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p Recherche 0,23 % du plan de relance ! Jean-Pierre Dubois Des luttes en crescendo DOSSIER MONDES UNIVERSITAIRES le snesu ENTRETIEN ACTUALITÉ INTERNATIONAL Gaza : l’université sous les bombes MENSUEL DU SYNDICAT NATIONAL DE L ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - N ˚571 J ANVIER 2009 Surmonter la crise, transformer la société Surmonter la crise, transformer la société

Des luttes en crescendo Jean-Pierre Dubois Recherche 0,23 % du … · 2016. 10. 7. · Les grèves et manifestations organisées le 29janvier, dans un cadre unitaire de revendica-tions

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pRecherche 0,23 % du plan de relance !

Jean-Pierre DuboisDes luttes en crescendo

D O S S I E R

M O N D E S U N I V E R S I T A I R E S

le snesuENTRETIENACTUALITÉ I N T E R N A T I O N A L

Gaza : l’université sous les bombes

M E N S U E L D U S Y N D I C A T N A T I O N A L D E L ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R - N ˚ 5 7 1 J A N V I E R 2 0 0 9

Surmonter la crise,transformer la sociétéSurmonter la crise,transformer la société

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Les grèves et manifestations organisées le29 janvier, dans un cadre unitaire de revendica-tions contre une crise dont les salariés ne doiventpas faire les frais, sont une riposte inédite tantdans notre pays que dans le reste du monde.C’est un signe fort, et plus qu’un frémissement, les

actions dans le domaine de l’éducationcomme toutes les batailles revendicativesdans le supérieur et la recherche en sontdes prémices déjà puissantes. Au lieu des’entêter dans les cadeaux aux banqueset le démantèlement des services publics,en enfonçant un peu plus le pays dans lacrise, le gouvernement doit entendreenfin le monde réel. Il a une voix puis-

sante et du souffle !Tours le 16 janvier 2009

Attendu depuis plusieurs mois, l’année2009 s’ouvre avec un nouveau site webdu SNESUP à l’adresse habituellewww.snesup.fr. Notre site adopte laligne graphique du mensuel et nousformulons le vœu qu’il remplira sesfonctions d’information et d’animationdes luttes universitaires (indulgencesollicitée pour les semaines de rodage).

Formuler des vœux, en ce début d’année 2009,quand tombent des bombes sur des hôpitaux, deprécaires sites universitaires à Gaza, c’est d’abordsouhaiter l’arrêt du fracas des armes. Ces motsdans l’espoir que les appels venus du mondeentier, les pressions internationales auront stoppé,quand nos lecteurs les liront, les charsisraéliens et leur puissance de dévasta-tion technologique. Paix enfin ! Paixpour cette région du monde, pour toutesles populations qui toutes ont droit àvivre en sécurité dans des frontières et desÉtats reconnus.Les conflits internationaux aigus nesont plus les seules craintes majeures quihantent nos concitoyens. Les bouleversementsannoncés par la crise financière mondiale, déjàmarqués par des vagues de licenciements, de pré-carisation de l’emploi, sont sans équivalents his-toriques. À côté des spéculations insensées, décon-nectées des réalités économiques et de leursnécessaires investissements en recherche, en for-mation, en outils de production, les inégalités dedéveloppement, d’emplois, de niveau de salaireset de protection sociale attisent tous les ingré-dients de conflits sociaux majeurs.En France, les forces syndicales se rassemblent.

Crises profondes

ACTUALITÉ 4• Mouvement lycéen :

3 questions à Lucie Bousser

• Des luttes en crescendo

• Faut-il supprimer le juged’instruction ?

MÉTIER 7• Faire du CTP

un terrain de lutteVOIX DES ÉTABLISSEMENTS 8

MONDES UNIVERSITAIRES 16

• Formation desenseignants : imposerune révision profonde etconcertée du projet desdeux ministères

• Recherche : 0,23 %du « Plan de relance » !

• Études de santé : un progrès limité parune démarche opaqueet malthusienne

DOSSIER 9Surmonter la crise, transformer la sociétéLa crise économique, financière, socialequi secoue la planète apporte un démentiaux dogmes du néolibéralisme. Quelles ensont les causes véritables ? Quelle est l’éten-due des dégâts ? Quelles sont les pistesenvisageables pour en sortir ?La tâche première c’est de faire le bon dia-gnostic sur la nature de la crise qui remet encause un processus de mondialisationdominé par la finance et générateur d’in-égalités.Il y a aussi une attente sociale très forteconcernant les solutions à mettre en œuvre.Intégrant l’analyse critique des différentsplans adoptés par les gouvernements, tantau plan national qu’international, ce dossierexplore des mesures d’urgence qui sortentdes tentatives de replâtrage actuelles etpose les exigences d’une nouvelle logiquede développement.

MONDES UNIVERSITAIRES 18

• Instituts universitaires detechnologie : défendre,débattre, proposer

• Direction générale del’enseignement supérieur :des évolutionsinquiétantes !

ENTRETIEN 21• avec Jean-Pierre Dubois

INTERNATIONAL 22• Gaza :

l’universitésous les bombes

CULTURE 23• Tristes Pontiques,

une traduction d’Ovide

➔ par Jean Fabbri, secrétaire général du SNESUP-FSU

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M E N S U E LD U S Y N D I C A TN A T I O N A L D EL ’ E N S E I G N E M E N TS U P É R I E U RSNESUP-FSU78, rue du Faubourg-Saint-Denis,75010 Paris - Tél. : 01 44 79 96 10Internet : www.snesup.frDirecteur de publication :Guy OdentRédacteurs en chef :François Bouillon, Gérard Lauton,Anne MesliandRédacteur en chef adjoint :Alain PolicarCoordination des rédactions :Jean Fabbri, Anne MesliandSecrétariat de rédaction :Latifa RochdiCPPAP : 0 111 S07698 D 73ISSN : 245 9663Conception et réalisation :CAG, ParisImpression :SIPE, 85, rue de Bagnolet, 75020 ParisRégie publicitaire :Com d’habitude publicité, Clotilde Poitevin. Tél. : 05 55 24 14 [email protected]

Illustrations de couverture : © fotolia/Studio-54

26 JANVIER

Assemblée générale de la CP-CNU

DU 27 JANVIER AU 1E R FÉVRIER

FSM à Belèm (Brésil)

29 JANVIERAppel unitaire à la grève dansl’enseignement supérieur – Journéenationale de mobilisationinterprofessionnelle privé-public.

Pour Paris : rendez-vouspour la manifestation unitaireinterprofessionnelle, place de laBastille

5 FÉVRIERJournée nationale IUFM, à l’initiativedu SNESUP et du SNEP

12 FÉVRIERRéunion du Conseil supérieurde la fonction publique d’État :avis sur le décret classementdes enseignants du supérieur

11-3 FÉVRIERColloque organisé par la FMTS àMarne-la-Vallée : « Activité scientifiqueet condition de chercheur »

13-14 FÉVRIER

20e assemblée générale de la FMTS16 février : CNESER

Le SNESUP a déposé un préavisde grève couvrant les enseignantsdu supérieur pour toutes lessemaines de janvier à février.

Après le premier recul infligé au ministre endécembre, comment s’annonce la mobili-sation en 2009 ?Le recul du ministère sur la réforme dulycée mi-décembre n’a pas calmé leslycéens. En effet nous savons tous quecette réforme n’était qu’un cache misère,celui des suppressions de postes. Aujour-d’hui alors que la réforme du lycée estrepoussée, les suppressions de postes,elles, ne le sont pas. Ce sont donc encore13 500 postes qui vont être supprimés àla rentrée 2009. L’Éducation nationalene peut souffrir d’autres amputations ! Lesclasses sont déjà aujourd’hui beaucouptrop chargées, que va-t-il se passer sil’on continue de supprimer des postes deprofesseurs à tours debras dans une logiquepurement comptable ?Va-t-on en arriver àfaire cours dans desamphis dès le collègepour faire rentrer tousles élèves dans unesalle ? Voici les ques-tions qu’en arrivent àse poser aujourd’hui les lycéens. Le mou-vement continue donc même si en cettepériode froide il est difficile de les fairesortir dans la rue. Et il continuera jusqu’àce que nous obtenions satisfaction !

Quels sont les objectifs du mouvement lycéen ?De quelle réforme le lycée a-t-il besoin ?À l’heure actuelle, nos objectifs sont legel des suppressions de postes dansl’éducation nationale, mais aussi lavolonté d’une vraie réforme du lycéequi prenne en compte les demandes etattentes des lycéens. Lors de la réuniondu 15 novembre 2008 où Xavier Darcosavait réuni 600 élus des conseils de la vielycéenne nous avons vraiment eu le sen-timent que le ministre ne voulait pasentendre nos revendications alors quenous sommes parmi les mieux placéspour savoir ce dont a besoin le lycée.Nous avons pourtant de réelles proposi-tions, sur la pédagogie où nous récla-mons plus de travail en autonomie etplus d’ouverture dès la seconde (1h dephilosophie et de SES) ; concernant lesrythmes scolaires, il est nécessaire deréduire le nombre d’heures de cours parjour à six, la concentration ne pouvantêtre optimale 9 heures de suite ! La mise

en place d’un service public d’aide sco-laire, capable de rivaliser avec les entre-prises d’aide scolaire privées sont aussiune de nos revendications importantes.Ensuite, nous en avons concernant lelycée en tant que lieu de vie et d’ap-prentissage de la citoyenneté, avec unerevalorisation de la démocratie lycéenne,de l’ECJS, la création d’un statut lycéensimilaire à celui des étudiants, etc.

Le baccalauréat est le premier grade uni-versitaire. Que pensez-vous du passage« secondaire-supérieur » ? Le passage du lycée à l’enseignementsupérieur est en général une étape com-pliquée pour les lycéens. D’une part, nous

constatons de nom-breux problèmes dansle domaine de l’orien-tation, dus à unmanque de suivi per-sonnalisé des élèves...Nous proposons pre-mièrement de mettre enplace un portail Inter-net public sur complet

sur l’orientation. Deuxièmement, il estplus que nécessaire de donner une véri-table formation aux conseillers d’orienta-tion et d’en augmenter le nombre, afin demaintenir un suivi régulier des élèves,qui se fasse sur la durée !D’autre part, et ceci est plus vrai pourl’université, le problème vient desméthodes de travail. Les élèves passenten effet du lycée, où le travail en auto-nomie est quasi-inexistant, à l’université,où la liberté est totale ! Ce passage n’estpas toujours des plus simples, et nombred’élèves se sentent perdus... ●

Mouvement lycéen :3 questions à Lucie Bousser

Nous voulons une vraieréforme du lycée

qui prenne en compte les attentes des lycéens

➔ présidente de l’UNL

D A T E S À R E T E N I R !11-13 FÉVRIER 2009

« ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE ET CONDITION DE CHERCHEUR »

Un colloque organisé par la Fédération mondialedes travailleurs scientifiques (FMTS) en coopérationavec l’UGICT(1), le SNESUP et le SNCS, dans les locaux del’université de Paris-Est—Marne-la-Vallée.Les débats s’organiseront autour de 3 thèmes :• la jeunesse et la science ;• la condition de chercheur scientifique ;• recherche, démocratie et développement durable.

Inscriptions : [email protected] ou par courrier postal :

FMTS-WFSW — case 404 — 93514 Montreuil Cedexhttp://www.fmts-wfsw.org

(1) 1-Union générale des ingénieurs cadres et techniciens - CGT

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Dans l’enseignement supérieur et larecherche, les inquiétudes et le mécon-tentement suscitent des expressionsnombreuses, qui traduisent, dans leurdiversité, la résistance de la commu-nauté universitaire aux réformes encours, notamment celle du statut desenseignants-chercheurs et de la forma-tion des enseignants. Dans les établis-sements, des assemblées se tiennent,des textes circulent, la question de l’ac-tion est partout posée. La lettre ouvertedes président et vice-présidents de laCPU au président de la République estrévélatrice de cette nécessité d’entendrele mécontentement des universitaires. Au mois de décembre, le mouvementlycéen, avec les enseignants, a contraintle ministre Darcos à un recul importantsur son projet de réforme du lycée. Laquestion est posée, maintenant, deconfirmer cette victoire en obtenant legel des suppressions de postes et desnégociations pour laréforme dont le lycée abesoin.De manière générale,pour le système édu-catif mis en cause dansses principes fonda-mentaux se construitun rassemblement déterminé à sadéfense et sa transformation démocra-tique. Dans l’ensemble de la fonction etdes services publics – hôpitaux, poste,

justice… –, aux attaques libérales répon-dent des mobilisations. Nécessaires, met-

tant souvent en diffi-culté les projetsgouvernementaux ,sont-elles suffisantes ? Dans le même temps,la crise touche l’en-semble des salariés,leurs emplois, leurs

revenus. Elle fragilise l’ensemble de lasociété, augmentant les inégalités, laprécarité, compromettant l’avenir. L’in-suffisance des plans de relance, la dis-

proportion entre les moyens accordésaux institutions financières et les mesuresconcernant les salariés, l’impuissance,voire la nocivité des lois du marchécomme mode de régulation, tout ceciapparaît de plus en plus clairement.Il s’agit aujourd’hui de faire monter d’uncran la mobilisation. C’est la conver-gence des luttes et l’unité syndicale quirendront possibles d’obtenir des succèsrevendicatifs pour l’ensemble des salariéset pour chaque secteur professionnel.L’action commune est donc à l’ordre dujour.Le 29 janvier, les organisations syndicalesCFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FO, FSU,Solidaires, UNSA ont décidé d’une jour-née nationale de grève et de manifesta-tions, pour interpeller les entreprises, lepatronat et l’État et obtenir des mesuresfavorables aux salariés. Les organisa-tions syndicales de la Fonction publiqueappellent les fonctionnaires et agentspublics à y participer massivement. Réus-sir cette journée, dans l’enseignementsupérieur et la recherche, inscrira nosluttes dans l’ensemble de la défense desacquis sociaux, permettra de renforcer lacohésion de nos actions et de nos reven-dications, et constituera un gage de vic-toire. Le SNESUP y mettra toutes sesforces ! ●

▼Il s’agit aujourd’hui

de faire monter d’un cran la mobilisation.

Des luttes en crescendoDans tous les secteurs économiques et professionnels, la crise et la politiquegouvernementale suscitent des mobilisations. La grève du 29 janvier doit permettreleur convergence et leur amplification, dans l’unité et pour gagner !

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➔ par Anne Mesliand

Si tousles salariésde France...

A l'appel du SNESUP, un important rassemblement des universi-taires s’est tenu le 15 janvier à Paris devant le ministère pour mar-quer leur opposition déterminée à la version actuelle du décretmodifiant le statut des enseignants-chercheurs et pour exiger sonretrait. Au même moment, plus des 2/3 des présidents et vice-présidents du CNU rejetaient les orientations de la ministre qui fontexploser le statut national des enseignants-chercheurs et mettenten péril les libertés scientifiques. La ministre reste toujours sourdeaux revendications de l’immense majorité de la communauté uni-

versitaire, exprimées dans les nombreuses motions de conseils centraux, d’UFR, de dépar-tements, et à travers les milliers de signatures dans les pétitions… Modulation des services d’enseignement comme variable d’ajustement face au désenga-gement de l’État, classement malthusien des collègues par le CNU en réponse aux recourspossibles en cas de non promotion, pouvoir exorbitant des présidents d’établissement… c’estdire le mépris que continue à afficher le gouvernement pour les universitaires ! Le SNESUPappelle à amplifier la résistance collective contre ce décret dévastateur.

Carole Hoffman

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Pouvez-vous nous rappeler le rôle actueldu juge d’instruction dans les affaires dontil doit se saisir ?C’est un juge qui intervient avant le juge-ment en phase d’enquête dans lesaffaires pénales, obligatoirement enmatière criminelle. Aucune affaire nepeut être jugée ou renvoyée devant unecour d’assises sans intervention d’unjuge d’instruction. Le deuxième champde compétence : les affaires correction-nelles mais dans ce cas, la saisine n’estpas obligatoire, mais elle a lieu, de fait,pour les affaires correctionnelles les pluscomplexes. Le rôle du juge d’instructions est cepen-dant résiduel car seulement 5 % desaffaires jugées par les juridictionspénales, les plus graves et les plus com-

plexes, donnent lieu àune instruction.

En quoi la fonction dejuge d’instruction est-elleune garantie de l’indé-pendance de la justice ? Le juge d’instruction estdirecteur d’enquête. Leplus souvent, il saisit,par voie de commissionrogatoire, un service depolice ou gendarmeriequi poursuit l’enquêtesous sa direction. Ilmène une enquêtecontradictoire, celle-ciétant vraiment le cœurde notre métier avec laconduite en direct dansnotre cabinet d’interro-

gatoires, de confrontations, d’auditions,en présence des avocats. Le juge d’ins-truction vérifie les alibis, les mobiles,essaie de comprendre la place de cha-cun dans un réseau, les éléments depersonnalité, etc. C’est vraiment l’al-liance de la direction d’enquête et de cesactes contradictoires qui constitue l’es-sence de notre métier.Parmi les magistrats, il y a ceux du siègeet du parquet. Le juge d’instruction est unmagistrat du siège. Sa carrière, sa nomi-nation, son avancement, les sanctionsdisciplinaires dépendent du conseil supé-rieur de la magistrature, organe indé-

pendant du garde des sceaux. À la diffé-rence du parquet, il n’a pas vraiment desupérieur hiérarchique, même s’il est sousl’autorité du président du tribunal qui lenote et l’évalue. Mais ce dernier ne peutadresser des instructions, des injonctionspour orienter les dossiers particuliers.Pour ce qui est du parquet, au sein du tri-bunal du tribunal de grande instance, il ya le procureur de la République qui est enle chef et qui a sous son autorité des sub-stituts. Le procureur de la République estlui-même sous l’autorité du procureurgénéral de la cour d’appel qui est lui-même sous l’autorité du garde dessceaux.La carrière et l’avancement desmagistrats du parquet dépendent du gardedes sceaux et celui-ci a le droit de donnerdes instructions écrites dans un dossierpour orienter une décision du parquet.C’est une différence essentielle. Si lejuge d’instruction disparaît, la solution de« rechange « sera une enquête confiéedirectement au parquet. On voit bienque la fonction du parquet et son modede fonctionnement posent le problèmede l’indépendance de l’enquête.Je voudrais insister sur un autre point. Lejuge d’instruction ne s’autosaisit pas.Nous avons certes un pouvoir assezimportant, mais la limite à ce pouvoirc’est qu’on ne peut pas s’autosaisir. Onest soit saisi par le procureur de la Répu-blique, soit, dans le cadre d’une plainteavec constitution de partie civile, parune personne s’estimant victime d’uneinfraction. Cependant il y a tout demême un filtre (depuis mars 2007) : la

victime doit d’abord avoir déposé uneplainte auprès du procureur de la Répu-blique et celui-ci peut la classer sanssuite. La plainte avec constitution departie civile est donc le droit offert auxvictimes de passer outre un classementsans suite. Si le juge d’instruction dispa-raît, ce droit ouvert aux victimes dispa-raîtra également.Ces plaintes avec constitution de partiecivile représentent entre 1/3 et la moitiéd’un cabinet. C’est quantitativementimportant et cela concerne nombred’affaires sensibles : certaines affaires éco-nomiques et financières ou de santépublique (le sang contaminé ou leshormones de croissance) n’ont pas été ini-tiées par le parquet mais par les victimes.

Peut-on prévoir un renforcement duParquet ?Ce qui est sûr, c’est qu’il va devenir lemaître exclusif de toutes les enquêtes,de toute la phase avant le jugement. Eton l’a dit, le parquet n’est pas indé-pendant du pouvoir exécutif et il esthiérarchisé. On peut craindre que cer-taines affaires ne voient jamais le jour etsurtout qu’il y ait des orientations don-nées. Se pose aussi la question desdroits de la défense car le parquet n’estpas dans la capacité, et cela n’est pas safonction, d’instruire à charge et àdécharge. Cela veut dire que les élé-ments à décharge devront être produitpar la défense, ce qui introduit d’im-portantes inégalités. C’est exactement lemodèle américain et se pose dès lors laquestion de la justice à deux vitesses.Alors que le juge d’instruction, pourceux qui n’ont pas les moyens de sepayer un avocat, met les moyens de lapuissance publique au service de ladéfense des individus, qu’ils soient misen cause ou victimes. Il faudrait, parconséquent, trouver comment décuplerles moyens des avocats payés par lavoie de l’aide juridictionnelle et de lacommission d’office. On peut douterdu développement des moyens del’aide juridictionnelle.On le voit, cette réforme conduirait à ins-titutionnaliser l’inégalité des moyens dela défense. ●

Propos recueillis par Latifa Rochdi

▼Si le juge d’instructiondisparaît, la solution

de « rechange »sera une enquête

confiée directementau parquet.On voit bien

que la fonctiondu parquet et son mode

de fonctionnementposent

le problèmede l’indépendance

de l’enquête

Faut-il supprimer le juge d’instruction ?

Le rôle du juge d’instruction apparaît essentiel à la préservationde l’indépendance de la justice.

➔ entretien avec Catherine Giudicelli , juge d’instruction

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La création de comités tech-niques paritaires (CTP),

prévue par la loi LRU, estmaintenant dans la plupartdes établissements chosefaite. Désignés par les orga-nisations syndicales, lesreprésentants des personnelsdécouvrent une instanceconsultative qui peut appor-ter un appui important auxluttes des sections syndicales.Doivent lui être soumisestoutes les questions relevantdu niveau local (statuts,hygiène et sécurité, primes,accès des femmes, effectifset qualifications, etc.).Si le projet de décret statu-taire n’est pas retiré, la ges-tion des enseignants-cher-cheurs passera sous laresponsabilité des présidents.D’ores et déjà la loi LRU im-pose une gestion fortementlocale aux établissementsadoptant les responsabilitésélargies. Dans le meilleur descas, le CA doit approuver ladécision, mais très souventle président n’est soumis àaucun contrôle.Les autres corps (BIATOSS,enseignants du second de-gré, chercheurs) ont descommissions administrativesparitaires (CAP). Mais deplus en plus de décisionsstatutaires sont prises auplan local. Pour les personnels non titu-laires, pour lesquels la CCPjuste créée joue un rôle ana-logue à celui d’une CAP, c’estl’ensemble de la gestion quiest confinée au plan de l’éta-blissement. Cette prééminen-ce du niveau local dans laGRH de l’enseignementsupérieur rend crucialel’adoption de règles du jeuet garde-fous, sur lesquelsl’établissement doit consulterle CTP. Les représentants despersonnels au CTP devront

chercheurs, mais les col-lègues de tous statuts. Il fautse battre pour limiter l’arbi-traire et le clientélisme.De même pour les modalitésd’attribution des primes, leplan carrières du ministèreaugmente considérablementleur poids dans le dispositifsalarial et accorde au prési-dent des pleins pouvoirs aux-quels des limites doivent êtreimposées.Pour les contractuels, lechamp d’intervention du CTPsera considérable. Tout en effet

sera défini localement : l’avan-cement de carrière, les ni-veaux de rémunération, lescharges de travail. L’action denos représentants doit aider àcombattre des situations scan-daleuses et de fortes inégali-tés entre établissements.

imposer ces règles. Le décret82-452 du 28 mai 1982 leurdonne des moyens non né-gligeables pour y parvenir. Ainsi, sur la demande de lamajorité des représentants dupersonnel, le président al’obligation d’ajouter un pointà l’ordre du jour et de convo-quer le CTP. En outre, lespropositions et avis doiventêtre diffusés auprès de l’en-semble des personnels dansun délai d’un mois, et le pré-sident doit informer par écrittous les membres du CTP dessuites données dans un délaide deux mois.Prenons par exemple l’attri-bution des services d’ensei-gnement et de recherche.Nous espérons que la lutte

actuelle fera reculer le gou-vernement sur la modulationdes services qui fait l’unani-mité contre elle. Il reste quela loi LRU permet à chaqueCA de définir, à l’intentiondu président qui les mettraen œuvre, des règles de ré-partition des services entrel’enseignement, la rechercheet les autres missions. Cettedisposition concerne nonseulement les enseignants-

Faire du CTP un terrain de lutteLe champ d’intervention des CTP est considérable. Nous devons faire adopterdes règles contraignant l’établissement à les consulter.

➔ par Noël Bernard , Responsabledu secteur Situation des Personnels

Les élections professionnelles qui viennentd’avoir lieu ont confirmé la placeprépondérante des syndicats de la FSU. Dansles CAPN, ceux-ci obtiennent chez les certifiés50,7 % des suffrages (contre 10,2 % pour leSGEN et 9 % pour le SNALC) et 11 sièges sur 19et, chez les agrégés, 48 % (contre 15,2 % pourle SNALC et 11,5 % pour le SGEN) et 6 sièges sur9. Ces excellents résultats globaux sont encorebonifiés dans l’enseignement supérieur où,pour les CAPA, nous progressons par rapportà 2005 de 1,8 % chez les certifiés et de 3,1 %chez les agrégés.

Ces chiffres sont un puissant encouragementà poursuivre la lutte contre une politiquegouvernementale qui sacrifie la formationdes enseignants et la recherche. Dans les UFR,les IUT, les IUFM, les batailles syndicales encours, élargies à l’ensemble des personnels,touchent au cœur du service public. Devantles effets désastreux des orientations dupouvoir, plus que jamais, seules la solidaritéet l’action, au-delà de nos différences destatut, constituent une réponse adaptée.

Le secteur second degré

É L E C T I O N S C A P N - C A P A : U N S U C C È S I N C O N T E S T A B L E

La résorption de la précaritéest l’un de nos objectifs prio-ritaires. Sur ce point, insis-tons sur l’obligation de l’éta-blissement de présenterchaque année au CTP un bi-lan social qui permettra enfind’avoir une cartographie pré-cise du phénomène.La composition de la déléga-tion est importante : l’enjeudes luttes appelle le choix decamarades bien armés syn-dicalement et de représen-tants des divers statutsconcernés. Notez que les

suppléants peuvent partici-per (sans voter) en mêmetemps que les titulaires cequi permet la présence d’uneforte délégation. N’hésitez paspour la préparation à utiliserl’autorisation d’absence quicouvre, outre la réunion etles trajets, un temps de pré-paration égal à la durée pré-vue de la réunion. Une difficulté pour nos re-présentants est la diversitédes statuts des collègues quine leur seront pas tous fami-liers. À la demande de sessept syndicats présents dansle supérieur, la FSU a orga-nisé un stage sur la GRH dusupérieur, dont vous pour-rez nous demander les do-cuments par courriel à[email protected] la base de ces docu-ments, un petit mémento se-ra réalisé et adressé à tousnos représentants dans lesCTP. ●

▼La loi LRU autorise

chaque CA àdéfinir des règles

de répartitiondes services.

Il faut se battre pourlimiter l’arbitraireet le clientélisme.

Le bulletin FSUpour faire siègerdes représentants qui se refusentà l’inéluctable.

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Au CTP, la FSU se renforce

Le premier semestre auraété marqué à Paris 12 par

un calendrier bousculé avecnotamment l’ouverture deschantiers du projet d’établis-sement et la mise en placedu CTP. Les collègues ontvoulu témoigner à l’occasionde ce scrutin leur confiance àla FSU (SNESUP, SNASUB,SNCS) en lui attribuant 5sièges sur les 10 de la paritésyndicale. Dans la profession de foi etl’expression de la FSU, il yavait l’alternative : « Aide ànos parcours professionnelsou concurrence à Paris 12 ? »mais aussi une série d’exi-gences sur la vie de l’établis-sement et des personnels.Sur la base de cette marqued’estime des électeurs et deleurs attentes, les représen-tants FSU titulaires et sup-pléants, tous sont conviés àparticiper aux débats, ontpris à bras le corps leur fonc-tion.

Ils se pro-noncent enjanvier surles emplois2009. Uneffet mar-quant de cet r a v a i ld ’ é q u i p eest que BIA-T O S S

(ITRF, ASU) et universitairesse connaissent mieux : par-tage du même site web par leSNASUB et le SNESUP,échanges sur les différentescatégories et situations, lesprofils pédagogiques et scien-tifiques des emplois, lesconditions de travail des unset des autres. Si une majorité du CA s’estprononcée en novembrepour le passage aux nou-velles compétences en 2010,les élus FSU – SLR n’ont pasété les seuls à dénoncer lestares de la réforme LRU. Le vent tourne … ●

Gérard Lauton

Naissance de l’universitéunique

Après plus de 2 ans de ges-tation, l’université de

Strasbourg a vu le jour le 1er

janvier 2009 et succède aux 3universités issues de la loide 1968 (Louis Pasteur, MarcBloch et Robert Schuman)plus l’IUFM. Avec 12 élus deses listes sur 14 au CA, AlainBeretz (président de l’ULPdepuis juin 2007) en a étéélu président. Avec 25 % des voix, les listesde l’Intersyndicale « Agirensemble pour une Univer-sité démocratique » ont unsiège au CA (et 4 sur 16 auCEVU, 7 sur 28 au CS). AuCTP (dont les représentantsdes personnels font partie ducongrès) : 2 FSU, 2 CGT,2 SGEN-CFDT, 1 SNPREES-FO, 3 UNSA Éducation.Annoncée 1ère université deFrance (par son nombred’étudiants : environ 41 000en 39 composantes), il s’agitpour le moment d’unensemble complexe qu’unitun projet d’établissementcommun voté en février2008 (base du contrat qua-driennal 2009/2012 toujoursen négociation), et que cer-tains – dont le ministère –voient déjà érigé en modèle !L’université de Strasbourgassume les nouvelles res-ponsabilités de gestion bud-gétaire et des ressourceshumaines, avec un budgetcumulé de près de 450 M€

et bénéficiera du plan Cam-pus.Le projet pouvait permettrede construire un pôle fortde la richesse de toutes lesdisciplines et de la capacitéd’entraînement de certaines.Mais la fusion s’est opéréeau plus mauvais momentdans la mesure où, préfé-rée à un PRES en 2006, ellea dû passer sous lesfourches caudines de la loiLRU : ce qui a multiplié lesdifficultés et les résistances,et c’est le temps de laconcertation qui a malheu-reusement fait les frais dela pression lors de la miseen place finale de la réor-ganisation et du redéploie-ment des services : il resteencore beaucoup à fairepour maintenir un minimumde démocratie participativedans le développement desformations universitaires etde la recherche à Stras-bourg.

Infos sur les sites « Agirensemble » :http://demain.unistra.fr/documents/campagne_electorale/candidatures/Profession_de_foi_liste_intersyndicale_agir_ensemble.pdfet « Unistra » :http://www.unistra.fr/ ●

Anne-Véronique Auzet,Dominique Guillet,

Olivier Neveux

La mobilisationse construit !

Une assemblée généraled’information a réuni un

peu plus de 80 personnesaujourd’hui (mardi 13 janvier2009) sur le campus deLuminy. Suite à une présentation del’avenir des EPST et uneprésentation du décretconcernant le statut desenseignants-chercheurs, unediscussion s’est engagée : sur la convergence de luttese n t r e c h e r c h e u r s e tenseignants-chercheurs, surles différents aspects dudécret sur le nouveau statutdes enseignants-chercheurs. Les modalités d’action ontété discutées, signature depétitions nationales, partici-pation active à la manifesta-tion inter-professionnelle du29 janvier. Enfin des modali-tés plus concrètes ont étédiscutées : rétention denotes, grève d’expertises,grève de présidence de juryde bac… Pour la rétentionde notes, des collègues ontsignalé qu’il faudrait écrireun texte explicatif en direc-tion des étudiants. Un textesera rédigé demain sur lesmodalités d’action et mis auvote lors de la prochaine AGdu 20 janvier qui porteraplus particulièrement sur lamastérisation de la formationdes enseignants ●

Odile Papini

Vers un mouvementsocial !

Depuis l’automne, la contesta-tion monte parmi les person-

nels de l’université de Rouen.Après s’être concentrée essen-tiellement sur la question de lamastérisation de la formation desenseignants – au point que tousles départements ont décidéaujourd’hui de ne pas déposerde maquettes de master –, lesannonces sur les suppressionspluriannuelles de postes et surla modulation des services desenseignants-chercheurs sont entrain de radicaliser les AG de per-sonnels. Ainsi, les départements d’histoire,d’anglais, de mathématiques etd’informatique se sont engagésdans une action de grève admi-nistrative et de rétention desnotes. Le département d’informatique amême proposé de durcir lesmodalités de grève administra-tive en refusant de préparer lesgrilles horaires nécessaires audémarrage du second semestre.Cette initiative, relayée en AGdes personnels, devrait conduirea minima au report de la rentréedu second semestre à l’UFR desciences.On s’oriente donc vers une ampli-fication très nette de la mobilisa-tion et vers un durcissement durapport de force avec le ministèretant que nos revendications n’au-ront pas été satisfaites. L’AG pro-grammée le 20 janvier prochainsera l’occasion de confirmer etamplifier ce mouvement… ●

Jean-Marie Canu

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La crise économique, financière, sociale qui secoue la planète apporte un démenti aux

dogmes du néolibéralisme. Quelles en sont les causes véritables ?

Quelle est l’étendue des dégâts ? Quelles sont les pistes envisageables pour en sortir ?

La tâche première c’est de faire le bon diagnostic sur la nature de la crise qui remet en

cause un processus de mondialisation dominé par la finance et générateur d’inégalités.

Il y a aussi une attente sociale très forte concernant les solutions à mettre en œuvre.

Intégrant l’analyse critique des différents plans adoptés par les gouvernements,

tant au plan national qu’international, ce dossier propose explore

des mesures d’urgence qui sortent des tentatives de replâtrage actuelles et les

exigences d’une nouvelle logique de développement.

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Surmonter la crise,transformer la société

➔ Dossier coordonné par Pierre Duharcourt et François Bouillon

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R La nature de la criseLa crise actuelle n’est pas une crise « classique », qui serait simplement

« plus importante » que d’autres, et ses conséquences risquent d’être plus graves

que tout ce que l’on connu depuis la période dite des « Trente Glorieuses ».

➔ par Pierre Duharcourt

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C’est une crise systémique du capitalismemondialisé et financiarisé, qui correspond àl’éclatement de contradictions nouvelles :croissance américaine reposant sur le gon-flement de l’endettement, montée des paysémergents, évolution de la division interna-tionale du travail pesant sur l'évolution et lastructure de l'emploi dans les pays dévelop-pés, nécessité de faire face au changementclimatique et plus généralement aux exi-gences d'un développement durable, aggra-vation des inégalités dans chaque pays (déve-loppés comme émergents) et entre régionsdu monde.

Une crise systémique, qui n’est passeulement financièreL’entrée en récession a été précipitée par lacombinaison d’un double choc :• la flambée des prix du pétrole, des matièrespremières et des prix alimentaires sanction-nait un mode de croissance dévoreur de res-sources rares et tournant le dos aux exi-gences d’un développement durable, et lesacrifice de l’agriculture des pays en déve-loppement. La décrue de ces prix constatéedepuis l’été et consécutive au retournementde la conjoncture ne supprime pas les pro-blèmes de fond ;• la formation d’unebulle immobilière etfinancière avait accom-pagné la surévaluationdu prix des actifs, etelle a été auto-entrete-nue par l’encourage-ment à l’endettement.Cet encouragements’est traduit pour lesménages américainspar la distribution desubprimes, accordés àdes particuliers pasassez solvables pouraccéder aux crédits hypothécaires classiques,et correspondants à des formules de prêt àmensualités de remboursement progressivesassises sur l’anticipation d’une hausse conti-nue des prix de l’immobilier. Quand la bulleimmobilière a éclaté et provoqué la ruine deces acquéreurs, deux facteurs ont contribuéà la propagation de la crise à l’ensemble dela sphère financière et bancaire : le recoursquasi-systématique aux techniques de titri-sation consistant à transformer les créances

générées par ces prêtsen titres vendus à desopérateurs spécialisés,ce qui a conduit àdiluer trop largementles risques et à fairedisparaître cescréances du bilan desbanques ; la globali-sation qui se traduitpar une diffusion pla-nétaire des instru-ments financiers etleur imbrication encascade. La « décon-nexion » de la « sphèrefinancière » par rapport à la « sphère réelle »se traduit par un montant des transactionsfinancières devenu démesuré par rapportaux transactions réelles et l’explosion de lapart des profits bancaires dans le profit dessociétés. Le gonflement de la valeur desactifs s’est auto entretenu selon un phéno-mène cumulatif, le jeu de la spéculations’exerçant de façon mimétique. La flambée(puis la chute) de valeurs de ces actifs, quiconstituent du « capital fictif », ne traduit enelle-même aucune augmentation (ni perte) de

valeur réelle. Cela étant,l’explosion de la bullemontre que, malgré cettedéconnexion, finit pars’exercer une « force derappel ». Et cette explo-sion a alors provoqué àl’échelle du mondefaillites bancaires etchutes boursières.La crise financière elle-même peut être quali-fiée de crise systémique,avec la particularité que,contrairement à certainesdes crises financières

récentes, elle est partie du cœur même dusystème, des États-Unis. Mais si la crise finan-cière stricto sensu traduit à son niveau lesdégâts du règne de la finance folle, c’estl’ensemble du processus de mondialisation etde globalisation qui est en cause. La crisen’est pas seulement financière, et ses consé-quences – avec la récession qui s’annonce,d’une longueur et d’une durée encore incer-taine – touchent l’ensemble du système éco-nomique, social et environnemental au

niveau mondial : un aspect important est lamodification du rapport des forces interna-tionales, qui sanctionne des décennies decroissance américaine financée par le reste dumonde, et qui voit monter l’importance despays émergents et la force de frappe de« fonds souverains ».Mais cette crise systémique n’est pas seule-ment une crise financière, c’est une crise del’ensemble du système mondial, dominé parune logique financière qui vise la « créationde valeur » pour l’actionnaire et exige unretour sur capitaux (ROE) de l’ordre de15 %, incompatible avec une croissance del’économie réelle de l’ordre de 2-3 %. Elle estla conséquence d’un double processus.D’une part un partage des richesses crééesplus défavorable aux salaires : d’après leFonds monétaire international (FMI), dansles pays membres du G7, la part des salairesdans le produit intérieur brut (PIB) a baisséde 5,8 % entre 1983 et 2006 ; d’après laCommission européenne, cette part a chutéde 8,6 % au sein de l’Europe des 15, et de9,3 % en France. D’autre part, et c’est unetendance qui s’est aggravée récemment, unpartage des profits qui privilégie la distri-bution de dividendes au détriment de l’in-vestissement productif. La pression sur lessalaires, et notamment ceux des catégoriesmodestes, explique notamment aux États-Unis, le gonflement de l’endettement desménages pour financer, non seulement leurinvestissement en logement, mais d’abordleur consommation.

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Bulle financière et immobilière : une mondialisationaccablante pour la planète

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▼La crise financière

stricto sensu traduit

à son niveau les dégâts du

règne de la finance folle, mais

c’est l’ensemble du processus

de mondialisation

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qui est en cause

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IERL’entrée et l’enfoncement

dans la dépressionLe choc financier a sur la sphère réelle deseffets rapides et généralisés. La chute bour-sière décourage les financements par émis-sions de titres. Le resserrement des crédits setraduit par une augmentation des taux d’in-térêt et un rationnement des crédits dontsont surtout victimes les entreprises et lesménages les plus fragiles. La récession frappe d’abord les secteurs dontla demande est conditionnée par le crédit (enparticulier l’immobilier et plus généralementle bâtiment, l’automobile, les biens d’équi-pement) ou ceux dont les difficultés de finan-cement conduisent à différer leurs projetsd’investissements. La chute de l’activité de cessecteurs entraîne celle des secteurs fournis-seurs, et s’étend à l’ensemble de l’écono-mie. Un effet multiplicateur négatif se déve-loppe ainsi, enchaînant la chute de lademande globale. Cet effet multiplicateurpasse notamment par la baisse des revenusdes ménages, dont le pouvoir d’achat avaitdéjà été amputé par la relance de l’inflation.L’arrêt des créations d’emplois, les mises auchômage partiel et maintenant les licencie-ments massifs, les pressions sur les salairesdépriment les revenus et donc la demande,d’autant que l’incertitude sur l’avenir conduità une épargne de précaution. La récession sediffuse par l’intermédiaire des échanges inter-nationaux, selon un processus en cascade :ainsi, la baisse de la demande de chaquepays entraîne celle de ses importations, quipèse à son tour sur la demande chez lespartenaires commerciaux, etc. L’ampleur et la durée de la récession écono-mique ne peuvent qu’entraîner une aggrava-tion dramatique de la situation sociale, avec la

dégradation de l’emploi et l’extension de lapauvreté. Plutôt que le spectre de la crise de1929, une hypothèse qui ne peut être écartéeest celle de l’entrée - au niveau international– dans un scénario du type de la déflationjaponaise des années 1990, qui a montré l’im-puissance de la seule politique monétaire.Il faut souligner pour la France – dont le tauxde croissance et le tauxd’emploi sont depuis plu-sieurs années en dessous dela moyenne européenne –,les dégâts de la politiquerégressive menée notam-ment depuis le début de laprésidence Sarkozy quiconduit à détruire les soli-darités et les droits sociaux.La situation actuelle montrede façon plus flagrante, dansla situation actuelle de reculde l’activité et de flambée du chômage, nonseulement l’iniquité mais aussi l’absurdité dela loi TEPA – présentée comme devant don-ner plus de pouvoir d’achat aux bénéficiairesd’heures supplémentaires- qui pèse sur leniveau général des salaires et joue contrel’emploi, et dont le coût considérableplombe les finances publiques.

Une autre logique économiqueAu-delà de la refonte du système monétaireet financier et d’une coordination mondialedépassant le cadre étroit des G7, 8 ou même20, il faut dès à présent mettre en œuvre uneautre dynamique économique. Dans la situa-tion de crise actuelle, qui devrait pourtantconduire à plus de retenue les zélateurs del’autorégulation par le marché et des dogmes

néolibéraux, ressortent les discours habituelsappelant aux sacrifices, qui devraient bienentendu viser d’abord les travailleurs et invo-quant l’exigence de la poursuite voire del’accélération des réformes.Les divers plans de « sauvetage » bancairepuis les plans de relance budgétaire donnentlieu à des commentaires assez étranges van-tant la volonté qu’auraient nos gouvernantsde « moraliser » le capitalisme et saluant le

« retour de l’État », alors quepour l’instant il s’agit prin-cipalement de « socialiser »les pertes et de financerprioritairement les entre-prises sans remettre encause la logique du sys-tème. Il faut noter que letotal des sommes mises enjeu est colossal : 5 000 mil-liards de dollars, soit 8 %du PIB mondial, soit100 fois plus que ce qui est

nécessaire pour doubler l’aide publique auxpays en développement, et 150 fois plusque les sommes demandées par la FAO pourlutter contre la famine mondiale alors qu’au-jourd’hui la faim frappe près d’un milliard depersonnes. La lutte contre la crise ne passe par desremèdes qui viseraient à une relance plus oumoins « keynésienne » sans remettre en causela logique du système, préparant ainsi lareproduction des distorsions qui ont conduità la situation actuelle. Il est nécessaire que la« relance » s’accompagne de changementsrééquilibrant la répartition dans chaque pays(augmentation de la part des salaires et de lapart des profits réinvestis) dans chaque pays,et au niveau mondial (en augmentantl’épargne intérieure des pays qui sont finan-cés par l’étranger, tels que les pays anglo-saxons, et au contraire la demande intérieuredans les pays excédentaires), ouvrant la voieà un mode de développement répondant àl’impératif écologique. ●

Les indices s’effondrent, les peuples trinquent

Des gouvernantscomplices pour des solutions à courte vue

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▼La lutte contre la crise

ne passe par des

remèdes qui viseraient

à une relance plus ou

moins « keynésienne »

sans remettre en cause

la logique du système

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Nous avons sollicité sur ce thème XavierTimbeau, directeur du départementétudes et prévision de l’OFCE (Centre derecherche en économie de Sciences Po),et Michel Husson, chercheur à l’IRES(Institut de recherches économiques etsociales), auteur de nombreux ouvragessur le capitalisme.

Que pensez-vous des initiatives prises par legouvernement français ? X. Timbeau : La sauvegarde du systèmebancaire était incontournable. Les montantsen jeu, la garantie des emprunts interban-caires ne sont pas contestables. En revanche,la mise en place de lastructure de recapitali-sation manque detransparence. C’est unestructure juridique adhoc dont le capital estdétenu aux deux tierspar les banques reca-pitalisées, qui émetune dette assimilableà la dette publique

pour la prêter par le biais de titres de dettesubordonnées. Le taux de 9 % dont sontassortis ces titres de dette peut paraître impor-tant, mais il est bas par rapport aux exi-gences habituelles des actionnaires. Maissurtout, ces quasi-fonds propres sont accor-dés sans contreparties, que ce soit en matièrede dividendes versés aux actionnaires, derémunérations pour les dirigeants ou de stra-tégie d’entreprise. Les différents Etats ontété plus ou moins loin en la matière, mais laFrance montre ici un singulier renoncement,que la pauvreté du débat parlementaireconsacre.Le plan Sarkozy de relance de l’économie est

une propositionconcrète bien qu’in-suffisante et ne répon-dant pas aux nécessi-tés à court terme. Surles 26 milliards annon-cés, 12 iront soutenir lacroissance en 2009.75 % transitent par l’in-vestissement public ouen infrastructure. L’im-

pact ne se produira qu’à partir de ladeuxième moitié de l’année 2009. Si l’inves-tissement dans les infrastructures présente undouble bénéfice, de relance et de rentabilitéà long terme, pas grand-chose n’est fait pourle court terme.M. Husson : Le plan français de relance estridiculement sous-dimensionné et reflète unesous-estimation de la nature et de la pro-fondeur de la crise. Les 26 milliards annon-cés représentent à peu près 1,5 % du PIBmais sur deux ans. Si l’on en retire lesmesures qui consistent à décaler les délais derestitution des impôts, on est nettement en-dessous d’un point de PIB. À titre de com-paraison, le plan annoncé par Obama équi-vaut à environ 5 % du PIB des États-Unis. La modestie du plan français contredit l’acti-visme de Sarkozy en faveur d’une relancemassive et concertée au niveau européen. Iltraduit en fait un comportement de « passagersolitaire » qui compte sur la relance des paysvoisins, et notamment l’Allemagne. Plus fon-damentalement, l’absence de concertationentre les gouvernements européens et ladiversité des modalités de relance envisa-gées manifestent la divergence des économieseuropéennes. Selon leur mode d’insertiondans le marché mondial, le poids relatif del’immobilier et de l’automobile et leur situa-tion budgétaire, les grands pays européens sesituent différemment par rapport à la crise. Enoutre, les institutions européennes libérales sesont privées des outils qui seraient néces-saires pour mener à bien une relance concer-tée : on mesure aujourd’hui le caractère tron-qué de la construction européenne, avecl’absence criante d’un budget européen signi-ficatif et d’une politique de change affirmée.

Quelles mesures immédiates pour relancerl’économie et lutter contre les dégâts sociauxde la crise ?M. Husson : La cause profonde de la crise estla compression des salaires et l’explosion des

Les conditions d’une relance

Le plan de relance français ne prend en compte

ni l’ampleur, ni la nature de la crise dont la cause

profonde est la compression des salaires et l’explosion

des profits non réinvestis qui sont allés nourrir

les bulles financières. Au-delà de l’encadrement

technique de l’activité financière, il faut étendre

le champ du contrôle démocratique.

▼Dans les modalités retenues

pour la sauvegarde

du système bancaire comme

dans le contenu de son plan

de relance, la France montre

un singulier renoncement

Financer les transformations sociales

Michel Husson

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➔ propos recueillis par Pierre Duharcourt

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profits non réinvestis qui sont allés nourrir lesbulles financières. Il serait injustifiable, tant auplan moral qu’économique, que les salariés,les chômeurs et les retraités en fassent lesfrais. Or, le plan de relance ne prévoit à peuprès rien à ce sujet et le gouvernement s’en-tête au contraire à vouloir réduire les moyensdes services publics, à faire des économies surla protection sociale et à durcir les conditionsd’indemnisation du chômage.Face à l’explosion du chômage et au blocageprévisible des salaires, il faut mettre en placeun « bouclier social » préservant l’emploi et lepouvoir d’achat. Cela implique d’abord unerevalorisation des bas salaires et des revenussociaux et leur indexation sur les prix. Àcette échelle mobile des salaires, il faut enajouter une autre : l’échelle mobile desheures de travail qui permette de maintenirl’emploi par baisse du temps de travail. Lechômage technique doit être indemnisé à100 %. Les licenciements doivent être inter-dits dans les entreprises qui font des béné-fices et chez leurs sous-traitants. Les alloca-tions de chômage doivent être augmentées etleur durée prolongée jusqu’à retrouver unemploi librement choisi. Un revenu décent etla continuité des droits sociaux doivent êtregarantis pour tous. Les salaires doivent êtremaintenus grâce au produit d’une taxe sur lesdividendes. Les entreprises qui prendraientprétexte de la crise pour baisser les salairesse verraient retirer les allégements de coti-sations sociales dont ils bénéficient. Pourcombattre la crise du logement, il faut blo-quer les loyers, arrêter les expulsions loca-tives et réquisitionner les logements vides,tout en engageant immédiatement un plan deconstruction de logements sociaux.Cet ensemble de mesures d’urgence per-mettrait d’enclencher une redistribution desrichesses tout en faisant payer la crise à ceuxqui en sont les responsables. Plutôt que debaisser la TVA sans garantie de répercus-sion sur les prix, il faudrait supprimer lebouclier fiscal, instaurer une politique fis-cale redistributive avec taxation des reve-nus du capital et des transactions financières.X. Timbeau : La crise se propage par lesfaillites d’entreprises qui accélèrent les des-tructions d’emplois. Soutenir la trésoreriedes entreprises, comme, partiellement, dansle premier plan Sarkozy, peut permettre degagner quelques mois et de limiter les dépôtsde bilan. Il faut étendre les facilités faites auxentreprises, au-delà de la TVA ou du créditimpôt recherche (qui ne profite qu’aux entre-prises qui l’ont institué). Un vecteur est ledécalage de paiement des cotisations socialesaux URSSAF. La facilité de trésorerie peut êtreassortie d’un taux d’intérêt positif et d’unegarantie des dirigeants afin d’éviter l’explo-sion de la dette sociale frauduleuse.

Le deuxième point nodal de la propagationde la crise se trouve chez ceux qui subissentle retournement brutal du marché du tra-vail, qu’ils aient perdu leur emploi, qu’ilspeinent à en trouver un alors qu’ils sont auchômage depuis quelques mois ou qu’ilsentrent sur le marché du travail, jeunes oufemmes inactives. La méthode est d’assurerpour un temps une allocation chômage àces chômeurs sans aucun doute involon-taires, financée par l’État. Il faut 4 milliardsd’euros pour accorder six mois aux chô-meurs en fin de droit, aux jeunes qui n’ontpas encore ouverts de droits, à ceux quisont dans l’emploi précaire. En concentrantles sommes de la relance sur ces populations,on peut plus sûrement juguler la crise.Une telle stratégie est également plus justeque celle qui consiste à distribuer sous formede baisse d’impôts ou de chèques ou desalaires de quoi relancer l’économie. Mêmeen ciblant sur les classes moyennes, on dis-tribuera à certains dont la situation est loind’être dégradée par la crise, accentuant lesinégalités qui apparaissent.

Quelles conditions à remplir pour des solu-tions durables ?X. Timbeau : La régulation du secteur finan-cier est le premier point sur l’agenda. Elles’est avérée inapte à empêcher le désastrebancaire qui a mobilisé beaucoup demoyens. Cela étant, la régulation est unterme vague. Le contrôle démocratique estessentiel (la soumission des autorités derégulation financières aux parlements) etl’échelle géographique décisive. La France nepeut s’insérer dans l’économie mondiale avecune organisation institutionnelle singulièreaussi bien conçue soit-elle. Le compromismondial peut être une eau tiède peu diffé-rente de l’arrangement actuel. L’Europe paraîtune échelle raisonnable pour amorcer unerégulation juste et démocratique.Au-delà de l’encadrement technique de l’ac-tivité financière, le contrôle démocratiquedoit porter sur la fiscalité (des revenus endéfinissant des principes partagés en Europe,mettant fin aux exceptions ou aux paradis fis-

caux européens, mais aussi des entreprisesafin d’uniformiser les règles fiscales euro-péennes). Le but n’est pas d’appliquer lesmêmes règles fiscales dans chaque pays,mais de permettre que les bénéficiaires desdépenses publiques y contribuent en fonctionde leurs moyens. Cette discipline est possibleà l’intérieur de l’Europe et peut même s’ac-compagner d’un contrôle des Européensrésidant à l’étranger, lorsqu’ils reviennentsur le territoire européen ou des normescomptables qui s’appliquent aux entreprisesqui vendent des produits sur le territoireeuropéen. Enfin, les pratiques sociales sontun autre champ qui doit être soumis de lamême façon au contrôle démocratique.Ce cocktail peut contribuer à raisonner lesinégalités. Tout ceci en attendant les consé-quences de la prochaine crise, celle de lasoutenabilité* et du climat.

M. Husson : Il faut d’abord renationaliser lesystème bancaire. C’est le seul moyen decontrôler l’usage des injections d’argent publicet d’éviter la socialisation des seules pertes. Onne peut accepter l’excuse invoquée par Jean-Paul Fitoussi, pour qui « l’État aurait vouludevenir actionnaire. Ce sont les banques quiont refusé » (Libération du 31/12/2008). Maiscette nationalisation doit être aussi une socia-lisation qui permette de faire du crédit unbien commun et de contrôler son orientationen fonction des priorités sociales.La crise systémique du capitalisme ouvreune zone prolongée de turbulences où peutémerger un projet de transformation socialefondé sur l’exigence de contrôle citoyen : surla répartition des revenus, sur le statut dusalarié, sur la gestion des entreprises. Ladéfense des mesures d’urgence doit per-mettre d’exprimer cette aspiration sous formerevendicative, par exemple pour un droitde veto sur les licenciements ou pour laconditionnalité des aides publiques auxentreprises. Un tel processus peut tracer laperspective d’une autre organisation de l’éco-nomie, guidée par la satisfaction optimale desbesoins sociaux, plutôt que par la maximi-sation du profit. ●

* cette notion recoupe celle de « développe-

ment durable »

▼La crise systémique du

capitalisme ouvre une zone

prolongée de turbulences

où peut émerger un projet de

transformation sociale fondé sur

l’exigence de contrôle citoyen

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M E N S U E L D ’ I N F O R M A T I O N D U S Y N D I C A T N A T I O N A L le snesup D E L ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R - N ˚57 1 J A N V I E R 2009

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La mondialisation et la globalisation finan-cière ont fortement impulsé la croissance

mondiale depuis quinze ans. Mais la crise de2007-2008 montre les risques, en termes destabilité et de soutenabilité, d’une croissancedirigée par les firmes multinationales, lesmarchés financiers et les stratégies natio-nales aveugles, sans institutions de gouver-nance mondiale. Les marchés financiersgèrent des masses énormes de capitaux enquête d’une rentabilité maximale. Ils exercentune influence déterminante sur les taux dechange, les cours bour-siers et les conditionsde financement desentreprises et desménages, mais ils sontaveugles, moutonnierset cyclothymiques. Laglobalisation financièreinduit des alternancesde boom et de krach.Elle permet le gonfle-ment durable de désé-quilibres qui finissent par éclater. La crise de2007-2008 a détruit les fondements théo-riques de la finance globalisée et a fait implo-ser les marchés financiers mondiaux.Il faudrait un nouveau Bretton Woods pourredéfinir le fonctionnement de l’économiemondiale et mettre sur pied une régulationmacroéconomique et financière mondiale.Mais cette gouvernance mondiale relève del’utopie tant les forces vives de la mondiali-sation (les firmes multinationales, les insti-tutions financières, les États-Unis et la Chine)y sont opposées, tant les pays ont des pointsde vue et des intérêts divergents. Le sommetdu G20 du 15 novembre 2008 à Washingtonpourrait ouvrir une phase de réforme dusystème financier international. La déclarationfinale reconnaît que la crise est due à l’in-cohérence des politiques macroéconomiqueset aux dysfonctionnements des marchésfinanciers internationaux. Elle ne se contentepas de déclarations d’intentions, mais lancedes pistes d’action précises. Mais sera-t-ellesuivie de mesures fortes ?

Quelle régulation macroéconomique ?L’équilibre macroéconomique mondial estpeu satisfaisant, instable et fragile. Les taux de

change des grandes monnaies ont été aban-donnés aux marchés. Ceux-ci, sans point d’an-crage, ont fait osciller les monnaies au rythmede leurs emballements et de leurs craintes. Cesfluctuations ne contribuent guère à équilibrerles soldes courants et attribuent au hasardgains et pertes de compétitivité. Certains pays (États-Unis, Royaume-Uni)laissaient stagner les revenus de la grandemasse des ménages, mais impulsent leurconsommation par la hausse de leur endet-tement et l’illusion de richesse qu’indui-

saient les bulles finan-cières et immobilières.Ce modèle était sou-tenu par de bas tauxd’intérêt qui permet-taient l’endettement etfaisaient gonfler lesprix des actifs.D’autres, tels l’Alle-magne et la Chine,basent leur croissancesur l’exportation et

l’accumulation d’excédents extérieurs abon-dants, qui s’ajoutaient à ceux des pays pro-ducteurs de pétrole (Moyen-Orient, Russieet Norvège). Les pays émergents, échaudéspar les crises passées, s’obligeaient à êtreexcédentaires pour ne plus dépendre desmarchés financiers ou, pire, du FMI. Cesexcédents ne finançaient pas les pays endéveloppement mais essentiellement le défi-cit des États-Unis, dont la persistance meten péril la stabilité monétaire mondiale. Ilva falloir que les États-Unis réduisent leurdéficit en maintenant un dollar bas et que

l’Allemagne comme la Chine impulsent leurdemande en distribuant plus de salaires etde prestations sociales.Comment organiser une régulation macroé-conomique mondiale ? Sous l’égide du FMI,un comité économique et financier pourraitguider l’orientation générale des politiquesmonétaires, budgétaires et même salariales,vérifier la compatibilité des objectifs desoldes courants et définir des niveaux sou-haitables des taux de change. Il pourraitmettre en garde contre des développementséconomiques et financiers insoutenables.Mais la tâche est ardue.Quelle serait la doctrine de ce comité,son arbitrage entre croissance et stabi-lité ? Chaque pays devrait se plier à unediscipline décidée de l’extérieur ; lesbanques centrales perdraient de leur indé-pendance. Que ferait-t-on si l’accord serévèle impossible ?La déclaration du G20 du 15 novembre neprévoit pas cette coordination permanentedes stratégies macroéconomiques.Le texte ne donne pas un rôle pivot auFMI ; tout au plus, devrait-il « anticiper etprévenir les crises ». Les leçons de la crisen’ont pas été tirées.

Mieux réguler les marchés financiersL’essentiel du texte du G20 est consacré àun projet détaillé de réforme des marchésfinanciers. Mais l’objectif est de renforcerleur régulation, sans remettre fondamenta-lement en cause leur rôle : les régulateursdoivent soutenir « la concurrence, le dyna-misme et l’innovation sur les marchés finan-

À la recherche de nouvelles régulationsmacroéconomiques et financières

La crise est due à l’incohérence des politiques macroéconomiques et

aux dysfonctionnements des marchés financiers internationaux

➔ par Henri Sterdyniak, Directeur du Département économie de la mondialisation à l’OFCE – Professeur associé à l’Université de Paris IX-Dauphine

▼Il faudrait un nouveau Bretton

Woods pour redéfinir le

fonctionnement de l’économie

mondiale et mettre sur pied

une régulation macroéconomique

et financière mondiale

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ciers », mais « doivent être capables des’adapter rapidement aux innovations ».Faut-il maintenir cette course inutile entreinnovations et régulation ? Certes, les mar-chés tireront les leçons de la crise : pendantquelques années, les banques et les fondsde placement seront plus prudents. Mais lerisque est grand que ces leçons ne soientvite oubliées ...Le G20 propose de renforcer la transparencedes marchés et des produits, notamment « desproduits financiers complexes ». « Les agencesde notation doivent être contrôlées, éviter lesconflits d’intérêt, améliorer leurs méthodes,en particulier pour les produits structurés ».Peut-on imaginer des agences de notationpubliques ? Non car l’État ou la Banque cen-trale ne peut se porter garant des opérationsfinancières. Mais, il faudrait inciter les inves-tisseurs à développer une expertise propre ;les produits financiers devraient être plussimples ; leurs détenteurs doivent êtrecapables d’évaluer leurs risques ; il faudraitinterdire les produits trop complexes dont lerisque n’est pas calculable.Le texte proclame que tous les marchés, pro-duits et acteurs doivent être soumis à unerégulation. Il propose de contrôler les para-dis fiscaux et réglementaires. Ne faudrait-ilpas s’y attaquer frontalement en interdisantaux entreprises et aux institutions financièresd’y localiser leurs opérations ? « Les normes comptables doivent être amé-liorées pour être plus transparentes et pourpromouvoir la stabilité financière ». Est-cecompatible dans un univers où les spécula-teurs recherchent les rumeurs et l’instabilité ?Il faudrait limiter fortement l’activité desfonds spéculatifs (les hedge funds) en leurinterdisant de spéculer avec des fondsempruntés à bas taux aux banques.Le texte recommande de revoir les pratiquesde rémunération des traders pour qu’elles neles incitent plus à des prises de risquesexcessives. Leurs primes devraient être gelées pendantplusieurs années pour pouvoir y imputer leséventuelles pertes des années suivantes.Plus fondamentalement, il faudrait réduirefortement leurs rémunérations pour qu’ellescorrespondent à l’utilité sociale de leur acti-vité.

Recentrer les banques sur leurs métiersLes banques ont pour mission d’assurer lefonctionnement du système des paiements,de fournir des placements sans risques, definancer les ménages et les entreprises quin’ont pas accès aux marchés financiers.Elles bénéficient de privilèges comme lagarantie des dépôts et l’accès au refinance-ment de la Banque centrale. En contrepar-tie, elles devaient respecter des ratios de sol-vabilité, comme le ratio Cooke qui leurimpose d’avoir des fonds propres supé-rieurs à 8 % de leurs crédits. Mais lesbanques ont tourné la législation en déve-loppant la tritrisation et les engagementshors-bilan. Elles sont intervenues sur lesmarchés financiers où elles ont réalisé unepartie croissante de leurs profits. Lors de lacrise, leurs pertes sur ces marchés ont faitdisparaître leurs fonds propres requis pourgarantir les crédits. La crise a montré qu’ilétait indispensable d’éviter les faillites ban-caires (puisque celles-ci, par effet domino,mettent tout le système financier en diffi-culté) et de restaurer la capacité desbanques à distribuer du crédit en les faisantrecapitaliser par l’État. Mais ces interventionspubliques posent la question du statut desbanques. Celles-ci sont investies d’une fonc-tion de service public. Leurs fonds propresétant la garantie de ce service, elles n’ontpas le droit de les utiliser à leur guise. L’in-tervention des États dans le capital desbanques ne devrait pas être considéréecomme temporaire, mais comme une basepour les recentrer vers leurs métiers et leurinterdire les activités spéculatives.Le texte du G20 ne remet pas en causel’existence des marchés de dérivés de crédit.Pourtant, le modèle où des institutions finan-cent ou garantissent les prêts faits pard’autres a fait faillite : il déresponsabiliseles préteurs et fait courir des risques incon-sidérés aux offreurs de garanties. Le G20prévoit d’améliorer les ratios de solvabilitépour y intégrer les opérations de titrisationet les opérations hors-bilan. Il faudra impo-ser aux banques de conserver une partie

importante des crédits qu’elles ont distri-bués. Actuellement, la régulation pruden-tielle est pro-cyclique ; en période de bonneconjoncture, les banques accumulent desfonds propres et peuvent financer large-ment les entreprises ; c’est l’inverse quand laconjoncture se retourne, ce qui accentue lacrise. Il faudra que les exigences de fondspropres varient selon la conjoncture. Ellesdevront aussi dépendre du type de créditpour encourager le financement de l’inves-tissement, pour décourager le crédit immo-bilier en période de bulle, pour rendre nonrentable le financement de la spéculation.

Diminuer le rôle des marchés financiersLa crise remet en cause la légitimité du sys-tème financier à dominer l’économie mon-diale, à fixer les taux de change, à dicter la

stratégie des entreprises, à drainer une partimportante des profits, à distribuer desrémunérations élevées. Renforcer la sur-veillance des marchés n’est pas suffisant. Ilfaut se donner comme objectif une baissedes rentabilités requises par les marchés,une modification de la répartition de lavaleur ajoutée (moins de dividendes et plusde salaires), une réorientation du systèmebancaire vers le financement des activitésproductives, un dégonflement du secteurfinancier et une diminution du rôle desmarchés financiers. ●

▼Il faut se donner comme objectif

une baisse des rentabilités

requises par les marchés,

une modification de la répartition

de la valeur ajoutée (moins de

dividendes et plus de salaires),

une réorientation du système

bancaire vers le financement

des activités productives

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FORMATION DES ENSEIGNANTS

Imposer une révision profonde et concertéedu projet des deux ministères

La protestation contre le caractère précipité et les tares de la réforme de laformation et du recrutement des enseignants a pris un tour convergentcomme le confirment les motions(1) de nombreux conseils d’université et d’IUFM.

RECHERCHE

0,23 % du « Plan de relance » !

La recherche n’est considérée ni comme une activité d’avenir, ni comme un moyen de relance : seulement comme un moyende propagande gouvernementale.

L’expression multiforme émanant desétablissements et de leurs conseils

s’est déployée face au flux assez chao-tique et souvent contradictoire desannonces ministérielles. Certaines lignesde fracture dues à la complexité de lasituation ont brouillé les cartes : déca-lages entre acteurs de l’IUFM, de l’uni-versité intégratrice et des autres univer-

sités sur le diagnostic et la stratégie,notamment en ce qui concerne la « mas-terisation ». Les uns s’inquiétant d’unevalidation incontrôlée d’éléments depréparation aux concours, d’autres ou lesmêmes préférant éviter de décerner desmasters susceptibles de faciliter une sup-pression des concours nationaux... L’in-tense débat sur cette réforme lancée parle SNESUP n’aura pas été vain pour sub-stituer à la démarche par trop défen-sive inspirée par ces craintes – en partiefondées – l’exigence ferme et construc-tive d’une véritable réforme.UNE DÉGRADATION SCOLAIREPROGRAMMÉECe sujet engage l’avenir de toute l’uni-versité française dans plusieurs de sesaspects essentiels. Entre autres défauts, leprojet gouvernemental s’ingénie à super-poser, au milieu de la même annéed’études, préparation aux épreuves duconcours, formation au métier d’ensei-gnant, et travaux d’études et de recherchevisant l’obtention du Master. Il réduit,pour de pures raisons financières, lenombre des épreuves des concours avec

ainsi que leurs moda-lités et contenus.Une reprise de laréforme suppose des’appuyer sur lespotentiels de prépa-ration des concourset de formation desIUFM et universités,de développer les

coopérations et non les concurrences, definancer les revenus des étudiants suivantune telle formation (bourses sociales,allocations, pré-recrutement, salaire defonctionnaire stagiaire), de créer desemplois en fonction des besoins réels del’Éducation nationale.C’est sur la base de ces exigences quedoit être négociée la révision totale de ceprojet de réforme, avec dans l’immédiatun maintien des concours dans leurforme actuelle pour la session 2010 et unnombre de postes réévalué, et la déci-sion de ne pas remonter au ministère lesmaquettes de master « enseignement ». ●

1. Cf. le texte rédigé initialement par SylviePlane (IUFM de Paris) et actualisé par le BureauNational du SNESUP [ Lettre-Flash n°44 ] destiné,moyennant adaptation, à la discussion et auvote des conseils d’université en vue d’uneexpression unifiée sur la réforme de la forma-tion des maîtres.

un contenu n’assu-rant pas que lesenseignants recrutésaient les compétenceset savoirs nécessairesà leurs missions. Ilporte une conceptionde la formation pro-fessionnelle qui l’op-pose aux savoirsscientifiques et la réduit à un apprentis-sage de bonnes pratiques transmises pardes pairs chevronnés pendant la pre-mière année d’exercice en responsabilitédevant les élèves. Il supprime une annéede stage salarié avec les problèmespécuniaires que poserait l’allongementdes études pour les étudiants se destinantaux métiers de l’enseignement. Quant àla masterisation, qui consacre une élé-vation souhaitable du niveau de qualifi-cation, met en cohérence et vient validerles acquis des candidats, elle ne doit pasêtre détournée par le gouvernement pourdiminuer le nombre de titulaires en leursubstituant des précaires détenteurs,notamment d’un master.LES TERMES D’UNE RÉVISION NÉGOCIÉEIl faut revoir la conception même de laréforme, en particulier le couplage mas-ter-concours – le concours doit pouvoirêtre antérieur à l’obtention du master –

➔ par Gérard Lauton et François Bouillon

➔ par Henri-Edouard Audier, membre du bureau national du SNCS-FSU

▼L’intense débat lancé par leSNESUP n’aura pas été vain

pour substituer à une démarchepar trop défensive l’exigence

ferme et constructived’une véritable réforme

Vingt milliards pour la « relance »,dont 3,8 pour le crédit d’impôt et

46 millions pour la recherche. Rien surl’emploi scientifique et les crédits deslabos... Le plan de relance du gouver-

nement, concernant 2009 et 2010, a troisvolets principaux :• Une politique de grands travaux surles infrastructures (autoroutes, TGV,canaux, etc.) et le bâtiment (locaux pour

L’entêtement des deuxministres.

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ÉTUDES DE SANTÉ

Un progrès limité par une démarcheopaque et malthusienne

Adoptée le 16 décembre 2008 par l’Assemblée Nationale, la proposition de loiportant « création d’une première année commune aux études de santé » est– à l’heure où nous écrivons ces lignes – en passe d’être adoptée par le Sénat.

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Faisant suite aux rapports sur les étudesde santé et leur intégration au LMD

(Debouzie en 2003, Thuillez en 2006), cetexte législatif est censé permettre lamise en œuvre dès la rentrée 2009, de laréforme préconisée par le rapport Bach

remis aux deux ministres (R.Bachelot etV.Pécresse). Sa remise en février 2008avait donné lieu à l’annonce d’une pro-fonde réforme de la 1ère année dès larentrée 2008.Après quelques mois de travail sur l’or-

ganisation de la 1ère année de licencepar les commissions pédagogiques natio-nales de médecine, pharmacie, odon-tologie et maïeutique, les ministresannonçaient un report de la mise enœuvre de la réforme à la rentrée 2009.

➔ par Marc Champesme, responsable du secteur Formations

la justice, locaux universitaires, patri-moine, etc.).• Une « prime à la casse » pour relancerle secteur de l’automobile.• Une politique d’avances financièresaux entreprises et de paiement immédiatde prétendues « dettes de l’État » enverscelles-ci, visant à renflouer leur trésore-rie, voire leurs profits.Sarkozy a annoncé que recherche etenseignement supérieur sont concernés àhauteur de « près de 700 millions » ;V.Pécresse, quant à elle, parle de 4,5 mil-liards de plus pour 2009. Qu’en est-il ?Dans les 700 millions dont parle Sar-kozy, la politique de relance par le bâti-ment conduit à investir environ 500 mil-lions dans les constructions universitaires(« avances » ou mesures nouvelles ?).Cela ne sera pas de trop, vu l’état desdits bâtiments.

180 millions pour les bureauxd’étude et centres derecherche des technologies dela défense (contrôle de véra-cité difficile). Enfin, 46 mil-lions pour la recherche via lesgrands équipements, notam-ment Soleil et ITER.« Le crédit d’impôt recherchedû au titre des années anté-rieures sera intégralement res-titué dès le début 2009, ce quireprésente 3,8 milliards d’eu-ros ». En termes clairs, le créditd’impôt, qui n’était versé qu’unou deux ans après, du fait desvérifications comptables, seraversé sans vérification. C’estpourquoi cette pauvrePécresse considère que sonbudget augmente de 4,5 mil-liards soit 26 % !Ce paiement anticipé n’est

qu’un prétexte pour renflouer la tréso-rerie des entreprises. Alors qu’elles n’ontaccru que de 500 millions leur rechercheentre 2002 et 2006, il est totalementimpossible qu’elles puissent utilementconsacrer 3,8 milliards de plus à larecherche en un an, sice n’est qu’une toutepetite partie de cettesomme. Avec les bâti-ments universitaires, uni-versités et recherchepublique représententdonc 550 millions dansle plan alors que 380 millions viennenttout juste d’être supprimés sur 2008. Pasun sou de plus sur l’emploi ou les cré-dits des laboratoires. En pleine crise, onattendait un effort, un investissementdans les savoirs, la recherche, l’avenir.Rien et même moins que rien.

Mais la femme-orchestre continue sontam-tam. Aux universités qui ne retrou-vaient pas dans leur dotation 2009, lacroissance budgétaire de 6,5 % annon-cée, Pécresse réplique que la croissanceest même de 15 % en moyenne. Demain+ 25 % ? Or, quiconque ouvre la loi definance pour 2009 lira que le programme« formation supérieure et recherche uni-versitaire » ne s’accroît que de 3,8 % eneuros courants, dont plus de la moitiépour les retraites. Donc si Pécresseannonce + 15 % sur les dotations desuniversités, c’est qu’elle bluffe et/ouqu’elle a pris l’argent sur un autre cha-pitre du programme, et pas seulementsur l’emploi et les salaires.Quel contraste entre cette parcimoniedu gouvernement dans le financementde nos secteurs et les dizaines de mil-liards déversés sans condition sur lesbanques ! Pourtant pendant des décennies, ellesont laissé pourrir les innovations deslaboratoires publics, jugeant cela « risqué» et peu rentable. Elles ont préféré spé-culer sur l’immobilier, les achats/ventesd’entreprises, quand ce n’est pas les tra-fics d’armes et des produits financiers

qu’elles savaientplus que douteux,mais qui dans l’im-médiat rapportaientgros. Elles en ontété récompensées.Car pour Sarkozy,aux Assises euro-

péennes de l’innovation, le vrai cou-pable des difficultés du pays c’est larecherche publique. Il a ordonné depasser rapidement à la dernière étape desa mise à mort.Collaborer à cette destruction ou résister,aujourd’hui il faut choisir. ●

▼Le crédit d’impôt sera

versé en 2009 aux entreprisessans vérification

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Malgré ce délai supplémentaire elle semet en place selon la stratégie gouver-nementale, maintenant bien connue :précipitation, absence d’information etde prise en compte des inquiétudes etrevendications des personnels et étu-diants concernés, impasse totale sur lesmoyens nécessaires. C’est le constatdressé avec des syndiqués intervenantdans les formations de santé, réunis parle secteur Forma-tions Supérieuresdu SNESUP le 17novembre 2008, quiont fait le point surles principales dis-positions de cetteréforme.Malgré le constatunanimement partagé d’un gâchishumain dans le système actuel où 80%des étudiants échouent au concoursaprès avoir subi des conditions d’en-seignement désastreuses, plutôt que dechercher à améliorer ces dernières et deremettre en cause le numerus clausus –tout au moins de le relever significati-vement pour répondre aux besoins dela société – le projet prévoit simple-ment une éjection plus rapide et sansappel en fin de premier semestre – c’est-à-dire après 2 ou 3 mois d’études ! –pour les étudiants en difficulté, avec undispositif de réorientation en licenceincertain.Actuellement, il y a 2 branches de for-mation : d’une part, une année de pré-paration à un concours commun méde-cine, odontologie, maïeutique, dont leclassement détermine les poursuitesd’études possibles et conduit ainsi àune hiérarchisation néfaste entre lescursus ; d’autre part, une préparation etun concours distincts pour les études depharmacie, mis en œuvre dans les UFRPharmacie. Le passage prévu à une année de pré-paration avec un programme d’ensei-gnement commun cadré nationalement(à l’exception de deux UE spécifiquesau 2ème semestre) intégrant la phar-macie et 4 concours distincts auraitl’avantage d’éliminer la hiérarchisationentre les cursus. De plus, l’intégrationdes études de pharmacie au dispositif,en permettant de donner une culturecommune à l’ensemble des étudiantsen santé, peut susciter l’intérêt. Cependant, les conditions de mise enplace provoquent de fortes inquiétudeschez les personnels et étudiants : com-ment assurer ces enseignements com-

muns et une préparation de qualitééquivalente aux quatre concours alorsque, le plus souvent, les études de phar-macie se déroulent actuellement dansdes UFR ou universités distinctes ? Com-ment faire en sorte, sans moyens nou-veaux en personnels – notammentenseignants –, que les conditionsd’étude actuellement plus favorablesdes étudiants en pharmacie ne subissent

une dégradationmajeure ?Par ailleurs, lesmodalités der é o r i e n t a t i o nannoncées ignorentles dispositifs misen place dansnombre d’universi-

tés pour permettre aux étudiants collésde valider les connaissances acquiseslors de l’année de préparation auxconcours et de se réorienter vers unelicence « traditionnelle ».Enfin, malgré les nombreuses annoncesdes deux ministres, la prise en comptede l’ensemble des formations de santé(i.e. y compris les formations paramé-dicales) dans un même cadre universi-taire n’est toujours pas à l’ordre du jour.Pourtant de nombreux étudiants dePCEM1 ou PCEP1 collés se réoriententvers les formations paramédicales et lademande des étudiants et professionnelsconcernés est forte en faveur d’une uni-versitarisation de l’ensemble de ces cur-sus. ●

▼Le projet prévoit simplement

une éjection plus rapideet sans appel

en fin de premier semestre

Enseignants et enseignants-chercheurs,étudiants, directeurs, présidents de

conseils ont exprimé leur inquiétudequant à la pérennité du DUT, un desrares diplômes, depuis le LMD, à conser-ver un cadrage national, et des IUT,composante originale dans l’université.En effet, alors que les IUT recevaientdirectement du ministère une dotation

déterminée selon des critères nationaux,c’est désormais chaque université quiattribuera aux IUT les moyens qu’ellevoudra... ou pourra : c’est là l’effet de lamise en œuvre de la LRU, et notam-ment du budget global. Baisse demoyens, fin du caractère national dudiplôme, disparité entre les IUT, affai-blissement de leur relative autonomie –

INSTITUTS UNIVERSITAIRES DE TECHNOLOGIE

Défendre, débattre, proposer

La fin de 2008 a vu les IUT se mobiliser pourleur défense : après des journées d’action, lemouvement s’est développé, jusqu’à la grèvedans divers instituts, et deux coordinations,l’une des étudiants, l’autre des personnels, sesont constituées.

➔ par Anne Mesliand, membre de la CCN IUT (SNESUP-FSU)

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différente de celle conçue par la LRU ! –,de leur originalité pédagogique, etc. À ces premiers mouvements le ministèrea répondu en créant un « comité de suivides relations Universités-IUT », compre-nant la DGES, l’ADIUT, l’UNPIUT et laCPU, et qui a élaboré une Charte « Uni-versité-IUT » : reprenant les demandesdes acteurs des IUT, elle ne constituetoutefois qu’une réponse contractuelle etnon législative ou réglementaire, faisantdépendre la mise en œuvre de ses prin-cipes de négociations locales et n’enga-geant le ministère qu’autant qu’il le vou-dra bien... ou le pourra ! (voir encadré)EN CETTE RENTRÉE 2009...Comment poursuivre le mouvement et lefaire aboutir ? • Les mouvements de l’automne ont vula convergence de forces différentes :personnels et étudiants, avec leurs syn-dicats mais aussi bien au-delà de ceux-ci, l’ADIUT, l’UNPIUT, le MEDEF et lesreprésentants du monde professionnel...Cette unité est essentielle(1). Pour autant,elle ne peut esquiver des questions fon-damentales. Ainsi, dans ce rassemble-ment, les analyses de la LRU divergent :alors que nous en dénonçons l’effet des-tructeur du service public, d’autres yvoient l’« avancée » d’une autonomie por-tant en elle les vertus de la concurrenceet de la privatisation(2). Or, la suite du

LA CHARTE « UNIVERSITÉ-IUT »(1)

• rappelle l’article L 713-9 du Code de l’éducation : les IUT « disposent pour tenircompte des exigences de leur développement de l’autonomie financière » prévoit pour2009 au minimum la reconduction des moyens affectés en 2008 aux IUT ;

• place toutes les recettes et les dépenses relatives au fonctionnement global de l’IUTdans le périmètre de l’ordonnateur secondaire qu’est le directeur de l’IUT ;

• instaure un « contrat interne d’objectifs et de moyens », décliné dans chaqueuniversité sur la base de principes restant à énoncer… promet un tableau de bordannuel et national des IUT ;

• réaffirme le rôle essentiel des instances CPN et CCN.

1. Telle que rendue publique le 11 décembre 2008.

mouvement, et notamment les objectifsqu’il s’assignera, dépendra de l’orienta-tion que prendront les débats sur cepoint.• De même, la question des conver-gences. Il n’est pas envisageable, denotre point de vue, de défendre les IUTsur la base d’un « corporatisme », fût-ilinstitutionnel, qui refuserait de considé-rer la situation de l’ensemble de l’uni-versité, les déficits graves que vivent lesautres composantes, les déséquilibresinduits par les différents modes de recru-tement, bref les effets d’une même poli-tique universitaire gouvernementale.Réaffirmer la solidarité des composantes,des intérêts des étudiants et des per-sonnels, est une nécessité. Là encore, lessolutions proposées peuvent divergerselon la position prise vis-à-vis des uni-versités. Ainsi, l’idée d’une « universiténationale de technologie » qui regrou-

▼Défendre les IUT devrait amener

à une participation forte auxjournées du 20, 22 et 29 janvier

perait l’ensemble des IUT « coupés » deleur université de rattachement consti-tuerait une réponse étroite, en termes derecherche, de parcours et d’objectifs desformations, et serait pour la volonté deprivatisation de l’enseignement supé-rieur(3 ) une opportunité certaine !Convergences aussi avec l’ensemble desrevendications des universitaires – statutdes enseignants – chercheurs enparticulier – et de la fonction publique.Défendre les IUT devrait amener à uneparticipation forte aux journées du 20, 22et 29 janvier.• Enfin, si nous sommes contraintsaujourd’hui à une ferme position défen-sive, nous ne pouvons nous en tenirlà : comment permettre aux IUT de sedévelopper, comme lieu éprouvé etdynamique de formation professionnelle,à l’écoute des évolutions scientifiques ettechnologiques, en lien avec les besoinssociaux, comme composante universi-taire porteuse d’une expérience et desavoirs nécessaires ? C’est dans les mobi-lisations que peuvent se dessiner despropositions audacieuses, ouvrant desperspectives innovantes et démocra-tiques. C’est une responsabilité du mou-vement, et du SNESUP en son sein. ●

1. En témoigne le texte élaboré par la CCN desIUT le 19 novembre et adopté à l’unanimité, voirwww.snesup.fr.2. C’est d’ailleurs un point d’achoppement expli-cite avec le MEDEF, qui veut bien défendre lesIUT – encore qu’il faille y regarder de près... –mais sans mettre en cause la LRU.3. Quelque forme qu’elle prenne...

Les IUT ont encore besoind’une mobilisation forte EN SAVOIR PLUS

Site de la coordination nationale despersonnels « Sauvons les IUT…et au-delà ! » : http://sauvonslesiutetaudela.wordpress.com/Site de l’ADIUT: http://www.iut-fr.net/Le Wikipedia : http://www.iut-fr.net/dokuwiki/doku.phpet, bien sûr: le site du SNESUP :www.snesup.fr

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DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Des évolutions inquiétantes !L’administration centrale des ministères de l’éducation nationale et del’enseignement supérieur et de la recherche, est en plein bouleversement,dans une direction inquiétante pour l’avenir du système éducatif et de ladémocratie. Cela concerne au premier chef la communauté universitaire !

➔ par Claude Marchand ,secrétaire du syndicat CGT de l’administration centrale

La RGPP entre maintenant dans unephase active, qui concerne en tout pre-

mier lieu la DGES (Direction générale del’enseignement supérieur), et cela en liai-son avec l’application de la LRU. Les pro-jets de décrets seront présentés au CTP du15 janvier et nous aurons l’occasion d’yrevenir plus précisément. Mais d’ores etdéjà, nous pouvons avancer les informa-tions et les hypothèses suivantes :DES FONCTIONNAIRES... LICENCIÉS !Cinquante-sept postes équivalent tempsplein (sur un effectif de 314 personnes)seront supprimés, ce qui correspond à unvéritable plan social. L’État est d’ailleurs entrain de se doter desinstruments juri-diques pour organi-ser la « mobilité » despersonnels : arrêtéfixant des primes dedépart, d’ailleurs déri-soires, mise en placede « cellule de réorientation », et la fameuseloi dite « mobilité », qui donne finalementla possibilité de licencier les fonctionnaires(mise en disponibilité d’office).Cette suppression des postes découlede l’abandon ou de la réorganisation decertaines missions :• La contractualisation avec les univer-sités devait dans le premier projet (dedécembre) devenir la mission d’uneAgence extérieure au ministère (Agencede service public). Mais des contradic-tions et des hésitations ont fait évoluer ladécision, qui sera de créer Pôle decontractualisation avec le statut d’unService à compétence nationale. Cettestructure, qui regroupera une centainede personnes, reste donc dans l’admi-nistration, mais avec au-dessus d’ellel’autorité d’un « conseil d’orientation »qui regroupera le patronat (un tiers desmembres), la CPU et la Conférence desgrandes écoles. Cette structure bâtardeévoluera sans doute dans le futur, etnous verrons si se met en place ce quiétait suggéré dans le discours deV. Pécresse lorsqu’elle a présenté laréforme en novembre : le pilotage de larecherche reste très centralisé et très

contrôlé par le pouvoir (la DGRId’ailleurs ne bouge guère), tandis quecelui des universités sera très décentré-nous traduisons et nous nous deman-dons : aux mains de quels lobbies, patro-nat, mandarin (CPU) etc. ?INCOHÉRENCE ET OPACITÉ• L’instrument principal de ce Pôle decontractualisation pour distribuer l’argentaux universités sera la mesure de leurperformance, avec au cœur de celle-cil’insertion des étudiants (la DGES devientd’ailleurs DGESIP »... et de l’insertionprofessionnelle »). Ici se situe undeuxième volet important de la réforme :

pour remplir lesindicateurs de per-formance, lar e s t r u c t u r a t i ondétache une partiede la DEPP (Direc-tion de l’évaluation,de la prospective et

de la performance) pour en faire un ser-vice au sein de la nouvelle DGESIP,accélérant ainsi d’ailleurs le démantèle-ment de la DEPP. Or l’évolution desservices statistiques est inquiétante (voirci-dessous l’interview d’Emin) : la ten-dance est de supprimer les études etles analyses (au profit de simple notes

d’alertes à destination du ministre), debloquer les publications, et d’éclater lesunités statistiques entre les diversesdirections. Ces petits services statistiqueséclatés dans chaque direction, qui aurontdu mal à rendre publics leurs travaux,seront en fait de simples outils de com-munication au service des directeurs etdu cabinet. La mesure de la performancedes universités, qui sera la « base scien-tifique » servant à justifier la répartitiondes moyens, risque d’être l’objet de nom-breux tripatouillages.Bref, la seule justification avancée à cejour de la création du Pôle de contrac-tualisation par le cabinet est : « plus decohérence et plus de transparence ».Nous sommes bien dans le registre de lanovlangue, car il faut traduire : plus d’in-cohérence (et de pouvoir aux lobbies) etplus d’opacité !À suivre... d’autant que les personnels dela DGES et de la DGRI se mobilisent :nombreuses AG, appel à la grève, etconviction grandissante qu’il faut réaliserl’unité avec les enseignants et les cher-cheurs.

1. Cité dans l’article de Bernard Gorce, Les sta-tisticiens de l’éducation dénoncent la censure duMinistère, paru dans La Croix, le 10 décembre2008.

DIRECTION DE L’ÉVALUATION, DE LA PROSPECTIVE (ET DE LA PERFORMANCE) : UN BEAU MIROIR HONNIPAR LE MINISTREQuestion à Jean-Claude Émin, ancien sous-directeur de la DEPPDepuis la création de la DEP, les études de cette direction –

Notes, État de l’École, Géographie de l’École – sont devenues une

référence dans la connaissance du système éducatif français, de

la maternelle à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, la DEPP

est-elle menacée ?

J.-C. É. : Effectivement, depuis plus d’un an, la publication de nombreux travaux a étébloquée. C’est le cas, entre autres, de L’état de l’École qui paraît normalement enoctobre, ce qui permet d’étayer le débat parlementaire sur le budget de l’éducation.On ne peut pas ne pas y voir une volonté de réduire l’information à la communicationgouvernementale, ce qu’avouait assez cyniquement le cabinet du ministre à unjournaliste : [la DEP] fournit des instruments au service du ministre qui reste le derniergarant de l’opportunité de leur diffusion. Le cynisme confine même au ridicule lorsquele cabinet autorise, au bout de plusieurs mois de demandes et de pressions, la publicationd’une Note d’information, mais... uniquement pendant les vacances de Noël.Ce que connaît la DEPP aujourd’hui s’inscrit dans les attaques actuelles contre toute lastatistique publique, notamment contre l’INSEE. Propos recueillis par François Bouillon

▼La mesure de la performance desuniversités risque d’être l’objet

de nombreux tripatouillages

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Comment la LDH caractérise-t-elle lamultiplicité et la gravité des atteintesaux droits et libertés en France en cedébut 2009 ? Notamment au regard duprojet de société voulu par le gouver-nement et le MEDEF dans la marche for-cée vers « les réformes » qu’ils veulentimposer ?Régressions sécuritaires, encore aggravéesdepuis 2007 : le système pénal adopte deslogiques d’automaticité de la répression etd’anticipation d’une dangerosité présumée ;la justice des mineurs perd sa spécificité, lerépressif se substituant à l’éducatif ; leConseil de l’Europe stigmatise l’état de pri-sons de plus en plus surpeuplées ; la gestionmilitarisée des interventions policières,notamment dans les quartiers pauvres, aprofondément dégradé les rapports entre lapolice et la population.Régressions xénophobes : une politiqued’« immigration jetable » considère lesmigrants soit comme des charges insuppor-tables (« immigration subie »), soit commedes « capitaux humains » à importer au grédes entreprises des pays riches (« immigrationchoisie »). La loi de novembre 2007 a ren-forcé les logiques de xénophobie d’État. Lachasse aux sans-papiers s’intensifie, lesdrames humains se multiplient. Les « délin-quants de la solidarité », militants associatifscomme fonctionnaires, sont menacés et deplus en plus souvent poursuivis.Régressions antisociales, dans un jeu devases communicants entre l’« État social »en recul et l’« État pénal » en expansion : jux-taposition du « bouclier fiscal » et des « fran-chises » médicales, blitzkrieg sur le code dutravail saturant les partenaires sociaux,contrôle social des chômeurs, etc. Le popu-lisme, jouant sur la fragmentation sociale,s’adresse aux individus mis en concurrenceles uns avec les autres (parents d’élèvescontre enseignants avec le « service mini-mum », salariés du secteur privé contre fonc-tionnaires avec la réforme des régimes deretraites...).

Vigilance et solidarité ont marqué despoints (RESF, CODEDO...) mais lesatteintes au respect et à la dignité despersonnes explosent et se banalisent(rôle des fictions télévisées...), malgré

les condamnations de la France par laCour européenne des droits de l’Homme :garde à vue systématique, brutalitéspolicières, carcérales... Comment conju-rer ces risques ?Les spectaculaires dérapages policiers tou-chent des catégories de plus en plusdiverses : ce que vivent les habitants desquartiers dits « sensibles » est expérimenté pardes populations qui n’y étaient pas habi-tuées.Les habitants de Tarnac (Corrèze) ont assistéà une opération de la police antiterroristetotalement disproportionnée aux faits qu’elleentendait traiter (le sabotage de lignes élec-triques ferroviaires n’a menacé aucune viehumaine), suivie de graves violations de laprésomption d’innocence et d’une mise enscène criminalisant idées et modes de viejugés subversifs par le pouvoir.

Enseignants et élèves du collège de Mar-ciac et de l’École des métiers de Pavie (Gers)ont découvert que l’on pouvait, à l’impro-viste, lâcher un chien policier dans desclasses, humilier et terroriser des adoles-cents et, alors même que l’on n’a pas trouvéun milligramme de la drogue que l’on étaitsûr de saisir, continuer à les considérercomme des trafiquants retors.Un journaliste de Libération, arrêté devantses enfants à 6h30 du matin, a été menotté,soumis à une fouille anale et lui aussi humi-lié en garde à vue pour une affaire de plainteen diffamation dans laquelle aucune peinede prison n’était encourue, au point queNicolas Sarkozy lui-même a demandé uneprocédure pénale « plus respectueuse de ladignité des personnes » (sic).Il est temps que les citoyens se mobilisentpour refuser ces pratiques indignes d’unÉtat de droit. La LDH y contribuera notam-ment par les enquêtes de la CommissionCitoyens Justice Police qu’elle anime avec leSyndicat de la magistrature et avec le Syn-dicat des avocats de France.

Présente à la tribune lors de la confé-rence de presse organisée par le SNE-SUP en juillet 2007 contre le projet de loiLRU, la LDH avait dénoncé un rétrécisse-ment des droits de tous à l’universitésous l’effet de cette réforme. Commentrelancer sous cet angle alertes et initia-tives au-delà des rangs des universi-taires ?Ce ne sont pas seulement les libertés uni-versitaires mais aussi la qualité du servicepublic et les droits des étudiants qui sontmenacés par cette « contre-réforme ». LaLDH, engagée dans la campagne pour ladéfense des services publics, considèrecomme un devoir de l’État la garantie del’égalité face au droit à l’éducation et parti-cipera à toute mobilisation avec les organi-sations syndicales enseignantes et étudiantescontre des orientations injustes et dange-reuses. Elle est également prête à soutenirune initiative publique de sensibilisation del’opinion publique, comme avec le mouve-ment « Sauvons la recherche ! », pour alerternos concitoyens sur la gravité des menacesqui pèsent sur l’avenir de l’université. ●

Propos recueillis par Gérard Lauton

▼Le populisme, jouant surla fragmentation sociale,s’adresse aux individus

mis en concurrence les unsavec les autres

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ENTRETIEN AVEC

Jean-Pierre DuboisPrésident de la Ligue des Droits de l’Homme

Acteur majeur d’actions concrètes bien au-delà d’une veille sur les Droits de l’Homme,la LDH est un partenaire précieux au plan national comme sur le terrain local.

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Les bâtiments de l’université s’étendentsur les cinq sites de la bande de Gaza

en plus du bâtiment de la présidence.Des centaines de salariés assurent lesenseignements à 16 000 étudiant.e.s.Tout le dispositif de formation a été tou-ché par les opérations de guerre israé-lienne qui ont débuté le 27 janvier 2008 :•Gel total des cours pour plus de 12 000étudiants ne pouvant plus rejoindre leslocaux vu les bombardements par l’avia-tion militaire israélienne de toutes lesvoies d’accès.•Report des examens du 1er trimestreprévus le 3 janvier.•Le potentiel (salles, labos, bureaux) asubi des dégâts majeurs :– dans les sites du nord de Gaza et deKhan Younès, tous les biens mobiliers,portes et fenêtres sont totalement détruits ;– même chose dans le site de Gaza suiteau bombardement d’une télé satellitairevoisine ;– la bibliothèque centrale est gravementendommagée (portes, fenêtres, étagères,ouvrages) par des bombes larguées pardes avions Fantômes sur le local del’ONG d’aide aux blessés ;– destruction partielle de nos locaux admi-nistratifs et deux décès par une bombe surdes passants devant l’entrée centrale.• La destruction des maisons de nossalariés suite à un bombardement directou à celui d’objectifs voisins.• Beaucoup ont perdu des prochespris pour cible ou se trouvant près decibles proches (Jabalia, El Shaboura).

• Nombreux étudiants décédés ou bles-sés de la même façon, surtout dans le sitedu Centre et à Rafah où les pertes sontcatastrophiques du fait de bombes d’unepuissance exceptionnelle.Mêmes pertes dans les autres universitésde la bande de Gaza, énormes dégâts àl’université islamique.Une cellule de suivi sur la situation desemployés et étudiants de Gaza porteassistance aux personnels et étudiantssinistrés.En Cisjordanie, les enseignements sontévidemment perturbés par les événe-ments de Gaza. Des actions de solidaritéet des mouvements de grève et de sou-tien sont organisés quotidiennement. ●

GAZA : ALQUDS OPEN UNIVERSITY

L’université sous les bombes

Étudiants et salariés de l’université payent un lourd tribut aux « offensives »de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

➔ par Dr Younès Amro, Président d’Alquds Open University, Jérusalem - Palestine

SOLIDAIRES À TOULOUSE II LE MIRAILNous sommes plusieurs à vouloir que notre université participe aux efforts pour la paixau Proche-Orient. Nos actions de coopération visent à défendre le droit de l’Hommeessentiel à la culture et à l’éducation. Nous coopérons depuis plus de quatre ans avecl’Université Al Quds Open (à distance) en Palestine dont les locaux de Gaza ont étébombardés par l’armée israélienne le 1er janvier 2009. Soyons solidaires de tous ceuxqui veulent la paix et le respect de la Palestine comme d’Israël. On ne peut accepter lamort d’un être humain comme réponse à un problème politique. La voix humaine peutêtre plus forte que les bombes, la paix est la meilleure politique. Pour y contribuer,parlons-nous et parlons fort aux dessus des murs et des fracas. Soyons en éveil pourfaire un geste, une action, un signe aux étudiants, enseignants, hommes, femmes,enfants de Gaza qui doivent se dire que le monde se tait sur leurs souffrances.par Séraphin Alava Directeur exécutif du Réseau Universitaire Pyrénées Méditerranée

Les bombardements ont duré environ 10minutes, comme un tremblement de terreau-dessus de nos têtes. Les fenêtresvibraient et grinçaient. Mon fils de 10 ansterrorisé sautait d’un endroit à l’autre pourtenter de se protéger. Je l’ai serré fortcontre moi, j’ai essayé de le rassurer etde l’apaiser. Ma fille de 12 ans paniquées’est mise à rire hystériquement. Je lui aipris la main et l’ai calmée, lui disant qu’ellen’avait rien à craindre. Ma femme affoléecourait partout dans l’appartement, cher-chant un endroit où se mettre à l’abri.Du rez-de-chaussée, nous sommes des-cendus au sous-sol. Non loin de chez nousle commissariat central a été bombardé, lechef de la police tué. Deux rues plus loin,une autre bombe est tombée, faisantd’autres morts. Le bureau du président,loin d’un kilomètre, a aussi été bombardé.Au sous-sol, j’ai essayé de nous protéger desbombardements. La fille de notre cousinétait enfin rentrée de l’école. Nous nesavions pas où elle était. Toutes les com-munications téléphoniques étaient cou-pées. Elle est revenue dans un état de chocterrible, pâle, tremblante, et nous a décritles cadavres vus dans la rue. Sur le chemin,elle a rencontré des gens du Hamas en uni-forme ... morts. Au réveil le matin, j’étaisangoissé. J’ai mangé du pain et du fro-mage et bu un verre de thé.Comme tous à Gaza, je ressentais quequelque chose de très grave se préparait.Quand Israël a autorisé le passage de den-rées alimentaires et de carburants, je me suisdit qu’ils projetaient une attaque massive.Ils ne veulent pas qu’on leur reproche d’af-famer les populations.Nous nous demandions quoi faire à man-ger pour le déjeuner, qui est notre repasprincipal. Quoi faire cuire, comment,aurons-nous assez. « Il n’y a plus rien ; j’aiacheté des boîtes de conserve », a dit mafemme.C’est alors que tout a brusquement éclatéavec une énorme explosion. Je suis trèsinquiet de ce qui va se passer, de savoircombien de morts il va encore y avoir.

Docteur Eyad Al Serra, psychologue

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J’étais lycéenne dans lesannées 80, en pleine criseet chômage, et la littéra-ture m’a aidée commeévasion, comme accès àla beauté, à l’art, et nonpour me replonger dansun quotidien angoissant.Elle m’a aidée à penser etgrandir, même si apparemment elle ne parlait pas for-cément de moi.Comment les universités en France s’ouvrent-elles à la créa-

tion, à la création littéraire ? Faut-il envisager des cursus

spécifiques comme en Amérique du nord ? La forme d’ateliers

d’écriture est-elle pertinente ?

J’ai animé un atelier d’écriture à Paris III il y a quelquesannées, et je tiens un séminaire « psychanalyse et littérature »,à l’ENS, ouvert à tous : « Écrire, qu’est-ce que c’est ? » (E.N.S.,45, rue d’Ulm, Paris 5e, les mardis 10 février, 10 mars & 7 avril,12 mai, salle Celan ou Weil, 20 h 30 à 22 h 30 : www.ihep.fr).Paris VII m’avait aussi invitée comme écrivain cette annéemais je n’ai pas le temps de tout faire. Je suis assez sceptiquesur la forme atelier d’écriture à la fac, mais peut-être est-cemoi qui ne sais pas bien le faire !On peut certainement débloquer des phobies ou des timidi-tés dans un milieu moins immédiatement ouvert à l’écrit, jepense aux prisons ou à tout ce que fait quelqu’un commeFrançois Bon, dans une approche sociale.À la fac, les étudiants en lettres se rêvent tous écrivains, c’estnormal, c’est une phase. Il faut régler son rapport à l’écriture,à cet âge-là, mais personne n’apprendra jamais à un étudianten lettres à être écrivain : c’est à lui ou elle de se trouver, des’affirmer dans cette voie solitaire, où il faut une ténacitéénorme ! Une psychanalyse aide sans doute plus qu’un ate-lier, dans ce cas. ● Propos recueillis par Jean Fabbri

Marie Darrieussecq, vous êtes à la fois universitaire,

enseignant-chercheur et auteure de plusieurs romans.

Aujourd’hui vous publiez une traduction d’Ovide, TristesPontiques, chez POL. Ces deux activités en quelque sorte

incarnées dans ce dernier ouvrage, ont-elles des résonances ou

sont-elles cloisonnées ?

J’ai un latin de khâgneuse, pas tellement plus. J’ai fait unethèse en lettres modernes. Pour moi cette traduction faitpartie de mon travail d’écrivain. Ovide a écrit ces lettresparce qu’il était déchiré par l’exil, et pas pour s’adresser à unpublic scolaire, même si, bien entendu, elles peuvent être (unpeu) lues à l’école. Je vais me rendre dans plusieurs classesde lycée à l’occasion de cette traduction. Je voulais rendre à

Ovide sa langue fluide et simple. Par exemple, à l’époque« faire de la poésie » se disait couramment « cultiver l’Hélicon »,c’était un cliché usuel, mais aujourd’hui ça ne rime à rien detraduire ainsi, ça « sent » trop le latin : il faut traduire en fran-çais, dans un équivalent de langue fluide.Les romans ou récits français contemporains nous parlent-ils

vraiment de la jeunesse étudiante, dans sa diversité, ses

difficultés à trouver motivations et orientations, son entrée

tardive ou précaire dans une vie active très déstructurée ?

La littérature n’est pas faite pour « parler » de quelque chose.Sinon elle se transforme en discours politique, en programme,en pamphlet, en tout ce qu’on veut mais pas en littérature.

Dans L’Anti-Œdipe, Deleuze et Guattari nous avaient avertis : « Lecapitalisme plus cela déconne, mieux çà marche ». Comment se fait-il que ce système mortifère, le capitalisme, malgré ses crisesmajeures, continue à tenir debout ? C’est que le capitalisme n’estpas seulement un système économique et social, c’est aussi un sys-tème dont le soubassement est le désir humain.Depuis Freud, on le sait, le désir est un mélange d’amour, Eros, etde mort, Thanatos. Le désir lie les hommes entre eux, et, en mêmetemps, les oppose souvent violemment.Que le capitalisme ait besoin d’Eros, de lien, pour se perpétuer, rienne le prouve autant que l’omniprésence de la notion de« conscience », impensée dans la stigmatisation de la grandecrise financière et économique que nous traversons.Le livre de Bernard Maris et de Gilles Dostaler explore la phase « tha-natique » du capitalisme. Ces auteurs établissent une relation

entre le masochisme primaire de l’homme,la pulsion de mort retournée contre soi, etla quête infinie de l’argent qui est sansfonds.C’est cette course effrénée, le désir d’argent,moteur du capitalisme, que Keynes voulaitstopper : « Ce qu’il voulait, c’était que lasociété s’arrête de gaspiller et d’accumuler ».Après toutes les grandes tentatives des années 1970 pour penserensemble Marx et Freud, Maris et Dostaler, universitaires français etquébecois, essayent d’inventer une vision freudo-keynesienne ducapitalisme. Conception dans laquelle Keynes nous proposeraitl’antidote au désir mortifère de posséder infiniment et, finalement,de perdre.

▼La littérature n’est pas faite

pour « parler » de quelque chose.Sinon elle se transforme en discours politique,

en programme, en pamphlet▲

Tristes Pontiques, une traduction d’Ovide➔ Entretien avec Marie Darrieussecq

➔ ParFrançois Bouillon

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