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BioOne sees sustainable scholarly publishing as an inherently collaborative enterprise connecting authors, nonprofit publishers, academic institutions, research libraries, and research funders in the common goal of maximizing access to critical research. Des catégories animales aux catégories sociales : ordinaire et extraordinaire en matière de consommation de viande chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger) Author(s): Sarah Cabalion Source: Anthropozoologica, 45(1):77-99. 2010. Published By: Muséum national d'Histoire naturelle, Paris DOI: http://dx.doi.org/10.5252/az2010n1a6 URL: http://www.bioone.org/doi/full/10.5252/az2010n1a6 BioOne (www.bioone.org ) is a nonprofit, online aggregation of core research in the biological, ecological, and environmental sciences. BioOne provides a sustainable online platform for over 170 journals and books published by nonprofit societies, associations, museums, institutions, and presses. Your use of this PDF, the BioOne Web site, and all posted and associated content indicates your acceptance of BioOne’s Terms of Use, available at www.bioone.org/page/terms_of_use . Usage of BioOne content is strictly limited to personal, educational, and non-commercial use. Commercial inquiries or rights and permissions requests should be directed to the individual publisher as copyright holder.

Des Catégories Animales Aux Catégories Sociales : Ordinaire et Extraordinaire en Matière de Consommation de Viande Chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

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Page 1: Des Catégories Animales Aux Catégories Sociales : Ordinaire et Extraordinaire en Matière de Consommation de Viande Chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

BioOne sees sustainable scholarly publishing as an inherently collaborative enterprise connecting authors, nonprofit publishers,academic institutions, research libraries, and research funders in the common goal of maximizing access to critical research.

Des catégories animales aux catégories sociales : ordinaire etextraordinaire en matière de consommation de viande chez lesTouaregs (Tagaraygarayt, Niger)Author(s): Sarah CabalionSource: Anthropozoologica, 45(1):77-99. 2010.Published By: Muséum national d'Histoire naturelle, ParisDOI: http://dx.doi.org/10.5252/az2010n1a6URL: http://www.bioone.org/doi/full/10.5252/az2010n1a6

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ANTHROPOZOOLOGICA • 2010 • 45 (1) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. 77

ABSTRACTFrom animals’ categories to social categories: ordinary and extraordinary inconsumption of meat among t�e Tuaregs (Tagaraygarayt, Niger)Tuareg people (condeferation of Tagaraygarayt, Niger) classify their animals bycomparing their behaviours with the ones of humans, thereby applying ananthropocentric reading grid to the animal world . They distinguish animalsliving in the bush from the ones living in the camp, animals devouring theirlivestock and those who spare it, etc . As Muslim people, they also differentiatelicit species (�alal) and illicit ones (�aram) . At last, certain animals are perceivedand termed as noble whereas others are despised and associated to human

MOTS CLÉSTouaregs,

cat�gories animales,organisation sociale,

retenue,viande,

dromadaire

Sarah CABALION18 rue Frédérick Lemaître, 75020 Paris (France)

[email protected]

Cabalion S. 2010. – Des catégories animales aux catégories sociales : ordinaire et extraor-dinaire en matière de consommation de viande chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger).Anthropozoologica 45(1): 77-99.

RÉSuMÉLes Touaregs (conf�d�ration de la Tagaraygarayt, Niger) classent les animau�en comparant leurs comportements à ceu� des hommes, appliquant une grillede lecture anthropocentr�e au monde animal . Ils distinguent les animau�vivant en brousse de ceu� vivant au campement, les animau� qui d�vorentleur b�tail de ceu� qui l’�pargnent, etc . Musulmans, ils diff�rencient aussi lesespèces licites (�alal) des espèces illicites (�aram) . Enfin, certains animau�sont qualifi�s de nobles tandis que d’autres sont m�pris�s et associ�s au�hommes de condition modeste . Les critères, multiples, sont utiles auclassement des animau� et des viandes . Ils influencent aussi le mode deconsommation . Mais ils se recoupent souvent, et confondent, dans chacunedes cat�gories animales, des animau� consomm�s et d’autres qui ne le sont pas(ou seulement par certaines cat�gories sociales ou classes d’âge) . Ils ne suffisentdonc pas à comprendre, seuls, et de façon absolue, comment la consommationd’une viande peut être consid�r�e comme ordinaire ou e�traordinaire . Chezles Touaregs, la notion de « retenue » (tekarakit) organise les rapports deshommes entre eu�, mais aussi leur rapport à la viande . Cette notion apparaîtcentrale car elle permet de distinguer ce qui relève de l’ordinaire et ce quirelève de l’e�traordinaire en matière de consommation carn�e .

Des catégories animales aux catégoriessociales : ordinaire et extraordinaireen matière de consommation de viandechez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

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Cabalion S .

Les Touaregs sont des Berbères . Leur langue — latemajeq1—et leur �criture— les (caractères) tifinag�—sont de fortsmarqueurs identitaires . LesTouaregsse nomment eu�-mêmes « gens de la temajeq » (Keltemajeq), en r�f�rence à leur langue . Ils partagentun mode de vie, le pastoralisme nomade (danscertains cas au� côt�s d’une activit� agricole oucaravanière), et une religion, l’islam . La majorit�d’entre eu� se r�fère au� règles de l’�cole juridiquemal�kite . Les grands ensembles politiques touaregs,appel�s « conf�d�rations », se situent en Alg�rie, enLibye, au Burkina Faso, au Mali et au Niger,diss�min�s sur plusieurs pays depuis le d�coupagearbitraire de leur territoire au moment de la d�co-lonisation . Chacune de ces conf�d�rations de tribusest très hi�rarchis�e . AuNiger, dans laTagaraygarayt(qui signifie « celle du milieu », car elle est situ�eau centre du monde touareg), on compte cinqcat�gories sociales principales, à l’int�rieur desquellesgravitent de nombreuses tribus : la noblesse guerrière(imajeg�an) ; la noblesse religieuse (inesliman), dontcertaines tribus portaient �galement les armes(Walentowitz 1998) ; les tributaires (img�ad), quipayaient un tribut annuel au� nobles et se battaientà leurs côt�s ; les artisans (inadan), qui rendaient

toutes sortes de services (de la fabrication d’armeset de la r�paration d’objets du quotidien au rôled’interm�diaires) ; enfin, les anciens esclaves (iklan)et les affranchis (ig�awelan), dont la plupart ontaujourd’hui quitt� leurs anciensmaîtres . Les nobles,les tributaires, et, dans une moindre mesure, lesartisans, forment la cat�gorie des « hommes libres »,appel�e « ilallan », en opposition avec celle desesclaves . Cette cat�gorie d�signe aussi les hommesde la noblesse en particulier .

COMMENT UNE � CHAIR �DEVIENT � VIANDE �

Pour donner le statut de « viande », aliment consom-mable, à une « chair », l’homme tient compte detrois consid�rations . La première repose sur ladistance homme-animal .Celle-ci est �valu�e à partir de l’observation descomportements animau�, dont le mode de loco-motion, l’alimentation ou encore la morphologieest d�crit au moyen d’une grille de lecture anthro-pocentr�e . C’est selon leur pro�imit� avec lescomportements et les valeurs des hommes que les

KEYWORDSTuaregs,

animals’ categories,social organization,

restraint,meat,

dromedary .

beings of lower social status . These multiple criterions are useful to theclassification of animals as well as of meats . They also do influence the mode ofconsumption . But they also often amalgamate and confuse, in each mode ofanimal categorization, animals which are consumed and others that are not (oronly by certain social categories or age groups) . They aren’t therefore enough tounderstand, alone and in an absolute manner, how the consumption of a meatcan be considered ordinary or e�traordinary . Among the Tuaregs, the notion ofrestraint or tekarakit organizes relations between human beings, but also theirrelation to meat . This notion appears central, as it will enable us to distinguishwhat results from the realm of the ordinary, or what results from the realm ofthe e�traordinary in matters of meat consumption .

1 . S’�crit aussi tamas�aq (au Mali) ou tama�aq (en Alg�rie), selon les variantes dialectales (Aghali-Zakara 1996),mais aussi selon les auteurs : « […] la notation h�site encore entre une notation phon�tique et une notationphonologique » (Walentowitz 2003 : 19) . Dans cet article, la notation employ�e par les auteurs cit�s a �t�respect�e, tandis que j’ai moi-même simplifi� la notation phon�tique du linguiste K . Prasse (2003) en �cartantla notation du « a bref » (ă) et de l’emphase . J’ai conserv� en revanche la notation de la voyelle centrale « e »,bien que controvers�e quant à son statut de phonème ; et choisi la notation « š » pour la consonne fricativechuintante ; « gh » pour la consonne fricative vibrante dite « grassey�e » (r) ; et « kh » pour la consonne fricativev�laire . Le terme « Touareg » suit les règles d’accord du français (Touarègue, Touaregs) .

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animau� et leurs chairs sont jug�s . Voilà pourquoion peut entendre dire du chien, en Occident, qu’ilest « fidèle », tandis qu’ailleurs on l’e�ècre ; ouencore du bouc, qu’il est « impudique », venant depoètes français2 comme d’e��gètes musulmans3 .L’�tat de l’humanit� �rig� enmodèle pouvant diff�rerdans le temps et dans l’espace, les animau� et lesviandes choisis pour homologues pourront appar-tenir, selon les cas, aussi bien à la famille des cervid�sou des suid�s, qu’à celle des cam�lid�s ou des canid�s .La deu�ième consid�ration prise en compte est lacroyance en une assimilation transitive des qualit�s :l’homme pense qu’il est ce qu’il mange . Les qualit�set les d�fauts de tout aliment ing�r� sont cens�s luiêtre transmis . Cette croyance, « th�oris�e au moinsdepuisHippocrate et Aristote » (Vialles 1998b : 109),a pour cons�quence de porter les choi� de consom-mation sur des animau� consid�r�s comme �tant« proches » de l’homme ; proches de sa constitutionmorphologique, de ses comportements et de sesvaleurs . À l’inverse, les animau� dont la constitutionou lemode de vie semblent contraires à la vision queles hommes se font de leur humanit� et de leursociabilit� sont en g�n�ral soigneusement �vit�s .Enfin, si l’homme consomme de pr�f�rence duproche, il est soumis à une dernière crainte : cellede consommer un animal trop proche . Le « man-geable », r�sume No�lie Vialles « doit donc être àbonne distance, comme l’�pousable en matière deparent� » (1998a : 142) . Autrement dit, si lespossibilit�s infinies de mariage ont fait naître laprohibition de l’inceste, alors, enmatière de r�gimecarn�, on peut penser que l’infinie possibilit� desconsommations carn�es a conduit à une prohibition,celle de l’anthropophagie .

COMMENT LES KEL T∂MAJ∂QCLASSENT LES ANIMAUx

Les grandes cat�gories divisant le monde animalchez lesTouaregs sont à peu près identiques à celles

�voqu�es dans l’islam : « animau� domestiques(�ayawân insî/a�lî) ; animau� sauvages (�ayawânwa�šî) ; oiseau� (tayr) ; vermine (�ašarât/�awâam) ;et animau� aquatiques (�ayawan ba�rî/mâ’î) »(Benkheira 2000 : 65) . E�aminons maintenantd’un peu plus près comment les Touaregs les dis-tinguent . En premier lieu, c’est le mode de vie quiapparaît d�terminant : les animau� vivant à leurscôt�s, appartenant au campement (imudaran winag�iwan), sont distingu�s de ceu� vivant à l’�cartdes hommes, en brousse (imudaran win essuf ) .

les AnimAux du cAmPementCes animau� (que l’on peut qualifier de « domes-tiques » en ce sens que les Touaregs les entretien-nent), comportent plusieurs cat�gories :a) Le b�tail— e�arey, qui signifie aussi la « fortune »d’un individu (Foucauld 1951, t . II : 639) —comprend, dans une acception stricte, les animau�consommables et conduits par des bergers sous laforme de troupeau� : dromadaires, vaches, chèvreset moutons . À l’int�rieur du « b�tail », lesTouaregsdistinguent le « petit b�tail » (e�arey wanderran ouwamellan), chèvres et moutons, �galement appel�stag�siwen, du « gros b�tail » (e�arey wa zuwweran),dromadaires et vaches . Les petits ruminants sontcompl�mentaires, puisque la chèvre fait office de« mouton du pauvre », comme chez les nomadesBa�tyâri d’Iran (Digard 1981 : 28) . De surcroît, ilsconstituent les victimes sacrificielles privil�gi�es .b) Dans une acception plus large, e�arey comprendaussi les �quid�s (ânes et chevau�), car ils participentà la richesse de l’�leveur ; mais ils ne sont jamaisconsomm�s ni conduits au pâturage par un berger,contrairement au� espèces cit�es pr�c�demment .Les ânes, laiss�s libres ou entrav�s, reviennent d’eu�-mêmes au campement pour qu�mander du sel, ouvers les puits lorsqu’ils veulent être abreuv�s . Quantau� chevau�, ils ne repr�sentent dans le meilleurdes cas que quelques individus par famille et peud’entre elles en possèdent ; ils ne sont pas main-tenus en troupeau� .

2 . Par e�emple, dans Les Trop�ées, recueil de poèmes compos�s par le franco-cubain Jos�-Maria de Heredia(1893) .3 . Cette impudicit� apparente du bouc est « un lieu commun de la litt�rature arabe » (Benkheira 1999 : 96) .L’auteur ajoute : « Ce par quoi Dieu a �lev� (faddala) le b�lier, dit un hadîth souvent cit�, « c’est d’avoir cach�[au regard] ses organes g�nitau� par devant et par derrière, et ce par quoi il a abaiss� le bouc, c’est de lui avoirôt� toute protection (ma�tûk s-sitr) et mis à d�couvert par devant et par derrière » (‘Uyûn II : 76) » (ibid.) .

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c) Hormis les ruminants et les �quid�s, d’autresespèces animales domestiqu�es par les Touaregsentrent dans la cat�gorie des « animau� du campe-ment » : ce sont les chiens et les chats, jamais sacrifi�s ;les poules et les pintades, consomm�es depuis peu .

les AnimAux de lA brousseDans cette cat�gorie, le mode de locomotion etl’alimentation des espèces animales apparaissentd�terminants :– lumetlumet (redoublement cens� �voquer legrouillement) regroupe les animau� qui rampentet tout ce qui grouille (serpents, insectes, autrementdit : la vermine) ;– igedad, ceu� qui volent (les oiseau�) ;– kifitan, ceu� qui nagent (les poissons) ;– tawaqqast, ceu� qui s’enfuient en courant àl’approche de l’homme . Dans cette dernière cat�-gorie, qui regroupe les animau� susceptibles d’êtrechass�s, lesTouaregs distinguent « ceu� qui d�vorentle b�tail » (imudaran win tattinen i�erwan), de ceu�qui l’�pargnent mais que les hommes tuent (tawa-qqast ta wer nettettu i�erwan, ta temat) . Les premierssont �galement d�nomm�s « les animau� qui ontdes canines » (imudaran win tazalat) ; ce sont lescarnivores tels que le lion, l’hyène, etc ., dont laconsommation est interdite et qui ne sont chass�squ’à l’occasion, parce qu’ils sont nuisibles à l’hommeet à ses troupeau� . Les autres animau� sont « ceu�qui ne d�vorent pas le b�tail » (imudaran win wernettatin e�arey) mais qui peuvent être chass�s puisconsomm�s par l’homme : ce sont des mammifèresherbivores comme le lièvre, la gazelle, l’antilope,ou des oiseau� comme l’outarde et l’autruche .

des hiérArchies AnimAlesAux hiérArchies sociAlesÀ l’instar des animau� vivant hors du campement,les animau� �lev�s par les Touaregs n’ont pas tous

lamême position dans le système de repr�sentations .Le monde animal, dans son entier, semble class�selon une « �chelle des êtres4 », dont l’ascension�voquerait un degr� de pro�imit� de plus en plusproche avec l’homme . Ainsi, le dromadaire et lecheval, surtout si ce dernier appartient au typebagzan, sont les animau� les plus prestigieu� (Ber-nus 1999), associ�s au� hommes trônant au sommetde l’�chelle sociale . Le dromadaire est r�put� capable,même à des centaines de kilomètres, de retrouverle chemin de sa r�gion d’origine : « Un chameau5,s’il disparaît, et qu’il n’est pas retenu par quelqu’un,reviendra vers son puits, dans sa r�gion . S’il nerevient pas, de deu� choses l’une : ou bien quelqu’unle retient, ou bien il est mort » (entretien avec A . A .,août 2005) . Le cheval de type bagzan, lui, est sup-pos� capable d’avertir son maître de l’imminenced’un danger en grattant le sol avec sa patte : « S’ilsent cette nuit que quelque chose de mauvais vasurvenir ici, il va se mettre à creuser le sol jusqu’aumoment où on ne verra plus de lui que ses oreilles .Tu peu� alors sortir tes gris-gris et te tenir sur tesgardes car la bataille est proche » (entretien avecM . S ., juin 2005) . Tous deu� sont associ�s au�hommes et au� femmes de la noblesse, ils les ontaccompagn�s à la guerre et sont leurs monturesd’apparat . La femme noble montait à dromadairesur un palanquin (Fig . 1) et seuls leurs maris avaientles moyens de poss�der des chevau� de type bagzan .L’âne, à l’inverse, traîne une r�putation d’�goïste(Bernus 2000 : 28) ; c’est un animal maudit etm�pris� . De même, les activit�s au�quelles il par-ticipe sont d�valoris�es, associ�es au� hommes etau� femmes de condition modeste (tributaires etesclaves) .On retrouve donc une hi�rarchie des animau�domestiqu�s �troitement li�e à celle des hommes :pyramide au sommet de laquelle trônent le droma-daire et le cheval, cens�s appartenir à la même

4 . Cette « �chelle des êtres » e�istait d�jà du temps d’Aristote : « la classification aristot�licienne des êtres vivantsest donc surtout une �chelle lin�aire de perfection croissante, des plantes à l’homme” (Pichot 1993 cit� parBenkheira et al. 2005) . Les auteurs musulmans n’ont pas toujours cru utile de suivre Aristote, cependant lethème de l’�chelle des êtres est commun » (Benkheira et al. 2005 : 34) . On trouvera probablement des contre-e�emples, chez les Touaregs ou ailleurs, mais le fait est qu’en g�n�ral, les animau� qui ne possèdent que deu�des cinq sens sont plac�s à un niveau inf�rieur à celui des animau� en poss�dant en nombre sup�rieur : « Ilressort de cette classification que les animau� se r�partissent sur l’�chelle des êtres selon qu’ils possèdent ou nonsept caract�ristiques — les cinq sens, eu�-mêmes hi�rarchis�s (toucher, goût, odorat, ouïe et enfin la vue), ainsique le discernement et l’aptitude au dressage (Benkheira et al. 2005 : 39) .5 . Le terme « chameau » d�signe en fait le dromadaire (Camelus dromedarius) .

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Des cat�gories animales au� cat�gories sociales chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

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fig. 1. – Selles de femmes de la noblesse, fête de la « curesalée » (In Gall, 2001). Cliché S. Cabalion.

cat�gorie que celle des hommes « libres », repr�sen-tante de la noblesse �galement : la cat�gorie desilallan .Lemouton et le l�vrier de race, dress� pour la chasse,appartiennent �galement à cette cat�gorie animaleregroupant les animau� dits de qualit�, et qui sontd�sign�s par le même terme employ� pour d�signerla noblesse touarègue .En tant que croyants musulmans, « ce sont lesprescriptions religieuses de l’islam qui posent lesrestrictions les plus strictes en ce qui concerne laconsommation de viande . Les �coles de droit fontla diff�rence entre bon et autoris� (k�alal), interdit(k�aram) et d�sapprouv� (makruf ) » (sic, Spitt-ler 2003 : 256) . La consommation du sang estinterdite . Les victimes sacrificielles sont donc �gor-g�es, vid�es de leur sang et les �leveurs abandonnenttout animal consommable s’il n’a pu être �gorg�conform�ment au rite musulman6 . Enfin, dansl’alimentation comme dans d’autres domaines, telsque l’�ducation, la se�ualit� (Figueiredo-Biton 2001)ou la th�rapeutique (Hureiki 2000), les Touaregsusent de l’oppositon du « chaud » (tukse) et du« froid » (tanesmut) entre lesquels ils r�partissentles �l�ments et les caractères . Ainsi, la viande dechèvre est consid�r�e comme chaude tandis quecelle de brebis est vue comme froide . L’odeur que

6 . C’est le sang qui coule de la victime qui est proscrit par le Coran, et non le sang pr�sent dans certainesparties de la carcasse : « Il faut distinguer le sang qui coule et celui qui ne coule pas . C’est sur le premier quepèse l’interdit coranique et les e��gètes se sont attach�s à pr�ciser cette distinction . Le foie et la rate, consid�r�scomme du sang à l’�tat solide, ne sont pas interdits, pas plus que le sang que l’on trouve dans les veines et lecœur de l’animal immol� . En revanche, une goutte de sang, quelle que soit son origine (humain, menstruel,animal) rend inconsommable un plat, ou rend illicite la prière si elle souille les effets du croyant » (Bonte 1999 : 41) .N�anmoins, des cas de consommation e�traordinaires sont à mentionner : il s’agit de la consommation de sangde dromadaire par saign�e au niveau de la jugulaire et de viande de dromadaire, lorsqu’un chamelier s’est �gar� .En effet, il est d�jà arriv� que des Touaregs boivent le sang de leur monture, pour lutter contre la soif, voireabattent leur dromadaire, pour se nourrir de leur viande . Mais ce sont là des cas de consommation e�trêmes,lorsque les hommes luttent pour leur survie (cf. le r�cit d’un rezzou durant lequel les hommes, souffrant de lasoif, durent �gorger des chamelles et remplir « des outres avec le sang et l’eau des panses passant ainsi quatrejours et quatre nuits », Foucauld & Calassanti 1984 : 148) . Mis à part ces cas de consommations e�traordinaires,le « sentiment de d�fiance à l’�gard du sang [est telle que] sa manipulation confine à l’impuret� . Voilà pourquoidans de nombreuses populations berb�rophones, les bouchers formaient une caste frapp�e de multiples interdits .Encore aujourd’hui, cette corporation est d�nigr�e et l’image du boucher transgresseur (buveur d’alcool, souteneuret voleur…) reste pr�gnante » (Hell 1999 : 404) .Au Niger, les Touaregs n’e�ercent pas la profession de boucher . Ce sont les Haoussas qui commercialisent la viandesur les march�s . Pourquoi trouve-t-on des bouchers parmi les Haoussas et non chez les Berbères ? Il serait int�ressantde se pencher sur la question pour chercher en quoi l’appartenance au monde berbère entretient cette d�fianceplus que dans d’autres populations musulmanes �galement . Peut-être est-ce à mettre en rapport avec des croyancesli�es au� g�nies : « tout sang vers� attire les g�nies . Rep�r�e par les ethnographes dans toutes les populationsberb�rophones, cette id�e reste profond�ment ancr�e dans les croyances contemporaines » (Hell 1999 : 398) . Leboucher, constamment en contact avec du sang, occuperait une position dangereuse vis-à-vis des g�nies .

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Cabalion S .

ces viandes d�gagent, avant ou après cuisson, peutêtre consid�r�e comme all�chante ou r�pugnante(tang�ofat) selon les espèces .Ces e�emples, non e�haustifs, attestent du grandnombre de cat�gories animales à l’œuvre chez lesTouaregs . Aussi nombreuses soient-elles, ces cat�-gories nous aident-elles pour autant à d�terminerce qui relève du commun, ou de l’e�ceptionnel, enmatière de consommation carn�e dans cette soci�t� ?E�iste-t-il un critère qui r�partisse distinctementces deu� types de consommation ?

MULTIPLICITé DES CATéGORIES :LA NéCESSITé DE TROUVERUNE AUTRE PISTE D’INTERPRéTATION

Toutes ces cat�gories animales ne suffisent pas àdistinguer clairement les animau� consommablesde ceu� qui ne le sont pas, ou encore les consom-mations ordinaires de celles consid�r�es commee�traordinaires . En effet, à l’int�rieur de chacunedes cat�gories, on trouve des espèces animalesconsomm�es tandis que d’autres ne le sont pas,sinon par certaines cat�gories sociales ou tranchesd’âge uniquement .Tous les animau� vivant au campement ne sont pasconsommables . Le statut d’animal domestique nesuffit pas à autoriser leur consommation : deu�animau� du campement, le chat et le chien, sontproscrits de l’alimentation touarègue, en partie àcause de leur statut de carnivores . Mais le r�gimealimentaire de l’animal n’est pas non plus un critèreabsolu . Ainsi, le cas du cheval, herbivore, consid�r�de surcroît comme licite par les musulmans mal�-kites, et qui n’est jamais consomm� . De même, le

fait qu’une espèce animale appartienne à la cat�go-rie des ilallan (nobles) ne conduit pas forc�ment àd�consid�rer sa consommation par anthropomor-phisme et peur de faire acte d’anthropophagie,comme c’est parfois le cas pour le cheval ou le dro-madaire . Le mouton, dont l’�levage est r�put�difficile en cette r�gion du globe, fait la fiert� deson propri�taire lorsque le troupeau atteint desproportions importantes .Mais la viande demoutonest aussi la viande que les Touaregs pr�fèrent . Avecla chèvre, c’est l’animal que l’on sacrifie le plussouvent . Quant au� r�putations de coprophages dela poule, du chien et de l’âne, elles ont certainementinfluenc� l’attitude m�prisante r�serv�e à ces ani-mau� .Mais certainsTouaregs mangent aujourd’huide la poule tandis qu’aucun d’eu� ne se risqueraità manger de l’âne ou du chien7 .Dans un autre registre, la viande de chèvre estd�consid�r�e en tant qu’aliment chaud, mais avecle mouton, c’est elle qu’on �gorge le plus souventdans les campements . La viande d’outarde, quantà elle, est ta��e par certains de viande à l’odeurr�pugnante, tandis que d’autres la d�finissent commeun mets des plus d�licats . Enfin, dans les travau�abordant l’alimentation chez les Touaregs (Ber-nus 1981 ; Gast 1968 ; Lhote 1951), on lit que lepoisson et les oiseau� faisaient l’objet d’interditss�culaires . Pourtant, les Touaregs ont commenc� àgoûter à la sardine depuis son arriv�e en boîtes auSahara . Et l’outarde et l’autruche sont consomm�espar certaines cat�gories sociales, les tributaires etles esclaves, tandis que les petits oiseau� le sonttraditionnellement par une tranche d’âge : les enfants .étant donn� que les cat�gories de classement serecoupent, au final, c’est plutôt sur l’organisationde la soci�t� qu’il faut se pencher pour comprendre

7 . À propos de la cynophagie dans le monde berbère, consulter l’article de Pierre Bonte (2004) . En remontantla piste des Bafours, population du Sahara occidental, l’auteur d�montre qu’en Afrique du Nord, les sacrificescanins relevaient probablement d’une pratique berbère pr�islamique tol�r�e au d�part par les missionnaireskharijites, en tant que pratique culturelle locale, puis d�cri�e à l’arriv�e des Sanhâja sunnites mal�kites . Lasignification de ce type de sacrifice semble avoir �t� « associ�e à des rites de fertilit� f�minine » (ibid . : 343) .De nos jours, la consommation de viande de chien est toujours attest�e dans certaines oasis, mais les donn�essont rares et les « enquêtes naturellement difficiles sur ces comportements qui restent cach�s » (ibid. : 350) . ÀAgadez, on raconte que des enfants tuent des chiens à la fin de la p�riode de fête du Bianou, le lendemain dela c�l�bration du Mouloud (sur le d�roulement du Bianou, appel� aussi Gani, cf. Claudot-Hawad 1992, bienque l’auteur ne mentionne pas de sacrifices canins) . Or, le lendemain de l’anniversaire de la naissance du Prophètecorrespond selon mes informateurs, à l’anniversaire de la naissance de Pharaon, souverain �gyptien « qui n’avaitpas cru en l’islam » . Pour rappeler ce « m�fait », on le « ridiculise » en sacrifiant des chiens, à l’inverse duProphète, honor� par des sacrifices de moutons .

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les tenants et les aboutissants de l’autorisation oul’interdiction de consommer un animal : « Mêmesi elle peut entrer en ligne de compte, la dimensiondi�t�tique ou pharmacologique est secondaire ; lepoint le plus important est le rapport de la nour-riture au social . Le r�gime alimentaire apparaît dansun premier temps comme le miroir des statutssociau� — dans un sens très g�n�ral — et par làdes hi�rarchies (riches/pauvres, hommes/femmes,maîtres/esclaves, maîtres/disciples…) . Par ailleurs,chaque groupe d’aliment remplit une fonction plusoumoins pr�cise . À la hi�rarchie des groupes sociau�correspond la hi�rarchie des aliments » (Ben-kheira 1999 : 98) . Ce à quoi j’ajouterais que cor-respond �galement une hi�rarchie des animau� .Le genre et l’âge de l’individu, les relations de parent�et de commensalit� ou encore le conte�te dans lequelse d�roulent les sacrifices sont autant de critères àprendre en compte dans la lecture et l’interpr�tationdes cat�gories animales qui ne sont en rien absoluesni « objectives » . À l’instar de la chair, qui n’est pasviande en soi, comme l’e�pliqueNo�lieVialles (1998),toute viande n’est pas ordinaire ou e�traordinaire ensoi . Ce sont les hommes, avec leurs techniques etleurs repr�sentations, qui confèrent le statut de« domestique » à un animal, ou de « viande » à unechair . Chez lesTouaregs, la notion de retenue retien-dra notre attention, car elle permet non seulementde diff�rencier les comportements des hommes entreeu�, mais aussi de distinguer les consommationsordinaires de viande des consommations de typee�traordinaire . Elle nous aidera par cons�quent àd�passer cet enchevêtrement de cat�gories .

UN MODE D’ÊTRE ET DE PENSER : LANOTION DE T∂KARAKIT

Chez les Touaregs, les règles de la vie en soci�t�s’articulent autour de la notion de tekarakit . Ondit d’une personne qui a mal agi qu’elle n’a pas detekarakit, c’est-à-dire qu’elle agit sans vergogne etne sait pas se tenir en soci�t� . Cette sorte de pudeur,« plus souvent appel�e “honte” en Afrique [est] trèsr�pandue sur le continent africain » (Baroin 2005 :377) . Elle e�iste par e�emple aussi chez lesToubous,voisins des Touaregs vivant dans l’Est du Niger .D’après Catherine Baroin, qui a �tudi� cette popu-

lation, le terme français de « honte » traduit mal cesentiment . Elle estime qu’il s’agit plutôt « d’uneinhibition qui s’e�prime par la r�serve dans le com-portement et marque le respect envers autrui »(Baroin 2005 : 377) .Cette id�e est partag�e par Dominique Casajus(2000), qui d�montre que la notion de tekarakitinclut bien une id�e de « honte », mais que ce n’estlà qu’une de ses acceptions, que le mot français« vergogne » recouvre assez bien : « La täkärakit quel’on �prouve devant ses beau�-parents, ses aîn�s,les personnes du se�e oppos�, et qui fait se taire enleur pr�sence, ne me paraît pas correspondre à ceque nous appelons la honte . En revanche, la täkära-kit dont on dit qu’elle “saisit” (tebaz-tu täkärakit)celui qui a manqu� d’äss�äk, lorsqu’il r�alise l’in-congruit� de son comportement, est assur�mentun sentiment de honte […] .Täkärakit a donc deu�acceptions que le mot français “vergogne” recouvreassez bien . Dans un usage devenu rare, “vergogne”est synonyme de “honte” ; mais, dans l’usage cou-rant, il s’oppose simplement à l’effronterie dontfait justementmontre celui qui agit “sans vergogne” »(Casajus 2000 : 4647) .Chez les Touaregs, ce comportement appel� « ver-gogneu� » par Dominique Casajus (ibid . : 47), etque nous appelons ici « retenue », joue un rôleessentiel .Hommes et femmes de toutes les cat�gories socialesy sont soumis, notamment en pr�sence d’aîn�s etde beau�-parents (idulan), r�els ou classificatoires .Si tous les Touaregs sont contraints par cette rete-nue, dans leur langage, leur gestuelle, leur façon dese comporter, etc ., ils ne le sont toutefois pas aumême degr� .Consid�ronsmaintenant, pour illustrer notre propos,le port du voile de tête touareg .

retenue et Port du voile de têtemAsculin (tag∂lmust)Dans laTagaraygarayt, le pan mobile inf�rieur, quimasque le bas du visage (bouche, joues, nez etmenton, selon les situations), est appel� « le gardiendu bas » (amawal wan eres) . Le pan mobile sup�-rieur, cernant plus oumoins le front et les yeu�, estappel� le « gardien du haut » (amawal wan afalla) .Le terme employ� (amawal) vient du verbe « awel »qui signifie « surveiller, garder » un troupeau (Prasse,

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Alojaly & Mohamed 2003 : 818) . Il d�signe aussile « berger » . À l’instar du berger dont la pr�senceprotège le troupeau, les pans inf�rieurs et sup�rieursdu voile de tête pr�servent l’homme qui le porteen lui rappelant demesurer ses propos et ses regards,afin de « rester dans les limites imparties à son rang »(Claudot-Hawad 1991: 189) .Dans un article d�cortiquant « l’architecture » duvoile touareg, et la « s�mantique » des gestuelles quil’accompagnent, H�lène Claudot-Hawad (1991)signale l’emploi d’un autre terme, pour d�signer lebas du turban, dont la signification est encore pluse�plicite : dans l’Aïr, lesTouaregs emploient en effetle terme tédémert, appellation qui « provient deéméder [et d�signe] une technique qui consiste àlier ensemble le cou et le genou d’un l’animal pourl’entraver, l’empêcher de fuir, le retenir . Témédertsignifie “ce qui retient, ce qui entrave, ce qui obligeà la mesure et à la r�serve” . Cette barrière canalisel’honneur collectif que tout individu tient de sonrang, de sa famille, de son clan, de sa consid�ration »(Claudot-Hawad 1991 : 192) . C’est pourquoi« apparaître d�voil� est l’image, souvent utilis�em�taphoriquement, du d�shonneur et de l’humi-liation » (ibid . : 189) .Le voile de tête masculin, chez lesTouaregs, protègedonc du soleil, du vent, de la poussière et des« g�nies » (eljeynan), entit�s malfaisantes vivant enbrousse qui « aiment attraper les individus par lehaut de la tête en saisissant leurs cheveu� » (Figuei-redo-Biton 2001 : 150) ; mais surtout, il rappelleauTouareg qu’il doit prot�ger son honneur indivi-duel en se m�fiant des paroles qu’il pourrait prof�-rer et en conservant sa retenue . Or, la retenuee�ig�e peut varier selon le rang et l’âge voire le genrede l’individu . C’est pourquoi le voile de tête illustrebien notre propos, car il ne se porte pas de la mêmefaçon selon qu’on est noble ou esclave, enfant ouadulte, homme ou femme .En effet, un enfant ne porte pas de voile car onn’e�ige pas de lui autant de retenue que de la partd’un adulte (Fig . 2) : « le port du voile intervientchez les Touaregs après la pubert�, quand le jeunehomme est jug� apte à tenir son rang d’adulte etqu’il le prouve en endurant certaines �preuves »(Claudot-Hawad 1991 : 188) .Tous les adultes ne portent pas non plus le voile detête de la même manière . Un noble se doit d’être

fig. 2. – Jeune amghid s’amusant à porter le voile. ClichéS. Cabalion.

r�serv� . Son port du voile est strict . Tandis qu’unesclave, moins soumis à la retenue, ne porte tradi-tionnellement pas de voile, à moins d’être affranchi(Claudot-Hawad 2001) .

retenue et Port du voile de tête féminin(af∂r)Si l’on compare le voile de tête masculin à celui desfemmes, on constate que ces dernières portent unvoile qui ne masque pas leur bouche et dont le portest plus lâche, hormis dans les tribus d’ineslimandont le cas singulier et a �t� �tudi� par SaskiaWalen-towitz (2002) . À l’instar des hommes, les femmestouarègues sont soumises à la retenue, mais leurattitude de r�serve se manifeste autrement que pourles hommes �tant donn� la structure divergente deleurs voiles : en pr�sence de parents parallèles, devant

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lesquels une attitude respectueuse est e�ig�e de tous,il est recommand� « de masquer sa bouche et des’interdire toute action “mat�rialiste” qui lui estassoci�e comme boire ou manger . Les hommesrelèvent leur voile haut sur le visage, tandis que lesfemmes peuvent rabattre sur les lèvres un pan deleur voile de tête ou encore les dissimuler sous lesdoigts repli�s de la main, l’inde� prenant appui surle nez, posture très fr�quente » (Claudot-Hawad 1989 : 1049) .Le rôle de « juges », jou� par les femmes dans lacomp�titionmasculine pour l’honneur, leur confèreun certain pouvoir au sein de la soci�t� . Non seu-lement les femmes ne se voilent ni la bouche ni lefront, sinon de façon occasionnelle, mais en plus,il semble qu’elles n’aient pas à contenir leurs parolesautant que les hommes .En effet, si les Touarègues sont aussi astreintes à laretenue face au� aîn�s et en pr�sence de parentsparallèles, elles ont une particularit� : ce sont ellesles propri�taires des tentes, qu’elles acquièrent deleur mère à l’occasion de leur premier mariage . Ilest de leur devoir, en tant que telles, de savoir semontrer accueillantes . Or, chez les Touaregs, unbon accueil est synonyme non seulement d’hospi-talit�, au sens de « repas donn� à son hôte » (ama-garu8), mais aussi, de conversation agr�able, men�eavec intelligence : « tesaan takkayt » signifie qu’unefemme maîtrise l’art du dialogue, sait rompre lesilence au moment opportun, et s’adresser à l’autrede façon à le mettre à l’aise . Pour bien accueillirson hôte, il est n�cessaire que la maîtresse de tentesache « converser avec esprit » (Claudot 1984 : 95) .La r�putation d’une femme d�passe les limites deson campement si, en sus de son embonpoint,critère de beaut� touarègue (ibid. 97), elle n’a d’�galeen matière de conversation .Ces qualit�s ne sont pas mises en avant chez lesseulsTouaregs . Le fait de savoir « bavarder » consti-tue aussi une des principales vertus des femmes du« gotha9 » français ; comme l’e�prime un int�ress�dans le reportage de Jean-Christophe Ros�, au sujet

des femmes de la haute soci�t� : « Il y avait deu�jugements s�vères : “elle n’a pas de conversation”et “elle ne sait pas se faire servir” » (Ros� : 2008) .Chez lesTouaregs, cette capacit� à bavarder de façonplaisante se d�montre notamment au cours des veill�esentre jeunes gens (�galement appel�es « takkayt », cequi peut se traduire par « causerie », « conversation »),ou lors de visites galantes nocturnes (arazog) que lajeune femme reçoit à partir de sa prise de voile .Quandunpr�tendant arrive à son chevet, d’ordinaireau milieu de la nuit lorsque les parents dorment, ilse pr�sente du reste à elle comme un invit� : « l’ad-mirateur demande d’entr�e de jeu à son �lue si ellea le sens de l’hospitalit� (i�-im amagaru) . La jeunefille r�pond par l’affirmative et demande l’identit�de son hôte (amagar), tandis que celui-ci refuse dese faire connaître sous pr�te�te que la loi de l’hospi-talit� veut qu’on accepte l’arrivant sans demanderqui il est » (Walentowitz 2002 : 44) . Lorsque le pr�-tendant ne lui plaît guère, la femme converse unmoment avec lui avant de l’�carter de façon galante :« Par ce rite, la jeune fille apprend discrètement àtenir son rôle de femmede la tente, celle qui “domes-tique” l’�tranger, en attendant de se voir attribuerune tente propre lors de son mariage » (ibid . : 45) .Chez les Touaregs, le rôle de la femme ne se limitedonc pas à celui de procr�atrice ou demère, « contrai-rement à la majorit� des soci�t�s musulmanes, où lafemme n’est consid�r�e comme telle qu’à partir dumoment où elle a enfant� » (Walentowitz 2003 : 22) .La litt�rature orale de l’Ahaggar t�moigne, au contraire,d’après H�lène Claudot, d’une vision de la f�minit�tout à fait diff�rente dont « les louanges aussi bienque les critiques ne concernent jamais ses capacit�sde travailleuse ou de mère de famille . Elle est vant�een tant que s�ductrice et charmeuse, capable d’animerles r�unions po�tiques avec esprit et gaît� »(Claudot 1984 : 97) . De sa bouche �manent lespropos qui accueillent et r�confortent amants ouinvit�s,maris et enfants . Rappelons en effet que c’estelle qui conte l�gendes et devinettes au� enfants ; etque le mari lui-même est consid�r� par sa femme

8 . Foucauld ne mentionne que ce sens « mat�riel » de l’hospitalit� : « hospitalit� (de nourriture) (donn�e oureçue) […] Tout repas qu’on prend chez quelqu’un est un ămagârou qu’il vous offre et qu’on reçoit de lui . […]peut se traduire dans certains cas par “repas d’hospitalit�” » (Foucauld 1951, Dictionnaire Touareg Français.Dialecte de l’A�aggar III : 1172) .9 . Du nom d’un almanach publi� du xVIIIe au xxe siècles en langue française et qui recensait les membresde familles royales, les personnalit�s de la noblesse et les hauts fonctionnaires .

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comme un invit� (amagar) au d�but du mariage(ibid . : 99), tandis que le nouveau-n� est appel�« amagar », jusqu’à son baptême (soit le septièmejour) .Pour terminer, le fait que les femmes n’affrontentque rarement l’e�t�rieur (essuf), contrairement au�hommes, laisse supposer que la vie au campementet le velum de leur tente les protègent des g�nies etde la poussière autant que le pan inf�rieur du voilede tête masculin chez les hommes . Les femmesn’ont pas à suivre les troupeau� au pâturage, ni àrechercher les animau� �gar�s en brousse . Les cap-tifs hommes en avaient la charge autrefois, et s’ilssont partis depuis, ce sont toujours les hommes quis’en occupent aujourd’hui . C’est donc aussi parcequ’elles passent leurs journ�es sous la tente qu’iln’est pas n�cessaire au� femmes de se prot�ger desg�nies en se couvrant la bouche au quotidien . Enoutre, des pratiques divinatoires, mais aussi desmythes relatant des accouplements avec les g�nies(« incubat ») « soulignent le rapport particulier desfemmes avec ceu�-ci » (Bonte 2004 : 349) . Finale-ment, elles ne semblent pas craindre les g�niesautant que leurs homologues masculins . Ne m’a-t-on pas dit, chez les Touaregs, que ce sont leshommes qui sont « fragiles », et non les femmes ?Lam�taphore de la femme « piquet », suffisammentsolide pour qu’« �volue et s’agite le reste dumonde »autour d’elle, se trouve ici à nouveau confort�e(Claudot 1984 : 93) .Comme pour les hommes, le port du voile de têtef�minin diffère selon les cat�gories sociales . Uneesclave ne porte qu’un petit morceau d’�toffe nou�autour de la tête, tandis qu’une femme libre, dontle voile est bien plus long, laisse tomber les pans deson voile sur les côt�s ou les rabat vers l’arrière, leslaissant retomber dans son dos .

lAngAge et retenueSi l’on considère l’usage de la langue, on voit, làaussi, que les nobles doivent être prudents en conte-nant leurs �motions et le flu� de leurs paroles,tandis que les artisans, notamment, mais aussi lesesclaves et dans unemoindremesure, les tributaires,sont autoris�s à plaisanter plus librement : « Laparole doit être utilis�e avec pr�caution et sonemploi immod�r� est r�serv� au� artisans à qui l’onabandonne l’usage des mots sans qu’on puisse leur

tenir rigueur de propos offensants . Les anciens serfspeuvent aussi faire des plaisanteries grossières etscatologiques, et dans, bien des cas, on les “pousseau crime” pour pouvoir s’esclaffer et rire de proposqui �corcheraient le gosier de ceu� qui les invitentà e�primer ce langage trivial » (Bernus 2002 : 127) .Cette attitude « pr�cautionneuse » vis-à-vis de laparole semble être, selon Dominique Casajus :« l’une des manifestations d’une qualit� à laquelleles Touaregs attachent un grand pri� et qu’ils d�si-gnent du mot arabe äss�äk » (Casajus 2000 : 46) .D’après cet auteur, « le sens premier de äss�äk est“doute”, “h�sitation” . Mais l’h�sitation que lesTouaregs prisent chez leurs semblables est plussp�cifiquement l’aptitude à d�lib�rer en soi-mêmeavant d’agir et de parler . L’homme plein d’äss�äkse d�fie de la première impulsion, il ne s’abandonnepas à la colère et, lorsqu’il ne peut la faire taire enlui, sait la cacher à autrui » (ibid.) . Dans la Taga-raygarayt, les notions d’aššak et de tekarakit onttoutes deu� un sens proche de celui de « retenue » :« une bonne traduction de äss�äk pourrait être lemot français “retenue”, et cette retenue consisted’abord à user parcimonieusement de sa parole .Pouss� à l’e�trême, l’äss�äk devient la täkärakit,terme souvent traduit par“honte” . En fait, ce n’estlà qu’une des acceptions dumot ” […] . Disons quelà où l’äss�äk en reste à une parole retenue, latäkärakit dicte le complet silence » (ibid. : 47) .En r�sum�, avoir de la tekarakit ou de l’aššak, pourles Touaregs, c’est savoir faire preuve de retenue, etpar cons�quent poss�der les qualit�s constitutivesd’un comportement digne et honorable, compor-tement qui se manifeste aussi par une « patience »à toute �preuve (tezaydart), autre valeur essentielleau� yeu� desTouaregs .Même si la retenue n’est pasabsente des autres cat�gories sociales, elle est surtoutde mise pour les nobles, dont elle constitue la basedu st�r�otype les d�finissant . Qu’en est-il de l’atti-tude face à la nourriture en g�n�ral, et face à laviande en particulier ?

LES ATTITUDES FACEÀ LA NOURRITURE

Chez les Touaregs, l’attitude qui pr�vaut face à lanourriture est aussi la retenue . Comme dans

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l’ensemble des soci�t�s sahariennes, le quotidienest synonyme de frugalit� et l’hospitalit� est larègle (Baroin 2005 : 377) . Tout �tranger est invit�à partager le repas de ceu� qui l’h�bergent, aussifrugal soit-il . En g�n�ral, « le repas est toujoursplus riche et plus abondant lorsqu’un voyageurarrive au campement » (Bernus 1981 : 213) . Toutd�pend de la situation �conomique de l’hôte, etde la cat�gorie à laquelle appartient son invit� :« La nourriture offerte varie en fonction de deu�critères : la richesse relative de celui qui reçoit, etla qualit� de l’�tranger que l’on honore selon sonrang ou selon les liens particuliers qui vous unis-sent à lui : on ne fera pas grief à un pauvre den’offrir que du lait et de ne pas abattre d’animal .Mais l’homme de qualit� n’oubliera pas le cam-pement où la misère n’est pas apparente et qui nelui a pas offert un accueil correspondant à sonrang » (ibid .) .Si « la pr�sence d’un aliment d’origine animaleviande, beurre, lait, miel— est un indicateur sinondu statut social �lev�, dumoins de la consid�rationdans laquelle on tient celui auquel on offre un repascompos� de ces ingr�dients » (Benkheira 1999 :98), la viande semble être l’aliment qui t�moignede la plus grande consid�ration car elle n�cessite lamise à mort de l’animal, tandis que les autres sous-produits s’obtiennent sans sacrifice, et conserventintacte la richesse de l’�leveur . Sacrifier un animalrevient donc pour l’hôte à d�montrer son aisancemat�rielle ou à d�faut, sa g�n�rosit� .De son côt�, l’invit� prend soin de n’avouer ni safaim, ni sa soif, et �vite de se montrer trop gour-mand . L’usage veut que le plat offert soit rendu àpeine entam�10 . Le mode de vie des nomades, dansun conte�te climatique aride, y est pour beaucoup .Solidarit�, patience et endurance permettent demieu� accepter les conditions de vie dans lesquellesils �voluent : « Parler de nourriture est normalementconsid�r� comme peu raffin� par les Kel Ewey .Personne ne dit qu’il a faim, pas même le marilorsqu’il rejoint sa femme ni l’hôte qui vient deloin . On ne demande pas à manger, mais on attendde recevoir quelque chose . On ne remercie pas non

plus lamaîtresse demaison pour la qualit� du repas »(Spittler 1993 : 293) .Lorsqu’un campement se d�place, seules les femmesou les enfants sont autoris�s à boire en cours deroute . Les enfants eu�-mêmes apprennent très tôtà partager . Dès qu’ils reçoivent un os à moelle, desdattes ou une sucrerie provenant du march�, enbref, toute douceur ou part de festin, on les solli-cite : « “Fais goûter Fatimata” . Il s’agit surtout d’unjeu car les adultes rendent presque toujours la partentière . C’est un test ludique pour �prouver lag�n�rosit� de l’enfant ainsi qu’une mesure �duca-tive » (Spittler 1993 : 229) . Quand il part au pâtu-rage, le berger n’emmène pas d’eau, de peur qu’ondise de lui qu’il ne sait pas r�sister à la soif . Demême, dans les soir�es galantes de la jeunesse (appe-l�es a�al dans l’Ahaggar, takkayt dans laTagarayga-rayt), toute consommation de nourriture estproscrite : « la libert� de mœurs est de mise, mais“on ne consomme jamais ni boisson ni aliment àl’a�âl . La nourriture, comme toute consid�rationterre à terre et domestique, est frapp�e d’interdit”(Gast 1992 : 162, cit� par Bernus 2002 : 52) .La tradition du senti11 �voque aussi cette retenue :au cours d’un repas, il s’agit de ne pas changerbrusquement de sujet, sous peine d’être la ris�e desautres convives . L’homme « ne doit pas rompre lesilence ou �voquer brutalement une pens�e qui luivient à l’esprit » (Bernus 2002 : 65) . La satisfactionque l’homme �prouve en mangeant ne doit pasl’empêcher de maîtriser ses pens�es et de contenirses paroles .En tant que musulmans, l’attitude mod�r�e desTouaregs face à la nourriture coïncide avec celleprôn�e dans l’islam, qui e�ige de « manger modes-tement » . D’après Ahsan (1979 : 160, cit� parGoody 1981 : 215), Cette retenue dans les manièresde « table » e�istait d�jà à l’�poque des Abbasides :« Jahiz recommande comme compagnon de tablecelui qui ne retire pas la moelle de l’os, ne s’attribuepas l’œuf pos� au-dessus des l�gumes et ne se pr�-cipite pas sur les meilleurs morceau� » (ibid. : 160) .L’Islam n’est pas la seule religion à d�nigrer la gour-mandise : « Judaïsme, christianisme et islam…

10 . Sur les rituels d’hospitalit�, et leur implication dans la contraction d’alliances politiques et matrimoniales,se reporter à la description qu’en donne Saskia Walentowitz (2006) .11 . Cf. Bernus 1972 .

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continuent à perp�tuer une attitude de respect, defrugalit� et de culpabilit� vis-à-vis de la satisfactiondes besoins alimentaires » (Garine 1990 : 1553,cit� par Baroin 2005 : 377) .S’il est mal venu, de la part d’un noble, de dire qu’ila faim, un esclave en a la possibilit� . Quant auforgeron, il a pour habitude de qu�mander du sucrepour faire son th� . Ces distinctions de comporte-ment ne sont pas fig�es et constituent des st�r�o-types . Chaque cat�gorie sociale en est à la fois lacible et le relais . Ainsi, certains comportements sontadmis de la part d’un noble, tandis que lui-mêmeen attend d’autres de la part d’un esclave ; ce quipermet au� hommes de mieu� rep�rer les contoursde chaque groupe social .Chez les Touaregs, on retrouve plusieurs couplesd’opposition . Ainsi le cas du noble et du forgeron,ou encore du noble et de l’esclave, dont « les st�-r�otypes qui les caract�risent sont e�actementinverses . Les nobles sont consid�r�s comme desguerriers au�quels toute une s�rie de valeurs posi-tives est associ�e : le courage, la g�n�rosit�, labeaut�… Inversement, les inaden sont pr�sent�scomme peu courageu�, enclins à la rapine… »(2004 : 143) .De même, « le couple noble/aklimet en �vidence,�galement sur un mode ambivalent, l’oppositionentre la libert� et la servilit� (ibid .) . Ainsi, le nobleest r�put� sobre dans le choi� de ses vêtements, etdans le choi� des pièces qui composent le harna-chement de sa monture12 tandis que les esclaves etles forgerons opteraient pour des couleurs criardeset une surabondance de d�corations . La façonmêmedont se tient en selle un chamelier fournirait unindice permettant de deviner son origine socialeavant qu’il n’ait atteint le campement et d�clin�son identit� . À la libert� de parole du forgeron font�cho lamesure et la discr�tion des nobles . Demême,la sobri�t� des nobles au moment des repas sert dependant à la gourmandise proverbiale des esclaves .De tels st�r�otypes sont �galement employ�s ausujet des Haoussas . On m’a souvent affirm� que lecontenu d’une calebasse, destin� à plusieurs per-

sonnes chez les Touaregs, pouvait être « englouti »par un seul Haoussa en quelques bouch�es .En r�sum�, les st�r�otypes sont nombreu� car ilssont li�s à l’ensemble des sphères d’activit�s danslesquelles naissent les faits sociau� . Cependant, ilconvient de rappeler ici que les couples d’oppositionrelev�s sont plus proches du domaine de la r�pu-tation que de faits av�r�s : ils « renvoient à ununivers m�taphorique où il n’est question que d’uneseule personne : l’homme touareg, pr�sent� danstoute sa comple�it� » (2004 : 143) ; et finissent pasrefl�ter « la dualit�, voire la comple�it� de l’e�istencede l’homme » (ibid .) .Si des st�r�otypes regardent les comportements desTouaregs vis-à-vis de la nourriture en g�n�ral, il ene�iste donc aussi vis-à-vis de la viande en parti-culier ; les caricatures d�crites plus haut semblentmême e�acerb�es à son propos . En effet, les pratiqueset les normes attach�es à l’aliment « viande », ausujet de sa cuisson et de son partage notamment,cristallisent l’ensemble des rapports sociau� r�gissantle fonctionnement de la soci�t� .

LES ATTITUDES FACE À LA VIANDE

Si la retenue s’e�erce à tous les niveau� de la soci�t�touarègue, un adage c�lèbre met en garde contrel’aliment carn� en particulier : « L’eau, c’est la vie,le lait l’aliment qui nourrit, la viande l’ignominie(aman iman, ak� isudar, isan alg�ar) » . Associ�e auterme alg�ar, la viande suscite la bassesse et le d�s-honneur . Si les Touaregs craignent tant d’agir bas-sement en consommant de la viande, c’est qu’ilsl’appr�cient grandement dans un conte�te où lesoccasions d’en manger sont rares .Le lait et le mil constituent les bases de l’alimenta-tion touarègue . Les sacrifices animau�, eu�, n’agr�-mentent le plat familial qu’en des occasions bienpr�cises : la fête du mouton (Fig . 3), un mariage,un baptême, l’arriv�e d’un hôte de marque, etc .Dans leur « système domesticatoire » (Digard 1988),le privilège est accord� à l’utilisation des animau�

12 . Dans ses travau� sur le « style », « marqueur d’appartenance politique et sociale », Catherine Hincker arelev� cette « diff�rence de goût centr�e sur l’opposition entre l’abondance et la sobri�t� dans les d�corations »(2005 : 156) ; diff�rence qui s’e�prime aussi bien d’une cat�gorie sociale à une autre que d’une classe d’âge àune autre .

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fig. 3. – Ancienne captive préparant, aux côtés de son jeune fils,les abats de moutons égorgés par un noble religieux (fête dusacrifice, Abalak, 2006). Cliché S. Cabalion.

vivants (comme animau� de selle ou de bât, pourle lait, et commemonnaie d’�change contre c�r�aleset vêtements) . Les sacrifices �tant rares, la tentationd’en profiter quand l’occasion se pr�sente n’en estque plus forte . Or, c’est notamment à ce moment-là qu’il est n�cessaire de faire preuve de retenue . Pare�emple, on ne vole pas l’os à moelle r�serv� à sabelle-mère . Demême, on n’�gorge pas d’animal encachette pour �viter d’en avoir à partager la viande .Il faut contenir sa gourmandise, son avidit� commesa concupiscence .Pourquoi tant de circonspection à l’�gard de laviande ? D’une part, les Touaregs ne sont pas lesseuls à se repr�senter la viande comme un aliment« tentateur » : « dans nos civilisations occidentales,mais aussi dans d’autres, la viande a comme unrelent de p�ch� » (Barrau 1983 : 145) . Issue du«meurtre » d’un semblable— l’animal—, permet-tant au� hommes d’entretenir le lien social (Ben-kheira 2000), la viande serait « un vice, quelque

chose dont il faut se sentir coupable, un signe del’�tendue de notre d�ch�ance depuis l’�tat del’innocence originelle » (Pfeiffer 1969 cit� parBarrau 1983 : 144) .D’autre part, la viande a une particularit�, parrapport au� autres aliments : c’est qu’elle se d�bitefacilement en de nombreuses parts, et que les mor-ceau� constituant ces parts sont susceptibles d’êtredistingu�s ais�ment . En cela, elle est un moyenid�al de r�v�ler l’organisation de la soci�t�, à traversson mode de partage, ou de rejouer l’origine dumonde, à travers sa cuisson . La carcasse d’un animalpeut en effet être divis�e en autant de parts souhai-t�es et ce, de diff�rentes façons, contrairement aulait par e�emple, dont on ne peut guère s�parer quela crème . De même, les saveurs multiples des mor-ceau� issus d’une carcasse permettent une hi�rarchieplus fine que celle issue de la distinction entre laitfrais et lait caill� . À certains �choient des morceau�de « premier choi� », à d’autres, des morceau� de« second choi� », etc . Et l’ordre dumonde se trouveainsi confirm� dans la distribution des parts, avecles in�galit�s qu’il recèle .Le contenu classificatoire du sacrifice traite aussibien des distinctions de genre ou de cat�gorie sociale,que des diff�rences de classe d’âge ; et la distributions’effectue commun�ment sur unmode analogique .Ainsi, le cas des Iakoutes, qui « donnaient à leursenfants des oreilles, des yeu�, des nez chevalins,alors qu’ils s’en abstenaient pour les bovins, crai-gnant que les petits ne deviennent sourds commedes vaches après avoir consomm� des oreillesbovines ; morveu�, s’ils d�gustaient un mufle ;myopes, s’ils en avalaient les yeu� » (Ferret 2006 :804) .Chez les Touaregs aussi, les parts sont attribu�esselon le genre, l’âge, le m�rite suppos� et la cat�go-rie sociale de chacun : par e�emple, « les jeuneshommes qui sacrifiaient un animal devaient offrirles côtelettes plant�es sur la pointe de leur javelotà l’une des joueuses de violon du voisinage ; fautede quoi ils �taient raill�s et appel�s “les mangeursde côtelettes” » (Gast 1968 : 299) ; les enfantsreçoivent en g�n�ral la tête de l’animal ; à un pui-satier on donne habituellement « la queue et lesparties grasses qui y sont rattach�es » (Bernus 1983 :244) ; quant au� forgerons, leurs femmes reçoiventla peau de l’animal qu’ils ont d�pec�, en sus de

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« tanazermeyt », la partie du dos de l’animal allant« du cou à la plus basse des côtes » (ibid .) .Les e�emples sont trop nombreu� pour être �nu-m�r�s ici . Attardons-nous plutôt sur le cas desenaden, à qui les Touaregs ne refusent quasimentrien, qu’il s’agisse d’une part de viande, d’un objetou d’un service :« Le forgeron a droit � tout ce qu’il demande. On le craintdonc on préfère le satisfaire. Surtout s’il y a de la viandedevant ses yeux. Il a deux façons d’obtenir quelque c�ose.La première, c’est que la tradition veut qu’il a droit � cequ’il demande car il est en mesure de te railler (erreg-man). La deuxième, c’est qu’il a un pouvoir (ettama) quifait que si tu l’empêc�es de boire le lait d’une vac�e parexemple, la vac�e tombera malade. Si on lui refusequelque c�ose, sa concupiscence rendra l’objet ou l’animalmalade. Il n’aura même pas besoin de parler [sous-entendu pour jeter un mauvais sort, tagaršak]. Tout lemonde craint le forgeron. Il obtient toujours quelquec�ose, c’est son droit c�ez les Touaregs » (entretien avecO . Kh . M ., femme de la noblesse religieuse, de la tribudes Ijawanjawatar).

Leur rôle d’interm�diaires, jou� tant au niveau desmatières premières qu’ils transforment, qu’au niveaudes personnes qu’ils accompagnent dans le passaged’unmonde à un autre— aumoment du baptêmepar e�emple (Fig . 4)—, leur donne un relatif pou-voir . Ils sont craints, car « là où le système social envigueur e�ige que les individus jouent des rôlesambigus, donc dangereu�, on attribue à ces indi-vidus des pouvoirs incontrôl�s, inconscients, dan-gereu�, et d�sapprouv�s— comme la sorcellerie etle mauvais œil » (Douglas 1971 : 116) . C’est pour-quoi les nobles prêtent au� enaden un pouvoir deconvoitise particulier qui s’apparente de près à dela sorcellerie : ettama . Ne pas acc�der à la demanded’un forgeron est consid�r� comme risqu� . Nonseulement, ce n’est pas du meilleur effet sur cesdames, car si le st�r�otype veut que l’artisan soitqu�mandeur, un autre st�r�otype veut que le noblesoit g�n�reu� ; mais on risque �galement d’êtrefrapp� par quelque mauvais sort .Dans cette perspective, on comprend mieu� pour-quoi la position de « personnage de “l’entre-deu�” »(Claudot-Hawad 1996) confère au� enadenune position si particulière au sein de la soci�t�touarègue .Alors que les nobles e�ercent consciemment leurpouvoir et leur autorit�, les enaden e�ercent le leurde façon incontrôlable . Partenaires indispensables

fig. 4. – Forgeronne s’occupant d’oindre le front d’un nouveau-né pour son baptême : au premier plan, une patte de l’animalsacrifié, dont l’os a été brisé pour récupérer la moelle servantà appliquer la poudre d’antimoine et le henné (Abalak, 2006).Cliché S. Cabalion.

et irremplaçables, mais incontrôlables à la fois, ilsrepr�sentent en quelque sorte « une menace pourceu� dont la position sociale est mieu� d�finie »(Douglas 1971 : 118) . L’accusation de sorcellerieviserait alors à e�ercer un contrôle sur ces individus :« La sorcellerie serait la manifestation d’un pouvoirpsychique antisocial �manant de personnes qui sesituent dans les r�gions relativement non-structur�esde la soci�t� . Dans les cas où celle-ci peut difficile-ment e�ercer un contrôle sur ces individus, elle lesaccuse de sorcellerie, ce qui est une manière de lescontrôler » (ibid . : 119) .Comme annonc� plus haut, il n’y a pas que lepartage de la viande qui soit socialement significatif .Sa cuisson l’est �galement, en permettant en quelquesorte de « pr�dig�rer collectivement » l’aliment(Douglas 1971 : 142) . En outre, diff�rents typesd’oppositions se manifestent de façon universelledans le fait de cuisiner : l’« endo » et l’« e�o-cuisine » ;

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le « cru » et le « cuit » ; le « bouilli » et le « grill� »,notamment, retenus parClaude L�vi-Strauss (1972) .L’auteur ajoute que des affinit�s font pendant à cesoppositions : au rôti par e�emple, sont associ�s labrousse, l’e�t�rieur, le monde masculin, la vienomade, en bref, l’e�o-cuisine tandis que le bouillia des affinit�s avec la vie s�dentaire, la cuisson au-dedans d’un r�cipient, lemonde f�minin, etc . (ibid .) .Ainsi le cas du « rôti » et de la cuisson « sous lescendres » (akanaf ), qui relèvent chez les Touaregsdemodes de cuisson r�serv�s au� hommes, lorsqu’ilssont à l’e�t�rieur du campement ; et le cas du« bouilli », qui relève plutôt de « l’endo-cuisine »et du monde f�minin .

LES CONSOMMATIONSExTRAORDINAIRES :UNE RETENUE MOINDRE

En r�sum�, l’ordinaire repr�sente la retenue . En termede fr�quence, consommer de la viande est un �v�-nement e�traordinaire en soi . Mais si l’on considèreles consommations de viande à l’aune de la retenue,alors certaines consommations apparaissent commee�traordinaires justement parce qu’elles en sontd�nu�es . Donnons pour terminer un aperçu desprincipales circonstances dans lesquelles certainsTouaregs font preuve, selon eu�, demoins de retenueen matière de consommation carn�e .

les Produits cArnés issus de lA chAsseLes produits carn�s provenant de la chasse ne sontconsomm�s que par des cat�gories sociales autori-s�es à faire preuve de moins de retenue que lesnobles : les tributaires et les esclaves . Si les noblesd�nigrent la chasse, c’est parce qu’ils considèrentqu’elle est centr�e sur la satisfaction d’un besoinalimentaire . Or, ce qui relève du « mat�riel » estd�consid�r� : « l’homme se distingue de l’animalparce que la nourriture occupe une place moinsimportante dans sa vie que chez l’animal . Il passemoins de temps à chercher de la nourriture, maisse consacre à une diversit� d’autres activit�s » (Spitt-ler 1993 : 27) . C’est pourquoi la cueillette �tait�galement d�nigr�e . Les esclaves �taient charg�s decueillir fruits et gramin�es sauvages pour leursmaîtres .

Si, en p�riode de soudure, les plats des « riches »ne diff�raient alors guère de ceu� des « pauvres »,le reste de l’ann�e, seuls les esclaves se procuraientet cuisinaient de tels aliments . De même, seulsesclaves et tributaires pratiquaient la chasse . Le croîtdes troupeau� �tait cens� procurer suffisammentde produits carn�s et de lait au� nobles pour qu’ilsn’aient pas à « courir la brousse » à la recherche denourriture .En bref, pratiquer la chasse revient, pour unToua-reg noble, à reconnaître son manque de moyens,tandis que se passer de cette activit� coïncideraitavec un niveau de vie �lev� . Les tributaires — quiposs�daient moins d’animau� que les nobles — etles esclaves—qui ne poss�daient presque pas d’ani-mau� — gardaient les troupeau� des nobles . Nepouvant �gorger les bêtes dont ils avaient tradition-nellement la garde, puisqu’elles ne leur appartenaientpas, la chasse leur offrait un suppl�ment non n�gli-geable en produits carn�s . C’est aussi pour cetteraison qu’ils sont devenus des sp�cialistes de cetteactivit� .Enfin, le gibier occupe une mauvaise place dans lahi�rarchie des chairs animales car : « la vie sauvageimplique le non-lien, la peur de l’autre ou l’enviede s’emparer de ce qu’il possède . […] Si donc legibier est la moins bonne des nourritures carn�es,c’est parce qu’il est, parmi celles qui sont licites,l’une de celles qui s’opposent le plus à l’humanisa-tion de l’homme — c’est-à-dire la moins sociale »(Benkheira 2000 : 63) . C’est pourquoi ce sont lesanimau� qui ressemblent à ceu� �lev�s et consom-m�s par l’homme qui sont les proies les plus recher-ch�es (gazelles, antilope et mouflons, par e�emple,pour leurs traits communs avec les chèvres) .

le Petit gibier : une consommAtionenfAntineLa consommation de petit gibier (principalementde petits rongeurs, rats palmistes, gerboises, �cu-reuils, etc ., et de petits oiseau�) est une consom-mation e�traordinaire parce qu’elle n’est le fait qued’une seule tranche d’âge pour laquelle la retenuee�ig�e est moindre que pour les adultes, les jeunesgarçons toutes cat�gories sociales confondues : « lesenfants […] sans pr�jug� ni pudeur, arrivent parfois,à force de menues chasses à se satisfaire de pitancessuppl�mentaires à la ration familiale » (Gast 1968 :

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249) . Pratiqu�e sous forme de jeu, cette chasse leurfournit un appoint alimentaire non-n�gligeable quiles aide à tenir auprès des troupeau� de petits rumi-nants, dont ils ont la garde très jeune ; et les fami-liarise avec la brousse (essuf ) et l’abattage coranique,dont ils miment les gestes .

lA consommAtion de viAndedes membres du cortège du mAriéLa consommation de viande des Illagatan13 peutaussi être consid�r�e comme un cas de consomma-tion e�traordinaire, de type transgressif . En effet,les membres des Illagatan ne respectent pas les règlesde la convivialit� et agissent de façon « carnava-lesque », comme l’ont d�crit Edmond etSuzanne Bernus : « Certains d’entre-eu� s’habillentmal : ils ne portent pas de turban, se mettent par-fois torse nu […], ils mangent en public, […] oudevant des personnes qui devraient leur imposerune r�serve par leur âge ou leur situation, ils �corchentla langue tamas�eq (Bernus & Bernus 1981 : 347) .Selon Saskia Walentowitz, « ils ne m�nagent pasnon plus la religion constamment profan�e par despropos impies au� connotations parfois se�uelles .Les kel ilagatan priaient vers le nord ou l’ouest etd�peçaient les animau� vivants, sans passer parl’abattage rituel » (Walentowitz 2003 : 375) . Agirà l’inverse des codes de l’�tiquette correspond, làencore, à manquer totalement de retenue .Bien que les Illagatan agissant ainsi appartiennentle plus souvent au� cat�gories sociales faisant habi-tuellement preuve de moins de retenue que lesautres (forgerons, esclaves), ces derniers prennentsoin, en arrivant, de se pr�senter en qualit� d’« iwun-nanen » . Ce terme, qui d�signe dans un premiersens des « animau� sauvages » (Prasse 2003 : 828),et par e�trapolation, « des hommes peu civilis�s »(ibid . : 828), est employ� aujourd’hui au Nigerpour d�nommer les Haoussas, et en g�n�ral : « lesagriculteurs du sud qui ne parlent pas la languetouarègue » (Walentowitz 2003 : 374) . En arrivantdans le campement de la mari�e, et pour faire croirequ’ils ne connaissent ni les usages, ni la langue des

Touaregs, les Illagatan crient « iwunnanen tengalaz », ce qui signifie : « Les sauvages meurt (sic) defaim ! » . Cette phrase comprend une grossière erreurde conjugaison : la terminaison du verbe �tant auf�minin singulier, tenga, alors qu’elle devrait êtreau pluriel, ing�an . La faute, commise à dessein, viseà lever l’�quivoque : puisqu’ils commettent pareilleerreur de grammaire, ils ne peuvent appartenir au�« gens de la temajeq » . C’est pourquoi, le temps dela c�r�monie, ils n’agiront pas comme desTouaregsmais comme des hommes « peu civilis�s » . Tout sepasse comme si cette faute de grammaire, pronon-c�e d’entr�e de jeu, « pardonnait » les �carts commisensuite ; les mettant « hors de port�e du code del’honneur et de la dignit� » (Walentowitz 2003 :375) . La c�r�monie du mariage, à travers cette« parodie des valeurs » pour reprendre l’e�pressionde Raymond Jamous (1981 : 265) peut alors sed�rouler à lamanière d’une repr�sentation th�âtrale,et d�voiler, de façon invers�e par l’intervention desIllagatan, la structure de la soci�t� touarègue dansson rapport à l’honneur et à la retenue .

le sAcrifice taghtestDans les tribus de la noblesse, un sacrifice singulieravait14 lieu le jour de l’arriv�e des Illagatan dans lecampement de la mari�e . Il s’agit du sacrifice d’untaureau ou d’un taurillon, appel� tag�test . Cet abat-tage est le seul qui ne se d�roule pas comme lepr�conise l’islam . En effet, l’animal est cours� dansle campement en direction de la tente des parentsde la mari�e, puis, un ou plusieurs jarrets de l’ani-mal sont tranch�s au moyen d’une �p�e par unmembre des Illagatan, de façon à ce que l’animals’�croule . Alors seulement il est �gorg� et d�pec�selon les pr�ceptes coraniques . Certains croyantstouaregs d�plorent cette pratique, consid�rant quela section des jarrets inflige une souffrance inutileà l’animal, ce qui est r�prouv� par l’islam . L’abattagemusulman doit être rapide et d’un seul tenant .Deu� hypothèses peuvent être �mises sur l’originede ce type d’abattage . Ou bien, le sacrifice tag�testremonte à une p�riode ant�islamique, quand l’islam

13 . Nom du cortège comprenant les amis du mari� charg�s de chercher l’�pous�e dans son campement pourl’accompagner ensuite dans celui de son mari .14 . Aucune immolation de ce type n’a pu être observ�e en plus de deu� ans de terrain . Le rituel est en trainde disparaître .

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Des cat�gories animales au� cat�gories sociales chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

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n’avait pas encore codifi� l’abattage, c’est-à-dire queles Touaregs n’avaient pas encore pour recomman-dation d’�viter des souffrances inutiles à leurs vic-times sacrificielles . Ou bien, le rituel tag�test est n�après l’islamisation des Touaregs, et consiste, dansle cadre des actes « sans vergogne » et transgressifscommis par les Illagatan, à enfreindre les règles del’abattage coranique . La question de l’origine decet abattage singulier reste pos�e ; mais la notionde retenue y apporte un �clairage nouveau .Quant à la signification du rituel, plusieurs pistesont d�jà �t� �mises et certaines d’entre elles se rejoi-gnent . À propos de l’animal tout d’abord : le taureausymbolise « dans de nombreuses mythologies laforce, la puissance physique et g�n�sique, la ferti-lit� » (Lafranchis 1989, cit� par M . Hachet 1990 :109) . Chez les Touaregs aussi, il joue un rôle dansla r�ussite dumariage : « dans de nombreu� poèmeset chants li�s au� c�r�monies de mariage, le taureauest �voqu� comme celui qui va rendre f�condes lestentes » (Casajus 1987, cit� par Hachi 1998 : 119) .De plus, l’animal et l’homme arrivent tous deu� del’e�t�rieur : l’animal vient de la brousse ; l’homme,d’un autre campement . Tous deu� repr�sentent lemonde sauvage (essuf ) . L’animal est du reste cours�de la même façon que sont chass�s les animau�sauvages : la technique qui consiste à couper lejarret �tait, en effet, utilis�e à la guerre, ou à lachasse, pour immobiliser lamonture d’un adversaireou faire crouler une proie15 . Quant à l’homme, ilarrive de la brousse, et appartient à un cortèged’iwunanen au�mœurs �tranges, les Illagatan .Tousdeu� vont, à partir de leur entr�e dans le campe-ment, être trait�s de manière à int�grer le domainede l’int�rieur, essentiellement f�minin . L’animalsera �gorg� comme tout animal domestiqu�, selonles pr�ceptes coraniques .Quant à l’homme, « domes-tiqu� » lui aussi, il sera à l’avenir à l’abri sous latente de sa femme, « une aire close, loin de la soli-tude (essuf) et de ses vents qui effacent la substancede l’être » (Claudot & Hawad 1984 : 172) .

L’attitude dans laquelle se retrouve l’animal, lorsqu’onlui a coup� un ou plusieurs jarrets, est �galementsignificative . Ne pouvant plus tenir sur ses pattes,l’animal tombe et se pr�sente dans une position defaiblesse, voire de soumission, qui rappelle la retenuedont doit faire preuve un homme vis-à-vis de sabelle-famille . Interrog�s à ce sujet parCristina Figuei-redo auMali, lesTouaregs duGourma voient « dansle rituel de tag�test unemanière pour le futur �pou�de dire que, malgr� sa puissance (symbolis�e parl’animal), il se soumet à sa femme en se mettant àgenou�, une manière d’e�primer sa d�f�rence vis-à-vis de sa future belle-famille mais aussi de sesoumettre à la valeur sacr�e du mariage […] »(Figueiredo-Biton 2001 : 420) . En s’inclinant, letaureau symbolise l’alliance scell�e entre les deu�groupes de filiation, et l’attitude respectueuse del’animal augure de l’attitude respectueuse qui doitêtre celle de l’homme envers sa femme .Le verbe employ�, eg�tes, à partir duquel est form�le nom du rituel (tag�test), signifie « couper » ;comme s’il s’agissait, en quelque sorte, de « couper »une femme de son groupe de filiation, à l’image dumembre coup� qui se d�tache de l’animal . C’estaussi le cas chez les Touaregs du Mali, où l’« on ditqu’une tente va être coup�e (ag�atas n é�an), celasignifie en fait qu’une nouvelle tente va se d�tacherde la tente familiale » (Figueiredo-Biton 2001 :420) . Vu l’importance accord�e à la parent� matri-lin�aire, y compris dans la conf�d�ration de laTagaraygarayt, pourtant patrilin�aire, le fait deprendre une femme ôte donc symboliquement àun groupe une partie de ce qui fait sa force, et luipermet de tenir debout . Le tort est symbolique, caren fait la parent� maternelle continue de fonction-ner, même en dehors du campementmaternel .Maisphysiquement, tort il y a bien, car la femme quitterason campement pour rejoindre celui de son mari .De même que la patte de l’animal ne repousserapas ; et les enfants « appartiendront » à la tribu dumari .

15 . H . Lhote en t�moigne : « […] dans les poursuites faites à cheval, il n’est pas rare de voir le chasseur, lorsqu’ilest à hauteur du gibier, que ce soit une antilope ou une autruche, lui sectionner le jarret d’un coup de sabre etprovoquer ainsi son effondrement . Le sabre est �galement l’arme utilis�e par certains chasseurs qui n’h�sitentpas à se mesurer avec le lion et s’efforcent de lui couper les jarrets . […] dans les deu� cas, la technique est lecoup de Jarnac classique qui provoque l’effondrement de la bête et la met à la merci du chasseur » (Lhote 1951 :51) .

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En cela, on peut dire que la tag�test repr�sente unrituel sacrificiel de protection apparent� à la tc arguibamaure �tudi�e par Pierre Bonte (1999) : il s’agit dedemander une protection, en l’occurrence ici, à laparent� maternelle, pour les enfants qui seront issusde l’union ; et de « reconnaître un « tort commis »,ici à la famille de la mari�e : celui d’avoir ôt� unefemme à la vie de son campement, et d’affilier lesfuturs enfants au groupe du mari� (ibid . : 243) .Foucauld ne mentionne-t-il pas le sens suivant duverbe eg�tes : « […] appauvrir complètement (faireperdre tous ses biens) » (Foucauld 1951 : 1791) ?Le fait que l’animal tombe à genou pousse à inter-roger le champ s�mantique du mot « genou »�galement . Or, il y a là matière à r�fle�ion . Carafud, terme panberbère qui d�signe le genou, estaussi employ� pour d�signer d’autres notions,abstraites, telles que la « force » et la « bataille »(Claudot-Hawad 1998 ; Galand-Pernet 1970),ou encore le « courage individuel » (Chaker 1985) .Priver un animal puissant comme le taureau deson genou, c’est �voquer le courage du mari, dontun des acolytes se charge de cette dangereuse tâche .C’est aussi symboliser la pai� dans laquelle le mari�vient pour emporter sa femme, afin de r�parer letort qu’il est sur le point de commettre . Or, d’aprèsH�lène Claudot-Hawad, cette « seconde accepta-tion de efud se r�fère […] à une position de combatqui consiste à faire face à l’ennemi avec un genoufermement ancr� dans le sol . Le “fait de mettregenou en terre” (igi n efud dag� amaddal) ou de“rentrer genou en terre” (égaz n efud amaddal)connote la d�termination in�branlable du guerrierqui est arrim� au sol avec lequel il fait corps »(1998 : 30-39) .Dans ce sens, le sacrifice taghtest symbolise doncaussi le fait que le mari soit sûr de son choi�, etl’image du taureau dont les genou� se fichent enterre rappelle le guerrier fermement d�cid� à end�coudre . Voilà pourquoi eg�tes signifie enfin, ausens figur� : « trancher [une affaire] [entre deu�parties adverses] (en rendant un arrêt qui terminel’affaire) » (Foucauld 1951 : 1791) .

Poisson et volAille :des consommAtions nouvellesD’autres consommations sont e�traordinaires . Cesont les consommations « nouvelles » de sardine et

de volaille (poules, pintades), en d�pit d’une aver-sion s�culaire concernant oiseau� et poissons danstout le monde touareg : « l’aversion des Kel Ahag-gar pour les volatiles se retrouve en ce qui concerneaussi les poissons . L’aspect physique du poisson,son odeur, les r�pugnent » (Gast 1968 : 251) . C’estnotamment parce qu’oiseau� et animau� marinsne se d�placent pas comme les êtres humains etqu’ils ne sont pas des « marcheurs » (Poplin 1988),mais volent ou nagent, que les hommes d�consi-dèrent leurs chairs . D�jà au VIIe siècle, « les Arabes[…] connaissaient et appr�ciaient surtout les ani-mau� qu’ils �levaient— c’est-à-dire leurs animau�domestiques » (Benkheira 2000 : 66) . Il n’est doncguère �tonnant, dans une culture pastorale, deconstater des r�pugnances à l’�gard « de la volaille,des œufs, du poisson et même du gibier » (ibid .),car ils n’appartiennent pas à la sphère des animau�accompagnant les nomades dans leurs d�placements .En outre, la croyance en la transitivit� « fait redou-ter d’assimiler des charognes, du putride, ou d’êtreenvahi par une force sauvage et d’être rejet� ducivilis� » (Baratay 2003 : 128) ; ce qui e�pliqueaussi le fait que les Touaregs ne consomment pascertains oiseau�, « en particulier les poulets, lespigeons, les cangas, parce qu’ils allaient chercherleur nourriture dans les ordures » (Lhote 1951 :40) .Certaines espèces font figures d’e�ception depuislongtemps : les autruches et les outardes ont �chapp�au tabou pesant sur les oiseau� parce qu’elles nevolent pas ou peu, et fournissent plus de viandeque les autres oiseau� ; elles �taient souvent chass�espar les tributaires et les esclaves . Aujourd’hui, lespoules et les pintades, qui volent très peu �galement,sont �lev�es et consomm�es par lesTouaregs s�den-taires, suivant ainsi l’e�emple de leurs voisinsHaous-sas . Des techniques, autrefois r�serv�es au� grandsruminants, sont d�sormais utilis�es pour des espèces�lev�es r�cemment (Fig . 5) .Quant au poisson, il est encore rare de voir lesTouaregs en consommer . L’aversion est toujourstrès pr�gnante . CertainsTouaregs, parce qu’ils sonts�dentaires ou familiers des menus touristiqueslorsqu’ils travaillent dans des agences de voyage,font fi de ce tabou s�culaire : « […] depuis cescinquante dernières ann�es, les nomades se sontmontr�s de plus en plus ouverts au� nouveaut�s

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Des cat�gories animales au� cat�gories sociales chez les Touaregs (Tagaraygarayt, Niger)

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fig. 5. – Poule entravée à la façon d’un grand ruminant. ClichéS. Cabalion.

culinaires . S’ils refusent parfois de manger un pois-son frais, ils appr�cient d�sormais particulièrementles sardines en conserve » (Gast 1968 : 251) . Il enest de même au Niger, où la « perche du Nil » —ou « capitaine » (Lates niloticus) —, pr�sente dansles eau� courantes ou stagnantes auNiger, est encoretrès peu consomm�e par les Touaregs .

le stAtut Ambigu de lA viAndede dromAdAireVenons enmaintenant au cas particulier de la viandede dromadaire . Sa consommation est e�traordinaireen terme de fr�quence et ce, pour plusieurs raisons .Les Touaregs pr�fèrent vendre l’animal plutôt quede consommer sa viande et perdre ainsi sa valeurd’�change . En outre, ses capacit�s de reproductionsont plus lentes que celles des petits ruminants .Mais, si l’on considère cette consommation sousl’angle de la retenue, c’est aussi parce que l’animalincarne cette valeur chère à la soci�t� touarèguequ’on ne le consomme quasiment jamais .

Sa sobri�t� et sa r�sistance lui confèrent une placesingulière : le dromadaire peut se retenir de boirependant plusieurs jours en saison chaude, parfoisdes semaines en saison froide, soulageant par lamême occasion le travail d’e�haure de l’�leveur .Gerd Spittler, qui a travaill� sur le comportementdes Touaregs face au� s�cheresses et au� famines(1993) s’est souvent vu r�pondre : « on ne peut pass’habituer à la soif », lorsqu’il leur disait que, « contrai-rement à [lui], ils sont habitu�s à ces privationsdepuis leur plus jeune âge » (ibid . : 267) . C’estpourquoi, dans ce domaine, « ils ont une admirationparticulière pour le chameau qui peut survivre cinqjours grâce à ses r�serves d’eau, même pendant lasaison la plus chaude » (ibid . : 268) . Le dromadairecouvre en outre de plus longues distances que lesautres animau� . Enfin, il ne blatère pas à tout boutde champ . En t�moigne ce r�cit donn� par HenriLhote, qui s’�tonne du silence des montures toua-règues, en comparaison de celles des Maures : « Lesilence des chameau� touaregs a toujours surprisles Maures dont les montures sont, en g�n�ral,moins bien dress�es et surtout, moins silencieuses .Ceu� qui ont quelque e�p�rience des unit�s mili-taires m�haristes ont �t� frapp�s de voir baraquer,dans un concert de blatèrements, un peloton d’ungroupe nomade soudanais, alors que les m�haristestouaregs le faisaient dans le silence le plus complet »(Lhote 1987 : 82) . Marceau Gast a lui aussi relev�la discr�tion des dromadaires �lev�s par lesTouaregsde l’Ahaggar, en Alg�rie : « Les chameau� desHautsPlateau� alg�riens, appel�s Marokki, courts surpattes et à longs poils, nous ont paru beaucoup plusbruyants . Les dresseurs de l’Ahaggar s’efforcenttoujours d’habituer leurs animau� au silence et àla discr�tion . Un m�hariste peut arriver de nuitdans un campement et faire baraquer sa monturedans un silence total » (Gast,Maubois&Adda 1969 :28) . Les Touaregs dressent leurs dromadaires dansce but et affirment qu’un âne est incapable de lamême prouesse .C’est pour sa discr�tion, son endurance et sa rete-nue, naturelle ou obtenue par dressage, que ledromadaire est consid�r� comme appartenant à lamême cat�gorie que la noblesse touarègue, celle desilallan : « Il est mals�ant de se nourrir d’un chameaudomestique qui porte un nom, a particip� à la viedu groupe, au� guerres, au� e�odes, qui est parfois

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16 . Dans Les lois de l’imitation, Gabriel Tarde �crit : « Toujours et partout, on voit la noblesse, dès qu’elle lepeut, imiter ses chefs, rois ou suzerains, et la plèbe, dès qu’elle le peut aussi, imiter la noblesse . À Constantinople,sous les empereurs byzantins, “la cour regarde le prince, dit Baudrillard dans son Histoire du lu�e ; la villeregarde la cour pour s’y conformer ; le pauvre tourne sa vue vers le riche et veut avoir sa part de lu�e »(Tarde 1890 : 243) . C’est par « imitation », que les jeu� de carte au�quels s’adonnait la Cour ont envahi lescaf�s du peuple ; et « les formes et les rites de la politesse se sont r�pandues suivant la même voie » (ibid. :243-244) .

fig. 6. – Chamelle au pâturage aérien dans la ville d’Abalak(2006). Cliché S. Cabalion.

chant� le soir dans les fêtes » (Gast 1968 : 128) .Lesmembres de la noblesse �vitent de le consommercar ils craignent de manger un pair et de faire acted’anthropophagie . Certaines tribus nobles refusentcat�goriquement sa consommation . D’autres, àl’instar des hommes de cat�gories sociales plusmodestes, n’�gorgent cet animal que lorsqu’il estbless� ou malade, pour ne pas gâcher sa viande,après tout licite . Tout d�pend donc de la distanceà laquelle on place cet animal, emblème de la noblessetouarègue et de la retenue dont elle fait preuve . S’ilest inconcevable de consommer sa propremonture,on peut toutefois offrir sa viande à d’autres . Demême, si l’animal ne satisfait plus son propri�taire,ce dernier pr�fère en g�n�ral le vendre à un autre�leveur plutôt qu’à un boucher . Enfin, si leTouaregchoisit de faire fi de la retenue, et de consommerquand même de la viande de dromadaire, il pr�-tendra alors que cette viande est un « remède »(amagal) grâce au r�gime alimentaire particulier del’animal . En effet, le dromadaire est le seul animaldomestique capable, grâce à son long cou, d’atteindreles feuillages qui constituent le pâturage a�rien(Fig . 6) .Certaines de ces feuilles �tant utilis�es dans despr�parations th�rapeutiques, lesTouaregs affirmentque la viande de dromadaire transmet les vertus desplantes que l’animal a ing�r�es . Demême que boiredu lait de chamelle protège de la soif, les Touaregspr�tendent quemanger sa viande rend plus r�sistant .Cette diversit� des pratiques se retrouve aussi enFrance . À la question « Peut-onmettre sa reine dansla casserole ou sur le gril ? », les r�ponses recueilliesauprès des �leveurs interrog�s par Preiswerck «mon-trent l’e�trême diversit� des sensibilit�s, donc despratiques : “Certains vous diront oui, d’autres dirontimpossible . Certains diront que manger la vachequi vous a fait le plus de plaisir, c’est d�doubler lebonheur, c’est se l’incorporer . D’autres diront quepour l’avoir tant aim�e, aucune reine ne peut deve-nir le rôti du dimanche” . Cette dernière affirmation

est contredite par ceu� qui “pensent à la reine enla mangeant et imaginent qu’elle est g�n�ratriced’une force particulière” (Preiswerck&Crettaz 1993 :47, cit� par Brisebarre 1998 : 126) .Le statut d’une viande peut donc être ambigu . DanslaTagaraygarayt, les �leveurs �vitent de consommerde la viande de dromadaire, parce qu’elle provientd’un animal e�traordinaire incarnant une valeurchère à tous lesTouaregs, ne serait-ce que parmim�-sis16, en tant que principe « modèle » associ� à lanoblesse : la retenue . Mais certains d’entre eu�considèrent aussi sa viande comme « e�traordinaire »parce qu’elle transmettrait les qualit�s de l’animaldont elle provient . Consommer ou non de la viande

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fig. 7. – K. et son taxi-brousse de fortune ; un mortier fait officede volant (Tahoua, 2005).Cliché S. Cabalion.

de dromadaire ? Entre les deu� options, l’avis desTouaregs balance .Si les codes de la soci�t� �voluent, et que le statutde l’animal lui-même se « d�mocratise » (termeemprunt� à B . Lizet 1996 : 46), le statut de saviande se modifiera peut-être aussi . Il est possibleque l’impact de la notion de retenue se dilue, notam-ment avec la disparition du pouvoir de la noblesseet des hi�rarchies traditionnelles au profit de lad�centralisation, de la s�dentarisation et de la sco-larisation des Touaregs . Le 4�4 est d’ailleurs enpasse de d�trôner le « vaisseau du d�sert », et lesenfants vivant en ville imitent d�sormais plus volon-tiers des chauffeurs que des chameliers (Fig . 7) .Rien ne permet d’affirmer que, jusqu’au jour où« les poules auront des dents », ou « tant que le laitsera blanc » (comme disent les Touaregs), le dro-madaire et sa viande b�n�ficieront ind�finiment dumême statut . Celle-ci repr�sentera peut-être suc-cessivement une consommation e�traordinaire, puisordinaire, ou encore, continuera à être tiraill�e entreces deu� statuts . En outre, le sort de toute viandeest li� à celui des autres viandes : les sacrifices dedromadaires �tant de plus en plus rares, de mêmeque ceu� de taureau�, les Touaregs sacrifieront-ilsà leur place de plus en plus de moutons ? C’est ceque poussent à croire les propos de MohamedHocine Benkheira . Selon cet auteur, c’est le bœufque les berb�rophones des montagnes auraientconsacr� comme « ruminant le plus noble » (Ben-kheira 1999 : 101), tandis que les citadins, influen-c�s par les recommandations des « oul�mas desvilles » (ibid .), auraient opt� depuis longue datepour le mouton . Or, avec la s�dentarisation crois-sante des nomades, la paup�risation des nouveau�citadins et l’influence grandissante de l’islam, onpeut supposer que le mouton trônera un jour pro-chain au sommet de la hi�rarchie des victimessacrificielles chez les Touaregs . Gerd Spittler quantà lui, avance que la religion musulmane encouragela consommation de dromadaire : « L’aversion desKel Ewey est d’autant plus remarquable que laconsommation de viande de chameau se r�pandavec l’e�pansion de l’islam » (Spittler 2003 : 256) .Reste à savoir quelle sera la marge entre les recom-mandations des « h�rauts de l’orthodo�ie musul-mane » (Benkheira 1999 : 101) et les pratiques desTouaregs .

CONCLUSION

Pour conclure, rappelons qu’il n’entrait pas dans lepropos de cet article d’e�plorer l’�volution desconsommations carn�es chez lesTouaregs . Il s’agis-sait plutôt de rep�rer l’« e�traordinaire », enmatièrede viande, pour les nomades de la Tagaraygarayt .Comme la plupart des hommes, lesTouaregs appr�-hendent le monde animal et choisissent les viandesqu’ils consomment d’après trois consid�rations : ladistance de l’animal à l’homme, la croyance en uneassimilation transitive des qualit�s et des d�fauts,et la prohibition de l’anthropophagie . Les consom-mations de viande varient selon de multiples fac-teurs : culturels (comme la religion, la cat�goriesociale, le se�e ou l’âge de l’individu), mais aussiobjectifs (tels que le climat, les �pizooties, la sen-sation de faim ou de soif, les maladies, etc .) . Or,l’�tude du rapport desTouaregs à la viande a consti-tu� un e�cellent r�v�lateur de la notion de « retenue »(tekarakit) qui imprègne l’ensemble de leurs règlesde « savoir-vivre » . Si la retenue constitue l’« ordi-naire » en matière d’habillement, de langage ou deconsommation de viande ; l’absence de retenuerepr�sente l’« e�traordinaire » . Cette notion nousa donc permis de d�passer la multiplicit� des fac-teurs en lien avec le r�gime carn� de toute soci�t� .Enfin, elle nous a permis de d�montrer que lesconditions sociales de consommation d’une viandesont d�terminantes . À toute hi�rarchie sociale font

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Soumis le 13 février 2009 ;accepté le 29 avril 2009.