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DE L'ÉDUCATION PHYSIQUE À L'UNIVERSITÉ Accumulation scientifique et mobilisation politique dans la formation d'instituts régionaux d'éducation physique (1923-1927) Taïeb El Boujjoufi , Jacques Defrance De Boeck Supérieur | « Movement & Sport Sciences » 2005/1 n o 54 | pages 91 à 113 ISSN 1378-1863 ISBN 2-8041-4766-5 DOI 10.3917/sm.054.0091 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-science-et-motricite1-2005-1-page-91.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 16/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 16/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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DE L'ÉDUCATION PHYSIQUE À L'UNIVERSITÉ

Accumulation scientifique et mobilisation politique dans la formation d'institutsrégionaux d'éducation physique (1923-1927)

Taïeb El Boujjoufi, Jacques Defrance

De Boeck Supérieur | « Movement & Sport Sciences »

2005/1 no 54 | pages 91 à 113 ISSN 1378-1863ISBN 2-8041-4766-5DOI 10.3917/sm.054.0091

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-science-et-motricite1-2005-1-page-91.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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De l’éducation physique à l’université

Accumulation scientifique et mobilisation politiquedans la formation d’instituts régionaux d’éducation physique

(1923-1927) Taïeb El Boujjoufi et Jacques Defrance

RÉSUMÉ

La création d’instituts d’éducation physique au sein des facultés et écoles de médecine autournant des années 1920-1930 résulte d’une réforme de l’université. Dans l’esprit du légis-lateur, la mise en place de ces instituts régionaux devait favoriser le développement desrecherches scientifiques et, conséquemment, leur application pratique dans le secteur desactivités physiques et des sports jusque-là tenu à l’écart du champ des préoccupationsacadémiques. L’enquête sociohistorique consiste alors à identifier, de manière décisoire, deuxconditions sociales nécessaires rendant possible une telle innovation institutionnelle à la findes années 1920 : l’accumulation d’un capital scientifique collectif et la légitimation del’éducation physique comme question inscrite dans l’agenda politique national.

Mots-clés : instituts universitaires d’éducation physique, investissement medical,champ des activités physiques et des sports, sociologie historique, entre-deux-guerres.

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From physical education to university

ABSTRACT

The present article intends to relate the formation and the outcome for a university reformwhich, at the turn of the twenties and thirties led to a series of physical education instituteswithin universities and Medical Faculties. In the mind of the legislative powers, the settingup of those university institutes should favour the expansion of scientific research and theirapplication in the domain of physical exercise and sports which stayed on the sidelines in thefield of the academic preoccupations. The work of sociohistorical research thus consists inexploring the social context which, in this particular case made such an institutional inno-vation possible.

Key-words : physical education institutes in universities, medical investment, fieldof physical exercises and sports, historical sociology, interwar years.

C’est à la faveur de la refondation du système d’enseignement supérieurvers la fin du XIXe siècle, à l’origine des universités régionales, puis d’uncertain nombre de dispositions, comme le décret de 1920 qui élargit leurautonomie, que se crée toute une gamme d’instituts d’enseignement etde recherche attachés à des secteurs d’activités sociales nouvellementinvestis (Karady, 1986 ; Charle, 1994 ; Chevalier, 2000). Diverses théma-tiques et objets culturels, jusqu’alors exclus ou n’existant qu’à la margedu champ académique de production de connaissance, trouvent par cebiais une voie d’intégration dans l’université (ethnologie, urbanisme,pédagogie, psychologie, commerce, hygiène, etc.). Parmi ces organismesspécialisés nous relevons l’éclosion d’une série d’instituts régionauxd’éducation physique (IREP) dans la plupart des facultés et écoles demédecine. Leur total s’élève à treize entre 1927 et 1932(1). A ces institutssont assignés une triple mission : être des centres de spécialisation pourles étudiants en médecine, des lieux de préparation pour les candidatsau certificat d’aptitude à l’enseignement de la gymnastique (CAEG pre-mier degré et degré supérieur) et des foyers de recherche.

(1) Voici à titre indicatif les décrets de création des différents IREP : Bordeaux(10 décembre 1927) ; Lyon (21 janvier 1928) ; Lille (27 mars 1928) ; Paris (9 juin 1928) ; Nancy(8 mars 1929) ; Strasbourg (27 mars 1929) ; Toulouse (28 avril 1929) ; Clermont-Ferrant etAix-Marseille (10 juin 1929) ; Caen-Rennes (12 septembre 1929) ; Montpellier (22 octobre 1929) ;Grenoble (12 juin 1932, modifié : « Centre d’éducation physique ») ; Besançon (28 janvier 1932) : inMichon B. (1998).

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La place réservée à ces instituts demeure jusque-là assez floue dansl’histoire de l’éducation physique (Thibault, 1981, p. 37 ; Gay-Lescot,1990, p. 35 ; Defrance, 1993, p. 62). Combinant une double mission deformation (futurs enseignants, futurs médecins) avec une fonction derecherche, rattachée semble-t-il à une seule des deux formations (celledes étudiants en médecine), ces organismes ne préfigurent que de loinles UFR STAPS. Ils seront remaniés et rebaptisés, au gré des multiplesarticulations des enjeux du champ médical, du champ sportif et du champscolaire, à travers notamment les débats sur la formation des personnelsenseignants et la construction d’un espace autonome de recherche(2).

Comptant parmi leurs objectifs la production de recherches, la créa-tion de ces nouvelles unités spécialisées correspondent à un momentdécisif d’« accumulation [d’un capital] scientifique » collectif (Brian etJaisson, 1988, p. 66). Ce projet de réforme suppose et exige la réuniondes légitimités à la fois « scientifique », « institutionnelle » et « sociale »(Karady, 1988) qui ont permis à ses promoteurs de le défendre devantles instances de tutelle (comité consultatif de l’enseignement supérieur,commission ministérielle, etc.). La densité des réseaux d’inter-connais-sance va précipiter l’officialisation du projet. Celle-ci passe par la con-ception d’un texte (statut et règlement) conforme aux critères en vigueurdans les institutions d’accueil, et par l’établissement d’un financementd’État ou privé. Le déploiement de cette activité de mobilisation de res-sources qui finit par donner jour à un collectif sans nom, porte la marqued’un savoir-faire en éducation physique et d’une capacité d’organisa-tion éprouvée et reconnue dans la communauté médicale qui s’enréclame. L’adoption de cet angle d’approche amène fort logiquement àtraiter de front la question, indiscutée jusqu’à présent, du type des« stratégies de réussite » et des « modes de faire-valoir » (Karady, 1988)développés par les initiateurs de ce programme. Pour donner consis-tance à cette ligne de réflexion, l’une des tâches consiste à évaluer lesrapports d’interdépendance formés par les principaux acteurs politico-administratifs et universitaires qui, de près ou de loin, ont pris part à

(2) C’est précisément en se plaçant à l’interface de ces différents champs sociaux que l’onpeut se donner quelque chance de comprendre le processus de médicalisation et/ou dedémédicalisation de l’éducation physique (scolaire). Ainsi, au fur et à mesure que se consti-tue le corps des professeurs d’éducation physique (du secondaire) et, conjointement, sousl’effet de l’autonomisation du champ sportif (Defrance, 1995), les médecins seront amenés– structurellement – à donner un nouveau statut à l’exercice physique. Leur spécialisation ence domaine s’ordonnera désormais sur la base d’une médecine dite clinique, surtout à partirdes années 1960-70. On parlera alors, sans anachronisme, de médecine du sport.

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cette entreprise d’innovation. Il s’agit d’observer à partir de quellestransformations structurelles du champ universitaire et du champ desactivités physiques et des sports, l’éducation physique a pu se conce-voir, avec tout ce que cela suppose, comme une thématique possibledans l’enseignement supérieur (définition de cursus d’études,certification, etc.).

Pour suivre la genèse et l’énoncé de cette réforme universitaire, lareconstitution sociohistorique s’ordonnera en deux temps : 1) cerner ladynamique des cadres de pensée et d’organisation (pour partie en som-meil) à partir desquels la formule des IREP s’est vue engendrée ;2) retracer à gros traits la procédure de création qui correspond à pro-prement parler au travail politique d’institutionnalisation.

Les conditions sociales de formulation du projet de réforme

L’organisation du Congrès national d’éducation physique (Bordeaux,24-26 septembre 1923) par la Ligue girondine d’éducation physique, laSociété médicale d’éducation physique et de sport (SMEPS) et l’Uniondes sociétés de gymnastique de France, offre le cadre opportun à la pré-sentation du projet de création des IREP aux spécialistes de l’exercicephysique. Clément Sigalas (1899-1944), doyen de la faculté de médecineet de pharmacie de Bordeaux, invite en effet pendant ces trois jours lescongressistes à réfléchir prioritairement sur ce point. Il convient dereprendre intégralement la formulation de ce vœu car il contient engerme les principaux axes programmatiques de ces instituts et toute lacompétence tacticienne de son auteur : « Je sais bien que, en son article 27,le projet de loi sur l’« Education physique obligatoire » prévoit, suivant unevieille tradition centralisatrice, une École supérieure de l’enseignement del’Education physique, destinée à former les professeurs spéciaux des deux sexespour les établissements publics de jeunes gens et de jeunes filles... mais, à cettecentralisation, qui na va pas sans de multiples inconvénients, l’Universitaireque je suis estime de beaucoup préférable le système des Instituts régionaux, telqu’il a été prévu et réglementé par la loi du 10 juillet 1896 et par le décret du31 juillet 1920.

« Rien ne serait, à mon avis, plus facilement et plus rapidement réalisable,avec le concours de l’État, des villes, des Universités et des Sociétés et Clubs degymnastique, d’éducation physique et des sports, que la création d’Instituts

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régionaux d’éducation physique, établis au siège des diverses universités régio-nales et rattachés tout naturellement et logiquement aux Facultés ou École demédecine de ces universités.

« Dans le corps enseignant de ces Instituts qui devraient être à la fois descentres de recherches, des centres d’enseignement et des centres de pratique del’Éducation physique et sportive, seraient appelés à figurer, à côté des profes-seurs des facultés, anatomistes, physiologistes, cliniciens, psychologues, desmédecins spécialistes des questions et des pratiques d’éducation physique et destechniciens de la gymnastique et des sports connus par leur compétencespéciale...

« Ainsi fonctionnent d’une vie propre, dans les diverses régions de laFrance, des instituts universitaires, dispensant les enseignements techniques etpratiques les plus variés : chimie industrielle, électrotechnique, radiotélégra-phie, oenologie, bactériologie, hygiène, médecine coloniale, puériculture... (3)»

En plaçant en quelque sorte l’éducation physique à un carrefourinterdisciplinaire, Sigalas justifie par-là même la création de ce type d’ins-titution où, implicitement, les différentes fonctions professorales repose-raient sur une définition sociale relativement large. Le choix de cette for-mule d’instituts universitaires par sa forme à la fois souple, pratique etéconomique, dans le but de créer un consensus minimal immédiat,implique par ailleurs une fine connaissance du dispositif législatif quirégit le système universitaire. Effectivement, quand un institut de cetype est fondé, il n’exige pas la nomination de tout un personnel ensei-gnant, surmonté d’une direction et pourvu d’une administrationpropre : il se contente de coordonner les enseignements relatifs à unethématique en faisant appel à un corps professoral provenant des diffé-rentes facultés (lettre, droit, médecine, etc.) et de recourir, au besoin, àl’intervention de spécialistes qui peuvent appartenir aussi bien ausecteur public que privé (professeurs d’éducation physique, médecinspraticiens, entraîneurs de clubs sportifs, etc.).

Il est probable que le caractère hybride de ces organismes soit inti-mement lié aux tensions suscitées par les transformations du champ desactivités physiques et des sports. Le label d’« institut universitaire » ten-drait en fait à atténuer la concurrence existant entre différents groupesprofessionnels en lutte pour contrôler un secteur d’activité socialedonné. A titre de comparaison, les instituts de médecine légale crééssensiblement à la même époque sont un autre exemple de partage subtil

(3) Journal de Médecine de Bordeaux, no 24, 10 décembre 1923, p. 979.

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d’un territoire (celui de la criminalité) entre juristes et médecins(Kaluszynski, 1994). Aussi, conviendrait-il de replacer à la fois ces IREPdans le mouvement réformateur d’ensemble (Topalov, 1999) qui se tra-duit par un élargissement du champ des compétences médicales, etdans la logique des luttes sociales spécifiques pour l’imposition d’uneorientation dominante (médicale, pédagogique ou bien encore militaire)dans le domaine de l’éducation physique.

Que cette proposition de réforme soit suggérée par Sigalas n’a riende surprenant quand on sait qu’il a occupé la fonction clé de doyende 1913 à 1937 (et s’était présenté entre temps à la fonction de recteuren 1917, mais sans succès). Il passe pour un gestionnaire accomplià l’appétence administrative certaine. Les rapports relatifs à son activitéprofessionnelle sont sur ce point très évocateurs : « Les qualités d’adminis-trateur sont remarquables. D’abord il a le goût de l’administration : maire de sacommune natale et doyen, cela suffit à peine à son besoin d’administrateur ; ilpréside des sociétés rattachées à l’Université et fait tout, c’est-à-dire presquetrop, par lui-même. Il a acquis dans sa faculté, à force de veiller à tout, une noto-riété de très bon aloi. [...] Et, au Conseil de l’Université, sa situation estgrande. (4)»

La formule du réseau d’instituts régionaux

Membre correspondant de l’Académie de médecine depuis 1919, il estvraisemblable que Sigalas se soit inspiré d’une certaine façon ou d’uneautre des débats sur la création générale d’« Instituts médicaux » qui yfurent l’objet de plusieurs séances entre le 11 mai 1920 et le22 février 1921. Dans un plan sur « l’organisation de l’enseignement del’hygiène » il fut par exemple prévu d’intégrer « les principes relatifs àl’éducation physique générale » dans la troisième section : « hygièneindividuelle et hygiène sociale (5)». A noter qu’au fur à mesure que se pro-longèrent les discussions, l’idée d’une gamme plus étendue d’« Institutsspécialisés » s’imposera car c’est, selon Léon Bernard, la meilleure solu-tion par rapport aux multiples « branches » de l’hygiène sociale : « [...] ily a lieu de créer des établissements de culture de sciences médicales dans le butde faire progresser ces sciences et de former des savants et des spécialistes. Elle

(4) Archives départementales de la Gironde, Rectorat, dossier de carrière du ProfesseurSigalas A.-C.-M., liasse T. 243. (5) Bulletin de l’Académie de médecine, « Considérations sur l’organisation de l’enseignementde l’Hygiène », séance du 11 mai 1920, p. 455-457.

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[l’Académie de médecine] pense que ces établissements désignés sous le nomd’Instituts (de telles ou telles de ces sciences) doivent être construits ou aména-gés de façon à remplir un but bien déterminé [...](6) ».

Léon Bernard (1872-1934), qui vient d’être récemment nommé à lachaire d’hygiène et de médecine préventive à Paris (1919), participed’ailleurs directement à la dynamique réformiste qui touche l’organisa-tion de l’éducation physique (scolaire) du moment. Il apparaît, commeprésident d’honneur, au Congrès médical d’éducation physique del’enfant et de la femme (Vichy, 9-10 septembre 1922), où fut émis, entreautres, le principe de la création d’« un enseignement spécial pour les étu-diants en médecine (7)». On le retrouve également membre tout à la foisdes commissions « médicale », « permanente » et « sportive » du Comitéconsultatif d’éducation physique et sportive dans l’enseignement auministère de l’Instruction publique (décret du 14 avril 1922).

La formule du réseau d’instituts procède tout autant, dèsavant 1927, d’énoncés collectifs, tels les vœux de fin de congrès, que deprojets individuels portés par des agents dotés de ressources pour luiassurer de la publicité. Mais il faut au préalable remonter un peu plusloin dans le temps, si l’on veut comprendre les traits caractéristiques etl’esprit d’un projet qui a fort longtemps cherché sa voie.

Des organismes embryonnaires

Fait rarement relevé, les IREP ne sont pas une création ex-nihilo. Dans laplupart des cas, ils ne font que consacrer un état de fait antérieur. Il sem-ble surtout que les seules références aux IREP n’aient été quasimentenregistrées par l’histoire que sous leur forme aboutie. Or, pour retracerpleinement leur genèse, il convient de repérer quelques états embryon-naires (El Boujjoufi, 1998). Des cours appliqués à l’éducation physique (phy-siologie, anatomie, pédagogie, etc.) adressés aux spécialistes de l’ensei-gnement de l’éducation physique et du personnel enseignant duprimaire commencent ainsi à voir le jour dans quelques facultés demédecine au lendemain de la guerre. Des recherches à caractère expéri-mental (notamment à Lyon, Nancy et Paris) ont été de la même façon

(6) Bulletin de l’Académie de médecine, « Discussions : Du rapport de M ; Léon Bernard, sur lesInstituts médicaux », séance du 12 octobre 1921, p. 125-127. Plusieurs instituts de ce typeverront jour dans cette optique comme les « centres régionaux anticancéreux » (Pinell, 1987,p. 58) qui se multiplient sur tout le territoire entre 1923 et 1928.(7) L’Educateur physique, 1922, p. 74

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initiées bien qu’elles aient été d’importance inégale et sans qu’ellesn’aient revêtu de réel dimension programmatique.

Ce fait n’est d’ailleurs pas propre aux IREP. L’histoire de l’ensei-gnement supérieur offre d’autres exemples similaires d’« organismespara-universitaires » qui ont eu une existence officieuse jusqu’à leurcréation effective, et ceci bien avant la guerre 1914-1918. C’est le casnotamment de l’Institut d’art et d’archéologie : à l’état embryonnaireavant 1914, il n’ouvre finalement ses portes qu’en 1930 (Charle, 1994).Encore à titre d’exemple : l’Institut d’urbanisme (1924) de Paris adébuté timidement à partir des conférences sur l’histoire de ladite ville(Chevalier, 2000).

En règle générale, les centres d’étude spécialisés de ce type se sontconstitués au fur à mesure autour d’un laboratoire ou d’une chaire (avecsouvent un appui moral et matériel extérieur à l’université), avant d’êtretransformés pour la plupart en véritables pôles d’enseignement et derecherche à la faveur d’un travail de recyclage. A bien des égards, la for-mation des IREP tend à suivre ce processus de gestation institutionnelle.

Premiers linéaments

A partir du moment où la porte fut entrouverte à des spécialités – ce quin’est pas sans rapport avec les découvertes scientifiques et les progrèsde la thérapeutique auxquels est soumise perpétuellement la (re)struc-turation du champ médical –, les facultés de médecine ont la possibilitéde créer à leur propre initiative des cours dits de « perfectionnement »et « complémentaires ».

Par ce biais, l’éducation physique commence à figurer comme unethématique (d’appoint) parmi les enseignements programmés dans lesfacultés de médecine. Bien souvent, ces cours publics sont mis en placeen partenariat avec les municipalités, où il existe un souci d’organiserrationnellement la formation des spécialistes de l’exercice physique. Lapublicité de ces cours théoriques est de fait assez efficace pour y attirer lenombre suffisant d’auditeurs (étudiants en médecine, enseignants duprimaire, éducateurs physiques, entraîneurs, etc.) et, en quelque sorte,créer une demande sociale qu’il faut désormais satisfaire. Pour s’enconvaincre, il suffit par exemple d’observer le succès des stages dépar-tementaux d’éducation physique, destinés au perfectionnement dupersonnel enseignant du primaire, qui deviennent rapidement inter-cantonaux et dont, pour une grande part, l’encadrement est assuré pardes médecins.

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TABLEAU 1Effectifs des stages départementaux (et intercantonaux) d’EP destinés au perfectionnement dupersonnel enseignant primaire (1923-1929).

Source : Vuillaume R., L’éducation physique de l’écolier, thèse de médecine, Nancy, 1929, p. 230.

A Paris, sous l’impulsion des ministères de la Guerre, de l’Instruc-tion publique et des Beaux-arts, un « Cours de physiologie appliquée àl’éducation physique » est institué en 1920 dont la direction est confiéeà Jean-Paul Langlois. Ce dernier, avec l’aide de l’un de ses élèves(Chailley-Bert qui sera le directeur de l’IREP de Paris), y organise « unenseignement théorique », un « centre de recherche » et un « centre d’unifica-tion des méthodes et techniques utilisées en éducation physique » (Huguet,1991, p. 593). D’importance inégale, des initiatives identiques peuventégalement être relevées dans les autres facultés.

Ainsi, à Bordeaux, il existe dès 1919 un « enseignement de perfec-tionnement et des cours de vacances » comme celui de l’« Hygiène sco-laire physique et mentale » comprenant l’éducation physique(8). Et, àLyon, des médecins, promoteurs de l’exercice physique et du sport, vontjusqu’à créer en 1920 l’Institut [lyonnais] d’éducation physique (Arnaud,1991) grâce à une subvention du Comité des Sports (Lê-Germain, 2001).La réussite de cette innovation semble telle que lors de la « réunion sani-taire provinciale de 1921 » à la Société de médecine publique, le profes-seur Courmont, bactériologiste et hygiéniste, proposa (dans une logiquemilitante qui conduit à appuyer les initiatives locales) « que toutes lesFacultés de Médecine de province prennent l’initiative qui a été prise par [ses]

Années Départements Cantons Effectifs

1923 24 - 2.400

1924 33 - 3.500

1925 32 - 1.000

1926 8 82 8.000

1927 - 86 7.500

1928 - 90 8.000

1929 - 100 10.000

Total 97 358 38400

(8) Cruchet R., « Education physique et décentralisation », Journal de médecine de Bordeaux,15 janvier 1919, p. 22.

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collègues de la Faculté de Médecine de Lyon(9) ». L’un de ses collègues n’estautre que le professeur André Latarjet, placé à la direction du Courssupérieur de l’éducation physique de l’université de Paris à la mort deLanglois en 1923. Proche d’Herriot, Latarjet, comme Paul Courmont(1871-1951), appartient à la section lyonnaise du Club Alpin où la frac-tion médicale est sur-représentée (Pellissier, 1996, p. 219).

En sorte que le décret (du 21 janvier 1928) de création de l’IREP deLyon ne vient d’une certaine manière qu’officialiser un organisme déjàsur pied, puisque dans le rapport annuel de l’Université (année scolaire1926-1927), on ne parle pas d’une création mais d’un « Institut d’Educa-tion Physique, organisation scientifique » qui « a été rattaché à l’Univer-sité(10)». Bien renseigné sur ces initiatives locales, grâce notamment auCours supérieur d’éducation physique où s’est formalisé un réseau derelations, Herriot, dans le cadre de sa politique de « développement »et de « diffusion de l’Education Physique », cherchera à soutenir leurdéveloppement. Ainsi, dans le département du Nord, il invita le recteurd’Académie à « étudier des propositions avec M. le professeur Debeyre » aumoment où lui fut confié le ministère de l’Instruction publique (1926-1928) : « Appréciant les travaux déjà entrepris à l’université de Lille par M. leprofesseur Debeyre, je suis disposé à seconder cette intéressante tentative. A ceteffet, sans doute conviendrait-il de transformer en Institut d’université, dansles conditions prévues par le décret du 31 juillet 1920, l’organisme existant déjàà Lille (11)».

Il faut mentionner que la plupart des médecins (universitaires) quidirigeront un IREP ont pris part, à moment donné ou à un autre, auCours supérieur et/ou au Stage d’information d’éducation physiqueinstitué en 1925 (Chaillet-Bert pour Paris, Debeyre pour Lille, Latarjetpour Lyon, Merklen pour Nancy, etc.). Herriot a assisté aux travaux dece Stage durant trois années de suite. L’une des caractéristiques intellec-tuelles de ces médecins est d’avoir contribué également à la productionde connaissances nouvelles par une activité originale de recherche rela-tive aux pratiques physiques et sportives.

Accumulation d’un capital scientifique

Les travaux à caractère expérimental menés (ou envisagés) dans lechamp des activités physiques et des sports ne peuvent être évoqués

(9) Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1921, p. 1267.(10) Revue de l’Université de Lyon, 1928, p. 83.(11) Dépêche ministérielle du 3 janvier 1927 (archives privées du recteur Debeyre).

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sans les rattacher à la voie inaugurée par la collaboration scientifique ettechnique de Demenÿ et de Marey qui ont jeté les bases d’une science(biomécanique) de l’homme en mouvement (Pociello, 1999) ; héritage intel-lectuel si vivace qu’il continue à traverser de part en part l’élaborationde la plupart des questionnements médico-biologiques et pédagogiquesautour de l’éducation physique dans les années 1920 et 1930. Les quel-ques organisations primitives recensées sommairement plus haut (surlesquelles se grefferont les IREP) tentèrent d’abriter des activités derecherche originales sur le même modèle.

Dès le départ, à la faculté de médecine de Paris, un véritable labo-ratoire de recherche fut associé au Cours de physiologie appliquée àl’éducation physique. Celui-ci sera également en étroite relation avec lachaire d’« hygiène et organisation du travail technique du travailhumain » du Conservatoire national des arts et métiers que Jean-PaulLanglois (1862-1923) occupa brièvement de 1921 à 1923. Ses études surle fonctionnement et le rendement de la machine humaine dans dessituations difficiles, voire extrêmes, l’amenèrent à prendre en compte laforte homologie entre rationalisation du travail (industriel) et rationali-sation de l’entraînement et des principes d’efficience du geste sportif. Eneffet, dans ce laboratoire, richement doté en instrumentation (dont untapis roulant à l’époque unique en son genre), Langlois se livre, avec sesélèves, à l’étude des réactions physiologiques des athlètes à la marche, àla course d’une part, et, de l’autre, des travailleurs dans les conditionsles plus diverses. Parmi ses élèves il faut citer Chailley-Bert(12) (qui luisuccéda), Olivier, Desbouis(13). (Tous trois seront d’ailleurs directeurd’un IREP.) Une partie des résultats de leurs travaux a donné lieu régu-lièrement à des comptes rendus collectifs à l’Académie des Sciences(« Sur le second vent des coureurs », en juin 1921).

Issu également de l’école mareysienne, Victor Pachon (1867-1939)fut aussi, comme Langlois, l’un des élèves de Charles Richet. De par sonappartenance à ce milieu de culture scientifique (Pociello, 1999), il setrouva directement lié au mouvement réformateur et à ses réseaux enéducation physique bien avant la guerre 1914-18. Dans son Exposé destitres et des travaux scientifiques (pour sa nomination à la chaire de phy-siologie en 1911 à Bordeaux), il signale qu’il est membre du « Comité derecherche scientifique » de la Section de la Seine de la Ligue françaised’éducation physique. Ses recherches expérimentales et cliniques sur la

(12) Étude physiologique de la marche, thèse de médecine, 1920.(13) Étude sur la physiologie de la marche en terrain horizontal et en montée, thèse de médecine, 1921.

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fréquence et le rythme respiratoires l’avaient préparé à entreprendre desétudes sur le « moteur humain » dont certains résultats font objet decommunications à la Société de biologie : « Education physique et critè-res fonctionnels. Les variations de la pression artérielle, critèresd’entraînement » (14 mai 1910) et « Sur l’insuffisance de l’étude isoléedu pouls pour juger de l’état de l’entraînement. Valeur comparée de lasphygmomanomètrie » (28 mai 1910). Et dès les années 1920, il caressemême le projet de créer un véritable « laboratoire de physiologie dusport ». Dans son sillage, il forma aussi des élèves parmi lesquels il fautretenir Roger Fabre qui joua un rôle de premier plan en éducation phy-sique (directeur du futur IREP de Bordeaux).

A cette jeune génération appartient encore Louis Merklen, chargé àpartir de 1923 d’un Cours d’éducation physique et d’organisation dutravail et du sport à la faculté de médecine à Nancy. Il réalise en 1926une thèse fort remarquée dont la réception dépasse largement le cerclerestreint de la communauté médicale en voie de spécialisation dans cesecteur d’activité sociale. Ses analyses font la synthèse d’une série derésultats obtenus sur une population d’athlètes au Stade universitairelorrain : Le rythme du cœur au cours de l’activité musculaire et notamment lesexercices sportifs (1er prix de thèse en 1926 ; prix Montyon de physiologiepar l’Académie des sciences en 1927 et prix Marc Sée par l’Académie demédecine en 1928).

Ainsi, l’homologation et la consécration de ce corpus de connais-sances par les instances académiques participèrent à l’autonomisationd’un champ de réflexion théorique et, indissociablement, à la légitima-tion d’un domaine d’intervention médical. La reconnaissance et la diffu-sion de ces travaux scientifiques constituèrent d’ailleurs l’un des ver-sants majeurs des modes de faire-valoir qui furent pris en compte lorsde la formulation du programme des IREP tout au long de la procédureproprement administrative. Car, l’approbation du législateur demanda,pour se fixer, de s’appuyer sur des éléments solides (l’expression d’unedemande sociale, la compétence des maîtres, etc.).

Mise en agenda politique de l’éducation physique

Comme tout institut dit d’université, les IREP devaient en effet suivre laprocédure administrative habituellement réservée à ce type d’innova-tion institutionnelle. C’est-à-dire, qu’avant d’être approuvée par décret,la proposition qui émanait du Conseil de l’université de chaque faculté

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régionale était soumise à l’avis de la « Section permanente » du Conseilde l’enseignement supérieur. Chacune de ces étapes correspondait à unmoment précis de l’évaluation (scientifique et « juridique ») du projet enquestion. Signalons rapidement que l’un des membres (réguliers) duConseil de l’enseignement supérieur n’est autre que Sigalas qui, à deuxreprises, avait proposé au Conseil de l’université de Bordeaux de créerle premier de ces instituts (séances du 11 mars et du 8 novembre 1927).

Sous la présidence de Gaston Vidal, une commission ministérielle(9 avril 1925) fut organisée peu avant le départ des cartellistes pour étu-dier sérieusement ce projet de réforme (cf. Tableau 2). Deux questionssont à l’ordre du jours : l’étude de « la création d’Instituts d’éducationphysique dans les Facultés de médecine » et « le régime des examens ducertificat d’aptitude à l’enseignement de la gymnastique (degré élémen-taire et degré supérieur) ».

TABLEAU 2Composition de la commission ministérielle du 9 avril 1925 chargée d’étudier la création desIREP (et la réforme du régime des examens du CAEG).

MembresProfessions et position(s) occupée(s) dans le champ des activités physiques et des sports

Vidal, président Instituteur, sous-secrétaire au ministère de l’instruction publique, chargé de l’enseignement technique et de l’éducation physique, président du Comité national des sports

Corville Directeur de l’enseignement supérieur

Vial Directeur de l’enseignement secondaire

Labbé Directeur de l’enseignement technique

Lapie Directeur de l’enseignement primaire

Debeyre Agrégé à la faculté de médecine de Lille, professeur au Cours supérieur d’éducation physique, président de l’Iris Club

Latarjet Professeur à la faculté de médecine de Lyon, directeur du Cours supérieur d’éducation physique

Sigalas Doyen de la faculté de médecine de Bordeaux, président du Bordeaux Etudiant Club

Chailley-Bert Agrégé, chargé de cours (de physiologie appliquée à l’éducation physique) à la faculté de médecine de Paris, professeur au Cours supérieur d’éducation physique

Roustan Inspecteur de l’Académie de Paris

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Source : archives privées du recteur Debeyre (Académie de Lille).

A cette commission (23 avril 1925) sont convoqués les universitai-res intéressés au premier chef par les IREP (Chailley-Bert, Debeyre,Latarjet et Sigalas) ; des administrateurs, pour leur rôle central dans lacontinuité entre les différents gouvernements successifs en raison del’instabilité ministérielle propre à la IIIè République (dont ceux de l’édu-cation physique : Capra, Coulon et Sauvage) ; et divers membres del’enseignement (dont des professeurs d’éducation physique).

Par ailleurs, la réussite du programme de réforme général qu’entendappliquer Herriot en éducation physique n’est pas sans rapport avec,d’une part la proximité dans l’espace politique (milieux radicaux-socialistes et socialistes comme Debeyre ou bien Latarjet et Jules Vial quifont partie du cercle amical d’Herriot) et, d’autre part, les options idéo-

Bailly Proviseur du lycée Buffon

Mme Coirault Inspectrice générale des écoles maternelles

Mlle Billothy Directrice d’École normale

Forsant Inspecteur de l’enseignement primaire (Seine)

Mlle Despaux Professeur d’éducation physique (Bordeaux)

Cormontagne Professeur d’éducation physique (Paris), président de l’Amicale des professeurs d’éducation physique de l’enseignement secondaire

Fischer Professeur d’éducation physique (Melun), président de l’Association amicale des professeurs d’éducation physique de France et des Colonies

Racine Professeur d’éducation physique (Paris)

Capra Inspecteur d’académie, chargé des œuvres complémentaires de l’école et de l’éducation physique au ministère de l’instruction publique.

Coulon Instituteur, délégué auprès du ministère de l’instruction publique (conseiller technique de l’éducation physique)

Sauvage Chef du bureau au Service de l’éducation au ministère de l’instruction publique

Frantz Reichel Journaliste, président-fondateur du syndicat de la presse sportive, secrétaire général du Comité national des sports et du Comité olympique français

MembresProfessions et position(s) occupée(s) dans le champ des activités physiques et des sports

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logiques communes pour certains de ses « collaborateurs » (républi-cains laïcs convaincus, et pour certains francs-maçons comme GastonVidal, Mario Roustan, etc.).

L’aboutissement des IREP tient par ailleurs au fait qu’ils aient étérégulièrement portés « sur l’agenda gouvernemental » (Garraud, 1990).Aussi, convient-il, pour comprendre tant soit peu les cadres sociaux quiont rendu possible la création des IREP, de les replacer au cœur mêmede la production d’une politique – émergente certes, mais plus soutenuequ’auparavant – de prise en charge de l’organisation (rationnelle) del’éducation physique scolaire.

Il faut entendre par « mise en agenda politique », les temps forts oùles activités physiques et les sports sont mis en avant, et définis en tantque tels, parmi les « questions sociales ». Ils tendent en effet de plus enplus à être assimilés et à s’imposer, aux yeux du législateur, comme unvéritable instrument d’action sociale (éducation à la santé, sociabilitésportive). En outre, cette mise en agenda est susceptible de représenter

PHOTOGRAPHIE 1Réception organisée à l’occasion de l’attribution de la Légion d’honneur (Rosette) en 1925 enl’honneur du Dr. André Latarjet.Premier plan à gauche : Jules Froment, professeur à la Faculté de médecine de Lyon. Second plan,de droite à gauche : Louis Tixier, professeur à la Faculté de médecine de Lyon ; Suzanne Latarjet ;Edouard Herriot, ministre du conseil des ministres ; André Latarjet, professeur à la Faculté demédecine de Lyon, Cyrille Wachemar, vice-président de la puissante Union des Sociétés degymnastique de France et président-fondateur de l’Association Régionale des Gymnastes du Nordet du Pas-de-Calais. Cette palette d’individus, réunis en comité restreint, donne amplement unordre d’idée des liens étroits d’Herriot avec le monde médical et de l’éducation physique.Source : Damizet J.-G., La vie et l’œuvre du Professeur André Latarjet (1877-1947), Lyon, thèse demédecine, 1997, p. 103.

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une source de rentabilité politique (occasion de se démarquer d’uneposition politique connotée plus traditionaliste).

De ce point de vue, le travail de réforme passe impérativement parl’élaboration d’un plan d’éducation (physique) national. Et plus que parle passé, se dessine après la Première Guerre mondiale un espaceautonome au sein duquel se structure progressivement une politiquepublique (Callède, 2000) en éducation physique (sport scolaire et uni-versitaire). Les indicateurs les plus révélateurs de cette tendance sontpar exemple l’intensité sans pareille de l’activité parlementaire sur unlaps de temps aussi court (production textuelle, dispositifs consultatifspermanents, service administratif différencié distinct), voire mêmel’introduction de cette thématique dans les programmes proprementpolitiques (Herriot, 1919).

Concernant l’organisation universitaire de la « question de l’éduca-tion physique », Hippolyte Ducos retient précisément parmi les moyens« de réaliser cette tâche scientifique », la création de ces « institutsrégionaux » au sein des facultés de médecine. Membre dirigeant duParti Radical et président du Groupe de défense laïque et d’éducation àla Chambre, Ducos est un spécialiste attitré des questions de l’éducation(Jolly, 1960-77), et ne manque pas de réserver à chaque fois aux IREP uneplace importante dans ses très denses et très documentés rapports par-lementaires qui portent sur la fixation du budget général des exercicesde 1925 et 1927 (ministère de l’Instruction publique). Son ambition, àlong terme, est d’ailleurs de créer un grand ministère de l’éducationnationale réunissant les différents enseignements qu’il estime par tropdispersés (agricole, technique et éducation physique) entre différentsministères (respectivement, agriculture, travaux publics, guerre etmarine)(14). Mais un tel projet de recadrage institutionnel ne va pas sansréactiver certains clivages idéologiques qui structurent alors puissa-ment le champ éducatif français. La question de la création de l’écoleunique est en effet d’une actualité brûlante. Autant dire que c’est unesituation peu propice à l’avènement de cette formule d’instituts univer-sitaires puisque, à un moment ou un autre, les sources budgétairesferont défaut pour financer une telle innovation institutionnelle. Point

(14) « Mais, messieurs, rappelle-t-il à la chambre des députés lors d’une discussion relative à lafixation du budget général de l’exercice 1925, le département de la guerre ne détient pas simple-ment quelques écoles. Il tend à accaparer tout un enseignement, un enseignement qui forme la moitiéde l’éducation nationale tout entière : je veux parler de l’éducation physique. » JO, Chambre desDéputés, séance du lundi 17 novembre 1924, p. 3582.

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des plus épineux qui demeure en suspens tout au long de la trame desnégociations. Car, l’essentiel du budget alloué annuellement pourl’organisation des pratiques d’exercice physique et sportif (scolaire,militaire et postscolaire) se trouve concentré au ministère de la Guerrequi avait, jusque-là, la charge de le répartir comme il l’entendait (sansfaire par exemple de distinction entre ce qui relève du secteur public ouprivé). Déjà lors du congrès national d’éducation physique à Bordeaux(1923), Henry Paté, Commissaire à l’éducation physique, aux sports et àla préparation militaire, s’était déclaré peu favorable à cette formule desIREP(15). Voyant par la suite la position de celui-ci inchangée, le docteurRené Cruchet(16), dans l’une des ses chroniques médicales, s’interrogesur les fondements de cette crispation : « Or quel est l’obstacle qui, brusque-ment, s’est dressé devant la conception, si simple et compréhensive, du doyenSigalas ? Un obstacle militaire (...). Il y a lutte courtoise, mais ferme, entre leministère de la Guerre, qui détient la plupart des crédits, et le ministère de l’Ins-truction publique qui, plus que jamais aujourd’hui fait figure de parent pauvreauquel on accorde, de temps à autre, quelques vagues subsides (...). A la penséeque l’université pourrait être assez puissante à elle seule, pour faire aboutirquelque jour les instituts régionaux ; le sang guerrier de M. Paté n’a fait qu’untour dans son cœur militaire, et tel un taureau qui voit rouge - c’est le cas de ledire - il a bondi avec un superbe élan sur le drapeau universitaire » (cité parFauché et Orthous, 1990, p.20).

Chronologiquement, c’est la loi de finance de 1920 qui marque ledébut du transfert partiel de ce budget pour la mise en place d’une édu-cation physique « scolaire » qui reste encore à inventer. Puis, dans lamême logique, de concession en concession, par la loi de finance du19 décembre 1926, de nouveaux crédits sont obtenus pour subvention-ner, cette fois-ci, les associations sportives scolaires et féminines d’édu-cation physique et de sport. Enfin, deux ans plus tard, lors de la

(15) « Répondant à une suggestion de M. le Professeur Sigalas, M. Henry Paté signale que les insti-tuts rérionaux d’éducation physique dont on préconise la création existent déjà en puissance : ce sontles centres régionaux d’éducation physique et, au-dessus d’eux, l’école de Joinville, qu’il suffit de déve-lopper et d’adapter aux nécessités nouvelles ». Gazatte hebdomadaire des sciences médicales, 39,septembre 1923, p. 473.(16) Notons qu’à la faculté de médecine de Bordeaux, Cruchet, professeur de pathologie etthérapeutique générale (1920), puis de clinique médicale des enfants (1926), y animedepuis 1921 un « cours public » ayant pour « sujet » l’éducation physique (Gazatte hebdoma-daire des sciences médicales, ibid). Autant dire qu’il suit de près les débats touchant l’organisa-tion de l’éducation physique. L’intitulé de sa thèse d’exercice, qui remonte à 1919, indique àlui-seul la permanence de ce champ préoccupation : Étude critique sur le tic convulsif et sontraitement gymnastique.

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« [d]iscussion du projet de loi portant ouverture, sur l’exercice 1928,de crédits concernant les services de l’instruction publique, en vue del’organisation de l’éducation physique », le vote de ce budget – où figu-raient notamment les crédits pour le financement des IREP – n’aboutitcomplètement qu’après d’âpres pourparlers. Et il faut compter sur lestrésors d’éloquence d’Herriot pour écarter les « velléités » manifestéespar ses adversaires politiques directs qui voient, chez lui, la volontéd’instituer « un monopole de l’éducation physique au ministère de l’instruc-tion publique (17)» selon le député Xavier Vallat, membre du comité direc-teur de la fédération nationale catholique depuis 1925 et adhérent auxCroix de Feu (Jolly, op. cit., p. 3146). Se situant ainsi sur un terrain sou-mis à un champ de forces idéologiques concurrentielles très vif, CamilleBlaisot, antiradical notoire, proche dans l’espace des positions politiquesde ce dernier, va être encore plus explicite et rappeler ses conditions(Jolly, op. cit., p. 618-619). « Je voterai donc les crédits qui nous sont actuelle-ment demandés, mais je souhaite que le libéralisme entre suffisamment dansl’esprit de tous les citoyens pour qu’ils arrivent à faire comprendre à leurs repré-sentants au Parlement que lorsque des hommes mettent leurs petits enfantsdans une école privée, ils ont le droit, comme citoyens, de demander que l’Étatne se désintéresse pas complètement de leur santé et ne vienne pas dire que,parce que ces enfants fréquentent une école privée, il est en droit de se refuser àaccorder des subventions, dont le montant est pris tout de même dans la pochede tous les contribuables, à des associations d’éducation physique même privéesqui ont exclusivement pour but le développement de la santé des jeunes Fran-çais. (Applaudissements à droite et au centre.).(18)»

Entre temps, peu après son arrivée au ministère de l’Instructionpublique (fonction qu’il occupe du 9 mars 1926 jusqu’au 15 juin 1926),Lucien Lamoureux, connu pour ses positions médianes (Jolly, op. cit.,p. 2114-2116), proposa avec le ministre de la Guerre un projet de loi « envue de l’organisation de l’éducation physique » qui tend à substitueraux IREP une formule moins ambitieuse(19).

Le projet suivit toutefois son cours jusqu’au retour d’Herriot à latête du ministère de l’Instruction publique (23 juillet 1926) qui, cher-chant probablement une grande latitude, se garda de créer un sous-secrétariat d’État, auquel revenait habituellement l’organisation del’enseignement technique et de l’éducation physique. Et même dans

(17) J.O., Chambre des Députés, séance du 7 juillet 1928, p. 2389-2394.(18) J.O., Chambre des députés, 8 juillet 1928, p. 2394. (19) J.O., « Document parlementaire », annexe no 2894, 1926, p. 713-714.

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le cas où Herriot aurait envisagé de maintenir ce poste, sans douten’aurait-il songé à le confier à personne d’autre qu’à Gaston Vidal(20). Eneffet, bien que ce dernier perdit aux élections législatives de 1924 sonmandat, Herriot le désigna à nouveau pour diriger le travail de ladeuxième « commission d’éducation physique » qui, instituée au coursdes dernières semaines de l’année 1927, permit de débloquer les créditsnécessaires à la création des IREP.

Conclusion

Pour se satisfaire d’une approche plus équilibrée de la formation de cesinstituts universitaires il faudrait prendre en compte d’autres paramè-tres, indissociables les uns des autres, pour saisir la dynamique généraledans laquelle ils s’inscrivent.

Tout d’abord, le contexte associé à la mise en place des IREP neprend en définitive tout son sens que rapporté à la question des fonde-ments de l’investissement médical en éducation physique et, plus géné-ralement, du problème de la médicalisation de la vie sociale (Faure,1996), qui ne pouvaient être abordés pleinement dans le cadre imparti àcet exposé. Le mouvement hygiéniste (voire aussi eugénique) a contri-bué, d’une mamière ou d’une autre, à l’élan réformateur qui a porté lesIREP jusqu’à leur traduction institutionnelle. Car n’oublions pas quel’hygiénisme qui régit directement maintes sphères d’activités sociales(Murard L. et Zylberman, 1985) est l’un des paradigmes dominants dansla définition de l’éducation physique de l’écolier à cette époque (Fauché,S. et Orthous, M., 1990 ; Fauché S., 1996). Les finalités et contenus mêmedes programmes d’enseignement et de socialisation professionnelle deséducateurs physiques sont d’ailleurs puissamment subordonnés à lavision du monde hygiéniste. Ainsi, la fondation de ces instituts au seindes facultés de médecine trouverait là l’un des facteurs explicatifsmajeurs de leur implantation en leur sein, et pas ailleurs, comme parexemple au sein des facultés des sciences ou de lettres.

Le débat qui tourne autour de la définition légitime de la formationdes enseignants de l’éducation physique (scolaire) qui, à bien des

(20) Ceci s’explique aisément par l’existence de la compétition (politique) pour la gestionde ce portefeuille entre Gaston Vidal, instituteur à l’origine, et Henry Paté, ancien militairede carrière. Une étude biographique comparée serait à ce sujet fort intéressante pour saisirles procédures l’œuvre pour tel ou tel poste électif.

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égards, fut l’un des enjeux de lutte pour justifier et imposer le bien-fondé de ce réseau d’instituts régionaux aurait lui aussi mérité unexamen circonstancié. Les IREP suscitèrent à ce sujet l’organisation d’unvéritable rapport de forces (Othous et Fauché, op. cit. ; Defrance, 1993,1998) qui opposa continuellement non seulement médecins et« pédagogues », mais aussi médecins entre eux (Boigey, Pierre-Nadal,Ruffier, etc.).

Enfin, la genèse des IREP ne saurait se comprendre sans prendre enconsidération le rôle effectif de l’interaction internationale des modèlesd’organisation supérieure de l’éducation physique ; il s’agirait, au-delàdu problème d’antériorité, d’envisager une approche synchronique dela question de la réception/diffusion des innovations institutionnellesréalisées dans les pays développés afin, de montrer qu’il y a, dans leursinfluences réciproques, interfécondation.

Ces formes de tensions sont indissociables dans tout questionne-ment relatif aux IREP. Cependant, la présente étude s’est uniquementcentrée sur leur « mise en place » pratique (Thibault, 1981, p. 37) dontl’élucidation contribue à faire de ces « IREP » autre chose qu’un mottotem occultant les conditions sociales de leur formation. Resterait doncà aller encore plus loin car la création des IREP annonçe déjà l’émer-gence et la légitimation d’une activité sociale nouvelle, à savoir l’ensei-gnement universitaire et la recherche appliquée aux activités physiqueset aux sports. Des travaux systématiques pourrait être initiés quant àleur programme initial d’action pédagogique et scientifique comme, parexemple, la logique de la distribution des enseignements et l’activité decertification, le recrutement du personnel enseignant et leurs propriétéssocioprofessionnelles, le profil « culturel » des étudiants qui suivent cesformations, ou bien encore, la place accordée à la recherche et au choixdes objets traités.

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