2
Imagerie de la Femme 2006;16:149-150 Éditorial 149 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Éditorial Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ? Luc Ceugnart Département d’imagerie, Centre Oscar Lambret, 3, rue Frédéric Combemale, 59000 Lille. Correspondance : L. Ceugnart, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected] Depuis le temps que nous l’attendions, il est aujourd’hui disponible. Le contrôle qualité des mammo- graphes numériques est obligatoire depuis le 11 septem- bre 2006 sur tous les appareils anciens ou récents [1]. Cette date historique va-t-elle, à l’inverse de celle de 2001, sonner l’entrée dans un monde nouveau, tout beau, tout simple, notamment pour le dépistage du cancer du sein ? Nous sommes tous, à un niveau ou à un autre, en contact avec la technologie numérique dans notre vie per- sonnelle et plus encore dans le cadre professionnel. Les avantages du monde digital en imagerie sont aujourd’hui connus de tous ; le stockage, la transmission des images, la qualité des clichés, principalement en terme d’exposition adéquate, et la diminution de la dose délivrée aux patients sont des atouts majeurs, ainsi que les multiples logiciels d’aide au diagnostic disponibles aujourd’hui. Alors pour- quoi avoir attendu aussi longtemps pour appliquer tout ceci à la mammographie et pour quelles raisons le dépis- tage en numérique n’est-il pas encore accrédité ? Pour protéger des situations acquises pensent certains, pour des raisons financières pensent d’autres ? Cessons donc toutes ces polémiques stériles et reprenons simplement les faits. Les premiers mammographes numériques sont appa- rus à l’aube du XXI e siècle, puis l’offre s’est étoffée dans ces trois dernières années. On a beaucoup discuté de taille de capteurs, de résolution en pixel et autres DQE (Detective Quantum Efficiency ou Efficacité Quantique de détection) et très peu de contrôle qualité. Or celui-ci existait déjà pour les systèmes analogiques participant au dépistage organisé du cancer du sein généralisé à la France entière depuis 2004. Qui peut nier aujourd’hui l’amélioration apportée à l’ensemble de la filière mammographique par la mise en place de ces procédures de contrôle de qualité ? La rédaction du protocole français réalisé à partir du pro- tocole européen a été finalisée par un groupe d’experts regroupant des physiciens, des ingénieurs biomédi- caux, l’ensemble des constructeurs et des médecins. Cette procédure reprend globalement la logique d’un contrôle externe à la réception du matériel (recette), puis semestriel par une société externe accréditée par l’AFFSAPS et d’un contrôle interne, quotidien, hebdomadaire et mensuel. Il a donc fallu dans un premier temps former les techniciens de ces sociétés, ce qui a été fait par la FORCOMED (Association de formation médicale continue des radiolo- gues de la Fédération Nationale des Médecins Radiolo- gues — FNMR) dès le printemps 2005. Aujourd’hui, ces sociétés ne sont pas encore accréditées par l’AFFSAPPS. Par ailleurs et au vu de l’expérience acquise depuis 1994 avec le dépistage organisé du cancer du sein, les radiolo- gues par l’intermédiaire de la FNMR se sont mobilisés pour mettre en place des formations à visée des praticiens sur le contrôle qualité interne, mais également sur les spécificités de l’image mammographique numérique et de l’interprétation sur console. Les premiers séminai- res ont été réalisés en mai 2006, et d’autres le seront au cours de l’année (site internet de FORCOMED pour les dates prévues : http://www.forcomed.org/). Les manipula- teurs ont également accès à une formation sur ce thème. Aujourd’hui (dès l’agrément par l’AFSSAPS des sociétés de contrôle qualité du matériel obtenu), tout est prêt pour que l’acquisition en numérique soit autorisée dans les campagnes de dépistage organisé du cancer du sein. Cela permettra, si on écoute les promoteurs de cette technologie, de régler tous les problèmes de transfert d’information, voire même de seconde lecture, qui pour- raient être faites par un système de détection automatique. En est-on si sûr ? Ceux qui ont l’occasion de travailler sur différents sites ou qui doivent « gérer » des dossiers d’imagerie provenant de différentes sources connaissent les affres de la réinterprétation sur des médias multiples (CD-Roms avec des logiciels d’ergonomie variable, plan- ches « très » résumées, book papier, et j’en passe). Nos collègues cliniciens qui voient arriver leurs patients avec leur « petit disque » le vivent encore plus difficilement.

Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ?

  • Upload
    luc

  • View
    216

  • Download
    4

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ?

Imagerie de la Femme 2006;16:149-150

Éditorial

149

© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Éditorial

Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ?

Luc Ceugnart

Département d’imagerie, Centre Oscar Lambret, 3, rue Frédéric Combemale, 59000 Lille.

Correspondance : L. Ceugnart, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected]

D

epuis le temps que nous l’attendions, il estaujourd’hui disponible. Le contrôle qualité des mammo-graphes numériques est obligatoire depuis le 11 septem-bre 2006 sur tous les appareils anciens ou récents [1].Cette date historique va-t-elle, à l’inverse de celle de 2001,sonner l’entrée dans un monde nouveau, tout beau, toutsimple, notamment pour le dépistage du cancer du sein ?

Nous sommes tous, à un niveau ou à un autre, encontact avec la technologie numérique dans notre vie per-sonnelle et plus encore dans le cadre professionnel. Lesavantages du monde digital en imagerie sont aujourd’huiconnus de tous ; le stockage, la transmission des images, laqualité des clichés, principalement en terme d’expositionadéquate, et la diminution de la dose délivrée aux patientssont des atouts majeurs, ainsi que les multiples logicielsd’aide au diagnostic disponibles aujourd’hui. Alors pour-quoi avoir attendu aussi longtemps pour appliquer toutceci à la mammographie et pour quelles raisons le dépis-tage en numérique n’est-il pas encore accrédité ? Pourprotéger des situations acquises pensent certains, pour desraisons financières pensent d’autres ? Cessons donc toutesces polémiques stériles et reprenons simplement les faits.

Les premiers mammographes numériques sont appa-rus à l’aube du

XXI

e

siècle, puis l’offre s’est étoffée dans cestrois dernières années. On a beaucoup discuté de taille decapteurs, de résolution en pixel et autres DQE (DetectiveQuantum Efficiency ou Efficacité Quantique de détection)et très peu de contrôle qualité. Or celui-ci existait déjà pourles systèmes analogiques participant au dépistage organisédu cancer du sein généralisé à la France entière depuis2004. Qui peut nier aujourd’hui l’amélioration apportéeà l’ensemble de la filière mammographique par la miseen place de ces procédures de contrôle de qualité ? Larédaction du protocole français réalisé à partir du pro-tocole européen a été finalisée par un groupe d’expertsregroupant des physiciens, des ingénieurs biomédi-caux, l’ensemble des constructeurs et des médecins. Cette

procédure reprend globalement la logique d’un contrôleexterne à la réception du matériel (recette), puis semestrielpar une société externe accréditée par l’AFFSAPS et d’uncontrôle interne, quotidien, hebdomadaire et mensuel. Il adonc fallu dans un premier temps former les techniciensde ces sociétés, ce qui a été fait par la FORCOMED(Association de formation médicale continue des radiolo-gues de la Fédération Nationale des Médecins Radiolo-gues — FNMR) dès le printemps 2005. Aujourd’hui, cessociétés ne sont pas encore accréditées par l’AFFSAPPS.Par ailleurs et au vu de l’expérience acquise depuis 1994avec le dépistage organisé du cancer du sein, les radiolo-gues par l’intermédiaire de la FNMR se sont mobiliséspour mettre en place des formations à visée des praticienssur le contrôle qualité interne, mais également sur lesspécificités de l’image mammographique numérique etde l’interprétation sur console. Les premiers séminai-res ont été réalisés en mai 2006, et d’autres le seront aucours de l’année (site internet de FORCOMED pour lesdates prévues : http://www.forcomed.org/). Les manipula-teurs ont également accès à une formation sur cethème. Aujourd’hui (dès l’agrément par l’AFSSAPS dessociétés de contrôle qualité du matériel obtenu), tout estprêt pour que l’acquisition en numérique soit autoriséedans les campagnes de dépistage organisé du cancer dusein. Cela permettra, si on écoute les promoteurs de cettetechnologie, de régler tous les problèmes de transfertd’information, voire même de seconde lecture, qui pour-raient être faites par un système de détection automatique.

En est-on si sûr ? Ceux qui ont l’occasion de travaillersur différents sites ou qui doivent « gérer » des dossiersd’imagerie provenant de différentes sources connaissentles affres de la réinterprétation sur des médias multiples(CD-Roms avec des logiciels d’ergonomie variable, plan-ches « très » résumées, book papier, et j’en passe). Noscollègues cliniciens qui voient arriver leurs patients avecleur « petit disque » le vivent encore plus difficilement.

Page 2: Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ?

150

Dépistage mammographique en technique numérique : tout est prêt ?

Les clichés mammographiques en format numériqueprésentent des contraintes supplémentaires, puisqu’ils« pèsent » plusieurs dizaines de Mo et nécessitent uneinterprétation sur des écrans adaptés de plus de 3 millionsde pixels. Le prix d’acquisition de ces consoles, le coût demaintenance et la rapidité d’obsolescence du matérielinformatique risquent de couvrir en grande partie lespotentielles économies engendrées par la transmission enréseau et la lecture sur écran. Actuellement, aucune struc-ture de gestion du dépistage organisé n’est en mesure derépondre à ces contraintes, en dehors d’expériences loca-les. Par ailleurs et malgré une norme DICOM stricte quiimpose aux constructeurs l’obligation de pouvoir relirel’examen sur tous types de console, la pratique quoti-dienne montre que cela n’est aujourd’hui pas effectif. Toutceci apparaît donc plus virtuel que réel.

Certains argumentent que dans une période transitoire,il faudra continuer à effectuer la seconde lecture sur films :cela paraît plus que probable, diminuant de ce fait les éco-nomies espérées. Cependant, il faut savoir que l’impressiondu cliché numérique se fait en fonction de la puissance dunégatoscope sur lequel il sera lu, potentiellement différententre le site de mammographie et la structure de gestion.Par ailleurs, le second lecteur pourra-t-il positiver sur filmun dossier qui aura été considéré comme négatif par le pre-mier lecteur sur une console dédiée avec toutes les possibi-lités de modification de traitement d’image (fenêtrage,zoom) qu’offre la technologie numérique [2, 3] ?

Enfin, et surtout, la mammographie numérique est-elle supérieure ou même simplement équivalente en termede résultat à l’historique mammographie analogique ?L’étude tant attendue du DMIST [4], présentée fin 2005 àgrand renfort de publicité par les promoteurs du numéri-que semble le montrer pour les seins denses. Enfin, encorefaut-il la lire en détail et reprendre les conditions de réali-sation pratique de ce travail multicentrique américainet canadien comparant en situation de dépistage plus de49 000 femmes se soumettant à une mammographie ana-logique, puis numérique. Passons sur les remarques tech-niques (pas de notion de la densité optique utilisée et ducontrôle qualité appliqué en analogique, présence d’uningénieur par site dédié à l’appareil numérique, ce quisemble difficilement envisageable en pratique quotidiennechez nous), pour nous intéresser aux résultats médicaux.Le nombre de cancers détectés est équivalent pour lesdeux techniques, avec un net avantage pour le numériquechez les femmes âgées de moins de 50 ans, les seins denseset les patientes en péri-ménopause (certaines pouvantd’ailleurs présenter ces trois critères simultanément). Par

déduction, le nombre de cancers trouvés en techniqueanalogique devrait donc être supérieur dans les autrescatégories, celles qui correspondent en grande majoritéaux femmes en situation de dépistage organisé dans notrepays. On voit donc que le passage au tout numérique s’ilapporte de potentiels avantages organisationnels ne révo-lutionnera malheureusement pas le dépistage par mam-mographie du cancer du sein. En revanche, l’adaptationde la modalité d’imagerie en sénologie (mammographienumérique, échographie complémentaire voire IRM) enfonction de certains critères anamnestiques, cliniques, his-tologiques ou d’imagerie (dont la densité mammaire) doitfaire l’objet d’études plus approfondies pour pouvoirproposer, à terme, aux patientes, et ceci à l’instar de lathérapeutique, un « bilan personnalisé » d’imagerie dedétection et de suivi.

Seul le dépistage organisé avec un contrôle qualité formalisé et appliqué

permet de sauver des vies, et ceci quelle que soit la technologie utilisée

Finalement, s’il apparaît évident que comme dansl’ensemble des autres domaines d’imagerie le numériqueva s’imposer en mammographie dans les années à venir, lemessage le plus important apporté par les études récentesest que seul le dépistage organisé avec un contrôle qualitéformalisé et appliqué [5] permet de sauver des vies, et ceciquelle que soit la technologie utilisée. Tous les profession-nels de santé doivent en être convaincus et se mobiliserpour inciter les femmes à se faire dépister.

Références

[1] JO du 11 Mars 2006 : texte 41 sur 123. Décision du 30 Janvier 2006fixant les modalités du contrôle qualité des installations de Mam-mographie numérique.

[2] Skaane P, Young K, Skennald A. Population-based mammographyscreening: comparison of screen film and full field digital mammo-garphy with soft copy. Oslo study I. Radiology 2003;229:877-84.

[3] Skaane P, Skjennald A. Screen-film mammography versus full-field digital mammography with soft-copy reading: randomizedtrial in a population-based screening program — the Oslo II Study.Radiology 2004;232:197-204.

[4] Pisano ET, Gatsonis C, Hendricks E,

et al

. for digital mammogra-phic imaging screening trial (DMIST) investigators group. Diag-nostic performance of digital versus film mammography for breastcancer screening. N Engl J Med 200;353:1-11.

[5] Mammographie de dépistage des cancers du sein. La revue Pres-crire 2006;272:371-4.