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Société Civile n°76 - janvier 2008 PRESSE FRANÇAISE : LES CAUSES DU DÉCLIN Quelles sont les causes de ce déclin qui semble inéluctable ? D’aucuns parlent de l’essor des nouveaux médias, de l’Internet et des chaînes sur le câble. D’autres de l’apparition des gratuits. Il y a bien là-dedans une grande part de vérité, mais cela n’explique pas tout. Sinon, comment se fait-il que dans un pays comme la Grande-Bretagne où le câble, le satellite, la télévision numérique terrestre se sont développés avant et bien plus vite qu’en France, les quotidiens se portent très bien ? Ou bien comment expliquer que la plupart des sondages montrent que les gratuits n’ont pas « volé » les lecteurs des quotidiens payants car plus de la moitié d’entre eux ne lisait aucune presse quotidienne avant l’apparition des gratuits ? Et que les pays où les quotidiens se portent très bien ont aussi une multitude de gratuits ? Non, comme pour la situation économique, les principales causes sont internes. Les chiffres sont là et ils sont très inquiétants. En 1914, la France pouvait se targuer d’avoir 244 quotidiens vendus pour 1 000 habitants et occupait la première place mondiale. Aujourd’hui, avec 149 exemplaires vendus pour 1 000 habitants, elle n’est plus qu’à la 31e place, derrière tous les pays européens. Aux États- Unis, on peut compter 7,2 titres quotidiens par million d’adultes, en Allemagne 5,9, en Espagne 3,8, en Grande-Bretagne 2,3 et en France seulement 1,8 ! Il n’y a pas un seul quotidien qui ne soit pas en déficit. Et pour cause. En 2006, la somme totale des ventes (hors abonnements) du Monde (125 000), du Figaro (140 000), de Libération (75 000) et même du Parisien (90 000) équivaut à celle de France-Soir en 1981 (430 000 exemplaires). La situation n’est pas près de s’améliorer (malgré le rebond dû aux élections de juin 2007) : en mai 2007, la presse quotidienne a enregistré, avec une

Déclin de la presse écrite

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Société Civile n°76 - janvier 2008

PRESSE FRANÇAISE : LES CAUSES DU DÉCLIN

Quelles sont les causes de ce déclin qui semble inéluctable ? D’aucuns parlent de l’essor des nouveaux médias, de l’Internet et des chaînes sur le câble. D’autres de l’apparition des gratuits. Il y a bien là-dedans une grande part de vérité, mais cela n’explique pas tout. Sinon, comment se fait-il que dans un pays comme la Grande-Bretagne où le câble, le satellite, la télévision numérique terrestre se sont développés avant et bien plus vite qu’en France, les quotidiens se portent très bien ? Ou bien comment expliquer que la plupart des sondages montrent que les gratuits n’ont pas « volé » les lecteurs des quotidiens payants car plus de la moitié d’entre eux ne lisait aucune presse quotidienne avant l’apparition des gratuits ? Et que les pays où les quotidiens se portent très bien ont aussi une multitude de gratuits ? Non, comme pour la situation économique, les principales causes sont internes.Les chiffres sont là et ils sont très inquiétants. En 1914, la France pouvait se targuer d’avoir 244 quotidiens vendus pour 1 000 habitants et occupait la première place mondiale. Aujourd’hui, avec 149 exemplaires vendus pour 1 000 habitants, elle n’est plus qu’à la 31e place, derrière tous les pays européens. Aux États-Unis, on peut compter 7,2 titres quotidiens par million d’adultes, en Allemagne 5,9, en Espagne 3,8, en Grande-Bretagne 2,3 et en France seulement 1,8 ! Il n’y a pas un seul quotidien qui ne soit pas en déficit. Et pour cause. En 2006, la somme totale des ventes (hors abonnements) du Monde (125 000), du Figaro (140 000), de Libération (75 000) et même du Parisien (90 000) équivaut à celle de France-Soir en 1981 (430 000 exemplaires). La situation n’est pas près de s’améliorer (malgré le rebond dû aux élections de juin 2007) : en mai 2007, la presse quotidienne a enregistré, avec une baisse de 20,6%, l’un des plus forts reculs de son histoire. Même un grand titre régional comme Ouest-France n’arrive qu’à la 76e place dans un classement mondial des quotidiens les plus diffusés, largement derrière des quotidiens japonais, britanniques ou américains. Depuis 1973, année du lancement de Libération, aucun nouveau quotidien ne s’est créé en France. Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux ne lit plus de quotidien. Et ceux-ci sont les moins rentables d‘Europe (3,4% en moyenne contre plus du double – voire le triple – dans la plupart des autres pays). Même les magazines, pourtant beaucoup plus lus que les journaux, font pâle figure par rapport à leurs équivalents étrangers : les marges dégagées par un magazine britannique sont trois fois plus élevées que celles d’un magazine français (22% contre 7%, la moyenne européenne étant de 13%)…

Les journalistes sont-ils à gauche   ?

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La scène se passe en septembre 2006 lors de la rentrée d’une école de journalisme parisienne. Après les cours, les étudiants se retrouvent dans un café. Ils se découvrent et parlent de leur passion commune : le journalisme. Entre futurs journalistes, les étudiants en arrivent vite à parler d’une autre passion : la politique. Petit à petit, la plupart des personnes affirment être engagées politiquement et pour certaines même elles sont encartées. Une dominante politique s’impose. D’une manière presque ostentatoire, le groupe s’affirme en tant qu’une seule et même entité, à gauche. Sur 10 personnes, 8 sont encartées au Parti socialiste, les autres sympathisants PS. Troublant.

Pourtant, crise du CPE mise à part, on dit des étudiants qu’ils sont de moins en moins politisés, de plus en plus individualistes.

Cette promotion fortement politisée et ancrée à gauche est-elle due au hasard ? Est-elle unique en France ? Sûrement pas. Les étudiants en journalisme sont une catégorie à part.

Ils sont plus politisés que la majeure partie des étudiants et très marqués idéologiquement, à gauche.

Nous avons voulu savoir si l’exemple précité était spécial.

Pour cela, nous avons envoyé à tous les étudiants des écoles de journalisme reconnues en France deux questions relatives à leur orientation politique. Bien que plusieurs écoles aient refusé de diffuser notre requête nous avons obtenu plusieurs dizaines de réponses d’étudiants. Il est clair que ce n’est ni un sondage ni une expérience scientifique, toujours est-il que sur tous les élèves, seuls 12% sont à droite.

Phénomène unique, la plupart des journalistes penchent à gauche. Une telle proportion ne se retrouve dans aucune autre catégorie socioprofessionnelle.

Les grandes élections sont généralement l’occasion pour les rédactions de faire des sondages fictifs. Cette année quelques rédactions ont eu des résultats assez éloignés des résultats électoraux français. Le Canard enchaîné a révélé que pour Paris-Match les votes s’articulaient ainsi : Sarkozy 21,84%, Royal 28,73% et Bayrou 29,88%. Au Journal du dimanche, sur 57 votants, 58,5% étaient pour Royal, 24,5% pour Bayrou et 5,6% pour Sarkozy. Du côté de BFM radio, sur 47 votants, Royal a recueilli 38% des suffrages, Sarkozy et Bayrou étaient au coude à coude à 25%, Voynet explosait à plus de 6%, quant à Bové et Le Pen ils étaient à égalité à 2%.

Analyse de Unes   : attention, originalité   !

L’immobilier, les francs-mac’, les meilleurs hôpitaux ou encore le vrai visage de tel homme politique… : les marronniers sont nombreux en Une des grands hebdomadaires français.

Les sujets se ressemblent et se suivent. Nous avons comparé les Unes de plusieurs hebdos français et européens.

Le Point se diversifie le plus en proposant différentes Unes dans la même semaine. Le magazine fait généralement une couverture spécifique pour analyser le marché immobilier d’une ville en particulier. En 2006, plus de 180 Unes ont été proposées aux lecteurs. La semaine du 19 octobre 2006, le maximum est atteint avec 13 Unes différentes pour toute la France. En 2006, cet hebdo se différencie pour avoir couvert, 16 fois l’étranger en Une, 13 fois la culture ou l’histoire ou encore par un traitement plus important sur les privilèges

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et les dysfonctionnements de notre État (9). Alors que L’Express ne consacre qu’une seule Une à ce sujet. Le concurrent du Point se caractérise par un traitement important des faits de société. Plus de 20 fois en une année, soit une couverture sur trois ! La politique et la perspective de la présidentielle 2007 sont plus présentes dans L’Express qui y consacre 15 Unes.

Cela se fait au détriment de l’histoire, seulement deux fois, ainsi que de l’étranger, mis en avant trois fois dans l’année.

La couverture économique n’est traitée que deux fois par Le Point et trois par L’Express.

La redondance des sujets de Unes est assez inquiétante. Comment ne pas s’étonner après, de l’ennui des Français. Beaucoup trop de marronniers dans une même année. Cette constatation est encore plus surprenante dès que l’on compare ces hebdomadaires à leurs homologues étrangers tels que Time, Newsweek ou encore Der Spiegel en Allemagne. Leurs Unes sont très différentes des nôtres, elles sont beaucoup plus éclectiques.

Il y a très peu de personnalités politiques en Une et aucun sujet n’est traité plusieurs fois dans l’année. Les sujets sont plus vastes et plus transgénérationnels qu’en France. Ces magazines se distinguent surtout par une absence d’esprit partisan et paraissent moins impliqués politiquement que les hebdos français.

ConclusionLa publicité qui se détourne de la presse écrite en préférant les médias audio-visuels, le rôle de plus en plus important de l’Internet et des gratuits dans la diffusion de l’information font partie, effectivement, des raisons qui ont condamné les journaux écrits. Où sont les enquêtes à l’anglo-américaine sur le pouvoir politique ? Pourquoi la presse (et aussi des autres médias) protège-t-elle les entreprises publiques, le monde de l’administration et des syndicats ? Pour les premières, il s’agit, bien évidemment, des retombées publicitaires, très importantes lorsqu’il s’agit des entreprises comme EDF-GDF ou la SNCF, mais rien n’explique la complaisance à l’égard de l’État. D’ailleurs, tous les sondages montrent clairement que les journalistes votent, dans leur grande majorité, pour la gauche et sont souvent antilibéraux et anti-américains. Une remise en cause de ces à priori politiques et une réforme des écoles de journalisme ne pourraient que contribuer utilement à une tentative de sauvetage d’une presse suicidaire.

Guillaume DumantNicolas Lecaussin 

Depuis 1985, l'iFRAP est un Think Tank indépendant analysant la performance de l’Etat, des administrations et des politiques publiques, afin de proposer des réformes concrètes. http://www.ifrap.org/Presse-francaise-Les-causes-du-declin,0054.html

Questions :

1. A votre avis qu’est-ce qu’un marronnier ?

2. Résumez les causes du déclin de la presse écrite en France

3. A votre avis, pourquoi les journalistes sont-ils majoritairement de gauche ?