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La Revue de médecine interne 35 (2014) 141–143 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Image Des calcifications cérébrales Brain calcifications C. Jamart , G. Sauvêtre , H. Lévesque , I. Marie Département de médecine interne, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Disponible sur Internet le 20 juillet 2013 Mots clés : Syndrome de Gorlin Syndrome dysmorphique Calcifications cérébrales Keywords: Gorlin syndrome Dysmorphic syndrome Brain calcifications 1. L’histoire Une femme, âgée de 25 ans, était hospitalisée pour le bilan d’un syndrome dysmorphique. Ses antécédents familiaux étaient marqués par une nævomatose sévère chez son père et son oncle paternel. Elle était suivie depuis l’âge de 15 ans pour un syndrome dysmorphique associant : macrocéphalie modérée, prognatisme modéré, hypertélorisme orbital, déformations maxillaires en rap- port avec des kératokystes mandibulaires (ayant nécessité une exérèse avec greffe osseuse il y a cinq ans). En outre, elle avait eu, trois ans auparavant, une ovariectomie droite complète pour de volumineux fibromes ovariens droits. À l’admission, l’examen clinique retrouvait une taille de 1,75 m et un poids de 60 kg. De plus, étaient relevés à l’examen général : une macrocéphalie mineure, des bosses frontales ; un ptérygium axillaire droit et une cyphoscoliose ; des lésions cutanées à type de petites dépressions punctiformes érythémateuses (1 à 2 mm de diamètre) ; de multiples nævi intéressant le visage, le cou, les membres supé- rieurs et le tronc. Le reste de l’examen clinique était normal par ailleurs. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Marie). Les examens biologiques, en particulier la vitesse de sédimen- tation (8 mm/h), la C-réactive protéine (3 mg/L), le numération formule sanguine, les tests hépatiques et rénaux, le bilan phos- phocalcique (calcémie : 2,20 mmol/L, phosphorémie : 0,8 mmol/L, taux sérique de 25 OH-vitamine D 3 : 60 pmol/L) étaient normaux. Dans le cadre du bilan étiologique de ce syndrome dysmorphique, des explorations complémentaires étaient réalisées. Le scanner cérébral montrait de multiples calcifications cérébrales touchant les méninges et la faux du cerveau (Fig. 1). Le scanner thoraco- abdominal mettait en évidence, d’une part, des malformations costales avec des côtes bifides (Fig. 2) et, d’autre part, des fibromes ovariens gauches (dont le plus volumineux mesurait 15 cm de dia- mètre). 2. Le diagnostic De multiples calcifications cérébrales touchant les méninges et la faux du cerveau associées à des malformations costales avec des côtes bifides révélant un syndrome de Gorlin ou nævomatose basocellulaire confirmé par la mutation du gène Patched. 3. Les commentaires Décrit par White en 1894, le syndrome de Gorlin (ou nævo- matose basocellulaire) est une affection dysembryoplasique de transmission autosomique dominante à forte pénétrance [1,2]. Sa prévalence est estimée entre 1/57 000 et 1/256 000 [2,3]. La maladie 0248-8663/$ see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.06.001

Des calcifications cérébrales

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La Revue de médecine interne 35 (2014) 141–143

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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. Jamart , G. Sauvêtre , H. Lévesque , I. Marie ∗

épartement de médecine interne, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France

i n f o a r t i c l e

istorique de l’article :isponible sur Internet le 20 juillet 2013

ots clés :yndrome de Gorlin

yndrome dysmorphiquealcifications cérébrales

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rain calcifications

. L’histoire

Une femme, âgée de 25 ans, était hospitalisée pour le bilan’un syndrome dysmorphique. Ses antécédents familiaux étaientarqués par une nævomatose sévère chez son père et son oncle

aternel. Elle était suivie depuis l’âge de 15 ans pour un syndromeysmorphique associant : macrocéphalie modérée, prognatismeodéré, hypertélorisme orbital, déformations maxillaires en rap-

ort avec des kératokystes mandibulaires (ayant nécessité unexérèse avec greffe osseuse il y a cinq ans). En outre, elle avait eu,rois ans auparavant, une ovariectomie droite complète pour deolumineux fibromes ovariens droits.

À l’admission, l’examen clinique retrouvait une taille de,75 m et un poids de 60 kg. De plus, étaient relevés à l’examenénéral :

une macrocéphalie mineure, des bosses frontales ;un ptérygium axillaire droit et une cyphoscoliose ;des lésions cutanées à type de petites dépressions punctiformesérythémateuses (1 à 2 mm de diamètre) ;

de multiples nævi intéressant le visage, le cou, les membres supé-rieurs et le tronc. Le reste de l’examen clinique était normal parailleurs.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (I. Marie).

248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (ttp://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.06.001

Les examens biologiques, en particulier la vitesse de sédimen-tation (8 mm/h), la C-réactive protéine (3 mg/L), le numérationformule sanguine, les tests hépatiques et rénaux, le bilan phos-phocalcique (calcémie : 2,20 mmol/L, phosphorémie : 0,8 mmol/L,taux sérique de 25 OH-vitamine D3 : 60 pmol/L) étaient normaux.Dans le cadre du bilan étiologique de ce syndrome dysmorphique,des explorations complémentaires étaient réalisées. Le scannercérébral montrait de multiples calcifications cérébrales touchantles méninges et la faux du cerveau (Fig. 1). Le scanner thoraco-abdominal mettait en évidence, d’une part, des malformationscostales avec des côtes bifides (Fig. 2) et, d’autre part, des fibromesovariens gauches (dont le plus volumineux mesurait 15 cm de dia-mètre).

2. Le diagnostic

De multiples calcifications cérébrales touchant les méningeset la faux du cerveau associées à des malformations costalesavec des côtes bifides révélant un syndrome de Gorlin ounævomatose basocellulaire confirmé par la mutation du gènePatched.

3. Les commentaires

Décrit par White en 1894, le syndrome de Gorlin (ou nævo-matose basocellulaire) est une affection dysembryoplasique detransmission autosomique dominante à forte pénétrance [1,2]. Saprévalence est estimée entre 1/57 000 et 1/256 000 [2,3]. La maladie

SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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142 C. Jamart et al. / La Revue de médecin

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ig. 1. Scanner cérébral : multiples calcifications cérébrales touchant les méningest la faux du cerveau.

st caractérisée, d’une part, par un ensemble d’anomalies du déve-oppement et, d’autre part, par une prédisposition à la survenuee différents types de cancer. Le gène responsable a été identifién 1996. Il s’agit principalement (35 à 50 % des cas) d’un gène Pat-hed (PTCH1) [4,5] qui est localisé sur le bras long du chromosome 99q22.3). Toutefois, d’autres mutations des gènes SUFU et PTCH2 ontgalement été décrites dans des familles de patients porteurs d’un

yndrome de Gorlin [5].

Cette affection évolue toute la vie, et associe des lésionsutanées, osseuses, nerveuses, oculaires et endocriniennes.

ig. 2. Scanner thoraco-abdominal : malformations costales avec des côtes bifides.

e interne 35 (2014) 141–143

Les manifestations cutanées comprennent plusieurs types delésions :

• hamartomes basocellulaires multiples (100 % des cas), qui appa-raissent, classiquement à la puberté ou durant la deuxièmedécennie [5–7]. Les aspects cliniques sont variés, mais surtout àtype de petites tumeurs translucides ressemblant à des « perles decarcinome basocellulaire » de 1 à 30 mm de diamètre. Les lésionsintéressent la face, le thorax, mais également l’abdomen et lesmembres. Ces hamartomes basocellulaires évoluent inéluctable-ment à l’âge adulte, essentiellement sur les parties découvertes,vers des carcinomes basocellulaires extensifs et invasifs ;

• puits palmo-plantaires (petites dépressions punctiformes de 2 à3 mm, érythémateuses, taillées à l’emporte-pièce localisées auxpaumes des mains et aux plantes des pieds), grains de milium,kystes épidermiques des paupières, molluscum pendulum etexistence fréquente de comédons [5,6,8].

D’autres tumeurs extracutanées sont également possibles,comme :

• les fibromes ovariens qui surviennent en moyenne à l’âge de30 ans chez les femmes ;

• les fibromes cardiaques, plus rares ;• les médulloblastomes du cervelet volontiers précoces

(< 2 ans) touchant préférentiellement les garc ons (5 à 10 %)[5,8].

Les patients porteurs d’un syndrome de Gorlin présentent unsyndrome dysmorphique osseux, et notamment cérébral (6 à 75 %des cas) pouvant associer, comme dans notre observation : macro-céphalie (50 %), bosses frontales, hypertélorisme orbital, et parfoisfente labiale et/ou palatine [5,9,10]. D’autres anomalies osseusespeuvent être observées au cours du syndrome de Gorlin, tellesque des malformations costales (synostoses, bifidités et agéné-sies partielles des côtes dans 26 % des cas), vertébrales (fusionde corps vertébraux, hémi-vertèbres, calcifications du ligamentnuqual dans 10 à 18 % des cas) mais aussi métacarpophalan-giennes (raccourcissement des quatrième métacarpiens dans 14 à30 % des cas) ou un ptérygium axillaire [9,10]. Par ailleurs, desanomalies radiologiques tels que des kystes odontogéniques desmaxillaires (62 à 90 %) justifient la réalisation d’une radiographiedes mâchoires chez ces patients dès la première décennie. Ilspeuvent se compliquer de malpositions ou d’inclusions dentairesintrakystiques, de fractures ou engendrer un aspect « joufflu » duvisage [5,9]. En outre, des calcifications ectopiques polymorphessont découvertes chez les patients au niveau de la faux du cer-veau (66 % des cas) [5,8,9]. Les mécanismes physiopathologiquesqui concourent à la survenue de ces calcifications sont mal élucidés.Il est important de ne pas les confondre avec les autres affectionspouvant générer ces calcifications intracérébrales : endocrinopa-thies (hypothyroïdie, hypogonadisme), pathologies systémiques(sclérodermie systémique, lupus érythémateux disséminé, maladiecœliaque), infections (toxoplasmose, neurocysticercose), maladiesdiverses (insuffisance rénale chronique, intoxication à la vitamineD, cytopathies mitochondriales).

Le diagnostic de syndrome de Gorlin peut être retenu en pré-sence de deux critères majeurs associés à un critère mineur, ou enprésence d’un critère majeur avec deux critères mineurs [11,12].Notre patiente présentait les cinq critères majeurs et trois critèresmineurs (malformations costales, bosses frontales, hypertélorismeorbital) :

• critères majeurs : carcinomes basocellulaires supérieurs à 2 oudébut inférieur à 30 ans ou supérieurs ou égals à dix nævi, kérato-kystes odontogéniques des mâchoires histologiquement prouvés,

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C. Jamart et al. / La Revue de m

supérieur ou égal à trois puits palmo-plantaires, calcificationsectopiques notamment de la faux du cerveau, antécédents fami-liaux de syndrome de Gorlin ;critères mineurs : médulloblastome du cervelet chez le jeuneenfant, macrocéphalie, bosses frontales, hypertélorisme, fentelabiale/palatine, malformations costo-vertébrales (côtes bifides,fusionnées ou écartées), scoliose, anomalies vertébrales (hémi-vertèbre, fusion des corps vertébraux, spina bifida occulta),syndactylie des doigts, fibrome cardiaque ou ovarien.

En raison de l’évolution constante vers des carcinomes baso-ellulaires, la prise en charge thérapeutique des patients ayantn syndrome de Gorlin justifie une surveillance carcinologiqueutanée systématique et annuelle. Le diagnostic précoce chez lesujets jeunes, comme dans notre observation, permet d’apporteres conseils de prévention en termes de photoprotection [5,8].a chirurgie des tumeurs cutanées est indiquée. Les alternatives

la chirurgie des carcinomes basocellulaires sont principalementeprésentées par la cryothérapie, le curetage [13] ou encore leraitement par imiquimod local [13]. Dans tous les cas, la radiothé-apie de ces lésions cutanées est contre-indiquée chez ces patientsn raison de leur radiosensibilité. Les carcinomes basocellulairesrésentent une activation de la voie patched/sonic hedgehog (parutation type perte de fonction sur PTCH ou par des gains de

onction sur smoothened : SMO) qui conduit à la prolifération nonontrôlée des cellules basales à l’origine du carcinome basocellu-aire. Dans cette optique, le vismodegib est une molécule inhibitricee SMO bloquant ainsi la voie hedgehog [14]. Un essai de phase I aontré une efficacité nette du vismodegib après deux à trois mois

e traitement, avec des extrêmes de deux à dix mois et des étudese phase 2 sont en cour s [14].

En conclusion, le syndrome de Gorlin est une affection hérédi-

aire qui ne doit pas être méconnue des médecins internistes, quioivent savoir évoquer ce diagnostic chez les patients incluant unyndrome dysmorphique osseux avec des calcifications cérébrales,n association avec des lésions cutanées.

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Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

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