De l’exploitation salariale. quand « plus-value » et « erreur de compte....pdf

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  • 7/23/2019 De lexploitation salariale. quand plus-value et erreur de compte....pdf

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    Chroniques de lOncle enz

    5

    De lexploitation salariale: quand plus-value et erreurde compte nexpliquent rien mais disent beaucoup

    Pour Marx comme pour Proudhon, et comme pour les socialistes du XIXme sicle, le salaire

    en rgime capitaliste, couvre les frais dexistence et de reproduction du travailleur (Marx)

    etcondamne le salari l indigence (Proudhon). Mais la liaison entre salaire et indigence( grande pauvret daprs le Larousse) est pour le moins problmatique car de deux choses

    lune: ou le salaire paie les frais et donc assure matriellement lexistence du

    travailleur, alors quid de lindigence? Ou le salaire ne paie pas ces frais et il faut autre

    chose que le salaire, pour expliquer lindigence.

    Lexploitation capitaliste, chez Marx, se matrialise par un salaire amput de quelque chose,

    la plus-value , que saccapare le capitaliste(louvrier typique cher Karl travaille 10heures, il est pay lquivalent de cinq). Ce salaire maintient,par lui-mme, les travailleurs

    dans lindigence1.

    Chez Proudhon, ce nest pas le salairepar lui-mme qui maintient les travailleurs dans la

    pauvret mais la prcarit: le salaire du lendemain nest pas assur puisque les travailleurssont privs de la possession des moyens de production, do une indigence comme rsultatde

    la prcarit : Le salaire du travailleur ne dpasse gure sa consommation courante et ne lui

    assure pas le salaire du lendemain, tandis que le capitaliste trouve dans linstrument produit

    par le travailleur un gage dindpendance et de scurit pour lavenir () cette prparationdun fonds et dinstruments de production, est ce que le capitaliste doit au producteur, et quil

    ne lui rend jamais : et cest cette dngation frauduleuse qui fait lindigence du travailleur

    cest en cela surtout que consiste ce que lon a si bien nomm exploitation de lhomme par

    lhomme. 2.

    Pour le dire vite : chez Marx, le salaire, au final, ne peut couvrir les frais dexistencequand chez Proudhon, au final, il ne peut couvrir les frais de reproduction du travailleur.

    Laissons de ct la question du final (dynamique du capitalisme entranant la

    pauprisation massive chez Karl, sur une vie de proltaire chez Pierre-Josephmaladie,

    chmage et vieillesse non assures-)

    1Dans le raisonnement de Marx, il faut passer de lindividu la classe sociale: cest relativement lensemble

    de la classe ouvrire (classe salarie) quen moyenne les salaires laissent les travailleurs dans la pauvret. Nousne rentrerons pas dans le dbat sur le salaire relatif et la pauvret relative, la validit des raisonnements en

    moyenne, la distinction entre travail simple et travail complexe , etc. Marx est aussi clair que le Coran,disait Keynes2 Quest ce que la proprit, chap. III, par. 5. , idem pour les citations venir de Proudhon.

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    Faisons une premire considration intermdiaire:

    On voit immdiatement, aujourdhui, dans un pays capitaliste avanc comme la France,

    lcart avec laralit, dun point de vue conomique: la distribution des salaires, avec un

    cart au salaire moyen de lordre de trois 3, comme les conditions matrielles et de scurit

    sociale dun large groupe de salaris (pas seulement les fonctionnaires) ne refltent pas les

    conclusions de Marx comme de Proudhon. Le groupe des salaris- indigents est au finalminoritaire dans les socits salariales de nos pays capitalistes avancs. Cest essentiellement

    ce groupe, les working-poors , qui rpond aux reprsentations du salariat de Marx et

    Proudhon, et encore partiellement puisque, contre Marx, cest le salariatatypique dun temps

    partiel qui condamne la pauvret et, contre Proudhon, il existe des filets sociaux , plus ou

    moins importants suivant les systmes de protection sociale, qui limitent l indigence au

    long de la vie, issue de la prcarit.

    Ceci dit cest encore le raisonnement de Proudhon qui est au plus prs de la ralit des classes

    salaries en pointant la prcarit comme le problme majeur des travailleurs en rgime

    capitaliste : menace permanente et ralit plus ou moins massive suivant les priodes de crise

    ou de stabilit du systme conomique capitaliste.

    Cest toutefoisle grand problme de la critique socialiste, aligne sur la position marxiste, quedans les pays capitalistes avancs, le groupe de travailleurs dont les conditions matriellesde

    vie rpondent aux critiques conomiques du salariat soit minoritaire ! On ajoutera qu

    vouloir analyser le salaire comme phnomne conomique pur soumis lexploitation

    capitaliste, lanalyse marxiste reste indiffrente au secteur non capitaliste de l'conomie4

    La distinction entre ces deux analyses du salariat nest pas souvent perue par les

    commentateurs, la tendance tant rabattre lanalyse proudhonienne (antrieure) sur lanalyse

    marxiste : lerreur de compte chez Proudhon tant considr comme quivalente, au point

    de vue du rsultat sur le salaire-revenu montaire, la plus-value de Marx.

    Cest une erreur grossire, nous sommesbien en prsence de deux appareils thoriques trs

    diffrentssur lconomie politique en gnral. Et ces diffrences expliquent que lon

    aboutisse, comme perspective de transformation sociale, une projet dconomie dchanges,

    dcentralise et autogre du ct proudhonien, et un projet dconomie de rpartition

    (conomie domestique ), partir dun pouvoir centralis du ct marxiste5.

    Voyons maintenant plus en dtail ces conceptions du salaire et de lexploitation capitaliste.

    Lerreur de compte ou le problme politique du droit de proprit collective .

    Pour notre jurassien (voir notre chronique 3), il ny a pas dchange entre salari et capitaliste,le vol ,dun point de vue conomique, cest justement quil ny pas dchange: le patron

    ne cde rien de son capital au salari (le capital nest ni vendu, ni prt) quand le salari lui

    cde son travail. Il nen reste pas moins que le salari est pay.

    3Le calcul sur une moyenne occultant les formidables carts aux extrmes, voir Les hauts revenus en France au

    XXme sicle, Thomas Picketty, ed. Grasset, 20014Or dans les pays capitalistes avancs environ un tiers du salariat chappe, au moins directement, au rapport

    conomique capitaliste dans lequel Marx enferme la question salarie: lemploi du secteur non lucratif (emploipublic, conomie dite sociale -mutuelles, associations, coopratives-). Ce secteur, par contre, nchappe pas

    au problme de la prcarit soulev par Proudhon (hormis les titulaires de la fonction publique, dont on sait parailleurs que la diminution est un enjeu des politiques contemporaines).5Marx nest pas prolixe sur la questionEt on ne peut le charger de ce quont pens et fait ses disciples.

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    Proudhon ne compare pas le salaire une valuation du produit du travail (la productivit

    chez les conomistes)6. Il demande au salaire dassurer la consommation du travailleur, dans

    les meilleures conditions (mais toujours modestes chez Pierre-Joseph) et de manire

    galitaire. Sous ce rapport l, il ne rclame rien sur le salaire comme tel, le salaire nest pas le

    nud de lexploitation.

    Cest le salaire du lendemain qui proccupe Proudhon, cest dire le fait que le capitaliste necdant rien de son capital contre le travail du salari, le proltaire reste, le lendemain, dans le

    mme tat que la veille relativement aux moyens de production et dans la mme dpendance

    par rapport aux capitalistes/propritaires.

    Comme autrefois le roturier tenait sa terre de la munificence et du bon plaisir du seigneur,

    de mme aujourdhui louvrier tient son travail du bon plaisir et des besoins du matre et du

    propritaire

    Ce nonchange, Proudhon lillustre par ce quil appelle lerreur de compte (on insiste

    lourdement : il y a une erreur dans la rpartition par le patron du produit du travail, il ny a

    pas d erreur dans un change entre patrons et salaris):

    Le capitaliste, dit-on, a pay lesjournesdes ouvriers ; pour tre exact, il faut dire que le

    capitaliste a pay autant de fois une journequil a employ douvriers chaque jour, ce quinest point du tout la mme chose. Car, cette force immense qui rsulte de lunion et de

    lharmonie des travailleurs, de la convergence et de la simultanit de leurs efforts, il ne la

    point paye. Deux cents grenadiers ont en quelques heures dress loblisque de Luqsor sur sa

    base ; suppose ton quun seul homme, en deux cents jours, en serait venu bout ? Cependant,

    au compte du capitaliste, la somme des salaires et t la mme.

    Sagit-il de transfrer la part qui provient du travail collectif vers le salaire individuel ?

    Absolument pas ! Encore une fois le problme de Proudhon nest pas le salaire individuel,

    dont il nie quil soit juste ou possible de lvaluer7.

    Pour notre jurassien il ne manque rien au salaire individuel, tout au plus la part le dividendedu capitaliste (quilne faut pas confondre avec la totalit du profit, voir chronique 4), part qui

    devrait tre remise au pot commun salarial (certes des millions dans les grandes entreprises

    mais diviser entre plusieurs milliers de salarissans compter lactionnariat salari,

    relativement rpandu aujourdhui).

    Lerreur de compte nest quune mtaphore pour un raisonnement conomique sur le

    capitalisme comme systme drogatoire aux lois de lchange: Ce paiement de la force

    collective dont le capitaliste ne sacquitte pas, il constitue la part de capital qui devrait revenir

    aux travailleurs pour assurer les charges de lapossession de lentreprise, la part de lchange

    si nous tions dans une relle conomie dchange. lorsque vous avez pay toutes lesforces individuelles, vous navez pas pay la force collective; par consquent, il reste

    toujours un droit de proprit collective que vous navez point acquis, et dont vous jouissezinjustement.

    Cest le droit de proprit collective que vise Proudhon le proltaire dans son

    raisonnement sur lerreur de compte, pas lepaiement dune force collective qui devrait

    sajouter au salaire individuel. Car cest cette proprit collective, arrache aux capitalistes,

    qui doit assurer la scurit du revenu du lendemain et plus gnralement mettre fin

    lexploitation de lhomme par lhomme.

    6 Sparez les travailleurs lun de lautre, il se peut que la journe paye chacun surpasse la valeur de chaque

    produit individuel : mais ce nest pas de cela quil sagit . On ne peut tre plus clair sur le foss qui spare notre

    auteur de Marx comme des conomistes no-classique (salaire individuel gal productivit individuelle).7Voir le paragraphe 6 du chap. III : Que dans la socit tous les salaires sont gaux . Notre auteur demande

    un mme taux horaire de salaire pour tous les travailleurs, quel que soit leur talent .

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    La plus-value et lornire du salaire comme change.

    Marx critiquait Proudhon en expliquant, a contrario, quil ny a pas de vol mais bien un

    change entre capitaliste et travailleur. Cest () la science conomique et aux lois de

    lchange que Karl Marx va emprunter ses armes.8

    . Voici le raisonnement bien connu (quoique):

    Le capitaliste paye au travailleur sa force de travail , il la paye sa valeur , cest

    dire quelle est pour lui comme une marchandise et le capitaliste paye cette marchandise

    son cot de production. Or le capitaliste fait travailler le salari plus longtemps que le temps

    ncessaire payer ces frais et ce sur-travail donne un produit quivalent la plus-

    value que le capitaliste empoche.

    Ainsi, daprs Marx, le capitaliste empoche la diffrence entre le cot de production

    (le salaire du travailleur) et le produit du travailleur (de sa journe de travail, arbitrairement

    allonge) vendu sur le march, et ce faisant il ne fait que se conformer aux lois de

    lchangequil biaise lgrement grce cette marchandise particulire questle travail qui

    produit par elle-mme dautres marchandises. Le tour est fait. Le problme est rsolu danstous ses termes. La loi des changes a t rigoureusement observe : quivalent contre

    quivalent. 9

    La confusion de lanalyse marxiste a rapidement t dnonce mais le succs de la

    rvolution russe lui a permis de rester premire au box office de lanti-capitalisme...

    Sur cette confusion, il suffit de dire, en passant, primo : que le passage de la marchandise-

    travail la marchandise-produit senferme dans un cercle vicieux: le salaire vaut du temps de

    travail, le temps de travail vaut du pain et du boursin, combien vaut le pain et le boursin ? Dutemps de travail, etc.

    Secundo :que la distinction entre deux parts du salaire (celle qui revient au travailleur et la

    plus-value qui lui chappe) est incapable dexpliquer ce simple fait: quand jachte une

    baguette de pain avec mon salaire, jepaye et le salaire de louvrier-boulanger et le profit du

    patron-boulanger, ceci bien que je ne travaille pas pour ce patron-ci mais pour un autre ; ainsi

    mon salaire, amput de la part du profit capitaliste, paye encore du profit capitaliste, etc.

    Pour Marx lenjeu thorique cest de subvertir de lintrieur toutethorie conomique en

    gnral. Si on considre les rsultats pratiques de cette subversion, de leffondrement des pays

    de lEst la Chine capitalo-communiste, on voit combien il vaut mieux prendre lconomie ausrieux...

    Conclusion sommaire :

    Aussi bien lanalyse proudhonienne que marxiste, en tant quanalyse conomique du salariat,

    est inoprante lorsque il sagit den tirer des conclusions prcises sur le niveau de salaire ou

    les conditions matrielles des travailleurs/euses (temps de travail, niveau de protection

    sociale, etc.).

    Tout ne se passe pas dans la ralit comme dans ces schmas sophistiqus. On peut parier que

    Proudhon serait surpris du niveau de scurit sociale atteint par de larges couches de la

    8

    Histoire des doctrines conomiques, Charles Gide, Charles Rist, chap. V, Livre II, p. 507, 1944, rditionDalloz ,2000.9Marx cit dans Histoire des doctrines conomiques, p.512.

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    population salarie et Marx sinquitait dj de son temps de voir le niveau des salaires

    augmenter, contre ses prvisions.

    La plus-value comme lerreur de compte nexpliquent rien, il suffit de comprendre,

    comme tout un chacun le sait, quen gnral le propritaire capitaliste rpartit les revenus de

    lentreprise en se servant largement, il encaisse son profit autant que possible et ceci enfonction de ltat des marchs (march de lemploi, march des biens, etc.), du droit du

    travail existant et du rapport de force avec les salaris, et cest tout ce que lon peut en dire,

    sans aucune conclusion a priori sur des consquences ncessaires en terme de pauvret ou

    dindigence

    Chez Marx la critique radicale du capitalisme, dun point de vue conomique, se fonde sur

    lchange entre capitalistes et travailleurs. De cet change rsulte la reconduction du

    monopole des capitalistes sur les moyens de production. Cest en se conformant aux lois de

    lconomie, et non comme chez Proudhon en y drogeant, que le capitalismese reproduit !

    Cest pourquoi le problme conomique chez les marxistes, une fois transfr le monopoledes moyens de production la collectivit (lEtat), se borne revenir une conomie

    domestique do lchange est (officiellement) banni et o la collectivit (lEtat) dcide de la

    rpartition10.

    Chez Proudhon la critique radicale du capitalisme, dun point de vue conomique, se fonde

    sur labsence dchange entre capitalistes et travailleurs. De cette absence dchange rsulte

    la reconduction du monopole des capitalistes sur les moyens de production. Cest en

    drogeant aux lois de lconomie, et non en sy conformant comme chez Marx, que le

    capitalisme se reproduit !

    Cest pourquoi le problme conomique chez Proudhon, une fois rendue la possession de

    lentreprise (latelier) aux travailleurs, est celuide lorganisation des changes. Cest cela

    lapport de Proudhonen conomie: prendre le systme dchanges au srieux et nier que la

    proprit capitaliste, la proprit dentreprises, obisse elle-mme ce systme11

    .

    Bon on fait un rsum de tout cela et des chroniques prcdentes pour la prochaine.

    Ensuite on passe aux choses srieuses : la thorie de lquilibre conomique gnral chez

    Walras, issue du besoin de rpondre Proudhon, sur cette question de lorganisation deschanges. La rponse Proudhon, le modle de la concurrence pure et parfaite ,

    nalimentantrien moins que le cur de toutes les thories conomiques contemporaines!

    Oncle Benz

    10

    Le pouvoir des capitalistes comme classe passe ainsi aux mains de la bureaucratie dEtat.11Cest le problme, fondamental, que pointe R.H. Coase dans son article de 1937, en montrant que le

    fonctionnement de la firme droge au march , voir la chronique 3. On reviendra sur ce pointcapital.