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Des médaillons brodés consacrés à l'histoire de saint Martin Lyon, musée des Tissus et des Arts décoratifs. @MUSÉEDESTISSUS DELYON / PIERRE VERRIER. Le musée des Tissus de Lyon conserve dans ses collections un ensemble de vingt-deux médaillons très connus illustrant l'histoire de saint Martin.Achetés en 1909 au marchand Martel, ils forment deux croix de chasuble et deux bandes d'orfroi, suggérant le décor du revers et de la face du vêtement. Il s'agit d'un remontage effectué sans doute au XVIIe siècle, remontage maladroit car il ne tient aucu- nement compte de la chronologie de l'histoire de saint Martin, à laquelle l'iconographie des médaillons est consacrée. Ces médaillons, comme l'a montré Margaret B.Freeman dans son étude, appartiennent à une série plus large comprenant. outre les vingt-deux éléments du musée des Tissus, deux médaillons du Metropolitan Museum of Art de New York,qua- tre de la collection Lehman du même musée, deux du Cooper Hewitt Museum également à New York, un conservé à la Walters Art Gallery de Baltimore, et un dernier préservé dans une collection particulière. À ces médaillons s'ajoutent quatre panneaux rectangulaires, dont un est conservé au musée national du Moyen Âge à Paris; deux sont au musée des Tissus de Lyonet sont placés depuis le XVIIe siècle au centre des croix de chasuble. Un autre est conservé dans une collection particulière, tandis qu'un der- nier a été recoupé en ovale et est conservé à l'église Saint-Michel de Gand. On peut supposer que la série connue et conservée est incom- plète car la célèbre et incontournable scène de saint Martin parta- geant son manteau ne figure sur aucune des pièces conservées. Cet ensemble devait être destiné à un groupe de vêtements liturgiques pour une chapelle. Peut-être ornaient-ils la bande d'orfroi d'une chape ou encore la surface d'un antependium comme le montrent, dans leur expression la plus prestigieuse, la chape ou l'antependium de l'ordre de la Toison d'Or conservés au Kunsthistorisches Museum

Des médaillons brodés consacrés à l'histoire de saint …histoirepatrimoines.lorraine.eu/.../illustrations/RFEST456_FicheB.pdf · mains au ciel pour rendre grâce. Or, l'accent

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Des médaillons brodésconsacrés à l'histoire de saint Martin

Lyon, musée des Tissus et des Arts décoratifs. @MUSÉEDESTISSUSDELYON/ PIERRE VERRIER.

Le musée des Tissus de Lyon conserve dans ses collections unensemble de vingt-deux médaillons très connus illustrant l'histoire desaint Martin.Achetés en 1909 au marchand Martel, ils forment deuxcroix de chasuble et deux bandes d'orfroi, suggérant le décor durevers et de la face du vêtement. Il s'agit d'un remontage effectuésans doute au XVIIesiècle, remontage maladroit car il ne tient aucu-nement compte de la chronologie de l'histoire de saint Martin, àlaquelle l'iconographie des médaillons est consacrée.

Ces médaillons, comme l'a montré Margaret B.Freeman dansson étude, appartiennent à une série plus large comprenant.outre les vingt-deux éléments du musée des Tissus, deuxmédaillons du Metropolitan Museum of Art de New York,qua-tre de la collection Lehman du même musée, deux du CooperHewitt Museum également à New York, un conservé à laWalters Art Gallery de Baltimore, et un dernier préservé dansune collection particulière.À ces médaillons s'ajoutent quatre panneaux rectangulaires,dont un est conservé au musée national du Moyen Âge àParis; deux sont au musée des Tissus de Lyonet sont placésdepuis le XVIIesiècle au centre des croix de chasuble. Unautre

est conservé dans une collection particulière, tandis qu'un der-nier a été recoupé en ovale et est conservé à l'église Saint-MicheldeGand. On peut supposer que la série connue et conservée est incom-plète car la célèbre et incontournable scène de saint Martin parta-geant son manteau ne figure sur aucune des pièces conservées. Cetensemble devait être destiné à un groupe de vêtements liturgiquespour une chapelle. Peut-être ornaient-ils la bande d'orfroi d'unechape ou encore la surface d'un antependium comme le montrent,dans leur expression la plus prestigieuse, la chape ou l'antependiumde l'ordre de la Toison d'Or conservés au Kunsthistorisches Museum

de Vienne.Il était par ailleursfort courantque les princesoffrent detelles chapelles.Lescomptes royauxet princierstémoignentde cespratiques.Les registres de la fabrique de la cathédrale d'Angersconserventdes traces de la grande broderiedonnéeen mars 1463par le roi Renéet son épouse '. Cette chapellea été détruite à laRévolution.Latentation estgranded'associerl'ensembleconservéàLyonau mariagepar procurationde la fille du roi René,Marguerite,avec le roi d'Angleterre Henri IV,célébré dans la basilique Saint-Martin en 1444.On sait qu'à cette occasion, le roi, qui avait unegrande dévotion pour saint Martin, avait offert des pièces brodéesd'un grandprix.Saint Martin figure en effet parmi les saints les plus populairesduMoyen Âge et de l'époque moderne. Ses premiers biographes,SulpiceSévèreet Grégoirede Tours,contribuèrentau succèsde sonhistoireet à la constructionde sa légende.MneFreemana effectuéun important travail de rapprochementdes scènes représentées

. sur les broderiesavec le texte de Grégoirede Tours.L'iconographiedes médaillonsconservésà Lyonse réfère non seulementà la viede saint Martin,maisaussià ses miracleset guérisons,sansoublierlavénérationdesesreliqueset ledéveloppementdesonculte.Il n'endemeure pas moins que certaines scènes restent problématiques.Le miracledu bateau en constitue un exemple.Il pourrait s'agir dumiraclede l'homme muet qui retrouve la parole à bord et lève lesmainsau ciel pour rendregrâce.Or,l'accentest mis sur la tempêteque subit l'embarcation,ce qui rapprochecette scène de l'épisodeoù le marchandest menacépar le naufrageet, bienqu'encorepalen,saint Martin intervienten safaveuret apaisela tempête.Laqualitéde la broderieet du dessinfait de cet ensembleune com-manderoyale.AlbertChâtelet2 lesa rapprochésdesminiaturesduBoccaceconservéà la bibliothèquede Genève,lesquellessont attri-buéesà HenrydeVulcop,peintrede la reineMaried'Anjou,remettantdès lors en questionune attribution à Barthélémyd'Eycket à Pierredu Billant.Pierredu Billantest mentionnécomme peintre dans lescomptes angevinset on lui attribue l'illustration du manuscrit duParadisde la reine Sibylle écrit par Antoine de la Salle,conservéau musée Condé de Chantilly L'écrivain,comme Pierredu Billant,appartenaità la suite du roi Renéd'Anjou. Quoiqu'il en soit, le oules peintres qui ont donné les modèlesau brodeur appartiennentà l'écoleburgondo-flamande.Cet ensemblede médaillonsa incontestablementune origine royaleen raisonde laqualitédudessinainsiquede cellede labroderie,faitede fils d'or et de soiespolychromes,réaliséeà l'or nué,à la peintureà l'aiguille,en couchuredefilés métalliquesdoréset argentés.Ilsillus-trent le caractèrecosmopolitede la cour du roi René.Cesélémentsserontexposésà l'automne2010au muséedesTissusdans le cadredu réaccrochagedes salles des étoffes françaisesdu Moyen Âgeet de la Renaissance.

MARIA-ANNEPRIVAT-SAVIGNY

conservateur en chef du patrimoine,directeur du musée desTissuset du musée desArts décoratifs de Lyon

1.L'EuropedesAnjOu.Aventure des princesangevinsdu XIII'au XI!' siècle,paris,200S,p.38S,n° 199.2.AlbertChâtelet, "Pourenfinir avecBarthélémyd'Eyck",GazettedesBeaux-Arts,1998,t. CXXXI,p.209.

BibliographieColin Eisler,"Two Early Franco-Flemish Embroideries, suggestions for their set-

tings", TheBurlington Magazine,vol. CIX,n° 775, octobre 1967,p. 571-580.- Margaret B. Freeman, The St Martin Embroideries. A Fifteenth Century SeriesIllustrating the Life and Legendof St Martin of Tours,New York, 1968.- Nicole Reynaud,"Barthélémy d'Eyck avant 1450",Revuede l'Art, 1989,n° 2, n° 84,

p 38-40.- Nicole Reynaud,"Une broderie de l'histoire de saint Martin. Barthélémy d'Eyck ouPierre du Billant", Revuedu Louvre et des Muséesde France, 1997,n° 4, p.37-50.

- Albert Châtelet, "Pour en finir avec Barthélémy d'Eyck", Gazt!.ttedes Beaux-Arts,1998,t. CXXXI,P 199-220.- El RenacimientoMediterraneo, Madrid,valence,2001, p.367-369,n° 55.