Lib. 7, e, 4.— Paflad. ap- scriptores reirustic.,, lib- II, tUF. 14, t. 2, p' 900.

(2) Plia., XIV, e.8,9, il.(3) Preverli., XXV, 13. Jerem., XVIII, 14. - Harmer.,

Øbserv. sur divers passages de I'Ecriture, II, p. 556, dit.. deClark.

(4) Athen., 111, ni. - Beckman, III, p. 344.

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184ACADÉMIE DE ROUEN.

On forma, avec des madriers, un cadre dont la basefixée en terre présenta une grande résistance à l'effortdes coins. On ajouta une table ou mai pour recevoir lesraisins ; on chargea ceux-ci avec des solives et descoins posés a1terntivement. Enfin on obti:t uneforte pression en frappant avec le marteau. Tel est lepressoir trouvé parmi les peintures d'Herculanum,ville plutôt grecque que romaine. Il a une grandeanalogie avec celui dont on fait encore usage auxenvirons de Portici (1).

C'est dans des outres qu'on conserva d'abord etqu'on transporta le vin. Les vases en terre, qui de-mandaient plus d'habileté dans la fabrication, vinrentensuite; les tonneaux, ustensiles plus compliqués etplus dificiles de construction, furent inventés beau-coup plus tard. Dans les pays où les chemins n'étaientpas praticables, comme dans une grande partie de laGrèce, l'usage des outres persista, même après l'in-'vention des tonneaux. On en construisait d'unegrande capacité en employant des peaux de boeufs, eton les voiturait sur des charrettes, ainsi qu'on le voitsur un bas-relief antique, publié par Poetus (2). Ontransporte encore aujourd'hui le vin et l'huile dansdes outres et à dos de mulets dans quelques départe-ments de France et dans presque toute l'Espagne.

Les vignerons de l'antiquité connaissaient et utili-saient les propriétés insecticides des produits empy-reumatiques pour combattre un fléau, analogue auPhylloxera, qui ravageait pat-fris les vignes de la

(ij De Lasteyrie, toc. tuaI., t. 2, p. 103.(2) Poetus, De tnensuris.

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CLASSE DES SCIENCES. 185

Grèce. Dioscoride, Strabon, Pline font mention d'unema fière terreuse nomméeÂmpelitis, qui n'était, selontoute apparence, qu'un schiste bitumineux noir qu'onmettait au pied des vignes pour tuer les insectesqui s'y rassemblaient. « Lorsque la vigne est attaquéepar dds poux, dit Strabon j on fa frotte avec unmélange d'ampélite et d'huile. La petite bète setrouve ainsi détruite avant d'avoir pu monter de laracine aux bourgeons t ....Ailleurs , il ajoute qu'onemployait au même usage le bitume mou ou maithe,si abondant en Epire, notamment à la base septen-trionale des monts Acrocérauniens,aujourd'hui montsde la Chimère (1).

« On voit, dit M. Balbiani, que les moyens actuelspour arrêter les progrès du phylloxera ont leur originedans le passé (2). »

On trouve dans les géoponiques de Florentinusdes recettes pour préserver les arbres et les vignesdes êtres vivants qui s'attaquaient à leurs racines.Voici ce qu'il dit s Broie la terre rouge de Lemnoset l'origan avec de Peau, puis enduis-en les racines, etplante, tout autour, de l'oignon marin. Si tu fichesautour des arbres des pieux de bois de pin maritime,les verres mourront (3). »

tJes Grecs, à l'imitation des Orientaux, fesaient ungrand usage du vinaigre, on plaçait sur lès tables

(t) Strabo, lib. 'Vil, e. 5, à 8, p- 262.(2)Comptes-rendus de I'Âcadùmie des Sciences, t. 83, séance

du 27 novembre 1870.(3) Florentines, com,neniarii de re rvslied. - Geopon, lib. X,

o. xc. - Poulet, Lettre à M. Damas (comptes-rendus de l'Acad,des Sciences, L. 83, séance du 11 décembre 1870, p. 1166).

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186ACADÉMIE DE ROUEN.

une coupe pleine de ce liquide pour y tremper lepain; cette coupe, nommée oxabaron, qui signifie litté-ralement vase de vinaigre à tremper, était en fineargile rouge. Les Romains l'appelaient acetabulum ou

vinai qrier{1). Les vinaigres de Cnide en Agie-Mineure,desjhette et, de Décélie, non loin d'Athènes, étaientles plus estimés (2).

Les Lacédémoniens apaisaient souvent leur soifavec du petit lait, et cette boisson est encore en usagedans le pays. Ce petit lait provenait de It fabri-cation des fromages, parmi lesquels celui de Gythiumavait un grand renom qui persiste dans les mêmeslieux (3).

Aristote parle de la bière et de l'ivresse qu'elle,produit. Théophraste nomme cette boisson oinos

crithès, vin d'orge; Eschyle et Sophocle l'appellentzut/zos Ôruton (. C'est bien certainement aux Egyptiens qu'ils en durent la connaissance.

Une autre boisson fermentée, qui n'est plus guèreusitée de nos jours que dans le Nord de l'Europe,l'hydrornet, était généralement répandue dans lesrégions asiatiques et en Grèce ; l'hydromel dePhrygie était le plus estimé. La simplicité du modeopératoire avait dù contribuer à vulgariser cette

- (I) Isidor, Ong., XX, 4, 12.— Apic., VIII, 7. - flip. Digest.,XXIV, 2, 20.

(2) Athen., II, 67.(3) Lacédémone ancienne, t. 1, P. 63 et 64.— Barthâlemy, ioc.

citai., t. 6, p. 187.(6) Diodor. Ski!., C. XX et XXXIV.—Columell, X, tt6.--Pïine,

XXII, e. LXXXI. - Fée, Noies du livre XIV de flint, t. 9, p. aa.

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CLASSE DES SCIENCES.487

boisson. On délayait une partie de miel dans troispartLis d'eau de pluie bouillie, on lÉtissait ferinenïerau soleil, et le dixième jour on mettait en barils (1).

Le miel fut la matière sucrante de l'antiquité, carle sucre de l'Inde, de la Chine, de l'Arabie, qui n'é-tait, à vrai dire, qu'un sirop ou une sorte de casso-nade, le Miel de roseau ou le Sacchar (mot sanscrit, quidevint plus tard le saceharon des Grecs, le saccharumdes Latins, et enfin notre mot français sucre), n'étaitusité qu'en médecine. Originaire de l'Inde, ce sucrefut introduit en Europe à la suite des conquêtesd'Alexandre. Les Egyptiens en firent alors un grandcommerce. Théophraste, Strabon, Dioscoride, Sé-nèque, Pline, Arrien, Galien, puis beaucoup plustard Paul d'Egine en firent mention, mais sans avoirdes notions bien précises sur sa véritable nature etsur la manière dont il était obtenu. Voici quelquescitations qui le démontrent

Théophraste dit qu'il y a trois sortes de miell'un formé dans les fleurs et les plantes où s'élaboresa douceur ;l'autrè, provenant de l'air d'où il tombeà l'état liquide, distillé parle soleil, ce qui a lieu sur-tout au temps de la moisson; et le troisième, qu'ontrouve dans les roseaux. Il ajoute que le miel de l'airconstituait la manne des Arabes, et que le miel deroseaux, appelé aussi Gannamèl, était extrait de lacanne en un suc épais, avec lequel confisaient lesanciens, qui ne savaient pas le préparer autre-ment (2).

(I) Diodor. Sicil., v,79. - Pline, XIV, e. XX, Il.(2) Theoplir., fragment sur le malle.

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Il est évident que Théophraste a confondu sous lenom de miel trois produits d'une nature bien diffé-rente. Un seul d'entre eux, celui qui est récolté sur,les fleurs, est le véritable miel des abeilles. Le Mieldes roseaux ou Gannamel n'est autre chose que le sucrede canne. Quant au Miel de l'air, c'est le suc sucré quiapparaît sur les feuilles d'un grand nombre de végé-taux (tilleul, aune noir, érable, rosiers, etc.) lorsqu'ilssont atteint de la maladie désignée sous le nom demiellée ou miellat. M. Boussingault, qui, dans l'étéde 1870, a fali l'analyse de cette matière sucrée qu'ilavait recueillie sur les feuilles d'untilleul des Vosges,y a trouvé du sucre de canne, du sucre liquide et dela dextrine, absolument comme dans la manne du montSinaï et dans les mêmes proportions relatives. C'estdonc le parfait analogue de cette dernière substance,avec cette différence toutefois que , tandis que lamanne duSinaï se produit sous l'influence de la pi-qûre d'un insecte (le coccus mannparus), la mannedes Vosges est le résultat d'une maladie spéciale etindéterminée de l'arbre qui la secrète. Il est assezremarquable d'avoir trouvé dans les Vosges la mannedu mont Sinaï (1)

Le géographe Strabon relate qu'il y a dans l'Indeun roseau produisant du miel sans abeilles (2).

Dioscoride écrit qu'on appelle saceharon une espècede miel qui se trouve aux Iude,s et dans l'Arabie heu-reuse, concrété dans des roseaux, semblable au sel

(I) Boussingault.—t]ømptes-rOndUS de l'Académie des Sciences,1872, t. 74, p. 87.

(2) Strabon, lib. XV, loin..

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CLASSE DES SCIENCES.189

par sa consistance et friable sous la dent comme le -sel (1).

Sénèque rapporte • qu'on trouve dans les Indesdes roseaux dont les feuille3 distillent du miel, pro-venant - de la rosée du ciel ou de la sève de la planteelle-même, avec sa consistance et sa douceur natu-relles (2). »

Pline s'exprime ainsi : « L'Arabie produit du sac-charon, mais celùi des Indes est préféré. C'est uneespèce de miel qui s'amasse sur des roseaux. li estblanc comme de la gomme et se casse sous la dent.Les plus gros morceaux sont de la grosseur d'une•aveline. La médecine seule en fait usage (3).

Arrien assure que le miel des roseaux s'appellesaccliaria (4).

Galien et: Paul d'Egine mentionnent le sucre sousle nom de sél indien, qui, dit ce dernier, u la couleuret la consistance du sel vulgaire, avec le goût et ladoucèur du miel (5).

Il appert de tout ceci que si l'antiquité n'a pointconnu le sucre blanc et cristallisé, tel que'nous lepossédons en Europe depuis le xu' siècle environ,elle a usé du suc précieux de la canne, soit i l'étatsirupeux, soit à l'état concret sous forme de mos-couade ou cassonade brute.

L'illustre de Humboldt dit avoir vu sur des porce-laines chinoises, remontant à une très haute anti-

(I) Dioscorici, 1kb, lI, 104.(2) Senec., Lettre LXXXI V.(3) Pline, XII, C. XV Il.(4) Arrien, In Periplo rnari4Erythr,vi.(5) Paul d'Egine. lib. Ii.

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1901 ACADÉMIE DE ROUEN.

quité, des dessins représentant l'exploitation de lacanne pour en extraire le sucre contenu dans sonjus (1).

Quant au véritable miel, on estimait celui qui avaitle plus de parfum et de douceur. Les poètes ontchanté celui qu'on récoltait sur le mont Hybla enSicile, en Crète, et surtout ait Hymette, prèsd'Athènes. Strabon dit que le meilleur miel du montHymette était celui qu'on appelait acapnLston, parcequ'il était fait sans fumée, c'est-à-dire sans qu'onétouffât ]es abeilles au moyen de la fumée. Il étaitd'un blanc tirant sur le jaune, mais il noircissait envieillissant. Son goût parfumé était rapporté parPline ait nu serpolet et autres plantes labiéesodoriférantes qui couvrent cette montagne (2), et lenaturaliste romain nous apprend qu'on avait trans-porté et cultivé en Italie le thym du mont Hymette,espérant par là pouvoir améliorer le miel italien, maison ne put y réussir (3).

Cette opinion de Pline sur l'influence des plantessur les qualités du miel est d'autant plus remar-quable, que le miel d'Athènes, tel qu'on l'envoie denos jours à Constantinople sous le nom de Cos&achi,n'a aucun goût aromatique, ce qui ne l'empêche pasd'être fort estimé des Turcs (4). Châteaubriant lui a

(I) Raffeneau de LUe, Mémoires de l'Académie d'Arras, année5866, P. 49.

(2) Theph., lister. Plant., lib. VI, e. Vu.— XIX, e. VIII.- Verre, de i-e rustic., V, e. XVI. - Columeli., de te rurt.,Ix, C. IV.

(3)Pline, XI, e. XIII, 13. - Ibid., XXI, e. XXXI.(4)Cadet, Note sur te miel du mont IJy;nette (Journal de Phar-

macie, II, P. iOo).

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CLASSE DES SCIENCES.191

môme troùvé une odeur de drogues qui lui déplutbeaucoup (1).

C'est dans le miel qu'on faisait confire les fruits.La confiture primitive des Grecs, qui s'est transmisejusqu'à notre époque, puisque nos soldats la retrou-vèrent dans toute sa naïveté, lors- de l'expédition dela Morée, se composait de pois chiches torréfiés etédulcorés avec du miel cuit. C'était, comme on levoit, l'embryon du nougat et de la croquante. Maisdans les beaux jours d'Athènes, l'art de la confiseriese perfectionna et produisit des friandises merveil-leuses (2). .l'ai déja signalé le grand emploi du mieldans les pâtisseries et dans les ragouts.

La domestidation des abeilles doit avoir été tentéedès les temps les plus reculés; mais on ignore com'plétement quelles étaient les diverses méthodesd'apiculture, quelles formes de ruches étaient ciiusage chez les différents peuples. -

« La plus ancienne de toutes les ruches, dit M. A.de Frariére, est bien cetaineineut le tronc inéiro del'arbre où l'essaim sauvage s'était logé. Le trans-porter auprès de sa demeure pour se l'approprierd'abord, y ménager une ouverture afin de pouvoir,sans trop de difficulté, s'emparer des provisions quel'abeille y aura déposées, voilà probablement la pre-inière forme de ruche, la première méthode d'exploi-tatio-n dont l'homme aura fait usage. Puis, voyantcombien il était plus commode d'avoir tout à fait

(I) Chateaubriant, Itinéraire .2Jérwatem.2) J-B. Gaut, 1cc. citat., p. 323.

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192ACADÉMIE DE ROUEN.

dans sa dépendance l'insecte qui recueille le miel, lepremier apiculteur aura imaginé de creuser lui-môme des troncs d'arbres pour y loger ses essaims.

« Cette méthode primitive est encore en usagedans bien des contrées; elle est employée en Russie,en Suède, en Finlande, et même, sans aller si loin,on la retrouve dans quelques provinces du Midi dela France dans toute sa simplicité.

Ce tronc informe, lourd et incommode, aura donnélieu à des essais plus , ou moins ingénieux, et de làseront nées ces ruches d'une pièce imitant un cône,puis en forme de cloche, dont la matière a varié sui-vant les localités(1). »

D'après les quelques renseignements fournis parles agronomes latins, des bandes d'écorce de liège,des tiges de férule (fenouil) cousues ensemble, desjoncs, de l'osier, de la paille tressée, parfois de grandspots en terre cuite, plus rarement des espèces detonnes en bronze, percées de trous pour l'entrée et lasortie des abeilles et divisées par des cloisons hori-zontales en-plusieurs étages, comme un modèle dé-couvert à Pompèï l'a montré, ont tour à tour servi àla construction des ruches (2).

On sait encore que plusieurs des Sages de la Grècetournèrent leur attention vers les curieux travauxdes abeilles; quAristomaque, par exemple, philo-sophe péripatéticien de Cilicie, qui, à l'exemple deson maître Aristote,. cultiva l'histoire naturelle, con-

(I) A. dc Frarière, article Abeilles dans 1Eneyckpôdie de l'Agri-culture de Moll et Gayot, ti, p. 58.

(2) MonUau000. Antiq. expt., I, 204.

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CLASSE DES SCIENCES.493

sacra près de cinquante-huit ans à '.observer leursmoeurs et leurs besoins; que Phuliscus, de Thasos,enfin, se retira du monde pour se livrer entièrement

l'étude et à l'élève de ces insectes (I). II serait bienintéressant de connaître les résultats des observationset des expériences de ces premiers apiculteurs; maisrien ne nous est parvenu.

Savigny pense que l'espèce d'abeille représentéesur les monuments égyptiens est l'abeille à bandes deLatreille (Apis fasciata), que l'on trouve encore dansle pays L'abeille des Grecs, des Asiatiques et d'unepartie de l'Italie, est une autre espèce, l'abeille Ugit-riennc (Apis ligustica), distincte, comme on voit, ainsique la précédente, de l'abeille commune en Francoet dans le Nord de l'Europe, l'Apis mdllifica de Linné.

Xénophon nous apprend que des soldats ayantmangé d'une espèce de miel appelé mainomenou (fu-rieux), qu'on récoltait aux environs d'lléraclée, dansla province du Pont, furent malades et présentèrentles uns les symptômes de l'ivresse, d'autres ceux dela folie furieuse, beaucoup ceux de l'empoisonnement.« On voyait, dit-il, plus de soldats étendus sur laterre que si l'armée eut perdu mie bataille, et lamême consternation y régnait. » Mais aucun ne mou-rut, et trois ou quatre jours après, les empoisonnésse levèrent, las et fatigués, comme on l'est après l'effetd'un remède violent2).

Selon Etienne de Byzance, à Trapezunte (aujour-d'hui Trébisonde), ville sur la côte méridionale . du

(Q fine, XI, e. ix, 9.(2) Xenoph., de eœped. GyM., lib. IV, 45.

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)CNÉM1E 'DE OUEN.

poritSnxin, on obtdna1tdu buis'Un miel qui rendaitfous les gens Sains, et guérissait les épileptiques. Ilrapporte ce fait, si peu croyable, d'après Ans-tote,

Diosconide, Pline, etc., attribuaient déjà les pro-priétés malfaisantes de certains miels aux plantes vé-néneuses (rhododendron, laurier-eorise, azalées, etc.)sur lesquelles les abeilles avaient butiné (1). Lascience moderne a corroboré cette opinion des an-ciens, en constatant

10 Que les plantes aromatiques de la famille desLabiées (thym, serpollet, mélisse, origan, sauge, etc.)produisent des miels excellents; -

2' Que les bruyères et le sarrazin donnent desmiels liqûdes, colorés, désagréables (Met ericeum de

'Pâlie);3&'EnlYn,'que la jusquiame, la belladone, l'aconit,

la kalmie, l'azalée pontique, les euphorbes, etc.,fournissent des miels qui causent des vertiges etmôme le délire à ceux qui en mangent (2). -

(I) flioseorid, lib. II, e. 75 et 1db. VI, C. S. - Pline, XXÎ,

e. XLIV, 13.

(2) Tournefort, Voyage au Levant. 11,228. - Du Petit-Thouars

Obseri,at. sur Ses plantes des îles australes d'Afrique, p - 7 -

Labat, Voyage, Ili, 2. - Barton, Trans. 0f ameritart Soc. ofPhiladelphie, V. 51. - Bulletin des sciences médie. de Férussac,septembre 5825, P. ho- - Annales des sciences naturelles, 1V, 325

et 340.

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L'AGRICULTURE

CHEZ LES ROMAINS

(FRAGMENTS)

PAR M. A. MALBRANCHE.

La morale n'a pas d'âge, si vous lisez quelquefoisles anciens vous aurez pu être supris des excellenteschoses que l'on y rencoiltre. L'antiquité nous a laissé,en effet, des écrits dont les siècles n'ont pas vieillila sagesse et l'opportunité. Si, sans progrès commesans déclin, la morale résulte de notions intuitivesou révélées, il en est autrement dans le domainescientifique. Dès le commencement, il importait, eneffet, bien moins que l'homme fût savant, il fallaitd'abord qu'il fût moral. C'est bien lentement et partâtonnements que-les sciences ont pris leur essor.L'incubation a été longue, laborieuse, hésitante. Nosconnaissances scientifiques ne peuvent être que lerésultat du travail de l'homme, de ses efforts, de sapersévérance, de son expérience, de son ardeur àconnaître, de la nécessité quelquefois, de sorte qu'on

1

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196ACADEMIE DE ROUEN.

peut dire tï bon droit et en toute vérité, que chaquepas, chaque fait acquis est une conquête de lascience.

Parmi les Sciences, l'Agriculture est certainementla plus ancienne parcequ'elle était la plus nécessaire,et elle dût exercer tout d'abord la sagacité de nospremiers pères et fût honorée en raison de son im-portance. Il fallait vivre. Je ne parle pas des peuplespasteurs, mais, bien longtemps après, elle est restée

- en estime et en honneur chez les nations. Un desrois de Juda passait pour très habile dans l'art decultiver la terre. Aujourd'hui encore, dans cet em-pire fermé, primitif, inconnu, réfractaire à nosusages. en Chine, le Fils du Ciel ouvre le premiersillon et donne le signal des travaux des champs.Mais dans les Sociétés modernes, emportées dans letourbillon des affaires, de la fortune, des frivolités,'qui a souci comment viendra le blé et qui fera lepain. À l'heure qu'il est cependant un milliond'hommes meurent d'inanition pour n'avoir pas satis-fait à ces premiers besoins dont nous nous inquiétonssi peu. Pour être juste envers notre siècle constatonspourtant que, chéz nous, depuis cinquante , ans, legouvernement. les associations, les riches, les sa-vants, se préoctipent de l'agriculture pour améliorerses procédés et encourager ses efforts. Les Comices,les Sociétés, les Concours, les Expositions tendent àvaincre la routine et propager les bonnes méthodes.On comprend mieux ce mot d'un agronome distingué,« Celui qui fait pousser deux' brins d'herbe où iln'en poussait qu'un a plus fait podr l'humanité qu'un-conquérant qui s gagné vingt batailles. »

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CLASSE DES SCIENCE.197.

Le peuple romain, dans ses premiers sièclesi tenaiten honneur les travaux agricolS; ses grands citoyensne dédaignaient pas de diriger un araire ou de ré-pandre de leurs propres mains la semence dans lesol. Pline nous n laissé, dans son chapitre De te rus-

tica, une exposition de l'état de l'agriculture deson temps où l'on rencontre de sages conseils quel'on peut encore, avec opportunité, répéter aux culti-vateurs de nos jours. La célébrité de Pline a été dis-cutée, s'il ne fut pas un naturaliste dans le sens élevéde ce mot, il fut toujours un compilateur habile quiréunit, dans un ouvrage sans précedent, tout ce quele inonde d'alors savait sur les choses naturelles.Echo fidèle, mais simplement écho, il enregistraitles naïvetés, les fables les plus grossières, en mêmetemps que beaucoup de préceptes marqués au coindi!bon sens et de l'expérience. J'ai cru vous intéres-ser en analysant quelques passages relatifs à l'agri-culture qui mettront en évidence la considérationdont elle- jouissait sous la République et des prin-cipes dont la justesse et l'actualité vous surpren-dront.

Romulus avait établi des prêtres des champsarvorum sacerdtes, et lui-même se fi un honneur d'y -être inscrit. Les premières couronnes du peuple-roiétaient des couronnes d'épis liées avec une bande-

lette blanche. Beaucoup de noms propres alors étaient jempruntés au vocabulaire agricole Pilumnus venaitde pilon à broyer. Pison de pisere (piler). (Le blé étaitalors écrasé dans des vases de pierre au moyen d'unpilon de même nature.) Fabius, Lentulus, Cicérodu nom des légumes dans la culture desquels ils

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198ACADÉMIE DE ROUEN.

excellaient. Pecunia, monnaie, vient de pecus, bétail.Pascua désignait les pâturages et les registres descenseurs, parce que les pâturages furent 1ongemple seul revenu de l'Etat. On appelait les prés parata,fonds tout préparés, d'où est venu prata. On estimaitsingulièrement tics prairies. On demandait à Catonquel était le profit le plus assuré - « De bons prés,dit-il. - Et ensuite? - Des prés médiocres.

Couper dés grains là nuit ou conduire un trou-peau dans un champ couvert de moisson étaient descrimes punis de mort.

Lors de la fondation de Rome, chaque citoyen reçutdeux jugerum de terre; le jugerum comprenait deuxactus, et lactus était le sillon qu'un boeuf pouvait tra-cer d'un seul effort sans s'arrêter uno impetu justo.Les deux jugerum équivalaient environ â vingt-cinqares. Cette mesure fut augmentée plus tard sousaRépublique; cependant Manius déclare citoyen dan-gereux (perniciosus cives) celui à qui sept jugerum nesuffisaient pas.

Savez-vous quelle récompehsè on donnait aux gé-néraux qui avaient gagné une bataille ou s'étaientdistingués dans l'action? Le terrain qu'ils pouvaientenfermer dans un sillon pendant un jour.!

L'El tat était partagé en tribus rurales et en tribusurbaines ; ces dernières étaient réputéS lâches etoisives; les trWus rurales estimées fournissaient lescitoyens les plus - honnêtes et les meilleurs soldats.C'est de ces agriculteurs que Caton l'Ancien disait« Ceux qui s'adonnent sérieusement â la culture n'a-gitent point de méchants projets dans leur coeur.t'est parmi eux qu'on trouve les citoyens les plus

'k!. PWZ

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CLASSE DES SCIENCES.199.

robustes et les soldats les plus braves (fortissimi viresmilites strenuissimi).

La fertilité du sol était remarquableet l'Italie suf-fisait largement à ses besoins; les denrées y étaientmême à vil prix : Souvent le boisseau de blé ne valutqu'un as (le boisseau de blé contenait huit litres etet l'as valait cinq centimes.

Cette fertilité était due, d'après Pline, à ce que lestravaux agricoles étaient exécutés par les possesseursdu soL Ceux-ci quittaient quelquefois leurs travauxchampêtres pour aller gagner une bataille ou occu-per une charge élevée dans la République.

« La terre, il est permis de le croire, dit le savantnaturaliste, s'ouvrait avec complaisance sous unecharrue couronnée de lauriers et conduite par desmains triomphantes. » Le texte latin est très curieux:gaudente terra vomere laureato et triompbali aratore.Soit que ces grands hommes donnassent à la cul-turc des soins plus intelligents, soit que tout fruc-tifie mieux, aménagé par des mains , lhonnêtes, etparce que tout se fait avec une exactitude scrupu-leuse. On sait que Cincinnatus labourait sur le montVatican ses quatre arpents, lorsqu'un envoyé du Sé-nat lui apporta la dictature. On dit môme qu'il étaitnu et le visage encore couvert depoussière. « Prenezun vêtement, lui dit le messager, pour que je voustransmette les ordres du Sénat et du peuple romain. D

Quelle simplicité naturelle et quelle grandeur danscette scène I On a peine à comprendre cette austéritédes premiers temps Il semble que notre civilisationcomprend mieux les Romains de la décadence.

Du temps de Pline les choses étaient déjà bien

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changées et il déplore amèrement l'abindon où esttombée l'agriculture liviée à . des mains mercenaires.« La terre aujourd'hui, dit-il, est livrée à des esclavesenchainés, à des malfaiteurs condamnés au travail etdont le front est flétri.... On lui donne encore le nomde mère, on appelle culte les soins qu'on lui rend(culture), et elle agrée ce vain hommage, mais pou-vons-nouS être surpris qu'elle ne ;paie pas des es-claves comme elle récompensait des généraux. »

Les grands domaines ont perdu l'Italie. Parmi lescitoyens que fit périr Néron, six possédaient à euxseuls la moitié de l'Afrique. Il ne faut pas omettre àla gloire de Pompée qu'il ne voulut jamais acheterla terre contigue à la sienne. Tanalyse je ne discutepas. -

Beaucoup d'écrivains illustres ont écrit des ou-vrages sur l'agriculture. On trouve dans leurslivres des maximes dictées par le temps et l'expé-rience, « le plus infillible des oracles, » dit Pline.« Sème moins et laboure mieux, » disaient les anciens,et à dix-hùit siècles do distance, Jacques Bujautrépète « Sème moins et fume mieux», et « labourvaut fumier. » -

N'achetez jamais une ferme avec précipitation, onse repent toujours d'une mauvaise acquisition.S'agit-il d'acquérir un champ, Pline veut que l'onconsidère avant tout, l'eau, les routes, les voisins, lesol. Par les voisins, Caton, auquel Pline fait beau-coup d'emprunts ici, veut juger de la salubrité dupays; ont-ils une belle carnation, un air de santé, deforce, on doit en conclure que le pays est salubre.Cependant l'accoutumancd peut faire que l'on se porte

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bien. Il déclare un mauvais fond celui qui, luttecontra son maître, il veut que la terre soit fertile parelle-même (sud virtute vaiS). Il recommande pourconnaître savaleur d'examiner lavégétation naturelle.C'est làun enseignement exact, on avait déjà reconnudans l'antiquité la relation étroite, directe qu'il y aentre la composition d'un sol et la végétation qu'ilporte spontanément. Mais les notions botaniques decette époque étaient encore bien confuses et on n'estpas bien fixé sur les plantes. que Pline indique.Elles paraitraient se rapporter au calcaire. Ce-pendant, il prend soin plus loin de condamner cesol « le sable ou la craie brûlent les semences. »Il cite l'llyèble qui est toujours admis comme ca-ractérisant la bonne terre à blé. Il, demande qu'il yait dans ie'voisinaje beaucoup , de gens de travail, uneville considérable, des rivières ou des routes pourles transports, que le sol enfin soit bien cultivé et lesbâtiments en bon état. On s'abuse quand on s'imagineque la négligence des derniers, propriétaires est àl'avantage de l'acquéreur. Rien de plus coûteux,qu'une terre abandonnée. Il en est d'un fond commed'un homme, quelque profit qu'il fasse, si, en mêmbtemps il dépense beaucoup, il restera-peu de chose."in ne doit pas mépriser légèrement la méthode d'au-trui. Réflexion sage, et ce n'est pas seulement enagriculture que des jugemen Ls trop hâtés,sans examensuffisânt, nous ont rendus parfois injustes envers lesautres. Continuons â citer.

Il faut planter sans délai dans la jeunesse et nebâtir qu'après avoir planté et alors mê'me ne pas sehâter. Le mieux, dit un proverbe déjà ancien du

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temps de fine est de profiter de la folio d'autrui;encore faut-il que l'entretien de la maison ne soit pasonéreux. Ne vous semble-t-il pas que tout cela est pleind'actualité et s'applique manifestement à tel cas quenous connaissons. L'humanité est toujours la mêmeet vieille de dix-huit siècles elle a les mêmes tra-vers et fait les mêmes folies. Nous n'avons qu'à luirépéter les conseils de Pline et de Caton.

Il faut que les bâtiments suffisent à la terre et laterre aux bâtiments. Toute bonne organisation denos jours mettra en pratique ce piécepte. On ne doitbâtir ni pi-ès des marais, ni près des rivières, àcause des vapeurs malsaines qui s'en exhalent avantle lever du soleil. Que la métairie soit exposée aunord dans les pays chauds, au midi dans les paysfroids, au levant dans les pays tempérés.

Il faut que le pr,opriétaire réside sur sa terre,Magon veut qu'en achetant une terre on vende samaison de ville; cet arrêt, observe Pline, est tropdur et n'est pas conforihe àl'utilité publique. Cepen-dant les anciens insistent beaucoup sur lexcellent.effet de la surveillance du maître dans les travaux dela ferme. Les yeux et les pas du maître, dit Colu-melle, sont choses très salutaires pour son champ.Pline dit quelque part que celui qui est bien logé àsa maison de campagne vient plus souvent à sa terreet que « le front du maître est plus utile que son oc-ciput, ce que d'aùtrès ont traduit « l'oeil du maîtrefait plus que ses talons. C!est un ancien qui a ditencore, que l'il du maître était ce qui fertilisait lemieux un champ. ci II n'est pour voir que l'oeil dumattr, 'adit aussi notre Lafoiitaine. Qu'est-ce qui

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engraisse bientôt un cheval? demandait-on à un Per-san. L'oeil de son maître, répondait-il. JuriusCrésius,affranchi, tirait d'un petit champ des récoltes beau-coup plus abondantes que ses voisins n'en obtenaientde champs considérables; il était l'objet d'une grandejalousie, et on l'accusait d'attirer les moissons d'au-trui par des maléfices. Il fut cité devant FE dite curule,et, craignant d'être condamné quand les tribusiraient aux suffrages, il vint sur le forum avec tousses instruments rustiques des, gens robustes biennourris et bien vêtus, des ontils.parfaitement faits,de forts hoyaux, des socs pesants, des boeufs bienrepus, puis il dit Voilà, Romains, mes maléfices,et ce que je no puis vous montrer, mes fatigues, mesveilles , mes sueurs. Il fut absous d'un suffrageunanime.• Caton veut aussi que l'on fasse choix d'un mé-tayer expérimenté presque aussi entendu que sonmaître, et il ajoute malicieusement qu'il ne faut pasqu'il ait cette bonne opinion de lui-même. Le pire,c'est d'employer des esclaves enchaînés. Tout ce quefont des gens désespérés n'est jamais bien fait.

Une autre règle, qui parait étrange au premierabord, c'est la suivante : bien cultiver est nécessaire;très bien - cultiver est préjudiciable, à moins qu'on yemploie ses enfants, son métayer et les gens qu'onest obligé de nourrir. L'auteur veut ici condamnersans doute la culture de luxe, et il cite pour exempleun affranchi qui devint consul et dépensa sur sesterres 100 millions do sesterces, en achat et culture,environ 21 millions de francs actuels, et nul après samort n'osa se 'porter héritier. n y a raille et'famine,

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conclut Pline, à cultiver pour la gloire; le mieux estque la mesure soit juge de toutes choses.

C'est vraiment prodigieux la quantité de faits, demaximes, d'opérations que l'on croyait nouvelles etque l'on retrouve dans cette sorte d'encyclopédie oùil est question de tout médecine, astronomie, his-toire naturelle, économie politique, histoire générale,coutumes, etc....-

Il y a un proverbe normand qui peint d'un trait lesplantureux pâturages de notre province « Si tulaisses tomber ton bâton devant ta porte avant de tecoucher, dit ce proverbe, il sera couvert par l'herbele lendemain. » Cela est dans Pline, voici textuelle-ment Les champs de Rosea sont réputés le terroirle plus fertile de l'Italie, une perche qu'on y laisseest le lendemain recouverte par l'herbe. »

Un célèbre arboriculteur belge, Van Mons, a faitvoir que, sur cent pépins d'une excellente poire deCrassane que l'on sème, quatre ou cinq sujets mé-ritent seuls d'être conservés. Il n'y a que la greffepour perpétuer nos bonnes variétés fruitières. Plinea dit tout cela Le Pommier, le Poirier, la Vigne etle Néflier semés, poussent lentement et dégénèrent,il faut les greffer.

Il distinguait, comme aujourd'hui, la valeur desdivers engrais; les plus énergiques sont la fiente desgrives de volière, celle des pigeons et des oiseauxaquatiques; au dernier rang il plaçait le fumier desboeufs et des bêtes de somme.

Il connaissait les engrais verts on y employait,comme on le fait encore dans le Midi, une récolte delupin; Avant la formation de la gousse, dit-il, on

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tourne la récolte avec la charrue ou avec la bêche,ou on l'arrache à ]a main et on l'enfouit dans le sol.

Enfin, nous terminons en disant quelques- mots dumarnage etdu drainage, également en usage du tempsd'Auguste, et de la lune rousse. Le savant naturalistedit que dans la Gaule et la Bretagne on a imaginéd'engraisser le sol avec une sorte de terre connuesous le nom de marne. C'est une espèce de graisse,dit-il, analogue aux glandes du corps. On la retire aumoyen de puits qui ont jusqu'à cent pieds de profon-deur. 11 distingue la marne grasse de la marne rudeet plusieurs sortes blanches, comme nous faisons en-core aujourd'hui selon qu'elle est siliceuse, argi-leuse. ou calcaire. Le terrain, ajoute-t-il, est fertilisépour trente, cinquante ou quatfe-vingts ans, selon bqualité.

Le drainage était pratiqué du temps do Pline; iln'a pas moins fallu le réinventer sous fleuri IV;Olivier de Serres le préconisait contre « le vice dutrop d'eau qui, disait-il dans son langage imagé,excède en malice celui des ombrages et celui despierres. » Il fut oublié de nouveau et repris enfin unetroisième fois vers 1830 par un ingénieur anglais. Cefut en 1846 qu'un autre anglais, Thackeray, vint enFrance faire connaitre ses avantages et inaugurer lespremiers travaux. Columelle, contemporain de Pline,par] de fossés ouverts et de fossés cachés (patcntiuinet coecarum). Pline décrit avec quelques détails lemode d'opérer il est très avantageux, lit-on aulivre XVII, de saigner et de dessécher par des fossésun terrain trop humide. On laisse les fossés ouvertsdans une terre crayeuse et on les assure par des haies

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dans une terre trop meuble, de peur qu'ils ne s'ébou-lent; bu bien on fait ces fossés en forme de tuilecreuse renversée; on couvre ces fossés, que l'on con-duit dans d'autres plus grands et plus larges. Lefond est garni d'un lit de graviers ou de cailloux i eton consolide les ouvertures avec deux pierres sur-montées d'une troisième mise en travers.

Quant à la lune rousse, voici l'histoire moderneDans une fête qui eut lieu dans le département ciaRhône, on s'avisa d'allumer le soir, sur quelquespics élevés, des fûts d'huile lourde de goudron. Il wrésulta des nuages épais de fumée noire qui planè-rent longtemps sur le pays. Ces nuages noirs etlourds furent un trait de lumière, et on imagina,pour préserver les vignes des gelées blanches du prin-temps, de placer dans les champs de petits godetsélevés remplis de cette huile et de les allumer pen-dant la nuit quand le temps serein pouvait fairecraindre la gelée. L'invention est tardive, et, si onavait lu Pline, en aurait trouvé ce moyen pratiqué il.y a dix-huit siècles. Pour prévenir les effets de laconjonction de la lune,pendant laquelle, par un tempsserein, le brouillard tombe glacé sur les plantes,brûlez dans les vignes des tas de paille, des herbes,des broussailles arrachées; la fumée sera un préser-vatif. Il est vrai qu'on y aurait trouvé aussi queplusieurs, dans le même but, font brûler trois écre-visses vivantes dans les hautains (arbustes), ou bienconseillent d'enterrer une grenouille rubète dans unpot neuf au milieu des blés. Telle était la scienced'alors mélangée de superstitions, de naïvetés; lafable faièait tort à la saine expérience, et on ne savait

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pas distinguer l'or pur de l'alliage qui y était mêléen grande proportion. De ces études rétrospectivesil me semble que l'on pourrait conclure qu'il n'y arien de nouveau sous le soleil.