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ENFANT ET SOCII~TE des bdbds sdropositifs vivent en pouponni re D. ROSSET, A. DUMARET, Y. REBOURS Les enfants recueillis sont le plus souvent de families so- cialement et psychologique- ment ddmunies, celles clas- siquement ddn0mmds cc fa- milies ~ risque, families pr0bl~mes multiples... ~. p ROTI2GER les enfants dont elles ont la charge tout en respectant leur histoire fami- liale, tel est le r61e des institutions de la petite enfance. Ainsi l'Aide Sociale l'Enfance (ASE) aide chaque enfant dans son lien ~i son parent, soit par un dtayage ponctuel (aide financi~re, aide psycho-~ducative...), soit par un accueil dans ses diverses structures (pouponni~res, placements familiaux...). Avec le ddveloppement de l'dpiddmie Sida, ces familles sont particuli~rement concerndes par le VIH: aux handicaps psyco-sociaux se surajoute la maladie Sida. des enfants ntis de m res sdropositives au VIH sont recueillis I'ASE La plupart des m~res sont seules, marginalisdes, souvent ddlinquantes, sans soutien familial rdel. Certaines sont ddracindes et ont perdu leur milieu culturel d'origine; elles viennent d'Afrique, d'Ha'iti... Ces femmes sont toxicomanes pour la majoritd d'entre elles, saul celles venant de pays d endem]e comme l Afnque. Toutes ces meres ont d'importantes difficult~s fi assumer la vie quoti- dienne et vivent de mani~re prdcaire (peu ou pas de ressources, logements insalubres...). Quelques- unes, malades, n'ont pas de suivi mddical. Dans la plupart des cas, les p~res sont peu prdsents. D. ROSSET, psychiatre, Aide Sociale ~ I'Enfance, 12, rue de la Coll6giale, 75005 Paris. A. DUMARET, psychologue, INSERM-Unite 69 : 1, rue du 11-Novembre, 92120 Montrouge. Y. REBOURS, pu6ricultrice, responsable de la poupon- niere Saint-Vincent-de-Paul, 72, avenue Denfert- Rochereau, 75014 Paris. Comit~ de lecture Article recu le 30/05/91. Accept~ le 18/06/91. 422 Journal de PI~DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 7-1991

Des bébés séropositifs vivent en pouponnière

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Page 1: Des bébés séropositifs vivent en pouponnière

ENFANT ET SOCII~TE

d e s b d b d s s d r o p o s i t i f s v i v e n t en pouponni re D. R O S S E T , A . D U M A R E T , Y . R E B O U R S

Les enfants recueillis sont le plus souvent de families so- cialement et psychologique- ment ddmunies, celles clas- siquement ddn0mmds cc fa- milies ~ risque, families pr0bl~mes multiples... ~.

p ROTI2GER les enfants dont elles ont la charge tout en respectant leur histoire fami- liale, tel est le r61e des institutions de la petite enfance. Ainsi l'Aide Sociale

l'Enfance (ASE) aide chaque enfant dans son lien ~i son parent, soit par un dtayage ponctuel (aide financi~re, aide psycho-~ducative...), soit par un accueil dans ses diverses structures (pouponni~res, placements familiaux...).

Avec le ddveloppement de l'dpiddmie Sida, ces familles sont particuli~rement concerndes par le VIH: aux handicaps psyco-sociaux se surajoute la maladie Sida.

d e s e n f a n t s nt is d e m res s d r o p o s i t i v e s a u V I H s o n t r e c u e i l l i s

I ' A S E

La plupart des m~res sont seules, marginalisdes, souvent ddlinquantes, sans soutien familial rdel. Certaines sont ddracindes et ont perdu leur milieu culturel d'origine; elles viennent d'Afrique, d'Ha'iti... Ces femmes sont toxicomanes pour la majoritd d'entre elles, saul celles venant de pays d endem]e comme l Afnque. Toutes ces meres ont d'importantes difficult~s fi assumer la vie quoti- dienne et vivent de mani~re prdcaire (peu ou pas de ressources, logements insalubres...). Quelques- unes, malades, n'ont pas de suivi mddical. Dans la plupart des cas, les p~res sont peu prdsents.

D. ROSSET, psychiatre, Aide Sociale ~ I'Enfance, 12, rue de la Coll6giale, 75005 Paris. A. DUMARET, psychologue, INSERM-Unite 69 : 1, rue du 11-Novembre, 92120 Montrouge. Y. REBOURS, pu6ricultrice, responsable de la poupon- niere Saint-Vincent-de-Paul, 72, avenue Denfert- Rochereau, 75014 Paris.

Comit~ de lecture Article recu le 30/05/91. Accept~ le 18/06/91.

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ENFANT ET SOCIETE

Les enfants vivants en pouponni6re sont principa- lement des enfants retirds de leur famille par ddci- sion judiciaire. Certains enfants ont dtd remis d&s leur naissance par leurs parents ~. I'ASE en vue de leur adoption. En ce qui concerne les premiers, suite ~ un signale- merit des services sociaux, le juge pour enfants intervient et ddcide que l'enfant en danger doit ~tre protdgd et sdpard de son milieu familial (ordon- nance de placement provisoire, OPP). En ce qui concerne les seconds, ces enfants confi4s en rue d'adoption deviennent ddfinitivement des pupilles de l'Etat dans un ddlai de trois mois (~t moins d'etre repris par leurs parents dans ce ddlai ldgal). Ils rencontreront alors tr6s vite leur famille adop- tive tandis que les autres enfants retourneront dans leur famille d'origine ou seront accueillis en place- ment familial.

loppd la maladie Sida) naissent eux-m~mes sdropo- sitifs pour le VIH.

Environ trois sur quatre de ces enfants n'ont que les anticorps transmis par leur m6re et sont indem- nes de tout virus: leur sdrologie au VIH ndgati- vera progressivement jusqu'~ l'age de 12-18 mois, ~ge auquel ils perdent les anticorps transmis (ils deviennent sdrondgatifs au VIH). Un enfant sur quatre est contamind par le virus (transmission materno-fcetale), cet enfant n~ s~ro- positif le restera et d~veloppera une forme clinique d'infection h VIH. Actuellement ~ la naissance, on ne peut distinguer avec certitude, ni clinique- ment, ni biologiquement, ces deux catdgories d'en- rants.

q u e l q u e s c h i f f r e s

c e t a c c u e i l en p o u p o n n i ~ r e des e n f a n t s s d r o p o s i t i f s au V I H est- i l s p d c i f i q u e ?

Dans un prdcddent article de cette m~me revue (Flash Informations, janv.-f~v. 1991, p. 60-61), nous avions fait dtat des rdflexions et des questionne- rnents actuels de I'ASE de Paris par rapport aux enfants concernds par le VIH.

Rappelons que tous les enfants n~s d'une m~re contaminde par le virus VIH (ayant ou non dive-

Dans cet article, nous ne parlerons que de la pou- ponni6re de Saint-Vincent-de-Paul qui est l 'une des structures d'accueil des enfants confids ~ I'ASE de Paris.

Cette pouponni6re ddpend du centre d'accueil off vivent enfants et adolescents de I'ASE de Paris. Le personnel se compose d'un responsable- encadrant, un pddiatre, un psychologue, une pudri- cultrice, des infirmi6res, des auxiliaires de pudri- culture (auxiliaires et infirmi~res en dquipes de 3 x 8, chaque dquipe fonctionnant toujours avec les ^ ) memes personnes et les memes^ horaires ," inter- viennent dgalement deux dducatrices de jeunes enfants, une psychomotricienne et un pddo- psychiatre.

Mere VtH t

0 " 0 Omo 0

omO m

Naissance Enfant seropositif

Environ 15 mois apres Legende '

J placenta f 'h k,..) 0 anticorps maternels ( ) 0 ~ virus

0 : ~ anticorps fabriques par I'enfant

Enfant seronegatif &ge

Mere VIH + Naissance Environ 15 mois apres

0 0 0 - 0 . , 0 . � 9 *0.0

~-- ~ge Journal de PEDIATRIE et de PU#RICULTURE n ~ 7-1991

Enfant seropositif

423

Page 3: Des bébés séropositifs vivent en pouponnière

ENFANT ET SOCII~Tr

Ce texte a &6 pr6par6 en collaboration avec les auxiliaires de pu&icultrice de cette pouponni~re (voir les noms en fin de texte).

La pouponni6re Saint-Vincent-de-Paul, au cours de l'ann6e 1990, a accueilli 139 enfants, tous arri- ves avant l'~ge d 'un an. En permanence (c'est-~i- dire jour et nuit), soixante enfants ~g6s de 0 3 ans vivent ~t la pouponni~re; ils sont r6partis en dix unit&. Une unit6 est le lieu off vivent les enfants avec leur auxiliaire rdf&ente.

Parmi les enfants accueillis en 1990, six &aient s&opositifs et deux sont trait& par AZT.

Depuis le deuxi6me semestre 1985 jusqu'en d&em- bre 1990, on a d6nombr6 25 enfants s&opositifs. Ce chiffre est important, il repr&ente la moiti6 des enfants s&opositifs qui ont &6 accueillis ~l I'ASE de Paris pendant toute cette p&iode. I1 s'agit d'enfants confi& par le juge (18 dont 2 sont repar- tis ult&ieurement dans leur famille), et d'enfants confi& par leur m6re en vue d 'adoption (7). Parmi ces derniers, 5 enfants sont adopt& et 2 enfants ont 6t6 repris par leur m6re dans le d6lai 16gal d e t retractatlon.

a u c o m m e n c e m e n t d t a i t la p e u r

En 1985, les premiers enfants s&opositifs ont 6t6 accueillis ~t Saint-Vincent-de-Paul. La maladie Sida &ait encore mal connue : ,< Nous savions peu de choses sur les modes de contamination. Nous avions peur. Certaines d'entre nous portaient des gants et une blouse suppl6mentaire... Nos responsables respectaient notre peur, mais nous expliquaient que l 'on ne craignait rien >> (ce sont les auxiliaires de pu&icultures qui parlent).

Quand la m6re de Thomas venait voir son enfant, certaines auxiliaires n'&aient pas tr~s rassur6es. Cette jeune femme, toxicomane, avait dit fi tout le monde qu'elle avait le Sida. ,< Nous avions peur de lui toucher la main, de lui reprendre les bibe- rons, de lui reprendre l'enfant des bras. Nous avions le contact physique avec cette m~re et avec l'enfant, et nous sentant coupables, nous compen- sions par la parole,,.

La durde moyenne du sdjour est d 'environ 14 mois. Elle est tr~s variable selon les situations familiales : de 2 mois 1/2 ~i 25 mois. Ce temps est ndcessaire

la mise en place d 'un projet de vie pour l 'enfant : retour en famille, placement familial (PF), adoption.

La d&ision de pratiquer un bilan s&ologique est un acte mddical. Quand il s'agit d'enfants, cette demande ne peut exister qu'en accord avec ses parents ou son tuteur s'il n'a pas de paren t (c'est le cas des pupilles de l'Etat). Rappelons que lorsqu'un enfant est sdpard de son parent par OPP, le parent conserve toujours l'autoritd parentale et son avis doit &re demandd et respectd.

L'ASE de Paris attend de savoir si l 'enfant est contamind ou non par le virus avant de lui propo- ser une famille, que ce soit dans le cadre d 'un placement familial ou de l 'adoption. Pour l'ins- tant, la seule certitude de non-infection est la ndga- tivation de la s&ologie de l'enfant (perte des anti- corps maternels transmis). On pourra savoir dans un avenir proche, avec prdcision et pr&ocement si un enfant est contamind (culture virale...). Actuel- lement, pendant ce temps d'incertitude et d'anxi&d, ces enfants vivent en pouponni~re. Tr~s investis quel que soit leur statut juridique et leur histoire mddicale, ces enfants sont accompagnds, berc&... Mais le sdjour en pouponni~re est long et cette p&iode risque d'&re ~i l'origine de troubles psycho- pathologiques suppldmentaires pour l'enfant.

i n f o r m a t i o n , f o r m a t i o n

~o �9 z z t !

Bien que 1 xnformanon ait donnee et ete redonnee par le pddiatre, certaines continuaient ~i avoir peur.

t ~ �9 ! t A cette epoque-la, bten des elements contradictoi- res &aient v&icul& par les m~dias. Le pddiatre du service a fair et refait une information gdn&ale, en petits groupes et de mani~re individuelle cha- que fois que cela &ait n&essaire. Ceci en relation avec le service du Professeur Griscelli ~ l 'h6pital Necker. Un p4diatre de ce service est intervenu ~t la pouponni~re.

Les encadrantes emmenaient les enfants ~ l 'h6pital et, depuis 1988, c'est l'auxiliaire r~f&ente de Fen- fant qui l 'accompagne en consultation. ,, ... Elles (les encadrantes) nous racontaient la consultation, et voyant qu'elles ne prenaient aucune pr&aution,

t cela nous a rassurees... >>. <~ A notre retour, nous (les auxiliaires de pu&icuhure) en parlons avec les responsables et le p~diatre... On rencontre le mddecin qui suit l 'enfant et cela nous rassure >,...

L'attente du r&ultat des s&ologies pratiqu&s r4gu- li~rement est longue et angoissante. ,, Quelle f&e quand un enfant a n4gativ4! Tous ces enfants sont si beaux que l 'on oublie qu'ils sont peut-&re tr~s malades ,,. ,, L'enfant qui se porte bien rassure ,,. Presque tous les enfants s&opositifs ont n4gativ4 vers l'~ge de 14 mois.

4 2 4 J o u r n a l d e P E D I A T R I E e t d e P U I ~ R I C U L T U R E n ~ 7 - 1 9 9 1

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ENFANT ET SOCII~TI~

on s ' o r g a n i s e

<< Maintenant nous n'avons plus peur de la conta- gion. Mais quand Jean est arrive ~ la pouponni~re, en janvier 1990, l'inqui&ude est revenue. Jean &air le premier bEbd infectd et traitE par I'AZT... I1 nous semblait diff&ent des autres enfants s&oposi- tifs. Nous ne connaissions pas son avenir. Quel projet de vie sera fait pour lui ? I1 allait rester certainement longtemps avec nous, et peut-&re mourir ,,.

A l'arriv& d'un enfant s&opositif, les responsables r~fl&hissent avec l'Equipe ~ l'accueil de l'enfant. Dans quelle unit4 va-t-il vivre ? Qui sera son auxi- liaire de rdf&ence ?

I1 est vrai que certains ont des r&icences et cela est respect& Malgrd les explications, ce sont des peurs archai'ques et incontrSl&s.

,, Certaines de nous n'osent pas en parler ~i l'extd- rieur, fi leurs parents, leur ami ; eltes ont peut des reactions ndgatives et rejetantes de leur entou- rage. D'autres en parlent, au contraire, tr~s volon- tiers avec leurs proches et leurs enfants. Ceci a

# # ~ 1 ete pour elles une occasion d echanges tr~s riches autour de cette maladie,,.

L'ensemble de la pouponni~re a d&idd que, pour l'instant, il n 'y aurait qu'un seul enfant s&opositif par unit& Cet enfant restera probablement plus longtemps que les autres enfants ~ la pouponni~re. I1 faut donc s'organiser : , ... nous pensons au temps qui va s'&ouler, nous pensons ~i son tit, ~i l'espace, ~1 ses jouets, ~l ce qu'il fera ,,.

, Quand on s'organise et que l 'on pense ~i l'avenir, c'est comme si on repoussait la mort ; on y pense moins ,,.

Actuellement, la crainte de la contagion a presque disparu. Mais l 'id& de la mort est tr~s pr&ente. <, On a moins peur pour un enfant que pour un adulte... On a moins peur quand on le volt tous les jours, mais on est angoissd quand il va mal, qu'il a des hauts et des bas... >,.

Les maternantes s mqmetent vite pour toutes les petites maladies et en parlent plus souvent au mdde- c i n . , Quant on voit Jean en bonne santd, on oublie sa maladie. Jean va tous les trois mois l'hSpital Necker. C'est dur de donner de I'AZT, cela rappelle la maladie, pourtant c'est un sirop que Jean aime et prend facilement... Jean a aussi d'autres mddicaments, du Bactrim, du Nizoral, on sait que qa le protege des infections ......

pro je t de v ie

L'accueil en pouponni~re est particulier. La pou- ponni~re est un lieu de vie et de soins. I1 est bien &idemment impossible de ne pas prendre en compte, dans ce contexte, la s&opositivitd de l'enfant, toujours v&ue avec douleur par les parents et aussi avec angoisse par les personnes qui s'occu- pent de l'enfant.

Mme T. d6cide d'avoir un enfant peu de temps apres avoir appris sa s6roposit ivi t6. La grossesse et I 'accouchement se sont bien passes. Son attachement ~ son enfant est extreme, passant alternativement de la surprotection ~ la culpabilitY. Pour diverses raisons, I 'enfant est pris en charge & I'ASE. Mme T. v ient chaque jour le voir ~ la pou- ponniere. C'est une jeune femme fragile aid6e par le secteur psychiatr ique. A 1'6ton- nement de tous, cette mere se d6primera gravement quand elle apprendra que son enfant est indemne du virus et a n6gativ6 sa s6rologie. Elle a fait cet enfant pour I'ac- compagner dans la mort, dira-t-elle (por- trait n ~

Le s&jour de l'enfant en pouponni&re est ins@ara- ble de son histoire pass& et future. Un projet de vie sera fait pour lui: retour en famille (portrait 2), placement familial (portraits 3, 4), adop- tion (portrait 5). C'est l'auxiliaire de pu&icultrice de rdf&ence qui accompagnera l'enfant vers ses parents adoptifs ou vers sa famille d'accueil.

La maman d'Ar let te a 25 ans, est cOliba- taire, sans ressource, sans domicile f ixe. Venue du Za#e un an avant la naissance de sa fille, elle 6tait d6j~ malade. Des la naissance, la mere a demand~ pour sa fille un accueil ~ I'ASE car elle devait se faire soigner et n'avait pas de solution de garde. Un mois plus tard, Arlette sera reprise par sa m~re. Celle-ci a pu faire prolonger son t i tre de s6jour pour raisons medicales et s'organiser pour vivre avec son enfant (por- trai t n~

Journal de PI~DIATRIE et de PUI~RtCULTURE n ~ 7-1991 4-25

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ENFANT ET SOCII~TE

Quel sera l'avenir de cette enfant et de sa m~re ? I1 est difficile d'aider les familles et de savoir exac- tement si l'&ayage n&essaire a dtd mis en place pour les accompagner.

L'ASE cherche tr~s activement, pour Jean, un pla- cement familial. Mais qui accueillera un enfant porteur d'une maladie mortelle ? Quelle dquipe de placement familial pourra accompagner cette relation m}re/enfant ? Jean a aujourd'hui 15 mois, et est encore ~ la pouponni~re.

Paul a 2 mois Iorsqu'il arrive ~ la poupon- ni tre ~ la suite d'un signalement du secteur et d'une mesure judiciaire de garde. Sa m~re est toxicomane e t a le Sida. Paul est s6ro- posit if. La m~re, Mme R., vient r6guli~re- ment le voir & la pouponni~re. Elle est tr~s ambivalente : ~ la fois proche et rejetante. Sa soeur visi te ~galernent I 'enfant, elle est pr6sent6e par la m~re comme la marraine de Paul et Mme R. dit qu'elle s'occupera de lui s'il le fallait... Une indication de PF est posse par les ~qui- pes mais on attend de savoir si Paul est infect~ ou non avant de lui choisir une famille d'accueil (portrait n~ 3).

A l'~.ge de 15 tools, sa s&ologie devient ndgative. I1 va alors &re difficile de concr&iser ce placement familial: l'enfant a ete tres investi par l eqmpe de la pouponni~re, la m~re de plus en plus malade est en grande d&resse...

Pauline arrive ~ la pouponni~re &g~e d'une semaine. Elle est n6e dans une maternit6 parisienne, et sa m~re I'a confi6e ~ I 'Aide sociale ~ I'Enfance en vue de son adoption. L'6quipe m6dicale de la maternit6 a inform6 I'ASE (en fait le conseil de famille, tuteur de I'enfant) que Pauline est n6e s6roposi- t ive.. . On ne sait pas si Pauline est conta- min6e ou non. Elle restera 13 mois ~ la pouponni~re, et sera alors adopt6e, sa s6ro- Iogie ayant progressivement negativ6e (por- trait n~ 5).

I1 faudra du temps pour que Pauline puisse aller des bras de l 'un ~ ceux des autres. Cette p&iode est indispensable pour permettre au bdbd de se sdparer de celles qui l 'ont portd depuis sa naissance et de rencontrer progressivement ceux qui d&irent devenir ses parents.

Jean a une jeune m~re toxicomane, sans famille pr6sente. Elle est seule, tr~s malade psychologiquement, elle a fait plusieurs ten- tat ives de suicide. Elle a v6cu une p6riode delirante en apprenant sa maladie et celle de son enfant. Marginale et en grande diff i- cult6, cette jeune m~re a d6j~ confi6 un enfant en vue d'adopt ion, il y a plusieurs ann6es. Elle ne vient pas ~ la pouponni~re mais rencontre Jean au service central de I'ASE. Envers Jean, elle est le plus souvent rejetante. Rile est aid~e dans son lien son enfant par le psychologue et le travail- leur sociale de I 'Aide sociale ~ I'Enfance. Par ailleurs, elle est soign~e par une ~quipe de psychiatr ie (portrait n ~ 4).

,, Nous ne voyons jamais la m~re de Jean qui est tr~s malade.., nous savons qu'un psychologue l'aide.., nous ne.savons pas quel sera l'avenir de Jean, ni off il ira, ni quand... ? ,,.

426

la q u e s t i o n du s e c r e t

Le Code de d~ontologie:

<< Le m~decin au service de l'individu et de la sant~ publique exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine >> (art. 2).

,< Le m~decin dolt veiller ~ ce que les personnes qui l'assistent dans son travail soient instruites de leurs obligations en mati~re de secret profes- sionnel et s'y conforment >, (art. 12)�9

# �9 . . # ~. . �9 # #

L a s e r o p o s l t l V l t e c o n c e r n e 1 l n t l m l t e e t la s a n t e

de chacun. Ceci est donc de l'ordre du secret de la personne et du secret m~dical, comme pour toute maladie. En quoi le Sida serait-il sp&ifique ? Pourquoi dire et ~ qui dire qu'un enfant est s&o- positif ?

La sant4 d'un enfant concerne ses parents, la santd d'un enfant sans parent concerne son tuteur qui est son parent ldgal.

Le pddiatre, les responsables, l'auxiliaire de r~fd- rence, les autres auxiliaires de l'unitd qui ont en charge l'enfant dans sa vie quotidienne savent la

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ENFANT ET SOCIETI~

sdropositivitd de l'enfant, comme toutes les autres informations m~dicales sur l'enfant. En revanche, ceci ne regarde personne d'autre.

Etant donnde la transmission materno-fcetale, quand on parle de la sdropositivit~ d'un enfant, on sup- pose la maladie de sa m~re.

Ce secret serait donc double.

Par exemple, Elise est s~ropositive, nous en avons ddduit que sa mere est seroposltlve.

La grand-m~re nous demande des nouvelles de sa pedte-fille. Connalt-elle la maladie de sa fille et de sa petite-fille ? Que peut-on lui dire ? Seule la m~re d'Elise peut lui r~pondre... II faut ~tre ~videmment tr~s vigilant.

La maladie Sida rappelle des r~gles d'~thique fon- damentales: la santd d'un enfant concerne ses parents.

Autre exemple : plusieurs enfants de la poupon- nitre vont ,~ aux b~b~s nageurs ,. Elise peut-elle y aller ? Pourquoi se poser cette question ? Doit- on en parler au maitre-nageur ? Ne risque-t-elle pas des infections ? ... Elise va avec les autres enfants et son auxiliaires de pudricuhure ~t la piscine. Pro- t~g~e par ses mddicaments, elle ne risque aucune infection et le p~diatre n'a ~mis, bien s6r, aucune contre-indication. Tr~s dvidemment il n 'y avait aucune raison d'avertir le personnel de la piscine. Cette question a dt~ l'occasion de travailler en ~quipe et de r~fl~chir fi nouveau ~i la contagion et ~ la notion de secret.

La notion de secret clive les ~quipes et les person- nes : il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Ceci, bien st~r, doit ~tre pr~par~ et travaill~ afin de permettre alors ~ chacun d'etre r~assurd dans sa fonction. Ce secret peut ~tre source de conflits et du ma~s aussi facilitateur du et de rencontres et ainsi permettre l eqmpe de se redefimr et de se consolider.

en g u i s e d e c o n c l u s i o n

Cette maladie n'est en rien contagieuse dans la vie quotidienne. C'est une maladie transmissible (transmission sexuelle, sanguine, materno-foetale).

Dans la vie quotidienne, dans les structures de la petite enfance, le VIH n'est pas transmissible. Etant donn~e la diffusion de l'~pid~mie, chacun de nous doit savoir qu'il peut cotoyer ou travailler avec un enfant (ou un aduhe s~ropositif.

I1 nous semble que chacun, et en particulier les soignants, doivent ~tre ainsi prepares ~ accueillir un enfant dans cette ~ventualit~. Ils peuvent savoir ou non que cet enfant est s~ropositif. []

B i b l i o g r a p h i e

L'accueil d'enfants s6ropositifs ~ la pouponni~re de Montreuil. Journal des assistants sociaux de la Seine-Saint-Denis, janvier 1991.

APPELL G. -- Tentative d'6radication des dtats de carence dans une pouponni~re. Neuropsychiatr. Enf., 1982, 30, 4-5, 257-62.

AUSSILLOUX C., RoY J. -- Le b6b6 dans les institu- tions in Lebovici S., WeiI-Halpern F., Psychopatho- Iogie du b~b~, 1989, Paris, PUF, 882 p.

DAVID M., APPEL G. -- Loczy ou le maternage inso- lite. 1973, Ed. Scarabee, 172 p.

M'UZAN DE M. - - De I'art b la mort. 1977, Paris, Gall imard, 208 p.

ROSSET D., DMARET A. -- R~flexions sur I'organisa- tion des prises en charge b I 'ASE de Paris des enfants concern~s par le Sida : tentatives de pre- vention des s~parations familiales brutales. Neu- ropsy. Enf. AdDles., 1991, 39, 1, 35-38.

Sida, enfant, famille : les implications de I'infection pour I 'enfant et la famille. Les synthbses bibliogra- phiques du CIE, octobre 1990.

Mots-cl6s : pouponniere, b~b~, VIH, autorit~ parentale, secret.

Ont participe au groupe de travail sur a Beb6s en pou- ponni~re, I'equipe des auxiliaires de pu~riculture , : J. Beaufils, I. Boecasse, C. d'Erfurth, B. Gaignierre, G. Lemaitre, M.C. Lesellier, R. Lethimonnier, N. Robino, P. Vadot, E. Souvestre, F. Willemier.

Journal de PI~DIATRIE et de PUERICULTURE n ~ 7-1991 427