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opéra en actes De l’élève au danseur La formation des danseurs de l’École de danse de l’Opéra national de Paris

de L’élève Au Danseur : La Formation Des Danseurs De L ... · L’École de danse de l’Opéra s’intègre entre 8 et 13 ans. Institution gratuite depuis sa création en 1784,

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opéra en actes

De l’élève au danseur La formation des danseurs de l’École de danse de l’Opéra national de Paris

3 PRÉSENTATION

4 ÊTRE APPRENTI DANSEUR

4 Des élèves en apprentissage

8 Un parcours long et sélectif

12 Les petits rats de l’Opéra sont-ils des artisans ou des artistes ?

15 Dimension artistique

19 DÉCOUVRIR L’ARTISTE QUE L’ON EST

19 Grandir : la transformation des corps

20 Le rapport fille/garçon

21 Devenir autonome

22 Entre intériorité et extériorité : se construire

24 HISTOIRE, ART ET LITTÉRATURE

24 Historique de l’École de danse

27 Portraits du petit rat de l’Opéra

29 Qui est la petite danseuse de Degas ?

32 RESSOURCES

32 Glossaire

36 Bibliographie

37 Sitographie

38 Bibliothèques spécialisées et sites d’informations dédiés à la danse à Paris

38 Filmographie complémentaire

39 VIDÉOS EN BONUS

39 Documentaire Graines d’étoiles

40 Webdocumentaire De l’élève à l’artiste

41 CRÉDITS DU DOSSIER

Sommaire

OPÉRA EN ACTES

3DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Présentation

Dans le prolongement de la commémoration du tricentenaire de l’École de danse, retrouvez notre dossier pédagogique « De l’élève au danseur : la formation des danseurs de l’École de danse de l’Opéra national de Paris ». Il comprend : – Des extraits du documentaire Graines d’étoiles réalisé par Françoise Marie et produit par Schuch Productions, Arte France, l’Opéra national de Paris et NHK.

– Des séquences vidéo du webdocumentaire De l’élève à l’artiste réalisé par Françoise Marie et pro-duit par Schuch Productions avec le soutien d’Arte Live Web et du Centre national du cinéma et de l’image animée.

– Un texte d’accompagnement des modules vidéo et des pistes pour la classe pour les enseignants de tous niveaux rédigés par Emmanuelle Delattre-Destemberg, doctorante en histoire à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Le tricentenaire de l’École de danse de l’Opéra national de Paris a été l’occasion pour cette institution prestigieuse d’ouvrir ses portes et de partager avec un large public ce qui fait sa singularité.

Françoise Marie a donc réalisé en 2012, avec l’autorisation d’Élisabeth Platel, directrice de l’École de danse de l’Opéra national de Paris, un documentaire, Graines d’étoiles, cherchant à saisir le quotidien de ceux que l’on nomme « les petits rats de l’Opéra ». Ce documentaire, produit par Schuch Productions, Arte France, l’Opéra national de Paris et NHK, a été diffusé sur Arte au printemps 2013 et se compose de six épisodes qui développent les temps forts d’une année à l’École de danse.

Des passages inédits de Graines d’étoiles, composés de séquences de danse et d’interviews, ont formé le webdocumentaire De l’élève à l’artiste, réalisé par Françoise Marie et produit par Schuch Productions en 2013, avec le soutien d’Arte Live Web et du Centre national du cinéma et de l’image animée.

Les élèves de l’École de danse de l’Opéra national de Paris ont la chance de bénéficier d’une formation artistique considérée par la communauté des danseurs comme la plus performante. Ce sont des élèves, âgés de 8 à 18 ans, qui témoignent à des périodes clés de leur scolarité, comme durant les répétitions d’un spectacle, la préparation d’un examen mais aussi à des moments du quotidien, à l’internat ou dans la classe de français. Le documentaire Graines d’étoiles apporte un regard neuf sur cette école créée au xviiie siècle et montre comment elle a su adapter ses structures d’enseignement pour maintenir sa force et son excellence tout en s’ouvrant sur des expressions corporelles et artistiques contem-poraines. La direction d’Élisabeth Platel constitue un tournant dans l’histoire de l’École de danse, tant dans la prise en charge des enfants et des adolescents que dans la façon dont ils seront guidés. L’immersion durant une année dans cette structure d’excellence participe à comprendre comment, dans un parcours scolaire et artistique, des élèves passionnés et déterminés sont guidés pour trouver leur voie professionnelle.

Avec l’aimable autorisation de l’Opéra national de Paris. 

OPÉRA EN ACTES

4DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Être apprenti danseur

DES ÉLÈVES EN APPRENTISSAGE

ORGANISATION DE L’ÉCOLE

Entrer à l’École de danse de l’OpéraL’École de danse de l’Opéra s’intègre entre 8 et 13 ans.

Institution gratuite depuis sa création en 1784, elle accueille 95 % d’élèves français et environ 5 % d’élèves venus de l’étranger, essentiellement européens et asiatiques, attirés par la réputation d’excel-lence d’un établissement ouvert à l’international.

Être admis à l’École de danse constitue un rêve pour tous ces élèves et pour certaines familles. Les dispositions requises à l’entrée sont très précises, car l’École recherche un type particulier d’élève pour une scolarité qui s’avère intense, aussi bien sur le plan psychologique que physique.

Une double formation : scolaire et artistiqueL’École de danse de l’Opéra est organisée autour de deux pôles : le pôle scolaire et le pôle artistique.

Assurer une formation scolaire est une obligation légale mais aussi une nécessité : tous les petits rats de l’Opéra ne deviennent pas des danseurs professionnels. De plus, les danseurs d’aujourd’hui sont des citoyens éduqués et ouverts sur le monde qui les entoure.

Les élèves de l’École suivent le Socle commun imposé par l’Éducation nationale, de l’école primaire jusqu’au baccalauréat, dans la filière littéraire. De même, ils préparent le brevet des collèges et les travaux personnels encadrés (TPE).

Ils profitent également d’un enseignement complémentaire en anatomie et en histoire de la danse. Au terme de leur scolarité, ils obtiennent le Diplôme national supérieur professionnel de danseur (DNSPD).

La recherche de la performance et de la sensibilitéClaude Bessy, directrice de l’École de danse de 1972 à 2004, fut à l’origine d’une prise de conscience de la nécessité à assurer une double formation, intellectuelle et artistique, en lançant le projet du complexe réalisé et inauguré à Nanterre en 1987. Aujourd’hui, sous la direction d’Élisabeth Platel, les enfants sont amenés à découvrir et maîtriser la culture de la danse académique mais aussi à s’inté-resser à d’autres horizons artistiques. Il s’agit de favoriser l’éclosion des personnalités de chacun et d’alimenter une réflexion sur l’art.

Image extraite de la vidéo « Une scolarité particulière » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

OPÉRA EN ACTES

5DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Sur le plan scolaire, elle impose des études à mi-temps, plus flexible que des horaires aménagés, qui ont lieu les matinées alors que les cours de danse ont lieu les après-midi.

Le pôle artistique est totalement repensé. Il est organisé de façon globale et l’élève y reçoit une for-mation artistique complète : – danse classique*1 ; – danses de caractère* ; – danse contemporaine* ; – folklore ; – baroque (depuis 2013) ; – jazz ; – adage ; – musique et expression musicale ; – mime ; – gymnastique (pour les garçons) ; – théâtre.

Cette ouverture artistique a plusieurs vocations : – sensibiliser ces jeunes élèves à plusieurs disciplines afin d’éveiller leur génie artistique et créateur ; – trouver leur profil artistique. S’ils ont tous en commun une passion pour l’expression corporelle et la danse académique, il est certain qu’ils ne sont pas tous disposés à devenir des Étoiles de l’Opéra.

La globalité de la formation dispensée leur permet donc un apprentissage d’excellence les disposant à intégrer les meilleures compagnies du monde.

Elle est organisée en six divisions correspondant à six niveaux : la sixième division forme les jeunes enfants aux fondamentaux de la danse académique comme les six positions et le principe de l’« en-dehors », tandis que la première division prépare les adolescents à affronter leur future vie profes-sionnelle à l’Opéra ou dans les compagnies étrangères.

Le passage d’une division à l’autre est sanctionné par un examen de fin d’année. Cependant, les élèves doivent de façon continue prouver qu’ils sont aptes à rester au sein de l’École et faire face à une exigence et une pression de chaque instant.

Être élève à l’École de danse de l’Opéra s’envisage comme une préparation d’athlète de haut niveau. C’est pourquoi, une attention particulière est faite au bien-être physique et psychologique des enfants.

LA VIE EN INTERNAT

1 Les termes accompagnés d’un astérisque renvoient au glossaire.

Image extraite de la vidéo « Les cauchemars » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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6DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

La vie à Nanterre est aussi une vie d’interne.

Les élèves bénéficient, depuis la mise à disposition des bâtiments conçus par Christian de Portzamparc, de conditions propices à leur réussite.

Avant 1987, les petits rats de l’Opéra devaient rentrer chez eux ou chez leur correspondant, le soir, après les cours de danse ou après les spectacles. Ils bénéficient aujourd’hui d’une structure qui les accueille après les activités de la journée. Autour d’espaces communs de vie comme le foyer, les élèves disposent de chambres, d’une bibliothèque et d’espaces de détente dont un parc de 900 m2. Si quelques élèves ne sont pas pensionnaires, la grande majorité passe l’année scolaire dans ces murs et ne revient chez elle que quelques week-ends et durant les vacances.

Cette bulle peut parfois être difficilement vécue et fait intégralement partie de la gestion que chaque élève doit avoir de lui-même. Certains élèves, aptes sur le plan artistique, abandonnent l’École pour des raisons affectives. Pour gérer cette difficulté supplémentaire, en particulier pour les plus jeunes, le parrainage favorise des liens d’amitié ou des repères au sein de l’École. Chaque arrivant est parrainé par « une petite mère » ou « un petit père » qui vient du Corps du ballet ou de l’École. Une des spéci-ficités de cette école réside dans la relation de maître à disciple, du professeur à l’élève mais aussi du parrain avec son filleul dans laquelle la tradition orale trouve toute sa force.

La transmission orale est fondamentale dans l’esprit de l’École et l’existence du parrainage est un des rouages du lien très fort qui unit l’École au Corps de ballet.

L’internat est aussi un des lieux de la mixité, contrairement aux cours de danse classique. C’est donc un espace de rencontres des deux sexes, d’échanges interculturels où les sujets abordés sont aussi ceux des jeunes d’aujourd’hui.

Pour aller plus loin

Documentaire Graines d’étoiles – épisode 3 : « Les progrès »

L’ESPRIT DE L’ÉCOLE

Le style français

Lors de l’accueil des élèves, l’actuelle directrice de l’École, Élisabeth Platel, définit ce que sont la danse et le style de l’Opéra national de Paris. Le discours inaugural de la directrice a pour vocation d’éduquer parents et enfants à l’esprit de l’École, première étape dans le processus d’acculturation des élèves et de leurs familles. L’esprit de l’École se décline autour de deux axes principaux : le style et l’esprit.

Image extraite de la vidéo « Paroles de maîtres » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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7DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Le style de l’École française de danse tel qu’il s’élabore depuis la fin du xviie siècle se distingue par la finesse du mouvement, un travail sur l’épaulement et une recherche de la rigueur dans l’exécution des pas : le bas de jambe se singularise par la vitesse d’exécution notamment dans les exercices de batterie. Ce style se reconnaît à la sobriété et à l’élégance de l’allure où l’effort n’est jamais visible. Les chorégraphes étrangers y voient une qualité d’exécution incomparable qui permet aux danseurs d’interpréter tous les répertoires, aussi bien classiques que contemporains.

Dans l’épisode 5 du documentaire Graines d’étoiles, un chorégraphe invité est impressionné par l’adap-tation extrêmement rapide des élèves face à un nouveau langage chorégraphique. Un des élèves étrangers de l’École, originaire de Hong Kong, témoigne de cette alliance unique entre la précision technique et le port de tête « à la française ».

Il y a quelque chose d’un peu « pompeux » dit Élisabeth Platel dans le style de l’Opéra : sans doute, l’héritage royal du ballet de cour* et du ballet d’action* du xvie au xviiie siècle. La tradition est un des principes sans cesse répétés : « respecter les anciens », être conscient d’appartenir à une institution historique.

Être élève de l’École de danse, c’est donc avant tout un honneur.

Cette notion d’honneur va de pair avec celle de la discipline.La révérence, obligatoire dès qu’un élève rencontre un adulte dans l’enceinte de l’établissement, est un geste complètement intégré qui se définit autant par la politesse qu’il induit, que par le respect dont il témoigne envers les adultes et l’institution qu’ils incarnent.

En classe

Ne pas hésiter à aller sur le site Ressources pédagogiques du château de Versailles où les documents pédagogiques pour les enseignants sont très riches en particulier sur le thème du roi dansant.

Il sera donc intéressant de mettre en lumière le style français dont il est question ici avec des représentations des ballets de Louis XIV accompagnées des arguments du livret de certains ballets comme Le Ballet royal de la nuit.

La transmission oraleL’esprit de l’institution se caractérise par le regard qu’il porte sur le passé comme source de l’excel-lence. Mais il ne faut pas se tromper : même si la technique enseignée s’appuie sur les principes des deux derniers siècles, elle n’en demeure pas moins en constante évolution.

Le but de l’École est justement de parvenir à transmettre oralement l’expérience du passé, grâce aux anciens danseurs mobilisés au service des générations futures, tout en les poussant à se dépasser. De même, la danse académique demeure le fondement de l’existence de l’École, mais l’enseignement de la danse contemporaine ou l’invitation de chorégraphes étrangers, à l’occasion des spectacles annuels de l’École, favorisent une ouverture sur la modernité des courants et des styles d’aujourd’hui.

Ainsi, définir l’esprit de l’École, c’est montrer comment l’institution combine à la fois la solidité d’une transmission orale relayée par des professeurs qui ont tous, dans leur grande majorité, béné-ficié de l’enseignement à l’Opéra national de Paris, tout en cherchant à être à l’écoute de l’innovation artistique d’aujourd’hui. Les techniques évoluent, et l’Opéra national de Paris favorise l’ouverture aux chorégraphes contemporains à l’occasion de la préparation des spectacles annuels de l’École. Ce savant mélange crée une alchimie propre à l’Opéra que chaque rouage du système rappelle au quotidien.

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8DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

En classe

On pourra comparer l’Académie royale de danse et de musique avec d’autres institutions qui maintiennent des traditions fortes tout en cherchant à s’ouvrir sur de nouvelles techniques et de nouvelles formes d’expression artistique comme l’école Boulle, l’école des arts et métiers. Dans ces écoles, la tradition orale et l’apprentissage sont au cœur de l’enseignement. Elles demeurent des écoles prestigieuses sur le plan national et international.

En classe

À partir d’une photo du début du xxe siècle et d’une photo d’une classe actuelle, remettre en perspective la question de l’apprentissage et du travail des enfants entre la révolution industrielle au xixe siècle et aujourd’hui. Il est ainsi possible d’orienter les problématiques liées au parcours professionnel.

Dans une autre approche, il est envisageable d’interroger le rapport au corps que ces danseurs entretiennent : la norme esthétique évolue tout comme le regard que les sociétés posent sur ces corps.

UN PARCOURS LONG ET SÉLECTIF

LA VOCATION ET L’AVENIR

Ces témoignages montrent avec force la détermination des élèves qui n’ont qu’une envie et qu’un seul désir : celui de faire carrière dans le monde de la danse. Cette carrière se projette d’abord à l’Opéra, rêve de chacun de ces apprentis ; d’autres, conscients de la difficulté que cela représente, savent que d’autres voies sont possibles.

UNE SÉLECTION DRASTIQUE

Entrer à l’École de danse nécessite de franchir une première sélection sur dossier où l’on inspecte les critères physiques : le rapport entre le poids et la taille est étudié avec minutie et est indicatif.

Filles – 8 ans : min 1 m 32 – 22 kg, max 1 m 35 – 25 kg – 9 ans : min 1 m 35 – 25 kg, max 1 m 38 – 27 kg – 10 ans : min 1 m 38 – 27 kg, max 1 m 42 – 29 kg – 11 ans : min 1 m 42 – 29 kg, max 1 m 50 – 34 kg – 12 ans : min 1 m 50 – 34 kg, max 1 m 55 – 40 kg – 13 ans : min 1 m 53 – 38 kg, max 1 m 60 – 43 kg

Image extraite de la vidéo « Projeter sa vie » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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9DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Garçons – 8 ans : min 1 m 34 – 25 kg – 9 ans : min 1 m 38 – 28 kg – 10 ans : min 1 m 40 – 31 kg – 11 ans : min 1 m 45 – 37 kg – 12 ans : min 1 m 50 – 40 kg – 13 ans : min 1 m 55 – 45 kg

Source : Le site de l’Opéra national de Paris

Dans un second temps, une audition évalue les aptitudes physiques des enfants. Les élèves sont ensuite mis en situation dans le cadre d’un cours de danse où la technique détermine l’admissibilité au stage.

L’épreuve du stageL’étape de l’admissibilité se poursuit dans le cadre d’un stage de mise en situation d’apprentissage, d’une durée de six mois (pour les 8-11 ans) à un an (pour les 11-13 ans), au terme duquel les élèves postulants passent un concours d’admission.

Cette phase de sélection s’accompagne d’un bilan médical. En effet, l’institution ne peut admettre des élèves qui présentent des pathologies ou des malformations que l’activité sportive intensive exacerbe-rait. Tous les enfants sont ainsi étroitement surveillés sur le plan médical durant toute leur scolarité.

Entrer à l’École de danse relève donc d’une sélection drastique.

LES EXAMENS ET CONCOURS

Si cette sélection se révèle rigoureuse, elle ne fait que présenter un avant-goût de la série d’examens et de concours que franchissent les élèves puis les danseurs du Ballet de l’Opéra. Chaque fin d’année est sanctionnée par un examen entraînant le passage dans la division supérieure ou l’exclusion de l’École.

Image extraite de la vidéo « Le Temps des épreuves » du documentaire Graines d’étoiles, épisode 6, de 00:52 à 02:16.© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

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10DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

SE DÉPASSER AU QUOTIDIEN

L’émulation que crée la sélection d’élèves de talent ou aux capacités remarquables permet à ces élèves de se dépasser. Même s’ils nouent des amitiés très fortes durant leurs années à l’École, il n’en demeure pas moins, qu’arrivés au terme de leur scolarité, ils vont devoir se mesurer au concours d’entrée du Corps de ballet. Ce moment, à la fois redouté et attendu, a longtemps été anticipé. Les familles ont à cet égard un rôle non négligeable car elles espèrent la réussite de leur enfant dans ce projet exigeant. D’autre part, la danse étant une discipline de la rigueur et du dépassement, les élèves sont confrontés sans cesse à leur propre remise en question.

Le concours pour entrer dans le Corps de ballet de l’Opéra

Le dernier épisode du documentaire Graines d’étoiles expose : – les examens de passage d’une division à l’autre ; – le concours de fin d’année de la première division.

De 16 à 18 ans environ, les élèves les plus âgés de l’École présentent le concours de recrutement interne du Corps de ballet de l’Opéra. Extrêmement sélectif, il ne recrute chaque année que quelques danseurs.

Dans le documentaire, les postes à pourvoir ne sont qu’au nombre de quatre. Sur des classes d’une petite dizaine d’élèves, seule une infime partie parvient à intégrer le Corps de ballet comme stagiaire. À l’issue du concours interne, une fille et un garçon sont retenus. L’Opéra organisera donc un concours de recrutement externe pour pourvoir les postes vacants auxquels les élèves de l’École pourront également se présenter. Parmi les nombreuses sources de recrutement, figure le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris d’où sont issues certaines danseuses Étoiles comme Élisabeth Platel. L’étranger constitue également une autre source de recrutement, comme c’est le cas de l’Argentine Ludmila Pagliero, entrée en 2003 dans le Corps de ballet, puis nommée Étoile en 2012.

Image extraite de la vidéo « La Rentrée » du documentaire Graines d’étoiles, épisode 1, de 17:38 à 19:31.© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

Image extraite de la vidéo « L’Opéra d’abord » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

OPÉRA EN ACTES

11DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Ce passage du documentaire est particulièrement touchant, car il révèle plusieurs aspects des sacri-fices et de l’investissement mis en œuvre par ces adolescents : la compétition entre les danseurs, leur solidarité face à la pression et au risque d’échouer, l’effondrement d’un rêve pour d’autres… tous ces aspects sont visibles.

Le marché du travail est extrêmement concurrentiel et obtenir son intégration au sein du Corps de ballet de l’Opéra signifie aussi avoir un emploi de danseur professionnel. D’autres élèves, attristés par leur échec, savent néanmoins que leur place n’est pas forcément à l’Opéra. Ils pourront intégrer d’autres compagnies.

En classe

L’expérience de l’examen et des concours à l’Opéra peut être mise en relation avec d’autres examens de type scolaire ou d’autres types de concours (baccalauréat, brevet des collèges…). Il serait intéressant de montrer que l’École de danse de l’Opéra s’inscrit dans un système d’enseignement spécifique à la France. Les écoles dont l’entrée est sur concours ne sont pas rares : l’École normale supérieure, Polytechnique, l’École des Mines, Centrale, etc. Comment, dans le cadre de la préparation et du parcours au sein de ces écoles, les élèves :

– Gèrent-ils leur façon de travailler ?

– Gèrent-ils leurs angoisses face à l’échec ?

– Comment la compétition et l’émulation sont des moteurs de la réussite ?

Il s’agit ici de montrer les façons dont les jeunes gèrent leurs angoisses et leur stress.

LES APTITUDES

Des capacités physiquesLa question des aptitudes s’avère une affaire très précise à l’Opéra national de Paris. Quels sont les critères sur lesquels l’institution fait reposer son choix ?

Les aptitudes reposent sur des capacités physiques et une harmonie des différentes parties du corps. Une ligne doit se dessiner au regard de l’ensemble du corps.

C’est ainsi que deux fillettes expliquent qu’avoir un « beau pied », c’est avoir un « coup de pied » qui prolonge la ligne de la jambe. Cette dernière doit être longue, ses muscles allongés, témoignant d’un travail fait dans la longueur et non d’un travail fait dans la force et dans le « sol », façonnant des muscles ramassés. Il y a, dans l’ensemble des exercices du milieu ou à la barre, une recherche constante de hauteur, d’aérien. Il faut, selon les professeurs, toujours chercher à être « au-dessus » de sa pointe, le bassin ouvert et rentré sur lui-même. La danseuse doit caresser l’espace qu’elle occupe et non « s’appuyer » dessus. Les danseurs, s’ils prennent appui au sol pour les sauts et les portés, répondent aussi aux mêmes exigences de rendre le mouvement aérien et non écrasé dans le sol.

Des capacités intellectuellesÀ ces caractéristiques physiques, s’ajoutent des capacités intellectuelles tout autant recherchées par l’institution. Ainsi, dans l’épisode 2 de Graines d’étoiles, Wilfried Romoli arrête un cours et se fâche après ses élèves qui n’arrivent pas à comprendre qu’un geste se pense avant de s’exécuter.

La compréhension du geste fait partie du savoir que chaque élève doit cultiver et approfondir. La formation des danseurs n’est pas seulement une formation technique et artistique. Elle fait appel à l’intelligence et au sens du mouvement. Dans l’épisode 2 du documentaire Graines d’étoiles, il est ques-tion du sens du « ET » dans le temps du mouvement. Ce passage peut sembler mystérieux pour celui qui est extérieur à la scène. Pourtant, il permet de souligner comment le danseur doit intellectualiser le mouvement dans son contexte corporel et musical. Les cours de Scott Alan Prouty vont dans ce sens. Comment exprimer une intention avec un mouvement ou un regard ? Comment être subtil avec son corps et, qui plus est, musicalement ?

Un mental d’acierPour répondre à l’ensemble de ces exigences, les élèves doivent être mentalement très solides.

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12DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Par exemple, le documentaire montre une situation classique à laquelle les danseurs doivent faire face : le risque de blessure. Dans ce cas très précis, un remplaçant est nommé et a ainsi l’opportunité de paraître sur scène.

Face à l’exigence quotidienne et à l’éloignement de la famille, les élèves doivent se gérer eux-mêmes. Ils doivent puiser une force intérieure pour faire face aux moments de solitude ou de découragement. Il arrive que certains élèves abandonnent, non pas en raison d’éventuelles inaptitudes, mais en raison d’un apprentissage très exigeant. Au final, peu d’élèves répondent à l’ensemble de ces critères phy-siques, intellectuels et mentaux.

LES PETITS RATS DE L’OPÉRA SONT-ILS DES ARTISANS OU DES ARTISTES ?

DES CORPS ENTRAÎNÉS

La métamorphose des corpsDès leur entrée à l’École, les corps se transforment par des exercices de musculation, nécessaires pour réaliser des portés, des équilibres ou des sauts. Les filles et les garçons ne sont pas soumis aux mêmes pratiques.

Les jeunes garçons se plient, par exemple, à l’épreuve des pompes. La musculation des bras, du torse et des cuisses prépare aux portés, aux équilibres et aux sauts. Le professeur des petites divisions, Bertrand Barena, ajoute une vertu à la pratique des pompes qui pourrait être jugée physiquement éprouvante : la responsabilisation des élèves face aux exercices proposés. « Cent pompes par jour toute l’année, et vous obtiendrez un corps impeccable » dit-il dans le documentaire.

Les garçons sont donc entraînés comme de vrais athlètes où chaque exercice est pensé pour dévelop-per telle ou telle partie du corps mais aussi le corps dans sa globalité. Par exemple, la ceinture abdomi-nale doit être renforcée et développée pour tous les exercices de lever de jambes, d’équilibre, de sauts, car la force et la tenue sont avant tout une question d’abdominaux, depuis les fessiers jusqu’au torse.

La souplesse et la rapidité d’exécution sont travaillées également de la sixième à la première division.

La répétition de l’effort au quotidien constitue donc le principal moteur de la progression de chacun. Ainsi, les corps masculins se développent, les muscles fins d’enfant laissent place à des corps athlé-tiques et endurants. Loin des images d’hommes efféminés, force est de constater que l’entraînement des danseurs fait d’eux des sportifs de haut niveau. Cet entraînement spécifique répond aux nouveaux besoins du Ballet et de ses répertoires, lesquels repoussent toujours plus loin les limites du corps.

Les pointesDu côté des filles, l’apprentissage commence par les rudiments du langage académique avant de monter sur pointes. Les pointes ne se pratiquent généralement pas avant l’âge de 10-11 ans, pour des raisons physiques mais aussi de musculature et de maîtrise technique. Les chevilles et les abdomi-naux doivent être suffisamment renforcés pour danser sur pointes, la pression exercée sur la cheville lorsqu’une danseuse saute sur sa pointe équivalant à dix fois son poids. C’est notamment pour cela que les danseuses doivent faire attention à leur poids et disposer d’un système musculaire permettant de verrouiller les différentes parties du corps soumises à ces fortes pressions.

Les pointes, en dehors d’une technique qui leur est propre, constituent une des fascinations pour la danseuse. Sur pointes, la danseuse tourne, glisse sur le sol comme si ses pieds n’existaient plus : les pointes lui confèrent une dimension irréelle ou de rêve célébrée dans le ballet romantique. Mais pour devenir ces danseuses quelque peu impalpables, les petits rats de l’Opéra entament un long travail pour faire des pointes un prolongement d’elles-mêmes.

Le travail qui a alors été mis en place entre 8 et 10 ans est totalement réinvesti avec le passage sur pointes. Le « coup de pied » trouve alors tout son sens. Il permet de passer de la demi-pointe à la

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13DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

pointe, en passant par-dessus le chausson. Grâce à la musculature des chevilles, de l’abdomen et du dos, mais aussi par la tenue des bras et du buste, les jeunes filles sont dans la capacité de prolonger les exercices sur pointes. Ce passage délicat s’accompagne des conseils avisés des professeurs qui, comme leurs élèves, ont connu cette transition.

Danser sur pointes s’avère plus difficile que danser sur ses appuis au sol. C’est un équilibre, des sen-sations et des repères qui sont à retrouver.

DES CORPS CONTRÔLÉS

Des corps surveillés et soignés

Les corps au travail sont aussi des corps surveillés médicalement.

Comme pour n’importe quel autre sport de haut niveau, l’entraînement intensif nécessite une équipe veillant au bien-être et à la santé des enfants. Sous l’impulsion d’Élisabeth Platel, l’École s’est dotée de professionnels de santé : une infirmière, un médecin, un kinésithérapeute, un diététicien assurent cette surveillance médicale.

Le premier point concerne l’évolution du squelette. Soumis à un exercice intense, le corps est mis à rude épreuve : entorse, étirement, fracture de fatigue, contracture font partie des risques du métier. Les soins adéquats sont alors dispensés et les élèves mis au repos d’office. La perspective de la pro-fession de danseur ne peut se concevoir sans la garantie d’un corps en état de supporter une activité physique intense.

Par ailleurs, les élèves ont recours individuellement et ponctuellement aux médecines douces : sophro-logie, yoga, massage, ostéopathie. Ils apprennent à écouter et à panser leur corps, ce dont ils ont besoin pour conserver leur capital santé durant toute leur carrière.

L’équilibre alimentaireDe même, l’atelier nutritionnel est là pour que les élèves apprennent à se plier à une certaine hygiène de vie : – manger de façon équilibrée ; – s’hydrater ; – dormir.

Ces fondamentaux doivent être adoptés pour l’ensemble de leur carrière. La question alimentaire reste centrale dans la surveillance médicale. Des cas d’anorexie peuvent survenir, en particulier chez les jeunes filles. Une tension délicate se joue, en effet, au passage de l’adolescence, moment où le corps se transforme inéluctablement. C’est pourquoi, l’infirmière insiste sur la nécessité d’une surveillance particulière.

Image extraite de la vidéo « Le regard de l’infirmière » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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14DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Ces questions qui touchent aussi bien au médical qu’au psychologique sont prises beaucoup plus au sérieux depuis la polémique au début des années 2000 qui avait secoué l’Opéra. C’est pourquoi l’encadrement des élèves de Nanterre est très resserré en amont (éducation) et en aval (surveillance médicale).

La croissance des corpsLa taille est également examinée durant toute la croissance osseuse des élèves.

L’exercice physique de la danse soumet le corps à des tensions qu’il est impératif de contrôler.

Si le contrôle médical est indispensable pour garantir la bonne santé des élèves, il est aussi question, à travers les divers passages à l’infirmerie, de contrôler que ces corps correspondent toujours à la norme de l’Opéra, du point de vue de la taille et du poids.

Chez les garçons plus encore, la croissance excessive peut entraîner de graves déséquilibres troublant le centre de gravité. C’est pourquoi, la surveillance médicale se double d’une surveillance psychologique.

En classe

Mettre en relation les réflexions sur le corps en EPS et en philosophie, avec le travail de Georges Vigarello et les travaux fondamentaux de Michel Foucault 2 (la mécanique du corps, le corps surveillé, redressé, contrôlé).

En classe

La santé, approche multidisciplinaire

Les enseignants d’histoire-géographie, de sciences et vie de la Terre et de littérature peuvent s’emparer de cet axe notionnel pour dégager des problématiques autour des questions suivantes :

– la nutrition dans le développement humain ;

– les orgies alimentaires en littérature, l’exemple de Gargantua ;

– les déséquilibres alimentaires dans le monde : de la sous-nutrition à la malbouffe.

2 Voir bibliographie.

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15DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

DIMENSION ARTISTIQUE

LA DANSE FOLKLORIQUE

Cet extrait vidéo expose une des disciplines de la danse traditionnelle appelée aussi « danse folklorique ».

Le professeur explicite très clairement que les danses folkloriques appartiennent à une forme d’ex-pression corporelle très structurante pour les élèves, que ce soit dans le réinvestissement en danse classique ou en danse contemporaine.

La relation à l’espace – à savoir se déplacer, se repérer et évoluer – est une question primordiale sans laquelle les danseurs ne pourraient pratiquer leur art. C’est aussi une autre façon de solliciter les élèves dans leur rapport à la musique et à leur musicalité, ce qui apparaît complémentaire aux exercices proposés par Scott Alan Prouty.

Dans Le Lac des cygnes, l’acte III fait une place privilégiée aux danses folklorique et de caractère : danse napolitaine, danse hongroise… autant de couleurs chatoyantes et de pas expressifs s’enchaînent et donnent une coloration plus vivante à ce ballet crée le 4 mars 1877 au théâtre du Bolchoï. Aujourd’hui, la version de Rudolf Noureev d’après M. Petipa (1984) est celle qui est inscrite au répertoire de l’Opéra.

LA DANSE CONTEMPORAINE

La danse contemporaine est une autre forme de langage dans lequel le corps s’exprime avec d’autres approches que celle de la danse académique, cette dernière étant très codifiée que ce soit sur le plan musical ou technique. C’est donc un rapport nouveau et de nouveaux repères que ces enfants ont intégrés depuis leur plus jeune âge. Cet enseignement est aussi l’occasion pour ces élèves de s’ouvrir à des perspectives de créativité et d’expression indispensables à la construction de leur identité de danseur.

Image extraite de la vidéo « Danser ensemble » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

Image extraite de la vidéo « Demandes contemporaines » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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Comprendre comment la danse contemporaine envisage un discours très expressif tout en se libérant d’une structure académique peut se mesurer dans la version de Giselle de Mats Ek, entrée au répertoire de l’Opéra en 1989. Cette relecture du ballet romantique de 1841 donne une idée précise de l’approche contemporaine tant sur le plan technique qu’artistique.

LE MIME

Les jeunes élèves apprennent des techniques de danse mais aussi à exprimer des émotions.

Cela demande également une sollicitation de l’imaginaire et de techniques corporelles propres. Le cours de mime, qui peut apparaître très amusant dans un premier temps, est en réalité un enseignement très sérieux fondé sur des techniques théâtrales et corporelles, s’inscrivant dans la tradition de la danse pantomime mise à l’honneur dans le grand répertoire depuis le ballet romantique.

Le mime se développe dès le début du xviiie siècle pour apporter de la compréhension dans la narration des ballets, et plus particulièrement avec le ballet romantique Robert le diable au début des années 1830.

Aujourd’hui, cette technique continue de se pratiquer dans l’ensemble des ballets académiques comme La Bayadère.

L’EXPRESSION MUSICALE

L’expression musicale est indispensable à ces artistes en devenir. Écouter son corps, une mélodie ou même le silence se découvre et s’apprend durant toute une carrière.

Scott Alan Prouty propose un enseignement très créatif sur les façons de dire et d’écouter. Il fait appel à la personnalité de chacun tout en cherchant à révéler des aspects qui n’ont pas encore éclos.

Image extraite de la vidéo « Déployer l’imaginaire » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

Image extraite de la vidéo « Garder son âme d’enfant » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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17DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Ce cours, ludique et très sérieux, bouscule l’idée reçue selon laquelle l’enseignement à l’Opéra serait fixé dans une tradition immuable. Au contraire, la variété des approches pédagogiques permet aux élèves de trouver leur identité artistique et d’expérimenter de nouvelles approches enrichissant ainsi l’ensemble de leur parcours.

En classe

En cours d’éducation musicale, à partir des vidéos « Déployer l’imaginaire » et « Garder son âme d’enfant », ne pas hésiter à s’emparer des exercices proposés dans la pratique du chant choral, de mettre les élèves en mouvement, les solliciter dans ce sens dans l’apprentissage des chants (par cœur, par fragment, avec une « gestique » appropriée). Cet encouragement de l’expressivité développe l’écoute des élèves, favorise la cohésion des groupes et éveille à la musicalité.

Le travail du mime peut également être adapté à des séquences d’écoute.

Le bonus « Du côté des pianistes » témoigne sur le métier d’accompagnateur pour la danse.

LA DANSE DE CARACTÈRE

Les danses de caractère sont des danses folkloriques dans un style académique mais surtout des danses où l’expression et l’intention font partie de la technique.

L’extrait insiste notamment sur le fait qu’il s’agit de danses de couples et collectives, ce qui induit une écoute très importante. L’énergie qui se dégage de cette danse est particulièrement palpable, car les musiques sont entraînantes, cadencées et mélodieuses. C’est donc une façon de s’initier avec les danses académiques par le rythme et l’expression.

Dans le ballet Casse-Noisette (1892), la danse russe exécutée à l’acte II est une belle illustration de danses envoûtantes faisant penser à l’âme slave.

Image extraite de la vidéo « Un peu de sel et de poivre » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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18DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

INTERPRÉTER UN RÔLE ET INCARNER UN PERSONNAGE

Ce passage sur Le Bal des cadets montre que chaque élève, dans un exercice de danse classique, cherche à créer un personnage selon une interprétation qui lui est propre, selon sa personnalité.

Ces deux tambours exécutent les mêmes pas mais développent des personnages différents. C’est une belle illustration de l’intellectualisation d’une technique et de l’envie de renouveler sans cesse des rôles.

Rudolf Noureev reste à l’Opéra national de Paris une personnalité qui continue de marquer avec force la question de l’interprétation des personnages. D’autres figures sont entrées dans le panthéon des grands danseurs de l’Opéra national de Paris. Par exemple, Michaël Denard et Nicolas Le Riche dans Le Jeune Homme et la Mort, Yvette Chauviré et Marie-Claude Pietragalla dans Le Lac des cygnes, Isabelle Guérin, Élisabeth Platel dans La Bayadère, Noëlla Pontois dans La Belle au bois dormant, ou Monique Loudières dans Manon.

En classe

Illustrer et analyser ces genres de danse avec des genres littéraires. Mettre en chant, en musique, en danse des textes selon une intention.

Voir Le Corbeau et le Renard mis en gestes et en intention dans le documentaire Graines d’étoiles (Épisode 5, de 15:23 à 16:24).

En classe

Faire écouter et/ou montrer plusieurs interprétations d’une même œuvre issue d’autres domaines artistiques : musique, théâtre, arts plastiques, dont les choix singuliers d’interprétation témoignent souvent de la volonté d’un artiste (chef d’orchestre, metteur en scène, plasticien) de marquer son époque.

Exemples :

– pour l’Opéra, comparer plusieurs mises en scène de La Traviata au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence avec le film Traviata et nous de Philippe Béziat (qui accompagne le travail de Jean-François Sivadier) et le dossier sur cette œuvre sur le site Opéra en actes ;

– pour le théâtre, consulter le site Théâtre en acte qui propose des comparaisons de mises en scène sur les œuvres du répertoire ;

– en arts plastiques, le site Parcours d’exposition nous montre l’exemple de Roy Lichtenstein, qui, comme Picasso, revisite quelques œuvres incontournables de l’histoire de l’art.

Image extraite de la vidéo « En scène » du documentaire Graines d’étoiles, épisode 5, de 10:44 à 12:40.© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

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19DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

GRANDIR : LA TRANSFORMATION DES CORPS

GrandirLes élèves entrent à l’âge de 8-9 ans et sortent de l’École vers 17-18 ans.

Le passage de l’enfance à l’adolescence, puis au début de l’âge adulte, constitue à bien des égards une transformation majeure des corps.

La pratique professionnelle de la danse fait du corps le premier instrument de travail. Il faut ainsi pour ces apprentis danseurs qu’ils le domptent mais aussi qu’ils l’apprivoisent. À plusieurs reprises, le documentaire met à jour cette problématique qui est spécifique à la danse. Accepter son corps sur le plan mental et sur le plan physique constitue une étape importante pour ces élèves.

– L’élargissement du bassin et le développement de la poitrine représentent les deux changements majeurs pour les jeunes filles.

– La prise de poids inhérente à la musculature et la croissance sont les deux défis physiques à relever pour les garçons.

L’un des professeurs explique qu’une fille qui dépasse la taille d’1,75 m peut poser problème. Sur pointe, elle devient plus grande d’environ 5 cm et aura des difficultés à trouver un danseur qui pourra la porter et la soulever. De même, un garçon trop petit ou trop grand peinera à trouver une partenaire ou une place dans un Corps de ballet : correspondre à la norme de l’Opéra n’est donc pas chose aisée.

Ce changement physique, que tous les adolescents traversent, prend ainsi une tournure un peu dif-férente pour ces jeunes gens.

MûrirLes élèves font également un bond sur le plan mental. Ils doivent faire face à de vraies responsabilités au quotidien et se prendre en charge sur le plan émotionnel et affectif. La maturité de certains de ces enfants est d’ailleurs remarquable. Les interviews des jeunes et des adolescents sont marquées par la maîtrise de leur discours autant que de leur corps. Par exemple, dans l’épisode 2 de Graines d’étoiles, une jeune fille explique que « c’est un peu de spontanéité » qui a été perdue dans cette école.

En vérité, ce qui différencie fondamentalement des jeunes ordinaires et les petits rats de l’Opéra, c’est le fait d’avoir défini dès le plus jeune âge un objectif auquel ces derniers se rattachent. Ils ont un but précis, un idéal vers lequel tendre, ce qui les amène à se plier à des règles contraignantes mais nécessaires.

Image extraite de la vidéo « Vocation danse » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

Découvrir l’artiste que l’on est

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20DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

Les élèves d’un collège de la région assistant à une démonstration « Jeune public » sont d’ailleurs assez clairvoyants sur ce qui les différencie des élèves de l’École. Les termes que ces collégiens emploient pour caractériser les élèves de l’École de danse de l’Opéra sont très positifs : « joie », « étonnants », « confiance ». Ces commentaires révèlent à demi-mot les difficultés que ces collégiens connaissent. Ils manquent souvent de repères auxquels se raccrocher, de désirs à assouvir et de limites. Au contraire, un des élèves de l’École explique qu’il est impensable pour lui de rester sur une chaise à apprendre « scolairement ». Son mode d’expression passe par le corps. Cette séquence nous apprend beaucoup sur les défis de l’adolescence, une période si délicate à gérer sur le plan physique et psychologique. Mais, loin de constituer une étape facile pour les petits rats, grandir à l’Opéra implique nécessaire-ment de mûrir sur le plan psychologique pour gérer son corps et la pression.

LE RAPPORT FILLE/GARÇON

Le documentaire met en exergue un autre aspect qui cristallise les préoccupations des adolescents : le rapport entre les sexes.

Danser ensembleLa question de la mixité des sexes et des âges constitue une donnée permanente à l’Opéra. Malgré une séparation au sein de certains cours de danse, les élèves des deux sexes dansent et échangent à de nombreuses occasions : lors des cours de mime ou de danse folklorique, mais également à l’occa-sion de temps professionnels et de repos. Le défilé ou les spectacles sont l’occasion d’expériences partagées entre filles et garçons. Échanger ses peurs et son excitation dans les coulisses, se voir en costumes de scène, maquillé… tous ces moments permettent une découverte des corps à laquelle peu d’adolescents ont accès.

Le rapport fille/garçon est d’abord une obligation à l’École : dès l’âge de 8 ans, les petits danseurs apprennent à danser ensemble durant les cours de danse folklorique.

Se donner la main, se regarder dans les yeux est alors un exercice obligé. Lorsque les corps grandissent, que le regard que les adolescents se portent mutuellement change, ces moments de mixité deviennent plus délicats. Les problématiques enfantines ont laissé place à des aspects plus psychologiques du développement, liés à la métamorphose des corps et à la recherche d’une identité à laquelle la sexua-lité contribue.

L’apprentissage de la danse de couple intervient à cette période précise : les garçons doivent porter les filles, les faire pivoter en les tenant par la taille, les faire sauter. Autant de gestes qui s’inscrivent dans le contexte de leur apprentissage mais qui génèrent de la gêne. Les formes de la féminité naissante, en particulier le développement de la poitrine, modifient non seulement le regard mais également la façon de réceptionner les danseuses dans les mouvements aériens.

Il ne faut donc pas sous-estimer l’enjeu des problématiques de l’identité et de la sexualité dans ce contexte, mais, au contraire, mesurer combien l’intégration des techniques de danse implique, pour ces élèves, de jongler aussi avec leurs propres questionnements.

Vivre ensembleUn autre espace de sociabilité est l’internat.Les élèves vivent véritablement ensemble et ont un accès privilégié à l’autre, à ses goûts et à ses peines. Certes, ces moments sont encadrés par les surveillants d’internat mais n’empêchent pas un contact permanent les uns avec les autres. D’ailleurs, cette vie en communauté ou « cette bulle », comme l’explique une élève, est à la fois une chance et une limite. Les élèves se connaissent extrêmement bien et tissent des relations d’amitié, voire parfois d’amour, véritables. Ils créent des repères affectifs leur permettant de se soutenir dans les moments de remise en cause.

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Les deux jeunes garçons que l’on voit dans l’épisode 5 de Graines d’étoiles en sont la parfaite illustra-tion. Dans cet extrait, les deux garçonnets se définissent l’un par rapport à l’autre. Ils constituent pour l’autre un repère, qu’il s’agisse du travail ou de l’amitié.

C’est une des manifestations de l’émulation que peut produire l’École. Ils se soutiennent et se motivent. C’est une forme de substitution au soutien familial, absent au quotidien. Mais d’autre part, vivre avec la même troupe depuis l’âge de huit ans peut se révéler étouffant. Une danseuse filmée dans le documentaire Tout près des étoiles (2000) de Nils Tavernier constate qu’elle vit seule au milieu d’une troupe de cent personnes. Ainsi, certains élèves peuvent se sentir isolés dans un milieu où les rivalités sont très fortes. Le groupe est donc à la fois une soupape et une limite.

La mixité tient aussi au mélange des âges et pas seulement des sexes. La photo officielle du Corps de ballet, des Étoiles et de l’École de danse avec Brigitte Lefèvre et Élisabeth Platel est, à cet égard, tout à fait révélatrice de la volonté d’échanges et de transmission entre les danseurs du Corps de ballet et les apprentis danseurs.

DEVENIR AUTONOME

La disciplineL’autonomie et la discipline sont indissociables.La discipline peut se définir comme la capacité à gérer les tâches scolaires et artistiques de façon orga-nisée, mais ne doit pas se comprendre comme une donnée contraignante. Au contraire, elle permet aux élèves de parvenir à faire collaborer leur évolution intellectuelle avec leur activité physique et sportive.

L’autonomie ne peut se concevoir sans la discipline du corps et de l’esprit, ce qui n’est pas sans rap-peler l’héritage du système d’apprentissage dans les académies, notamment les académies militaires où la noblesse envoyait se former ses enfants pour la pratique de l’escrime, de la danse et des armes. Les valeurs du respect de la hiérarchie et de la discipline des corps transcendent cet enseignement.

Dans le cadre scolaire, comme n’importe quel élève, ils récitent des poésies, construisent leurs TPE (travaux personnels encadrés), réfléchissent à des problématiques en littérature, apprennent à ana-lyser des images.

Si le corps professoral oriente ses enseignements en direction de l’histoire de la danse ou vers ce qui peut toucher de près ou de loin au domaine artistique, ils n’en demeurent pas moins assujettis aux mêmes exigences que pour n’importe quel élève. L’École a pour obligation d’assurer une réintégration dans un cursus plus classique en cas d’échec à l’École de danse. C’est pourquoi, l’autonomisation de ces élèves les rend responsables et organisés dans la planification de leurs tâches quotidiennes. Ils doivent être capables de supporter une matinée de cours, un après-midi d’activités physiques et la

Le Ballet de l’Opéra et l’École de danse réunis dans le Grand escalier du Palais Garnier avec Brigitte Lefèvre et Élisabeth PlatelOpéra national de Paris© Agathe Poupeney

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22DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

conduite de leurs études. Cette maturité précoce dans la poursuite des études est très clairement inculquée par l’institution, consciente de la fragilité d’une carrière de danseur.

Devenir professionnelCette prise en charge est également valable sur le plan artistique. Les élèves appartenant à la première division sont les plus capables de leur catégorie d’âge : depuis leur admission, ils ont déjà bravé, pour la plupart, les examens de fin d’année. Néanmoins, force est de constater leur inquiétude à l’approche du concours d’entrée. La question de « l’engagement » est peut-être celle qui est la plus partagée.

Le Corps de ballet de l’Opéra ne recrute qu’un certain genre de danseur correspondant à ses propres normes, et tous les élèves n’ont pas le profil. Le concours d’entrée dans le Corps de ballet est le début d’un rite de passage auquel les rares élus devront se confronter. Les élèves défilent au son de la cloche que la directrice de la danse agite pour signaler le tour de chacun des candidats. Ils interprètent des variations imposées qu’un jury composé des membres de la direction, de danseurs élus et de person-nalités extérieures juge. La carrière à l’Opéra se joue alors en quelques minutes. Si certains étaient pressentis, comme on peut le deviner aux commentaires de Wilfried Romoli au moment des résul-tats, la déception de la majorité des candidats est bien perceptible. Ceux qui n’ont pas atteint l’âge de dix-huit ans ont alors la possibilité de disposer d’une année supplémentaire et de se représenter l’année suivante au concours d’entrée. C’est ainsi une année de plus dans « leur maison », où ils sont protégés et couvés. On comprend alors combien ces jeunes ont acquis une autonomie dans la gestion d’eux-mêmes et dans leur carrière.

ENTRE INTÉRIORITÉ ET EXTÉRIORITÉ : SE CONSTRUIRE

Le documentaire Graines d’étoiles met donc à jour un parcours de vie de jeunes artistes en formation. Il met en lumière une dialectique entre deux pôles : le pôle de l’intérieur et le pôle de l’extérieur.

Sur le plan intérieur, les élèves sont perpétuellement tiraillés entre la construction de leur place de danseur et celle au sein d’une troupe.

La part de l’introspectif est encore une fois à souligner. La danse est une pratique physique mais sur-tout une compréhension intellectuelle d’une technique, d’une expression et d’une émotion. Les élèves construisent donc leur personnalité et leur intellect en fonction de leur apprentissage gestuel et émotionnel. Le caractère intérieur et solitaire du danseur est aussi un moteur du dépassement. Ces jeunes n’ont pas peur d’être contraints et de se soumettre à une discipline, car ils savent que la récom-pense de l’effort et du travail est grande : réussir un mouvement technique, faire passer une émotion, autant de prouesses que tous ces enfants constatent chez leurs aînés et qu’ils rêvent de réaliser.

Cette réussite passe nécessairement par une introspection et une intériorisation du coût de l’effort.

Vie intérieure

Image extraite de la vidéo « Le goût de l’effort » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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23DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

L’intérieur, c’est aussi le monde de la danse et de la musique à l’Opéra.

On rentre à l’âge de huit ans, on devient danseur du Corps de ballet, retraité et professeur de danse à l’Opéra : ces trajectoires sont courantes au sein de l’établissement. Ces individus évoluent donc par-tiellement en vase clos. Ils sont une troupe et vivent au gré des événements et des personnages qui peuplent l’Opéra. L’École et le Ballet existent côte à côte.

Le défilé célèbre à merveille cette symbiose. Par ordre hiérarchique et de façon ritualisée, le Corps de ballet et l’École au complet descendent la scène de l’Opéra Garnier en cadence sur la musique des Troyens de Berlioz. Chaque Étoile a le privilège de présenter individuellement son hommage au public. L’impression qui se dégage de cette démonstration de force est unanime : la danse à l’Opéra ne fait qu’un corps.

Appartenir à ce Corps est donc un tour de force auquel chacun des élèves s’applique à participer.

Vie extérieureLes rapports avec l’extérieur sont également présents pour ces élèves. Cette notion « d’extérieur » est abordée par certains d’entre eux qui se disent parfois en décalage. Avec la famille et les anciens amis, les petits rats se sentent de temps en temps déconnectés d’un monde dans lequel l’art ne repré-sente pas un objectif quotidien, où l’effort et la prouesse technique ne sont pas toujours convoqués.

D’autres moments professionnels sont, au contraire, des fenêtres sur l’extérieur. Dans l’épisode 5 de Graines d’étoiles, la séquence du chorégraphe extérieur à l’École travaillant avec des petits rats témoigne de la capacité de ces élèves à s’adapter à d’autres enseignements et d’autres techniques dansées. Le chorégraphe invité évoque, de son côté, avec quelle facilité ces jeunes danseurs comprennent l’inten-tion d’un geste, un enchaînement de pas, autant sur le plan technique qu’intellectuel. C’est pourquoi le décalage qui se crée avec le monde extérieur ne doit pas se comprendre comme une incompréhen-sion de l’entourage ou un désintéressement pour les activités banales, mais bien comme la marque d’une différence liée au dévouement de ces jeunes pour l’art. Comme le suggèrent Violette Verdy, grande ballerine française du New York City Ballet et ancienne directrice du Ballet de l’Opéra de Paris de 1977 à 1980, et Sylvie Jacq-Mioche, professeur de lettres et d’histoire de la danse, les élèves de l’Opéra ont eu accès à l’art et aux dimensions morales et intellectuelles (voire religieuses) qu’il porte.

Durant les démonstrations de l’École ou dans le contexte des tournées en France ou à l’étranger, les petits rats de l’Opéra sont donc fiers de perpétuer une tradition et de représenter une institution qui les a portés vers des destins peu communs.

Image extraite de la vidéo « Danser pour s’élever » du webdocumentaire De l’élève à l’artiste.© SCHUCH Productions – 2013

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24DE L’ÉLÈVE AU DANSEUR© Réseau Canopé, 2014

HISTORIQUE DE L’ÉCOLE DE DANSE

Les enfants ont toujours joué la comédie et dansé dans les théâtres. À la fin du xviiie siècle, l’admi-nistration royale décide de pourvoir l’institution d’une véritable école de formation pour enfants. Le xixe siècle voit la mise en place de classes de danse avec plus ou moins de réussite. Le changement intervient à la veille de la Première Guerre mondiale grâce aux réformes de Jacques Rouché, lequel cherche à professionnaliser ce jeune personnel. Aujourd’hui, l’École de danse de l’Opéra national de Paris est considérée comme l’espace de formation des danseurs les plus brillants de leur génération.

CréationL’École de l’Académie royale a été fondée par les édits de 1713-1714 de Louis XIV. Ces édits visaient à réformer la pratique de la danse qui, selon le roi, tendait à devenir « décadente ». Les danseurs de l’Académie sont alors des adultes déjà initiés aux techniques de la danse. Il faut attendre la fin du xviiie siècle pour que le roi Louis XVI décrète, en 1784, la nécessité de recruter des enfants pour dis-penser un enseignement gratuit de qualité et alimenter le Corps de ballet de l’Académie. Vitrine de la culture française en Europe depuis la politique culturelle mise en œuvre par Louis XIV, l’Académie de danse a ainsi une vocation d’excellence. Dès le début de la mise en place de l’École de danse pour enfants, le règlement impose que ces derniers soient, de préférence, vierges de toute pratique, qu’ils répondent à des critères physiques esthétiques précis et qu’ils aient moins de douze ans. Le recrute-ment se fait par voie de concours, en présence des principaux représentants de l’administration et du personnel de la danse, dont le maître de ballet représente la clé de voûte.

Organisation et développement au xixe siècleAu début du xixe siècle, l’École est marquée par une volonté de clarifier les rapports de hiérarchie et d’instaurer des classes fixes selon les âges et les emplois. C’est ainsi qu’est créée, en 1817, une classe de perfectionnement pour les éléments les plus prometteurs, et une classe de pantomime, expres-sion corporelle permettant d’améliorer par des gestes la trame narrative des ballets romantiques. Néanmoins, l’institution connaît des difficultés chroniques sur le plan financier, aggravées par le changement de gestion de l’établissement de spectacles en 1831. L’Opéra devient une régie intéressée avec l’arrivée de Louis Véron, c’est-à-dire dirigé par un directeur-entrepreneur qui engage ses propres fonds, à ses risques et périls, pour mener à bien l’entreprise de spectacles. L’Opéra, même s’il est toujours soumis à des obligations imposées par l’État, est privatisé. C’est pourquoi la période de la monarchie de Juillet (1830-1848) et du Second Empire (1851-1870) est particulièrement délicate pour la danse à l’Opéra. Grâce aux succès du ballet romantique et à la nouvelle clientèle bourgeoise, l’Opéra Le Peletier connaît une période faste : être vu à l’Opéra est de mise pour celui ou celle qui cherche à se distinguer dans la bonne société. Or, durant cette même période de succès pour le ballet, l’École connaît de réelles difficultés de fonctionnement liées aux restrictions budgétaires. Les sources dont on dispose témoignent de dysfonctionnements expliquant le niveau assez médiocre des danseuses du Corps de ballet et le recrutement de solistes étrangères pour les têtes d’affiches. Une pétition des élèves de l’Opéra, au milieu du xixe siècle, se plaint, par exemple, que les cours de danse ne sont plus donnés de façon régulière, tout comme les examens de contrôle qui avaient lieu quatre fois par an. D’autre part, le non-paiement des professeurs de danse par l’institution les pousse à donner des cours particuliers à leur domicile, ce qui ne permet pas à l’ensemble des élèves de progresser de manière correcte. Enfin, le foyer de l’Opéra se transforme en un lieu de rencontres et de flirts entre les abonnés et les petites danseuses. Des peintres comme Degas, des dessinateurs comme Forain ou Cham se sont empressés de rendre compte de cet espace de sociabilités réservé aux plus aisés. C’est à ce moment précis que l’Opéra devient l’un des sujets favoris des hommes de lettres : Balzac, Baudelaire, Zola, Gautier s’emparent du monde de l’Opéra pour en tirer une critique sociale.

Histoire, art et littérature

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Garnier et la fin de siècleL’ouverture de l’Opéra Garnier en 1873 et la nouvelle classe politique de la IIIe République naissante freinent quelque peu ces habitudes. La danse a du mal à trouver un nouveau souffle après une époque particulièrement brillante. Sur le plan pédagogique, de grands professeurs disparaissent ou prennent leur retraite : Joseph Mazilier meurt en 1868 et Arthur Saint-Léon en 1870 ; Marie Taglioni, réforma-trice de l’École et professeur de perfectionnement, se retire définitivement. Il faut attendre l’arrivée des ballets russes à Paris pour que la danse retrouve un éclat : Léo Staats et Ivan Clustine redonnent toute leur place, au sein de l’École, aux effectifs masculins, qui avaient pour ainsi dire disparu. Du côté des filles, c’est Rosita Mauri, une danseuse d’origine italienne et brillante Étoile, qui transmet une technique plus solide, entre 1898 et 1920. La Première Guerre mondiale n’épargne pas l’Opéra : il n’y a pas de chorégraphe attitré, le répertoire est désuet, les effectifs clairsemés et les solistes en fin de carrière. Du côté de l’École, la situation n’est guère plus réjouissante, car les cours ont été suspendus durant une partie de la guerre. En 1921, Jacques Rouché, directeur de l’Opéra depuis 1913, conscient qu’il faut dépoussiérer l’institution de son traditionalisme, impose l’ouverture d’une classe de danse rythmique, inspirée de la méthode d’Émile Jaques-Dalcroze, pour sensibiliser les jeunes danseurs au rythme et à la musique. Même si cette expérience est vite abandonnée, elle témoigne d’une nou-velle ouverture de l’École. Jacques Rouché s’entoure alors d’artistes russes qui donnent une nouvelle impulsion. Bronislava Nijinska, la sœur de Vaslav Nijinski, sur la demande de Jacques Rouché, rédige un rapport afin d’évaluer les difficultés réelles de l’École. Elle convient d’un certain traditionalisme, mais s’écarte de la thèse du catastrophisme relayée par la presse de l’époque.

Le tournant de l’entre-deux-guerresÀ partir de 1930 et jusqu’en 1955, Carlotta Zambelli s’impose comme la figure incontournable de l’École : elle définit et spécifie « le style français ». La danse doit être précise, équilibrée et sans minauderie. Les sauts doivent être légers et pareils à ceux d’une sylphide, en référence au ballet romantique. Le bas de jambe s’autonomise par rapport au haut du corps qui doit être capable d’exécuter des mouvements lents, alors que le bas de jambe peut être vif et rapide. Pour atteindre une certaine perfection, elle fonde son enseignement sur la répétition de mêmes mouvements afin de pouvoir les améliorer un peu chaque jour : la barre d’échauffement courte (25 minutes), que chaque élève ou danseur connaît par cœur et exécute, permet d’améliorer chaque port de bras, rond de jambe ou position du bassin. Enfin, l’épaulement si français peut être attribué pour une large part à « Mademoiselle », comme elle aimait à se faire appeler. À la même époque, Serge Lifar est l’instigateur d’une politique de rénovation de la danse, que ce soit pour le Ballet ou pour l’École. Il introduit une classe d’adage en 1932 et fait interdire le foyer aux abonnés. Par cet acte très symbolique, il entame un processus de professionnalisation des élèves de l’École qui ne sont donc plus là pour attirer les amateurs d’Opéra mais bien pour apprendre la danse. À cet égard, il propose d’ouvrir un enseignement théorique de l’histoire de la danse qu’il confie à Germaine Prudhommeau, une des premières à s’intéresser à l’histoire de la danse en France. De même, dans cet esprit de formation et de protection des jeunes apprentis, il limite les figurations des élèves dans les spectacles. À partir de 1915, l’obligation de scolarité s’étend jusqu’à l’âge de 13 ans. C’est seulement après la Première Guerre mondiale que la présentation d’un certificat de suivi de scolarité devient une obligation. En effet, Jacques Rouché, surpris de voir le peu d’instruction de ces enfants, décide d’ouvrir une école rue de la Ville-l’Évêque, dans le 8e arrondissement de Paris, à proximité de l’Opéra Garnier. Chaque jour, une préceptrice encadrait les élèves pour les amener d’un site à un autre. Cette configuration impliquait donc que les enfants habitent chez leurs parents, à Paris, ou qu’ils soient hébergés par un « correspondant ». La plupart des élèves étaient donc des petits Parisiens. Il faut attendre les débuts de la massification de la scolarisation dans les années 1960 pour que le brevet d’études du premier cycle (BEPC), créé en 1947, soit rendu obligatoire pour intégrer le Corps de ballet. L’enseignement est alors assuré jusqu’au baccalauréat.

La première modernisation de Claude BessyL’organisation de l’École d’aujourd’hui a été rendue possible par Claude Bessy. À son arrivée en 1972, elle constate que les structures de l’École n’ont pas évolué. Elle emploie donc toute son énergie à la transformer pour en faire un haut lieu de la formation en danse. Sa première victoire est de conver-tir les horaires aménagés des élèves en un vrai mi-temps. Dorénavant, la journée d’un petit rat est partagée entre les activités scolaires et les cours de danse. Puis elle introduit de nouvelles disciplines pour rendre plus complète la formation des danseurs : danse ancienne, danse folklorique, danse de caractère, danse moderne, danse jazz, mime, cours d’adage, de variations et de répertoire viennent

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parfaire la formation de ces futurs danseurs 3. Ces disciplines supplémentaires ajoutées au cursus de l’élève s’inscrivent dans un contexte de concurrence plus farouche dans les recrutements au sein des ballets en Europe et dans le monde. Claude Bessy cherche donc à faire de ces enfants des danseurs polyvalents, prêts à défier les difficultés du métier d’artiste.

Ainsi, la politique de réformes, depuis Carlotta Zambelli et Serge Lifar jusqu’à celle initiée par Claude Bessy, a contribué grandement à l’évolution du statut des élèves à l’Opéra. On assiste donc à une transformation du statut de l’élève de l’École de danse. Le petit rat est dorénavant un élève qui se destine au métier de danseur. Il n’est plus considéré comme un personnel mais bien comme un danseur en formation.

D’autre part, et ce depuis le xixe siècle, l’École de danse perpétue un principe fondateur de son identité : s’il existe des écritures de la danse et des codifications*, les danseurs du Ballet deviennent les cadres formateurs de l’École de danse. De génération en génération, les élèves reçoivent un enseignement qui s’est aussi transmis de façon orale. Cet aspect donne une coloration particulière à l’enseignement. Albert Aveline (1883-1968), entré à l’École en 1894, maître de ballet en 1917 et responsable de l’École jusqu’en 1958, collabore aux côtés de Serge Lifar au perfectionnement de la technique masculine.

Entre le début du xxe siècle et aujourd’hui s’est opérée une révolution dans le statut de l’élève à l’Opéra. Apprenti-danseur, le petit rat suit une formation artistique des plus prestigieuses. La considération des problématiques liées au travail et à l’enfance a fait des progrès depuis 2004. La polémique qui avait éclaté a permis d’accélérer la réflexion sur la prise en charge d’aspects médicaux et psycholo-giques. L’École avait été pointée du doigt pour les conditions physiques et psychologiques trop rudes qu’elle imposait à de jeunes enfants. Si la presse avait enquêté un peu plus longuement, elle aurait certainement pu communiquer sur un fait répandu dans le monde de la danse d’une part, et d’autre part, dans les disciplines athlétiques de haut niveau… Néanmoins, et pour répondre à une opinion publique en émoi, l’Opéra a pris depuis en considération ces critiques et aménagé une prise en charge plus globale en apportant un soin particulier à la question du poids. Les élèves présentant des diffi-cultés sont immédiatement pris en charge médicalement et accompagnés par leur famille. En outre, il s’agit de signaler à l’ensemble de la communauté des élèves qu’un corps dansant nécessite de la force et un soin particulier.

Ainsi, protégés par la loi, éduqués et soignés, les élèves de l’École de danse de l’Opéra incarnent une élite en devenir à qui l’on demande autant de danser que de penser. Enfin, héritier d’une tradition de quatre siècles, le petit rat de l’Opéra se distingue par le fait d’appartenir à une maison, à un style mais également par la possibilité de se révéler en tant qu’artiste.

En classe

ÉDUCATION AUX MÉDIAS

À partir des articles « Une polémique sur l’anorexie agite la Scala de Milan » paru le 9 février 2012 sur le site du Parisien et « Petit rat de l’Opéra tu souffriras ! » de Marie-Christine Vernay paru le 4 décembre 2002 sur le site de Libération, travailler avec la classe sur les polémiques sur la danse et l’anorexie dans la presse.

On pourra interroger plusieurs pistes de réflexion :

– Quelles sont les contraintes sportives et artistiques qui mènent aux problématiques de l’anorexie ?

– Les dérives alimentaires sont-elles liées à certaines pratiques comme la danse ou la gymnastique ? Sont-elles en rapport avec des pressions extérieures (médias…) qui véhiculent une certaine image de la féminité ?

– Comment expliquer l’évolution des canons esthétiques de la beauté ? (par exemple, au xixe siècle, les formes généreuses sont préférées à la maigreur).

3 Opéra national de Paris, L’École de danse, Paris, Théâtre national de l’Opéra, 1980.

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En classe

L’enfance au travail

Les enfants ont toujours travaillé. Le travail des enfants n’émerge pas avec le grand capitalisme du xixe siècle. Il s’agira de réfléchir sur la place des enfants dans les différentes sociétés en Europe et dans le monde, et démontrer comment le développement des sociétés, la diffusion des idées des Lumières ont permis dans certains espaces de faire émerger la notion de droit des enfants. A contrario, il sera intéressant d’analyser les raisons qui expliquent les inégalités de traitement de l’enfance en général mais aussi, dans une comparaison, entre filles et garçons.

Quelques pistes de réflexion :

– La place de l’enfant : de l’adulte miniature à un être en devenir.

– Le travail des enfants : les enfants sur scène aux xviiie et xixe siècles dans les foires et les théâtres (Foire Saint-Laurent et Saint-Germain, théâtre Louis-Comte, les enfants d’Audinot, le gymnase Castelli…).

– Le travail des enfants : travail agricole et industriel du xixe siècle à aujourd’hui, en Europe et dans le monde.

– La représentation des enfants dans les textes et en peinture du xviiie siècle à aujourd’hui. À prolonger avec le développement de la photographie.

PORTRAITS DU PETIT RAT DE L’OPÉRA

La représentation du rat d’Opéra au xixe siècle dans la littérature et la presse fait de ces jeunes filles une figure incontournable des théâtres. Elle fascine autant qu’elle émeut. C’est un objet de désolation pour ceux qui, peu à peu, prennent conscience de la condition de ces enfants mais aussi une sociabilité propre aux amateurs d’Opéra. Ces extraits présentent des aspects de la vie de ces gamines des théâtres mais exposent surtout l’imaginaire qui se crée autour de ces petites danseuses.

Texte n° 1« La plus intéressante des trois espèces, c’est le rat.Tout a été à peu près dit sur le rat de l’Opéra. Véritable caméléon, il change de peau cinq à six fois pendant ce qu’il appelle sa vie artistique. À dix ans le rat commence à se tourner ; à douze, il attache à ses épaules des ailes diaphanes pour représenter les chérubins, les sylphes ou les démons ; à cet âge, si on le rencontre dans la rue, il a une petite robe d’indienne, bien étriquée, bien suspecte, des bas qui furent blancs, et des souliers fabuleux ; devenu jeune fille, à quinze ans, le rat commence à sentir la vie, l’ambition le gagne, il rêve de bas de soie, guipure, robe de mousseline-laine, châle Ternaux, trois mille francs d’appointements, et se laisse conduire au théâtre par le fils du propriétaire de sa maison. Le rat n’est heureux que lorsque, abandonnant le vil pavé de la rue, il a franchi la loge de la mère Crosnier, respectable cerbère de l’Opéra. »

Un vieux comparse (par), Les Mystères des théâtres de Paris, Paris, Marchant éditeur, 1844, p. 389.

Texte n° 2« Le vrai rat, en bon langage, est une petite fille de sept à quatorze ans, élève de la danse, qui porte des souliers usés par d’autres, des châles déteints, des chapeaux couleur de suie, qui sent la fumée de quinquet, a du pain dans ses poches et demande six sous pour acheter des bonbons ; le rat fait des trous aux décorations pour voir le spectacle, court au grand galop derrière les toiles de fond et joue aux quatre coins des corridors ; il est censé gagner vingt sous par soirée, mais au moyen des amendes énormes qu’il encourt par ses désordres, il ne touche par mois que huit à dix francs et trente coups de pieds de sa mère. »

Nestor Roqueplan, Les Coulisses de l’Opéra, Paris, Librairie Nouvelle, 1855, p. 45.

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Texte n° 3« Paris possède trois choses que toutes les capitales lui envient : le gamin, la grisette et le rat. Le rat est un gamin de théâtre qui a tous les défauts du gamin des rues, moins les bonnes qualités, et qui, comme lui, est né de la révolution de Juillet.

On appelle ainsi à l’Opéra les petites filles qui se destinent à être danseuses, et qui figurent dans les espaliers, les lointains, les vols, les apothéoses et autres situations où leur petitesse peut s’expliquer par la perspective. L’âge du rat varie de huit à quatorze ou quinze ans ; un rat de seize ans est un très vieux rat, un rat huppé, un rat blanc ; c’est la plus haute vieillesse où il puisse arriver ; à cet âge, ses études sont à peu près terminées, il débute et danse un pas seul, son nom a été sur l’affiche en toutes lettres ; il passe tigre, et devient premier, second, troisième sujet, ou coryphée, selon ses mérites ou ses protections.

D’où vient ce nom bizarre, saugrenu, presque injurieux, et qui, en apparence, a si peu de rapport avec l’objet qu’il désigne ? Les étymologistes sont fort embarrassés : les uns le font descendre du sanscrit, d’autres du cophte, ceux-là du syriaque, ceux-là du mandchou ou du haut allemand, selon les langues qu’ils ne savent pas.

Nous pensons que le rat a été appelé ainsi, d’abord à cause de sa petitesse, ensuite à cause de ses ins-tincts rongeurs et destructifs. Approchez du rat, vous le verrez brocher des babines, et faire aller son petit museau comme un écureuil qui déguste une amande ; vous ne passerez pas à côté de lui sans entendre d’imperceptibles craquements de pralines croquées, de noisettes, ou même de croûtes de pain broyées par de petites dents aiguës, qui font comme un bruit de souris dans un mur. Comme son homonyme, il aime à pratiquer des trous dans les toiles, à élargir les déchirures des décorations, sous prétexte de regarder la scène ou la salle, mais au fond pour le plaisir de faire du dégât ; il va, trottine, descend les escaliers, grimpe sur les praticables, et principalement sur les impraticables, parcourt et débrouille l’écheveau d’inextricables corridors, du troisième dessous jusqu’aux frises, où l’appellent fréquemment les paradis et les gloires ; lui seul peut se reconnaître dans les détours ténébreux et souterrains de cette immense ruche dont chaque alvéole est une loge, et dont le public soupçonne à peine la complication. »

Théophile Gautier, La Peau de tigre, Paris, Michel Lévy frères, 1866, p. 328-329.

En classe

Il est envisageable de travailler sur la question de la représentation des femmes et du corps en s’appuyant sur un corpus littéraire classique (Nana d’Émile Zola, par exemple) et les représentations des danseuses au xixe siècle.

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QUI EST LA PETITE DANSEUSE DE DEGAS ?

La petite danseuse de Degas est née de la rencontre du peintre avec le monde de la danse et en particulier de trois sœurs fréquentant l’Opéra national de Paris : Antoinette, Marie et Charlotte Van Goethem.

C’est surtout Marie Van Goethem, née en 1865, qui sert de modèle au peintre. La famille Van Goethem, originaire de Belgique, vient s’installer à Paris à la recherche de meilleurs revenus. Comme la plupart des familles pauvres, leur situation ne s’améliore pas. Logées dans la cité Coquenard, dans le 11e arrondissement, les trois jeunes filles fréquentent les bas-fonds parisiens : prostitution, salaire à la journée, déambulation dans les quartiers entre Pigalle et le boulevard du Temple, anciennement nommé « boulevard du crime ». On trouve la trace de ces trois jeunes filles à l’Opéra essentiellement comme figurante ou marcheuse 4, à l’exception de Marie qui entre à l’École de danse en 1878 et qui fait carrière à l’Opéra. Charlotte entre, elle aussi, à l’École mais n’y reste pas. Cette dernière et Antoinette font quelques remplacements mais n’appartiennent pas au Corps de ballet de l’Opéra. Leur mère, devenue veuve, est très représentative d’une partie des parents d’élèves de l’Opéra. Elle occupe un loge-ment sordide dans un quartier excentré. Elle est sans qualification et signalée comme blanchisseuse. Tout comme madame Cardinal, héroïne du roman de Ludovic Halévy, Les Petites Cardinal, elle cherche par le biais de ses filles à compléter ses maigres revenus. Derrière la petite danseuse de Degas, c’est donc tout un univers social qui est dépeint par l’artiste. Dans son ballet La Petite Danseuse de Degas, le maître de ballet Patrice Bart a tenté, à l’aide de l’enquête menée par Martine Kahanne, de donner vie à la réalité sociale des familles peuplant les coulisses de l’Opéra 5.

4 Figurante ou marcheuse : désigne des emplois non qualifiés à l’Opéra et qui n’implique pas de contrat fixe. C’est donc un emploi précaire.5 Martine Kahanne, « Enquête sur la Petite Danseuse de quatorze ans de Degas », dans La Petite Danseuse de Degas, programme du Ballet de l’Opéra national de Paris, 2005.

Edgar Degas (1834-1917), Petite danseuse de quatorze ans dite aussi Grande danseuse habillée, représentant Marie Van Goethem, sculpture de bronze, fondue à la cire perdue, patinée, satin, tulle, 1932 (1re édition du bronze en 1881).© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/René-Gabriel Ojéda

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On proposera ci-dessous donc de confronter des passages du ballet pour montrer comment La Petite Danseuse de Degas permet de déconstruire l’image du petit rat de l’Opéra.

En classe

Du tableau à la scène : confronter un passage du ballet de Patrice Bart (extrait de l’acte I, scène 2) avec le tableau d’E. Degas, La Classe de danse, huile sur toile, 85 x 75 cm, musée d’Orsay, 1873-1876.

Ce passage du ballet de La Petite Danseuse de Degas met en scène les exercices à la barre qui permettent au corps de s’échauffer.

Il fait référence à une série de tableaux peints par Edgar Degas : Le Foyer de la danse à l’Opéra de la rue Le Peletier en 1872 et à La Classe de danse réalisé entre 1873 et 1876. Ces tableaux fournissent des informations sur le quotidien des danseuses. On se situe alors dans la période réaliste de Degas qui apporte un témoignage et une vision du cours de danse ou de la répétition.

Dans La Classe de danse, parmi les éléments importants à distinguer, le professeur de danse Jules Perrot, appuyé sur un bâton qui frappe le rythme et la cadence (ou les danseuses), se trouve au centre des attentions. En effet, le maître de ballet est le personnage clé de la danse à l’Opéra : il distribue les rôles, les remplacements et prononce les débuts 6. L’arrosoir sert à mouiller le parquet pour que les appuis des danseuses soient plus stables et moins glissants. Les mères s’étaient attribué cette tâche, afin de se rendre utile pendant les leçons et d’assister au cours sans être chassées. Les danseuses, dans des positions relâchées, témoignent à la fois de la fatigue du corps mais permettent aussi de percevoir leur petite éducation. Jamais une jeune fille issue de la bourgeoisie ne pourrait se permettre un tel relâchement. Enfin, en arrière-plan du tableau, des mères d’élèves sont présentes de façon dissimulée. Cette présence invite à s’interroger sur leur rôle et leurs desseins pour leurs filles qu’elles observent. Les costumes sont soignés et vaporeux : il s’agit d’une répétition plus qu’un simple cours de danse.

(Voir le dossier « De la classe à la scène, le ballet de l’Opéra de Paris vu par Edgar Degas » sur le site L’Histoire par l’image de la Réunion des musées nationaux)

6 « Faire ses débuts » est l’expression qui désigne le premier passage des élèves de l’École en tant que danseuse du Corps de ballet sur la scène de l’Opéra.

Edgar Degas (1834-1917), La Classe de danse, huile sur toile, vers 1873-1876.© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/ Hervé Lewandowski

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En classe

Les illusions d’une petite danseuse : confronter un passage du ballet de Patrice Bart (extrait de l’acte I, scène 2) avec la réalité socio-économique des élèves de danse au xixe siècle.

Les danseuses ont toutes le même espoir : entrer à l’Opéra et devenir la nouvelle Taglioni. Hélas, rares sont celles qui parviennent à gravir les échelons du Corps de ballet de l’Opéra. Comme les petites Van Goethem, les familles pauvres des faubourgs s’empressent de présenter leurs enfants à l’Opéra. Le travail des enfants est une norme et représente un complément de revenus parfois indispensable à la survie de la famille. Les cours de danse sont dispensés gratuitement, l’établissement fournit une partie du matériel (paire de chaussons et justaucorps). Les stratégies familiales sont donc claires : devenir danseuse à l’Opéra ou épouser un riche amateur d’Opéra. L’Opéra Le Peletier, devenu, sous la monarchie de Juillet et sous le Second Empire, un haut lieu des sociabilités bourgeoises et aristocratiques, offre donc l’espoir d’une ascension sociale. Mais seules celles qui arrivent à se faire payer des cours particuliers ou qui disposent de véritables qualités artistiques parviennent à se maintenir dans le Corps de ballet. Les premières danseuses de l’Opéra sont recrutées à l’étranger, en particulier en Italie, car l’École de danse ne parvient pas à former des danseurs de qualité en nombre suffisant.

En classe

Analyser la place des mères d’élèves à l’Opéra et la relation qu’elles entretiennent avec leurs filles.

Voir un passage du ballet de Patrice Bart (extrait de l’acte II, scène 2).

Les mères d’élèves, se trouvant souvent dans des situations sociales d’une extrême pauvreté, n’hésitent pas à utiliser le corps de leurs filles pour s’attirer les grâces d’amateurs d’Opéra. Les présents que les demoiselles d’Opéra reçoivent sont de natures diverses : bijoux, sucreries, vêtements, et il n’est pas rare de voir le couple fille/mère logé le temps d’une histoire amoureuse dans des appartements plus confortables. Les dîners mondains sont aussi l’occasion pour elles de s’offrir de bons plats et de manger à leur faim. Les récits de goinfreries sont rapportés par la littérature mondaine de l’époque. La réalité sociale de ces femmes est à l’image d’une partie de la population qui peuple les grandes villes. Ainsi, les pratiques prostitutionnelles à l’Opéra sont monnaie courante et organisées par les mères des élèves elles-mêmes. Elles gèrent ainsi une partie des carrières de leurs filles : en classe, en coulisse et dans le foyer.

Pour aller plus loin : on pourra prolonger la réflexion autour des relations entre les filles et leurs mères, les enfants et leurs parents, avec les œuvres suivantes.

Films :

- Black Swan réalisé par Darren Aronofsky, 2011

- Billy Elliot réalisé par Stephen Daldry, 2000 (le rapport au père et au masculin)

Littérature :

- Balzac H. de, Le Père Goriot, 1835

- Bazin H., Vipère au poing, 1948

- Pagnol M., La Gloire de mon père, 1957

- Pagnol M., Le Château de ma mère, 1957

Actualités et médias :

- Les couples parents/enfants en politique :

• Claude et Jacques Chirac

• Martine Aubry et Jacques Delors

- Les couples parents/enfants dans le sport :

• Yannick Noah et sa mère (tennis)

• Surya Bonaly et sa mère (patinage artistique)

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Ressources

GLOSSAIRE

DANSE ACADÉMIQUELa danse académique se définit par un ensemble de pas et de mouvements appartenant à la danse de l’Académie, c’est-à-dire ce que l’on appelle plus communément « la danse classique » par opposition à la danse moderne. Ce répertoire se caractérise par la codification de positions de base et de positions complexes que les élèves de l’École commencent à apprendre dès la sixième division.

Historiquement, il existe différents traités – le plus ancien traité théorique serait celui de Thoinot Arbeau, auteur de l’Orchésographie en 1589 –, mais nous ne retiendrons ici que quelques-uns des plus utilisés par les danseurs : – l’écriture Feuillet et Beauchamp ; – Jean-George Noverre ; – l’écriture Laban et Benesh.

L’écriture Feuillet et BeauchampRaoul-Auger Feuillet (1660-1710) est un danseur et chorégraphe français, inventeur d’un système de notation dans un traité qui s’intitule « Chorégraphie, ou l’art de décrire la danse par caractères, figures et signes démonstratifs » en 1700. Ce traité s’inspire fortement des travaux de Pierre Beauchamp (1631-1705), un des principaux collaborateurs de Molière et de Lully à la cour de Louis XIV et qui a mis au point la comédie-ballet popularisée par Le Bourgeois gentilhomme (1670). C’est à cette époque que Beauchamp codifie les cinq positions aux fondements même de la danse académique. La notation que Feuillet publie se définit à partir d’un système de signes qui fait référence à des mouvements préalablement décomposés. Un lexique des pas et des mouvements se développe alors pour permettre aux maîtres de ballet et aux chorégraphes de comprendre cette écriture. On dénombre 460 exemples de pas organisés dans onze familles de pas (pas sauté, pas marché, etc.). Cette notation détaille des parcours, des plus simples aux plus complexes, qui décrivent des trajets au sol en combinant le spatial au musical, car la « Belle dance » est intimement liée à la musique. La « Belle dance » est une concep-tion à la fois esthétique, morale et sociale de la danse qui trouve sa plénitude à l’époque de Louis XIV. C’est par essence la danse pratiquée par la noblesse.

Raoul-Auger Feuillet (1660-1710), Le Rigaudon de la Paix.Recueil de dances composées par M. Feuillet, Raoul Auger. Paris, 1700. In-4°, p. 1.Source : Bibliothèque nationale de France. Réserve des livres rares.

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Jean-George Noverre est l’auteur des Lettres sur la danse qui, lorsqu’elles paraissent en 1760, deviennent la référence pour le développement du ballet d’action. Ces lettres constituent à la fois un manuel de danse à l’usage des maîtres de ballet et des danseurs professionnels, mais également un ouvrage de réflexion sur la place de la danse et du danseur dans la société et parmi les autres arts. S’il ne s’agit pas d’une notation à proprement parler, il faut considérer cet ouvrage comme une réflexion importante sur le ballet d’action en Europe qui préconise, par exemple, des costumes de scène légers, des souliers adaptés et la recherche d’émotions vraies. Enfin, il prône l’instauration d’une narration afin de rendre le ballet captivant et compréhensible par le public.

Les écritures Laban et BeneshLes notations Laban et Benesh sont classées parmi les notations abstraites de la danse qui proposent des grammaires complexes demandant une formation particulièrement poussée pour les maîtriser.Rudolf Laban (1879-1958) invente la cinétographie en 1928 autour de quatre fondamentaux : l’espace, le temps, le poids et l’effort. Rudolf Benesh (1916-1975) crée la choréologie appelée aussi « notation Benesh » en 1955, qui a pour singularité de s’inscrire sur une portée musicale à l’aide de signes abs-traits. Cette notation est notamment utilisée par Régine Chopinot dans les années 1980 et actuellement par Angelin Preljocaj qui, à l’aide de choréologues, archive ses créations.

La notation Laban est aujourd’hui écrite de façon verticale.

En classe

Mettre en relation les expériences graphiques du poème chez Apollinaire avec l’écriture de la danse.

BALLET DE COURLe ballet de cour est né au xvie siècle et se pratique dans les cours princières et royales par la noblesse. Il s’agit de danses de divertissement codifiées qui mettent généralement en scène l’image du pou-voir comme Le Ballet royal de la nuit, chorégraphié pour Louis XIV en 1653.

BALLET D’ACTIONBallet chorégraphié avec une trame narrative qui se joue dans les théâtres. On le nomme aussi « bal-let-pantomime ». Il se pratique essentiellement à partir de la deuxième moitié du xviiie siècle et trouve sa plénitude avec le ballet romantique (succès de Robert le diable en 1831 puis du ballet Giselle en 1841).

DANSES DE CARACTÈRE OU DANSES FOLKLORIQUESCes termes désignent les danses dites « nationales » comme les danses slaves, espagnoles, chinoises, etc. inventées au xixe siècle dans un contexte d’affirmation des nations et d’explosion des nationa-lismes. Totalement sous l’influence de l’exotisme et de l’orientalisme dans les beaux-arts, les danses de caractère se pratiquent comme des danses traditionnelles pour traduire des particularismes locaux et régionaux afin d’affirmer une identité.

Rudolf Laban (1879-1958), Lichtwende; danse en cercle. Danse chorale.Rudolph van Laban. Hamburger Tanzschreibstube (1930-1933).© Fonds Albrecht Knust-Donation Roderyk Lange – Médiathèque du Centre national de la danse.

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Des danses nationales au milieu du xixe siècle, on passe aux danses de caractère, puis aux danses dites « folkloriques » durant l’entre-deux-guerres. Ces danses, à travers un imaginaire, se construisent par rapport à des costumes et des musiques traditionnelles, elles aussi inventées au xixe siècle. L’acte des fiançailles dans Le Lac des cygnes est tout à fait représentatif de cette mode où danses russes, slaves et espagnoles se succèdent au milieu d’un ballet académique.

BALLETS RUSSES ET ÉMERGENCE DU NÉOCLASSICISME DANS LA DANSELes premières tournées de la compagnie des Ballets russes de Serge de Diaghilev dans les années 1910 apportent en Occident de nouvelles visions du spectacle chorégraphique, conçu désormais comme une œuvre d’art totale à laquelle contribuent de façon importante peintres et costumiers, au côté des chorégraphes, librettistes et compositeurs contemporains. Des chorégraphes comme Léonide Massine ou George Balanchine apportent un souffle nouveau à la danse par une nouvelle vision du ballet, créant des œuvres narratives courtes sur des thématiques du temps présent, puisant dans les folklores et légendes russes. Ils développent aussi des œuvres de danse pure, ou abstraite, dépourvues de toute narration.

Au sein de la troupe, le danseur Vaslav Nijinski se distingue dès ses premières chorégraphies par un style radicalement neuf.

L’Après-midi d’un faune en 1912 et Le Sacre du printemps en 1913 illustrent notamment ce tournant, dévoilant une danse auto-référente sans précédent stylistique. C’est ce que Serge Lifar nomme « la danse nouvelle », dont les lignées classiques, modernes et contemporaines se déclareront également héritières au cours du xxe siècle. Les ballets de Nijinski, qui provoquent scandale et fascination, peuvent se lire comme une nouvelle affirmation de l’individu, de sa subjectivité et aussi de sa sexualité. Ainsi, dans L’Après-midi d’un faune, le grand public est choqué par la scène où Nijinski s’allonge sur l’écharpe d’une Nymphe, symbole d’un orgasme.

DANSE LIBREÀ la fin du xixe siècle, d’autres types de danse émergent aux États-Unis, qui trouvent bientôt un nou-veau public en Europe. L’Américaine Loïe Fuller (1862-1928) se fait notamment remarquer par sa danse serpentine présentée dans un théâtre lumineux. Sa compatriote Isadora Duncan (1877-1927) établit également un nouveau mouvement corporel libre fondé sur des références helléniques.

MUSIC-HALL ET DANSES DE SOCIÉTÉLes danses de société des Amériques arrivent en Europe et se diffusent dans les dancings de toutes les grandes villes. Dans la deuxième moitié du xixe siècle et jusque durant l’entre-deux-guerres, le music-hall et les danses de société attirent des couches sociales populaires en quête de nouveaux divertissements. Avec le cabaret, ces genres spectaculaires apportent une nouvelle énergie dans le monde des spectacles. Le succès international de Joséphine Baker (1906-1975) illustre, par exemple, l’engouement pour des prestations enjouées.

DANSE MODERNELes courants modernes qui émergent au début du xxe siècle se distinguent du style académique et se caractérisent généralement par : – une esthétique propre à chaque créateur ; – un rapport au corps et au mouvement qui se construit sur le mode de l’expérimentation ; – un mode de composition chorégraphique fondé sur la pratique de l’improvisation, individuelle ou collective ;

– la mise en lumière du rythme autonome du corps par rapport à la musique ; – un usage très libre des choix musicaux ; – des œuvres ou pièces d’une grande diversité thématique et stylistique, réformant la mise en scène des chorégraphies narratives, mais développant aussi de façon déterminante la danse pure, ou genre abstrait.

On peut discerner différentes phases dans l’émergence de la modernité en danse.

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Les deux courants de la danse moderne – En Allemagne : Rudolf Laban (1879-1958) est un danseur, chorégraphe et théoricien de la danse. Il ouvre son premier atelier de « danse, son et parole » en 1913 à Munich et s’intéresse à la notation, à la diversité des mouvements du corps dans l’espace, à l’art scénique et théâtral. Il s’ouvre à des esthé-tiques et philosophies très diverses (vitalisme, soufisme…). Il soutient le concept de « Tanztheater » (danse théâtre) qui défend, dès les années 1920, une première synthèse des techniques moderne et classique et la reconnaissance de son nouveau courant chorégraphique dans les institutions théâ-trales d’Allemagne et d’Europe centrale. Exemple d’une œuvre associée au courant du Tanztheater : La Table verte de Kurt Jooss.

– Aux États-Unis : Martha Graham (1894-1991). Le solo Lamentation qu’elle crée en 1930 est l’acte de naissance de son style. Il se manifeste par un travail sur la respiration, l’expressivité du mouvement, le jeu entre des tensions du mouvement et ses relâchements (« contraction-release »).

DANSE CONTEMPORAINECes quelques repères – des ballets russes à la danse moderne – permettent de montrer que la très grande créativité et diversité de la danse contemporaine prend sa force dans cette volonté nouvelle d’exprimer la subjectivité de chaque chorégraphe et de s’émanciper des académismes. La danse contemporaine émerge en réaction ou dans le prolongement des courants de la danse moderne. – Aux États-Unis, la génération autour de Merce Cunningham (1919-2009) incarne ce tournant dans les années 1960, avec des œuvres qui interrogent les codes traditionnels de la scène. Trisha Brown (1936-2017), figure emblématique du mouvement postmoderne de la « Judson Church », pousse plus loin la volonté de renouvellement en éliminant toute volonté virtuose dans ses projets collectifs qu’elle développe en contexte urbain, hors des théâtres.

– En Allemagne, un autre tournant esthétique est porté dans les années 1970 par une nouvelle géné-ration de chorégraphes, dont Pina Bausch, qui se réapproprient le terme de Tanztheater pour mettre en scène un théâtre rebelle qui mêle utopie sociale et exploration de la psyché humaine, tout en renouant avec les fondamentaux du mouvement moderne.

– En France, la jeune danse contemporaine – souvent comparée à une « danse d’auteur » comme en témoignent les œuvres de Dominique Bagouet, Jean-Claude Gallota ou Maguy Marin – se distingue dès le tournant des années 1980, avec une génération formée tout à la fois aux courants modernes américains et allemands.

En classe

À partir de ces données historiques, proposer d’étudier la danse selon les réflexions qu’elles soulèvent. Par exemple, on pourra travailler sur la cour de Louis XIV et les comédies-ballets de Molière, en cela qu’elles représentent, hormis une esthétique, une codification des rapports homme/femme.

On pourra également s’interroger sur les différentes danses folkloriques du Lac des cygnes et la montée des nationalismes et des identités régionales dans la seconde moitié du xixe siècle.

Enfin, en se saisissant d’une problématique danse et histoire, on pourra travailler sur l’exotisme dans La Bayadère, le rapport avec l’hellénisme à travers l’expérience duncanienne, ou encore la rencontre entre Merce Cunningham et John Cage.

Une autre piste consisterait à envisager les mouvements de la danse selon les lieux : de la rue (théâtre de foire) au théâtre (danses classiques et contemporaines), voire à la street dance.

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SITOGRAPHIE

Site de l’Opéra national de Paris

Répertoire de l’Opéra national de Paris, base de données « Chronopéra »

Sur le site officiel du musée d’Orsay, voir les propositions pédagogiques de l’espace « Enseignants et animateurs »

Sur le site L’Histoire par l’image de la Réunion des musées nationaux (RMN), voir les analyses des œuvres d’Edgar Degas : – Degas sculpteur et le réalisme audacieux de la Petite danseuse de 14 ans – Degas et la vie quotidienne des danseuses de l’Opéra – De la classe à la scène, le ballet de l’Opéra de Paris vu par Edgar Degas

Site Ressources pédagogiques du château de Versailles

Sur le site de l’Ina, voir « Les images de la danse ».

Deux sites où l’on peut se procurer des archives numérisées de la danse (documents, ouvrages avant 1923, iconographie) : – le site Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France ; – le site Archive.org

Numeridanse, la vidéothèque internationale de danse en ligne

Le site Ubu web propose des vidéos sur des chorégraphies contemporaines

BIBLIOTHÈQUES SPÉCIALISÉES ET SITES D’INFORMATIONS DÉDIÉS À LA DANSE À PARIS

– Librairies de l’Opéra – Librairies spécialisées en arts du spectacle – Bibliothèque d’information publique (Bibliothèque publique d’informations – bibliothèque de Beaubourg)

– Médiathèque des Halles (théâtre et danse) – Centre national de la danse de Pantin (CND) – Bibliothèque-Musée de l’Opéra (BnF, site BmO) – Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des arts du spectacle

FILMOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE

– Après Béjart, le cœur et le courage d’Arantxa Aguirre, 2011 – Aurélie Dupont, l’espace d’un instant de Cédric Klapisch, 2009 – La Danse, le Ballet de l’Opéra de Paris de Frederick Wiseman, 2009 – Rêves d’Étoiles de François Roussillon, 1999 – Serge Peretti, le dernier Italien de Dominique Delouche, 1997 (coffret Dominique Delouche qui regroupe ces principaux films sur la danse, « Étoiles pour l’exemple »)

– Chorus Line de Richard Attenborough, 1985 – Soleil de nuit de Taylor Hackford, 1984

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Vidéos en bonus

DOCUMENTAIRE GRAINES D’ÉTOILES

Image extraite de la vidéo « Au travail ! »(Épisode 2 – Extrait de 20:42 à 22:37)© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

Image extraite de la vidéo « Les Progrès »(Épisode 3 – Extrait de 04:53 à 06:48)© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

Image extraite de la vidéo « Un monde à part »(Épisode 4 - Extraits de 14:24 à 14:29 et de 14:34 à 15:55)© SCHUCH Productions - ARTE France - Opéra national de Paris – 2012

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Crédits du dossier

Directeur de publication : Jean-Marie PanazolDirectrice de l’édition transmédia : Stéphanie LaforgeCoordination éditoriale : Maud Barbarin et Aude GérardAuteure : Emmanuelle Delattre-DestembergIconographie : Laurence GeslinSecrétariat d’édition : Sophie RouéMise en pages : Michaël Barbay

Remerciements : – École de danse et Service de l’édition de l’Opéra national de Paris – Schuch Productions – Arte France