De Quelques Aspects de La Traduction en Anglais Des Textes de Gabrielle Roy Publiés Pour Les Enfants

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    De quelques aspects de la traduction en anglais des textes de Gabrielle Roy publis pour les

    enfants Claude RomneyMeta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 48, n1-2, 2003, p. 68-80.

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    URI: http://id.erudit.org/iderudit/006958ar

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    De quelques aspects de la traductionen anglais des textes de Gabrielle Roy

    publis pour les enfants

    claude romney

    Universitde Calgary, Calgary, [email protected]

    RSUM

    Les textes de la grande crivaine canadienne-franaise Gabrielle Roy publis pour lesenfants navaient pas, lorigine, tcomposs pour eux. Ils ne furent toutefois aucune-ment modifis, une fois la dcision prise de changer de lectorat. Larticle qui suit exa-mine certains aspects des traductions de trois de ces textes qui ont paru en anglais etsont luvre de deux traducteurs ayant pris pour point de dpart les ditions pour en-fants, dans le but dtablir sils avaient tenu compte du nouveau public. Il semble que lepremier, plus que la seconde traductrice, ait adaptle texte des rcits quil a transposs,afin de les rendre accessibles aux jeunes enfants.

    ABSTRACT

    The writings of the great French-Canadian novelist Gabrielle Roy which were publishedfor children were not originally intended for them. When the decision was made to turnthem into childrens books, however, no changes whatsoever were introduced. Thepresent article analyses some aspects of the English translations of three of those textswhich were produced by two different translators. The goal was to discover whether ornot the translators had taken into account the new readership. It seems that the firsttranslator did adapt more than the second one the tales that he translated, in order tomake them more accessible to children.

    MOTS-CLS/KEYWORDS

    adaptation, Gabrielle Roy, littrature canadienne-franaise, traduction en anglais

    Gabrielle Roy fut, cest bien connu, la grande dame de la littrature canadienne-

    franaise de la seconde moitidu xxesicle, depuis la conscration en France par lePrix Fmina de son roman Bonheur doccasion (Roy, 1945) en 1947 et au-delmmede sa mort en 1983, puisquun certain nombre de ses ouvrages furent publis endition posthume, par les soins de son excuteur testamentaire et biographe, Fran-ois Ricard. Lcrivaine dorigine franco-manitobaine est dailleurs certainement lapersonnalitdes lettres canadiennes-franaises de sa gnration la mieux connue auCanada anglais. Ainsi, dans une galerie de photographies dcrivains clbres cana-diens (qualifis du beau mot de luminaries, cest--dire, au sens propre, de porte-flambeau ), prises par John Reeves et reproduites rcemment (27 avril 2002) dans lasection Books du Globe and Mail, le Canada franais nest reprsent que parGabrielle Roy et Marie-Claire Blais. Sa renomme dpassa dailleurs trs tt les fron-tires du Canada, puisque la version anglaise de Bonheur doccasion, The Tin Flute(Roy, 1947) fut choisie comme livre du mois en mai 1947 par la Literary Guild of

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    America et que des traductions de ce livre parurent ensuite en espagnol, danois, slo-

    vaque, sudois, norvgien, roumain, russe et tchque (Roy, 1987).Dans un prcdent travail (Romney, sous presse), jai montrque les crits de

    Gabrielle Roy publis pour les enfants, Ma vache Bossie(Roy, 1976), Courte-Queue

    (Roy, 1979), LEspagnole et la Pkinoise (Roy, 1986), ainsi que LEmpereur des bois(Roy, 1998) taient devenus des classiques. Le fait que les trois premiers de ces rcitsaient paru assez rapidement en traduction anglaise montre galement lestime dontjouissait luvre de lcrivaine au Canada anglais, du moins auprs des adultes quichoisissent les livres quils lisent ou donnent lire aux enfants. Le quatrime conte,LEmpereur des bois, na pas ttraduit, car il nest devenu accessible au jeune publicque rcemment dans un volume runissant en franais, son intention, les crits dela romancire susceptibles de plaire aux enfants (Roy, 1998). Compte tenu de la placequoccupe Gabrielle Roy au panthon littraire du Canada, il paraissait normal,donc, de se pencher sur les versions anglaises existantes des trois textes cits plushaut, dans une tude inclure dans un recueil darticles sur la traduction des livresdenfants, paratre dansMETA, la revue canadienne de la traduction.

    Franois Ricard estimait dailleurs que la romancire tait:

    jusquce jour, le seul crivain vritablement canadien , au sens fdral de ce terme,cest--dire le seul dont luvre transcende vraiment la barrire linguistique et qui estconsidre galement par les deux communauts ou par les deux institutions littrai-res comme un de leurs membres part entire. (Ricard, 1996, p. 494)

    Lintrt dune tude des traductions des textes royens parus dans des ditionspour enfants rside de plus dans la particularitque prsente loriginal de ces crits

    de ne pas avoir tcomposlintention des enfants, mais bien des adultes (Harvey,1993 ; Ricard, 1996 ; Romney, 1997). Gabrielle Roy ne peut donc pas compter au

    nombre des grands romanciers qui ont crit pour les enfants, comme HenriBosco, Jean Giono, Michel Tournier, Marguerite Yourcenar et J.-M. G. Le Clzio dont,dans un ouvrage fort intressant, Sandra Beckett (1999) examine les uvres et lestechniques quand ils ont produit des textes lintention de ce public particulier. Uneanalyse des avant-textes (Romney, 1997) a montr quune fois la dcision prise depublier ces crits pour les jeunes, Gabrielle Roy ne leur a pas apport la moindremodification, ne faisant aucune concession son nouveau lectorat ni sur le plan delhistoire ni sur celui de lexpression. Par contre, les traducteurs des trois contes publisen anglais ont pris comme textes dorigine les ditions pour enfants et on peut doncsupposer quils ont, au moins implicitement, interprtces textes comme des critsdestins aux jeunes et que leur point de dpart les a amens modifier certainslments. Le but du prsent article est de vrifier cette hypothse, bien que PatriciaClaxton (2002), la traductrice de LEspagnole et la Pkinoise(Roy, 1986), affirme avoirtparfaitement consciente de ce que la romancire navait pas lorigine destincercit aux tout petits ( little tots ).

    Ricard nous apprend dailleurs que Roy sintressait de trs prs la qualitdestraductions de ses ouvrages et quen fait,

    elle [plaait] la version anglaise de ses livres pratiquement sur le mme pied que le textefranais, la considrant plus ou moins comme un second original destinun public qui[avait] autant dimportance ses yeux que son public de langue franaise. (1996, p. 494)

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    Il est possible quelle ait galement suivi de prs la traduction en anglais du premierde ses rcits publis pour les enfants, laquelle fut la seule version anglaise des troiscontes que nous envisageons ici, tre dite de son vivant. La traduction de ce texte,Courte-Queue(Roy, 1979; traduction : Cliptail, 1980), fut confie Alan Brown, qui

    avait, quelques annes plus tt, tchoisi pour succder Joyce Marshall, sa traduc-trice attitre (Ricard, 1996). Brown traduisit ensuite un deuxime rcit, Ma vacheBossie, mais seulement quelques annes aprs le dcs de la romancire (Roy, 1976 ;traduction :My Cow Bossie, 1988). Il vaut la peine de noter que Courte-Queue, bienquayant paru en franais trois ans aprsMa vache Bossie, a tle premier des contespublis pour les jeunes paratre en traduction anglaise. Pourquoi cette prioritaccorde lhistoire de la petite chatte qui avait perdu le bout de sa queue, morduepar un mchant chien ? Probablement parce que ce livre avait obtenu, du Conseil desArts, le Prix littrature de jeunesse, rcompensant le meilleur ouvrage pour enfantsparu en franais, fait mentionnsur la quatrime de couverture de ldition anglaiseaussi bien que franaise. Les diteurs franais comme anglais rappelaient galementla clbritde Gabrielle Roy comme crivaine canadienne.

    Ldition anglaise de Ma vache Bossie(Roy, 1988) ne se privait pas non plus dejouer sur cette rputation. Alors quaucune prsentation ne figurait sur la quatrimede couverture du volume paru en franais, ldition anglaise rsumait dabord lhis-toire, puis vantait les mrites du livre en ces termes: This delightful tale, filled withhumour and warmth, was originally published in Quebec and is being made

    available to English readers for the first time (Roy, 1988, quatrime de couverture).Pour attirer les acheteurs ventuels, parents ou ducateurs, il tait fait mention de la

    renomme de lauteure, ainsi que des titres de trois de ses livres pour adultes, suscep-tibles dtre connus du public de langue anglaise, et de celui de son autre ouvragedjparu en anglais pour les enfants, Cliptail(Roy, 1980).

    Le troisime livre de Gabrielle Roy traduit pour les enfants, LEspagnole et laPkinoise,fut publien 1989, cest--dire trois ans aprs la parution du texte franais(Roy, 1986) et six ans aprs le dcs de lcrivaine. La traduction tait luvre non plusdAlan Brown, mais de Patricia Claxton, traductrice galement chevronne qui devaitpar la suite signer la version anglaise de lautobiographie de la romancire (1984; tra-duction anglaise, 1987) ainsi que sa magistrale biographie, crite par Franois Ricard(1996 ; traduction anglaise, 1999). Les deux paragraphes qui figurent sur la qua-

    trime de couverture de ldition anglaise de The Tortoiseshell and the Pekinese(Roy,1989) et qui sont, sans aucun doute, destins aux adultes reprennent essentiellementle texte franais, en ajoutant toutefois une note lgrement sentimentale la rputa-tion de lauteure : si, en franais, elle est prsente comme lun des plus importantscrivains canadiens du vingtime sicle (Roy, 1986, quatrime de couverture), enanglais, elle est qualifie de one of Canadas greatest and best-loved writers (Roy,1989, quatrime de couverture, je souligne1), sans doute pour inciter encore davantageles parents acheter le livre pour leurs enfants.

    Dans le cas des trois livres, il est donc clair que l intention des diteurs du Canadaanglais, McClelland et Stewart pour les deux premiers et Doubleday Canada pour le

    troisime, tait de jouer sur la rputation de Gabrielle Roy comme crivaine cana-dienne, ce qui correspond parfaitement au jugement que porte Ricard son sujet,peut-tre davantage propos de ses uvres pour adultes que pour enfants :

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    [] lintrieur du contexte canadien, luniversalit de son uvre ne fait pas de doute,puisquelle est lue, admire, tudie autant dans le milieu anglophone que franco-phone, autant Toronto et Winnipeg quMontral, ce qui est alors le cas dun trspetit nombre dauteurs du Qubec et du Canada anglais. (Ricard, 1996, p. 493-494)

    Cela dit, je me propose dexaminer les transformations subies par ces trois textessous la plume dAlan Brown et de Patricia Claxton, dune part pour vrifier sils onttrait les textes-sources comme de vritables crits pour enfants, et, dautre part,dans le but de mettre peut-tre en vidence des diffrences entre la manire respec-tive dont les deux traducteurs ont procd. Mon propos ne sera pas dvaluer laqualitdes traductions qui, tant luvre de professionnels expriments, sont toutesles trois dun trs haut niveau, mais bien de dcouvrir ce que sont devenus les troiscontes de Gabrielle Roy publis en franais pour les enfants quand ils ont ttrans-poss en anglais.

    Titres des livres : noms et sexe des personnages

    Les trois ouvrages qui nous occupent ont tous pour personnages principaux des ani-

    maux, caractristique qui a certainement influenc la dcision de les faire paratredans des ditions pour le jeune public, outre le fait que le premier qui fut publienfranaisMa vache Bossie(Roy, 1976) mettait aussi en scne une fillette, la narratricequand elle tait enfant. De plus, ces btes sont toutes des femelles : la vache, la chattede Courte-Queueet une autre chatte qui, avec une petite chienne, donne son titre LEspagnole et la Pkinoise. Ce fait doit immdiatement tre peru par le jeune lecteur

    ou la jeune lectrice, si tant est que, de par leur thme et leurs personnages, ces troislivres intressent davantage les filles que les garons.En sattaquant leur tche, les traducteurs ont tout dabord fait face au problme

    de trouver un quivalent aux titres des uvres qui, tous trois, reprennent le nom desprotagonistes. Lun,Ma vache Bossie(Roy, 1976) ne soulevait aucune difficult, tantdonnque la romancire avait choisi un nom anglais, Bossie, pour la vache quelle avaitreue en cadeau et dont elle sest inspire pour son roman. Notons que ce dernierportait, nanmoins, un nom aux sonorits plus franaises, Bosse (Ricard, 1996).Courte-Queue, le petit livre qui raconte lhistoire de la mre chatte prte tout pourprotger ses petits, a aussi pour titre le nom de lanimal, lequel dcrit une caractris-

    tique physique dont lorigine est dailleurs explique dans les premires lignes durcit : la chatte avait laiss le bout de sa queue dans la gueule du mchant chienShipper, autre nom anglais qui a t conserv. Il tait videmment ncessaire detrouver un quivalent anglais du trait corporel de la chatte: Alan Brown la admirable-ment rendu par Cliptail, peut-tre mme un peu plus prcis que le nom franaispuisque langlais suggre que lorigine en est une mutilation de lappendice caudal delanimal. Remarquons, toutefois, que le lecteur de langue franaise comprend imm-diatement, la vue de lillustration de la couverture et du titre Courte-Queuecom-posdun substantif fminin et dun adjectif, videmment fminin aussi, quil sagitdune chatte. En anglais, le nom de Cliptail ne dnote pas le sexe de lanimal. Cepen-

    dant, dans le texte, la tche du traducteur est facilite ds la premire phrase par laprsence de ladjectif possessif : Courte-Queue laissa un jour la moitide sa queuedans la gueule du mchant chien Shipper (Roy, 1979, p. 1). Comme langlais utilisedes adjectifs possessifs indiquant le sexe du possesseur, le lecteur apprend ainsi que

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    lanimal est une chatte : Cliptail one day left half her tail in the mouth of oldbeware-the-dog Shipper(Roy, 1980, p. 1). Notons, au passage, la surtraduction deladjectif mchant, utilispar la narratrice pour caractriser le chien, avec lajout deold, alors que le texte de dpart ne prcisait pas son ge. On peut supposer que le but

    du traducteur tait de rtablir ainsi lquilibre de la phrase, une fois quil eut optpourlemploi du sobriquet beware-the-dogqui parat tre bien dans le ton du rcit.

    Le titre du troisime petit volume, LEspagnole et la Pkinoise(Roy, 1986), reprendle nom gnrique des deux animaux personnages principaux qui dnote loriginegographique de leur race respective. Lillustration de la couverture2 montredailleurs aux enfants une mre chatte espagnole au pelage tricolore, blanc, roux etnoir, portant dans sa gueule lun de ses petits, et un chien pkinois de sexe ind-termin, au poil long et au museau aplati. En franais, grce aux deux noms fmininsdu titre, il nexiste aucune ambigut quant au sexe des deux animaux. PatriciaClaxton a facilement pu trouver comme quivalent The Tortoiseshell and the Pekinese.Notons, cependant, que le nom anglais des animaux nindique pas leur sexe qui estpourtant dune extrme importance, puisque le sujet du livre est la maternit(commeil ltait djdans Courte-Queue), grce laquelle vont se rconcilier les deux animauxfemelles, jusque-lennemies jures. La Pkinoise qui na jamais eu de petits, puis-quelle a tchtre, comme la narratrice le fait comprendre aux lecteurs adultes, selaisse attendrir par la porte des chatons de lEspagnole et leur servira de seconde mre.Il est dailleurs tout fait possible que Gabrielle Roy qui, linstar de la grandecrivaine Colette, affectionnait et connaissait bien les chats ait choisi dessein unechatte espagnole comme personnage. En effet, ces chattes font dexcellentes mres

    qui mettent bas facilement, mais aiment le faire labri des regards indiscrets (Pond,1984), caractristiques qui correspondent tout fait celles attribues par Roy lEspagnole de son livre.

    Remarquons que les deux animaux ne portent pas de nom propre en franaisou, du moins, que celui de la chatte nest fourni que tard dans le rcit, la page 30, ole lecteur apprend quelle sappelle Dona al Mimouna3, nom particule qui sembleraitindiquer une origine aristocratique, Mimounatant une variante de Minoune dont sont souvent dsigns les chats au Canada franais4. Dautre part, pour sadresserla chienne, Berthe, la matresse des animaux, utilise le diminutif Kinoisequi peutfaire penser lexpression chercher noise , laquelle correspond bien au caractre que-

    relleur de la bte, mais videmment, cette allusion disparat en anglais. Labsence denoms autres que gnriques dans la plus grande partie du livre ne semble pas gratuite.Lauteure a, peut-on supposer, voulu donner les deux animaux comme exemples decratures entre lesquelles pouvait rgner lentente. En ne leur attribuant pas de nom,elle leur octroie une valeur universelle, tout comme La Fontaine dans ses Fablesolecomportement des animaux doit permettre aux tres humains de tirer une leon.

    Alors quen franais, les deux personnages sont dsigns par les noms communsde chatteetpetite chienneds la premire page du livre et que, peu aprs, la narratricereprend leurs noms gnriques dEspagnole et de Pkinoise et que le sexe est aussiindiqupar lemploi de la forme fminine des adjectifs, en anglais, la traductrice a

    toblige de trouver une faon dindiquer quil sagit de deux femelles, puisque lesnoms catet dogne sont pas marqus. Le mot bitchpossde des connotations ngativeset il nexiste pas de vocable spcifique dsignant une chatte. Les expressions she catougirl catne conviendraient pas dans le contexte de lhistoire. Patricia Claxton a donc

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    dcid de nommer les deux protagonistes ds la premire page : Then Mei-Lingwould give Lola a good clout with her paw(Roy, 1988, p. 5), leur assignant des nomsaux consonances respectivement chinoises et espagnoles et employant un adjectif

    possessif fminin qui ne laisse pas de doute sur le fait que Mei-Ling est une chienne.

    Certaines des insultes que se dcochent les deux ennemies montrent galementen franais que ce sont des femelles. Tes laide ! te-toi de mon chemin ! Marche tecoucher derrire le pole ! , lance la chienne la chatte, laquelle rtorque : Marchete coucher toi-mme ! Vieille laide toi-mme ! Visage tout pliss ! (Roy, 1986, p. 5).La traduction anglaise transforme les invectives comprenant la forme fminine dad-jectifs, et utilise mme le nom thing, considrcomme neutre et qui peut sadresserindiffremment des tres masculins ou fminins : Ugly thing ! Get out of my way.Go and lie down behind the stove. Ce quoi la chatte rplique: Yougo and liedown behind the stove. Ugly old thing yourself with your wrinkled-up face !(Roy,1988, p. 5).

    Figures maternelles

    Les actants principaux des trois livres publis pour les enfants sont donc des ani-maux femelles. En fait, Lori Saint-Martin a bien montr(1995 ; 1999) que les figuresde mres sous-tendent lensemble de luvre de Gabrielle Roy, quelle qualifie mmede textes matricentriques (Saint-Martin, 1999, p. 160). Les rcits qui font lobjet duprsent article ne font pas exception cette rgle. Courte-Queue est une mre dvouecorps et me ses petits et adopte mme dautres chatons, ceux de son arrire-grand-

    mre et ceux aussi de sa grand-tante, dpourvues, toutes deux, de linstinct maternel.LEspagnole et la Pkinoise vont, nous lavons vu, se rconcilier grce aux sentimentsde concorde qui les unit aprs la naissance des petits de la chatte. Ces faits passentsans difficultdes textes originaux leur traduction anglaise. DansMa vache Bossie,cependant, on se trouve en prsence dun phnomne diffrent. Lanimal a tdonnen cadeau danniversaire qualifid extravagant (Roy, 1976, p. 7) la narratriceenfant par son pre, lequel napparat dailleurs dans le rcit que sous les traits dunhomme plutt effacet mme irrflchi. Cest la mre que revient la responsabilitdassurer le bien-tre, matriel autant que moral, de sa famille, comme cest toujoursle cas dans les uvres de Gabrielle Roy (Saint-Martin, 1995 ; 1999) et comme cela

    lavait t dans sa propre famille au cours de son enfance et de son adolescence(Ricard, 1996).Dans le texte franais, la narratrice adulte joue avec virtuositsur les diffrentes

    faons de nommer ses parents (Romney, 2000). Le substantif pre, accompagndeladjectif possessif mon apparat deux fois au dbut du livre : Pour mes huit ans,mon pre me fit un cadeau extravagant ( cest--dire une vache) et, plus loin, Monpre lavait pay soixante-quinze dollars . Il est normal quune adulte emploie ceterme en franais lorsquelle sadresse dautres adultes quelle ne connat pas bien,comme ses lecteurs, mais lappellation est peu frquente dans des textes destins des enfants. Lemploi de lexpression mon predans le conte, mme suivie, cinq

    reprises, de lappellation papa , plus affectueuse et plus courante de la part dunefillette, contraste avec la dsignation de la mre qui apparat vingt-trois fois et tou-jours sous la forme maman , empreinte de tendresse. Le pre sera peru comme unpersonnage dhumeur morose et peu perspicace en affaires, alors que la mre, qui na

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    pas davantage le sens du commerce puisque la vente du lait de la vache se soldera par

    une perte, est toute en douceur et sensibilit, malgrles difficults quelle prouve assurer lexistence journalire de sa famille. Les appellations employes par AlanBrown gomment cette diffrence de sentiments exprime par la narratrice. En effet,

    le traducteur a optpour Fatherou my father , dune part, et pour Mother etmy mother , indiffremment, semble-t-il. Les termes enfantins comme Mommyet Daddy, et mme Momet Dad ont probablement trejets comme tropmivres et ne convenant pas un texte littraire produit par une grande crivaine.Toujours est-il quune des caractristiques essentielles de luvre royenne se trouveconsidrablement attnue en traduction : le contraste entre le pre, personnage in-dcis et mme insouciant, et la mre, sur les paules de laquelle repose lentire res-ponsabilit de la famille et dont la chaleur rayonne tout autour d elle. LoriSaint-Martin (1999, p. 143) a bien montrquel point sont nombreuses les mar-ques de proximitphysique entre mre et fille dans les nouvelles qui composentRue Deschambault (Roy, 1955), recueil dontMa vache Bossiedevait lorigine fairepartie. DansMa vache Bossie, on retrouve la tendre sollicitude de la mre qui veille ce que la fillette soit bien protge contre le froid lorsquelle va livrer le lait de lavache en hiver :

    Maman me faisait remettre mes hautes bottines de feutre rouge que jenlevais en reve-nant de lcole, puis mon manteau neuf, le plus chaud et que jaimais le mieux, car iltait rouge avec un col en mouton gris ; ensuite mon bonnet de fourrure. Maman men-veloppait le visage de ma crmone . Je partais, serrant mes bouteilles pleins bras.[]Maman devait mattendre juste derrire la porte ; elle me louvrait grande ds quellementendait revenir sur la galerie et y secouer la neige de mes bottes. (Roy, 1976, p. 35-38)

    Comparons maintenant ce passage avec sa traduction anglaise :

    Mother made me wear the high red felt boots Id taken off coming home from school.And my new overcoat, the warm one I liked so much (it was red with a grey sheepskincollar). And my fur hat. Then she wound a muffler around my face. Away I went, hug-ging the milk bottles in my arms. []Each time I came home my mother must have been waiting just inside the door. Shewould open it wide as soon as she heard me stamping snow off my boots onto theverandah floor. (Roy, 1988, p. 35-38)

    Alan Brown a fort bien rendu la succession des gestes de la mre visant protger lafillette du froid, peut-tre en se remmorant ceux que faisait sa propre mre, car ce sontldes souvenirs que chaque adulte conserve de son enfance. La rptition double,chaque fois au dbut dune phrase, de la conjonction de coordination andet lemploide thenmarquent bien cette insistance. Pourtant, dans le texte original, cest lhypo-coristique maman, appellation qui jette le pont dans le temps entre la narratriceadulte et la fillette de huit ans qui avait reu la vache en cadeau, qui est placen ttede phrase trois fois en lespace de quelques lignes, afin de bien attirer lattention dulecteur sur limportance du personnage de la mre. En anglais, le traducteur a employdabord le mot mother, plac

    effectivement en d

    but de phrase, mais que n

    aurait sans

    doute pas utilisune fillette de huit ans. La lectrice du texte anglais a plutt limpres-sion que ce mot de motherest dla plume de la narratrice adulte qui se penche surson pass, cette appellation plutt sche ne possdant pas la charge affective de maman.

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    Le second mamancde la place au pronom personnel she, beaucoup plus faible, tandisque lquivalent propospour le troisime, my mother, se trouve relguau milieu dela phrase, la figure maternelle napparaissant quune fois la porte ouverte, alors quenfranais, le lecteur sent bien que la fillette anticipait la prsence chaude et rassurante

    de sa mre avant mme de franchir le seuil de la maison. Cependant, dans le textefranais comme dans la traduction dAlan Brown, se retrouve ce mouvement en spi-rale caractristique de luvre royenne et analysavec beaucoup de finesse par LoriSaint-Martin (1999, p. 148-149). Dans le passage citci-dessus, il est reprsentpar legeste accompli par la mre pour envelopper le visage de lenfant de sa crmone ,lexpression anglaise wound [] around my face insistant peut-tre davantagesur le geste circulaire, alors que lquivalent franais menveloppait le visage de macrmone suggrerait surtout lide de protection.

    Comme il arrive souvent dans les familles, larrive dun nouvel animal cre unsurcrot de travail pour la mre. Celle de la narratrice, quelque peu excde, dsignele plus souvent lanimal de lappellation de cette vache , plac en tte de phrasepour accentuer son irritation : Cette vache vivrait-elle cent ans, donnerait-elle du laitautant dannes, et jamais, tu entends, jamais nous ne rentrerons dans notre argent (Roy, 1976, p. 10-11). De mme, lattention est attire sur lanimal dans les questionsque pose la mre au pre: Cette vache, demanda maman, qui la mnera patre? (Roy, 1976, p. 11), puis, quelques pages plus loin : Cette vache, qui va la traire ? (p. 22).Dans les deux cas, la rponse insouciante du pre est la mme: Oh ! [] moi! ou quelquun dautre !(p. 11) et Oh ! Moi-mme ou quelquun !(p. 22). Letraducteur na conservlquivalent de cette vache , that cowque dans lhypo-

    thse farfelue quexprime la mre: If that cow lives a hundred years, and if she givesmilk for a hundred years, well never dyou hear me ? never get our moneysworth out of her !(Roy, 1988, p. 10.11). Lexaspration de la mre est parfaitementrendue par lutilisation de that cow et la rptition de a hundred years et denever . Dans les deux questions poses par la mre qui sinquite de savoir qui vasoccuper de la bte, lexpression cette vache disparat pour tre remplace par lepronom personnel objet : And who,my mother asked, is going to take her out tograss? (Roy, 1988, p. 11) et Mother had also wanted to know, Whos going to milkher? (ibid., p. 22). La traduction est donc marque par une attnuation de linsis-tance sur lexpression cette vache , laquelle fait ressortir le souci supplmentaire

    quelle constitue pour la mre de famille. On peut ajouter que dans les textes destinsaux enfants, les rptitions sont dusage courant (Nodelman, 1996) et donc consti-tuent un lment auxquels les jeunes lecteurs, particulirement les trs jeunes, sonthabitus et quil est dommage quelles aient t estompes dans la traduction deCourte-Queue.

    Insultes

    Revenons quelques instants aux injures. On en trouve non seulement dans LEspagnoleet la Pkinoise, mais aussi dans Ma vache Bossie, au point quon peut dire que cest

    presque une caractristique des livres de Gabrielle Roy publis pour les enfants. Danslhistoire de Bossie, la fillette, exaspre par le manque de docilitde la vache, luidcoche des insultes que les enfants lecteurs napprcieront sans doute pas de la mmefaon que les adultes : Vieille vache stupide ! Trotteuse ! Sans-cur de vache ! (Roy,

    traduction en anglais des textes de g. roy publis pour les enfants 75

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    1976, p. 18). Les grandes personnes souriront de ces appellations, surtout des deux

    dernires. Trotteusesemble tre un canadianisme (Bergeron, 1980, p. 501), sappliquantune personne qui aime aller se promener mais qui dsigne aussi celui ou cellequi recherche la compagnie de jeunes du sexe oppos . Lentre prcdente dans le

    dictionnaire de Bergeron explique galement quune vache qui trotte est [u]nevache qui recherche le taureau . Il est possible que la fillette ait entendu les grandespersonnes de son entourage appliquer ce qualificatif sa vache ou une autre, sansquelle ait elle-mme tconsciente des connotations sexuelles quil comportait.

    Voyons prsent les quivalents anglais proposs par Alan Brown : Stupidold cow ! Runaway ! Cruel cow! (Roy, 1988, 18). Le choix de Runaway pourTrotteuse ! est excellent, car lexpression suggre non seulement un animal qui atendance schapper, mais aussi des humains qui senfuient pour se marier sans leconsentement des parents. Les connotations sexuelles sont donc conserves. Parcontre, Sans-cur de vache! est beaucoup plus imagque langlais Cruel cow ! qui reste sur le plan abstrait. On peut dailleurs se demander quel ge les enfantsacquirent le concept de cruaut.

    Par ailleurs, les invectives que lance lEspagnole la Pkinoise dans une scne dedispute carnavalesque (Bakhtine, 1970) ne surprendront pas les adultes qui savent bien

    que cest en partie par leur voix que les chats montrent leur animositlgard de lagent canine. En franais, la chatte sexprime ainsi : Pas-de-manires ! Gloutonne-et-malapprise-comme tous les chiens ! Sarrte-sentir-chaque-poteau ! Lche-sa-crotte--la-vue-de-tout-le-monde ! (Roy, 1986, p. 9). Lexamen des avant-textes conservs la Bibliothque nationale du Canada (Romney, 1997) montre que lauteure avait

    bien pes la forme et le sens de ces injures puisquelle les avait modifies plusieursfois. Patricia Claxton a rendu ces insultes avec brio de la faon suivante: Youregross ! Greedy, rude, revolting, just like all dogs ! Stop-and-sniff-at-every-tree ! Leave-

    your-mess-where-all-can-see !(Roy, 1989, p. 9). noter lallitration entre gross adjectif en vogue chez les enfants, lpoque dont date la traduction et Greedy,dune part, et rude et revolting, de lautre. remarquer galement la rime entre tree et see , ainsi que le rythme gouailleur et lautre allitration de Stop-and-sniff-at-every-tree qui ressemble celui dune comptine. Le mme rythme seretrouve dailleurs dans la dernire injure: Leave-your-mess-where-all-can-see .On constate, cependant, une lgre attnuation de ton dans le passage de Lche-sa-

    crotte--la-vue-de-tout-le-monde ! Leave-your-mess-where-all-can-see ! , lan-glais ayant recours un euphmisme, comme il le fait souvent. Rappelons que leslments scatologiques figurent en franais, dans des insultes exprimes par certainspersonnages des albums de Tintin (Herg, 1948 ; 1963) et que, dans cette languecomme en anglais, ils sont frquents dans les comptines et les nursery rhymes. Enanglais, cependant, daprs John Stevens, minent spcialiste australien de littraturede jeunesse, les insultes sont rares dans les livres pour les jeunes (Stephens, 1992). Les

    injures profres dans LEspagnole et la Pkinoiseet The Turtleshell and the Pekinesepossdent-elles la mme valeur dans les deux langues? Elles semblent tre dcochessur un ton plus personnel en anglais, tel quattestpar lemploi deyou(Youre gross)

    et de your (Leave-your-mess) alors que le texte franais employait la troisimepersonne du singulier, qui attribuerait aux caractristiques de la chienne une valeuruniverselle.

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    Vocabulaire : concessions aux enfants ?

    Les livres denfants se distinguent, en partie, des ouvrages pour adultes par le lexiquequils emploient et qui est censtre la porte des jeunes lecteurs. Or, on le sait,

    Gabrielle Roy ne destinait pas Ma vache Bossie, Courte-Queue et LEspagnole et laPkinoiseaux enfants. On peut donc sattendre y trouver des lments de vocabu-laire un peu difficiles pour les jeunes. En effet, en traduction, certains vocables ou

    certaines expressions dun niveau de langue relativement levont tremplacs pardes quivalents plus facilement comprhensibles des jeunes lecteurs. Ainsi, proposdun des petits de la chatte Courte-Queue, lauteure crit: Cest bien lui que Berthetrouva le plus avenant (Roy, 1979, p. 23), ce qui devient simplement : He was theone that Berthe liked best (Roy, 1980, p. 23), avec une lgre transposition de sens,puisque lapparence agrable du chaton disparat. Dans Ma vache Bossie, un motcompliqucomme rtroactifest galement explicit : Et [maman] mapprit que

    mes profits taient rtroactifs (Roy, 1976, p. 39) de la faon suivante : And she toldme that my profits didnt just start on the day we made the bargain (Roy, 1988, p.39). Dans la traduction de LEspagnole et la Pkinoise, lexpression fatigue mortde ces litanies (Roy, 1986, p. 9) est paraphrase en ces termes : Tired to death ofhearing the same things day after day(Roy, 1989, p. 9). la place de lexpression enfreint la rgle (Roy, 1986, p. 14), on trouve simplement disobeyed(Roy, 1989,p. 14) ; la place de conciliante(Roy, 1986, p. 16), on trouve ladjectif plus courant friendly(Roy, 1986, p. 16), tandis que tout berlue (Roy, 1986, p. 17) est trans-pos en astonished (Roy, 1989, p. 17). Un nombre relativement lev de motsquelque peu recherchs, choisis sans doute avec soin par lauteure, sont donc remplacspar des quivalents plus usuels en anglais.

    Dans la traduction par Patricia Claxton de LEspagnole et la Pkinoise, on ren-contre cependant des passages o linverse se produit : la traductrice opte parfoispour des mots ou expressions dun niveau plus soutenu que ceux du texte de dpart.Ainsi, les yeux de la Pkinoise erraient dans une sorte de rve triste (Roy, 1986,p. 20) se transforme en : Mei-Lings eyes wandered rather wistfully (Roy, 1989,p. 20), aux jolies sonorits potiques, certes, mais dont ladverbe sera certainementinconnu des enfants. Le langage relativement simple de La chatte, survenant ainsi limproviste, les surprit ainsi faire les fous ensemble (Roy, 1986, p. 25) devientLola appeared unexpectedly to find them all frolicking this way together (Roy,1989, p. 25), avec un verbe littraire dcrivant les actions des petits chats. la fin dulivre, on trouve : Tout coup, dun commun accord, lEspagnole et la Pkinoiserentraient dans la ronde (Roy, 1986, p. 40), phrase qui est traduite par : By agree-ment, Lola and Mei-Ling would return to the fray, all of a sudden (Roy, 1989, p. 40),avec une expression qui ne sera sans doute pas comprise des enfants.

    Dans lensemble, Patricia Claxton semble donc avoir mieux russi quAlanBrown conserver le niveau de langue du texte de Gabrielle Roy. Sil est vrai quellea, loccasion, modifi le registre de certains passages en abaissant le ton littrairedes mots choisis par lauteure, dautres endroits au contraire, elle a usdun voca-

    bulaire plus recherch. Si lon considre la totalitde sa traduction, on peut affirmerquelle a maintenu les qualits de la langue de lcrivaine, appliquant le principenoncpar Valery Larbaud (1947), selon lequel le traducteur, peseur de mots, enlveou ajoute ici et l pour rtablir lquilibre et atteindre un niveau correspondant

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    celui du texte source. Alan Brown, semble-t-il, a fait davantage de concessions aux

    possibilits de comprhension des enfants en utilisant des mots et expressions par-fois plus familiers que ceux quavait choisis la romancire.

    Images et mtaphores

    Par contre, on rencontre en traduction des passages ole langage figur, contenantdes expressions idiomatiques suggestives, cde la place des noncs moins imags.Cest le cas dans la traduction de Courte-Queueola mre chatte dcide dinduire samatresse en erreur, en lentranant dans la direction oppose celle de la cachette oelle a laissses petits : Mais, en cours de route, elle changea de cap et mena Bertheplutt vers les cascades, loin dans la mauvaise direction, travers les broussailles (Roy, 1979, n.p.). Sous la plume dAlan Brown, le dbut de cette phrase devient: Butshe changed her mind halfway there (Roy, 1980, n.p.). Le traducteur a peut-tre fait,laussi, une concession aux jeunes lecteurs en supprimant lexpression emprunteau langage des marins. De fait, le texte franais dnote davantage un changement dedirection, perceptible sur le plan visuel, alors que la traduction se place plutt sur leplan abstrait, celui du psychisme de lanimal.

    Un phnomne semblable peut tre dceldans deux passages de la traductionde LEspagnole et la Pkinoise. Ainsi, la phrase Parfois [lEspagnole] se rapprochait pas de loup (Roy, 1986, p. 11) devient Sometimes, quietly, she would creep close (Roy, 1989, p. 11). De mme, lexpression image est efface dans la traduction deDe lavant-dernire marche, la Pkinoise couta de toutes ses oreilles (Roy, 1986,

    p. 16) en There on the second to last step, Mei-Ling listened very, very carefully(Roy, 1989, p. 16). Dans ces deux cas, la traductrice nest aucunement responsable dela disparition du dtail suggestif qui conviendrait remarquablement des textes luspar ou des enfants. Cest tout simplement que langlais, quon dit pourtant tre unelangue plus concrte que le franais, ne dispose pas de locutions comparables marcherpas de loupet couter de toutes ses oreilles. Curieusement, en raison de cette lacune,le texte anglais, traduit pour les enfants, se trouve tre moins vocateur que lnoncsource, crit pour les adultes.

    Modifications diverses

    On trouve galement des modifications de diverses sortes sous la plume dAlanBrown, sans quil soit toujours possible de les expliquer de faon satisfaisante. Ainsi,pourquoi le nombre de petits qui composent la porte des chatons de Courte-Queueest-il passde quatre trois ? Leur nombre a aussi changdans la traduction de laphrase suivante : On a beau aimer les chats, quand ils sont cinq ou septvous dan-ser sur les talons lheure des repas [] (Roy, 1979, n.p.) You can love cats all youlike, but when you have eight or tenof them dancing at your heels at mealtime [](Roy, 1980, n.p.). On peut supposer que, conscient du rythme de la phrase, le traduc-teur a prfrutiliser des monosyllabes, comme lavait fait lauteure. Autre change-

    ment : celui du nom de la rue ohabitaient enfant la narratrice et sa famille : la rueDeschambault qui a donnson titre au recueil de nouvelles (Roy, 1980) dans lequelle conte devait lorigine tre inclus est devenue Archambault Street (Roy, 1988,p. 7). Le traducteur a-t-il estimque ce nom serait plus facile prononcer en anglais ?

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    Le volume de Rue Deschambault avait dailleurs t publi en anglais sous le titreStreet of Riches(Roy, 1957).

    La modification la plus surprenante, cependant, effectue par Alan Brown relvede la censure. Dans Ma vache Bossie, le lait de lanimal tarit, rduisant nant les

    maigres profits que la fillette tirait de son commerce, si bien que la narratrice adulteobserve malicieusement : [P]our quelle recomment donner du lait, Bossie, prsent, il parat quil fallait un buf(Roy, 1976, p. 40). Dans le but de prvenir lesquestions des enfants anglophones, encore ignorants de ce que lon appelle pudique-ment en anglais the facts of life , le traducteur anglais a transformainsi lexplica-tion : [I]f Bossie was going to continue giving milk, shed have to have a calf(Roy,1988, p. 40). Il est dailleurs possible que cette forme de censure, que Klingberg, sp-cialiste sudois de littrature de jeunesse, dsignait du nom de purification (citpar Oiittinen, 2000), ait t exerce non pas par le traducteur, mais par lditeur.Gabrielle Roy, qui navait pas jugbon de transformer cette phrase quand fut prise ladcision de publierMa vache Bossiepour les enfants, aurait-elle acceptcette substi-tution ? Il est videmment difficile, sinon impossible, de rpondre cette question.

    Conclusion

    On voit donc que ces trois textes de Gabrielle Roy publis pour les enfants mais lorigine destins des lecteurs adultes ont subi un certain nombre de modificationsen passant du franais langlais. Des deux traducteurs, toutefois, il semble quAlanBrown soit celui qui a davantage tenu compte du fait que les lecteurs implicites

    taient devenus des enfants, alors que lauteure navait en aucune faon modifisestextes aprs avoir dcid de changer de public. Patricia Claxton a mieux russi conserver la tonalitdu texte, si bien que sa traduction de LEspagnole et la Pkinoise,bien que produite aprs la mort de lcrivaine, a davantage respectce choix. Danslensemble, les traductions anglaise sont excellentes et ont sans le moindre doutecontribu faire connatre les trois crits en question aux enfants canadiens quinavaient pas la possibilitde les lire dans la version franaise originale. tant donnle message contenu dans le dernier de ces contes qui prtait aux jeunes (animauxcomme humains) un rle essentiel dans ltablissement de lharmonie universelle, ilest esprer que les traductions anglaises de ces petits livres de Gabrielle Roy auront

    aussi semchez leurs lecteurs le germe de la concorde, en rapprochant ce quon a prislhabitude de nommer les deux solitudes .

    NOTES

    1. Par la suite, quand des lments soit du texte original soit des traductions sont souligns, cest moiqui souligne.

    2. Dans les ditions anglaises des trois contes, les illustrations originales ainsi que la pagination ont tintgralement conserves.

    3. Dans le manuscrit de LEspagnole et la Pkinoise, conservla Bibliothque nationale du Canada, lenom Dona al Mimouna a tajoutdans la marge. (Fonds Gabrielle Roy, bote 63, chemise 20).

    4. Lcrivaine avait dailleurs intitul lune des nouvelles qui composaient Cet t qui chantait La

    Grande Minoune-Maigre (Roy, 1972), daprs le nom dune autre chatte qui, comme lEspagnole,appartenait Berthe, sa voisine et amie Petite-Rivire-Saint-Franois.

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