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24 MAGAZINE DANSE – Pour les 25 ans de son atelier de danse et les 20 ans de son Ballet de l’Ambre, Joëlle Prince a donné leur quinzième création à Delémont. Récidive d’un succès intégral ce samedi sur la grande scène de la salle communale de Vicques Yves-André Donzé L’événement s’est déroulé le week-end dernier à Delémont: une cinquantaine de danseurs et danseuses ont envahi la scène aménagée dans la froidure de la Halle des expositions à Delémont. Motif: la fête à la danse moderne, et plus parti- culièrement à celle de l’Atelier de l’Am- bre qui a tout juste 25 ans et du ballet du même nom qui a 20 ans. Une majorité d’autant plus visible que Joëlle Prince, directrice, animatrice et chorégraphe, proposait sa quinzième création: Race of Life. Une production contemporaine à onze danseuses. Un mouvement et une vision du monde qui dépassent le geste esthétique. Avec une grande maturité comme valeur ajoutée. Le spectacle était précédé de Peter Pan, une magie spectaculaire d’après le ro- man The little white bird (Le petit oiseau blanc) de James Matthew Barrie et la pièce qui en est issue Peter and Wendy. La pièce a traversé les âges sous le titre de Peter Pan. Joëlle Prince, assistée de Do- riane Locatelli, de Claire Domon et de Francisca Willemin, emmène tout l’ ate- lier de danse dans un imaginaire foison- nant qui n’a rien d’un Disneyland en carton pâte. On serait plutôt dans un ar- rière-fond de Songe d’une nuit d’été (à la Skakespeare) à suivre Wendy (Noémie Horisberger) et Peter (Jordan Esch- mann) emmenant les deux petites fran- Peter Pan et Race of Life, deux chorégraphies de l’Atelier et du Ballet de l’Ambre, samedi soir à la salle communale de Vicques, 20 h 30 Des corps pour défier le monde contemporain et dessiner un monde de chaleur Le Ballet de l’Ambre dans une nouvelle création, The Race of Life. PHOTOS ROGER MEIER LQJ • JEUDI 25 SEPTEMBRE 2008 gines aux confins de la nature et ses res- pirations sylvestres et tourbeuses. Nature sauvage et danse naturelle La musique, une sorte de symphonie jazz électronique ouvre le cadre imagi- naire qui débute en valse dans un décor minimal: un lit, une porte-fenêtre, un jouet. L’éclairage très élaboré de Chris- tian Halkin distribuera le chaud et le froid. Le monde des fées surgit avec les sons flûtés de la clarinette et le flux des accords fuyant dans les lointains. On bascule du côté des pirates du Capitaine Crochet (Thomas Girard). Alors on se trouve dans la danse scandée. On tra- vaille la figure collective codée et plus loin le pas de gigue ou de claquettes. Tous les degrés d’avancement dans la danse chorégraphique se côtoient dans un joyeux tourbillon. Jamais ne sent-on l’exercice ni la contrainte du pas.Au plus, on découvre avec les tout-petits (les In- diens) comment le rythme initie le mou- vement et combien ce dernier se coor- donne naturellement quand il est en symbiose avec celui des autres. La nature sauvage devient danse au mitan du monde organique, aquatique, primitif, un monde de début du monde souligné par le son de la voix, de la harpe, du chœur. Des vagues aux fluctuations ima- ginaires, sirènes, oiseaux, crocodiles, fées, lucioles, fleurs effrayantes se nourrissent Un grand sentiment d’équilibre se dé- gage également de Race of Life. Une pres- tation des danseuses les plus chevron- nées, de 17 à 28 ans, celles du Ballet de l’Ambre. Ici aussi la chorégraphe delé- montaine confronte son propre monde à celui d’autres chorégraphes tels que ce- lui du Cubain Ismael Lorenzo. On se trouve donc dans une expression diffé- rente, plus abstraite, voire symbolique. Comme son nom l’indique, nous assis- tons à une course pour la vie qui s’orga- nise. Avec des énergies contraires et onze corps qui s’attirent ou se rejettent, qui se délitent ou s’agglutinent. On glisse alors vers une solitude convenue, stress et im- passes compris. Avec des moments quasi théâtraux, cabotins. Du monde froid contemporain va naître un désir. Un désir d’émancipa- tion, ce qui semble le plus évident dans cette création. Le mouvement est projeté vers l’extérieur. Comme si du dedans du corps ou d’une aire de lumière, d’un rec- tangle, il fallait circonscrire les enferme- ments pour libérer une énergie venue d’ailleurs. Une énergie provoquée par une chaleur retrouvée. Le mouvement n’a plus qu’à s’insérer dans cet anticy- clone, dans une verticalité de plus en plus ascendante. Une chorégraphie non dénuée d’humour sur les musiques tzi- ganes de Bratsch, de Yann Tiersen et de Peter Gabriel, et qui finit avec un bébé sur la scène au milieu des ovations. Un spectacle reçu comme un hymne à la vie dans une synchronisation impression- nante pour des amateurs. Le prix d’un an de travail et de week-ends de mise au point. Un spectacle reçu comme un hymne à la vie Maxime Grand Samedi et dimanche, le public jurassien a pu entendre l'Orchestre symphonique du Jura sous la di- rection de Facundo Agudin inter- préter des œuvres romantiques au Noirmont et à la collégiale de Moutier. Pour sa huitième saison, l'orchestre, dont la composition a évolué tant en qualité qu'en cos- mopolitisme, a joué Der geigende Eremit de Max Reger, l'ouverture- fantaisie Roméo et Juliette de Tchaï- kovski ainsi que la Symphonie du Nouveau-Monde d'Antonìn Dvor˘ák; ces musiques évoquent successivement une peinture, une tragédie et un pays. L'ermite jouant du violon est d'abord un tableau d'Arnold Böck- lin. La musique, peu connue, de Reger qui s'en inspire a été une in- troduction opportune pour inviter les auditeurs à l'écoute; les cordes au son remarquablement velouté et équilibré forment un tapis qui ondule avec de larges mouvements sur lesquels le violon émouvant et élégant de Giovani Barbato ex- prime par bribes la paisible médi- tation du moine solitaire. On entre dans le «grand réper- toire» avec l'ouverture de Tchaï- kovski où l'ensemble de l'instru- mentation de l'orchestre – bois, cordes, cuivres, percussions et la harpe – mêlent leurs couleurs, dans ce résumé contrasté de la tragédie des deux amants de Vérone. Après les premières notes lancinantes où le chef privilégie l'ampleur du souf- fle à davantage de reliefs, la haine qui oppose les familles de Roméo et Juliette est évoquée par un devé- loppement en crescendo qui s'élève avec l'implacabilité d'un raz-de- marée. Un instant magique est réa- lisé par les cordes lors d'une des re- prises de la mélodie contournée qui évoque la passion empoison- née du couple: les violons se font surréels. Evidemment, le contraste est saisissant avec la violence du dé- nouement tragique exprimé à grands renforts de percussions to- nitruantes qui annoncent déjà toute la musique de film du XX e siècle, et conclut la pièce. L'histoire de la dernière œuvre est surprenante, puisque Dvor˘ák est appelé aux Etats-Unis pour fon- der une «école de musique améri- caine» et la réalisera en emprun- tant des motifs indiens et noirs américains que l'on retrouve dans sa symphonie. Le premier mouve- ment évoque une calvalcade dans les grands espaces du Nouveau- Monde avec des mélodies indien- nes souriantes qui font penser aux westerns. Le chef et l'orchestre s'amusent aussi dans le «largo» avec une mélodie que l'on freine pour le plaisir et peut-être pour briser des conventions d'écoute en- croutées. Le troisième mouvement, à part un clin d'œil musical à Beet- hoven, laisse un peu l'auditeur sur sa faim: la composition un peu hé- téroclite n'aide pas l'orchestre à maintenir la fascination, malgré les interventions ludiques du triangle. Enfin, le dernier mouvement, assez martial et grandiose, rappelle tous les thèmes pour saluer un public conquis. L'OSJ et la musique «à programme» CRITIQUE | Secrets de Transylvanie Déniché au fin fond de la Transylvanie, le Codex Caioni, recueil de manuscrits du XVII e siècle, ne révélera ja- mais tous ses secrets: ce qu’il a de plus précieux n’a pas forcé- ment été retenu sur papier au temps où la notation abrégée suffisait aux interprètes. Jean- Christophe Frisch et les musi- ciens du Baroque Nomade se sont tout de même penchés sur cette collection. Ils en ré- vèlent la fabuleuse vivacité en faisant se côtoyer clavecin et percussions traditionnelles, violes de gambe et violons tsiganes, voix et flûte traversière. Des horizons musicaux se rejoignent pour créer un climat d’une chaleur et d’une profondeur aussi touchantes qu’insoupçonnées. (bi) Le Baroque Nomade, Codex Caioni, Arion, dist. Dis- ques Office. BAROQUE | de lumières fugaces et le geste raconte plus sûrement que la parole. Peter Pan peut ainsi se retrouver dans les airs au moyen d’un dispositif ingénieux, que Wendy ne lâche pas le garçon d’un escar- pin. Ils forment un couple touchant, très sobre comme l’ensemble du spectacle aux costumes pourtant prodigieux (si- gnés Madeleine Prince).

Des corps pour défier le monde contemporain et dessiner un

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Page 1: Des corps pour défier le monde contemporain et dessiner un

24 MAGAZINE

DANSE – Pour les 25 ans de son atelier de danse et les 20 ans de son Ballet de l’Ambre, Joëlle Prince a donné leur quinzièmecréation à Delémont. Récidive d’un succès intégral ce samedi sur la grande scène de la salle communale de Vicques

Yves-André Donzé

L’événement s’est déroulé le week-enddernier à Delémont: une cinquantainede danseurs et danseuses ont envahi lascène aménagée dans la froidure de laHalle des expositions à Delémont.Motif:la fête à la danse moderne, et plus parti-culièrement à celle de l’Atelier de l’Am-bre qui a tout juste 25 ans et du ballet dumême nom qui a 20 ans. Une majoritéd’autant plus visible que Joëlle Prince,directrice, animatrice et chorégraphe,proposait sa quinzième création: Race ofLife. Une production contemporaine àonze danseuses. Un mouvement et unevision du monde qui dépassent le gesteesthétique. Avec une grande maturitécomme valeur ajoutée.

Le spectacle était précédé de Peter Pan,une magie spectaculaire d’après le ro-man The little white bird (Le petit oiseaublanc) de James Matthew Barrie et lapièce qui en est issue Peter and Wendy.Lapièce a traversé les âges sous le titre dePeter Pan. Joëlle Prince, assistée de Do-riane Locatelli, de Claire Domon et deFrancisca Willemin, emmène tout l’ ate-lier de danse dans un imaginaire foison-nant qui n’a rien d’un Disneyland encarton pâte. On serait plutôt dans un ar-rière-fond de Songe d’une nuit d’été (à laSkakespeare) à suivre Wendy (NoémieHorisberger) et Peter (Jordan Esch-mann) emmenant les deux petites fran-

Peter Panet Race of Life,

deux chorégraphiesde l’Atelier et du

Ballet de l’Ambre,samedi soir à la

salle communale deVicques, 20 h 30

Des corps pour défier le monde contemporainet dessiner un monde de chaleur

Le Ballet de l’Ambredans une nouvellecréation, The Race of Life.

PHOTOS ROGER MEIER

LQJ • JEUDI 25 SEPTEMBRE 2008

gines aux confins de la nature et ses res-pirations sylvestres et tourbeuses.

Nature sauvage et danse naturelle

La musique, une sorte de symphoniejazz électronique ouvre le cadre imagi-naire qui débute en valse dans un décorminimal: un lit, une porte-fenêtre, unjouet. L’éclairage très élaboré de Chris-tian Halkin distribuera le chaud et lefroid. Le monde des fées surgit avec lessons flûtés de la clarinette et le flux desaccords fuyant dans les lointains. Onbascule du côté des pirates du CapitaineCrochet (Thomas Girard). Alors on setrouve dans la danse scandée. On tra-vaille la figure collective codée et plusloin le pas de gigue ou de claquettes.Tous les degrés d’avancement dans ladanse chorégraphique se côtoient dansun joyeux tourbillon. Jamais ne sent-onl’exercice ni la contrainte du pas.Au plus,on découvre avec les tout-petits (les In-diens) comment le rythme initie le mou-vement et combien ce dernier se coor-donne naturellement quand il est ensymbiose avec celui des autres. La naturesauvage devient danse au mitan dumonde organique, aquatique, primitif,un monde de début du monde soulignépar le son de la voix, de la harpe, duchœur. Des vagues aux fluctuations ima-ginaires, sirènes,oiseaux,crocodiles, fées,lucioles, fleurs effrayantes se nourrissent

Un grand sentiment d’équilibre se dé-gage également de Race of Life. Une pres-tation des danseuses les plus chevron-nées, de 17 à 28 ans, celles du Ballet del’Ambre. Ici aussi la chorégraphe delé-montaine confronte son propre mondeà celui d’autres chorégraphes tels que ce-lui du Cubain Ismael Lorenzo. On setrouve donc dans une expression diffé-rente, plus abstraite, voire symbolique.Comme son nom l’indique, nous assis-tons à une course pour la vie qui s’orga-nise. Avec des énergies contraires et onzecorps qui s’attirent ou se rejettent, qui sedélitent ou s’agglutinent. On glisse alorsvers une solitude convenue, stress et im-passes compris.Avec des moments quasithéâtraux, cabotins.

Du monde froid contemporain vanaître un désir. Un désir d’émancipa-tion, ce qui semble le plus évident danscette création. Le mouvement est projetévers l’extérieur. Comme si du dedans ducorps ou d’une aire de lumière, d’un rec-tangle, il fallait circonscrire les enferme-ments pour libérer une énergie venued’ailleurs. Une énergie provoquée parune chaleur retrouvée. Le mouvementn’a plus qu’à s’insérer dans cet anticy-clone, dans une verticalité de plus enplus ascendante. Une chorégraphie nondénuée d’humour sur les musiques tzi-ganes de Bratsch, de Yann Tiersen et dePeter Gabriel, et qui finit avec un bébésur la scène au milieu des ovations. Unspectacle reçu comme un hymne à la viedans une synchronisation impression-nante pour des amateurs.Le prix d’un ande travail et de week-ends de mise aupoint.

Un spectacle reçucomme un hymne

à la vie

Maxime Grand

Samedi et dimanche, le publicjurassien a pu entendre l'Orchestresymphonique du Jura sous la di-rection de Facundo Agudin inter-préter des œuvres romantiques auNoirmont et à la collégiale deMoutier. Pour sa huitième saison,l'orchestre, dont la composition aévolué tant en qualité qu'en cos-mopolitisme, a joué Der geigendeEremit de Max Reger, l'ouverture-fantaisie Roméo et Juliette de Tchaï-kovski ainsi que la Symphonie duNouveau-Monde d'AntonìnDvor̆ák; ces musiques évoquentsuccessivement une peinture, unetragédie et un pays.

L'ermite jouant du violon estd'abord un tableau d'Arnold Böck-lin. La musique, peu connue, de

Reger qui s'en inspire a été une in-troduction opportune pour inviterles auditeurs à l'écoute; les cordesau son remarquablement veloutéet équilibré forment un tapis quiondule avec de larges mouvementssur lesquels le violon émouvant etélégant de Giovani Barbato ex-prime par bribes la paisible médi-tation du moine solitaire.

On entre dans le «grand réper-toire» avec l'ouverture de Tchaï-kovski où l'ensemble de l'instru-mentation de l'orchestre – bois,cordes, cuivres, percussions et laharpe – mêlent leurs couleurs,dansce résumé contrasté de la tragédiedes deux amants de Vérone. Aprèsles premières notes lancinantes oùle chef privilégie l'ampleur du souf-fle à davantage de reliefs, la hainequi oppose les familles de Roméo

et Juliette est évoquée par un devé-loppement en crescendo qui s'élèveavec l'implacabilité d'un raz-de-marée. Un instant magique est réa-lisé par les cordes lors d'une des re-prises de la mélodie contournéequi évoque la passion empoison-née du couple: les violons se fontsurréels. Evidemment, le contrasteest saisissant avec la violence du dé-nouement tragique exprimé àgrands renforts de percussions to-nitruantes qui annoncent déjàtoute la musique de film du XXe

siècle, et conclut la pièce.L'histoire de la dernière œuvre

est surprenante, puisque Dvor̆ákest appelé aux Etats-Unis pour fon-der une «école de musique améri-caine» et la réalisera en emprun-tant des motifs indiens et noirsaméricains que l'on retrouve dans

sa symphonie. Le premier mouve-ment évoque une calvalcade dansles grands espaces du Nouveau-Monde avec des mélodies indien-nes souriantes qui font penser auxwesterns. Le chef et l'orchestres'amusent aussi dans le «largo»avec une mélodie que l'on freinepour le plaisir et peut-être pourbriser des conventions d'écoute en-croutées.Le troisième mouvement,à part un clin d'œil musical à Beet-hoven, laisse un peu l'auditeur sursa faim: la composition un peu hé-téroclite n'aide pas l'orchestre àmaintenir la fascination, malgré lesinterventions ludiques du triangle.Enfin, le dernier mouvement, assezmartial et grandiose, rappelle tousles thèmes pour saluer un publicconquis.

L'OSJ et la musique «à programme»CRITIQUE |

Secrets de TransylvanieDéniché au fin fond de laTransylvanie, le Codex Caioni,recueil de manuscrits duXVIIe siècle, ne révélera ja-mais tous ses secrets: ce qu’il ade plus précieux n’a pas forcé-ment été retenu sur papier autemps où la notation abrégéesuffisait aux interprètes. Jean-Christophe Frisch et les musi-ciens du Baroque Nomade sesont tout de même penchéssur cette collection. Ils en ré-

vèlent la fabuleuse vivacité en faisant se côtoyerclavecin et percussions traditionnelles, violes degambe et violons tsiganes, voix et flûte traversière.Des horizons musicaux se rejoignent pour créerun climat d’une chaleur et d’une profondeuraussi touchantes qu’insoupçonnées. (bi)

Le Baroque Nomade, Codex Caioni, Arion, dist. Dis-ques Office.

BAROQUE |

de lumières fugaces et le geste raconteplus sûrement que la parole. Peter Panpeut ainsi se retrouver dans les airs aumoyen d’un dispositif ingénieux, queWendy ne lâche pas le garçon d’un escar-pin. Ils forment un couple touchant, trèssobre comme l’ensemble du spectacleaux costumes pourtant prodigieux (si-gnés Madeleine Prince).