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Q ue se passe-t-il dans les instants qui précè- dent la catastrophe ? Quel commencement de désastre, quel effon- drement souterrain, quelle menace ? Tout paraît calme, presque normal, quand un gronde- ment bizarre laisse deviner que rien ne sera plus jamais pareil : l’at- mosphère est saturée, les premières secousses ont lézardé le sol, les murs craquent, l’orage a déjà fait son lit. Ces moments-là, terribles, sont ceux que l’Américaine Cynthia Ozick réussit à capter avec une for- ce et une précision éblouissantes, véritablement dignes des plus grands. A travers le destin de ses personnages, des juifs allemands réfugiés aux Etats-Unis, mais aussi de jeunes Américains rongés par le doute, la romancière peint un uni- vers où tout bascule progressive- ment, quelques années avant le début de la seconde guerre mondia- le. De cette dérive émerge un roman splendide et oppressant, dont le souffle va bien au-delà de la description historique ou sociale. Par la vitalité de son style et sa puis- sance métaphorique, Cynthia Ozick bâtit un texte proprement inspiré sur l’exil et la destruction, le poids de l’histoire et la fin d’un monde. Très largement influencée par la tradition hassidique et le souvenir de la Shoah, l’œuvre de Cynthia Ozick est pleine de ces échos apoca- lyptiques. Même si sa manière d’écrire, toujours sauvée du pathos par l’ironie et par une certaine for- me de doute obstiné, peut engen- drer quelques malentendus. Celui- ci, par exemple : des lecteurs améri- cains, nombreux à en croire l’auteur, auraient sincèrement cru qu’Un monde vacillant était une histoire qui se finissait bien. « Com- ment ont-ils pu penser cela ? » Assise sur le bord de son fauteuil, comme une dame en visite pour le thé, Cynthia Ozick ne cache pas sa per- plexité. Sous une épaisse frange de cheveux gris clair, ses yeux luisent pourtant de malice, même quand elle dit avoir été « déçue » par le qui- proquo. Adulée par la critique amé- ricaine, portée aux nues par ceux qui voient en elle l’une des voix les plus puissantes de son pays, l’écri- vain n’avait rien publié depuis dou- ze ans quand elle a fait paraître ce roman dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne comporte pas de happy end (et pour cause : la guerre mondiale obscurcit l’horizon). Comme si les Américains n’avaient pas tout à fait le même sens de la catastrophe que les Européens – ce que suggère Un monde vacillant. Ce fossé entre le vieux monde et le nouveau se trouve déjà dans d’autres livres de Cynthia Ozick, en particulier le beau recueil de nouvel- les intitulé Le Rabbi païen (Payot, 1988). Issue d’une famille juive émi- grée de Russie en 1913, quinze ans avant sa naissance, Ozick est impré- gnée de yiddish et connaît par cœur les incompréhensions nées du choc entre les cultures. Seulement, dit- elle, « mes parents, qui avaient été chassés par des pogroms, ne regret- taient pas l’endroit d’où ils venaient ». Tout le contraire des Mitwisser, personnages centraux d’Un monde vacillant : une famille d’intellectuels berlinois, le père (spé- cialiste d’une secte juive fondamen- taliste du IX e siècle, les Karaïtes), la mère (une physicienne de renom devenue à moitié folle) et les cinq enfants, tous rongés par le souvenir du pays natal, totalement démunis et comme égarés en terre hostile. En face d’eux et pour ainsi dire de l’autre côté du monde, la curieuse silhouette de James A’Bair, dit « The Bear Boy ». Un homme (inspi- ré par un personnage réel) qui a ser- vi de modèle à son père, auteur d’une série de livres pour enfants devenue célèbre dans le monde entier. Devenu adulte, James est riche au-delà du pensable et tient les Mitwisser par l’argent, mais il est aussi complètement perturbé, dépossédé de lui-même par un père qui l’a transformé en image. Entre ces deux figures de l’exil, l’auteur en a installé une troisième : Rose Meadows, la narratrice, qui s’est fait expulser de son dernier logement et ne possède rien à elle. Une toute jeune femme d’origine modeste, qui occupe chez les Mitwisser un emploi flou (secrétai- re, bonne d’enfants, garde-malade) et porte sur chacun le regard le plus froid qui se puisse imaginer. Pour mieux marquer le bannissement de tous ces gens, leur créatrice les a transportés dans un lieu plus sem- blable à un terrain vague qu’à un vrai quartier, le Bronx, là où elle- même a grandi. « Au coin de la rue, une station d’essence abandonnée. Des objets rongés de rouille sur un ter- rain vague » : l’endroit « à demi sau- vage » se trouve à l’écart de la « vraie ville » et « à la périphérie de tout ». Quant aux localités où se déplacent les personnages, ce sont, pour la plupart, des fantômes à moi- tié déserts, dont le nom renvoie un écho mélancolique de la vieille Euro- pe – Troy ou Thrace, Albany… C’est dans ce no man’s land que l’écrivain fait éclater la guerre avant la guerre. Une déflagration domesti- que, en quelque sorte, enfermée entre les murs de la maison biscor- nue qu’occupent les Mitwisser. Sous les yeux du lecteur, Cynthia Ozick défait avec ardeur tous les remparts qui protègent habituelle- ment contre la folie. Exactement comme si les secousses qui s’apprê- tent à faire exploser l’Europe attei- gnaient d’abord ce morceau de nul- le part, suspendu au-dessus du cata- clysme. Semblable à un organisme vivant, le texte s’enroule en un tout volcanique, qui sécrète tour à tour un vocabulaire de la coupure (les Mitwisser sont déracinés, les Karaï- tes étaient isolés du reste des juifs, James l’est de lui-même et Rose de son cousin Bertram, dont elle est amoureuse – tous sont des enfants abandonnés), puis de l’atomisation (« électrons », « particules », « frag- ments ») et enfin de l’informe, quand les personnages finissent par avoir l’impression de perdre leurs contours, de devenir « liquides », « dépourvus de substance » – parfai- te métaphore du pouvoir qu’a la guerre d’estomper les frontières ordinaires, à commencer par la limi- te entre le bien et le mal. Avec une grâce extraordinaire, Ozick finit par tenir ses personna- ges en équilibre au-dessus d’un gouffre, exactement comme elle tient son texte, fait d’un mélange d’éruptions et d’accalmies, de froi- deur et de passion, d’images mer- veilleuses et improbables, de roma- nesque pur et d’érudition. Entre James, qui a été sur-interprété par son père et M. Mitwisser, amou- reux des Karaïtes qui repoussaient toute forme d’interprétation de la parole de Dieu, il y a la réalité – cel- le dont peut rendre compte le roman. La littérature et sa manière de penser le monde, de saisir au vol ce que personne n’a encore vu, de voir l’invisible, comme Rose « voit » les os des Mitwisser sous leur peau, dans un passage subli- me, ou M me Mitwisser les desseins de James avant que lui-même ne se les soit formulés. De voir, oui, mais sans rien pouvoir empêcher : le passé n’est pas effaçable, la guerre aura lieu, les happy ends n’existent pas. APARTÉ Des plaisirs de la chair CYNTHIA OZICK Cynthia Ozick chez elle, en août 2004 LADY ANNE CLIFFORD, com- tesse de Dorset, fut ce qu’il convient d’appeler une femme de caractère. Décidée à défendre son droit et son patrimoine, elle tint tête au roi Jacques I er , à son père, à ses maris et à Cromwell enfin. Ses récits autobiographi- ques comme son journal intime révèlent sa fascinante fronde contre une autorité masculine bien peu contestée d’ordinaire. Le cas de Mary Rich, comtes- se de Warwick, est plus trou- blant encore. Si son autobiogra- phie campe un époux en héros galant, son journal intime, qui dévoile sa violence tyrannique, sert d’exutoire aux frustrations de la dame. Tentative de recons- truction, l’écriture de soi n’a là rien de narcissique mais trahit l’impossible identité d’un être pris entre des idéaux normatifs et la réalité concrète. La difficul- té de se penser soi-même com- me l’audace consécutive à assu- mer son corps peuvent-elles livrer à l’historien ce continent caché qu’est le désir intime ? C’est le défi que relève Robert Muchembled, en quête du plai- sir de la chair (1). Philippe-Jean Catinchi Lire la suite page X (1) L’Orgasme et l’Occident. Une histoire du plaisir du XVI e siècle à nos jours, Seuil, 396 p., 23 ¤. ESSAIS SÉLECTION Le pressentiment du désastre Dans un coin paumé de l’Amérique, la romancière Cynthia Ozick fait éclater la guerre avant la guerre. Comme suspendus au-dessus du gouffre, ses personnages perçoivent les premiers signes de la catastrophe à venir mitch jacobson LITTÉRATURES Marie Darrieussecq ; Bayon ; Gilles Rozier ; Maurice G. Dantec ; Christophe Pradeau ; Georges Zaragoza pages III à V Une anthologie des écrits attribués aux leaders de la nébuleuse terroriste Al-Qaida page VI RENTRÉE LITTÉRAIRE L’équipe du « Monde des livres » propose un large panorama des nombreux romans et essais, français et étrangers, à paraître cet automne Pages VIII et IX « Les Chutes » de Joyce Carol Oates ; la correspondance de Jane et Paul Bowles ; José Carlos Llop UN MONDE VACILLANT (Heir to The Glimmering World) de Cynthia Ozick. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, L'Olivier, 406 p., 22 ¤. La rentrée Gallimard © Catherine Helie / Gallimard Hédi Kaddour Waltenberg roman «C’est à n’en pas douter un des événements littéraires de l’année 2005. Et quand on sait qu’il s’agit d’un premier roman, on est d’autant plus impressionné par la force visionnaire surgissant de ce texte lyrique, ambitieux, inclassable.» Jean-Rémi Barland, Lire a Raphaëlle Rérolle Originaire d’une famille juive de Russie, Cynthia Ozick est née en 1928 dans le Bronx – elle rendra d’ailleurs célèbre le quartier de Pelham Bay, d’où viennent aussi Grace Paley et Jerome Charyn. Ses parents y tiennent une pharmacie qui sert de dépôt à une bibliothèque ambulan- te. Enfant, elle en dévore les livres, tandis que sa grand-mère la berce de contes yiddish, langue dont elle fera l’un des thèmes de son œuvre. Auteur d’une thèse sur Henry James – dont on note l’influence dans son premier roman, Trust (1966) –, elle perce surtout avec « Yiddish in America », une célèbre nouvelle reprise dans Le Rabbi païen (1971), puis avec Le Messie de Stockholm (1987). Avec Malamud, Singer, Bellow ou Roth, elle est l’une des grandes figures du roman juif américain. Le Seuil réédite en « Points » Le Châle (P 1371) et Le Messie de Stockholm (P 1376). DES LIVRES VENDREDI 26 AOÛT 2005

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Que se passe-t-il dansles instants qui précè-dent la catastrophe ?Quel commencementde désastre, quel effon-drement souterrain,

quelle menace ? Tout paraît calme,presque normal, quand un gronde-ment bizarre laisse deviner que rienne sera plus jamais pareil : l’at-mosphère est saturée, les premièressecousses ont lézardé le sol, lesmurs craquent, l’orage a déjà faitson lit. Ces moments-là, terribles,sont ceux que l’Américaine CynthiaOzick réussit à capter avec une for-ce et une précision éblouissantes,véritablement dignes des plusgrands. A travers le destin de sespersonnages, des juifs allemandsréfugiés aux Etats-Unis, mais ausside jeunes Américains rongés par ledoute, la romancière peint un uni-vers où tout bascule progressive-ment, quelques années avant ledébut de la seconde guerre mondia-le. De cette dérive émerge unroman splendide et oppressant,dont le souffle va bien au-delà de ladescription historique ou sociale.Par la vitalité de son style et sa puis-sance métaphorique, Cynthia Ozickbâtit un texte proprement inspirésur l’exil et la destruction, le poidsde l’histoire et la fin d’un monde.

Très largement influencée par latradition hassidique et le souvenirde la Shoah, l’œuvre de CynthiaOzick est pleine de ces échos apoca-lyptiques. Même si sa manièred’écrire, toujours sauvée du pathospar l’ironie et par une certaine for-

me de doute obstiné, peut engen-drer quelques malentendus. Celui-ci, par exemple : des lecteurs améri-cains, nombreux à en croirel’auteur, auraient sincèrement cruqu’Un monde vacillant était unehistoire qui se finissait bien. « Com-ment ont-ils pu penser cela ? » Assisesur le bord de son fauteuil, commeune dame en visite pour le thé,Cynthia Ozick ne cache pas sa per-plexité. Sous une épaisse frange decheveux gris clair, ses yeux luisent

pourtant de malice, même quandelle dit avoir été « déçue » par le qui-proquo. Adulée par la critique amé-ricaine, portée aux nues par ceuxqui voient en elle l’une des voix lesplus puissantes de son pays, l’écri-vain n’avait rien publié depuis dou-ze ans quand elle a fait paraître ceroman dont le moins qu’on puissedire est qu’il ne comporte pas de

happy end (et pour cause : la guerremondiale obscurcit l’horizon).Comme si les Américains n’avaientpas tout à fait le même sens de lacatastrophe que les Européens – ceque suggère Un monde vacillant.

Ce fossé entre le vieux monde etle nouveau se trouve déjà dansd’autres livres de Cynthia Ozick, enparticulier le beau recueil de nouvel-les intitulé Le Rabbi païen (Payot,1988). Issue d’une famille juive émi-grée de Russie en 1913, quinze ans

avant sa naissance, Ozick est impré-gnée de yiddish et connaît par cœurles incompréhensions nées du chocentre les cultures. Seulement, dit-elle, « mes parents, qui avaient étéchassés par des pogroms, ne regret-taient pas l’endroit d’où ilsvenaient ». Tout le contraire desMitwisser, personnages centrauxd’Un monde vacillant : une famille

d’intellectuels berlinois, le père (spé-cialiste d’une secte juive fondamen-taliste du IXe siècle, les Karaïtes), lamère (une physicienne de renomdevenue à moitié folle) et les cinqenfants, tous rongés par le souvenirdu pays natal, totalement démuniset comme égarés en terre hostile.En face d’eux et pour ainsi dire del’autre côté du monde, la curieusesilhouette de James A’Bair, dit« The Bear Boy ». Un homme (inspi-ré par un personnage réel) qui a ser-vi de modèle à son père, auteurd’une série de livres pour enfantsdevenue célèbre dans le mondeentier. Devenu adulte, James estriche au-delà du pensable et tientles Mitwisser par l’argent, mais il estaussi complètement perturbé,dépossédé de lui-même par un pèrequi l’a transformé en image.

Entre ces deux figures de l’exil,l’auteur en a installé une troisième :Rose Meadows, la narratrice, quis’est fait expulser de son dernierlogement et ne possède rien à elle.Une toute jeune femme d’originemodeste, qui occupe chez lesMitwisser un emploi flou (secrétai-re, bonne d’enfants, garde-malade)et porte sur chacun le regard le plusfroid qui se puisse imaginer. Pourmieux marquer le bannissement detous ces gens, leur créatrice les atransportés dans un lieu plus sem-blable à un terrain vague qu’à unvrai quartier, le Bronx, là où elle-même a grandi. « Au coin de la rue,une station d’essence abandonnée.Des objets rongés de rouille sur un ter-rain vague » : l’endroit « à demi sau-vage » se trouve à l’écart de la« vraie ville » et « à la périphérie detout ». Quant aux localités où sedéplacent les personnages, ce sont,pour la plupart, des fantômes à moi-tié déserts, dont le nom renvoie unécho mélancolique de la vieille Euro-pe – Troy ou Thrace, Albany…

C’est dans ce no man’s land quel’écrivain fait éclater la guerre avantla guerre. Une déflagration domesti-que, en quelque sorte, enferméeentre les murs de la maison biscor-nue qu’occupent les Mitwisser.

Sous les yeux du lecteur, CynthiaOzick défait avec ardeur tous lesremparts qui protègent habituelle-ment contre la folie. Exactementcomme si les secousses qui s’apprê-tent à faire exploser l’Europe attei-gnaient d’abord ce morceau de nul-le part, suspendu au-dessus du cata-clysme. Semblable à un organismevivant, le texte s’enroule en un toutvolcanique, qui sécrète tour à tourun vocabulaire de la coupure (lesMitwisser sont déracinés, les Karaï-tes étaient isolés du reste des juifs,James l’est de lui-même et Rose deson cousin Bertram, dont elle estamoureuse – tous sont des enfantsabandonnés), puis de l’atomisation(« électrons », « particules », « frag-ments ») et enfin de l’informe,quand les personnages finissent paravoir l’impression de perdre leurscontours, de devenir « liquides »,« dépourvus de substance » – parfai-te métaphore du pouvoir qu’a laguerre d’estomper les frontièresordinaires, à commencer par la limi-te entre le bien et le mal.

Avec une grâce extraordinaire,Ozick finit par tenir ses personna-ges en équilibre au-dessus d’ungouffre, exactement comme elletient son texte, fait d’un mélanged’éruptions et d’accalmies, de froi-deur et de passion, d’images mer-veilleuses et improbables, de roma-nesque pur et d’érudition. EntreJames, qui a été sur-interprété parson père et M. Mitwisser, amou-reux des Karaïtes qui repoussaienttoute forme d’interprétation de laparole de Dieu, il y a la réalité – cel-le dont peut rendre compte leroman. La littérature et sa manièrede penser le monde, de saisir auvol ce que personne n’a encore vu,de voir l’invisible, comme Rose« voit » les os des Mitwisser sousleur peau, dans un passage subli-me, ou Mme Mitwisser les desseinsde James avant que lui-même nese les soit formulés. De voir, oui,mais sans rien pouvoir empêcher :le passé n’est pas effaçable, laguerre aura lieu, les happy endsn’existent pas.

APARTÉ

Des plaisirsde la chair

CYNTHIA OZICK

Cynthia Ozick chez elle, en août 2004

LADY ANNE CLIFFORD, com-

tesse de Dorset, fut ce qu’ilconvient d’appeler une femmede caractère. Décidée à défendreson droit et son patrimoine, elletint tête au roi Jacques Ier, à sonpère, à ses maris et à Cromwellenfin. Ses récits autobiographi-ques comme son journal intimerévèlent sa fascinante frondecontre une autorité masculinebien peu contestée d’ordinaire.

Le cas de Mary Rich, comtes-se de Warwick, est plus trou-blant encore. Si son autobiogra-phie campe un époux en hérosgalant, son journal intime, quidévoile sa violence tyrannique,sert d’exutoire aux frustrationsde la dame. Tentative de recons-truction, l’écriture de soi n’a làrien de narcissique mais trahitl’impossible identité d’un êtrepris entre des idéaux normatifset la réalité concrète. La difficul-té de se penser soi-même com-me l’audace consécutive à assu-mer son corps peuvent-elleslivrer à l’historien ce continentcaché qu’est le désir intime ?C’est le défi que relève RobertMuchembled, en quête du plai-sir de la chair (1).

Philippe-Jean CatinchiLire la suite page X

(1) L’Orgasme et l’Occident. Unehistoire du plaisir du XVIe siècle ànos jours, Seuil, 396 p., 23 ¤.

ESSAIS SÉLECTION

Le pressentiment du désastreDans un coin paumé de l’Amérique, la romancière Cynthia Ozick fait éclater la guerre avant la guerre.

Comme suspendus au-dessus du gouffre, ses personnages perçoivent les premiers signes de la catastrophe à venir

mit

chja

cobs

on

LITTÉRATURES

Marie Darrieussecq ;Bayon ; Gilles Rozier ;Maurice G. Dantec ;Christophe Pradeau ;Georges Zaragozapages III à V

Une anthologiedes écrits attribuésaux leadersde la nébuleuseterroriste Al-Qaidapage VI

RENTRÉE LITTÉRAIREL’équipe du « Monde des livres »propose un large panoramades nombreux romans et essais, françaiset étrangers, à paraître cet automnePages VIII et IX

« Les Chutes » deJoyce Carol Oates ;la correspondance deJane et Paul Bowles ;José Carlos Llop

UN MONDE VACILLANT

(Heir to The Glimmering World)de Cynthia Ozick.Traduit de l'anglais (Etats-Unis)par Jacqueline Huetet Jean-Pierre Carasso,L'Olivier, 406 p., 22 ¤.

La rentrée Gallimard

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HédiKaddourWaltenbergroman

«C’est à n’en pas douter un des événements littéraires de l’année 2005. Et quand on sait qu’il s’agit d’un premier roman, on est d’autantplus impressionné par la force visionnaire surgissant de ce texte lyrique, ambitieux, inclassable.»

Jean-Rémi Barland, Lire

a Raphaëlle Rérolle

Originaire d’une famille juive de Russie, Cynthia Ozick est née en

1928 dans le Bronx – elle rendra d’ailleurs célèbre le quartier de Pelham

Bay, d’où viennent aussi Grace Paley et Jerome Charyn. Ses parents y

tiennent une pharmacie qui sert de dépôt à une bibliothèque ambulan-

te. Enfant, elle en dévore les livres, tandis que sa grand-mère la berce

de contes yiddish, langue dont elle fera l’un des thèmes de son œuvre.

Auteur d’une thèse sur Henry James – dont on note l’influence dans

son premier roman, Trust (1966) –, elle perce surtout avec « Yiddish in

America », une célèbre nouvelle reprise dans Le Rabbi païen (1971), puis

avec Le Messie de Stockholm (1987). Avec Malamud, Singer, Bellow ou

Roth, elle est l’une des grandes figures du roman juif américain. Le Seuil

réédite en « Points » Le Châle (P 1371) et Le Messie de Stockholm (P 1376).

DES LIVRESVENDREDI 26 AOÛT 2005

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L’ÉDITION FRANÇAISEa RENTRÉE LITTÉRAIRE AU CAP-FERRET. Conférences, signatures, le Cap-Ferret vit au rythme de la rentrée littéraire jusqu’au 28 août. Proposé parla librairie bordelaise Alice Mediastore, ce salon littéraire recevra notam-ment, samedi 27 août, Yann Queffélec (Ma première femme, Fayard) etKarine Tuil (Quand j’étais drôle, Grasset). Les rencontres ont lieu à 18 h 30à l’Alice Mediastore du Cap-Ferret. Rens. : 05-56-60-71-88.a GÜNTER GRASS À PARIS. L’écrivain allemand Günter Grass, PrixNobel de littérature 1999, propose, mercredi 31 août, à 20 heures auThéâtre Trianon (80, bd de Rochechouart, Paris-18e), une soirée de lec-ture musicale, à partir de poèmes commentés du romantisme(entrée : 8 euros, réservation au Goethe Institut : 01-44-43-92-30).

À L’ÉTRANGERa UN ÉCRIT INÉDIT DE CESARE PAVESE. Le quotidien italien La Repubbli-ca rapporte, dans son édition du 24 août, qu’un écrit inédit de CesarePavese (1908-1950), retrouvé dans la chambre d’hôtel où l’auteur ita-lien s’est donné la mort, a été rendu public. Le billet, un bordereaud’emprunt de bibliothèque, se trouvait dans les pages de l’exemplairedes Dialogues avec Leuco, que Pavese avait laissé sur sa table de che-vet. Sur une des pages de l’ouvrage, Pavese avait écrit à la main : « Jepardonne à tous et à tous je demande pardon, ça va bien ainsi ? Et ne fai-tes pas trop de commérages. » Le billet se décompose en trois phrases,l’une tirée des Dialogues, l’autre du Métier de vivre. La troisième est iné-dite : « Je me suis cherché. » Maria, la sœur de Pavese, avait gardésecret ce texte avant de le confier, en 1980, au centre d’études surl’auteur. Son directeur, Franco Vaccaneo, a décidé de rendre publi-ques ces quelques lignes à quelques jours du cinquante-cinquièmeanniversaire de la mort de Cesare Pavese, le 27 août. – (AFP.)

ON A BEAU ÉCUMER les jours,envisager de passer l’automne àPékin, cracher sur les tombes etmême virtuellement tuer tous lesaffreux, rien n’y fait… Pas de siteofficiel de la Fondaction parisienneBoris Vian.

Vernon Sullivan, Bison Ravi ouencore Borizo Viana se sont toute-fois pris les pieds dans la Toile,débusqués par le très louable

« Petit cahier du grand BorisVian ». Ce site très complet, couvépar un certain Cyber.oumpah-pah,donne à butiner de nombreuses res-sources sur l’écrivain français, à lafois poète, traducteur, ingénieur,trompettiste de jazz et composi-teur. Le site renferme notammentles textes de 159 de ses chansons,une riche biographie et de courtsextraits de quatre de ses onzeromans. On y apprend que l’inven-teur de la sérieuse roue élastiquecomme des loufoques pianoktail outrousse à doctoriser a donné sonnom à l’astéroïde numéro 15382.

Outre le site de Sylvain Pioutaz,qui décrypte L’Ecume des jours,roman-phare de l’Equarisseur dePremière Classe du Collège de Pata-physique, Internet a choyé sa chan-son, Le Déserteur, traduite en plusde 30 langues. On appréciera enfinle traitement graphique des multi-ples facettes d’« Un Boris desBoris », concocté par figuresdestyle.com.

Sursitaire dès son plus jeune âge,Boris Vian est surpris par la mort le23 juin 1959 à l’âge de 39 ans, sansavoir goûté à la notoriété qu’ilescomptait mais au sommet d’uneœuvre qui est passée à la postérité,internautique y comprise.

Marlène DuretzLemonde.fr

C ’est donc parti. Depuis la findu mois d’août, une produc-tion littéraire massive défer-

le en France jusqu’au mois d’octo-bre. Selon les chiffres de l’hebdoma-daire professionnel Livres Hebdo,663 romans – contre 661 en 2004 –vont être publiés pour une rentréelittéraire qui s’annonce très dense.

Parmi les livres attendus, en litté-rature française, La Possibilité d’uneîle (Fayard). Le nouvel ouvrage deMichel Houellebecq, qui a connuun lancement digne des grandsromans anglo-saxons – avec unembargo jusque peu avant sa publi-cation, mercredi 31 août, et sa com-munication à quelques rares journa-listes –, a fait bruisser le monde del’édition et de la presse durant l’étéet le fera sans doute tout au longde l’automne : le livre est déjà enorbite pour le prix Goncourt, quisera décerné en novembre.

Cette méthode de promotionencore inédite en France – pour cequi concerne les romans – n’est passans rappeler celle des grandsagents étrangers, qui font ainsimonter la tension. Le tirage enfin(près de 275 000 exemplaires) pour-rait bien laisser présager à terme,dans le paysage littéraire français,une guerre des best-sellers que lesAméricains appellent aujourd’hui,à l’instar des gros films hollywoo-diens, des « blockbusters ».

passage presque obligéParmi les autres ouvrages en

vue, le roman autobiographiqued’Alexandre Jardin, Le Roman desJardin (Grasset), La Petite Fille deMonsieur Linh, de Philippe Claudel(Stock) ou encore Acide sulfurique,d’Amélie Nothomb (Albin Michel),ou Fuir, de Jean-Philippe Toussaint(Minuit) ; en littérature étrangère,Shalimar le clown, de Salman Rush-die (Plon), Les Grand-mères, deDoris Lessing (Flammarion), LunarPark, de Bret Easton Ellis (éd.Robert Laffont) ou Bonsoir les cho-ses d’ici bas, d’Antonio Lobo Antu-nes (éd. Christian Bourgois). La lis-te est très loin d’être exhaustive…(lire également page VIII).

La rentrée littéraire se préparetrès en amont, avant l’été. C’est làque les imprimeries tournent àplein régime pour le mois de sep-tembre ; les rencontres se multi-plient entre les éditeurs, lesauteurs, les libraires : ainsi la tour-

née commune chez des libraires enFrance de Joëlle Losfeld et SabineWespieser qui s’est achevée le4 juillet. Habitude également prisechez Actes Sud.

Pour de nombreux observateurs,cet automne marqué par de nom-breux « poids lourds » pourraitbien redonner des couleurs à uneannée morose pour les libraires,qui accusent des baisses de ventesimportantes (« Le Monde deslivres » du 3 juin).

Les premiers romans cèdent duterrain, 96 contre 120 en 2004. Lesromans étrangers sont moins nom-breux dans la cohorte : 214 contre221 en 2004. Au nombre d’ouvra-ges publiés, Fayard tient la cordecette année encore avec la publica-tion de 22 nouveautés ; Gallimarden propose 21, indique LivresHebdo.

La rentrée littéraire est devenueun passage presque obligé pour denombreux éditeurs. Cette année, sila production de livres est stable,elles sont 149 maisons à publiercontre 133 en 2004.

« C’est comme l’école, qui redé-marre le 2 septembre, et c’est, mal-gré tout, le meilleur moment pourpublier des livres, explique Jean-Marc Roberts, gérant et directeuréditorial de Stock, qui propose à larentrée un tiers de sa productionromanesque française de l’année,soit six ouvrages. Les livres qui sor-

tent à cette période sont en librairietrois ou quatre mois, les auteurs ontdonc plus de temps pour faire leurtrou. » Y a-t-il des romans spéciale-ment taillés pour la rentrée ? « Ilm’est arrivé de dire à un auteur :“Nous allons attendre”, ajoute Jean-Marc Roberts. J’essaie de faire atten-tion à ce que les auteurs ne se gênentpas entre eux. Je n’aimerais paspublier le même mois un Erik Orsen-na et un Philippe Claudel. Cela coûtecher, les livres. Les lecteurs ne peu-vent pas tout acheter. »

Actes Sud, auréolé de son pre-mier prix Goncourt, en 2004, avecLe Soleil des Scorta de Laurent Gau-dé, publie cette année 8 romansfrançais et 14 étrangers, parmi les-quels Les Amants imparfaits, de Pier-rette Fleutiaux, ou American Dar-ling, de Russell Banks. Pour Françoi-se Nyssen, présidente d’Actes Sud,la rentrée littéraire traduit « unegrande conviction ». « Nous avonsprésenté les livres aux libraires, cesont des moments importants, les édi-teurs, les auteurs sont présents ».

Intellectuellement, mais aussiéconomiquement, la période peutêtre importante : « On peut imagi-ner que les cinq mois d’août, septem-bre, octobre, novembre et décembrefont l’équivalent des sept mois précé-dents », note, par exemple, Françoi-se Nyssen. En revanche, pour lamaison d’édition arlésienne, leGoncourt n’a pas influé sur cette

rentrée littéraire : « Nous avonsjuste montré que c’était possibled’avoir le Goncourt, que cela pouvaitexister. »

La rentrée littéraire peut égale-ment avoir d’autres valeurs. Pourles éditions Ramsay, qui ont connudes tourmentes économiques cesdeux dernières années, « cette ren-trée symbolise le fait que nous nousréimplantons dans le paysage édito-rial, indique Françoise Samson,directrice de la maison, qui propo-se trois romans, dont Il faut bienque certaines choses soient faites, deJacques Lederer. Ce n’est pas d’unpoint de vue économique que la ren-trée est le plus important. »

Cette période n’est pas un pointd’ancrage pour tous les éditeurs.« C’est un moment qui m’a toujourslaissée perplexe », explique VivianeHamy, directrice de la maison d’édi-tion qui porte son nom, qui publieune dizaine d’ouvrages par an dis-tillés tout au long de l’année. Parmieux, notamment, Fred Vargas,Dominique Sylvain ou François Val-lejo. Cette année, elle propose unroman de littérature étrangère,L’Art de la joie, de Goliarda Sapien-za, et Ubiquité, un premier romande Claire Wolniewicz « reçu par laPoste en début d’année », indiquel’éditrice.

Viviane Hamy avait été, en 2004,l’une des personnalités les plus envue de la rentrée… parce qu’elleavait décidé de ne pas publier delivres en septembre (Le Monde du10 juillet 2004) : « J’avais besoin deprendre du recul. Nous existionsalors depuis quinze ans, il fallait queje remette des choses à plat. Pourmoi, cette histoire a été un épiphéno-mène car nous avons une productionrégulière tout au long de l’année.Compte tenu de ce que je fais paraî-tre, ce n’est pas, loin de là, sur leslivres qui paraissent en septembre,octobre, novembre, que l’on faitnotre année. Il faut par exemplenoter que notre fonds est de plus enplus présent dans les ventes. »

La rentrée littéraire s’achèveracomplètement à la saison des prixlittéraires, qui débute fin octobre.Quant aux éditeurs, après les fêtesde fin d’année, propices auxcadeaux et aux beaux livres, ilsvont s’offrir le plaisir d’une deuxiè-me rentrée littéraire… en jan-vier 2006.

Bénédicte Mathieu

Chaque semaine, « lemonde.fr » propose aux lecteurs du « Monde des

livres » la visite d’un site Internet consacré à la littérature.

A la façon des disciples d’Aris-tote, ils cheminent en com-muniant dans la même pas-

sion ; mais qui sait si la poésien’ouvre pas aussi sûrement que laphilosophie à la sagesse ? C’est lepari des 14es « Lectures sous l’ar-bre » qui ont eu lieu au Chambon-sur-Lignon et au Mazet-Saint-Voy(Haute-Loire), du 15 au 21 août. Enroute pour l’Oustau, gîte d’étape deMesfraîches face au lac de Deves-set, sous la houlette de Jean-PierreSiméon, à la découverte du plateaudu Vivarais-Lignon, avec Christo-phe Galland, comédien-poète, ouplus sagement en lecture-promena-de avec Sarraute, Ravella et Dumor-tier grâce à Arnaud Décarsin.

De lectures en débats, on lit, lescomédiens mais surtout les poètes.Et l’émotion fut particulièrementsensible à l’écoute des extraits deBouge tranquille que choisit PatriciaCastex Menier ou de Mouvementpar la fin de Philippe Rahmy. Onpalabre aussi autour des tables quiproposent tout le fonds des édi-tions Cheyne, devant les toiles deJérôme Bost, accrochées à l’atelier

de Cheyne depuis le début de l’été,à l’issue des spectacles qui fêtaientcette année Walter Helmut Fritz etJean-Marie Barnaud, autour d’unverre aussi puisque la restauration,assurée par un ancien du Théâtredu Soleil, Christian Dupont, s’estmise au diapason de la manifesta-tion, simple et savoureuse.

Depuis 1992, Martine Mélinetteet Jean-François Manier, quiavaient fait en 1980 le pari fou d’in-vestir une école rurale perdue dansles bois pour y installer un atelierde typographie et s’y établir édi-teurs, convient sous le marronnierde l’ancienne cour de récréationpoètes et amateurs de poésie ; etrien, sinon le changement d’échel-le, l’atelier « Lire, rêver, écrire lesimages », animé par Katy Couprie,n’a rompu la sage croissance du ren-dez-vous. Un quart de siècle pourCheyne ? Quelle importance pources formidables serviteurs du texteque le goût des autocélébrationsn’effleure pas. Tant mieux, puisquele quinzième rendez-vous est déjàfixé : du 14 au 20 août 2006.

Ph.-J. C.

Un phénomène variable selon les pays d’Europe

http://www.borisvian.fr

http://ecume.jours.online.fr/

http://www.prato.linux.it/

~lmasetti/canzonicontrolaguerra

/canzone. php ? id = 1

http://www.figuresdestyle.com/

vian/

Les promesses de la rentrée littéraire663 romans seront publiés cette année entre la fin août et la fin octobre. Un automne dense,

avec de nombreux ouvrages très attendus et moins de premiers romans qu’en 2004

Promenades poétiquesen Haute-Loire

LA RENTRÉE LITTÉRAIRE n’est pas uneexception culturelle française. Ce rendez-vousexiste également en Allemagne. En revanche, lestraditions sont plus diverses en Italie, en Grande-Bretagne ou en Espagne.

f ALLEMAGNE. Il existe une rentrée littéraireoutre-Rhin. Elle commence dès août, moisdurant lequel s’effectue déjà le retour de vacan-ces dans certaines régions du pays (Länder),pour se terminer en apogée par la Foire du livrede Francfort, en octobre : « Tout le monde veutabsolument publier avant ce grand rendez-vous », observe Peter Riepken, responsablepour le centre international des débats organisédans le cadre de cette manifestation qui, cetteannée, aura lieu du 19 au 23 octobre. « L’autom-ne n’est toutefois pas le seul point fort de la vie lit-téraire allemande », note Simone Mühlhauser,de l’Association des éditeurs et libraires alle-mands. Le printemps, rythmé par le Salon deLeipzig (en mars), est également crucial pour lesmaisons d’édition.

Le phénomène de la rentrée littéraire est diluéoutre-Rhin par la décentralisation. Contraire-ment à la France, où Paris continue à dominer lavie culturelle, les éditeurs sont répartis de maniè-re nettement plus équilibrée à travers toute l’Alle-magne. Munich, Francfort et Berlin sont les prin-cipaux pôles dans le domaine, mais Hambourg,Stuttgart et, depuis peu, Leipzig tirent aussi leurépingle du jeu, contribuant à un paysage édito-rial plus varié et régi par des règles moins unifor-misées. « Comme en France, l’automne est l’occa-sion pour les critiques littéraires des grands jour-naux allemands de s’intéresser de près aux jeunesécrivains non confirmés, alors que le grand publicn’en est pas nécessairement friand », ajoute PeterRiepken.

f ITALIE. La rentrée de septembre n’est qu’unetransition entre le creux de l’été et la période quiprécède Noël. Le dernier trimestre – et plus par-ticulièrement les mois de novembre et décem-bre – enregistre traditionnellement les pics de

ventes dans la Péninsule. Près de 35 % du chiffred’affaires de l’édition est réalisé à cette occa-sion. C’est ce moment porteur que les maisonsd’édition choisissent pour publier les best-sellers, notamment étrangers, et les auteurs,romanciers et essayistes, à succès commeUmberto Eco, Andrea Camilleri, Giorgio Fallettiou Oriana Fallaci.

Mais la sortie des nouveautés est étalée toutau long de l’année, car il n’y a pas de saison litté-raire. La vie littéraire est en fait rythmée de dizai-nes de prix. Si le Prix Campiello est décerné à lami-septembre, le plus ancien et le plus presti-gieux, le Prix Strega, est attribué le premier jeudide juillet. Ces récompenses majeures favorisentsystématiquement les grandes maisons d’éditionau détriment des plus modestes. Depuis sa créa-tion, en 1947, le Prix Strega, décerné en 2005 àMaurizio Maggiani pour Il viagiatore notturno(Feltrinelli), n’a échappé que très rarement àMondadori ou Rizzoli.

Avant de devenir une puissance économiquede première grandeur grâce à ses investisse-ments dans une chaîne appréciée de mégasto-res, la respectable Feltrinelli ne l’avait obtenuqu’une fois. C’était en 1959, avec Le Guépard, deGiuseppe Tomasi di Lampedusa. Depuis 1995, ladésormais grosse cylindrée de l’édition italiennea été récompensée trois fois, dont cette année.

f GRANDE-BRETAGNE. Il n’existe pas de rentréelittéraire en tant que telle. Le nombre et la diversi-té des prix littéraires outre-Manche – il n’en exis-te pas moins de 200 – rythment une saison littérai-re espacée sur toute l’année. Le plus connu estaussi le plus lucratif, le Man Booker Prize, créé en1968 sur le modèle du Goncourt. Le jury sélec-tionne les candidats en présence desquels se faitl’annonce du vainqueur au cours d’une cérémo-nie télévisée en octobre couverte par la pressenationale. Annoncée début août comme chaqueannée, la sélection des demi-finalistes comprendtoutes les locomotives du box-office : Barnes,Ishiguro, McEwan, Rushdie, Coetzee, etc.

Viennent ensuite le Whitbread, en janvier, le

prix de la Society of Authors en mai, le prix Oran-ge (équivalent du Femina étranger) en juin-juillet. « Le mois de septembre n’est plus sacré pourles éditeurs, qui préfèrent échelonner les parutions.Le lancement de Harry Potter en plein été l’atteste.Les prix sont devenus des événements télévisuels quisont espacés pour augmenter leur impact commer-cial sur les ventes menant à Noël ou aux vacancesd’été », explique-t-on au Times Literary Supple-ment. La controverse fait d’ailleurs partie de lamise en scène : ultime consécration, les bookma-kers Ladbrokes et William Hill parient sur le Boo-ker comme sur les chevaux ou le monstre du lochNess. A l’exception de certains petits prix« ciblés » (voyage, meilleur livre homosexuel, fai-ble tirage), la commercialisation des œuvres est,au Royaume-Uni, le motif avoué des prix.

f ESPAGNE. Il n’y a pas à proprement parler dephénomène de rentrée littéraire. Sans doute par-ce que la remise des prix, dont les plus impor-tants sont organisés par les maisons d’édition,s’échelonne tout au long de l’année, jusqu’enjuin. Mais l’automne est quand même unmoment fort après la pause de l’été. Simplementles parutions s’échelonnent de septembre ànovembre, à un rythme continu. Le vrai momentfort se produit en décembre pour viser les fêtesde fin d’année, très importantes en Espagne. Leslivres font partie des cadeaux que l’on échange,en particulier au début du mois de janvier pour laFête des rois, bien plus encore qu’à Noël. Ensui-te, c’est au printemps qu’arrivera le nouveau lotde nouveautés, pour fêter la Sant Jordi à Barcelo-ne (où sont basées un grand nombre de maisonsd’édition), et l’arrivée des beaux jours dans le res-te du pays. Certains éditeurs, comme Anagrama,font toutefois un effort particulier en septembre,en lançant, par exemple, une rentrée britanni-que, allemande ou française qui leur permet deregrouper plusieurs romans.

Jean-Jacques Bozonnet à Rome,Antoine Jacob à Berlin,Marc Roche à Londres,

Martine Silber à Madrid

Service ML - 1 rue de Stockholm75008 Paris

Tél : 01 44 70 19 21

Mosaïques vianesques

ACTUALITÉS

LE NET LITTÉRAIRE AVEC

Source : Livres Hebdo

UNE PRODUCTION STABILISÉE

94 979695 98 99 02 03 04 050100

Romansfrançais

Romansétrangers

Total

663

147

217

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Nombre de romans parus lors des dernières rentrées littéraires

100

200

300

400

500

600

700

319

488

691

455

236

169214

449

II/LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005

Page 3: DESLIVRES - DDOOSS

PLUS QUE DU COURAGE, il faut de lamodestie pour tenter de faire publier sonpremier roman. Ensuite, il reste à espérerque certains lecteurs auront toujours dubonheur à ouvrir le livre d’un inconnu ris-quant l’aventure de la mise en mots.

Même si l’on a rarement la sensationqu’on a eue en lisant les premiers Houelle-becq ou Yannick Haenel d’être en présenced’un écrivain qui va se construire dans ladurée, on a constamment d’agréables sur-prises. Et, contrairement aux clichés sur lalittérature française actuelle – étroite, narcis-sique… –, la plus grande diversité est au ren-dez-vous. En voici un premier choix : Morsu-res, une histoire subtile et à suspense, dansle monde de l’art, d’Hélène Bonafous-Murat (1) ; Pissenlits et petits oignons, unroman loufoque de Thomas Paris, humourfroid et retournement final très éton-nant (2) ; Nour, les débuts émouvants d’unejeune femme de 20 ans, Nadjet Ghaou-ti (3) ; Les Corps virtuels, un texte brillant deVincent Roy, pastiche particulièrement réus-si d’un écrivain contemporain accompli (4).

Hélène Bonafous-Murat est, comme sonhéroïne Hortense, qui parle si bien de sonmétier, expert en estampes. Celle-ci est

enfermée. Hôpital ou prison. Elle se racon-te, et le lecteur la suit – sans difficulté, avecpassion – dans les complexes méandres deson histoire. Tout commence par la visited’un brocanteur en possession d’unbric-à-brac sans intérêt, d’où surgit une peti-te gravure de Bellange « graveur lorraincontemporain de Callot, gentilhomme donton ne sait presque rien, si ce n’est qu’il fut auservice du duc Charles III et décora sonpalais ». Une pièce inconnue.

Tous sont en émoi, conservateurs, col-lectionneurs, commissaires-priseurs,dont Hélène Bonafous-Murat fait detrès convaincants portraits. Horten-se est fascinée, de manière inhabi-tuelle, par l’homme et la femmereprésentés ici par Bellange.Elle veut reconstituer leur his-toire, dans ce monde « anté-rieur à l’avènement de laphotographie », où les pay-sages sont « recomposéssur le cuivre par la maindu graveur ». Son atti-rance est communi-cative et l’on parttrès loin avec elle,

dans la Lorraine du XVIe siècle. Il faut pour-tant revenir à Paris, aujourd’hui. Car le jouroù l’estampe doit être vendue aux enchè-res, elle a disparu et l’un des commissaires-priseurs est assassiné. Est-ce une tout autrehistoire ? Pas vraiment, mais pour le com-prendre il faut aller, avec Hortense, au boutde son obsession.

Chez Thomas Paris, il faut aussi aller jus-qu’au bout pour savoir que ce qu’on vient

de lire est encore plus loufoque qu’on nele pensait. Voici un croque-mort virtuo-

se, Koulechov, qui va enterrer sonclient 4224, Emile Lécuyer, 58 ans. A

dire vrai, Koulechov ne se vit pascomme un préposé à la mise enboîte de cadavres, mais comme

celui qui met « le point final » àune histoire. « Chaque client

est un livre qu’il me revientde refermer. » Pour cha-

cun, un texte de quatrepages, écrit grâce aux

propos des proches.Depuis ce jour de

son adolescence oùune catastropheferroviaire a fait

47 morts (retenez bien ce détail), il a décidéde vivre pour enterrer. Mais cet EmileLécuyer vient tout perturber. Il a deux veu-ves, sa femme légitime et celle pour laquel-le il l’avait quittée. A-t-il vraiment existépour elles, ou a-t-il été, comme souvent unhomme entre deux femmes, « le seul instru-ment de leur rivalité » ? L’une veut le faireenterrer à Locmariaquer, l’autre à Guémé-né-Penfao. Mais que va donc inventer Kou-lechov pour sauver, post mortem, Emile ?

Dans le roman de la jeune Nadjet Ghaou-ti, Nour, la mort n’est pas comique. C’estcelle d’un père, que doit affronter Nour, safille. Elle n’a pas encore 18 ans, elle estdonc au moment où l’on se croit revenu detout alors qu’on n’a encore rien vu. Ou sipeu. Et Nadjet Ghaouti, peut-être parcequ’elle en est proche, excelle à évoquer cet-te période de la vie.

Au moment où son père s’éloigne, Nourdécouvre que sa mère a un amant. Peut-être pour ne pas se replier sur la douleur dudeuil, elle entreprend de le retrouver. Sonenquête, qu’on suit avec intérêt, sembleaboutir. Heureusement, dans la vie commedans les romans d’apprentissage, il n’y a nihappy-end ni résolution de l’énigme.

Si l’on repère, dans Nour, des maladres-ses de débutant, rien de tel dans Les Corpsvirtuels, histoire d’un écrivain et espiondans son rapport aux femmes, au sexe, àl’amour. Dans un monde où domine « lahaine de la beauté », où les voluptueux sefont rares, où « le vrai terrorisme insidieux,celui dont personne ne parle, ne veut parler,et qui fait des milliers de morts réguliers,c’est la culpabilité commandée par lademande sociale ». Vous n’avez pas recon-nu le romancier ici pastiché ? Et mainte-nant ? « La solitude à deux est un miracle.C’est l’histoire d’un corps ouvert (les cellulesbien sûr sont en jeu), laissant passer un autrecorps. C’est un moment intérieur de danse. Ily a un dieu de la solitude des amants, undieu rare, effacé, farceur, gai. » Lisez viteVincent Roy, il dit clairement à qui il veutrendre hommage. Il le fait avec un brioimpressionnant.

Josyane Savigneau

(1) Ed. Le Passage, 280 p., 16 ¤.(2) Buchet-Chastel, 170 p., 10 ¤.(3) Ed. J.-C. Lattès, 200 p., 13,50 ¤.(4) La Table ronde, 142 p., 15 ¤.

Premiers romans : le bonheur, toujours renouvelé, de la découverteP A R T I P R I S

M arie Darrieussecq, danschacun de ses romans, hési-te ou oscille entre deux

possibilités, deux hypothèses, deuxmodes d’être : la présence et l’absen-ce. Dans la littérature actuelle, onpeut ainsi la reconnaître de loin.C’est elle qui se tient avec bravouresur la frontière séparant le plein etle vide, et qui fait signe. Des deuxunivers, le second est évidemmentle plus inquiétant. Car l’absencen’est pas uniforme, étale ou égale àelle-même, mais plurielle, toujoursdifférente, toujours étrangère. D’oùle courage de la romancière à explo-rer cet univers, à l’habiter parfois.Là, elle lie connaissance avec lescitoyens du « pays », les fantômes.

Dans le dernier paragraphe deson roman, Marie Darrieussecqécrit justement : « Les fantômes nerôdent pas dans les limbes. Ils n’exis-tent que dans la rencontre. Ils n’ontd’autre lieu que leur apparition. » Sil’on met de côté le premier livre,Truismes (POL, 1996), flamboyanteet charnelle entrée en matière quieffraya bien des assoupis, Le Pays

est le plus incarné de ses romans.Mais cette incarnation ne se reven-dique pas comme une victoire surl’absence. Et celle-ci ne se trouvepas comblée ou guérie, tel un trou,un vide, une dépression. D’ailleurs,en ce domaine, toute victoire mar-querait la fin de l’écriture… « Il setrouve qu’écrire vous tient à unetable, dans une grande disponibilitéaux fantômes. »

« je » clivé« Ce livre-là parlerait d’habiter et

d’être née quelque part en conju-guant ces modes à diverses person-nes… » Marie Rivière a décidé derentrer dans son pays natal avecson mari d’origine espagnol, Diego,et avec leur fils, Tiot. Elle est encein-te d’une fille, Epiphanie (qui veutjustement dire « apparition »), quinaîtra là-bas aux dernières pagesdu livre. Aux premières – super-bes – Marie court, elle « dévale »métaphoriquement la carte de Fran-ce, de Paris vers le Sud, côté Atlanti-que. Son pays est à la fois reconnais-sable et imaginaire, réellementsitué de part et d’autre des Pyré-nées et absent de toutes les cartes ;il porte un nom de fantaisie : le« pays yuorangui », qui a récem-

ment accédé à l’indépendance.« Tout ce qui courait en moi metenait debout, me portait. Je devenaisj/e. » Ce « je » clivé, commediraient les psychanalystes, « ni bri-sé ni schizoïde, mais fendu, décol-lé », c’est celui de l’écrivain : « J/ecourais, devenue bulle de pensée.(…) J/e devenais la route, les arbres,le pays. S’absorber dans, absorber lepaysage, c’était une partie de la pen-sée, une partie de l’écriture. »

Le roman est construit sur l’alter-nance des voix : directe, à la premiè-re personne, et indirecte, qui pour-suit la narration de l’extérieur ; lesdeux étant légèrement décalées ettypographiquement distinctes.

« Elle mit vingt ans à rentrer, aupoint qu’il ne s’agissait plus de ren-trer mais d’entreprendre un nouvelexil… » Avec sa « vieille langue »,ses coutumes funéraires particuliè-res (des « Maisons des morts » oùl’on se souvient des défunts par l’en-tremise des hologrammes), sa litté-rature si réduite que l’on peut enavoir une connaissance exhaustive,ce pays ressemble à une île. A laquestion des origines, il donne sim-plement la possibilité de répondre :« Je suis de là. » Même si, en derniè-re analyse, l’identité n’est jamais

que « le lieu commun des éva-nouis ». Sur ce plan, le roman deDarrieussecq renouvelle, par unevoie inédite et inattendue, la ques-tion de l’appartenance (à une lan-gue, à une terre, à une nation), sansentretenir la moindre nostalgiepour la vision classique ou tradition-nelle de l’enracinement. « Nousétions du pays si l’on voulait ; mais cepays était le royaume du vide, la pla-nète des singes recouverte de sabled’où émerge le bras d’une statue per-due. » De même, pas de faiblesseou de complaisance en faveur desluttes indépendantistes : « Tout Yuo-rangui qui se réclamait de son paysperdait nécessairement un peu de saraison. Tout Yuorangui qui revendi-quait lui faisait peur, petite, commeon a peur des fous. » A la fin, on nepeut dire qu’une chose vérifiable,non suspecte : « Elle était debout surla Terre et ça tournait. »

L’autre axe du livre est celui de lafiliation. Marie appartient à une fra-trie, est inscrite dans un héritage,reçu et à transmettre. Elle doit tenirsa place, avancer, être fille et mère,entre un frère mort, comme éva-noui, Paul, et un autre, Pablo,enfant adopté, devenu fou et sedisant le fils du général de Gaulle.

Les quelques pages sur Pablo sontd’ailleurs parmi les plus belles, lesplus justes du livre. Au point de ren-contre de ces deux lignes de force,la question de la littérature surgit,

centrale. Avec force et urgence. Etsurtout avec une sorte d’évidence :on n’en finit jamais d’apprivoiserles fantômes.

Patrick Kéchichian

Marie Darrieussecq, 2005

Citadelles d’enfanceChair de poule des souvenirs. Le premier roman de Christophe Pradeau

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Le miracle de la femme nueLe roman d’un voyeur qui n’a rien d’un adepte du voyeurisme

Le « lieu commun des évanouis »Dans « Le Pays », Marie Darrieussecq aborde la question de la filiation

et de l’appartenance à une terre d’une manière inédite et inattendue

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at/p

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LITTÉRATURES

C ela commence avec une bru-me insignifiante. Une opaci-té transparente juste accro-

chée aux herbes. Un mouillé à peinelaiteux encore troué de soleil ras.Mais qui se répand par plaques etqui enfle. Inexorablement. Une blan-cheur molle s’installe peu à peu,envahissant le sol. Elle prend sesaises et s’élève au tronc des arbres.S’enroule aux branches et prend laplace du ciel. La masse humide pro-gresse comme un incendie froid.Léchant le paysage. Le faisant dispa-raître. Un instant encore. Tout setrouve englouti.

D’engloutissement, il en est beau-coup question dans ce premierroman de Christophe Pradeau.C’est le brouillard bien sûr qui fantô-me les routes familières, mais aussila boue des marais qui happe lesimprudents égarés sur la tangue ver-te de trompeuses prairies. Le sabledes déserts étouffant les cultures. Etce noir de la nuit qui fait ressurgirdes angoisses de préhistoire. Lesfauves d’autrefois tapis dans lesfourrés. Tigres aux dents de sabre et

dragons carnassiers. L’oubli enfin,surtout, enterrant les années. Lesémotions et les visages. Les sensa-tions. Les troubles. Enfouissant lecœur lentement sous une pluie decendres. Un frère et une sœur sesont fait un soir un absolu serment.« Nous avions juré de nous souvenirjusqu’à l’heure de notre mort – c’étaitla formule que j’avais répétée aprèselle – de ce que cela faisait d’être unenfant. » Comment tenir parole ?En laissant affleurer les sentimentspremiers comme une eau souterrai-ne. Source jamais tarie tant qu’onreste fidèle. Et Christophe Pradeaude rouvrir lentement « un monde demoissons, de parties de pêche, unmonde où l’on fait la sieste à l’ombredes vergers, un monde de lecturesindolentes sur les chaises longues desarrière-jardins, d’orangeade et depersiennes closes, de chaleur bour-donnante avec ses recoins, ses filetsde fraîcheur (…) ».

Mais qu’on ne se trompe pas, iln’y a pas dans ce livre de nostalgiefacile. On est loin du récit de souve-nirs d’enfance. Pradeau parle d’hu-mus. De très profond terreau. Ilnous rapproche de tout ce qui nousmet au monde. Qui fonde le regard.Qui fait trouver les mots. C’est l’en-droit du décor. Ballottés sur la ban-

quette arrière de la voiture qui lesramène de chez leur grand-mère,les deux enfants ont inventé un« Jeu ». Manière de lutter contre lanausée lente et l’ennui des voyages.Ils s’efforcent chacun de garder enmémoire le moindre détail du tra-jet. « Un village haut perché que l’onapercevait soudain au bénéfice d’unecourbe plus accentuée que les autres ;un massif montagneux enténébré parune forêt de sapins où l’on devinait,plus ou moins visibles selon les sai-sons, deux tours en poivrière. » Riteet réminiscence. Descendre en rap-pel les contreforts du temps.

La Souterraine, c’est sûr, est leroman d’un poète. Christophe Pra-deau nous guide vers nos mers inté-rieures, nos rivages secrets. « Nousne sommes, écrivait Lewis Carrol,que des enfants vieillis qui pleurni-chent le soir avant d’aller dormir. »Pour apprivoiser le sommeil, pourconjurer la nuit, Laurence, la grandesœur, se raconte des histoires sanscesse recommencées. Intermina-bles. Inachevées. Elles se trouventdans ce livre. Phrases figées dansl’ambre. Réveillées de soleil. Tohu-bohu d’enfance. Des contes et légen-des arrachés au brouillard. Intacts.Qui avait oublié ?

Xavier Houssin

E n 1550, sous un titre de vingt-huit mots qui commence parS’ensuivent les blasons anato-

miques du corps feminin, parais-saient quarante-neuf poèmes célé-brant le corps de la femme. Clé-ment Marot signait Blason dubeau tétin, Eustorg de Beaulieu,ministre évangélique, Blason ducul, Pierre Lelieur, échevin, Blasonde la cuisse, Antoine Hérouet, évê-que de Digne, Blason de l’œil, etvingt-cinq autres poètes, des che-veux aux pieds, rimaient sur labouche, l’ongle, le nombril, legenou… sans oublier, à se satisfai-re de trois points de suspension,le… « qui seul peult bailler la jouys-sance ».

Quand il s’installe dans un hôtelà Rosas, petite ville balnéaire d’Es-pagne, un professeur de lettres,quinquagénaire d’humeur irrita-ble, misanthrope « bardé de certi-tudes », n’imagine pas qu’il varenouveler la célébration anatomi-que du corps de la femme en utili-sant la pellicule où ses ancêtres duXVIe siècle n’avaient que leur plu-me. S’il est dans ce lieu où s’étale

« la médiocrité satisfaite du touris-me imbécile », c’est qu’il a cédé aucomplot organisé par sa sœur ;pour son cinquantième anniversai-re, la famille lui offre une semaineespagnole.

« miracle de la femme nue »N’étant pas de caractère à bron-

zer sur une plage ou à visiter lessites que les prospectus détaillent,il occupe le temps à la rédactionde son journal, qu’il intitule Cham-bre noire, titre prémonitoire. Eneffet, ayant remarqué, de la fenê-tre de sa chambre, qu’une femmenue prend un bain de soleil àheures régulières, il achète unappareil photographique munid’un « appendice abdominalimpressionnant ». Ce téléobjectiflui permet de « fixer le miracle dela femme nue » et d’approcher« son intimité ».

Son séjour en est changé, puisbouleversé. Chaque jour, rendez-vous des plus particuliers et exci-tants avec celle qui reste et resteral’Inconnue. Par le truchement del’appareil, il détaille son corps enfixant toutes les parties commeautant de blasons d’un nouveaugenre qui lui inspirent bien despages de son journal.

Mais il n’y a pas que le séjourqui soit autre que prévu. Lafemme nue est, malgré elle, à l’ori-gine de la transformation duvoyeur qui n’a rien d’un adepte duvoyeurisme. Peu à peu, le solitairequi ne voulait d’autres compa-gnies que ses livres, découvrel’importance du corps, la vie dessens, et s’avoue : « J’ai mal den’être plus jeune, j’ai mal de nel’avoir jamais été. »

Un homme photographie unefemme nue qui ne le voit pas. Lesujet est délicat. Il expose aux faci-lités des descriptions et des évoca-tions plus ou moins salaces, et à ladifficulté de soutenir l’intérêtd’une histoire où les rapportsentre les personnages sont forcé-ment distants. Or, avec un soufflenarratif assez rare dans un pre-mier roman, Georges Zaragozaattache son lecteur, qui devientaussi curieux de l’Inconnue que lequinquagénaire qui la découvre.Et cela, par une façon de placerdans le récit une satire de notreépoque avec un humour discret,servie par un style limpide qui,sans emphase ni trivialité, décrit àla fois le corps féminin et l’évolu-tion d’une psychologie.

Pierre-Robert Leclercq

LE PAYS

de Marie Darrieussecq.POL, 300 p., 19 ¤.

LA SOUTERRAINEde Christophe Pradeau.Ed. Verdier, 160 p., 12 ¤.En librairie le 1er septembre.

BLASONS

de Georges Zaragoza.Le Cherche Midi, 276 p., 17 ¤.

LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005/III

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ZOOMa LES FRÈRES Y,de Marie-Eve

Sténuit

Peut-on rire detout ? Par exem-ple, de cette ano-malie de la natu-re qui fait unypsiloïde,c’est-à-dire cetêtre étrange qui

a deux cœurs, quatre poumons, unpénis, deux testicules, trois fesses ?Marie-Eve Sténuit y parvient ennous offrant quelques rires et beau-coup de sourires avec un récit inspi-ré par l’histoire vraie de frères sia-mois exhibés, à la fin du XIXe siè-cle, d’Europe en Amérique avantde finir leur vie dans une villa deVenise, fortune faite. Pour une tel-le réussite, il y faut un beau talentqui réunit la simplicité du style,une certaine virtuosité à mêler

humour et tendresse, l’absence detout effet – en tel cas ils seraientfaciles – et, dans les descriptions,une rigueur qui n’affaiblit en rienle réalisme. Une autre qualité de ceroman est d’évoquer, sans y insis-ter, nos rapports avec ce qui nousest anormal, et que ce qui est autreest bien plus que « l’image que l’ona de lui ». P.-R. L.Le Castor Astral, 232 p., 15 ¤.

a FÉROCEMENT VÔTRE,de Jean-Noël Liaut

Il y a plusieurs façons de célébrerun auteur quand sa naissance ousa mort offrent un chiffre rond.Pour rappeler que Saint-Simon estmort voici deux cent cinquanteans, Jean-Noël Liaut a choisi lafaçon la plus originale qui soit, encélébrant par le roman celui qui,selon Chateaubriand, « écrivait àla diable pour l’immortalité », en

transformant peu à peu ce romanen résumé de l’œuvre du mémoria-liste, en chronique mondaine, enjournal intime, en souvenir de ren-contre de célébrités du spectacle etde la littérature, le tout sur fondd’un Saint-Germain-des-Prés quin’est plus ce qu’il était et qui sem-ble une succursale du Versailles deLouis XIV. C’est vif, léger, émailléd’anecdotes pour un récit où Saint-Simon tient le rôle du faire-valoird’un autoportrait. P.-R. L.Ramsay, 270 p., 18 ¤.

a À MA SŒUR DU BOUT DU

MONDE, de Fanny Carel

C’est une lettre arrivée un jour desAntipodes. Une sœur retrouvéequi vit en Australie. Le même père.Et pourtant, comme on racontel’histoire… Il était, paraît-il, avant,violent et dangereux. Tout lecontraire ensuite. Enfances sépa-

rées. Destinations lointaines.L’une ne l’a pas connu. Croit-elletout ce qu’on dit ? L’autre a toutpartagé et défend sa mémoire. Becet ongles. Quelle importance aufond… Dans une longue missiveadressée en réponse, la narratricede Fanny Carel remonte le temps àcloche-pied. Les mots sontbouleversants de franchise. Pre-mier roman très sobre sur l’amourfilial, l’aptitude au bonheur, lessecrets de famille et la douleurmuette. X. H.Mercure de France, 164 p., 15 ¤.

a ELLE VA PARLER, de Judith Martin

D’une écriture dense et concise, cebeau récit en partie autobiographi-que évoque deux destins de fem-me : l’une est née avec le siècle « lamême année que Simone de Beau-voir » – c’est « elle », la mère, dontles parents seront engloutis dans

les camps nazis ; l’autre, sa fille,quittera la Roumanie communistepour s’exiler en France et y fonderune famille. Au chevet de « Mère »agonisante, autrefois rebelle etboudeuse, la narratrice en dresse,par petites touches, l’émouvantportrait : la jeunesse et les étudesdans la Vienne des années 1920, cetemps « où tout était promesse », savocation de comédienne, le cata-clysme de la guerre, puis les alléeset venues aléatoires d’un bout àl’autre d’une Europe coupée endeux. De langue maternelle hon-groise, Judith Martin nous livre ici,après Pli urgent (2001), déjà remar-qué, son deuxième récit écrit direc-tement en français. Où l’histoireeuropéenne se médite comme laplus intime et la plus personnelledes aventures. On attend avecimpatience le suivant. A. L.-L.Noir sur Blanc, 171 p., 15 ¤.

Nébuleux cosmosUn thriller futuriste de Dantec

Les guerres intérieures d’une IsraélienneIsraël, la violence, mais aussi l’amour, le couple : le nouveau roman de Gilles Rozier

Le phare du Creac’h, situé sur la pointe nord-ouest de l’île d’Ouessant

D ’une enfance en Afrique ilfit une épopée narquoise(Le Lycéen, Grasset, 1976).

Puis vint cette époustouflante sin-gerie autobiographique, chroni-que à rebrousse-poil de souvenirsentomologiques (Les Animals,Grasset, 1990, prix Interallié).Après quoi, toujours expert dansl’art de transformer ses traumatis-mes en tortures exquises, Bayonrégla des comptes avec sesparents (Haut fonctionnaire, Gras-set, 1993) et retraça l’histoire deses martyres physiques (La Routedes Gardes, Grasset, 1998). Septans déjà, depuis cette autopsie iro-

nique, qui aurait pu laisser crain-dre que ce graphomane compul-sif, styliste de la décharge nerveu-se, de la transe volubile, de l’hé-morragie cathartique, s’était faithara-kiri à l’heure où il annonçaitson intention d’en finir avec sonthéâtre de la cruauté.

Bayon n’est pas sorti de sesconvulsions, et nous livre un étran-ge objet intitulé « romans ». Expli-cation : depuis 1998, il a écrit deuxlivres de sa « façon médiumni-que », dont l’un consacré à son frè-re pendu en 1999, « tous deux impu-bliables comme de nature à troublerl’ordre public de mon entourage ».De ces deux livres « inexprima-bles », il s’est résolu à extraire despassages non compromettants, en« reader’s digest ». Auxquels il a

adjoint quelques chapitres tirésd’autres ouvrages inédits. Les Paysimmobiles est donc un recueil qui,semblant sauter du coq à l’âne,trouve une unité dans la passiondu mot giclant et virtuose. Et dansle passage plus ou moins contrôlévers un monde parallèle, au-delàdu Léthé, là où dorment desmomies et où rôdent fantômes,marabouts et tentatrices. Impres-sionnante alchimie, fatrasie fié-vreuse, autofiction vandale, où lesexpériences de vie et de comas éta-lent une damnation, unface-à-face sarcastique avec lemal, pour guetter un éclair derédemption. Confessions d’un éga-ré en transe, ressentant « une sorted’inavouable plénitude dans lemalaise ». Vagal ou révélateur devague à l’âme.

Bayon a la tête qui tourne. Unemigraine du feu de Dieu : ce qui,lors d’un voyage en Egypte, lui gré-sille dans le cortex est à la foissymptôme d’un écorchement del’intérieur et connexion avec l’au-delà. Bayon reste enfant, hantépar des névralgies sexuelles,médium visité par des trolls,condamné au coitus interruptuspar ses étourdissements, ses verti-ges, ses trous noirs. Ses crises desomnambulisme le font errer dansle royaume des ombres : il y diva-gue avec des morts et des spectresmythologiques. Faims érotiquesinassouvies, avidités scabreuses,

messes noires imposées à des ado-lescentes soumises au désir, lubri-ques initiations à la « petitemort » : inventaire de transgres-sions transmuées en débâcles,débandades. Spleens.

peter pan d’etherDu Finistère à l’Afrique noire, il

ressuscite des Bretonnes qui lefont passer des pulsions dyonisia-ques aux râles et relents de lichende calvaires. Il se connecte grâceau spiritisme avec le Peter Pand’éther, un petit frère emporté àcinq mois par la « maladie verte »,à Lomé, au Togo. Saccades pubien-nes avec Marine, gestes languidesd’une naïade de piscine, tour-

ments d’un clochard de 17 anscroupissant sur un trottoir de larue de Tonkin et pleurant « à grossanglots déprimés, comme vous oumoi, comme les gars quand les fillesne sont pas là », bizutage d’un voi-sin pignouf à la « bouille d’idiotronde comme une assiette deloukoum rosé », rixe abjecte dansune ruelle de Montmartre,effeuillage et exploration anatomi-que de la brune vermillonne Sabi-ne chambre 12 hôtel Beau Rivageà Loctudy, intimidation d’une sor-cière branquignole qui espionneet invective l’immeuble, bamboulaavec Africains portés sur la picoleet apparition de la rousse Rose quile met en lévitation « rien qu’en lui

prenant la main pour la garderdans la sienne », agonie de l’angeMichel, cet épris de désert dont ilaccepte d’être le « mangeur depéchés » à l’heure où le ronge levirus du sida.

« Il écrit », note Bayon à proposd’un personnage qui pourrait bienêtre lui-même, atteint de troublesobsessionnels compulsifs et enproie à la « liturgie animiste ». Ilsacrifie à des rituels dans les ténè-bres, à l’aveugle, la nuit, pourconvoquer les esprits obscurs. Laprose épileptique de ce kafkaïenmontreur de marionnettes estl’une des plus jubilatoires de la lit-térature française contemporaine.

Jean-Luc Douin

C ela fait un moment déjà que Gilles Roziernous donne de beaux romans. Un amoursans résistance (Denoël, 2003) avait

même réussi à susciter enchère sur enchère à lafoire de Francfort, avant d’être traduit dans dou-ze pays. Douze pays, dont l’Allemagne où GillesRozier, après avoir refusé de se rendre pendantprès de vingt ans, avait fait à cette occasion levoyage (voir Fugue à Leipzig, Denoël, 2005). Il yparlait de lui, sans fioriture mais avec la sobriétéqui le caractérise, avec un « je » qui, cette fois,n’était pas celui de la fiction.

Né en 1963 à Grenoble, Gilles Rozier fait sacoopération à Jérusalem où il est gestionnaired’un Institut chrétien d’études juives : « Jérusa-lem est devenue un petit coin de moi-même, uneville folle où je me sens follement bien. » En ren-trant, il travaille dans une banque, dans les servi-ces commerciaux du groupe Hachette, etc. :« Pendant que je n’étais pas tout à fait moi-mêmedans ces métiers, je me suis passionné pour la lan-gue yiddish, celle de mon grand-père Moyshe assas-siné à Auschwitz, de ma grand-mère Yokhved mor-te à Paris en 1942, de l’oncle Simon, de la tanteSuzanne que j’ai bien connus. » Devenu le direc-teur de la plus grande médiathèque d’Europedédiée à la culture yiddish, il parle cette languetous les jours. Et il écrit. De mieux en mieux. Ou,pour être tout à fait exact, il creuse, de plus enplus profond, pour atteindre la justesse même.

La Promesse d’Oslo est un livre juste, donc, etbeau. Et qui dérangera sûrement. Parce qu’il trai-te, sans complaisance, de sujets qui fâchent– dont Israël, et qu’il est impossible, quand il

s’agit de ce petit pays, d’être d’accord. D’ac-cords, il n’en est pourtant pas question ici,même si le titre est volontairement ambigu. Il nes’agit pas en effet pour Gilles Rozier de glosersur les traités conclus dans la capitale norvégien-ne entre le gouvernement israélien et les diri-geants palestiniens en 1993 ; mais de raconter lavie d’une femme, Sharon, en proie à ses propresambiguïtés, à ses propres doutes, et à ses guer-res intérieures.

Sharon avait un fils, Eli, et il est mort. Dans unattentat. Situation atrocement banale : « Il a prisl’autobus 18 et, au coin d’une avenue et d’une rue,il a valsé avec trois poussettes deux grands-mèresla fille du grand rabbin de Jérusalem qui était enmême temps la cousine de la femme du Premierministre… » On l’enterre sur le mont Herzl, oùl’ex-mari de Sharon refuse de se rendre : « Il nevoulait pas de ce cimetière militaire. Il ne voulaitpas que son fils fasse l’armée, le sionisme estcontraire au judaïsme. C’est quoi (…) ces magasinsouverts le samedi et ces filles qui se pavanent à moi-tié nues sur les plages ? » Qui blâmer – « c’estl’Etat et les Nations unies c’est les lignes de cessez-le-feu la guerre et l’homme qui ne sait pas vivre enpaix sur sa terre » ? Et quelles explications peu-vent consoler une mère de la perte de sonenfant ?

nostalgie du paysAlors Sharon déménage – « dans un quartier

cossu où il n’y avait presque pas d’enfants ». Sym-pathise avec sa voisine, une femme résolumentmoderne. Une femme qui n’arrive pas à avoird’enfant…

Sharon, elle, s’en veut « de pouvoir vivre cha-que jour un peu moins mal sans Eli ». Elle décidede partir pour Oslo, et de se faire inséminer

– « Elle n’en verrait jamais le père, il n’existaitpas, il était un nom sur un fichier informatique. »Choisit un hôtel végétarien afin de respecter lacasherout (discipline alimentaire). Regrette cevoyage. A la nostalgie du pays : « Elle voulait lagrossièreté de ses concitoyens (…), les poubellesnauséabondes au coin des rues et les colonies dechats qui les peuplent (…), les soldats en uniformequand ils rejoignent leur base mitraillette en ban-doulière, les Arabes sur les chantiers et dans lestaxis, même les Arabes quand ils continuent àjouer du marteau-piqueur pendant la minute desilence au moment où le pays s’arrête de vivresoixante secondes pour la commémoration dugénocide des juifs par les nazis. »

Et puis il y a Amos. Un collègue. Homosexuel.Qui lui fait part de son désir d’enfant. Le rabbinest d’accord, mais formel : ils doivent se marier.Sharon s’inquiète : « Mais nous ne serons pas unvrai couple. » Et Amos de lui répondre, tranquil-lement : « Qu’est-ce qu’un vrai couple ? Tu enconnais beaucoup ? (…) Un homme et une femmesont amis et ont un enfant ensemble, n’est-ce pasune sorte de famille ? Tu préfères une relation pas-sionnelle : on veut posséder l’autre, le dévorer (…),on souffre dès qu’il passe le pas de la porte etquand il rentre le soir, on s’envoie les assiettes à latête, on se demande des comptes (…). C’est celaun couple ? Une volée quotidienne de faïence, lesjours pairs les assiettes pour la viande, les joursimpairs le service pour le lait ? »

Jamais Gilles Rozier n’aura été aussi libre,tant dans les thèmes que dans le ton et l’écritu-re. Plus qu’une promesse donc, son livre estune véritable et entière réussite. On a justeenvie de lui dire, le livre refermé : merci. Et del’offrir à ses plus proches amis.

Emilie Grangeray

L e nouveau roman de Mauri-ce G. Dantec se présentetout d’abord comme un

thriller futuriste. Dans les années2060, un tueur à gages du nom deSergueï Diego Plotkine, apparte-nant à une organisation paramili-taire, L’Ordre, arrive à GrandeJonction, Canada, pour assassinerle maire de la ville durant les fêtesdu Spoutnik Centennial. Ayantpassé avec succès les tests decontrôle de la sécurité, il s’installedans un hôtel à capsule, l’hôtel Laî-ka, et entreprend une série dedémarches en vue de sa mission,dont la moindre n’est pas decontacter sur la console Neuro-Net un « agent logiciel métacryp-té » qu’il appelle le señor Méta-tron (dont nous découvrirons plustard la véritable nature « mysti-que »). En professionnel soucieuxd’assurer ses arrières, il s’intéressede près aux autres résidents del’hôtel ainsi qu’à son gérant…Tout en narrant les allers etvenues de son personnage princi-pal, Dantec dresse en arrière-fond, à grands traits, un état dumonde. Après une guerre religieu-se généralisée – la Grande Dji-had –, un gouvernement mondials’est instauré, l’UniMondeHumain, dont le slogan est « Unmonde pour tous, un dieu pour cha-cun » et qui ne s’intéresse plus àl’exploration spatiale. La course àl’espace a été laissée entre lesmains de cosmodromes privés,celui de Grande Jonction étant leplus actif. Ce désintérêt pour laconquête du cosmos est pourl’auteur le signe le plus notable dece qu’il appelle la dévolution del’humanité ; malheureusement ilne développe et n’étaye guère cet-te conjecture.

Cette première partie fonction-ne à peu près bien, malgré la lour-deur de l’écriture. Mais la réussiteparfaite cette année, dans ledomaine du thriller futuriste, duForteresse de Georges Panchardnous autorise à nous montrer plusexigeant.

métaphysique-fictionTout se gâte ensuite. A la moitié

à peu près de l’ouvrage, le romanbascule. Plotkine apprend qu’il aété créé – idée faite chair – par uncouple de jeunes Néo-Zélandais,frère et sœur, dont on nous dit

« Il/elle ne font qu’un, comme la par-tie humaine et divine du Christ nefait qu’un tout en étant synthétique-ment disjointe » et que sa missionest d’une nature bien plus transcen-dantale que l’assassinat d’un hom-me politique. Dantec quitte alorsles eaux de la science-fiction pource qu’on pourrait appeler unemétaphysique-fiction. Le problè-me vient de ce qu’il passe d’un tex-te assez lisible à un véritable gali-matias, dont nous ne pouvonsmanquer de donner ici un exemple(mais une plongée dans le romanen livre bien d’autres…) :

« L’enfant-machine était restécaché dans la partie obscure de lanarration, même les pouvoirs méta-troniques de la fille McNellisn’étaient pas parvenus à sonder l’in-sondable. L’enfant-boîte devait,pour cette raison, être considérécomme l’agent dissolutif de toutenarration, il était la simultanéité desréseaux cybernétiques, la fille McNel-lis était la synchronicité de ces tem-poralités fictionnelles, et lui, Plotki-ne, était le seul être sur cette terre àpouvoir se tenir à l’intersectionimpossible de leurs vies parallèles »(p. 417).

Nul doute qu’un Raymond Que-neau du futur ne fasse figurer ceCosmos Incorporated dans une nou-velle encyclopédie des fous et deshétéroclites littéraires.

Jacques Baudou

Bayon ou la prose épileptiqueAprès sept ans de silence, l’écrivain livre un étrange objet,

recueil de fragments de textes inédits

EXTRAIT

COSMOS INCORPORATEDde Maurice G. Dantec.Albin Michel, 570 p., 22,50 ¤.

LITTÉRATURES

LA PROMESSE D’OSLO

de Gilles Rozier.Denoël, 192 p., 15 ¤.

LES PAYS IMMOBILESde Bayon.Grasset, 296 p., 18 ¤.

« Je n’ai pas vingt-cinq ans, un physique adolescent prolongé, au

fond j’ai mille ans, cent passés, maux du pays, deuils, dont celui de

ma vie – brisée sur une chaussée meudonnaise avec mon crâne

ouvert longtemps avant déjà – et celui du livre – les miens (absur-

des), éconduits de l’édition parisienne avec raison ces dernières

années. Je suis un spectre infantile, Gribouille souteneur. Une

putain de loubarde de douze ans et demi au cheveu blanc, Marie-

Ange, qui me force à la détourner nuit après nuit (quitte à incendier

une Alfa Romeo sous ma fenêtre pour que je lui ouvre ma porte et

les nymphes en ami Pierrot pour l’amour de Dieu), s’obstine à vou-

loir que je devienne son maque à la place de “Mokrane” et me

l’écrit : “Si j’en saurais tu m’aimes pas j’enmieux mourir.” Pff. »

(pages 119-120)

IV/LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005

Page 5: DESLIVRES - DDOOSS

A ux Etats-Unis, on l’a sur-nommée le « Word Proces-sor ». La machine à traiter,

fabriquer, transformer, usiner dutexte. Du texte de toute nature,comme si aucun genre ne pouvaitla rebuter ou l’effrayer, du romanaux nouvelles, de la poésie au théâ-tre, de l’essai à l’intrigue policière.Oui, l’œuvre de Joyce Carol Oatesest un torrent littéraire, violent etprolifique. Un torrent admiré parles uns (Raymond Carver), boudépar les autres (Truman Capote),charriant autant de boue que depépites, de sorte qu’on peut tout àla fois l’aimer et la détester. A peuprès dans les mêmes proportions.

lumière crépusculairePrenez la bonne centaine de

livres écrits par Oates depuis sonentrée en littérature en 1968 avecDes gens chics (1). On s’étaitenthousiasmée jadis pour Eux,National Book Award en 1970, oupour Marya, l’un de ses romans lesplus personnels (2). Plus tard, onavait admiré, entre autres, sa gran-de saga familiale, habitée et électri-que, Nous étions les Mulvaney(Stock, 1998), et plus encore sa bio-graphie rêvée de Marylin Monroe(Blonde, Stock, 2000). Mais quedire des nombreux ouvrages quinous étaient tombés des mains, detoute cette production partantdans tous les sens, des pastichesgothiques (La Légende de Bloods-moor, Les Mystères de Winterhurn,Stock, 1985 et 1987) aux romans

peu convaincants écrits sous lepseudonyme de RosamondSmith ? A la longue, on s’étaitessoufflée. On avait presque renon-cé. On avait tort.

Car voici peut-être, en cette ren-trée littéraire, l’un des plus beauxromans de Joyce Carol Oates, LesChutes, chaleureusement accueillipar la critique américaine qui a cru

y déceler l’une des grandes œuvresde fiction de ces dix dernièresannées. A lui seul, le premier chapi-tre est un morceau d’anthologie.Dans le vaste lit du Rainbow Grand

Hotel, à Niagara Falls, dans l’Etatde New York, Ariah Littrell seréveille de sa nuit de noces. Seuleet sidérée de l’être. Un mot énigma-tique l’attend. Mariée depuis troppeu de temps pour connaître leshommes, elle nourrit pourtant unpressentiment terrible : et si Gil-bert s’était suicidé en se jetantdans les chutes ? Bientôt, la policede Niagara confirme qu’un hommeressemblant à son époux, GilbertErskine, a bien disparu dans lesHorseshoe Falls, un peu en avald’une attraction naturelle appelée« Entonnoir du diable ». Dans cet-te « capitale mondiale de la lune demiel », la jeune mariée se voit trans-formée en veuve en moins de vingt-huit heures. Elle est la « veuve blan-che des chutes ».

Cela aurait pu faire une nouvellemagnifique. Mais Oates préfères’appuyer sur ce point de départfamilier – un coin de paradis bascu-lant dans l’enfer, comme dans Hud-son River (Stock, 2004) – pour dissé-quer, sous une lumière crépusculai-re, les perversions d’une Amériquefurieuse et déchirée. On suit donc,sur un peu plus de cinq centspages, le remariage d’Ariah avecl’avocat Dirk Burnaby, un étrangeet brillant personnage fasciné parla jeune femme autant que par leschutes. Ainsi que l’histoire de leursenfants enquêtant sur le meurtrede leur père – Dick va en effet dis-paraître à son tour dans des cir-constances non élucidées – et sou-levant un pan peu glorieux du pas-sé américain des « fifties » et « six-ties ». Tout du long, un florilègedes obsessions oatésiennes : la vio-lence contenue toujours prête àexploser, la fascination troublantepour la mort, les « délicieuses pour-ritures » (morales), la corruption,les scandales soigneusement étouf-

fés par la cupidité des pouvoirs enplace, la malédiction qui peut pesersur un nom, une famille. Les phra-ses sont rapides, heurtées commeles émotions qui vous bombar-dent. Ou comme des directs à laboxe, un sport qu’affectionne parti-culièrement Joyce Carol Oates.

précieux témoignage« J’aime penser que l’art digne de

ce nom est transgressif, dérangeantet non consolant », explique JoyceCarol Oates dans La Foi d’un écri-vain, un court essai paru l’an der-nier aux éditions Philippe Rey. Néeen 1938, à l’ouest du lac Erié– c’est-à-dire au voisinage immé-diat des chutes du Niagara –,Oates enseigne la littérature à l’uni-versité de Princeton, mais rechi-gnait jusqu’alors à faire des confi-dences sur son art. Dans ce pré-cieux témoignage, elle ne rend passeulement hommage à ses illustres« prédécesseurs » – Whitman, Dic-kinson, Melville, Poe ou Faulkner.Elle explique pourquoi écrire don-ne « un sentiment plus intense de lavie, comme tomber amoureux ouvivre un amour incertain ». DansLes Chutes, ce sentiment d’intensi-té semble parfois se transmettrede l’auteur au lecteur. Il y a là, com-me dans les rapides de Niagara,quelque chose de bouillonnant quivous happe diaboliquement. Onreferme le livre un peu étourdi parcette écriture cinématographique,dramatique, auditive qui fait miroi-ter les mots sur la page. Et l’oncomprend mieux la définition queConrad donnait de l’art du roman,« la conversion en mots de forcesnerveuses ».

Florence Noiville

(1) Stock, 1970.(2) Stock, 1988.

Une amitié conjugale : Jane et Paul Bowles

Tragi-comédie dans un décor d’opérette

D ans ses Mémoires d’un nomade (1),Paul Bowles évoque ainsi sa rencon-tre avec Jane Auer, en 1937 : « Un

soir où il pleuvait, Touche [le librettiste JohnLaTouche] me demanda de venir le rejoindredans le hall du Plaza. Je l’y trouvai en compa-gnie d’Erika Mann [la fille aînée de ThomasMann] et d’une jolie rousse au nez pointu. »Un an plus tard, ce musicien dilettante quicommençait à se faire un nom à Broadway,cet ami de Gertrude Stein et d’AaronCopland, allait donner son patronyme à lajolie rousse. Après un voyage de noces auMexique, les choses étaient à peu près clai-res entre ces deux homosexuels, dont le

mariage aurait pu n’être qu’un accommode-ment social et artistique, entre ces deuxmondains en vogue, qui se stimulaient ets’entraidaient. Ce fut davantage, comme entémoigne leur correspondance, si lacunairesoit-elle (pour la plupart, les lettres de Paulont été perdues).

Jane acquit une notoriété littéraireavant Paul. Le nom de Bowles fut donc,d’une certaine manière, le sien avantd’être celui de son mari. En 1943 paraissaitson unique roman, Deux dames sérieu-ses (2). Jane Bowles avait déjà presquetout donné et s’en désespéra. Elle qui audépart n’aimait ni le Sud, ni le monde ara-be, fut entraînée par son mari à Tanger,où elle connut des passions féminines etsombra, à la suite d’une attaque cérébrale,en 1957, dans une sorte de folie, liéeautant à son aphasie qu’à des névrosesplus profondes. Internée en Espagne, elley mourut en 1973, à l’âge de 55 ans.

Mais elle publia régulièrement, dans desrevues de mode prestigieuses (essentielle-ment Harper’s Bazaar), quelques nouvel-les et des extraits de son unique pièce, Samaison d’été (3), qui fut finalement mon-tée à la fin 1953 à Broadway. Ce fut unéchec critique et commercial, malgré laprésence de Judith Anderson, comédiennede cinéma et de théâtre alors renommée(c’est l’inoubliable gouvernante, Mrs Dan-vers, du Rebecca de Hitchcock).

L’équilibre du couple s’était rapidementinversé : le musicien de scène qu’était PaulBowles était devenu un écrivain mythi-que, avec Un thé au Sahara (4), paru en1949. Paul a continué ses collaborationsmusicales au théâtre et dialoguées au ciné-ma (Senso de Visconti). Mais que s’est-ilpassé entre eux ? Si, pour Paul, la séduc-tion du Maroc et de ses habitants (il tom-be amoureux d’un peintre dont il va soute-nir la carrière et il va cosigner de nom-

breux livres avec de jeunes écrivains qu’ilaide ou traduit) est immédiate, celle deJane sera plus lente. Son renoncement àl’univers new-yorkais de personnes riches,célèbres et créatrices est beaucoup plusspectaculaire. La folie amoureuse que luiinspire une jeune Tangéroise (d’une dizai-ne d’années sa cadette), Chérifa, l’initie àun monde qu’elle ne contrôle plus. Maiselle en est d’autant plus fascinée.

« à la lisière »Elle qui espérait surpasser Carson McCul-

lers fut vouée à vivre à l’ombre de sonmari. Dans une longue lettre de 1947,avant son départ pour Tanger, elle écrivaità Paul, qui l’attendait : « J’aimerais telle-ment rencontrer encore une femme pour nepas toujours rester seule dans la nuit. Je suissûre que la vie arabe ne m’intéressera pas lemoins du monde. » Six mois plus tard, ins-tallée à Tanger, elle se ravisera : « La vue

sur la ville arabe depuis ma fenêtre est pourmoi une source de plaisir infini. Je ne peuxcesser de regarder et c’est peut-être la pre-mière fois de ma vie que je puise une tellejoie dans une expérience purement visuel-le. » Elle se dira « à la lisière » de ce mondeauquel pourtant désormais elle appartient.C’est bien à la lisière du monde et de la litté-rature, en effet, que va la laisser son acci-dent cérébral. Elle ne trouve plus les mots,ni pour parler, ni pour lire, ni pour écrire.« C’est vraiment là qu’est la tragédie, annon-ce-t-elle de New York, où l’on tente de lasoigner, s’il y en a une à moins que ce ne soitsimplement le fait que je n’aime pas écrirede toute façon. »

René de Ceccatty

(1) « Points », Seuil, 1994, no R659(2) 10/18, no 1782.(3) éd. Christian Bourgois, 1995.(4) Gallimard, « L’imaginaire », 1987, no 62.

Joyce Carol Oates chez elle, à Princeton, aux Etats-Unis

H iver 1949. Espagne. Le capi-taine Balmoral, accompa-gné de sa femme et de son

fils, est affecté dans une ville de gar-nison « dans les montagnes du nord,près de la frontière ». Dans ce mon-de hors du monde, balayé par lesbourrasques de neige, il est censécombattre des « maquisards ». Lasituation est absurde. Dix ans aprèsla fin de la guerre civile, l’isolementde l’Espagne commence à s’atté-nuer : Juan Carlos a quitté le Portu-gal, la France a rouvert ses frontiè-res, l’intégration à l’OTAN est pro-che. Qu’importe, protégé par lesmurs de l’hôtel Bristol, une arméed’opérette y joue une tragi-comé-die qui empeste la naphtaline. Onpense évidemment à Sigmaringenet à Salo.

La galerie de portraits dressée parJosé Carlos Llop est un morceaud’anthologie. Autour du colonelMontero, commandant de la place,doté d’une mâchoire de ruminantet affublé d’une femme au visagede perroquet, gesticulent un certaingénéral Lastra, au rictus amer, et uncommerçant-pourvoyeur au visaged’empereur mongol.

« mes yeux sont une caméra »Le fils d’Eduardo Balmoral obser-

ve la comédie et constate : « Mesyeux sont une caméra. » Au milieude toute cette neige, qui emprison-ne la douleur du monde comme lecinéma emprisonne la vie, le jeunegarçon comprend qu’il appartient àla race de ces voyageurs immobilesqui savent que la vie est un « voyagevers nulle part sans bouger d’aucunendroit », et cela d’autant plus aisé-ment que la salle à manger du Bris-tol n’est rien d’autre à ses yeuxqu’un cinéma à séances dominica-les dans lequel est projeté Le Troisiè-me Homme. Comme Harry Limedans les égouts de Vienne, il vit par-mi les fantômes.

Un jour, on trouve des lettres ano-nymes, ridiculisant Franco, écritessur des billets de banque chinois, àla cantine, dans la chapelle et jus-que dans le bureau du colonel !L’opérette vire au drame. Un offi-cier enquêteur confirme qu’il n’estpas là pour découvrir la vérité maispour accomplir un châtiment. « Onne sait jamais quand commence lavie. La vie de chacun est l’affaire desautres, jusqu’au moment où elle cessede l’être, dans une fulgurance de lamémoire », écrit José Carlos Llop.C’est exactement le sujet de sonlivre. Dans la plus pure tradition desromans initiatiques son jeune hérossera ainsi confronté à la mort violen-te, à la trahison, à la solitude, maisaussi à la sensualité, lors d’une scè-ne magique durant laquelleClaudia, « au corps blanc d’Orienta-le », apparaît nue devant lui dans lapiscine du Bristol : « Je ne sais com-bien de temps elle nagea, mais ce futle moment le plus long de ma vie et(…) le plus fugace. »

Au dernier chapitre du livre, l’en-fant qui a grandi regarde la lame dusabre offert par son père. Son visa-

ge et la pièce où il se trouve s’y reflè-tent : la lame déforme la vie, com-me les égouts de Vienne défor-maient le fantôme de Harry Lime.Nous sommes en 1957. Depuis desmois, les partisans marocains harcè-lent les troupes espagnoles dont lespositions viennent d’être fragiliséespar la décision française de recon-naître au Maroc « l’indépendancedans l’interdépendance ». Soldat, lefils du capitaine Balmoral attend surle quai une militante du Parti com-muniste qui va l’aider à s’embar-quer pour Marseille : « Je crois queje suis un déserteur. »

La boucle est bouclée. José CarlosLlop nous donne, dans cette derniè-re scène, la morale de la fable. Ilfaut avoir des souvenirs, faute dequoi on n’est rien, même si l’épais-seur de la vie induit qu’il est impossi-ble de savoir réellement qui l’on est.Alors que faire ? Ne pas grandir.Laisser le monde vieillir autour desoi. Eviter de troquer ses terreurscontre des ricanements. Tout entre-prendre pour que ses colères nedeviennent pas de la tristesse.

Gérard de Cortanze

La malédiction de la « veuve blanche des chutes »Un énième roman de Joyce Carol Oates ? Non, l’un de ses meilleurs, des plus aboutis, où l’on retrouve les grandes obsessions

de la célèbre romancière américaine, pour qui « écrire donne un sentiment plus intense de la vie »

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LITTÉRATURES

ZOOMa PETITS CRIMES DANS UN ÂGE D’ABONDANCE,

de Matthew Kneale

Que faire si d’aventure vous trouviez un cabas bourréde cocaïne ? Ou si, perdu dans un village reculé deChine, vous deviez choisir entre votre sécurité et lacondamnation d’un innocent ? Emmanuel Kant, gui-dé par son infaillible impératif catégorique, n’hésite-rait pas – quitte à se faire lapider au fin fond de lacampagne chinoise, un coin qu’il fréquenta peu. Lespersonnages de ces nouvelles, eux, ont ceci de fami-lier qu’ils s’occupent avant tout de leurs intérêts.

Avec habileté, l’auteur nous plonge dans leur psychologie, faisant appa-raître l’univers mental dans lequel l’« hypocrite lecteur » pourra reconnaî-tre ses semblables, méprisables et touchants. St.L.Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Georges-Michel Sarotte, Belfond,

272 p., 18,50 ¤. En librairie le 1er septembre.

a LES MONUMENTS DE LA PROPAGANDE, d’Ivan Vladislavic

Né en 1957 à Pretoria dans une famille originaire d’Europe centrale, IvanVladislavic est une figure du paysage littéraire sud-africain : auteur denouvelles incisives, éditeur indépendant à l’écoute des voix noires, il aété aussi membre de la revue Staffrider, l’une des rares à publier desauteurs noirs sous l’apartheid. Dans ce recueil de nouvelles paru en Afri-que du Sud en 1996, Vladislavic manie l’ironie pour décrire la difficile ges-tation de la société post-apartheid. « Le banc “réservé aux Blancs” » rela-te les sueurs froides d’une conservatrice de musée. Son institution flam-bant neuve doit montrer l’histoire de l’apartheid. Pour cela, elle recher-che l’un de ces bancs publics qui affichaient la ségrégation raciale. Impos-sible de mettre la main sur un banc authentiquement muni du panneau« réservé aux Blancs » : tous ont disparu, et la conservatrice hésite àadmettre dans son musée un faux banc, reconstitué à l’identique. C. BaTraduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Christian Surber, éd. Zoé, 252 p., 17 ¤.

LETTRES, 1946-1970

de Jane et Paul BowlesTraduit de l’anglais (Etats-Unis)par Elizabeth Peelaert.Préface de Michel Bulteau,Hachette-Littératures, 316 p., 22 ¤.

PARLE-MOI

DU TROISIÈME HOMME

(Hablame del tercer hombre)de José Carlos Llop.Traduit de l’espagnolpar Edmond Raillard,éd. Jacqueline Chambon,260 p., 20 ¤.

LES CHUTES(The Falls)

de Joyce Carol Oates.Traduit de l'anglais (Etats-Unis)par Claude Seban,éd. Philippe Rey, 512 p., 22,80 ¤En librairie le 26 août.

LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005/V

Page 6: DESLIVRES - DDOOSS

C ette fois, c’est sûr, le niveaubaisse. Dès l’origine, certes,le mouvement islamiste

s’est construit en vitrifiant la foimusulmane dans ce qui fait sa mul-tiple splendeur doctrinale. Maistandis que ces prédicateurs intraita-bles conservaient parfois le souve-nir de la tradition qu’ils figeaient,leurs héritiers actuels n’en retien-nent plus qu’une batterie de formu-les vides. De fait, comparée auxpamphlets d’un Sayyid Qotb (l’undes penseurs-phares des Frèresmusulmans, exécuté par le pouvoirégyptien en 1966), ou aux élabora-tions théoriques des révolutionnai-

res chiites (à commencer par Kho-meiny lui-même, qui enseigna long-temps la philosophie spirituelle), laprose du néo-islamisme globalisése révèle aussi superficielle quebutée.

En atteste l’anthologie intituléeAl-Qaida dans le texte, qui sera enlibrairie dans quelques jours. Pourla plupart collectés sur Internet, tra-duits de l’arabe par Jean-PierreMilelli, présentés et annotés pardes chercheurs de la chaire Moyen-Orient Méditerranée de Sciences-Po Paris (Omar Saghi, Thomas Heg-ghammer, Stéphane Lacroix et Jean-Pierre Milelli), les textes rassemblésici sont attribués à quatre figurescentrales de la mouvance Al-Qai-da : Adballah Azzam, AymanAl-Zawahiri, Oussama Ben Ladenet Abou Moussab Al-Zarkaoui.

« On peut trouver ces textes fai-bles, voire débiles. Nous avons voulunous inspirer de la méthode mise aupoint par Hannah Arendt pour l’ana-lyse du totalitarisme : il ne s’agit pasde dénoncer, mais de compren-dre », nous explique Gilles Kepel,professeur à Sciences-Po Paris etinitiateur du projet.

Et si ces écrits s’avèrent effective-ment assez creux, ils n’en sont queplus énigmatiques. Car leur pauvre-té même témoigne que la plus san-glante effectivité historique s’ac-commode parfaitement d’uneextrême indigence intellectuelle.

Voyez Oussama Ben Laden, sansconteste le plus décevant de tous.Mises à part quelques évocationsde la première fraternité militante,sur le front afghan (« Nous priionsensemble, nous prenions les déci-sions ensemble, nous mangions aumême endroit »…), on relèvera sim-plement, chez lui, la récurrence dela métaphore animalière. Ce lexi-que est banal dans le champ reli-gieux, mais il prend chez lui unetournure quasi obsessionnelle :l’ennemi est un « loup » ou un« crocodile », les Américains sontdes « criquets » ou des « sang-sues », les chrétiens et les juifs des« mulets »…

Curieusement, le bestiaired’Abou Moussab Al-Zarkaouiparaît beaucoup moins fourni quecelui de son maître : il se réduit àquelques « vipères », pour désignerles musulmans chiites qui complo-teraient, selon lui, au service deleurs « maîtres juifs ». Pourtant, cetruand jordanien, « ambassa-deur » d’Al-Qaida en Irak, a bâti sarenommée sur les sauvages misesen scène dont il entoure l’exécu-tion de ses prisonniers – égorgésdevant une caméra. C’est d’ailleurslà qu’Al-Zarkaoui rejoint pour debon Ben Laden : sous sa plume serepère le même souci de soignerson image, et donc de « donner dugrain à moudre aux médias »…

Tout cela ne fait pas vraimentune politique, dira-t-on. De cepoint du vue, mieux vaut en effetse tourner vers les deux intellec-tuels de la troupe : AbdallahAzzam et Ayman Al-Zawahiri. For-mé parmi les Frères musulmanspalestiniens, le premier était diplô-mé de la prestigieuse universitéd’Al-Azhar (au Caire). Pionnier dela guerre « sainte » en Afghanis-tan, il a laissé des ouvrages quifont référence parmi les pédago-gues du djihad armé. Il faut citerMœurs et jurisprudence du djihad,dans lequel on trouvera les recom-mandations indispensables à quiveut savoir quand et commenttuer les moines, ou encore ce qu’ilfaut « faire » des femmes et des

enfants. Mais également le fameuxRejoins la caravane !, publié parAzzam en 1987, soit deux ans seule-ment avant son assassinat : s’y éla-bore la conception internationalis-te d’un combat qui doit sedéployer à partir d’une « base soli-de », et où l’urgence première n’estplus d’abattre « l’ennemi proche »(les régimes prétendument musul-mans) mais de détruire « l’ennemilointain ».

On retrouve cet ordre de prioritéchez Al-Zawahiri, même si l’activis-te égyptien, qui est aujourd’huil’idéologue en titre d’Al-Qaida, nes’est rallié à une telle option quetardivement. Il y a ajouté uneconception résolument avant-gar-diste de la lutte, qui entend tirer lesleçons des expériences passées :contre les « trahisons » des Frèresmusulmans, coupables d’avoirreconnu la légitimité de certainsgouvernements, il réaffirme que« le pouvoir revient à Dieu seul ».

Contre les militants du FIS algé-rien, qui ont accepté de participeraux élections, il rappelle que l’uni-que solution est l’élimination des« ennemis juifs et chrétiens de l’oum-ma », et donc la rupture avec lesmusulmans « serviles » qui leurfont « allégeance ».

Ces mots sont tracés fin 2001,peu après les attentats du 11-Sep-tembre, dont Al-Zawahiri passepour être le cerveau. L’ouvrages’appelle Cavaliers sous l’étendarddu Prophète, et les extraits qu’onpourra en lire sont sans doute lesplus intéressants de l’anthologie.Là s’énoncent les questions quitaraudent toute guérilla digne dece nom. Celle de la propagande,d’abord : faut-il miser uniquementsur la fibre religieuse et ethnique ?Doit-on l’articuler à un discoursnationaliste, voire anti-impérialis-te ? Ou bien convient-il de conju-guer ces divers registres dans unopportunisme attrape-tout ?

Les questions stratégiques, ensui-te : comment une poignée de parti-sans peuvent-ils « réveiller » les« opprimés » ? Comment éviterque les actions de l’« avant-gardemusulmane » ne l’isolent des « mas-ses » ? De la résolution de ces pro-blèmes dépend le sort de l’entièrehumanité, selon Al-Zawahiri, quimêle arguments politiques et cita-tions du Coran pour tracer desperspectives.

Aussi la lecture de ce recueil lais-se-t-elle parfois une impression demalaise. Car l’appareil critique quil’accompagne se contente le plussouvent d’expliciter le propos deBen Laden et de ses compagnons :quatre présentations restituentleurs itinéraires militants, et desnotes situent leurs arguments, touten référençant leurs citations.

Çà et là, bien sûr, tels « excès dis-cursifs ou politiques », ou tel « légeranachronisme d’Al-Zawahiri » setrouvent relevés. Mais les auteursde l’anthologie se gardent de rele-ver les mystifications les plus énor-mes des hommes dont ils ont choi-si d’éditer les écrits : « Notre tra-vail, explique encore Gilles Kepelau Monde, était essentiellement demontrer comment la machine fonc-tionne. Quand Zawahiri ou un autredisent une chose d’une tierce person-ne, qui s’appuie sur des élémentsincorrects, et que nous avons lesmoyens de le savoir, on le signale.Pour ce qui est des éléments les plusgrossiers, je pense que le lecteur s’enrend compte lui-même. »

Un lecteur non averti est-il vrai-ment en mesure de décrypter par

lui-même les présupposés d’unerhétorique islamiste martelée surdes centaines de pages ? Ce n’estpas si évident. Voilà en partie laraison pour laquelle un projet delivre équivalent a récemment susci-té une polémique aux Etats-Unis(Le Monde du 29 janvier). C’estégalement pourquoi la publica-tion de cette littérature haineuseen français aurait gagnée à êtreentourée de plus amples éclaira-ges. Lorsque les plumes d’Al-Qai-da délirent à propos de l’Améri-que, par exemple. Lorsqu’elles pré-tendent énoncer la vérité éternellede l’islam, aussi.

Un seul exemple : AbdallahAzzam affirme à plusieurs reprisesque « le mot “jihad” signifie unique-ment le combat armé » ; il assureégalement que celui-ci est undevoir imprescriptible pour cha-que fidèle et qu’« il n’y a pas de dif-férence entre celui qui abandonne lejihad et celui qui rompt le jeûne dumois de ramadan sans excuse ». Lesauteurs du recueil auraient peut-être pu replacer ces assertions(péremptoires) dans la longue his-toire de la théologie musulamne.Rappeler, surtout, les diversessignifications (spirituelles) que l’is-lam a attachées à la notion de dji-had, et qui sont pour le moins irré-ductibles aux « recommandationstactiques » façon ben Laden.

Faute de quoi, c’est la traditionislamique tout entière qui risqued’être définitivement assimilée àsa caricature meurtrière, tellequ’Abdallah Azzam la formulait defaçon assez lapidaire : « Le jihad, lefusil et c’est tout. Pas de négociation,pas de conférence, pas de dialo-gue. »

Jean Birnbaum

Al-Qaida, au pied de la lettreLes PUF publient une anthologie, présentée par Gilles Kepel, des principaux textes attribués à quatre dirigeants de l’organisation terroriste islamiste :

Oussama Ben Laden, Abdallah Azzam, Ayman Al-Zawahiri et Abou Moussab Al-Zarkaoui

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iniq

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Stéphane Lacroix, doctorant à Sciences Po Paris

EXTRAIT

« Le parcours de Zawahiri reflètel'évolution de l'islamisme radical »

Omar Saghi, doctorant à Sciences Po Paris

« Ben Laden est le fils des clipset de la société de spectacle »

EXTRAIT

« On pourrait m’objecter

qu’il est trop tôt et injuste

de précipiter la communauté

musulmane mondiale dans

un combat auquel elle n’est

pas préparée, que cela entraî-

nera des pertes et fera couler

le sang, mais c’est précisé-

ment ce que nous voulons.

Car il ne reste plus ni bien ni

mal dans la situation où

nous nous trouvons. Les héré-

tiques ont détruit tout équi-

libre (…). Par Dieu, la religion

de Dieu est plus précieuse

que tout : elle passe avant

les personnes, les biens et les

enfants. »

(Abou Moussab Al-Zar-

qaoui, « Lettre à Ben Laden et

Al-Zawahiri »), cité p. 409.

VOUS avez lu et commenté lesécrits d’Ayman Al-Zawahiri, quevous définissez comme un « révo-lutionnaire convaincu » et « l’idéo-logue en chef » d’Al-Qaida. Sur leplan formel, comment envisagez-vous la qualité de ses écrits ?

Les écrits de Zawahiri sont inté-ressants en ce qu’ils constituentl’un de ces patchworks politico-reli-gieux typiques de la littérature isla-miste, où se mêlent citations tiréesde l’ensemble de la tradition islami-que (avec même un éclectisme par-fois surprenant) et références àune actualité politique brûlante.Cela dit, son style est lourd et assezrépétitif. En ce sens, Zawahiri n’acertainement pas la plume de celuiqu’il considère comme l’un de sesmaîtres, le penseur islamiste révolu-tionnaire Sayyid Qotb (exécuté parNasser en 1966), dont la force dustyle a contribué à mettre en mou-vement une génération entière d’is-lamistes radicaux, de l’aveu mêmede ces derniers. Mais la forme n’estpas ce qui intéresse Zawahiri : sonobjectif est avant tout d’ancrer le

projet djihadiste dans une légitimi-té religieuse indiscutable, en ali-gnant les arguments théologico-juridiques qui en démontrent, à sesyeux, la validité.

Vous retracez l’itinéraire intel-lectuel de Zawahiri et vousrepérez ses évolutions doctrina-les, voire telle ou telle « ruptureépistémologique » dans son dis-cours djihadiste, considérez-vousZawahiri comme un savant ?

Zawahiri, qui est médecin de for-mation et n’a acquis son savoir reli-gieux qu’en autodidacte, sait qu’ilne peut prétendre à la qualité desavant religieux. Mais cela lui impor-te peu puisque, en tant qu’adepted’un islam littéraliste d’inspirationsalafiste, il considère que le texte sesuffit à lui-même, et n’a pas besoindes oulémas, à plus forte raison lors-que ceux-ci sont – comme c’est lecas aujourd’hui, clame-t-il – deve-nus des « oulémas de palais » au ser-vice des pouvoirs en place. Libéréde la contrainte institutionnelle,Zawahiri peut alors jouer le rôlequ’il s’est choisi depuis plus de tren-

te ans : celui d’idéologue de l’is-lamisme radical. Ce fut d’abord lecas au sein du Djihad islamiqueégyptien, qu’il dirigea, et pourlequel il rédigea de nombreux pam-phlets dans lesquels il cherche à pro-longer l’activisme révolutionnairede Qotb au service de sa luttecontre le régime du Caire. Ce fut lecas plus récemment au sein de lanébuleuse Al-Qaida, au nom delaquelle il produisit plusieurs ouvra-ges légitimant une guerre totalecontre les Etats-Unis, et plus large-ment contre l’Occident, dont lesingérences au Moyen-Orient sontdénoncées comme autant de mani-festations d’une « croisade contrel’islam ». Le parcours de Zawahiriest donc d’autant plus intéressantqu’il reflète en partie l’évolution del’islamisme radical, de la prioritéjadis accordée à la lutte contre« l’ennemi proche », incarné par lesgouvernements des pays musul-mans, à celle qui l’est aujourd’huiau combat contre « l’ennemi loin-tain », les Etats-Unis et leurs alliés.

Propos recueillis par J. Bi.

VOUS présentez Oussama BenLaden comme « un personnagevide, que viendront meubler lesstratégies et les calculs des autres ».Dès lors, comment faut-il lire sestextes ?

Il faut distinguer entre deux typesd’acteurs. Azzam et Zawahiri sontdes militants marqués par l’histoire.Ils ont commencé par faire face àdes concurrents de taille, marxistesou nationalistes. Azzam a été sociali-sé au sein des Frères musulmans, ilen a gardé la culture politique, faited’élitisme, de méfiance envers lesinterventions intempestives, d’ungoût pour les appareils structurés.Zawahiri, pour sa part, est entrétrès jeune dans la clandestinité.Comme Azzam, il développe unethéorie de l’engagement assez com-plexe. Oussama Ben Laden est faitd’une autre trempe. C’est le fils enrupture de ban d’une famille riche.Son expérience de la clandestinitéest venue assez tard, à partir de laguerre du Golfe de 1991. Il était jus-que-là dans une sorte d’« éviden-ce » de l’engagement, qui n’a pas

besoin d’argumentaire et de plaidoi-rie. Tout au long des années 1980, ilest soutenu par les autorités de sonpays, sa famille et les acteurs de lascène afghane. Ses premiers textessont des interventions dans desmosquées saoudiennes. A cette épo-que il est déjà une star dans sonpays. Bien avant qu’il ne se « spécia-lise » dans les interventions télévi-suelles, ses textes sont situés dansun contexte médiatique fort. C’estdans ce cadre qu’il faut les lire.

Justement, vous insistez sur lefait que Ben Laden est « un enfantde la télévision », et vous allez jus-qu’à affirmer qu’Al-Qaida n’a« aucune autre matérialité que cel-le fournie par l’image ». Qu’enten-dez-vous par là ?

Al-Qaida est peut-être la premiè-re organisation politique née horsde la galaxie Gutenberg. Son essorne peut s’expliquer sans Internet etAl-Jazira, bientôt relayée pard’autres chaînes satellitaires. Il a fal-lu à un personnage aussi falotqu’Oussama Ben Laden la fin desgrands récits politiques (dont l’is-

lamisme comme réalisation del’Etat islamique) pour qu’il puisseémerger aux dépens des grandsthéoriciens (Azzam et Zawahiri).

Très vite, il comprend que cedont il a besoin, ce n’est pas d’unebase physique mais d’une tribune. Ilévacue les questions de profondeurhistorique ou sociale, préférantjouer sur les contextes médiatiquesinternationaux. Bien que du mêmeâge environ, Zawahiri est encore lefils des manuels islamistes ardus,alors que Ben Laden est le fils desclips et de la société de spectacle.C’est ce qui fait sa force au sein d’Al-Qaida. C’est à cet « activisme àdeux dimensions » institué par BenLaden que s’attache notre antholo-gie : une vue en coupe d’Al-Qaida,avec derrière la surface agitée et par-fois contradictoire des interven-tions de Ben Laden et de son épigo-ne irakien Zarkaoui, les strates sou-terraines, celles d’Azzam, l’ancêtrequi fait le lien avec l’islamismedéfunt du XXe, et de Zawahiri, lethéoricien mis au second plan.

Propos recueillis par J. Bi.

ESSAIS

La prosedu néo-islamismeglobalisé se révèleaussi superficielle

que butée

« Au cours de ce jihad, apparaîtront au grand jour

les positions des gouvernants et de leurs partisans

parmi les religieux, les intellectuels, les juges et les

membres des services de sécurité ; alors, le mouve-

ment islamique prouvera leur trahison aux masses

de l’oumma, il prouvera aussi que ce qui les y a

conduits, c’est leur idolâtrie, car ils ont fait alliance

avec les ennemis de Dieu, ils se sont opposés aux

moujahidines à cause de leur islam et de leur jihad

afin de servir les ennemis juifs et chrétiens de l’oum-

ma, commettant un péché envers l’unicité de Dieu,

faisant prévaloir les idolâtres sur les musulmans à

cause même de leur islamité. On peut toujours sui-

vre un Américain ou un Juif dans la rue puis le tuer

d’un coup de revolver ou de couteau, avec un explo-

sif de fabrication artisanale, ou bien d’un coup de

barre de fer ; mettre le feu à leur propriété avec un

cocktail Molotov n’est pas difficile. Avec les moyens

du bord, de petits groupes peuvent semer la terreur

parmi les Juifs et les Américains. La bataille que doit

mener le mouvement islamique en général, et jiha-

diste en particulier, est celle de la prise de conscien-

ce au sein de l’oumma… » (Ayman Al-Zawahiri, Cava-liers sous l’étendard du Prophète), cité p. 295.

AL-QAIDA DANS LE TEXTESous la direction de Gilles Kepelet Jean-Pierre Milelli,PUF « Proche-Orient »,446 p., 24,50 ¤.En librairie le 2 septembre.

VI/LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005

Page 7: DESLIVRES - DDOOSS

C ’était le dernier préside desPortugais sur la côte maro-caine. Ils en avaient semé

une demi-douzaine dès la fin duXVe siècle, utiles jalons vers l’Afri-que et l’Inde, tous repris par lesMaures cent ans plus tard. Toussauf Mazagao (aujourd’hui El-Jadi-da). Pendant trois siècles, ce comp-toir joua consciencieusement sonrôle d’épine plantée dans la chairchérifienne. Il soutint quelques siè-ges, organisa quelques rezzous,mais vécut la plupart du temps enbonne intelligence avec les popula-tions locales. On y vit se développerune sorte de culture d’avant-postefaite de ténacité, de fièvre obsidio-nale et de goût pour l’héroïsme inu-tile. Un petit groupe, une place fortesur la frontière, et, de l’autre côté,un vide menaçant, tentant, angois-sant. Au temps des Lumières, il yavait là des aristocrates en séjour decourte durée qui cherchaient à se fai-re remarquer, ou oublier, selon lescas. Des paysans militarisés de for-ce, harassés par les corvées et lesescarmouches, et des colons instal-lés depuis plusieurs générations.Comme partout dans l’empire, lesreligieux étaient nombreux.

Tout cela, naturellement, coûtaitfort cher aux Portugais. L’époqueétait alors très difficile pour le petitroyaume. Il avait subi le tremble-ment de terre, les Anglais mena-çaient les Indes, l’Espagne remettaiten question les frontières du Brésil,où les mines d’or commençaient àdécliner, et l’emprisonnement bru-tal des jésuites avait perturbé desconsciences. Il fallait pour mainte-nir le cap toute la poigne de Pom-bal, assisté de ses deux frères, dontl’un tenait l’Inquisition et l’autre lescolonies. Ce dernier, Mendonça Fur-

tado, décida en 1769 d’arrêter lesfrais, d’abandonner Mazagao et saforteresse, après l’avoir piégée pourune dernière nique aux Maures : ilen mourut beaucoup. Mais que fai-re de la garnison ? Tous ces gens –environ 2 000 – ne savaient pas fairegrand-chose hormis soutenir des siè-ges et contester leurs dirigeants : unramassis de héros criailleurs tout àfait impropres à la vie en métropoleet certainement pas aux urbanitésde Lisbonne. Tout le monde au gou-vernement en convenait. Ilsvenaient d’ailleurs pour la plupartdes Açores, ou du nord du Portugal.On parqua donc ces réfugiés loin ducentre, dans le quartier de Belém, àl’ombre du splendide monastèredes Jeronimos. Ils y restèrent sixmois, et beaucoup semble-t-il ymoururent dans le plus granddénuement.

Mendonça Furtado connaissaitbien le Para, l’Amazonie portugaise,qu’il avait gouvernée pendant dix

ans. Il savait combien cette coloniemanquait de bras, il connaissait aus-si, et redoutait, l’appétit des voisinsespagnols et surtout français quiconvoitaient alors des lambeaux dece territoire sous-peuplé.

héros décatisC’est donc au Para qu’on achemi-

na – qu’on déporta – les Mazagani-tes, comme si on les considérait spé-cialistes des frontières menacées. Ilsformaient un groupe considérabledont on voulut préserver l’unité,parfois sous la contrainte, afin demaintenir l’image d’une poignée dehéros coloniaux, symbole glorieuxmême si, en fin de compte, ilsavaient jeté l’éponge. On construisitdonc pour eux une ville, quelquesbaraquements au bord d’un mari-got : la Nouvelle Mazagao, non loinde l’actuelle Macapa. Ils y pourri-rent lentement entre héros décatissans plus jamais avoir l’occasion dedéfendre quoi que ce soit.

L’historien Laurent Vidal racontecette superbe histoire avec une com-pétence méticuleuse. Il a découvertdes sources inexplorées et soignéson iconographie. Il montre bien ledestin ultérieur des deux Mazagao,dont la chérifienne, au temps duprotectorat, était qualifiée de Deau-ville marocaine. Il souligne le rôledu nationalisme portugais dans l’his-toriographie subséquente du prési-de, très présent dans la littératurenationale au XIXe siècle, recense jus-qu’aux fêtes locales qui aujourd’huiencore, dans la bourgade amazo-nienne, mythifient le passé. Mais onlui sait surtout gré de s’être interro-gé sur le point de vue des acteurs –des victimes – de ce qu’en Acadie, àla même époque, on appelait un« dérangement ». Il s’agit surtoutde petites gens, les sources sont icinaturellement très ténues etl’auteur doit conjecturer, ce qu’ilfait avec humanité et compassion.

Jean Soublin

L e sacrifice se tient au cœur detous les cultes de l’Antiquitégréco-romaine, acte majeur

de la vie religieuse autour duquelse rassemble la communauté, qu’el-le soit civique, villageoise ou ethni-que. Depuis Guillaume Budé, ons’interroge sur les conditions quiont permis le passage de ce monde-là à une société chrétienne mar-quée notamment par le refus dusacrifice.

Dans une brillante série de qua-tre leçons au Collège de France,Guy Stroumsa élargit le propos etapporte des éléments de réponsequelquefois inattendus mais tou-jours stimulants. Il élargit le pro-pos en ce sens qu’il estime, à justetitre, que la question n’est pas tantcelle du passage du paganisme auchristianisme, ou du polythéismeau monothéisme, notions souventfloues et peu opératoires, que celledu changement radical des cadresde la civilisation, d’une modifica-tion en profondeur de la naturemême du phénomène religieux.Mutation religieuse qui crée lesfondements de la civilisation occi-dentale et dont il n’est dès lors plusnécessaire de souligner l’intérêt.

Quatre révolutions lentes se com-binent pour constituer cet universreligieux totalement nouveau : latransformation psychologique desindividus qui s’intéressent defaçon croissante à l’avenir de la per-sonne après la mort, le développe-ment de religions fondées sur untexte ou un corpus de textes, leremplacement des sacrificessanglants et publics par d’autresformes de rituels religieux à la foiscollectifs et individuels, enfin lacréation d’une communauté reli-gieuse dont les membres, volontai-res, partagent une foi commune,remplaçant ainsi la religion civiquequi s’impose à toute la cité sansque le citoyen ait à adhérer. Or,dans tous ces domaines, la penséeet la pratique chrétiennes ne peu-vent s’expliquer par une évolutioninterne de la culture gréco-romai-ne, quels que soient les rapproche-ments que l’on peut être tenté defaire avec la sagesse stoïcienne oules cultes à mystères.

Pour Stroumsa, seul le détourpar le judaïsme permet de com-prendre ces mutations en profon-deur : « C’est avec des armes juivesque le christianisme conquit l’Empi-re romain. » Ainsi, alors que le phi-losophe grec apprend à accepter lamort, inévitable loi de nature, lechrétien se révolte contre l’idée dela mort et ne parvient à la surmon-ter qu’en développant une théoriede l’Au-delà qui plonge ses racinesdans les doctrines juives de la rétri-bution du Bien et du Mal. Par là, ilimpose l’idée que l’éthique appar-tient au domaine du religieux,conception totalement étrangèreau paganisme antique pour lequella morale est affaire individuellesans dimension religieuse.

Faut-il insister sur ce que le chris-tianisme doit à la tradition juive duLivre, même si le corpus chrétienfut long à se constituer commetel ? Déjà au IIe siècle, les chrétiensapparaissent aux païens commeamateurs de livres et écrivains pro-lifiques. Comme le suggère forte-ment Stroumsa, ne faut-il pasconsidérer que l’idée chrétienne deconstituer un corpus de textesauthentiques, un Nouveau Testa-

ment canonique, naît de la compé-tition avec les rabbins auteurs de laMischna à la fin du IIe siècle ? Ainsiles deux religions, qui s’appuientsur le même corpus scripturaire –l’Ancien Testament – fournissent-elles chacune leur commentaire,leur interprétation propre, souli-gnant leur éloignement décisif.Quant à la fin du sacrifice, le judaïs-me joue le rôle de pionnier involon-taire puisque, par deux fois, la des-truction du Temple de Jérusalem,unique lieu autorisé de sacrifice, aobligé les chefs de la communautéà inventer d’autres rites collectifs.Lors de l’exil à Babylone, on a ras-semblé la communauté autour dela Torah ; après l’incendie de 70,une nouvelle relation avec Dieu,individuelle et muette, se substitueà l’évidence du sacrifice public.

Certes, chez les chrétiens, unsacrifice fonde la foi nouvelle, maisréalisé une fois pour toutes ; priè-re, aumône, jeûne, comme dans lejudaïsme rabbinique, établissentau quotidien la relation entre lefidèle et Dieu, sans aucune assuran-ce d’être écouté et exaucé. Lorsquele christianisme triomphant inter-dit les sacrifices païens, il abolit dumême coup la marque visible dupouvoir de l’Etat dans les provin-ces, et contraint à une certaine dis-solution des communautés civi-

ques. Désormais, les identités indi-viduelles et collectives ne se mesu-rent plus en termes culturels maisreligieux.

A cela s’ajoutent d’autres rai-sons d’affrontement entre païenset chrétiens. Non pas un débatautour de notions comme le poly-théisme et le monothéisme, maisla place même de la religion dansla société. Pour un païen commeCelse, la religion est d’abord unequestion de tradition culturelle, etnier la religion traditionnellerevient à saper les fondementsmêmes de la société ; pour le chré-tien Origène, la nouvelle religionest d’abord une vérité fondée surla révélation divine, et ne peut souf-frir de mise en cause.

Tout sépare ces deux visions dureligieux condamnées à s’exclurel’une l’autre et donc à nourrir l’into-lérance. Mais le plus neuf dans l’es-sai de Guy Stroumsa réside sansaucun doute dans la démonstra-tion que « tous les aspects de la reli-gion “nouvelle” qui émerge dansl’Antiquité tardive, le judaïsme sem-ble les avoir expérimentés avant lesautres systèmes religieux ». End’autres termes, c’est grâce à sonhéritage juif que le christianismesut innover et créer les nouveauxcadres religieux de la civilisationgréco-romaine. Hypothèse auda-cieuse, mais que la rigueur de l’ex-posé et la force des argumentstransforment le plus souvent enconviction.

Maurice Sartre

Mazagao, nouvelle frontièreLaurent Vidal relate l’aventure d’une garnison de militaires portugais,

déplacés des côtes africaines aux confins de l’immense Brésil

Mazagao, photographié par Gérard Rondeau

Des temps qui courent sans savoir oùGeorges Balandier interroge la frénésie d’une époque où puissance ne va plus de pair avec civilisation

L ’époque est agitée, anxieuse,déboussolée – chacun saitcela. Ce constat global est évi-

demment insuffisant. Pour dresserun diagnostic des temps présents, ilfaut décrire en détail ce malaise,analyser ses traits distinctifs, préci-ser les domaines où il se manifeste.C’est ce que fait Georges Balandierdans ce nouvel essai, bref et dense.Après une série de travaux qui ontrenouvelé l’approche des sociétésafricaines, le grand anthropologue aentrepris, depuis déjà une vingtained’années, d’observer les mutationsde notre monde. Plusieurs titresmarquants ont rassemblé ses éclai-rages successifs, notamment LeDétour. Pouvoir et modernité (1985),Le Désordre. Eloge du mouvement(1988), Le Dédale. Pour en finir avecle XXe siècle (1994), tous publiés chezFayard. Avec Le Grand Dérange-ment, il brosse sur le vif un portraitde notre « surmodernité ».

Trois traits principaux la caractéri-sent. En premier lieu, le règne sans

partage du mouvement : tout doitbouger, désormais. Au propre com-me au figuré : voyages innombra-bles, mobilité tous azimuts, largagedes amarres. Ce qu’on appelaitautrefois « principes », « fonde-ments », ou « nature » sont des anti-quités perdues de vue. Nous explo-rons à tâtons de « nouveaux Nou-veaux Mondes » dont nous sommesà la fois créateurs et explorateurs,qu’il s’agisse des expérimentationsavec le vivant, des communicationsinformatiques ou des proliférationsd’images et de présences virtuelles.Pour Balandier, ce n’est donc pas lafin (de l’Homme, de l’Histoire, duProgrès) qui caractérise notre pré-sent, mais bien plutôt une sorted’agitation multiforme. Les « sur-modernes » : des animaux maladesdu mouvement.

universel « à quoi bon ? »Dans cette fuite en avant, les fron-

tières se brouillent. On ne sait plusclairement qui est qui, ni qui faitquoi. Les identités – sexuelles, cultu-relles, sociales – deviennent floues.Il y a de moins en moins « d’autre »,et corrélativement moins de « soi ».

Ce qu’on appelle « humain » n’estplus du tout clair. Toutes les lignesde partage paraissent ainsi estom-pées, y compris celles qui délimi-taient la distinction entre réel et vir-tuel. Emerge une réalité métisse, fai-te de métal et de pixels, ou d’imagesconfondues avec la peau. Ce quipouvait découper clairement lemonde est en voie de remaniementet de rupture. Plus encore, touteidée de limite se trouve mise en cau-se. Ce temps a pour l’excès une fasci-nation constante. Voilà globale-ment le deuxième trait.

Le troisième, c’est qu’aucun pro-jet, aucun horizon clairement for-mulable ne conduit plus ce cham-bardement général. L’ensemble dumouvement ne se dirige pas vers unbut qu’on puisse se représenter. Demême que s’efface l’attentionenvers le passé, le souci de l’avenirest en voie de disparition. Dansl’avènement de cet éternel présent,une sorte d’universel « à quoibon ? » se répand. Chacun, parexemple, constate le fabuleux pou-voir des techniques et de la médeci-ne mais doute qu’il rende la viemeilleure et heureuse. Un décalage

croissant s’instaure, souligne Balan-dier, entre la puissance de cettesociété en voie de mondialisation etsa capacité civilisatrice, qui sembleaujourd’hui faible ou nulle.

Le constat est sombre, même si ladescription est lumineuse. On pour-ra regretter que cette fresque dudéboussolement présent laisse decôté la difficile question de ses cau-ses profondes, et n’indique finale-ment nul remède. Peut-être ne sont-ils plus audibles. En choisissantpour titre Le Grand Dérangement,Georges Balandier emprunte l’ex-pression à l’histoire des Acadiensinsoumis, qui ont désigné ainsi, auXVIIIe siècle, leur expulsion de Nou-velle-Ecosse. Notre situation estautre : nous sommes des « émigrésdans le temps », qui inventons denouveaux mondes nous coupant del’ancien, nous faisant perdre de vuele passé comme l’avenir. Qui doncnous les rendra, si toutefois c’estpossible ? Les historiens n’ont pasce pouvoir… C’est au politique, évi-demment, qu’en appelle l’anthropo-logue. Mais, discrètement, tout à lafin, et sans grande illusion.

Roger-Pol Droit

Aux sources d’une foiGuy Stroumsa analyse la mutation religieuse

qui donna naissance à la civilisation occidentale

LA FIN DU SACRIFICE

Les mutations religieuses

de l'Antiquité tardivede Guy G. Stroumsa.Ed. Odile Jacob, 224 p., 24,50 ¤.

LA TURQUIE CONTESTE

ESSAIS

La question n’est pastant celle du passage

du paganismeau christianisme

que celled’une modification

en profondeurde la nature même duphénomène religieux

MAZAGAO

La ville qui traversa l’Atlantique

Du Maroc à l’Amazonie

(1769-1783)de Laurent Vidal.Postface de Jean DuvignaudAubier, « collection historique »,320 p., 22,50 ¤.

LE GRAND DÉRANGEMENTde Georges Balandier.PUF, 120 p., 15 ¤.

LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005/VII

Page 8: DESLIVRES - DDOOSS

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Même si l’ombre portée du dernierroman de Michel Houellebecq est considé-rable (son tirage initial excéderait 200 000exemplaires), la rentrée, en littérature fran-çaise, ne se résume évidemment pas à cettePossibilité d’une île qui sort le 31 août chezFayard. Avec un nombre de titres relative-ment stable par rapport à l’an dernier –autour de 450 selon Livres Hebdo –, les édi-teurs entendent bien contrecarrer l’offensi-ve et faire bonne mesure sur les tables deslibraires. Et tout d’abord avec un certainnombre d’autres « poids lourds », parmi les-quels Alexandre Jardin et son très éton-nant Roman des Jardin (Gallimard), Jeand’Ormesson avec sa vie rêvée d’un écrivainconnu (Une fête en larmes, éd. Robert Laf-font), Amélie Nothomb qui trempe sa plu-me dans l’Acide sulfurique pour épingler levoyeurisme de la télé-réalité (Albin Michel)ou encore Philippe Claudel qui, après LesAmes grises, signe La Petite fille de monsieurLinh (Stock).

Ces habitués des gros tirages ne devraientpourtant pas éclipser les auteurs confirmésdont certains ont déjà en ligne de mire lesprix littéraires d’automne. Parmi les grandsromans de la rentrée, on retient celui deJean-Philippe Toussaint, qui, après Fairel’amour au Japon, propose de Fuir vers laChine (éd. de Minuit), et celui d’Alain Fleis-cher, qui, à travers la rencontre, à Venise,d’un écrivain et d’une jeune nageuse pragoi-se, pousse encore un peu plus loin la ques-tion du double (Immersion, Gallimard). Onretrouvera aussi Sylvie Germain dans unebelle histoire de mémoire et d’amnésie(Magnus, Albin Michel), Vassilis Alexakisdans une émouvante lettre à l’absente (Jet’oublierai tous les jours, Stock), Nina Bou-raoui et ses adieux impossibles à l’Algérie(Mes mauvaises pensées, Stock), BoualemSansal, dans un beau portrait de femmes(Harraga, Gallimard), Olivier Adam, décidé-ment aussi talentueux pour les adultes quepour la jeunesse (Falaises, éd. de L’Olivier),Régis Jauffret qui, avec Asiles de fous, faitson entrée dans la collection « Blanche » deGallimard, Pierrette Fleutiaux (Les Amantsimparfaits, Actes Sud) ou encore Christo-phe Honoré (Le Livre pour enfants, éd. deL’Olivier).

On notera également le retour de Catheri-ne Lépront (Ces lèvres qui remuent, Seuil),Maryline Desbiolles (Primo, Seuil), LydieSalvayre (La Méthode Mila, Seuil), BrigitteGiraud (J’apprends, Stock), Jérôme Beau-jour (Dans le décor, POL), Jean-Yves Cen-drey (Les Jouets vivants, L’Olivier), RichardMillet (Le Goût des femmes laides, Galli-mard), Raphaël Confiant (Adèle et la paco-tilleuse, Mercure de France), ChristopheDonner (Bang ! Bang !, Grasset), MichèleGazier (Mont-Perdu, Seuil), Marie Redon-net (Diego, éd. de Minuit), Pierre Péju (LeRire de l’ogre, Gallimard), Philippe Besson(Un instant d’abandon, Julliard), AlainSevestre (Les Tristes, Gallimard), FrédéricBoyer (Abraham Remix, POL), LaurentSagalovitsch (Loin de quoi ?, Actes Sud),ouencore notre collaborateur Pierre-RobertLeclercq (Le Libraire de la rue Poliveau, LesBelles lettres), Michèle Lesbre (La PetiteTrotteuse) chez l’éditrice Sabine Wespieser,dont c’est le seul titre en cette rentrée.

Quelques « petits nouveaux » des ren-trées précédentes se lancent dans l’épreuvedu deuxième roman, traditionnellementconsidérée comme révélatrice. Ainsi de lajeune Anne-Sophie Brasme (Le Carnavaldes monstres, Fayard), Pascal Morin (LesAmants américains, Le Rouergue), IsabelleDesesquelles (La Vie magicienne, Julliard),Anna Moï (Rapaces, Gallimard), SimoneBernard-Dupré (Mélopée africaine, Le Ser-pent à plumes), Catherine Locarno (Sœurs,Gallimard), Colette Guedj (L’Heure exquise,JC Lattès), Cécile Ladjali (La Chapelle Ajax,Actes Sud), Thomas B. Reverdy (Le Cielpour mémoire, Seuil) ou encore HafidAggoune (Quelle nuit sommes-nous ?, éd.Farrago).

A noter encore :Eliette Abécassis : Un heureux événement,

Albin Michel.

Cookie Allez : Le Masque et les Plumes, Buchet-

Chastel.

Nathalie Azoulai : Les Manifestations, Seuil.

Yves Bichet : Le Porteur d’ombre, Fayard.

Patrick Besson : Saint-Sépulcre !, Fayard.

Robert Bober : Laissées pour compte, POL.

Jordi Bonells : Dieu n’est pas sur la photo,éd. Liana Levi.

Clémence Boulouque : Chasse à courre, Galli-

mard.

Anne Bragance : Danseuse en rouge, Actes Sud.

Hannelore Cayre : Toiles de maître,éd. Métailié.

Bernard Chambaz : Kinopanorama, éd. Panama.

Hélène Cixous : L’Amour même, Galilée.

Ariel Denis : Le Dossier Meyer-Devembre,éd. du Rocher.

Yolaine Destremau : Celle qui triomphe, Maren

Sell éditeurs.

David Foenkinos : En cas de bonheur, Flamma-

rion.

Alain Gerber : Lady Day, Fayard.

Thomas Gunzig : Kuru, Au Diable Vauvert.

Xavier Hanotte : L’Architecte du désastre,Belfond.

Jean Hatzfeld : La Ligne de flottaison, Seuil.

Thierry Hesse : Jura, Champ Vallon.

Henriette Jelinek : Le Destin de Iouri Voronine,éd. de Fallois.

Yasmina Khadra : L’Attentat, Julliard

Nathalie Kuperman : J’ai renvoyé Marta, Galli-

mard.

Eric Laurrent : Clara Stern, éd. de Minuit.

Gilles Leroy : Champ secret, Mercure de France.

Michel Leydier : Aux diables ! : des hommes quipleurent, Le Serpent à plumes.

Virginie Lou : De la vie et autres chienneries,Joëlle Losfeld.

Guyette Lyr : La Saison des hommes, Actes Sud.

Pierre Mérot : L’Irréaliste, Flammarion.

Isabelle Minière : Un Couple ordinaire, Le Dilet-

tante.

Richard Morgiève : Vertig, Denoël.

Véronique Ovaldé : Déloger l’animal, Actes

Sud.

Alice de Poncheville : La Martre, L’Olivier.

Nathalie Rheims : Le Cercle de Megiddo, Leo

Scheer.

Pierre-Jean Rémy : Un Grand homme, Albin

Michel.

Yasmina Reza : Dans la luge d’Arthur Schopen-hauer et Nulle part, Albin Michel.

Mathieu Riboulet : Le Corps des anges, Galli-

mard.

Gabrielle Rolin : Rappels à l’ordre, Arléa.

Noureddine Saadi : La Nuit des origines, éd. de

L’Aube.

Dominique Souton : Le Gynécologue amou-reux, L’Olivier.

François Taillandier : La Grande intrigue, Stock.

Bruno Tessarech : La Femme de l’analyse,Buchet-Chastel.

Alain Vircondelet : Les Derniers Jours de Casano-va, Flammarion.

Frédéric Vitoux : Le Roman de Figaro, Fayard.

Cécile Wajsbrot : Mémorial, Zulma.

Belle et riche rentrée en littérature étran-gère, où abondent à la fois les grands nomset les ouvrages intéressants, dans une pro-duction à peu près stable par rapport à2004 (214 titres contre 221, selon l’hebdo-madaire Livres Hebdo). Comme chaqueannée, la moitié des ouvrages traduits lesont de l’anglais, en provenance notam-ment des Etats-Unis (Paul Auster – Broo-klin Folies – très attendu bien que décevant,ou Russell Banks – American Darling –chez Actes Sud, mais aussi Le Cercle des ini-tiés, de T.C. Boyle, chez Grasset, LunarPark, de Bret Easton Ellis, chez Robert Laf-

font, Les Aventures de Lucky Pierre, deRobert Coover, au Seuil, ou La Légended’une servante, de Paula Fox, chez JoëlleLosfeld), d’Irlande (Colm Toibin, Le Maî-tre, éd. Robert Laffont), du Canada (L’Odys-sée de Pénélope, de Margaret Atwood,Flammarion), d’Australie (Cloudstreet, deTim Winton, Rivages), d’Angleterre (Chau-cer, de Peter Ackroyd, éd. Philippe Rey, unnouveau Salman Rushdie, Shalimar leclown, et le dernier roman du Prix Nobel V.S. Naipaul, Semences magiques, chezPlon). Du côté de l’espagnol, de très gran-des originalités latino-américaines, avec lesArgentins César Aira (Les Nuits Flores etVaramo) et Alan Pauls (Le Passé), chezChristian Bourgois, ou le Cubain VirgilioPiñera (La Chair de René, Calmann-Lévy),et beaucoup de brio de la part du ChilienMauricio Electorat (Sartre et la citroneta,éd. Métailié), tandis que les Espagnols JuanGoytisolo (Et quand le rideau tombe) etAntonio Muñoz Molina (Fenêtre de Man-hattan) sont à paraître chez Fayard et auSeuil. D’Europe, encore, plusieurs Italienspassionnants (Rosetta Loy, qui passe chezAlbin Michel avec Noir est l’arbre des souve-nirs, bleu l’air, ou le Sicilien Roberto Alaj-mo, Un cœur de mère, chez Rivages, maisaussi le très beau Michele Mari, Tout le ferde la tour Eiffel, au Seuil, et le remarquablelivre de Goliarda Sapienza, L’Art de la joie,Viviane Hamy), l’un des plus grandsauteurs portugais contemporains chezChristian Bourgois (Antonio Lobo Antu-nes, Bonsoir les choses d’ici-bas), un ArtoPaasilinna (Finlande) très attendu chezDenoël, Un homme heureux, un roman enallemand de Gila Lustiger, qui est aussi édi-trice en France (Nous sommes, Stock) et ledernier texte du Danois Jens ChristianGrondahl, Sous un autre jour, chez Galli-mard. Enfin, chez Gallimard toujours, l’écri-vain turc Orhan Pamuk (Neige) et chez Cal-mann-Lévy, l’Israélien Avraham Yehoshua(Le Responsable des ressources humaines),tandis que les éditions Zulma publient legrand Coréen Hwang Sok-yong (Le Vieuxjardin) et Philippe Picquier Je suis l’empe-reur de Chine, de Su Tong.

A noter encore :Aharon Appelfeld : Floraison sauvage, traduit

de l’hébreu, éd. de L’Olivier.

Vicki Baum : Lac aux dames, traduit de l’alle-

mand, Le Rocher.

Pan Bouyoucas : L’Homme qui voulait voir lamer, traduit de l’anglais (Canada) par Daniel

Poliquin, éd. Les Allusifs.

Velibor Colic : Perdido : roman roulette, tra-

duit du serbo-croate par Mireille Robin, Le Ser-

pent à plumes.

Eugenio Corti : Caton l’ancien, traduit de l’ita-

lien, De Fallois.

Joseph Coulson : Le Déclin de la lune, traduit

de l’anglais (Etats-Unis), éd. Sabine Wespie-

ser.

Zbigniew Domino : Sibériade polonaise, tra-

duit du polonais, éd. Noir sur Blanc.

Elvira Dones : Soleil brûlé, traduit de l’italien,

éd. Anne Carrière

Alexandra Fuller : L’Afrique au cœur, traduit

de l’anglais, éd. Les Deux Terres.

Norbert Gstrein : Le Métier de tuer, traduit de

l’allemand, éd. Laurence Tepper.

George Hagen : La Famille Lament, traduit de

l’anglais, Belfond

Kari Hotakainen : Rue de la Tranchée, traduit

du finnois, JC Lattès.

Eddy Harris : Jupiter et moi, traduit de l’an-

glais (Etats-Unis), éd. Liana Levi.

Hilda Hilst : Rutilant néant, traduit du portu-

gais (Brésil), éd. Caractères.

Gary Indiana : Trois mois de fièvre, traduit de

l’anglais (Etats-Unis), Phébus.

Edward P. Jones : Le Monde connu, traduit de

l’anglais (Etats-Unis), Albin Michel

Doris Lessing : Les Grand-mères, traduit de

l’anglais par Isabelle D. Philippe, Flammarion.

Erlend Loe : Maria et José, traduit du norvé-

gien, éd. Gaïa.

Dan Lungu : Le Paradis des poules, traduit du

roumain, éd. Jacqueline Chambon.

Ivo Michiels : Les Adieux, traduit du néerlan-

dais, éd. Comp’act.

Giuseppe Montesano : Cette vie mensongère,traduit de l’italien, éd. Métailié.

Yoko Ogawa : La Formule préférée du profes-seur, traduit du japonais, Actes Sud.

Nelida Pinon : La Salle d’armes, traduit du por-

tugais (Brésil), éd. Des Femmes-Antoinette

Fouque.

Mario Rigoni Stern : Le Poète secret, traduit

de l’italien, éd. La Fosse aux ours.

Richard Russo : P’tit Sam, traduit de l’anglais

(Etats-Unis), Quai Voltaire.

Gustav Sobin : Sous les paupières d’une étoile,traduit de l’anglais (Etats-Unis), Autrement.

Yoko Tawada : L’œil nu, traduit de l’allemand

par Bernard Banoun et Train de nuit avec sus-

pects, traduit du japonais, Verdier.

Tarun Tejpal : Loin de Chandigarh, traduit de

l’anglais (Inde), Buchet-Chastel.

David Foster Wallace : Brefs entretiens avecdes hommes hideux, traduit de l’anglais

(Etats-Unis), éd. Au Diable Vauvert.

Weichen Su : Séparations, traduit du chinois,

Bleu de Chine.

Curtis White : Mémoires de mon père mortdevant la télé, traduit de l’anglais, Le Cherche

Midi.

Moins de premiers romans cette année(96, au lieu de 120 l’an dernier), certainsgrands éditeurs comme Actes Sud et L’Oli-vier n’en publiant aucun. Cette raréfactionrelative laisse le champ libre aux heureuxpubliés, dont plusieurs se révèlent trèsbons. Parmi eux, signalons le poète, essayis-te et traducteur Hédi Kaddour, auteur deWaltenberg (Gallimard), Sorj Chalandon(Le Petit Bonzi, Grasset), Jacques Dejouy(Les Cahiers de Sophie Blancobole, FranceEurope Edition) et Paul Jimenes, 23 ansseulement, qui écrit La Conquête de la Polo-gne (Flammarion), un premier roman éton-namment mûr. Les blessures d’enfance ontété abordées par plusieurs nouveauxromanciers. Notamment Patrick-GeorgesGuillaume dans Des cimeterres de lune (LeSerpent à plumes) et Carlos Batista dansPoulailler (Albin Michel).

A noter encore :Christine Avel : Double foyer, Le Dilettante.

Pascal Béjanin : Mammo, Gallimard.

Jean-Marc Benedetti : Demain je m’enfuis del’enfer, Grasset.

Cécile Benoist : Occasions manquées, Le Félin.

Julien Blanc-Gras : Gringoland, Au Diable

Vauvert.

David Bosc : Sang lié, Allia

Michèle Cavalleri : Frank-Amédée, alias Job,éd. Le Bruit des autres.

Frédéric Fenkam : Safari au paradis noir,L’Harmattan.

Philippe Garnier : Mon père s’est perdu aufond du couloir, éd. Melville.

Eric Guillotte : Novissima Verba, Le Cherche

Midi.

Mohamed Hmoudane : French Dream, La Dif-

férence.

Thierry Laurent : Mordre, éd. Héloïse d’Ormes-

son.

Catherine Lovey : L’Homme interdit, éd. Zoé.

Thomas Nagy : Clairon, éd. Les Equateurs.

Christine Navarro : Le Temps d’un été, Borée.

Jessica Nelson : Mesdames, souriez, Fayard.

Thomas Paris : Pissenlits et petits oignons,Buchet-Chastel.

Danièle Pétrès : La Lecture, Denoël.

Didier Pourquié : Ficelles, éd. Confluences.

Philippe Roger : Le Soulimoune et autres his-toires du paradis, L’Harmattan.

Vincent Roy : Les Corps virtuels, La Table ron-

de.

Valérie Satin : Le Chemin de silence, Le Mot

passant.

Orion Scohy : Volume, POL.

Emilie de Turkheim : Les Amants terrestres, Le

Cherche Midi.

Claire Wolniewicz : Ubiquité, éd. Viviane

Hamy.

Yémy : Suburban Blues, éd. Robert Laffont.

L’édition, en deux volumes, par DorisJakubec, des romans du grand écrivain suis-se Charles-Ferdinand Ramuz (Gallimard,« Pléiade ») permettra de mettre l’écrivainvaudois à sa vraie place, qui n’est pas étroite-ment régionale. Dans la « Pléiade » tou-jours, est annoncée une Anthologie bilinguede la poésie anglaise. A propos de la littératu-re de nos voisins d’outre-Manche, signalonségalement l’essai de Carlo Ginzburg, Nulleîle n’est une île : quatre regards sur la littératu-re anglaise (Verdier) ; enfin Jane Dunn sepenche sur la relation entre Virginia Woolf etVanessa Bell : une très intime conspiration(Autrement). Du côté des sommes, CharlesDantzig propose un Dictionnaire égoïste dela littérature française (Grasset). Enfin, en« Bouquins », chez Laffont, moins subjec-tifs, deux ensembles : Histoire et art de l’écri-ture, de Jérôme Peignot, et une anthologied’Yves Hersant, Mélancolies.

A noter encore :Balzac : Nouvelles complètes, deux volumes,

Gallimard, « Quarto ».

Joris-Karl Huysmans : Romans, Robert Laffont,

« Bouquins ».

Albert Cossery : Œuvres complètes, deux volu-

mes, éd. Joëlle Losfeld.

Georges Henein : Œuvres, Denoël.

Georges Darien : Voleurs !, Omnibus

Paul Claudel-Romain Rolland : Une amitié per-due, édition Gérald Antoine et Bernard Ducha-

telet, Gallimard.

Edmond About : Le Roi des montagnes,Phébus.

Barras : Mémoires, édition présentée par Jean-

Pierre Thomas, Mercure de France.

Friedrich Hölderlin : Œuvres poétiques complè-tes, traduction de François Garrigue, La Diffé-

rence.

Attila Joszsef : Aimez-moi, œuvre poétique,

Phébus.

Giorgio Vasari : La Vie des meilleurs peintres,sculpteurs et architectes, Actes Sud.

Henrik Ibsen : Drames contemporains, Livre de

poche, « Pochothèque ».

Arthur Conan Doyle : Les Aventures de SherlockHolmes, trois volumes, édition bilingue, nouvel-

le traduction, Omnibus.

Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak : Corres-pondances, éd. Des Syrtes.

François Bott : Faut-il revenir de Montevideo ?,Le Cherche Midi.

Jacques Le Rider : Malwida von Meysenburg :une Européenne au XIXe siècle, Bartillat.

Patrick Besnier : Alfred Jarry, Fayard.

Jean-Jacques Lefrère : Jules Laforgue, Fayard.

Violaine Massenet : Alain-Fournier, Flamma-

rion.

Silvio Perrella : Calvino, éd. Climats.

Jean Lacouture : Alexandre Dumas à la conquê-te de Paris, Complexe.Guy Chaussinand-Nogaret : Casanova, biogra-phie, Fayard.

Angelo Mainardi : Le Monde secret de Casano-va, Zulma, et aussi, chez le même éditeur,

Cécile de Roggendorff : Lettres d’amour àCasanova.

Yasmin Hoffmann : Elfriede Jelinek (Jacqueline

Chambon)

Yann Mortelette : Histoire du Parnasse, Fayard.

Michel Butor : Improvisations sur Flaubert et

Sur Rimbaud deux volumes, La Différence.

Alain Robbe-Grillet : Préface à ma vie d’écri-vain, Seuil.

Martine Boyer-Weinmann : La Relation biogra-phique, Champ Vallon.

Bertrand Leclair : Verticalité de la littérature :pour en finir avec le jugement critique, Champ

Vallon.

Bernadette Bricout : La Clé des contes, Seuil.

Alain Morvan : Mary Shelley et Frankenstein, iti-néraires romanesques, PUF.

François Ost : Sade et la loi, Odile Jacob.

Kadhim Jihad Hassan : Le Roman arabe(1834-2004), Actes Sud.

Alain Viala : Lettre à Rousseau sur l’intérêt litté-raire, PUF.

Jean-Louis Backès : Oreste (Bayard)

Max Milner : L’Envers du visible. Essai sur l’om-bre, Seuil.

Gérard de Cortanze : Le Monde du surréalisme,Complexe.

Ainsi que le Cahier de l’Herne consacré à

Romain Gary.

Sélection Un choix large, non exhaustif, de romans français et étrangers et d’essais proposé par l’équipe du « Monde des livres »

LITTÉRATURESÉTRANGÈRES

RENTRÉE LITTÉRAIRE

HISTOIRELITTÉRAIRE

LITTÉRATUREFRANÇAISE

PREMIERSROMANS

VIII/LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005

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Arendt, Gracian, Deleuze : ces trois figu-res fort dissemblables dominent la rentréedans le domaine philosophique. En pre-mier lieu Hannah Arendt (1906-1975),dont on découvrira de l’intérieur le trajetintellectuel avec la publication, en deuxvolumes, des huit cents pages de son Jour-nal de pensée (1950-1973), traduit de l’alle-

mand par Sylvie Courtine-Denamy (Seuil),mais aussi la traduction de Responsabilitéet jugement (Payot), tandis que LaureAdler, en cheminant Dans les pas de Han-nah Arendt (Gallimard) reconstitue l’iti-néraire de cette philosophe et journalistehors normes.

On lira d’autre part Baltasar Gracian(1601-1658), paradoxal jésuite espagnoldu XVIIe siècle, qui influença notammentSchopenhauer et de nombreux autres pen-seurs. Cet inconnu célèbre sera à explo-rer, dans sa diversité et son ampleur, grâ-ce à un gros volume, traduit et présentépar Benito Pelegrin, rassemblant ses Trai-tés politiques, esthétiques et éthiques(Seuil).

Enfin, il y aura dix ans en novembre quedisparaissait le philosophe Gilles Deleuze(1925-1995), auteur d’une des œuvres lesplus originales et les plus fécondes duXXe siècle. A l’occasion de cet anniversaire,plusieurs publications, notamment :Claude Jaeglé, Portrait oratoire de GillesDeleuze aux yeux jaunes (PUF) ; MoniqueDavid-Mesnard, Deleuze et la psycha-nalyse (PUF) ; Anne Sauvagnargues,Deleuze et l’art (PUF), et deux volumes col-lectifs aux éditions Hermann, regroupantdes textes d’amis et de proches.

A noter encore :Bruce Brégout : La Découverte du quotidien,Allia.

Ernst Cassirer : Le Problème de la connaissan-ce dans la philosophie et la science à l’époquemoderne, tome II, éd. du Cerf.

Leo Strauss : La Philosophie politique de Pla-ton, L’Eclat.

Allan D. Fitzgerald : Encyclopédie saint Augus-tin, éd. du Cerf.

Pascal Engel et Richard Rorty : A quoi bon lavérité ?, Grasset.

William James : La volonté de croire, Les

Empêcheurs de penser en rond.

Henri Pena-Ruiz : Grandes légendes de la pen-sée, Flammarion.

Robert Misrahi : 100 mots sur l’Ethique de Spi-noza, Les Empêcheurs de penser en rond.

Jean Picq : Philosophies politiques pour notretemps, Yves Cusset : Un parcours européen,Odile Jacob.

Fernando Savater : Sur l’art de vivre et choisirla liberté, Calmann-Lévy.

Raymond Aron : Démocratie, Gallimard,

« Quarto ».

Dimitri Gutas : De la pensée grecque à laculture arabe, Aubier.

Bernard Williams : Vérité et véracité. Essai degénéalogie, Gallimard.

Joseph Cohen : Le Spectre juif de Hegel, Gali-

lée.

Jean-François Mattéi (dir.) : Nietzsche et letemps des nihilismes, PUF.

Julia Kristeva : La Haine et le Pardon, Fayard.

Stéphane Lojkine : Image et subversion,Jacqueline Chambon.

Alain Renaut : Qu’est-ce qu’un peuple libre ?,Grasset.

François Jullien : Conférence sur l’efficacité,PUF.

Slavoj Zizek : Bienvenue dans le désert duréel, Flammarion.

Günther Anders : Hiroshima est partout,Seuil.

Jacques Rancière : Chronique des tempsconsensuels, Seuil.

Jean-Luc Nancy : Le Commerce de la pensée,Galilée.

Aux frontières de l’anthropologie, del’histoire des idées et de la sociologie, unimportant travail de Philippe Descola

interroge l’idée même de culture, en mon-trant que seul l’Occident moderne a fabri-qué l’opposition nature-culture, les autrespeuples et civilisations adoptant des parta-ges différents de l’humain et du non-humain. Par-delà nature et culture paraîtdans la Bibliothèque des sciences humai-nes (Gallimard).

Les risques suscités par l’emballementdes industries et des mécanisations de tou-tes sortes est au cœur de plusieursréflexions, notamment celle d’AndréLebeau, qui publie L’Engrenage de la tech-nique. Essai sur une menace planétaire(Gallimard), et celle de Georges Charpaket Richard Garwin, dont on annonce DeTchernobyl en Tchernobyl. Feux follets etchampignons nucléaires (Odile Jacob), tan-dis que les analyses philosophiques de Gil-bert Simondon sont regroupées dans L’In-vention dans les techniques. Cours et confé-rences (Seuil).

Autre trait de nos sociétés, le retour del’antisémitisme fait lui aussi l’objet de plu-sieurs publications, parmi lesquelles Psy-chologie de l’antisémitisme, d’Imre Her-mann, aux éditions de l’Eclat, et Le NouvelAntisémitisme, d’Alexis Lacroix, aux édi-tions de La Table ronde.

A noter encore :Charles Malamoud : La Danse des pierres –Etudes sur la scène sacrificielle dans l’Indeancienne, Seuil.

Luc de Heusch : La Transe, Complexe.

Frédéric Monneyron : La Mode et ses enjeux,éd. Klincksieck.

Jean-Claude Guillebaud : La Force de convic-tion – A quoi pouvons-nous croire ?, Seuil.

Bernard Rimé : Le Partage social des émo-tions, PUF.

Rentrée dominée par deux dictionnairescapitaux (La Police : histoire et dictionnaire,de Michel Auboin, Arnaud Teyssier etJean Tulard (éd. Robert Laffont, « Bou-quins »), et le Dictionnaire de l’Antiquité,dirigé par Jean Leclant, Monique Trédé-Boulmer, Jean Andreau et Luc Brisson(PUF), ainsi qu’une offensive de « classi-ques » : Eugenio Garin (L’Humanisme ita-lien, Albin Michel), Paul Veyne (L’Empiregréco-romain, Seuil), Nicole Loraux (LaTragédie d’Athènes, Seuil), Walter Burkert(Homo necans. Rites sacrificiels et mythes dela Grèce ancienne, Les Belles Lettres),Luciano Canfora (La Démocratie. Histoired’une idéologie, Seuil), Joan Scott (Parité !L’universel et la différence des sexes, AlbinMichel), Pierre-Vidal Naquet (La Guerredes Juifs, Bayard).

A noter encore :Georges Duby : Le Dimanche de Bouvines, Gal-

limard, réédition.

Mona Ozouf : Varennes. Le Régicide de laroyauté, Gallimard.

Antoine Lilti : Le Monde des salons. Sociabilitéet mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Fayard.

Jean-Paul Poirier : Le Tremblement de terre deLisbonne, Odile Jacob.

Alessandro Barbero : Waterloo, Flammarion.

Olivier Chaline : Le Règne de Louis XIV, Flam-

marion.

Gilbert Mercier : Madame de Prie, éd. du Félin.

Philip Short : Mao Tsé Toung, Fayard.

Gérard Unger : Aristide Briand, Fayard.

Alfonso Scirocco : Garibaldi, Payot.

Bertrand Schnerb : Jean Sans Peur, Payot.

Thierry Wanegfellen : Catherine de Médicis,Payot.

Denis Crouzet : Catherine de Médicis, Albin

Michel.

Jean-Michel Gaillard : Louis XVI, Tallandier.

Ivan Cloulas : César Borgia, Tallandier.

Pierre Cosme : Auguste, Perrin.

Jean-Christophe Notin : Leclerc, Perrin.

Dominique Missika : Berty Albrecht, Perrin.

Giovanni Miccoli : Pie XII, éd. Complexe.

Simon Sebag Montefiore : Staline. La cour dutsar rouge, éd. des Syrtes.

Richard Lourie : Sakharov, une biographie,éd. Noir sur Blanc.

Philippe Simonnot : Les papes, l’Eglise et l’ar-gent, Bayard.

Alain Corbin : Le Ciel et la Mer, Bayard.

Myriam Yardeni : Enquête sur l’identité de la« nation France », Champ Vallon.

Michel Kerautret : Histoire de la Prusse, Seuil.

Pierre Milza : Histoire de l’Italie, Fayard.

Joël Cornette : Histoire de la Bretagne et desBretons, Seuil.

Albert Desbiens : Histoire des Etats-Unis,éd. Nouveau Monde.

Jacques Lacoursière : Histoire du Québec,éd. Nouveau Monde.

Collectif : Nouvelle Histoire de la Belgiquecontemporaine, tome I, éd. Complexe.

Collectif : Histoire du peuple serbe, L’Age

d’homme.

François Hartog : Anciens Modernes Sauva-ges, éd. Galaade.

René Rémond : Les Droites aujourd’hui, éd.

Audibert.

Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire : La

Fracture coloniale, sous la direction de Nico-

las Bancel, La Découverte.

Jean-François Sirinelli : Comprendre le XXe siè-cle, Fayard.

Nicolas Offenstadt : Faire la paix au MoyenAge, Odile Jacob.

Caroline Bastide : Travail, capitalisme et socié-té esclavagiste, La Découverte.

Yves Bénot : Les Lumières, l’esclavage, la colo-nisation, La Découverte.

Michel Dixmier : La République et l’Eglise :images d’une querelle, La Martinière.

Karen Armstrong : Un combat pour Dieu. Unehistoire du fondamentalisme juif, chrétien etmusulman (1492-2001), Seuil.

Pierre Birnbaum : Prier pour l’Etat. Les Juifs,l’alliance royale et la démocratie, Calmann-

Lévy.

Dans ce domaine, un ouvrage collectif,Le Livre noir de la psychanalyse, dirigé parCatherine Meyer (Les Arènes), entenddémontrer les effets dévastateurs de la pra-tique freudienne. A l’autre extrémité, troisconférences inédites de Jacques Lacanqui accompagnaient la sortie des Ecrits(Mon enseignement, Seuil). Jean-MichelRabaté, de son côté dirige un ouvrage col-lectif chez Bayard (Lacan). Proche du maî-tre, Françoise Dolto laisse une importanteCorrespondance (1938-1988), qui dépasse,notamment par la diversité des correspon-dants, le seul cadre historique de la psycha-nalyse (Gallimard). Sous le titre Dolto…20 ans après, Edwige Antier dresse le bilande l’apport de la psychanalyste dans ledomaine des thérapies d’enfants (RobertLaffont).

A noter encore :Serge Tisseron : Vérité et mensonge de nosémotions, Albin Michel.

Wladimir Granoff et Jean-Michel Rey : LeTransfert de la pensée : une lecture de Freud,éd. Aubier.

Michel de M’Uzan : Aux confins de l’identité,Gallimard.

Michelle et Vincent Chalmeton : SigmundFreud, éd. Economica.

Juan-David Nasio : L’Œdipe, le concept le plusfondamental de la psychanalyse, Payot.

Nina Coltart : Bouddhisme et psychanalyse,Payot.

Robert Neuburger : Les familles qui ont la têteà l’envers. Revivre après un traumatisme fami-lial, Odile Jacob.

Pierre Buser : L’Inconscient aux mille visages,Odile Jacob.

Ginette Rimbault, Patrick Ayoun et Luc Mas-

sardier : Questions d’inceste, Odile Jacob.

Marie Balmary : Le Moine et la Psychanalyste,Albin Michel.

Michela Marzano : La Fidélité, ou l’amour àvif, Buchet-Chastel.

James Hillman : La Fiction qui soigne, Payot.

Claude Debussy : Correspondance, Gallimard.

Lucie Kayas : André Jolivet, Fayard.

Jean Starobinski : Les Enchanteresses, Seuil.

Christian Poché : Dictionnaire des musiquesde la Méditerranée, Fayard.

La personnalité, la stratégie et l’ambi-tion du président de l’UMP, Nicolas Sarko-zy, et surtout le rapport conflictuel qu’ilentretient avec Jacques Chirac donnentbeaucoup de grain à moudre au analystespolitiques et aux échotiers : Victor Noir

(pseudonyme) : Nicolas Sarkozy, ou le des-tin de Brutus (Denoël).

Maurice Szafran et Nicolas Dome-nach : Chirac-Sarkozy, une guerre civilefrançaise (Plon). Laurent Mauduit s’inté-resse à celui qu’il nomme Jacques le Petit(Stock), et deux journalistes retranchésderrière l’anonymat jugent que Domini-que de Villepin est L’Homme qui s’aimaittrop (L’Archipel). Mais la droite n’a pas lemonopole des querelles, des déchirements

et des coups bas. Outre des Entretiens deMichel Rocard (avec Georges-Marc Bena-mou, éd. Robert Laffont) et un livre de Lio-nel Jospin attendu dans la collection « LeDébat » (Gallimard), François Bachy dres-se un portrait de François Hollande (Plon)et deux autres journalistes, Marie-EveMalouines et Carl Meeus, s’intéressentau couple que forment le leader socialisteet sa compagne, Ségolène Royal (Fayard) ;même sujets pour Cécile Amar et DidierHassoux (éd. Privé). Pour prendre un peude recul, on consultera, chez Fayard, lelivre d’Alain Bergounioux et GérardGrunberg, Le Long Remords du pouvoir.Un siècle du Parti socialiste (1905-2005).Enfin, d’un autre point de vue, on trouveGilles Gaetner, qui se penche sur La Répu-blique des copains (Flammarion), Gilles deJonchey et Francis Deron (Les Frégates dela République, Fayard) et Edwy Plenel surle procès des écoutes de l’Elysée (Un pro-cès en France, Stock).

Par ailleurs, l’idée européenne se trouveréévaluée par des auteurs venus de diffé-

rents horizons disciplinaires. Tandis queRenaud Dehousse tire les leçons des« non » au référendum sur la Constitution(La fin de l’Europe, Flammarion), BernardStiegler propose une réflexion philosophi-que sur la généalogie intellectuelle d’uneunification politique toujours à venir, avecles deux tomes de son Constituer l’Europe(Galilée). Du côté de la sociologie, UlrichBeck utilise sa conception du « risque »pour penser le devenir du continent ausein d’un monde globalisé (L’Europe cos-mopolitique, éd. Aubier), et Zygmunt Bau-man analyse les métamorphoses de la sou-veraineté dans La société assiégée (éd. Jac-queline Chambon). L’histoire européenneest porteuse d’espérance, mais elle a sou-vent apporté la guerre et l’oppression demasse : le totalitarisme est-il le don de l’Eu-rope à l’humanité ?, demande EdgarMorin dans Barbarie et culture européenne(Bayard). Non, répond Jean Boissonnatdans Dieu et l’Europe (Desclée de

Brouwer), c’est l’idée de Dieu qui est lecadeau de cette culture à l’esprit universel.

Autre tendance forte, cette année enco-re, la rentrée littéraire aura Rendez-vousavec l’islam, pour reprendre le titre du nou-vel essai d’Alexandre Adler (Grasset). Plu-sieurs ouvrages tentent en effet d’explorerles tensions de la tradition musulmane avecla modernité dans ses diverses figures. Avecl’esprit européen, par exemple : sur cepoint, on pourra lire Interpénétrations. L’Is-lam et l’Europe, de Nilüfer Göle (éd. Galaa-de), et aussi l’ouvrage dirigé par RémyLeveau et Khadija Mohsen-Finan, Musul-mans de France et d’Europe (éd. du CNRS).Avec l’évolution de la condition féminine,ensuite, qu’analysent aussi bien NeclaKelek dans La Fiancée importée (éd. Jacque-line Chambon) que Seyran Ates dans Latraversée des flammes (Calmann-Lévy).Avec le nouveau capitalisme globalisé,enfin, : Patrick Haenni trace les contoursde L’islam de marché (Seuil/La Républiquedes idées), Thierry Coville met en lumièreles mutations à l’œuvre au sein de la sociétéiranienne dans Iran, la révolution invisible(La Découverte), Lucie Werther livrantquant à elle son Journal d’une Françaised’Arabie saoudite (Plon). Contre la préten-tion des intégristes à énoncer la vérité del’islam, Fethi Benslama publie une « lettreà l’usage des musulmans et de ceux qui nele sont pas », sous la forme d’une Déclara-tion d’insoumission (Flammarion). Et sur latendance des médias à confondre « islam »et « islamisme », Thomas Deltombe pro-pose un essai intitulé L’Islam imaginaire. Lesmusulmans dans les médias français(1975-2005).

A noter encore :Robert Fisk : La Grande Guerre pour la civilisa-tion, La Découverte.

Henri Alleg : Mémoire algérienne, Stock.

Olivier Todd : Cartes d’identité. Souvenirs,Plon.

Philippe Di Folco (dir.) : Dictionnaire de la por-nographie, PUF.

Alain Badiou : Circonstances 3. Portée du mot« juif », éd. Lignes.

Daniel Sibony : Création. Essai sur l’artcontemporain, Seuil.

Daniel Bensaïd : Fragments mécréants. Sur lesmythes identitaires et la République imaginai-re, éd. Lignes.

Alain Finkielkraut : Nous autres, modernes.Quatre leçons, Ellipses.

Alain Sokal : Pseudoscience et postmodernis-me, Odile Jacob.

Olivier Mongin : La Condition urbaine. La villeà l’heure de la mondialisation, Seuil.

Gérard Chaliand : Guerres et civilisations, Odi-

le Jacob.

Jacques Sémelin : Purifier et détruire. Usagespolitiques des massacres et génocides, Seuil.

Thérèse Delpech : L’Ensauvagement. Essai surle retour de la barbarie au XXIe siècle, Grasset.

Emmanuel Loyer : Paris à New York. Intellec-tuels et artistes français en exil, Grasset.

Didier Epelbaum : Pas un mot, pas une ligne,1994-2004 : Des camps de la mort au génoci-de rwandais, Stock.

Robert Broussard, avec Philippe Broussard :

Mémoires, Stock.

Jacques Sapir : Quelle économie pour leXXIe siècle ?, Odile Jacob.

Jean-Paul Besset : Impasse de l’homme. Com-ment ne plus être progressiste sans devenirréactionnaire, Fayard.

Jean Birnbaum : Leur jeunesse et la nôtre. L’es-pérance révolutionnaire au fil des généra-tions, Stock.

Jean-Claude Casanova : La Construction euro-péenne, Louis Audibert.

Claire Snegaroff et Michaël Blum : Voyage aupays des colons. De Gaza à la Cisjordanie,Flammarion.

Avraham B. Yehoshua : Israël : un examenmoral, Calmann-Lévy.

Florence Beaugé : Algérie, une guerre sansgloire, Calmann-Lévy.

ESSAISCONTEMPORAINS

HISTOIRE

MUSIQUE

RENTRÉE ESSAISPHILOSOPHIE

PSYCHANALYSE

SOCIOLOGIE

LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005/IX

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L ’enseigne, au 37 de la rueCésar-Lavirotte, est un défiautant qu’un clin d’œil. Alors

que la petite ville bourguignonned’Arnay-le-Duc mise sa notoriétésur les « arts de la table » – Herriot,en route pour son fief lyonnais, n’enmanquait pas l’étape gastronomi-que –, Didier Godard célèbre« L’Art du livre ». Mais sa boutiquen’a rien d’une librairie ordinaire.Vouée au marché de l’occasion, ellepropose certes un beau rayon consa-cré à la culture et aux traditions dela région auxquelles l’historien esttrès attaché, une sélection littérairede choix aussi, mais c’est l’histoire,essais et biographies, qui dominesans conteste son fonds.

Plus singulier, on y trouve leslivres dont il s’est servi pour esquis-ser la première synthèse en françaissur l’histoire de l’homosexualitémasculine en Occident. Ainsi deslivres étrangers, importants ou sans

équivalent pour le lecteur franco-phone, n’attendent plus que l’ama-teur soucieux de vérifier la leçonqu’en a tirée Godard pour compo-ser une « histoire des sodomites »dont le quatrième et dernier volet,L’Amour philosophique, paraîtaujourd’hui. Les quatre volumescomme son Dictionnaire des chefsd’Etat homosexuels ou bisexuels, quiélargit la perspective et accueillequelques figures féminines, sont dureste mis en valeur dès l’entrée.

Didier Godard affiche donc claire-ment la couleur. Militant de la causehomosexuelle, il a mûri son projetdepuis plus de deux décennies, s’estattelé à sa réalisation voilà dix ans.Ce qui explique la publication soute-nue de ce regard historique panora-mique, en marge des institutions etdes reconnaissances publiques.

Accueilli par un éditeur biterrois,H & O, spécialisé dans la culture etla littérature gay, il s’y sent à sa pla-ce, même si la visibilité de son tra-vail en souffre sans doute.

Né en 1952 au sein d’une famillelibérale « de gauche », athée de sur-croît, ce qui limitait le poids desconventions morales, DidierGodard grandit particulièrement

libre : son père, qui travaille pour laBNP, entraîne toute la fratrie – cinqenfants – de Madagascar en Inde ouen Colombie. Une formation singu-lièrement ouverte pour un petitFrançais de l’après-guerre, que legoût des études classiques achèvede préserver d’un carcan judéo-chré-tien encore prégnant.

Aussi récuse-t-il la vision d’uneprise de conscience homosexuellenécessairement traumatique à l’ado-lescence. La révélation bouleversesa vie toutefois. « J’étais, malgrétout, programmé pour le conformis-me, Sciences-Po, ENA… et j’auraissans doute suivi cette voie si j’avais étéhétérosexuel. C’est de l’homosexualitéque je tiens ma conscience politi-que », commente Godard, évo-quant le parcours similaire deDaniel Guérin, issu de la grandebourgeoisie, qui remit en causel’idéologie de son milieu pour seconvertir au socialisme dans les

années 1920, lorsqu’il découvritdans les bras de jeunes prolétairesparisiens son homosexualité (Auto-biographie de jeunesse, 1972).

Aussi décide-t-il, venu à Parispour préparer une licence de droit,de s’engager clairement, révolté parla condition faite aux homos dans laFrance pompidolienne. Arcadie nelui convient pas, pas plus que leFront homosexuel d’action révolu-tionnaire (FHAR) dont la phraséolo-gie lui est étrangère. Il s’en tient àl’action directe au sein d’un groupus-cule, le Groupe de libération homo-sexuelle (GLH), dont l’activisme (dis-tribution de tracts, édition d’un bul-letin, défilé du 1er mai, intervention-coup d’éclat lors de la commémora-tion de la déportation) lui sembleaujourd’hui bien modeste, au vu duchemin parcouru depuis 1981, l’arri-vée de la gauche au pouvoir et labrusque affirmation médiatique dela cause gay.

Mais son véritable engagement,c’est par l’écriture qu’il le signe. Pas-sionné d’histoire depuis l’enfance, ilcherche la généalogie de son goûtsans rien découvrir d’autre que descaricatures (de Henri III et sesmignon à Monsieur, frère de

Louis XIV) et des sentences morali-satrices dont l’homophobie résisted’autant mieux qu’elle ne s’affichequ’avec parcimonie, le sujet étantplus souvent éludé que stigmatisé.

Lui sait que ce que d’aucuns tai-sent comme une perversion méritede devenir un sujet d’histoire.

Comme Philippe Ariès, devenuun « historien du dimanche » fauted’avoir accédé, via l’agrégation, à lavoie royale de la reconnaissance uni-versitaire, Godard a donc mené seulle chantier, terrassements et fonda-tions, pour que naisse cet objet d’his-toire qui semble effrayer encore. Unparadoxe vingt ans après la somme,dirigée par Duby et Ariès justement,sur l’Histoire de la vie privée (Seuil,1985-87) et à l’heure de l’affirmationd’une histoire culturelle auxcontours généreusement souples.

Mais il n’est que de lire le long

développement sur « l’affaire Hen-ri III » dans L’Autre Faust pour com-prendre le malaise qui semble saisirnombre d’historiens lorsqu’ils doi-vent intégrer la préférence sexuelledu monarque dans leur approchebiographique. « Plus le héros est posi-tif, plus il suscite la sympathie ou l’ad-miration de ses biographes, et plus illeur est difficile d’admettre qu’il aitpu ne pas être exclusivement hétéro-sexuel. L’homophobie se traduit icipar une résistance psychologique àsimplement envisager l’hypothèsehomosexuelle. » On imagine l’embar-ras devant la figure si chevaleresquede Richard Cœur de Lion, la difficul-té à diminuer la stature de Frédé-ric II de Hohenstaufen, de Solimanle Magnifique, de Frédéric II de Prus-se ou de Gustave III de Suède,modèles de despotes éclairés… Aumieux peut-on concéder l’engage-ment d’esthète d’un Rodolphe II oud’un Louis II de Bavière, d’autantplus admissible si le souverain, peudoué pour les arcanes politiques,finit mal…

Godard travaille donc à établirune autre histoire. Isolé, même si lesAnglo-Saxons, qui ont élu le« genre » comme un angle derecherche, ont su le repérer – ilsigne quelques-unes des raresentrées étrangères à la culture anglo-saxonne du Who’s Who Gay & Les-bian History, dirigé par deux Austra-liens, Robert Aldrich et GarryWotherspoon (2 vol., 2001). S’ilreconnaît le formidable apport deJohn Boswell (1), dont il pointecependant le partisan souci de dis-culper le christianisme primitif de la

responsabilité d’une répressionencore sensible, Godard pense seulun sujet dont il a déjà arrêté claire-ment la chronologie : le temps dessodomites, clos avec la Révolutionfrançaise, celui des homosexuels,quand le discours médical pose l’ex-clusion scientifique de « déviants »qui, en retour, s’imaginent un destinpropre, celui enfin des gays, ouvertil y a un demi-siècle, dont l’historiendoit sans cesse veiller à empêcher larecomposition abusive de la généa-logie. Ce qui le conduit à réévaluercertaines des options initiales deMichel Foucault – ainsi sa disqualifi-cation d’une « morale chrétienne dela sexualité », que Godard défend –que le philosophe a du reste parfoislui-même égarées en chemin entrele premier tome de son Histoire de lasexualité et les deux suivants.

A suivre les jalons précis d’une his-

toire des sodomites, où c’est le com-portement qui est en cause, amenda-ble donc, susceptible d’indifférenceaussi, même si la règle théorique,arrêtée par l’Eglise, ne prévoit pasces accommodements dont lesexemples, venus d’en haut, limitentla répression, le lecteur mesuremieux la rupture du XVIIIe siècle. Leregard change alors, et celui quinéglige la pénétration vaginale, pro-messe de fécondité et gage d’ortho-doxie, devient un pédéraste, puiscet homosexuel défini par la simpleattirance de quelqu’un de son sexe,disposition stable et exclusive désor-mais. Il s’agit dès lors d’être homo-sexuel et non plus d’avoir des prati-ques sodomites.

Mais ce tournant brouille uneleçon politique majeure en mas-quant la récurrente similitude dutraitement des réprouvés. Ainsi lasorcière répond-elle, versant fémi-nin, au sodomite dans sa perturba-tion des pouvoirs de l’Eglise et del’Etat, tandis que s’observe cyclique-ment jusqu’au XVIIIe siècle le parallè-le entre les violences des pouvoirsen place faites aux mécréants, auxjuifs et aux sodomites, dont les sou-verains tentés par ceux de leur sexeassurent seuls la trêve – fragile etpeu repérée jusqu’ici par les histoi-res officielles.

On comprend que le travail deGodard puisse déranger ; on admet-trait mal qu’il soit ignoré.

Ph.-J. C.

(1) Christianisme, tolérance sociale ethomosexualité (Gallimard, 1985) et LesUnions de même sexe (Fayard, 1996)

POLITIQUE ET HOMOSEXUALITÉOn pouvait craindre le pire ! Un Dictionnaire des

chefs d’Etat homosexuels ou bisexuels pouvait en effet

n’être motivé que par le goût du scandale. Pour un

Henri III, un Frédéric le Grand ou une Christine de Suè-

de – du reste présents sur la couverture en compagnie

de Philippe III le Hardi – qu’on attendait là en dépit du

puritanisme de certains de leurs biographes, combien

de chefs d’Etat moins attendus dans ce contexte, de

Gustave Adolphe de Suède à Babur, fondateur de l’em-

pire moghol, de Richard Cœur de Lion à Louis XVIII...

On s’aperçoit alors combien l’historiographie moder-

ne (entendez des deux derniers siècles) s’y est enten-

due pour taire cet aspect de la personnalité des monar-

ques, au nom d’une respectabilité qui en dit moins sur

l’honnêteté du biographe que sur son allégeance à une

morale « bourgeoise ». Reste le risque de l’outing : révé-

ler une homosexualité qui ne peut nuire à l’individu, dis-

paru – c’est la règle du dictionnaire –, mais à sa mémoi-

re, si l’on partage l’homophobie souterraine de nombre

d’historiens. La démarche de Didier Godard l’exempte

d’une telle suspicion, et c’est la lecture de sa conclusion

qui donne son sens à l’entreprise, élargissement de son

enquête sur l’homosexualité occidentale dans le temps

(l’Antiquité) et l’espace (certaines entrées sont prétexte

à une évocation plus large sur les réalités chinoises,

japonaises, maghrébines ou ottomanes notamment),

comme un essai de donner à lire parfois les similitudes

dans les pratiques politiques de souverains enclins à

une tolérance que les hétéros incarneraient moins

volontiers (éd. H & O, 272 p., 20 ¤).

Le challenge n’est pas mince. L’his-

torien tient la puissante répressiondes appétits charnels qui gagne la

chrétienté au cœur du XVIe sièclepour le moteur de la civilisation occi-

dentale, par la tension féconde

entre la libido de chacun et lesidéaux de la collectivité. Aussi voit-il

dans la sublimation que comman-dent les préceptes religieux, avant

les principes philosophiques et les

prescriptions hygiénistes des sièclessuivants, la source des frustrations

de désirs inassouvis comme celle du

défoulement libertin de nécessairesphases d’émancipation. En fait la

vraie dynamique de l’Occident.Corrigeant les pistes de Michel

Foucault en se réclamant de l’hérita-

ge du Norbert Elias de La Civilisationdes mœurs, Muchembled voit dans

« la sublimation des pulsions éroti-ques (…) le soubassement de l’origina-lité de notre continent ». Contrôle etréorientation de la concupiscence

détermineraient donc le moteur

secret de l’homme moderne, le lieude naissance de son identité même.

Si, à l’âge classique, la jouissancene se conçoit donc que dans la dou-

leur, la peine ou la révolte – l’intros-

pection conduit à prendre en comp-te un corps vécu jusque-là comme

un piège, un obstacle au Salut,

sinon comme le tombeau del’âme –, l’exaltation de la chair bou-

leverse radicalement la perspective.

L’individu prend conscience de saspécificité, de ses désirs propres,

offrant au Sujet l’occasion d’entrerdans le champ de l’histoire. Ainsi

naissent les sciences humaines.

L’aventure a ses temps forts : l’af-

firmation d’un monde tripartiteentre les hommes mariés, maîtres

du jeu, les femmes et les jeunes

mâles célibataires, condamnés eux àune frustration au moins transitoi-

re ; la faillite de la munificence nobi-liaire, condamnée par une stricte éco-

nomie bourgeoise des passions ; la

guerre déclarée à l’onanisme quandl’homme s’arroge seul la liberté de

jouir entre une épouse cantonnée

au rôle de chaste madone et le com-merce de prostituées idéalement las-

cives ; l’adoption de la pilule, qui

met fin à la mainmise des hommessur la sphère des sens, la redéfinition

du pacte sexuel enfin, à l’heure del’acceptation du mariage gay.

Muchembled avance une utile

chronologie. Avec les Réformes, letemps du refoulement individuel,

qu’accompagne un dynamismeagressif sur la scène mondiale ; puis

au XVIIIe une « réorganisation interne

des sexualités » avec la double émer-

gence d’un troisième « genre », l’in-verti, ni masculin, ni féminin, et de la

pornographie, provocante libertéque traquera au siècle suivant la

stricte reprise en main morale d’un

siècle « victorien », ère de glaciationsexuelle longue de cent soixante ans

(1800-1960) ; enfin, l’affirmation

d’un nouveau modèle hédoniste, oùle plaisir cède au bonheur de la « réa-lisation de soi ». La « société narcissi-que » qui s’impose aujourd’hui sem-ble dissoudre en Europe, sinon aux

Etats-Unis, la notion de perversion,ruinant la vision d’un continent de

normalité cerné d’îlots de désordre

pour celle, pacifiée, d’un archipelencore à explorer.

Peut-être prématurée, la leçon estcependant jouissive. Puisse l’histo-

rien des Passions de femmes (Seuil,

2003) être un peu devin…

Philippe-Jean Catinchi

RENCONTRE

« Plus le héros est positif, plus il suscitela sympathie ou l’admiration de ses biographes,et plus il leur est difficile d’admettre qu’il ait pu

ne pas être exclusivement hétérosexuel »

Des plaisirs...Suite de la première page

« L’Amour philosophique » : le quatrième tome d’une monumentale « Histoire des sodomites » paraît chez H & O

Didier Godard, des sodomites aux gays

I. Deux hommes sur uncheval. L'homosexualité mas-culine au Moyen Age (2003).

II. L'Autre Faust. L'homosexua-lité masculine pendant laRenaissance (2001).

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UNE HISTOIREDES SODOMITES

X/LE MONDE/VENDREDI 26 AOÛT 2005