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Lycée Arcisse de Caumont 3 rue Baron Gérard 14400 BAYEUX NOM : Prénom : 1 STMG 1 Descriptif des lectures et des activités

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Lycée Arcisse de Caumont3 rue Baron Gérard14400 BAYEUX

NOM : Prénom : 1 STMG 1

Descriptif des lectures et des activités

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SEQUENCE 1 L'Or (1925) de Blaise Cendrars : un roman d'aventures

Objet d'étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours (œuvre intégrale)

Problématiques : Comment la destinée de Suter rend-elle compte de l'atmosphère d'une époque ? Enquoi L'Or participe-t-il au renouvellement des formes romanesques du début du XXème siècle ?

Perspective d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. L'incipit, de "Ces paisibles campagnards bâlois" jusqu'à “... Tout le monde loua fort la prudence du syndic”(chapitre 1)

2. L'Ouest, de “Un jour, il a une illumination...” jusqu'à “... obliquent brusquement à l'Ouest” (chapitre 7)

3. "L'or m'a ruiné", de “J'étais sur qu'une telle affaire ne pouvait rester secrete” jusqu'à “... la découverte de l'orm'a ruiné” ( chapitre 9, partie 31)

4. La mort de Suter, de « Par un chaud apres-midi de juin... » jusqu'à la fn (chapitres 16 et 17, parties 73 et 74).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : le héros d'aventures : Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, 1829 ;Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839 ; Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845 ; Albert Camus,L'Etranger, 1942.

• Groupement de textes : l'histoire de Sutter : Francis Lacassin, préface de L'Or, Gallimard, Folio (1998) ;Le Figaro du 14 octobre 2007, article de François Taillandier : Le Capitaine Sutter : fondateur de la Nouvelle-Hélvétie ;le périple de Suter

• Groupement de textes : Blaise Cendrars répond aux attaques : "Lettre ouverte aux librairesaméricains", "Lettre ouverte aux éditeurs Haper et Brothers".

• Lecture cursive : No et moi (2007) de Delphine de Vigan

– lectures d'images :

• la ruée vers l'or au cinéma : visionnage et analyse d'extraits de flms : La Ruée vers l'or (1925) de Charlie Chaplin, Sutter's gold (1936) de James Cruze et Der Kaiser von Kalifornien (1936) de Luis Trenker

• l'or en peinture : Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514) et Jacques De Gheyn, Vanité (1603)• l'adaptation cinématographique de No et moi (2009) par Zabou Breitman

– autres activités :

• Blaise Cendrars : un poete aventurier• Le roman dans son contexte : la Californie, de la domination espagnole à l'entrée dans l'Union ; le Gold rush

de 1848 ; comment Cendrars s'empare de l'Histoire ; la polémique autour du roman• La structure de l'oeuvre : les chapitres, les segments• Les personnages dans le roman : Suter, ses adjuvants et ses opposants• Un paratexte mystérieux : le sous-titre, la dédicace, les deux citations et la datation fnale• Une oeuvre hybride : roman d'aventures, journal intime, lettre, extraits de journal, discours, rapport offciel,

dialogue théâtral_______________________________________________________________________________________

Activités conduites en autonomie par l'élève :

• TICE : la roue de la Fortune : les éleves ont effectué une recherche sur le symbole médiéval de la roue de laFortune.

• Sujet de dissertation : Dans Deux défnitions du roman (1866), Emile ZOLA déclarait : « le premierhomme qui passe est un héros suffsant ». Discutez cette affrmation en prenant appui sur les textes du corpuset sur les œuvres que vous connaissez.

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SEQUENCE 2 Montserrat (1948) d'Emmanuel Roblès :comment l’opposition avec le monstre permet-elle de construire le héros ?

Objet d'étude : théâtre, texte et représentation (oeuvre intégrale)

Problématique : Pourquoi la théâtralité, en ce qu’elle montre la violence, permet de révéler les étapes de construction du héros ? Pourquoi faut-il choisir de rester Homme jusqu’au bout, même s’il s’agit du choix le plus désespéré ?

Perspectives d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. L'exposition (I,1)

6. La discussion entre Montserrat et les otages, de "Ecoutez-moi…" jusqu'à "... rester dignes du sacrifcedu Christ !" (II,1)

7. L'exécution du marchand, du début de la scene jusqu'à "Nous t’écoutons  !" (III,1)

8. La seconde confrontation entre Izquierdo et Montserrat, de "Tu vas me rendre vaniteux..." à la fnde la scene (III, 8).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill,scenes 3 et 4, 1888 ; Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte II, scenes 3 et 4, 1943 ; Albert CAMUS, Caligula,acte II, scene 5, 1944 ; Eugene IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

• La préface de l'auteur• Note d'intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scene • Lecture cursive : Roberto Zucco (1988) de Bernard-Marie Koltes

– lectures d'images :

• Mises en scène de Montserrat : en 2003 au Vieux Saint-Etienne à Rennes ; en 2010, à Joué-Les-Tours,par la Compagnie de l’Ours Blanc (Région Pays de Loire) ; en 2013, par la Compagnie Les Incompressibles.

• L'art contre l'exécution : Le Trois mai (1814) de Francisco Goya ; L'Exécution de Maximilien (1867) d'EdouardManet ; Massacre en Corée (1951) de Pablo Picasso et L'Exécution (1995) de Yu Minjun

– autres activités :

• Emmanuel Robles : biographie et bibliographie• Le contexte historique• Les personnages : Montserrat vs. Izquierdo, les otages• La construction de la piece• Le décor de la piece

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Activité conduite en autonomie par l'élève :

• Ecrit d'invention : Ecrivez la lettre du marchand à Montserrat pour le faire changer d’avis. Il comprendqu’il doit garder son sang-froid et s’exprimer calmement en mettant en avant l’amour qui l’unit à sa femme.Vous devez pe r suader Mont se r ra t , l e toucher au cœur e t f a i re appe l à s e s s en t iment s .Vous utiliserez des passages narratifs ou descriptifs pour émouvoir le personnage.

• Mise en scène de la fn de la scene III,8 (la deuxieme confrontation entre Montserrat et Izquierdo) :Montserrat est sur le point de révéler, pour la seconde fois, l'endroit où Bolivar se cache. Comment interpréter certainesdidascalies, notamment "On doit comprendre quer Montserrat s'est repris et qu'il ne parlera plus".

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SEQUENCE 3Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire :

entre tradition et modernité

Objet d'étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours

Problématiques : en quoi Apollinaire est-il à la fois l'héritier d’une tradition et l'expérimentateur de nouveautés ?

En quoi la poésie d'Alcools est-elle moderne ?Qu'est-ce qu'un recueil poétique ?

Perspective d'étude : étude de l'intertextualité et de la singularité des textes ; étude de l'histoire littéraire et culturelle

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24)

10. « Le Pont Mirabeau»

11. « La Loreley »

12. « Nuit rhénane »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda : Arthur Rimbaud, « Le Buffet »,Poésies, 1870 ; Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles, 1874 ; FrancisPonge, « La Valise », Pièces, 1961 ; Jacques Réda, « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

• ▪ Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

– autres activités :

• Guillaume Apollinaire : une fgure de la poésie au XXe siecle• Le contexte historique : le dadaïsme, le futurisme, le cubisme et le surréalisme• Le sens du titre Alcools ; la genese et l’organisation du recueil• Les themes à l'oeuvre dans le recueil : les themes de l’alcool, de l’eau, du feu, de l’automne

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Réaliser une anthologie illustrée de poemes d'Apollinaire, précédée d’un titre rendant compte de l’harmonie devotre anthologie et d’une préface dans laquelle vous justiferez le theme de votre recueil ainsi que le choix de chaque poeme et de chaque illustration.

• Mise en voix et en musique d'une sélection de poemes, appris par les éleves.

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SEQUENCE 4 Candide (1759) de Voltaire,un conte au service des idées

Objet d'étude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours

Problématiques : Comment Voltaire met-il le conte philosophique au service d’un critique de la société de son époque et d’une réfexion philosophique sur la question du Mal, de l’optimisme et de la recherche du bonheur ? Le recours à la fction est-il un moyen effcace pour diffuser ses idées ?

Perspective d'étude : l'argumentation indirecte - les Lumières

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

13. l'incipit, jusqu'à «... il fallait dire que tout est au mieux. » (chapitre 1)

14. la guerre entre les Abares et les Bulgares (chapitre 3)

15. l'autodafé (chapitre 6)

16. le nègre de Surinam (chapitre 19).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua, chapitre57, 1534 ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : César Chesneau Dumarsais - Article« philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les lumières ? , 1784.

• Lecture cursive au choix : Lettres persanes (1721) de Montesquieu ou Le Dernier jour d’un condamné (1829) deVictor Hugo

– lectures d'images :

• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013).• Extrait du flm de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut

– autres activités :

• Voltaire : biographie et bibliographie• Le contexte historique et culturel du conte : la guerre de sept ans, la philosophie des Lumieres• L'espace dans Candide : place et sens du voyage• Les personnages et leurs fonctions• La technique romanesque de Voltaire : l'exemple de mise en abyme de l'histoire de la vieille• Le motif du jardin, l'utopie

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Navigation libre sur le site de la Bibliotheque Nationale de France : - https://candide.bnf.fr/- http://expositions.bnf.fr/lumieres/index.htm?idD=7- http://expositions.bnf.fr/utopie/

• Visionnage d’extraits de flms : trois dystopies : Fahrenheit 451 de François Truffaut, 1966 ; 1984 deMichael Radford, 1984 ; Le Meilleur des mondes de Leslie Libman et Larry Williams, 1998.

Le professeur : Le chef d’établissement :

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos jours

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : L'Or (1925) de Blaise Cendrars

Textes : - texte 1 : L'incipit, de "Ces paisibles campagnards bâlois" jusqu'à “... Tout le monde loua fort la prudence du syndic” (chapitre 1) ; - texte 2 : L'Ouest, de “Un jour, il a une illumination...” jusqu'à “... obliquent brusquement à l'Ouest” (chapitre 7) ;- texte 3 : "L'or m'a ruiné", de “J'étais sur qu'une telle affaire ne pouvait rester secrete” jusqu'à “... la découverte de l'or m'a ruiné” ( chapitre 9, partie 31) ; - texte 4 : La mort de Suter, de « Par un chaud apres-midi de juin... » jusqu'à la fn (chapitres 16et 17, parties 73 et 74).

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Lecture analytique n° 1 : l'incipit

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Ces paisibles campagnards bâlois1 furent tout à coup mis en émoi par l'arrivée d'unétranger. Même en plein jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce petit village deRünenberg ; mais que dire d'un étranger qui s'amene à une heure indue, le soir, si tard, justeavant le coucher du soleil ? Le chien noir resta la patte en l'air et les vieilles femmes laisserentchoir leur ouvrage. L'étranger venait de déboucher par la route de Soleure. Les enfants s'étaientd'abord portés à sa rencontre, puis ils s'étaient arrêtés, indécis. Quant au groupe des buveurs, «Au Sauvage », ils avaient cessé de boire et observaient l'étranger par en dessous. Celui-ci s'étaitarrêté à la premiere maison du pays et avait demandé qu'on veuille bien lui indiquer l'habitationdu syndic de la commune. Le vieux Buser, à qui il s'adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit-fls Hans par l'oreille, lui dit de conduire l'étranger chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sapipe, tout en suivant du coin de l’œil l'étranger qui s'éloignait à longues enjambées derrierel'enfant trottinant.

On vit l'étranger pénétrer chez le syndic. Les villageois avaient eu le temps de le détaillerau passage. C'était un homme grand, maigre, au visage prématurément fétri. D'étranges cheveuxd'un jaune flasse sortaient de dessous un chapeau à boucle d'argent. Ses souliers étaient cloutés. Ilavait une grosse épine à la main.

Et les commentaires d'aller bon train. « Ces étrangers, ils ne saluent personne» disait Buhri,l'aubergiste, les deux mains croisées sur son énorme bedaine. « Moi, je vous dis qu'il vient de laville », disait le vieux Siebenhaar qui autrefois avait été soldat en France ; et il se mit à conter unefois de plus les choses curieuses et les gens extravagants qu'il avait vus chez les Welches 2. Lesjeunes flles avaient surtout remarqué la coupe raide de la redingote et le faux col à hautes pointesqui sciait le bas des oreilles ; elles potinaient à voix basse, rougissantes, émues. Les gars, eux,faisaient un groupe menaçant aupres de la fontaine ; ils attendaient les événements, prêts àintervenir .

Bientôt, on vit l'étranger réapparaître sur le seuil. Il semblait tres las et avait son chapeau àla main. Il s'épongea le front avec un de ces grands foulards jaunes que l'on tisse en Alsace. Ducoup, le bambin qui l'attendait sur le perron, se leva, raide. L 'étranger lui tapota les joues, puis illui donna un thaler3, foula de ses longues enjambées la place du village, cracha dans la fontaine enpassant. Tout le village le contemplait maintenant. Les buveurs étaient débout. Mais l'étranger neleur jeta même pas un regard, il regrimpa dans la carriole qui l'avait amené et disparut bientôt enprenant la route plantée de sorbiers qui mene au chef-lieu du canton.

Cette brusque apparition et ce départ précipité bouleversaient ces paisibles villageois.L'enfant s'était mis à pleurer. La piece d'argent que l'étranger lui avait donnée circulait de mainen main. Des discussions s'élevaient. L’aubergiste était parmi les plus violents. Il était outré quel'étranger n'ait même point daigné s'arrêter un moment chez lui pour vider un cruchon. Il parlaitde faire sonner le tocsin pour prévenir les villages circonvoisins4 et d'organiser une chasse àl'homme.

Le bruit se répandit bientôt que l'étranger se réclamait de la commune, qu'il venaitdemander un certifcat d'origine et un passeport pour entreprendre un long voyage à l'étranger,qu'il n'avait pas pu faire preuve de sa bourgeoisie5 et que le syndic, qui ne le connaissait pas et quine l'avait jamais vu, lui avait refusé et certifcat et passeport.

Tout le monde loua fort la prudence du syndic.

Blaise Cendrars : L'Or (1925), chapitre 1.

1 Bâlois : de la région de Bâle, ville située au nord de la Suisse.2 Welches : terme méprisant appliqué par les Suisses alémaniques aux Romands, c'est-à-dire aux Suisses

qui parlent français (mot allemand).3 Thaler : unité monétaire des pays germaniques à cette époque.4 Circonvoisins : situés tout autour, avoisinants.5 Il n'avait pas pu faire preuve de sa bourgeoisie : il n'avait pas pu prouver qu'il était né dans le bourg.

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Lecture analytique n° 2 : l'Ouest

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Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont déflé chez lui, les menteurs, les bavards, lesvantards, les hâbleurs6, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sagrandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux,les chasseurs, les outlaws7, les trafquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, neparlent en somme que de l'Ouest.

L'Ouest.

Mot mystérieux.

Qu'est-ce que l'ouest ?

Voici la notion qu'il en a.

De la vallée du Mississipi jusqu'au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bien avant dans l'ouest,s'étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l'infni, des steppes arides à l'infni. La prairie. Lapatrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme lefux de la mer.

Mais apres, mais derriere ?

Il y a des récits d'Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de femmes qui n'ont qu'un sein.Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leurhaute latitude de ces pays merveilleux de l'Ouest, où, disent-ils, les fruits sont d'or et d'argent.

L'Ouest ? Qu'est-ce que c'est ? qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d'hommes qui s'y rendent et quin'en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; maiscelui qui traverse les déserts ? Il est arrêté par les montagnes ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? qu'a-t-ilvu ? Pourquoi y en a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peinedans la solitude, obliquent brusquement à l'ouest ?

La plupart vont à Santa Fé, cette colonie mexicaine avancée dans les montagnes Rocheuses, mais ce nesont que de vulgaires marchands que le gain facile attire et qui ne s'occupent jamais de ce qu'il y a plus loin.

Johann August Suter est un homme d'action.

Il bazarde sa ferme et réalise tout son avoir8. Il achete trois wagons couverts, les remplit de marchandises,monte à cheval armé du fusil à deux coups. Il s'adjoint à une compagnie de trente-cinq marchands qui serendent à Santa Fé, à plus de 800 lieues. Mais l'affaire était mal montée, l'organisation peu sérieuse et sescompagnons, des vauriens qui s'égaillerent rapidement. Aussi bien Suter y aurait tout perdu, car la saison étaittrop avancée, s'il ne s'était établi parmi les Indiens de ces territoires, aux extrêmes confns du monde civilisé,troquant et trafquant.

Et c'est là, chez ces Indiens, qu'il apprend l'existence d'un autre pays, s'étendant encore beaucoup plus loinà l'ouest, bien au-delà des montagnes Rocheuses, au-delà des vastes déserts de sable.

Enfn il en sait le nom.

La Californie.

Mais pour se rendre dans ce pays, il doit s'en retourner en Missouri.

Il est hanté.

Blaise Cendrars : L'Or (1925), chapitre 7.

6 Hâbleurs : vantards.7 Outlaws : hors-la-loi (mot anglais).8 Tout son avoir : toute sa fortune.

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Lecture analytique n° 3 : l'or m'a ruiné

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J'étais sur qu'une telle affaire ne pouvait rester secrete. Et ainsi fut-il. Deux semaines s'étaient à peine écoulées, j'envoyai un Blanc à Coloma avec un chargementde vivres et des outils, quelques jeunes garçons indiens l'accompagnaient. Mme Wimmer lui raconta toutel'histoire et ses enfants lui donnerent quelques grains d'or. De retour au fort, cet homme se renditimmédiatement aux magasins qui se trouvaient en dehors de mon enceinte. Il demanda à Smith unebouteille d'eau-de-vie. Il voulut la payer avec ces grains d'or rapportés de Coloma. Smith lui demanda s'il leprenait pour un dingo. Le charretier l'adressa à moi pour renseignements. Que pouvais-je faire ? Je racontaitoute l'histoire à Smith. Son associé, Mr. Brannan, vint aussitôt me trouver et me poser des tas de questionsauxquelles je répondis en lui disant la vérité. Il sortit en courant, sans même refermer la porte. Dans la nuit,Smith et lui chargerent toutes leurs marchandises sur des wagons, me volerent des chevaux et partirent enhâte pour Coloma.

Alors mes ouvriers commencerent à se sauver.

Je restai bientôt tout seul au fort avec quelques mécaniciens fdeles et 8 invalides.

Mes employés mormons me quitterent plus diffcilement ; mais quand la fevre de l'or les gagna, ils perdirenteux aussi tout scrupule.

Maintenant c'était sous mes fenêtres un déflé ininterrompu. Tout ce qui pouvait marcher montait de SanFrancisco et des autres vilayets9 de la côte. Chacun fermait sa hutte, sa baraque, sa ferme, son établissementet montait au Fort Suter, puis continuait sur Coloma. A Monterey et dans les autres villes du sud, on crutd'abord à une invention de ma part pour m'attirer de nouveaux colons. Le déflé sur la route s'arrêta durantquelques jours, puis il reprit de plus belle, ces villes aussi marchaient. Elles se vidaient ; mon pauvredomaine était submergé.

Mon malheur commençait.

Mes moulins étaient arrêtés. On me vola jusqu'à la pierre des meules. Mes tanneries10 étaient désertes. Degrandes quantités de cuir en préparation moisissaient dans les cuves. Les peaux brutes se décomposaient.Mes Indiens et mes Canaques se sauverent avec leurs enfants. Ils ramassaient tous de l'or qu'ils échangeaientcontre de l'eau-de-vie. Mes bergers abandonnerent les troupeaux, mes planteurs, les plantations, lesouvriers, leur ouvrage. Mes blés pourrissaient sur pied ; personne pour faire la cueillette dans mes vergers ;dans mes étables, mes plus belles vaches laitieres beuglaient à la mort. Jusqu'à ma fdele brigade qui s'enfuit.Que pouvais-je faire ? Les hommes vinrent me trouver, ils me supplierent de partir avec eux, de monter àColoma, d'aller chercher de l'or. Dieu, que cela m'était pénible ! Je partis avec eux. Je n'avais plus riend'autre à faire.

Je chargeai des marchandises et des vivres sur des wagons, et, accompagné d'un commis, d'une centained'Indiens et de 50 Canaques, j'allai établir mon camp de laveur d'or, dans la montagne, sur les rives dutorrent qui porte aujourd'hui mon nom.

Au début cela allait tres bien. Mais bientôt, des quantités de gens sans aveu 11 s'abattirent sur nous. Ilsétablirent des distilleries et frent la connaissance de mes hommes. Je levais mon camp et m'établissaistoujours plus haut dans la montagne, j'avais beau faire, cette satanée engeance12 de distillateurs nous suivaitpartout et je ne pouvais empêcher mes pauvres Indiens et mes pauvres sauvages des Iles de gouter à unevolupté nouvelle. Bientôt mes hommes furent incapables de fournir le moindre travail, ils buvaient etjouaient leur solde ou l'or ramassé, et étaient les trois quarts du temps ivres morts.

Du sommet de ces montagnes, je voyais tout l'immense pays que j'avais fertilisé livré au pillage et auxincendies. Des coups de feu montaient jusque dans ma solitude et le brouhaha des foules en marche quivenaient de l'ouest. Au fond de la baie, je voyais s'édifer une ville inconnue qui grandissait à vue d'œil et aularge, la mer était pleine de vaisseaux.

Je n'y pus plus tenir.

Je redescendis au fort. Je licenciai tous ceux qui s'étaient sauvés et qui ne voulaient pas m'accompagner. Jerésiliai tous les contrats. Je réglai tous les comptes.

9 Vilayets : ici, régions, provinces.10 Tanneries : établissements où l'on transforme les peaux d'animaux en cuir.11 Sans aveu : sans foi ni loi, sans scrupules.12 Engeance : ensemble de personnes méprisables.

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J'étais ruiné.

Je nommai un administrateur de mes biens et, sans même jeter un regard sur cette tourbe d'écumeurs13 quiétaient maintenant installés chez moi, je partis pour les rives de la riviere Plume voir si mes raisins étaientmurs. Seuls m'accompagnaient les Indiens que j'avais élevés moi-même.

Si j'avais pu suivre mes plans jusqu'au bout, j'aurais été en tres peu de temps l'homme le plus riche dumonde : la découverte de l'or m'a ruiné.

Blaise CENDRARS, L'or, Folio, chapitre 9, partie 31.

Lecture analytique n° 4 : l'explicit

13 Tourbe d'écumeurs : par cette expression péjorative, Suter désigne les pilleurs qui se sont installés sur ses terres.

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Par un chaud apres-midi de juin, le général est assis sur la derniere marche de l'escaliermonumental qui mene au palais du Congres. Sa tête est vide comme celle de beaucoup devieillards, c'est un rare moment de bien-être, il ne fait que chauffer sa vieille carcasse au soleil.

- Je suis le général. Oui. Je suis le général, ral.. Tout à coup un môme de sept ans dévale quatre àquatre le grand escalier de marbre, c'est Dick Price, le petit marchand d'allumettes, le préféré dugénéral.

- Général ! général ! crie-t-il à Suter en lui sautant au cou, général ! tu as gagné ! Le Congres vientde se prononcer ! il te donne 100 millions de dollars !

- C'est bien vrai ? c'est bien vrai ? tu en es sur ? lui demande Suter tenant l'enfant étroitementembrassé.

- Mais oui, général, même que Jim et Bob sont partis, il paraît que c'est déjà dans les journaux. Ilsvont en vendre ! et moi aussi je vais en faire des journaux ce soir, des tas !

Suter ne remarque pas 7 petits voyous qui se tordent comme des gnomes14 sous le hautportique du Congres et qui rigolent et font des signes à leur petit copain. Il s'est dressé tout raide,n'a dit qu'un mot : « Merci ! » puis il a battu l'air des bras et est tombé tout d'une piece15.

Le général Johann August Suter est mort le 17 juin 1880, à 3 heures de l'apres-midi. LeCongres n'avait même pas siégé ce jour-là.

Les gamins se sont sauvés.

L'heure sonne dans l'immense place déserte et comme le soleil tourne, l'ombre gigantesquedu palais du Congres recouvre bientôt le cadavre du général.

CHAPITRE XVII

74

Johann August Suter est mort à soixante-treize ans.

Le Congres ne s'est jamais prononcé.

Ses descendants ne sont jamais intervenus, ont abandonné l'affaire.

Sa succession reste ouverte.

Aujourd'hui, 1925, et pour quelques années seulement, on peut encore intervenir, agir,revendiquer.

Qui veut de l'or ? qui veut de l'or ?

Paris, 1910-1922. Paris, 1910-1911. Paris, 1914. Paris, 1917.

Le Tremblay-sur-Mauldre16, du 22 novembre 1924 au 31 décembre 1924.

Blaise CENDRARS, L'or, chapitres 16 et 17, parties 73 et 74.

14 Gnomes : petites créatures laides et difformes.15 Tout d'une pièce : d'un seul bloc.16 C'est dans ce petit village des Yvelines, près de Versailles, que Cendrars vécut le plus souvent dans

l'entre-deux-guerres.

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos joursDocuments complémentaires

• Groupement de textes : le héros d'aventures : Victor Hugo, Le Dernier jour d'uncondamné, 1829 ; Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839 ; Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845 ; Albert Camus, L'Etranger, 1942.

• Groupement de textes : l'histoire de Sutter : Francis Lacassin, préface de L'Or,Gallimard, Folio (1998) ; Le Figaro du 14 octobre 2007, article de François Taillandier : LeCapitaine Sutter : fondateur de la Nouvelle-Hélvétie ; le périple de Suter

• Groupement de textes : Blaise Cendrars répond aux attaques : "Lettre ouverteaux libraires américains", "Lettre ouverte aux éditeurs Haper et Brothers".

– lectures d'images :

• la ruée vers l'or au cinéma : visionnage et analyse d'extraits de flms : La Ruée vers l'or(1925) de Charlie Chaplin, Sutter's gold (1936) de James Cruze et Der Kaiser von Kalifornien(1936) de Luis Trenker

• l'or en peinture : Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514) et Jacques De Gheyn, Vanité(1603).

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Groupement de textes : le héros d'aventures

Texte A : Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, 1829.

[Il s'agit de l'incipit du roman.]

Bicêtre1.

Condamné à mort !

Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacéde sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années que des semaines, j'étais unhomme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Monesprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s'amusait à me les dérouler les unes apres les autres,sans ordre et sans fn, brodant d'inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie.

C'étaient des jeunes flles, de splendides chapes2 d'évêque, des batailles gagnées, desthéâtres pleins de bruit et de lumiere, et puis encore des jeunes flles et de sombres promenades lanuit sous les larges bras des marronniers. C'était toujours fête dans mon imagination. Je pouvaispenser à ce que je voulais, j'étais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est enprison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n'ai plus qu'une pensée,qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre deplomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable et mesecouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tete ou fermer les yeux.

Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme unrefrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de moncachot ; m'obsede éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'uncouteau.

Je viens de m'éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : - Ah ! ce n'est qu'unrêve ! - Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s'entr'ouvrir assez pour voircette fatale pensée écrite dans l'horrible réalité qui m'entoure, sur la dalle mouillée et suante de macellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossiere de la toile de mesvêtements, sur la sombre fgure du soldat de garde dont la giberne3 reluit à travers la grille ducachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : - Condamné à mort !

1 - Prison de Paris.2 - Longs manteaux.3 - Boîte recouverte de cuir portée à la ceinture et où les soldats mettaient leurs cartouches.

Texte B : Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839

[Fabrice del Dongo est un jeune noble originaire de Parme, engagé dans les troupes de Napoléon 1er. Son tempéramentfougueux l'entraîne dans des aventures amoureuses qui se soldent par un duel au cours duquel il tue son adversaire. IIest emprisonné dans la tour Farnèse et tombe amoureux de Clélia Conti, flle du gouverneur de la prison dans laquelle ilse trouve.]

Ce fut dans l'une de ces chambres construites depuis un an, et chef- d'œuvre du généralFabio Conti, laquelle avait reçu le beau nom d'Obéissance passive, que Fabrice fut introduit. Ilcourut aux fenêtres ; la vue qu'on avait de ces fenêtres grillées1 était sublime : un seul petit coin de

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l'horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, quin'avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l'état-major ; et d'abordles yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans dejolies cages, une grande quantité d'oiseaux de toute sorte. Fabrice s'amusait à les entendre chanter,et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers2 s'agitaientautour de lui. Cette fenêtre de la voliere n'était pas à plus de vingt-cinq pieds de l'une des siennes, etse trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu'il plongeait sur les oiseaux.

Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levaitmajestueusement à l'horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n'était quehuit heures et demie du soir, et à l'autre extrémité de l'horizon, au couchant, un brillant crépusculerouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes quiremontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice futému et ravi par ce spectacle sublime. « C'est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti !avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu'un autre ; on est ici comme dansdes montagnes solitaires à cent lieues de Parme. » Ce ne fut qu'apres avoir passé plus de deuxheures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue surle joli palais du gouverneur que Fabrice s'écria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce làce que j'ai tant redouté ? » Au lieu d'apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifsd'aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison.

1 - Fenêtres avec une grille.2 - Gardiens de prison.

Texte C : Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1845

[Edmond Dantès est un marin qui a fait fortune au cours de ses différents voyages à l'étranger [sic]. A l'âge de dix-neuf ans et le jour même de ses noces, il est emprisonné sur une fausse accusation portée par ceux qui jalousent safortune et son épouse. Il restera quatorze ans prisonnier au château d'If près de Marseille.]

Malgré ses prieres ferventes, Dantes demeura prisonnier. Alors son esprit devint sombre,un nuage s'épaissit devant ses yeux. Dantes était un homme simple et sans éducation ; le passé étaitresté pour lui couvert de ce voile sombre que souleve la science. Il ne pouvait, dans la solitude deson cachot et dans te désert de sa pensée, reconstruire les âges révolus, ranimer les peuples éteints,rebâtir les villes antiques, que l'imagination grandit et poétise, et qui passent devant les yeux,gigantesques et éclairées par le feu du ciel, comme les tableaux babyloniens de Martinn1 ; lui n'avaitque son passé si court, son présent si sombre, son avenir si douteux : dix-neuf ans de lumiere àméditer peut-être dans une éternelle nuit ! Aucune distraction ne pouvait donc lui venir en aide :son esprit énergique, et qui n'eut pas mieux aimé que de prendre son vol a travers les âges, étaitforcé de rester prisonnier comme un aigle dans une cage. Il se cramponnait alors à une idée, à cellede son bonheur détruit sans cause apparente et par une fatalité inouïe ; il s'acharnait sur cette idée,la tournant, la retournant sur toutes les faces, et la dévorant pour ainsi dire à belles dents, commedans l'enfer de Dante l'impitoyable Ugolin2 dévore le crâne de l'archevêque Roger. Dantes n'avaiteu qu'une foi passagere, basée sur la puissance ; il la perdit comme d'autres la perdent apres lesucces. Seulement, il n'avait pas profté.

La rage succéda à l'ascétisme3. Edmond lançait des blasphemes qui faisaient reculerd'horreur le geôlier ; il brisait son corps contre les murs de sa prison ; il s'en prenait avec fureur àtout ce qui l'entourait, et surtout à lui-même, de la moindre contrariété que lui faisait éprouver ungrain de sable, un fétu de paille, un souffe d'air.

1 - Martinn : peintre romantique anglais.2 - Ugolin : héros tragique de la Divine Comédie écrite par le poete italien Dante. Il est condamné à mourir de faim apres avoir mangé ses propres enfants.

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3 - Ici, le personnage se replie sur une seule pensée.

Texte D : Albert Camus, L'Etranger, 1942.

[Meursault, le narrateur, se laisse entraîner dans une histoire de vengeance qui le conduit à tuer un homme. Il estaussitôt mis en prison.]

Quand je suis entré en prison, on m'a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, macravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule,j'ai demandé qu'on me les rende. Mais on m'a dit que c'était défendu. Les premiers jours ont été tresdurs. C'est peut-être cela qui m'a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j'arrachais de faplanche de mon lit. Je promenais toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais paspourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j'ai compris que celafaisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m'étais habitué à ne plus fumer et cettepunition n'en était plus une pour moi.

A part ces ennuis, je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois,était de tuer le temps. J'ai fni par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à mesouvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d'un coinpour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au début,c'était vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c'était un peu plus long. Car je me souvenaisde chaque meuble, et, pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaqueobjet, de tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bordébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre le fl de moninventaire, de faire une énumération complete. Si bien qu'au bout de quelques semaines, je pouvaispasser des heures, rien qu'à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus jeréféchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alorsqu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Ilaurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.

I. Vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points) :

1. Comment chaque texte rend-il compte des pensées et des sentiments du prisonnier ? (3 points)2. Comparez la façon dont ces quatre personnages vivent leur emprisonnement. (3 points)

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

• CommentaireVous ferez le commentaire littéraire du texte de Camus (texte D) en vous appuyant sur le parcours de lecturesuivant :

a ) M o n t r e z c o m m e n t l e t e x t e s u g g e r e l a m o n o t o n i e d e l a v i e d u p r i s o n n i e r .b) Comment le texte fait-il sentir que le prisonnier tente de s'adapter à sa situation ?

• DissertationPréférez-vous les romans dont le héros est un personnage positif ? Vous répondrez à cette question dans undéveloppement composé, en prenant appui sur les textes du corpus, ceux que vous avez étudiés en classe et vosl e c t u r e s p e r s o n n e l l e s .

• Invention

A l'âge de dix-neuf ans, et le jour même de ses noces, Edmond Dantes est emprisonné. En vous inscrivant dansla logique d'écriture d'Alexandre Dumas, vous rédigerez le passage du roman qui raconte l'arrivée en prison, ladécouverte de la cellule et rapporte les premieres pensées du personnage.

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Groupement de textes : l'histoire de Sutter

Texte 1 : Francis Lacassin, préface de L'Or, Gallimard, Folio (1998)Dans cet extrait de la préface qu'il consacre au roman de Cendrars pour l'édition parue dans la collection

"Folio" en 1998, Francis Lacassin, éditeur et essayiste français (1931-2008), souligne la façon dont l'auteur réussità donner vie à la matière historique et biographique dont est fait L'Or. Les nombreux détails que l'écrivain imagineproduisent un "effet de réel"et, grâce à ces précisions, l'écrivain nous fait passer de l'Histoire au roman...

(...) l'abondance de détails quotidiens supplée17 à l'imprécision historique. Elle permet detoucher et d'animer un personnage embaumé par l'Histoire. Et Cendrars a l'art du détail et de laprofusion.

Quand Suter débarque pour la premiere fois sur la plage qui deviendra San Francisco«les sables ont une couleur grisâtre, sans cesse battus par les vagues, ils sont parfaitement unis, d'uneconsistance tres solide et offrent au voyageur un chemin tres commode auquel n'a jamais contribuéle travail de l'homme et qui s'étend perte de vue. Une plante à longues tiges rampantes es tout ce quicroit çà et là18». Suter ne se borne pas à avancer sur le sable quelconque, "il écrase un grand nombrede mollusques vésiculeux couleur de rose et qui éclatent avec bruit19". De même, lorsque Suterarrive à Panama, «le soleil est comme une pêche fondante20". Écrire que Sutter se repose dans unhamac, c'est donner une information. Préciser "un hamac d'écorce21" c'est créer une image.

Quand on lui annonce qu'un premier jugement vient de reconnaître ses droits, "Suterétait en train de lire une brochure sur l'élevage des vers à soie. Immédiatement il saute sur saredingote qu'il brosse lui même à tour de bras22". D'une simple information, Cendrars tire une scenecriante de vie. Ainsi l'arrivée de la premiere mission américaine par la Sierra Nevada. "Suter s'étaitporté à sa rencontre avec une escorte de 25 hommes splendidement équipés. Les bêtes étaient desétalons. L'uniforme des cavaliers, d'un drap vert sombre relevé d'un passepoil jaune. Le chapeauincliné sur l'oreille, les gars avaient l'allure martiale Ils étaient tous jeunes, vigoureux, biendisciplinés23". La garde prétorienne24 d'un souverain recevant un ambassadeur...

La précision s'étend ici au sexe des chevaux, à la couleur des uni formes, à l'inclinationdu chapeau. L'abondance de détails s'accompagne souvent d'une abondance de chiffres. Le premiercontingent de travailleurs importés de Polynésie par Suter est composé de 150 Canaquesaccompagnés de dix-neuf Blancs ; on les logera dans six villages. L'usage des nombres répondparfois à un besoin incantatoire. «10000 émigrants pour la Californie se rassemblerent à New Yorket à Boston. (...) 500 hommes déflerent en 15 jours dans un seul petit hôtel de Broadway et tous serendaient au Far West. Au mois d'octobre, 21 navires avaient déjà quitté le grand port de l'est àdestination de la rive pacifque ! 48 autres se préparaient à appareiller ; le 11 décembre, le centiemesortait de l'Hudson25.»

Cet abus de nombres a, bien sur, intrigué les commentateurs. Dans son excellentcommentaire de L'Or, Claude Leroy s'interroge : "A quoi bon cette profusion de détails et surtout dedétails chiffrés dont l'importance ne s'impose pas dans l'économie du récit et que le lecteur, dans unrécit pourtant si laconique26, est tenté de "sauter" ?" Il répond que ces nombres «contribuent àproduire ce que Barthes27 appelle un "effet de réel".

17. Supplée à remplace (ce qui fait défaut).18. Séquence 15, chapitre IV.19. Ibid.20. Séquence 39, chapitre XI. 21. Séquence 13, chapitre IV.22. Séquence 55, chapitre XIV.23 Séquence 23, chapitre VI.24 Garde personnelle pour un commandant en chef dans l'Antiquité romaine. 25 Séquence 33, chapitre X.26 Qui s'exprime en peu de mots.27 Roland Barthes (1915-1980) : critique littéraire et essayiste français.

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Texte 2 : François Taillandier, "Le capitaine Sutter, fondateur de la Nouvelle-Helvétie", Le Figaro (2007)

Janvier 1848. Quelque part dans les étendues verdoyantes de la Californie mexicaine, unnommé James Marshall s'active sur le chantier d'une scierie que l'on vient d'édifer pour exploiter laforêt. Sa tâche du jour consiste à vérifer les vannes du bief qui servira à faire tourner les machines.L'eau, en effet, dégringole en abondance à travers les collines, fournissant une énergie gratuite.Soudain, dans la boue charriée par l'eau tourbillonnante, quelque chose attire son regard : deux outrois cailloux piquetés de scintillements, accrochant le moindre refet de lumiere.Retroussant ses manches, il plonge les bras dans l'eau froide pour s'en emparer et les examiner. Ilreste longtemps perplexe devant sa découverte. Une idée lui a d'emblée traversé l'esprit, mais ilhésite à y croire. En tout cas, il faudrait vérifer...

James Marshall ne sait pas encore qu'il vient de mettre la main, le premier, sur l'or de laCalifornie.

De la Californie ? Oui et non. Pour être rigoureux, on doit dire que cette scene se déroule enNouvelle-Helvétie. Moins d'une dizaine d'années plus tôt, en effet, un Suisse du nom de JohannSutter, que tout le monde ici appelle le capitaine, a obtenu des autorités de Monterey le droitd'exploiter à son gré une immense étendue de terres, sises entre l'actuelle ville de Sacramento (quin'existe pas encore), et San Francisco, qui s'appelle alors Buena Yerba et n'est qu'un modestehameau établi par des missionnaires franciscains. En faisant bosser dur des Canaques amenés deHonolulu, ainsi que quelques vagabonds recrutés dans le voisinage, Sutter a créé une colonie idéalequ'il a baptisée Nouvelle-Helvétie.

En 1925, dans son roman L'Or, son quasi-compatriote Frédéric-Louis Sauser, plus connusous le nom de Blaise Cendrars, racontera avec lyrisme l'épopée de Sutter, né en 1803, originaire deBâle, et parti chercher l'aventure dans le Nouveau Monde en 1834. Là, Sutter (ou Suter, selonl'orthographe choisie par Cendrars) a connu trente-six métiers et trente-six miseres, s'est lancé dansdivers négoces, fnissant par accumuler un petit capital. Il a aussi beaucoup écouté les dires desvoyageurs - trappeurs, éleveurs de bétail, mariniers, explorateurs improvisés. Et c'est en véritablepionnier qu'il s'est aventuré dans ces territoires alors pratiquement inconnus, qu'on lui a dépeintscomme un paradis terrestre.

Sutter est manifestement doué d'une énergie et d'une audace hors du commun. C'estl'entrepreneur né, comme la jeune Amérique les aime. Dix ans plus tard, la Nouvelle-Helvétie, cesont des milliers d'hectares de maïs, de blé, de vigne, de forêt, de pâturages. Elle produit des bovins,des porcs, des chevaux, des fruits, des fromages, des viandes séchées, du saumon, du cuir, et mêmedu talc, contribuant ainsi au développement de San Francisco. Plusieurs centaines d'hommes etfemmes, Irlandais, Russes, Allemands, Asiatiques, Indiens, Mexicains, Noirs, sont venus se fondre àce creuset. Des foyers se sont constitués, on a créé une école. Une petite milice armée protege lacolonie contre les razzias des tribus locales. Un fort de rondins - baptisé Fort Sutter, naturellement -a été édifé. Les bénéfces du travail alimentent un budget collectif, réinvesti au fur et à mesure dansle développement de la colonie, laquelle s'agrandit au fl du temps par la mise en valeur de nouvellesterres. Le « capitaine », qui veille à maintenir les meilleures relations avec les autorités civiles, aédicté un reglement sévere et respecté. C'est bien sur un embryon d'État autonome que s'étend sonautorité de patriarche. `

Un patriarche respecté, voire vénéré. C'est pourquoi Marshall, un de ses plus fdeleslieutenants, s'empresse de l'informer de sa découverte. Sutter, par la suite, racontera cet épisodedans des lettres qui ont été conservées. Où d'autres auraient vu une bonne nouvelle, il a aussitôt,dira-t-il, pressenti un péril mortel. Il soupçonne que s'il y a réellement de l'or sur ses terres - cesterres qui ne sont à lui que par la tolérance des autorités mexicaines - c'en sera fni de sacommunauté laborieuse, vertueuse et productiviste.

Juste prémonition ! La suite, on la connaît : une production d'or qui va faire de la Californie(dans l'intervalle cédée par le Mexique aux États-Unis) une locomotive de la croissance mondiale. Etsur place, les années hallucinantes du « rush » avec son cortege de violences, comme en témoignent,

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dans les villes fantômes aujourd'hui soigneusement conservées, les croix de cimetiere où l'on déclare« pendu », « abattu », « tué dans une rixe » des aventuriers dont parfois on ne connaît même pas lenom...

Sutter obtient aisément de Marshall qu'il garde le secret. Mais en vain : d'autres ouvriers ontrepéré quelque chose. L'un d'eux parle, apres quelques verres, dans un saloon voisin. Les premierscurieux affuent des la semaine suivante. La rumeur grandit. Et un à un, les austeres colons de laNouvelle-Helvétie commencent à se détourner de leur travail pour aller explorer la montagne. Audiable ce vieux pingre de capitaine Sutter ! Pourquoi passer un an à amasser ce que l'on peut gagneren un jour ?

L'agonie de la Nouvelle-Helvétie est pathétique. Sutter se bat pied à pied, s'efforçantnotamment de faire reconnaître ses droits de propriété sur ces terres. Mais le gouvernementmexicain s'était borné à le laisser s'installer par un accord verbal. Il s'est bien arrangé pour fairesigner quelque chose aux Indiens du secteur, mais qui se préoccupe d'un titre de propriété octroyépar les Indiens ?

Des le printemps, la colonie est en loques. Les installations sont désertées, les ateliers netournent plus, les troupeaux errent en meuglant, les vergers croulent sous le poids des fruits quepersonne ne cueille. Le cuir pourrit dans les tanneries, dégageant une odeur immonde. Les sages «néo-helvetes » ont contracté la fevre, et sont prêts maintenant à s'entre-tuer comme les autres. Oùs'affairait une pieuse communauté pastorale d'artisans et de cultivateurs, rôde une faune interlopeéquipée de pelles, de pioches et le plus souvent de fusils. L'alcool, la prostitution et le jeu surgissentsur leurs traces. Il y a dans cet épisode une grandeur biblique. À cela pres que ce n'est pas à l'arbredu bien et du mal que l'on a gouté, mais au terrible métal jaune. Les Indiens le leur avaient biendit : ces pierres étincelantes qu'on voit dans les ruisseaux sont la propriété d'un esprit mauvais, il nefaut pas y toucher. C'en est fni de l'Eden. Voici venu le temps de Caïn...

Avec une terrible ironie, le drame de la Nouvelle-Helvétie fait apparaître une vérité constante: toute organisation sociale qui prétend rendre l'homme vertueux, bon et altruiste, alors qu'il estfondamentalement égoïste et cupide, ne peut déboucher que sur un échec pitoyable ou sur uneimplacable tyrannie. Faute de pouvoir instaurer la dictature, Sutter allait être balayé.Il convient ici de nuancer le portrait de ce pere fondateur. Johann August Sutter n'est passeulement, loin de là, un doux rêveur ni un prophete illuminé. Si l'on en croit Cendrars, il s'estrendu coupable en son jeune temps de pas mal de vols et d'escroqueries. On connaît d'ailleurs assezmal ses jeunes années. Ce qui est sur est que pour tenter sa chance en Amérique, il a sans scrupuleabandonné au pays une femme et quatre enfants. Le modele utopique, il l'utilise pour conférer unerespectabilité à son entreprise, qui est plutôt en réalité une sorte de République privée, destinée àfaire de lui l'homme le plus riche du monde. Néanmoins, la Nouvelle-Helvétie se défnit biencomme une micro-société close, fondée sur la collectivisation de la production et des ressources,ainsi que sur le refus des rapports d'argent. À la fn de chaque semaine, les travailleurs de la coloniereçoivent des jetons qui leur permettent de se procurer les biens nécessaires à la vie quotidienne.Quant aux vrais dollars sonnants et trébuchants, c'est la direction, et exclusivement elle, qui lesperçoit et les répartit avec prudence et rigueur. En ce sens, et quelles que soient ses motivations,Sauter est bel et bien un descendant lointain de Rousseau, peut-être même de Jean Calvin. Il y adans la Nouvelle-Helvétie quelque chose qui évoque le phalanstere, le kibboutz et le kolkhoze.Sutter, voyant s'effondrer l'oeuvre de sa vie, allait consacrer une trentaine d'années à plaider, tentantde faire reconnaître ses droits initiaux. Un juge local lui donna raison, estimant qu'on ne pouvait lespolier ainsi de ce que son travail avait fait fructifer. Cet arrêt ne servit qu'à déchaîner une émeute,au cours de laquelle sa maison fut saccagée. L'or était à tout le monde ! Et comment arrêter lesnuées de prospecteurs improvisés qui se disputaient le moindre ruisseau, faisant déjà affuer leprécieux métal chez tous les banquiers du voisinage ?

Johann Sutter s'obstina. Bon nombre de flous lui proposerent leur aide, histoire de luisoutirer le reliquat de fortune qu'il avait pu soustraire à la débâcle. Il se jugeait victime d'uneeffroyable injustice des hommes et du sort. Il y vit la marque du démon, devint mystique. Il lisait etrelisait l'Apocalypse, croyant y déchiffrer le secret de ses malheurs. Il s'afflia à une secte dont le

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dirigeant, pendant quelque temps du moins, pensa qu'il y aurait peut-être quelque chose à tirer dece bonhomme-là. Il s'établit à Washington, s'épuisant en vaines démarches. Tous les employés desbureaux connaissaient ce vieux fou, qu'on accueillait avec plus ou moins de patience, selon l'humeurdu jour. La Nouvelle-Helvétie ! Qui diable pouvait se souvenir de ce que c'était, à supposer qu'onl'eut jamais su ?

On dit qu'un jour de 1880, enfn, un honorable sénateur se présenta à son domicile. Uneenquête avait tout de même été menée, et la Cour suprême, à défaut de lui rendre ses domaines,avait ordonné de lui verser une forte somme, en dédommagement de « services rendus » auxpremiers colons de Californie. Las ! On apprit au providentiel visiteur que Johann August Sutterétait mort le matin même. Cendrars considere cet épisode comme légendaire, mais d'autres sourcesle jugent vraisemblable. La puritaine et légaliste Amérique ne pouvait-elle pas admettre, fut-ce avecretard, que tout a un prix - même l'utopie ?

En faisant bosser dur des Canaques amenés de Honolulu, Sutter a créé une colonie idéale oùl'argent était remplacé par des jetons.

La découverte de mines d'or va mettre fn à la communauté. Les « néo-helvetes » sont alorsprêts à s'entre-tuer comme les autres pour le métal jaune.

Document 3 : le périple de Suter

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Blaise Cendrars répond aux attaques

Texte 1 : Lettre ouverte aux libraires américains.

LETTRE OUVERTE AUX LIBRAIRES AMÉRICAINSLibraires Américains, Si vous n'avez pas mon livre en boutique réclamez-le à son éditeur !

Sutter's Gold by Harpers & Brothers Si vous avez mon livre en boutique, mettez-le dans votre vitrine !

Sutter's Gold by Harpers & BrothersSi vous avez mon livre en vitrine, mettez le drapeau américain autour et une

photo du héros de mon livre, un portrait du General Sutter !Sutter's Gold

- Qui ? quoi ? comment ? qui nous écrit ? - C'est moi, Blaise Cendrars, l'auteur du roman L'Or publié à Paris et que les éditeursHarpers & Brothers de New York viennent de lancer aux États-Unis sous le titre de Sutter'sGold dans la belle traduction de Henry Longan Stuart. - Eh quoi, vous venez nous parler d'un roman parisien.. - Ecoutez ! Oui, c'est un roman français, mais il n'est pas comme les autres. - Tous les auteurs disent ça. - Ecoutez ! C'est un roman et c'est un film. C'est un film et c'est de l'Histoire. C'est la plusbelle histoire du monde. C'est une histoire vraie et l'on peut gagner beaucoup d'argent. - Et quelle est cette histoire ?- C'est l'histoire de la découverte de l'or en Californie.- Mais nous avons déjà vu cela au cinéma et nous avons des quantités de livres sur leschercheurs d'or.- Attendez. Je ne vous parle pas de ce que avez déjà vu et mon héros n'est pas un héroslittéraire, un vulgaire chercheur d'or. C'est un homme. Je vous parle de l'homme qui adéclenché le rush de 1848, 49, 50, 51, de l'homme le plus riche du monde, l'homme qui adécouvert l'or californien, de l'homme qui avait horreur de l'or !- Vous dites de l'homme qui avait horreur de l'or ?- Oui. Mon histoire est l'histoire du PREMIER MILLIARDAIRE AMERICAIN QUI A ETÉRUINÉ PAR LA DECOUVERTE DE L'OR SUR SES TERRES. Et que l'or a rendu fou. - Et qui est cet homme ?- Le GENERAL SUTTER. - Le général Sutter ?- Oui, le GENERAL SUTTER. - Nous ne connaissons pas ce général. - C'est justement pourquoi je vous en parle. C'est un pionnier, un héros obscur commel'histoire de votre nation en abonde. C'est le John Paul Jones de l'Ouest, le défricheur de lacalifornie, l'animateur de Frisco. - Et il a réellement existé votre Sutter, ce n'est héros sorti de votre imagination ? - C'est un général américain, nommé par le Congrès le 9 septembre 1854, le jour ducinquième anniversaire de la ville de San Francisco. - Mais vous nous disiez que votre livre est roman français ?- C'est un roman français parce que je suis français et que je l'ai écrit pour le public français; mais il est des vies si extraordinairement chargées de potentiel humain qu'ellesintéressent les hommes de tous les pays. La vie du général Sutter est de celles-là. Mon livrea été traduit dans toutes les langues européennes. C'est pourquoi je m'adresse à vous pourle faire connaitre dans votre pays. - Mais pourquoi avez-vous écrit l'histoire du général Sutter ?- Pour qu'on lui rende enfin justice, pour que la Californie élève une statue au général, pourque la Ville de San Francisco achète le portrait de Johann August Sutter.

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- Ah, il y a quelque part un portrait du général Sutter ?- Regardez la photographie ci-jointe. C'est une reproduction du portrait de Sutter qui est auMusée des Beaux-Arts de Soleure en Suisse. - Et pourquoi en Suisse ?- Parce que Sutter, l'homme le plus riche du monde, n'a jamais pu payer l'artiste à qui ilavait commandé. Ce portrait a été peint à Washington en juin 1886. Sutter était ruiné parla découverte de l'or. Il plaidait son fameux procès. Et comme l'affaire traînait, l'artiste, unSuisse, Frank Buchser, retourna, découragé, dans sa patrie en emportant ce portrait. - Mais vous disiez qu'il y avait beaucoup d'argent à gagner.- Oui, durant quelques années encore. - Que voulez-vous dire ?- Il y a le PROCES DU GENERAL SUTTER. - Quel procès ?- Lisez mon livre.

Blaise Cendrars17 rue du Mont-Dore

Paris XVI (France)

Texte 2 : Lettre ouverte aux éditeurs Haper et Brothers (4 mars 1927).

1) Le titre complet de l'édition française de Sutter's Gold est L'Or, Histoire merveilleuse dugénéral J. A. Suter. Le mot "merveilleux" indique que je n'ai jamais eu l'intention d'écrirela biographie officielle, historique et détaillée du vrai J. A. Sutter.

J'ai fait oeuvre d'artiste et non pas d'historien, un livre synthétique et non pasanalytique, une multiplication et non pas une addition, un portrait vivant du général et nonpas le déshabillage d'une momie.

Une oeuvre de fiction. Un roman. C'était mon droit le plus absolu. Ma seule raison d'être un écrivain.

(...)3) Si, néanmoins, dans le début de mon histoire, certains épisodes de la vie du général sontdouloureux (le général lui-même les appelait des "péchés de jeunesse"), ne croyez pas queje les relate par amour du scandale. Au contraire, je ne les cite que parce que ce sont desfaits, assez insignifiants par eux-mêmes, mais qui déclenchèrent la vie aventureuse dugénéral qui devaient aboutir à l'éveil de l'0uest, à la grande Ruée vers l'or, à l'édification deSan Francisco, etc. etc. Voyez que ces petits faits de jeunesse étaient gros de conséquences.(...)6) J'ai raconté l'histoire de Sutter's Gold plus simplement et le plus véridiquement que j'aipu, me bornant à romancer quelques épisodes, ainsi la mort de Mme Sutter et la fin dugénéral, que j'ai brusquées toutes les deux en précipitant et en regroupant mille petitsdétails vrais ou vraisemblables qui s'échelonnaient en réalité sur un plus grand nombred'années. 7 ) Pour des raisons de convenance, j'ai également changé les noms des enfants général.Ainsi quand je fais se tuer Emile, l'avocat, dans un bouge de San Francisco, il s'agit,historiquement, d'Émile Victor Suter qui s'est empoisonné, dans un hôtel meublé à Anvers,Belgique, en 1884 seulement.

Ceci est mon droit d'écrivain le plus absolu et je n'ai pas à défendre cesempiètements de la fiction. Les 9/10e des "romans historiques" sont ainsi faits et je neciterai pour mémoire que les romans d'Alexandre Dumas, ceux de Victor Hugo et dans lalittérature américaine que The Pilot de James Fenimore Cooper, qui est une histoireentièrement fictive de John Paul Jones et qui est venue un livre pour ainsi dire classique !(D'ailleurs, toute l'industrie du film ne profite-t-elle pas de ces entorses que les metteurs en

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scène se permettent vis-à-vis de la vérité historique ? à tel point que dans le cas de Sutter'sGold une grande compagnie américaine me demande de changer toute la fin de mon livresous prétexte qu'un film doit toujours se terminer "bien" et sans aucun égard pour la véritéhistorique ou pour la simple vérité humaine de mon personnage.)8) Maintenant j'arrive à la seule erreur historique que je reconnais avoir commise : c'estcelle de l'arrivée de Sutter et de ses compagnons à Sacramento. Je les fais remonter lavallée à cheval ! A travers la forêt vierge, les rivières et les marais ! J'avoue que je me suisgrossièrement trompé. Permettez-moi de vous raconter pourquoi.

Je connaissais plusieurs versions orales de ce débarquement et j'avais sous lesyeux une version écrite et une estampe populaire (parue vers 1880 ?).

Entre les versions orales qui racontaient le voyage fait en barque ou en piroguede Sutter, seul ou en compagnie, armé d'un canon et luttant avec les Peaux-Rouges et cerécit de la cavalcade à travers la forêt vierge, récit émanant de Birmann, je me suis laisséséduire par le document. J' avoue que j'ai eu tort. Mais que voulez-vous, j'ai pu meprocurer si peu de documentts écrits concernant Sutter que je me suis laissé aveugler pourune fois, moi, qui connais forêt vierge et ses difficultés de terrain et d'approches, moi qui yai vécu ! C'est vous dire combien on peut être impressionné par ce qui imprimé.

9) Malgré cela, malgré les erreurs de détail que jai pu omettre, malgré tous lesreproches, critiques, accusations même de mensonges, aucun de vos correspondants n'atouché au fond même de l'histoire que j'ai racontée, et c'est ce fond seul qui intéresse, quiest vrai et qu'il faut mettre à jour, l'histoire dramatique des débuts de la civilisation enCalifornie et dont la personne même du général J. A. Sutter n'est qu'un symbole. Legénéral veut une statue et il faut beaucoup d'ouvriers pour la lui dresser. Mettons que jen'ai fait qu'une première ébauche.

Je vous autorise à faire de la présente lettre emploi que vous jugerez le plus utileet croyez-moi, chers Messieurs, votre bien dévoué.

Blaise Cendrars P.S. : Pour rassurer quelques-uns de vos correspondants qui se demandent de quel droit un"aventurier" se mêle d'écrire le roman du général Sutter, apprenez-leur qu'un "aventurier"se mêle de tout, même d'avoir déjà écrit 15 volumes, d'en avoir 5 autres sous presses et d'enavoir encore 33 à faire, dont plusieurs autres romans d'aventures.

B.C.

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L'or en peinture

Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514)

Jacques De Gheyn, Vanité (1603)

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Lectures d'images : la ruée vers l'or au cinéma

La Ruée vers l'or (1925) de Charlie Chaplin Sutter's gold (1936) de James Cruze

Kaiser von Kalifornien (1936) de Luis Trenker

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Théâtre, texte et représentation

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Montserrat (1948) d'Emmanuel Roblès

Textes : - texte 5 : L'exposition (I,1) ; - texte 6 : La discussion entre Montserrat et les otages, de "Ecoutez-moi…" jusqu'à "... rester dignes du sacrifce du Christ !" (II,1) ; - texte 7 : L'exécution du marchand, du début de la scene jusqu'à "Nous t’écoutons  !" (III,1) ;

- texte 8 : La seconde confrontation entre Izquierdo et Montserrat, de Tu vas me rendrevaniteux..." à la fn de la scene (III, 8).

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Lecture analytique n° 5

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ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE

ZUAZOLA, MORALÈS, ANTONANZAS Les offciers espagnols discutent avec animation.

Ils sont encore vêtus d'un rude uniforme de campagnebleu noir. Culotte grise, bottes.

ZUAZOLA. — Il s'est encore échappé. MORALÈS. — Il y a de la trahison là-dessous. ZUAZOLA. — Il a été prévenu, c'est clair. Il me semble diffcile de croire à une coïncidence aussi miraculeuse.

ANTONANZAS. — Mais certainement. Il ne faut pas penser à une coïncidence. Il a été prévenu ! Izquierdo, en vérité, a été trop confant, hier soir, en exposant ses plans à table, en présence de tous les convives du général. C'était d'une imprudence folle ! ZUAZOLA. — Il est fou de colere, Izquierdo ! MORALÈS. — Enfn, il y a de sa faute ! C'est la seconde fois qu'il croit tenir ce Bolivar, qu'il est pres de le capturer et que celui-ci lui glisse entre les doigts ! Izquierdo devrait s'entourer de plus de précautions ! ZUAZOLA, précis. — Un fait reste acquis. Cette nuit même, dans la maison où il s'était réfugié, Bolivar a été prévenu qu'Izquierdo viendrait à l'aube le capturer, et il n'a pu être prévenu que par l'un des convives d'hier soir. Il y a donc un traître dans l'état-major ! MORALÈS. — Je commence à le croire aussi. De toute façon, si Bolivar parvient à passer nos lignes et à rejoindre ses partisans, il les regroupera tres vite... ANTONANZAS. — Ah ! ce sera de nouveau la guerre ! Et, par saint Jacques, j'aime mieux faire la guerre que crever d'ennui dans ce pays où l'on ne voit pas une seule jolie flle... MORALÈS. — Tu exageres. Pas une seule jolie flle ? A Siquiseque, quand nous avons pris la ville, mon bataillon n'a laissé vivants que dix-neuf habitants. Dix-neuf femmes ! Des jeunes, bien entendu ! C'était contraire aux ordres du général, qui avait exigé que l'on exterminât jusqu'aux nouveaux-nés. Mais nous avons, pour nous, gardé les belles, et je vous jure qu'il y en avait de divines !

ZUAZOLA. — Oui, bien sur. On peut en trouver... MORALES. — Celle que je m'étais réservée avait seize ans. Adorable. Des seins menus, tiedes comme des colombes. Elle pleurait doucement chaque fois que je... que nous faisions l'amour... ZUAZOLA, riant. — Tais-toi donc ! ANTONANZAS. — L'as-tu gardée ? MORALÈS. — Pas longtemps. Je l'ai donnée à cinq de mes hommes, apres la bataille de Barquésimeto, pour les récompenser de leur belle conduite. Je n'avais rien de mieux sous la main.

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ZUAZOLA. — Dommage ! MORALÈS, haussant les épaules. — Oh ! dommage... Une Indienne, hein ?... ANTONANZAS. — Oui. Mais tout cela ne nous apprend rien sur la fuite étonnante de Bolivar ! Et je bruled'envie de savoir comment l'affaire s'est déroulée... ZUAZOLA. — Patience ! Izquierdo nous renseignera. Je l'ai aperçu tout à l'heure. Il va certainement passer par ici pour présenter son rapport à Son Excellence. Il doit être dévoré de rage ! MORALÈS. — Izquierdo a toujours la conviction insolente que les événements vont marcher comme il le désire, que les êtres vont rigoureusement se plier à sa volonté. Et, quand la malice d'une volonté étrangere à la sienne contrecarre ses projets, alors il explose, il tonne, il veut crever le ciel, exterminer des populations entieres !... Vous allez le voir, tout à l'heure : un ouragan ! une tornade !...Ils rient bruyamment. ANTONANZAS. — Quand nous étions cadets à l'académie militaire, je me souviens qu'il était tombé amoureux fou d'une petite vicomtesse de dix-sept ans. Mais elle ne l'aimait pas et le lui ft entendre. Cet aveu ne refroidit pas son ardeur. Au contraire. Il lui jura qu'elle l'aimerait par force ! Qu'il la forcerait bien àl'aimer... (Ils rient.) Elle fnit par épouser un gentilhomme portugais qu'Izquierdo, dans sa démence, provoqua en duel et faillit embrocher. C'est alors que, pour calmer cette passion, les autorités militaires expédierent notre ami sur ces terres bénies où il a pu, enfn, oublier ses premieres amours... MORALÈS. — Oublier, oublier... Je ne sais pas s'il est homme à oublier un échec, même au bout de vingt ans... ANTONANZAS. — D'accord avec toi... MORALÈS. — Et je crois qu'il ne pardonnera jamais à celui qui l'a joué ce matin en prévenant Bolivar.

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte I, scène 1.

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Lecture analytique n° 6

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MONTSERRAT. - Ecoutez-moi… Vous vivez tous sous la domination d’hommes féroces etimpitoyables ! Etes-vous sans orgueil ? Etes-vous sans dignité ? Ne vous sentez-vous pas soulevés dehaine contre les assassins de Campillo, contre les bourreaux de Cumata ? Souvenez-vous ! Maissouvenez-vous ! A Campillo, le général Rosete a fait bruler vifs tous les prisonniers ! A Cumata,Morales a fait clouer aux portes tous les enfants au berceau ! Et Antonanzas qui collectionne lesmains coupées ! Et Izquierdo qui fait rafer les jeunes flles pour les faire violer par ses cavaliers ! Sapolice est partout, toute-puissante, implacable, féroce… Et n’est-ce pas lui seul qui a eu cette idéemonstrueuse de nous enfermer ici ? qui a inventé ce supplice atroce ?

LE POTIER, frappé par l’évidence. - Il va nous laisser fusiller !

MONTSERRAT. - Les Espagnols ne vous considerent pas comme des hommes ! Mais comme desanimaux, des êtres inférieurs qu’on peut, qu’il faut exterminer ! Tant d’horreurs, tant de bestialitésne vous révoltent-elles pas ? Ne peuvent-elles suffre à vous soulever contre ces brutes jusqu’audernier sacrifce ? La défaite des révolutionnaires à San Mateo, est-ce la fn de tout espoir ? Maisnon ! Je vous le dis ! Je vous le crie ! Il faut qu’on regroupe les partisans ! Il faut refaire l’armée del’indépendance ! Bolivar seul peut accomplir la révolution ! Il faut qu’il soit sauvé ! Il le faut à toutprix !

LE MARCHAND se rue sur lui, fou de colère. - Oui ou non ! vas-tu nous dire où il se cache ? Oui ounon ? Mais parle ! (Il le tient à la gorge et le gife.) Mais parle ! Parle donc, canaille !

MONTSERRAT, qui l’a repoussé sans brutalité. - Grâce à Bolivar, l’heure viendra où ce pays seradélivré ! où ce pays, je vous le répete, deviendra une grande nation d’hommes libres ! Grâce àBolivar !

LE COMEDIEN. - Ecoute donc ! Tu ne peux pas faire cela ! Tu ne peux pas tuer six êtres pour ensauver un seul !

MONTSERRAT. - Comprenez ! Comprenez ! Je sais bien qu’il vous est dur de comprendre… Cen’est pas la vie de six êtres contre celle d’un seul ! Mais, contre la liberté, la vie de milliers demalheureux !

LE COMEDIEN, qui redoute la réponse. - Alors… tu ne… diras rien !…

MONTSERRAT, il ne répond pas tout de suite. On sent de nouveau qu’il lutte contre lui-même. Enfn il dit aveceffort. - Je ne sais ! Je ne sais plus !… Je voudrais pouvoir… Je voudrais comprendre moi-même…savoir si j’ai raison… si je ne me trompe pas !…

LE COMEDIEN, insinuant. - Mais oui ! Réféchis… Tu es intelligent ! Tu vas découvrir toi-mêmeque ton obstination est insensée ! que ce marché lui-même est monstrueux !… Six personnesvivantes ! Cela compte ! Dieu te regarde ! Il va t’aider ! Ecoute donc sa voix ! notre souffrance,notre désespoir ! Tu as tout cela sous les yeux ! Laisse ton cœur s’ouvrir ! Laisse entrer Dieu danston âme !

MONTSERRAT. - Mais n’est-ce pas Dieu qui nous envoie cette épreuve ? Et ne devons-nous pastous ensemble l’accepter, la surmonter ? Ne devons-nous pas mériter le ciel ? Ah ! réféchissez vous-mêmes ! Il s’agit moins, ce soir, de sauver nos corps que de sauver nos âmes ! (avec une exaltationcroissante) Il s’agit ce soir de mourir pour sauver des millions d’êtres, pour les sauver du malheur et,par là, de rester dignes du sacrifce du Christ !

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte II, scène 1.

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ACTE  III, SCÈNE  1

Montserrat, Izquierdo, Morales, le marchand, le pere Coronil, la mere, Elena, le comédien,moines, soldats

Au lever du rideau, Montserrat est à droite, appuyé à la table.

Izquierdo est assis sur l’un des tabourets, au milieu de la scène.

Soldats devant la porte.

Izquierdo. – Eh bien  ! Ce pauvre potier  ! Il laisse cinq orphelins  !… Tu ne dis rien  ?… (Derrière lemur, les tambours battent en sourdine, par moments.) Montserrat, tu es toujours convaincu qu’il fautsacrifer ces gens-là pour sauver Bolivar  ? Tu es sur de ne pas te tromper  ? Ce serait monstrueux,n’est-ce pas, si tu te trompais  ?… (Silence.) Bon  ! Morales  ! Continuons  ! (À Montserrat.) Souviens-toi que je suis aussi entêté que tu peux l’être  !

Des otages gémissent. Quand Moralès s’avance vers eux, ils reculent et se serrent les uns contre les autres. Moralèssemble embarrassé pour choisir. Tous le regardent intensément. Il désigne le marchand.

Morales. – À toi  !… Allons, avance  !

Le marchand. – Pourquoi à moi  ?

Morales. – Je te dis d’avancer  !

Un des soldats donne une bourrade au marchand, qui gémit.

Le marchand, atterré. – Non  ! C’est impossible  !… C’est impossible  !

Izquierdo. – Ne dis pas de bêtises  !

Le marchand. – Je vous dis que c’est impossible  ! que je ne peux pas mourir ainsi  ! (Il continue àgémir en pétrissant ses mains fébrilement.)

Izquierdo. – Montserrat  ! Ce n’est pas beau un homme qui a peur de mourir  ! Regarde-le donc,ce malheureux  ! Si notre ami le potier n’avait pas été fusillé, cette plainte et ce visage lui auraientinspiré une de ses plus belles jarres. Ne crois-tu pas aussi  ?

Le marchand. – J’ai toujours été fdele au roi. On peut demander à mes voisins. Interrogez-les,vous verrez  ! Beaucoup de gens me connaissent, dans cette ville  ! Interrogez-les  !

Izquierdo. – Donc, te fusiller est doublement injuste  ? D’abord, tu n’as rien fait… Et, de plus, tu esloyal envers nous  ! C’est cela  ?

Le marchand, illuminé par un espoir fou. – Oui. C’est cela, monsieur l’offcier  !

Izquierdo, sarcastique. – Tu entends, Montserrat  ? Ce cas est intéressant. Tu devrais y réféchir avecplus d’attention que pour les autres   ! (Au marchand.) Tu sais bien que ce n’est pas moi qu’il fautconvaincre  ! Mais lui… Moi, je te comprends, je te comprends parfaitement  ! (À Montserrat.) Tu nedis rien   ? La vie d’un brave commerçant t’importe peu  ? (Au marchand.) Tant pis pour toi. Jeregrette   ! As-tu quelque chose de plus important à dire avant de mourir   ? Essaie de trouverquelque chose  ! Défends-toi donc  !

Le marchand balbutie. – Monsieur l’offcier…

Izquierdo. – Parle plus haut  ! Nous t’écoutons  !

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte III, scène 1.

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IZQUIERDO. - Tu vas me rendre vaniteux... (Il réféchit.) Je t'ai raconté ma petite aventure deSierra-Chavaniz, quand des insurgés m'ont pris et enterré jusqu'au cou, puis abandonné ainsi. Ilsriaient tous... Ils étaient tous partis que, resté seul, je les entendais rire encore !... (Il éclate d'un rireforcé, puis, sans transition, soudain sérieux :) Cela s’est passé sur une haute plaine nue, sans un arbre,sans un caillou. Rien. Il y a des nuits où je me revois, avec mes yeux d'à présent. Où je vois cettetête, la mienne, posée comme une pierre au milieu de la grande plaine déserte... Et j'entends cesrires qui remplissaient le ciel vide. Quatre jours ainsi... Essaie d'imaginer cela : je voyais, j'entendaiset j'avais tout le corps déjà pris par la terre. Quatre jours et quatre nuits ainsi, Montserrat... (Untemps.) Maintenant, quand je traverse la cour, quand je croise les fles de rebelles qu'on va fusiller,leur silence sur mon passage fait en moi le silence... Je n'entends plus les rires... Commentt’expliquer ? Il me semble alors que je pourrais dormir, que je... oui... la paix. (Il réféchit et soudain,très vite, avec son sourire habituel :) Bien entendu, c'est parce que j'ai la certitude que tu vas mourir cesoir que je te fais ces confdences ! (Il se tourne vers la porte et crie pour les soldats :) Dites à Morales devenir ! MONTSERRAT, alarmé. — Izquierdo ! IZQUIERDO. — Non. Cette fois, je ne pourrai leur accorder qu'une demi-heure. Une toutepetite demi-heure ! Le temps presse ! Mais je souhaite qu'il y ait encore, parmi eux, une autremere... avec de jeunes enfants ! MONTSERRAT. — Tu ne vas pas faire ça ! Je ne pourrai pas ! Je ne pourrai pas ! IZQUIERDO se rapproche de lui et, durement. — Et si ces nouveaux otages ne font pas avouer, je lesferai fusiller sous tes yeux. Et j'en ferai venir six autres ! Puis six autres ! Et six autres encore !Jusqu'à ce que tu comprennes enfn ta folie !MONTSERRAT, haletant. — Je ne pourrai pas... je ne pourrai pas... Il essuie machinalement la sueur sur son visage et son cou. lzquierdo le regarde intensément. Il se tient près de lui, à letoucher. Après un silence, d'une voix calme :IZQUIERDO. — Il est armé ? MONTSERRAT, écrasé. — Oui. IZQUIERDO, même jeu. — Il est seul ? MONTSERRAT, qui lutte cependant contre lui-même. — Trois Indiens sont avec lui. IZQUIERDO — Ils ont des fusils ? MONTSERRAT. — Oui.Un silence.IZQUIERDO, il hoche la tête, puis. — Dis-moi... Tu m'avais parlé d'une maison isolée... MONTSERRAT hésite. — Oui. IZQUIERDO — Il y a des arbres ? ... Des buissons ? Hein ? ou c'est un terrain nu ? MONTSERRAT, à contrecœur. — ... un terrain nu...IZQUIERDO — Un terrain nu. Bon... Et cela se trouve à cinq cents metres d'un chemin. Quelchemin ? Celui de Tolula. sans doute ? Montserrat relève lentement la tête et regarde Izquierdo sans rien dire. IZQUIERDO — Allons, quel chemin ? Pourquoi te taire, à présent, tu en as beaucoup dit et pasassez ! Hein ? Quel chemin ? Montserrat reprend son attitude accablée. IZQUIERDO, plus pressant. — J’entends Morales. Il arrive. Dépêche-toi, ou il sera trop tard. Lesgens qui vont être amenés ici n'en ressortiront plus...Montserrat le regarde de nouveau fxement. Silence. On doit comprendre que Montserrat s'est repris et qu'il ne parlera plus. Il fait "non ", obstinément, de la tête.

Emmanuel Roblès, Montserrat (1948), acte I, scène 7.

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Théâtre, texte et représentation Documents complémentaires

• Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre : Alfred JARRY,Ubu Roi, acte Ill, scenes 3 et 4, 1888 ; Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte II, scenes 3 et 4,1943 ; Albert CAMUS, Caligula, acte II, scene 5, 1944 ; Eugene IONESCO, Le Roi se meurt,1962.

• La préface de l'auteur• Note d'intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scene • Lecture cursive : En attendant Godot (1952) de Samuel Beckett, Roberto Zucco (1988) de

Bernard-Marie Koltes

– lectures d'images :

• Mises en scène de Montserrat : en 2003 au Vieux Saint-Etienne à Rennes ; en 2010,à Joué-Les-Tours, par la Compagnie de l’Ours Blanc (Région Pays de Loire) ; en 2013, parla Compagnie Les Incompressibles.

• L'art contre l'exécution : Le Trois mai (1814) de Francisco Goya ; L'Exécution deMaximilien (1867) d'Edouard Manet ; Massacre en Corée (1951) de Pablo Picasso et L'Exécution(1995) de Yu Minjun

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Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre

Texte A : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill, scènes 3 et 4, 1888.

[La scène se passe dans une Pologne imaginaire. Poussé par l'ambition de sa femme, le Père Ubu fomente uneconspiration contre le roi Venceslas. Parvenu à ses fns, et une fois couronné, Ubu fait régner la terreur.]

ACTE III, SCÈNE III

Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.

Plusieurs paysans sont assemblés.

UN PAYSAN, entrant : — Apprenez la grande nouvelle. Le roi est mort, les ducs aussi et le jeuneBougrelas s'est sauvé avec sa mere dans les montagnes. De plus, le Pere Ubu s'est emparé du trône.

UN AUTRE : — J'en sais bien d'autres. Je viens de Cracovie1, où j'ai vu emporter les corps de plusde trois cents nobles et de cinq cents magistrats qu'on a tués, et il parait qu'on va doubler les impôtset que le Pere Ubu viendra les ramasser lui-même.

TOUS : — Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Pere Ubu est un affreux sagouin et sa familleest, dit-on, abominable.

UN PAYSAN : — Mais, écoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte ?

UNE VOIX, au-dehors : — Comegidouille2 ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saintPierre et saint Nicolas ! ouvrez, sabre à fnances, corne fnances, je viens chercher les impôts !La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion de Grippe-Sous.

SCÈNE IV

PERE UBU : — Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment te nommes-tu ?

LE PAYSAN : — Stanislas Leczinski.3

PERE UBU : — Eh bien, comegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont lesoneilles4. Mais, vas-tu m'écouter enfn ?

STANISLAS : — Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.

PERE UBU : — Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dansle désert ?

STANISLAS : — Loin de moi cette pensée.

PERE UBU : — Je viens donc de te dire, t'ordonner et te signifer que tu aies à produire et exhiberpromptement ta fnance, sinon tu seras massacré. Allons, messeigneurs les salopins de fnance,voiturez ici le voiturin à phynances5. (On apporte le voiturin.)

STANISLAS : — Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deuxrixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu.

PERE UBU : — C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans lejournal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignésultérieurement. Avec ce systeme, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai.

PAYSANS : — Monsieur Ubu, de grâce, ayez pitié de nous. Nous sommes de pauvres citoyens.

PERE UBU : — Je m'en fche. Payez.

PAYSANS : — Nous ne pouvons, nous avons payé.

PERE UBU : — Payez ! ou ji6 vous mets dans ma poche avec supplice et décollation du cou et de latête ! Cornegidouille, je suis le roi peut-être !

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TOUS : — Ah, c'est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu, roi de Pologne et deLithuanie !

P E R E U B U : — E n a v a n t , m e s s i e u r s d e s F i n a n c e s , f a i t e s v o t r e d e v o i r .(Une lutte s'engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s'enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser lafnance.)

1. Ancienne capitale de Pologne.2. Un des jurons ubuesques les plus violents. On peut y voir une composante sexuelle (dans le préfxe corne) et une composante digestive (gidouille) qui symbolisent les « appétits inférieurs » du personnage.3. Nom authentique d'un roi de Pologne dont la flle (Marie) épousa Louis XV.4. Déformation d'oreilles. Le mot appartient au vocabulaire ubuesque comme merdre.5. Phynance est une invention orthographique que Jarry justife en rapprochant le mot de physique.6. Ji : je.

Texte B : Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, acte II, scènes 3 et 4, 1943

[L'histoire se passe dans la ville d'Argos. Egisthe, après avoir assassiné Agamemnon, et épousé Clytemnestre safemme, a instauré un régime de terreur. Oreste, fls de la reine, revient quinze ans plus tard, suivi par Jupiter. Electre,sa sœur, traitée en esclave, incite le peuple à la révolte. Egisthe la chasse. Elle se cache avec Oreste dans le palais.]

SCÈNE IIIEGISTHE, CLYTEMNESTRE, ORESTE et ELECTRE (cachés)

EGISTHE. [... ] — Je regrette d'avoir du punir Électre.

CLYTEMNESTRE. — Est-ce parce qu'elle est née de moi ? II vous a plu de le faire, et je trouvebon tout ce que vous faites.

EGISTHE. — Femme, ce n'est pas pour toi que je le regrette.

CLYTEMNESTRE. — Alors pourquoi ? Vous n'aimiez pas Électre.

EGISTHE. — Je suis las. Voici quinze ans que je tiens en l'air, à bout de bras, le remords de toutun peuple. Voici quinze ans que je m'habille comme un épouvantail : tous ces vêtements noirs ontfni par déteindre sur mon âme.

CLYTEMNESTRE. — Mais, Seigneur, moi-même...

EGISTHE. — Je sais, femme, je sais : tu vas me parler de tes remords. Eh bien, je te les envie, ils temeublent la vie. Moi, je n'en n'ai pas, mais personne d'Argos n'est aussi triste que moi.

CLYTEMNESTRE. — Mon cher seigneur...

Elle s'approche de lui.

EGISTHE. — Laisse-moi, catin ! n'as-tu pas honte, sous ses yeux ?

CLYTEMNESTRE. — Sous ses yeux ? Qui donc nous voit ?

EGISTHE. — Eh bien, le roi. On a lâché les morts, ce matin.

CLYTEMNESTRE. — Seigneur, je vous en supplie... Les morts sont sous terre et ne nous gênerontpas de sitôt. Est-ce que vous avez oublié que vous-même inventâtes ces fables pour le peuple ?

EGISTHE. — Tu as raison, femme. Eh bien, tu vois comme je suis las ? Laisse-moi, je veux merecueillir.Clytemnestre sort.

SCÈNE IVEGISTHE, ORESTE et ELECTRE (cachés)

EGISTHE. — Est-ce là, Jupiter, le roi dont tu avais besoin pour Argos ? Je vais, je viens, je sais crierd'une voix forte, je promene partout ma grande apparence terrible, et ceux qui m'aperçoivent se

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sentent coupables jusqu'aux moelles. Mais je suis une coque vide : une bête m'a mangé le dedanssans que je m'en aperçoive. A présent je regarde en moi-même, et je vois que je suis plus mortqu'Agamemnon. Ai-je dit que j'étais triste ? J'ai menti. Il n'est ni triste ni gai, le désert, l'innombrablenéant des sables sous le néant lucide du ciel : il est sinistre. Ah ! je donnerais mon royaume pourverser une larme !

Entre Jupiter.

Texte C : Albert CAMUS, Caligula, acte II, scène 5, 1944.

[Depuis la mort de sa sœur Drusilla, Caligula, jeune empereur romain, prend conscience de l'absurdité du monde. IIdécide d'exercer un pouvoir absolu, tyrannique et cruel sur son royaume.]

ACTE II SCÈNE 5

Il mange, les autres aussi. Il devient évident que Caligula se tient mal à table. Rien ne le force à jeter ses noyauxd'olives dans l'assiette de ses voisins immédiats, à cracher ses déchets de viande sur le plat, comme à se curer les dentsavec les ongles et à se gratter la tête frénétiquement. C'est pourtant autant d'exploits que, pendant le repas, il exécuteraavec simplicité. Mais il s'arrête brusquement de manger et fxe avec insistance Lepidus l'un des convives.Brutalement.CALIGULA. — Tu as l'air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j'ai fait mourir ton fls ?

LEPIDUS, la gorge serrée. — Mais non, Caïus, au contraire.

CALIGULA, épanoui. — Au contraire ! Ah ! que j'aime que le visage démente les soucis du cœur.Ton visage est triste. Mais ton cœur ? Au contraire n'est-ce pas, Lepidus ?

LEPIDUS, résolument. Au contraire, César.

CALIGULA, de plus en plus heureux. — Ah ! Lepidus, personne ne m'est plus cher que toi. Rionsensemble, veux-tu ? Et dis-moi quelque bonne histoire.

LEPIDUS, qui a présumé de ses forces. — Caïus !

CALIGULA. — Bon, bon. Je raconterai, alors. Mais tu riras, n'est-ce pas, Lepidus ? (L'œil mauvais.)Ne serait-ce que pour ton second fls. (De nouveau rieur.) D'ailleurs tu n'es pas de mauvaise humeur.(II boit, puis dictant.) Au..., au... Allons, Lepidus.

LEPIDUS, avec lassitude. — Au contraire, Caïus.

CALIGULA. — A la bonne heure! (Il boit.) Écoute, maintenant. (Rêveur.) Il était une fois un pauvreempereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, ft tuer son plus jeune fls pour s'enlevercet amour du cœur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. Drôle, n'est-ce pas ? Tu ne rispas. Personne ne rit ? Ecoutez alors. (Avec une violente colère.) Je veux que tout le monde rie. Toi,Lepidus, et tous les autres. Levez-vous, riez. (Il frappe sur la table.) Je veux, vous entendez, je veuxvous voir rire.

Tout le monde se lève. Pendant toute cette scène, les acteurs, sauf Caligula et Caesonia, pourront jouer comme desmarionnettes.Se renversant sur son lit, épanoui, pris d'un rire irrésistible.

Non, mais regarde-les, Caesonia. Rien ne va plus. Honnêteté, respectabilité, qu'en dira-t-on, sagessedes nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur. La peur, hein, Caesonia, cebeau sentiment, sans alliage, pur et désintéressé, un des rares qui tire sa noblesse du ventre. (Il passela main sur son front et boit. Sur un ton amical.) Parlons d'autre chose, maintenant. Voyons. Cherea, tu esbien silencieux.

CHEREA. — Je suis prêt à parler, Caïus. Des que tu le permettras.

CALIGULA. — Parfait. Alors tais-toi. J'aimerais bien entendre notre ami Mucius.

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MUCIUS, à contrecœur. — A tes ordres, Caïus.

Texte D : Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

[Bérenger 1er ne veut pas comprendre le destin inexorable que son médecin et sa première femme lui ont annoncé : il vamourir. La seconde épouse du Roi, Marie, est présente.]

LE ROI. — Viens vers moi.

MARIE. — Je voudrais bien. Je vais le faire. Je vais le faire. Mes bras retombent.

LE ROI. — Alors, danse. (Marie ne bouge pas.) Danse. Alors, au moins, tourne-toi, va vers la fenêtre,ouvre-la et referme.

MARIE. — Je ne peux pas.

LE ROI. — Tu as sans doute un torticolis, tu as certainement un torticolis. Avance vers moi.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Avance vers moi en souriant.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Fais-le donc !

MARIE. — Je ne sais plus comment faire pour marcher. J'ai oublié subitement.

MARGUERITE, à Marie. — Fais quelques pas vers lui.

Marie avance un peu en direction du Roi.

LE ROI. — Vous voyez, elle avance.

MARGUERITE. — C'est moi qu'elle a écoutée. (A Marie.) Arrête. Arrête-toi.

MARIE. — Pardonne-moi, Majesté, ce n'est pas ma faute.

MARGUERITE, au Roi. — Te faut-il d'autres preuves ?

LE ROI. — J'ordonne que les arbres poussent du plancher. (Pause.) J'ordonne que le toit disparaisse.(Pause.) Quoi ? Rien ? J'ordonne qu'il y ait la pluie. (Pause, toujours rien ne se passe.) J'ordonne qu'il y aitla foudre et que je la tienne dans ma main. (Pause.) J'ordonne que les feuilles repoussent (ll va à lafenêtre.) Quoi ! Rien ! J'ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte aufond à droite.) Pas par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par lapetite porte, à droite, en face. A Juliette.) J'ordonne que tu restes. (Juliette sort.) J'ordonne qu'on entende lesclairons. J'ordonne que les cloches sonnent. J'ordonne que cent vingt et uns coups de canon sefassent entendre en mon honneur. (Il prête l'oreille.) Rien ! ... Ah si ! J'entends quelque chose.

LE MÉDECIN. — Ce n'est que le bourdonnement de vos oreilles, Majesté.

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La préface de l'auteur

L'auteur aurait pu situer le sujet de cette piece dans l'Antiquité romaine, l'Espagne dePhilippe II, la France de l'Occupation, etc. Il a d'ailleurs longtemps hésité. Ce qui a décidé son choixpour l'époque de l'Indépendance sud-américaine, c'est simplement que certains travaux sur l'histoiredes jeunes républiques latines, menés parallelement, le tenaient déjà, comme on dit, dansl'atmosphere.

On ne doit pas, pour autant, considérer tous les faits groupés autour du sujet essentiel comme rigoureusement conformes à la vérité historique. L'auteur s'est moins soucié de respecter cette vérité historique que de rendre perceptible ce que son theme a d'universel.Ce qui demeure cependant authentique, c'est la sauvagerie de la répression espagnole. Mentionnons, par exemple, que le vrai Morales se plaisait à faire écarteler ses prisonniers ; qu'Antonanzas se réservait le plaisir d'éventrer les femmes enceintes et envoyait à ses amis des caisses remplies de mains coupées ; que le véritable Zuazola jouait à crever les yeux de ses ennemis à coups de lancette et que le moine Eusebio de Coronil préconisait que l'on exterminât tous les Vénézueliens âgés de plus de sept ans.

« Les bourreaux de métier ne suffsaient plus, écrit M. Michel Vaucaire, historien de Bolivar. Il se commettait de telles atrocités que des Espagnols de l'entourage de Monteverde en furent eux-mêmes écœurés. Mais on punissait des rebelles et il fallait dégouter à jamais un peuple de la révolution. »

Comme cette cruauté, ces massacres ne sont pas spécifquement de l'époque bolivarienne, que depuis des siecles et sur toute la surface du monde la même douleur a fait hurler des hommes — sur les croix où agonisaient les derniers compagnons de Spartacus, sur les chevalets des Inquisiteurs du siecle noir ou dansles modernes offcines à torturer — , on a compris que l'auteur n'a voulu emprunter à l'Histoire qu'un prétexte, un décor, une couleur...

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Note d’intention de Jean-Paul Smadja, metteur en scène

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L'art contre l'exécution

Le Trois mai (1814) de Francisco Goya

L'Exécution de Maximilien (1867) d'Edouard Manet

Massacre en Corée (1951) de Pablo PicassoL'Exécution (1995) de Yu Minjun

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Ecriture poétique et quête du sens,du Moyen Âge à nos jours

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire

Textes : - texte 9 : « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24) ; - texte 10 : « Le Pont Mirabeau» ;- texte 11 : « La Loreley » ; - texte 12 : « Nuit rhénane ».

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Lecture analytique n° 9 : « Zone », vers 1 à 24

Zone

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À la fn tu es las de ce monde ancien Bergere ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô ChristianismeL'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD'entrer dans une église et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policieresPortraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirene y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ'aime la grâce de cette rue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

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Lecture analytique n° 10 : « Le Pont Mirabeau »

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours apres la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passeDes éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lenteEt comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

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Lecture analytique n° 11 : « La Loreley » à Jean sève

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À Bacharach il y avait une sorciere blondeQui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la ft citer D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des fammes et non des pierreriesJetez jetez aux fammes cette sorcellerie

Je fambe dans ces fammes ô belle Loreley Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protege

Mon amant est parti pour un pays lointain Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus làMon cœur me ft si mal du jour où il s'en alla

L'évêque ft venir trois chevaliers avec leurs lancesMenez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblantTu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allerent sur la route tous les quatreLa Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si hautPour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le feuve Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulésLes chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelleEt mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vientElle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Lecture analytique n° 12 : « Nuit rhénane »

Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une fammeÉcoutez la chanson lente d'un batelierQui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une rondeQue je n'entende plus le chant du batelierEt mettez pres de moi toutes les flles blondesAu regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirentTout l'or des nuits tombe en tremblant s'y reféterLa voix chante toujours à en râle-mourirCes fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

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Documents complémentaires• Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda : Arthur

Rimbaud, « Le Buffet », Poésies, 1870 ; Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle...» , Romances sans paroles, 1874 ; Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961 ; Jacques Réda, «La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

• ▪ Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

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Groupement de textes 1 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda

Textes : - texte 1 : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870 ;- texte 2 : Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles, 1874 ;- texte 3 : Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961 ;- texte 4 : Jacques Réda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

Texte 1 : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870.

Le Buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,Tres vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;Le buffet est ouvert, et verse dans son ombreComme un fot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,De linges odorants et jaunes, de chiffonsDe femmes ou d'enfants, de dentelles fétries,De fchus1 de grand-mere où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mechesDe cheveux blancs ou blonds, les portraits, les feurs sechesDont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis2

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

1. Fichus : foulards2. Bruire : produire un son confus.

Texte 2 : Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... », Romances sans paroles, 1874.

Son joyeux, importun, d'un clavecin sonore. (Pétrus Borel).

Le piano que baise une main frêleLuit dans le soir rose et gris vaguement,Tandis qu'avec un tres léger bruit d'aileUn air bien vieux, bien faible et bien charmantRôde discret, épeuré1 quasiment,Par le boudoir2 longtemps parfumé d'Elle.

Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudainQui lentement dorlote mon pauvre être ?Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin3 ?Qu'as-tu voulu, fn refrain incertainQui vas tantôt mourir vers la fenêtreOuverte un peu sur le petit jardin ?

1. Apeuré.2. Petite piece dans laquelle la maîtresse de maison se retire pour être seule ou s'entretenir avec des intimes.3. Léger, gai.

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Texte 3 : Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961.

La Valise

Ma valise m'accompagne au massif de la Vanoise, et déjà ses nickels1 brillent et son cuirépais embaume. Je l'empaume2, je lui fatte le dos, l'encolure et le plat. Car ce coffre commeun livre plein d'un trésor de plis blancs : ma vêture3 singuliere, ma lecture familiere et monplus simple attirail, oui, ce coffre comme un livre est aussi comme un cheval, fdele contre mesjambes, que je selle, je harnache, pose sur un petit banc, selle et bride, bride et sangle oudessangle dans la chambre de l'hôtel proverbial.

Oui, au voyageur moderne sa valise en somme reste comme un reste de cheval.

1. Ferrures en métal blanc argenté.2. Prendre dans la paume de la main.3. Habit, vêtement.

Texte 4 : Jacques Réda, « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,On voit un torrent de soleil qui roule entre des branchesEt se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,Avec des éclats palpitants au milieu du pavageEt des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bêteEn éveil dans sa fxité calme : c’est un oiseau.La rue est vide. Le jardin continue en silenceDe déverser à fots ce feu vert et doré qui dansePieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau.Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,On devine qu’avant d’avoir effeuré le guidonÉblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bondÀ travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincellesQui font à présent de ses roues deux astres en fusion.

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Groupement de textes 2 : deux conceptions de la poésie

Textes :- texte 1 : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674) ;- texte 2 : Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation » ;

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands exces vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme28. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arene Dans un pré plein de feurs lentement se promene, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fn répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pieces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévere critique.

Texte B - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phedres, les Jocastes, Les Méropes29, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versaille30 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires31,

28 Barbarisme, solécisme : incorrections.29 Personnages de tragédies.30 L'absence de la lettre "s" est volontaire.31 Inquiétants.

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Habitant les patois ; quelques-uns aux galeres Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas32 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familiere, Vils, dégradés, fétris, bourgeois, bons pour Moliere. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derriere ? Et sur l'Académie, aïeule et douairiere33, Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fs souffer un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fs une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote34, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote35, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces36, N'étaient que des toutous aupres de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

32 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.33 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.34 Figures de style.35 Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.36 Peuples considérés ici comme barbares.

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Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoirede Guillaume Apollinaire, 1914

Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire Giorgio de Chirico, 1914huile sur toile 81,5 x 65 M. N. A. M. , Paris

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

Lectures analytiquesOeuvre intégrale : Candide (1759) de Voltaire

Textes : - texte 9 : l'incipit, jusqu'à «... il fallait dire que tout est au mieux. » (chapitre 1) ; - texte 10 : la guerre entre les Abares et les Bulgares (chapitre 3) ;- texte 11 : l'autodafé (chapitre 6) ; - texte 12 : le nègre de Surinam (chapitre 19).

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Lecture analytique n° 13 : l'incipit de Candide

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Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeunegarçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme.Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple ; c'est, je crois, pour cette raison qu'on lenommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était fls de la soeurde monsieur le baron et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle nevoulut jamais épouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le restede son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps.

Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son châteauavait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiensde ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient ses piqueurs ; levicaire du village était son grand aumônier. Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand ilfaisait des contes.

Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une tresgrande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encoreplus respectable. Sa flle Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse,appétissante. Le fls du baron paraissait en tout digne de son pere. Le précepteur Pangloss étaitl'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et deson caractere.

Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablementqu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château demonseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnespossibles.

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pourune fn, tout est nécessairement pour la meilleure fn. Remarquez bien que les nez ont été faitspour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pourêtre chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour enfaire des châteaux, aussi monseigneur a un tres beau château ; le plus grand baron de la provincedoit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toutel'année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire quetout est au mieux. »

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Lecture analytique n° 14 : la guerre entre les Abares et les Bulgares

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COMMENT CANDIDE SE SAUVA D'ENTRE LES BULGARES, ET CE QU'ILDEVINT

Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Lestrompettes, les ffres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'yen eut jamais en enfer. Les canons renverserent d'abord à peu pres six mille hommes de chaquecôté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui eninfectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffsante de la mort de quelques milliersd'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblaitcomme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfn, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, ilprit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts etde mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que lesBulgares avaient brulé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaientmourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des flleséventrées apres avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ;d'autres, à demi brulées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaientrépandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des hérosabares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou àtravers des ruines, arriva enfn hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisionsdans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquerent quand il futen Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu'on yétait chrétien, il ne douta pas qu'on ne le traitât aussi bien qu'il l'avait été dans le château demonsieur le baron avant qu'il en eut été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde.

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Lecture analytique n° 15 : l'autodafé

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CHAPITRE SIXIÈME --------------------------------

COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ POUR EMPÊCHER LESTREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSÉ

Apres le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages dupays n'avaient pas trouvé un moyen plus effcace pour prévenir une ruine totale que de donner aupeuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelquespersonnes brulées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terrede trembler.

On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commere, etdeux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier apres le dîner ledocteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec unair d'approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrêmefraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours apres ils furent tous deuxrevêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito deCandide étaient peints de fammes renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes ; maisles diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les fammes étaient droites. Ils marcherent enprocession ainsi vêtus, et entendirent un sermon tres pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommesqui n'avaient point voulu manger de lard furent brulés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soitpas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.

Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même: « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n'étaisque fessé, je l'ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes,faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur deshommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des flles, faut-ilqu'on vous ait fendu le ventre ! »

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Lecture analytique n° 16 : le nègre de Surinam

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En approchant de la ville, ils rencontrerent un negre étendu par terre, n’ayant plus que lamoitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme lajambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là,mon ami, dans l’état horrible où je te vois ? - J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameuxnégociant, répondit le negre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? - Oui,monsieur, dit le negre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deuxfois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nouscoupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dansles deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mereme vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : » Mon cher enfant, bénis nosfétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nosseigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton pere et de ta mere. » Hélas ! je ne sais pas sij’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sontmille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous lesdimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ;mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerezqu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une maniere plus horrible.

– Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, ilfaudra qu’à la fn je renonce à ton optimisme. - Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. - Hélas !dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ».

Et il versait des larmes en regardant son negre ; et en pleurant, il entra dans Surinam.

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

Documents complémentaires

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais,Gargantua, chapitre 57, 1534 ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : César Chesneau Dumarsais -Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est-ceque les lumières ? , 1784.

• Lecture cursive au choix : Lettres persanes (1721) de Montesquieu ou Le Dernier jour d’uncondamné (1829) de Victor Hugo

– lectures d'images :

• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture, Dufranne, Radovanovic(2013).

• Extrait du flm de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut

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Groupement de textes : utopies

Thomas More, L’Utopie (Livre II) 1516, extrait, traduction M. Delcourt, éd. GfFlammarion, 1987

La ville est reliée à la rive opposée par un pont qui n'est pas soutenu par des piliers ou des pilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe. Il se trouve dans la partie de la ville qui est la plus éloignée de la mer, afn de ne pas gêner les vaisseaux qui longent les rives. Une autre riviere, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où est située Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles de l'Anydre. Cette source, qui est quelque peu en dehors de la cité, les gens d'Amaurote l'ont entourée de remparts et incorporée à la forteresse, afn qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée ni empoisonnée. De là, des canaux en terre cuite amenent ses eaux dans les différentes parties de la ville basse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie et rendent le même service.

Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé sec mais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvrage de trois côtés ; le feuve occupe le quatrieme.

Les rues ont été bien dessinées, à la fois pour servir le trafc et pour faire obstacle aux vents. Les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par les façades qui se font vis-à-vis, bordant une chaussée de vingt pieds de large. Derriere les maisons, sur toute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façades postérieures.

Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derriere sur lejardin. Elles s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d'habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des feurs d'un tel éclat, d'une telle beauté quenulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zele est stimulé par le plaisirqu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les différents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin lemieux soigné. Vraiment, on concevrait diffcilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du proft et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins.

François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534

Comment était réglé le mode de vie des Thélémites

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des regles, mais selon leurvolonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient,travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boireni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur reglementse limitait à cette clause :

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont

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naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agirvertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou unecontrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour sedéfaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui estdéfendu et convoitons ce qu'on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivaliserent d'efforts pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à unseul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tousjouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour chasser auvol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fer palefroi, portaientchacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon, les hommes portaient lesautres oiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ni aucune d'entre eux qui ne sache lire,écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pourcomposer en vers aussi bien qu'en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habilesà pied comme à cheval, aussi vigoureux, aussi vifs et maniant aussi bien toutes les armes, que ceuxqui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames aussi élégantes, aussi mignonnes, moinsdésagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l'aiguille et à s'adonner à toute activité convenant àune femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l'abbaye d'ensortir, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres motifs, il emmenait avec lui une desdames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s'ils avaient bienvécu à Théleme dans le dévouement et l'amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans lemariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fn de leurs jours qu'aux premiers temps de leursnoces.

Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

Tous les animaux étaient maintenant au rendez-vous - sauf Moïse, un corbeau apprivoisé qui sommeillait sur un perchoir, pres de la porte de derriere - et les voyant à l’aise et bienattentifs, Sage l’Ancien se racla la gorge puis commença en ces termes :

« (...)Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses en face nous avons une vie de labeur, une vie de misere, une vie trop breve. Une fois au monde, il nousest tout juste donné de quoi survivre, et ceux d’entre nous qui ont la force voulue sont astreints au travail jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme. Et dans l’instant que nous cessons d’être utiles, voici qu’on nous égorge avec une cruauté inqualifable. Passée notre premiere année sur cette terre, il n’y a pas un seul animal qui entrevoie ce que signifent des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l’accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la simple vérité.

« Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc si pauvre qu’il ne puisse procurer à ceux qui l’habitent une vie digne et décente ? Non, camarades, mille fois non ! Fertile est le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est possible de nourrir dans l’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent ici. Cette ferme à elleseule pourra pourvoir aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, de centaine de moutons - tous vivant dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est que nous avons le plus grand mal à imaginer chose pareille. Mais, puisque telle est la triste réalité, pourquoi en sommes-nous toujours à végéter dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail, ou presque, est volé par les humains ; Camarades, là se trouve la réponse à nos problemes. Tout tient en un mot : l’Homme Car l’Homme est notre seul véritable ennemi Qu’on le supprime, et voici extirpée la racine du mal. Plus à trimer sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !

« L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il

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ne pond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches : entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Qui laboure le sol : Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait que sa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de lait n’avez-vous pas produit l’année derniere ? Et qu’est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d’élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté et rassasié. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus cette année-ci ? Et combien de ces œufs avez-vous couvés ? Tous les autres ont été vendus au marché, pour enrichir Jones et ses gens ! Et toi, Douce, où sont les quatre poulains que tu as portés, qui auraient été la consolation de tes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras ! En échange de tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné ? De strictes rations de foin plus un box dans l’étable ! »

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Groupement de textes : les combats des Lumières

César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie(1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les fontmouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'ilest en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c'est une horloge qui semonte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer dessentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuventexciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophece que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison déterminel e p h i l o s o p h e .

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils fontsoient précédées de la réfexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténebres; au lieu que lephilosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'apres la réfexion; il marche la nuit, mais il estp r é c é d é d ' u n f a m b e a u .

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, etqu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne laconfond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux,pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus,et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, ilsait demeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout àses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin sonattention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer oudans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaireet dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société.Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualitéssociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en paysennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avecles autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ouson choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme quiveut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint àun esprit de réfexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur unphilosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

Les lumieres, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. Laminorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seulqu’est imputable cette minorité des lors qu’elle ne procede pas du manque d’entendement, mais dumanque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelled’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc ladevise des Lumieres.

La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchisdepuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangere, se plaisent cependant à rester leur viedurant des mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Ilest si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur

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spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., jen’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réféchir, si payer sufft ; etd’autres se chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc diffcile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cetteminorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellementincapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes etformules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage deses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossémême plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peunombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minoritétout en ayant cependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, siseulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujoursquelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs offciels du plus grandnombre, qui, apres voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’uneestimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]

Mais ces Lumieres n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive detoutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

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Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée de Delpâture,Dufranne, Radovanovic (2013)

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Photogramme du flm de Stanley KUBRICK, Barry Lyndon (1975) : la marche avant l'assaut