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26 SPM - JUIN/JUILLET 2008 DÉVELOPPE MENT PERSONNEL LA CULPABILITé, Les deux visages de la culpabilité Tous les sentiments de culpabilité ne se ressemblent pas : certains sont sains, dans la mesure où ils sanctionnent une faute réellement commise, un préjudice effectivement causé à autrui. Il est en effet logique que celui qui dérobe ou abîme le bien d’autrui se sente coupable. Ce sentiment pénible va l’encourager à présenter des excuses et à réparer sa faute. Cette culpabilité-là, rendue possible par la com- passion éprouvée envers la personne lésée, est un véritable garde-fou social. Mais, à côté de cette culpabilité saine, il existe éga- lement une culpabilité morbide, qui se déclenche sans qu’aucune faute ne soit avérée. Alors que la première est utile, la seconde est inutile, fait feu de tout bois et peut nous gâcher la vie. C’est une sorte d’excroissance gangre- neuse de la première. Il y a ainsi des individus qui se cul- pabilisent d’avoir été un fardeau pour leurs parents, d’être beaux, d’avoir un métier intéressant, de ne pas être parfaits, de se faire plaisir, ou carrément d’être en vie. Suffit-il pour autant d’analyser nos prétendues fautes pour nous affranchir de la culpabilité morbide ? Ce n’est pas si simple, car la notion de faute possède deux facettes bien distinctes : la première est objective et renvoie à des règles établies alors que la seconde est subjective. Par exemple, le vol est habituellement considéré comme un délit par toutes les lois, qu’elles soient judiciaires ou morales. Le tort causé à autrui est évident. Par contre, ne pas être présent au chevet de son père mourant suite à un malheureux concours de circonstances n’est pas à proprement parler une faute. Ce n’est pas un acte répréhensible, mais nous pouvons le vivre comme un manquement à une règle personnelle que nous nous sommes fixée, une entorse à nos propres codes mo- raux. C’est la dimension subjective de la faute. Culpabilité et pouvoir vont de pair La faute, réelle ou supposée, bien qu’elle soit toujours à l’origine de la culpabilité, n’indique certainement pas le chemin à suivre pour s’en libérer. Cette allégation, qui peut paraître paradoxale, se trouve pourtant déjà dans les Évangiles. L’épisode de la guérison du paralytique en est un brillant exemple (Luc 5, 17-26) : Jésus guérit un paralyti- que que ses amis ont amené à grand-peine devant lui. Au vu de leur foi, il dit au malade : «Tes péchés te sont remis». Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que Jésus ne s’intéresse pas à connaître les fautes, ou les péchés, commis par cet homme (il est important de préciser que la maladie était alors couramment considérée comme une punition pour ses fautes ou celles de ses ascendants). Peut-être était-il assassin, brigand ou pédophile ? Cela ne semble pas important à la façon dont l’épisode est raconté ! La guérison passe par Les sentiments de culpabilité sont communément liés à la notion de faute. Mais cette première lecture aboutit vite à l’impasse, tant il est vrai que de nombreuses per- sonnes se sentent coupables alors qu’aucune faute ne peut leur être imputée. Et si la culpabilité, au sens psychologi- que du terme, était plus une question de «pouvoir» que de «faute», d’orgueil que d’humilité ? Voici une approche audacieuse de ce sentiment qui remonte à la nuit des temps avec, à la clé, un chemin pour s’en libérer. page 26-31.indd 26 page 26-31.indd 26 25/05/08 12:48:52 25/05/08 12:48:52 Article de Jean-Yves Thalmann, publié dans la revue "Sacrée Planète" (Le Peuch 24580 Plazac, tel / fax : 05 53 50 58 53)

DÉVELOPPEMENT PERSONNEL LA CULPABILITé, · Il est en eff et logique que celui qui dérobe ou abîme le bien d’autrui se sente coupable. Ce sentiment ... L’épisode de la guérison

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26 SPM - JUIN/JUILLET 2008

DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

LA CULPABILITé,

• Les deux visages de la culpabilité

Tous les sentiments de culpabilité ne se ressemblent pas : certains sont sains, dans la mesure où ils sanctionnent une faute réellement commise, un préjudice eff ectivement causé à autrui. Il est en eff et logique que celui qui dérobe ou abîme le bien d’autrui se sente coupable. Ce sentiment pénible va l’encourager à présenter des excuses et à réparer sa faute. Cette culpabilité-là, rendue possible par la com-passion éprouvée envers la personne lésée, est un véritable garde-fou social.

Mais, à côté de cette culpabilité saine, il existe éga-lement une culpabilité morbide, qui se déclenche sans qu’aucune faute ne soit avérée. Alors que la première est utile, la seconde est inutile, fait feu de tout bois et peut nous gâcher la vie. C’est une sorte d’excroissance gangre-neuse de la première. Il y a ainsi des individus qui se cul-pabilisent d’avoir été un fardeau pour leurs parents, d’être beaux, d’avoir un métier intéressant, de ne pas être parfaits, de se faire plaisir, ou carrément d’être en vie.

Suffi t-il pour autant d’analyser nos prétendues fautes pour nous aff ranchir de la culpabilité morbide ? Ce n’est pas si simple, car la notion de faute possède deux facettes bien distinctes : la première est objective et renvoie à des règles établies alors que la seconde est subjective. Par exemple, le vol est habituellement considéré comme un délit par toutes

les lois, qu’elles soient judiciaires ou morales. Le tort causé à autrui est évident. Par contre, ne pas être présent au chevet de son père mourant suite à un malheureux concours de circonstances n’est pas à proprement parler une faute. Ce n’est pas un acte répréhensible, mais nous pouvons le vivre comme un manquement à une règle personnelle que nous nous sommes fi xée, une entorse à nos propres codes mo-raux. C’est la dimension subjective de la faute.

• Culpabilité et pouvoir vont de pair

La faute, réelle ou supposée, bien qu’elle soit toujours à l’origine de la culpabilité, n’indique certainement pas le chemin à suivre pour s’en libérer. Cette allégation, qui peut paraître paradoxale, se trouve pourtant déjà dans les Évangiles. L’épisode de la guérison du paralytique en est un brillant exemple (Luc 5, 17-26) : Jésus guérit un paralyti-que que ses amis ont amené à grand-peine devant lui. Au vu de leur foi, il dit au malade : «Tes péchés te sont remis». Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que Jésus ne s’intéresse pas à connaître les fautes, ou les péchés, commis par cet homme (il est important de préciser que la maladie était alors couramment considérée comme une punition pour ses fautes ou celles de ses ascendants). Peut-être était-il assassin, brigand ou pédophile ? Cela ne semble pas important à la façon dont l’épisode est raconté ! La guérison passe par

Les sentiments de culpabilité sont communément liés à la notion de faute. Mais cette première lecture aboutit vite à l’impasse, tant il est vrai que de nombreuses per-sonnes se sentent coupables alors qu’aucune faute ne peut leur être imputée. Et si la culpabilité, au sens psychologi-que du terme, était plus une question de «pouvoir» que de «faute», d’orgueil que d’humilité ? Voici une approche audacieuse de ce sentiment qui remonte à la nuit des temps avec, à la clé, un chemin pour s’en libérer.

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Article de Jean-Yves Thalmann, publié dans la revue "Sacrée Planète" (Le Peuch 24580 Plazac, tel / fax : 05 53 50 58 53)

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un autre chemin que celui de l’analyse de la faute. La foi serait-elle donc à l’origine de la guérison de la culpabilité ? Une piste diff érente émerge d’un autre passage des Évangiles, la lapidation évitée de la femme adultère (Jean 8, 3-11) : une femme surprise en fl agrant délit d’adultère est amenée à Jésus par des hommes qui souhaitent la lapider pour respecter la loi de Moïse. Celui-ci, sans lever le regard, leur rétorque : «Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre !». À ces mots, ils se retirent un à un, et Jésus se retrouve seul avec la femme à qui il dit : «Personne ne t’a condamnée ? […] Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus.». Ce texte fascinant met en évidence le pouvoir du jugement : qui a le pouvoir de juger ? Les hommes ? Dieu ? Si même Jésus ne juge pas la faute, qui donc en aurait le pouvoir ?

Et c’est bien là le drame de la culpabilité morbide : nous nous jugeons coupables (selon le Larousse, la culpabilité est le sen-

timent de celui qui se juge coupable). Nous nous octroyons donc le pouvoir de nous juger. N’est-ce pas là le péché d’orgueil par excellence, pour lequel le prix à payer est les aff res de la culpabi-lité ? C’est en tout cas ainsi que l’on peut interpréter le mythe de la chute au paradis terrestre (Genèse 3, 1-24). L’arbre dont le fruit est interdit à Adam et Eve donne la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire le pouvoir de juger. Les humains n’ont pas cette prérogative, qui est réservée à Dieu. Manger du fruit défendu ouvre les yeux, permet de devenir juge du bien et du mal, mais en même temps cette connaissance amène toutes sortes de châti-ments, dont le pire, l’exclusion du paradis. En clair, s’octroyer le pouvoir de juger, c’est perdre l’état de grâce, c’est se condamner à souff rir.

Personne ne condamne la femme adultère ! Pourquoi, dès lors, devrait-elle continuer à se condamner elle-même par une culpabilité incessante ?(1) Ce mouvement visant à renoncer au

Par Yves-Alexandre Thalmann

un péché d'orgueil ?

Tableau "Jésus et la femme adultère" de Nicolas Poussin - 1653 (Louvre, Paris).

Le sentiment de culpabilité est un aiguillon puissant.

Paul Auster

(1) - Le livre "Ce clou que j’ai enfoncé" raconte la vie du bourreau qui, il y a deux mille ans, fut chargé de planter les clous dans la chair de Jésus. Le chemin de cet homme capté, dans la mystérieuse Mémoire du Temps par Daniel Meurois-Givaudan, est un véritable parcours

initiatique concernant chacun de nous. Un récit d’une profonde réfl exion sur le sentiment de culpabilité. Il éclaire également la compréhen-sion du karma puis celle du destin. Sommes-nous totalement libres de nos actes ? Y a-t-il des nécessités dont nous ne sommes que les

acteurs et comment nous libérer de ces poids? Qui, enfi n, est victime de quoi ? Autant de questions que le récit nous invite à explorer... afi n de mieux décoder nos propres compor-tements et dépasser notre mal de vivre. (voir boutique p. XX)

NOTE DE L’ÉDITEUR DE SACRÉE PLANÈTE

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pouvoir de juger, et au pouvoir tout court, est au centre de la thérapeutique de la culpa-bilité.

Être le témoin impuissant d’un drame amène de la tristesse ou de la colère mais pas de la culpabilité. Seul celui qui pense avoir une infl uence déterminante sur le cours des choses peut ressentir de la culpabilité. C’est l’exemple d’une jeune femme, Laurence, qui se fait violer à 17 ans. Elle affi rme : «Je m’en veux de m’être habillée comme ça pour cette soirée. Mes parents m’avaient prévenue de ne pas provoquer les hommes». La culpabilité surgit parce qu’elle est persuadée que cela ne serait pas arrivé si elle s’était habillée autrement. Le bénéfi ce secondaire de cette culpabilité c’est de reprendre un peu de contrôle sur le monde. Laurence a la possibilité de se vêtir autrement. Elle peut diminuer les risques que cela se reproduise. C’est en son pouvoir. Mais affi rmer que c’est la seule raison, et qu’en soustrayant le facteur habillement provocateur, elle s’assure à 100% que cela n’arrivera pas tient de la toute-puissance ! C’est exactement là qu’il y a glissement entre le pouvoir et la toute-puissance. Cela reviendrait à penser que nous pouvons avoir tout contrôle sur les événements qui nous arrivent ! La vie a ses probabilités. Un comportement consciencieux au travail accroît la probabilité de ne pas être licencié, mais rien ne garantit de garder son emploi à vie. En étant fi dèle, respectueux de son conjoint, on augmente les chances de fai-re durer son couple, mais nous ne serons jamais à l’abri d’une rencontre inattendue, d’une séparation…Nous avons une infl uence sur les choses mais elle reste incertaine et limitée. Notre réfl exe «humain» est de vouloir avoir le maximum de contrôle sur les événements de la vie. Laurence ne parle pas de son agresseur. Comme s’il n’avait pas d’importance dans l’aff aire. L’agresseur ne serait que la victime de son habillement trop sexy. L’agresseur est l’unique responsable de son geste. Certes un habillement plus sévère aurait augmenté la probabilité que rien ne se passe, mais rien de plus. La prise de conscience de la responsa-bilité du violeur permettrait à cette femme de se libérer de sa culpabilité. En renonçant à sa culpabilité, elle perd l’explication du drame et elle aurait souff ert pour rien. Elle se voit confrontée à son impuissance et à l’insécurité du monde. La toute-puissance est le revers de la médaille de la culpabilité, sa face cachée.

Prenons un autre exemple : beaucoup d’enfants se culpabilisent face au divorce de leurs parents. Ils se disent : «J’aurais dû être plus sage, mieux travailler à l’école, faire plus de prières…». Paradoxalement, ces pensées culpabilisantes les rassurent : "ils auraient dû" si-gnifi e qu’"ils auraient pu", et le divorce aurait ainsi pu être évité, croient-ils. Mieux encore, il se pourrait que leurs parents se remettent ensemble s’ils redoublaient d’eff orts. Ainsi, en se convainquant qu’ils ont le pouvoir de modifi er les événements par leur comporte-ment. Ces enfants se rassurent, inconsciemment, face à une terrible prise de conscience : le monde ne fonctionne pas comme ils le souhaitent et ils sont impuissants à en changer le cours. Le prix à payer, c’est la culpabilité. La culpabilité est la rançon du pouvoir que l’on croit avoir.

A qui profi te la culpabilité ?On peut penser que la culpabilité «morbide» ne sert à personne tant elle accumule des

aspects négatifs. Cependant de nombreuses personnes profi tent de la culpabilité des autres parce qu’elle permet l’infl uence et la manipulation. Attardons-nous sur deux aspects : la religion et l’éducation.

• l’éducationD’après les psychologues, le sentiment de culpabilité apparaît chez le bébé vers l’âge

de 18 mois. C’est un acquis fondamental dans son développement qui lui permettra d’in-tégrer par la suite les règles sociales. Les notions de permis et d’interdit seront intériorisées plutôt que simplement associées aux récompenses et punitions parentales. Grâce à cela, l’enfant apprend à se conduire correctement même en l’absence d’adultes susceptibles de

chez

"Il faut apprendre aux enfants à assumer leurs actes...". Il n’y a pas à sanctionner. Je ne vois pas comment la sanction peut aider un enfant... Ce qui aide un enfant, c’est qu’il reconnaisse qu’il est sorti des limi-tes qu’il aurait dû garder, comme cela arrive à beaucoup de gens. Il le reconnaît et puis c’est tout... n’en parlons plus... mais il faut qu’il l’ait reconnu..."

Françoise Dolto

Cul

pabi

lité

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le sanctionner. Freud évoque même une instance du psychisme où serait stockée l’intériori-sation des interdits et des règles sociales : le «Surmoi». Celui-ci est une sorte de conscience morale de l’individu (le Gimini Cricket de Pinocchio) lui indiquant le chemin, en lutte avec les pulsions instinctives du «Ça». Cette culpabilité «saine» ressentie lors de manque-ments aux règles est donc essentielle pour le développement de l’enfant et sa future vie au sein de la société. Par contre, la culpabilité morbide ne présente a priori aucun intérêt éducatif. Les adultes incitent l’enfant à ne pas réitérer les comportements qu’ils réprouvent en manifestant leur mécontentement. La punition renforce ce mécanisme mais cela n’est pas suffi sant. C’est véritablement la capacité d’empathie chez l’enfant qui rend possible la culpabilité. Il est capable de percevoir ce que les adultes ressentent (colère, tristesse,…), il a une porte ouverte sur leurs états d’âme. Il absorbe l’émotion comme une éponge. Comme il a de la peine à les voir souff rir, il adapte son comportement à leurs attentes. C’est en défi nitive pour éviter les aspects désagréables que l’enfant va renoncer à transgresser les règles. En résumé, comme nous sommes capables de percevoir la souff rance des autres et qu’elle nous aff ecte, nous allons éviter de leur causer du tort. Cette culpabilité ressentie est saine, mais il suffi t d’un pas de plus pour que le mécanisme s’emballe si quelqu’un nous signifi e qu’il souff re à cause de nous, même s’il n’en est rien. Nous devenons responsables du bien-être de l’autre.

• Education ou manipulationQuand nous endossons l’entière responsabilité de la tristesse ou la colère de l’autre,

nous entrons dans la culpabilité morbide qui est, en fait, une déformation de la com-passion humaine.

La bêtise faite par l’enfant déclenche des émotions diff érentes selon l’adulte parce qu’elle résonne sur un besoin insatisfait de ce dernier. Un enfant fait une bêtise, cela peut déclencher la colère de son père, car il l’interprète comme acte de désobéissance, ce qui le renvoie à un besoin insatisfait de reconnaissance quant à son autorité paternelle. Sa mère va déclencher de la peur en imaginant les dangers auxquelles son enfant s’est exposé par ses gestes, ce qui met son besoin de sécurité et de protection à l’épreuve. Enfi n, la grande sœur sourira et éprouvera de la joie en constatant l’originalité et la créativité de son frère. Ses besoins de divertissement et d’animation, voire de découverte, seront ainsi comblés. La même bêtise a déclenché trois émotions diff érentes. La bêtise même n’est donc pas la cause puisqu’elle produit trois eff ets diff érents.

Chaque fois que les parents imputent la cause de leurs états d’âme à l’enfant, ils ren-forcent son sentiment de toute-puissance. Ils font croire involontairement à l’enfant qu’il est responsable de leur joie, leur peine ou leur colère. Cela est très culpabilisant de se sentir responsable du bonheur de l’autre.

La culpabilité est malheureusement utilisée régulièrement comme méthode éducative. Si elle semble procurer dans un premier temps des avantages aux parents, elle n’est en aucun cas anodine (2).

• la religion Le sentiment de culpabilité renvoie à la faute, qui elle-même est liée à la punition. Et

qui dit punition, dit justice. Notre croyance en un monde JUSTE est DÉPENDANTE du fait que les méchants soient punis et les bons récompensés. Et lorsque la justice humaine ne condamne pas les criminels, on se plaît à espérer en la justice divine. Pour sauvegarder

Les bêtises apprennent à connaître les limites !

Se sentir responsable du divorce de ses parents...

z l'enfant

Une culpabilité «saine» ressentie lors de manquements aux règles est donc essentielle pour le développement de l’enfant et sa future vie au sein de la société. Par contre, la culpabilité morbide ne présente a priori aucun intérêt éducatif.

2 - Marshall Rosenberg, créateur de la Communication Non Violente (CNV) explique très bien ces mécanismes de be-soins insatisfaits chez l’adulte et les eff ets néfastes de la punition. Ils donnent des

outils très précieux pour ne pas perpétrer les comportements reçus de nos parents et trouver d’autres réponses éducatives pour nos enfants. Voir dans la bibliographie p. 26 les livres de Marshall Rosenbgerg.

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l’idée d’un monde entièrement juste, ce qui est pourtant contraire à nos observations (inégalité face à la maladie, la race, le sexe…), nous faisons intervenir une justice parfaite qui nous dépasse, émanant d’un dieu transcendant. La justice divine pallie les manquements de la justice humaine.

Un véritable code de conduite est par conséquent proposé aux croyants. Dans ce contexte, la faute devient péché, c’est-à-dire trans-gression de la loi divine. Ces culpabilités particulières ont servi de moyen de pression et de contrôle dans certains courants religieux et mouvements sectaires.

Dans le catholicisme, par exemple, certes la faute commise par Adam et Eve est décrite dans la Génèse (Ancien testament) mais l’idée que cette faute se transmette de génération en génération et rende coupable l’homme dès sa naissance n’y est pas présente. L’œuvre de la création est bonne donc, à l’origine du monde, il n’y a pas de péché. Qui est donc l’inventeur de cette idée ? Ce sont les Chrétiens avec Saint Paul comme précurseur.

Dans son Epître aux Romains, Paul écrit : «C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché,... […]» (Rm chapitre 5, verset 12). Mais le véritable père du péché originel, celui qui peut en revendiquer les droits d’auteur, c’est Saint Augustin, trois siècles et demi plus tard. En 396, il rédige un texte (Ad Simplicianum) où apparaît l’expression peccatum originele, bientôt suivie par d’autres où il élaborera sa doctrine en profondeur. Il est curieux que le message du Christ, qui est essentiellement un message d’amour et de rédemption des fautes, ait donné lieu à pareille dérive. Jésus place l’amour du prochain au-dessus de tout («Aime ton prochain comme toi-même»), même au-dessus des dix commandements hérités de Moïse. C’est en ce sens que l’on parle de Nouveau Testament. La vie de Jésus, telle qu’elle est relatée dans les Évangiles, est pétrie d’exemples où il pardonne aux pécheurs dans un élan d’amour universel.

L’Église catholique a accordé au péché originel une place centrale, parfois même au détriment de l’amour. En insistant sur la notion de péché, elle rend les fi dèles plus perméables, voire dépendants à ses en-seignements pour obtenir le Salut. Elle prend le contrôle sur leur vie. L’Église devient un instrument de pouvoir, ce que confi rme l’histoire mondiale jusqu’à nos jours.

L’amour véritable est libérateur et permet à l’être de grandir, alors que la culpabilité emprisonne, renferme (enfer-me, c’est-à-dire : moi en enfer) sur soi-même et coupe des autres. C’est intéressant de souligner que dans condamné, il y a damné, ce qui signifi e condamné aux peines de l’enfer. L’amour est l’antidote de la culpabilité à travers le pardon qu’il rend possible. Le baptême rachète une faute que le bébé n’a pas commise et signe sa soumission et son obéissance au pape. Je tiens à préciser que je ne vois pas la religion en elle-même comme un outil d’asservissement des hommes, bien au contraire. Par contre, il est indéniable que certains individus ont pris et pren-nent encore le prétexte de la religion pour mener à bien leur funeste entreprise de domination en exploitant le sentiment de culpabilité. La culpabi-lisation étanche la soif de pouvoir !

Nous venons de voir que la culpabilité est la rançon du pouvoir que l’on croit avoir, et qu’elle résulte d’une perver-sion de la prise de responsabilité. Celle-ci étant biaisée par nos velléités de toute-puissance et par notre besoin de con-trôle. Par conséquent, nous assumons des responsabilités qui ne nous reviennent pas. Ainsi nous en dépouillons les autres. Par la prise de conscience que la responsabilité des uns s’arrête là où commence celle des autres, nous redon-nons aux autres leur véritable place dans la relation. Nous pouvons guérir notre façon d’envisager les responsabilités.

Le chemin est clair : renoncer au pouvoir que l’on croit avoir sur les autres et sur nous-mêmes. Un enfant a-t-il réellement le pouvoir d’éviter le divorce de ses parents ? Un homme a-t-il réellement le pouvoir d’être présent lors des derniers instants d’un proche ? Avons-nous réellement le pouvoir de rendre heureux nos parents, de devenir par-faits ?

La responsabilisation de l’adulte se conjugue avec la liberté. Permettre à l’autre d’exister, c’est le reconnaître en tant que sujet apte à assumer ses responsabilités. C’est avoir suffi samment confi ance en lui pour le laisser s’assumer di-gnement. Le contraire est l’infantiliser.

Nous conférons souvent aux autres le pouvoir de pro-voquer des émotions en nous. Ne dit-on pas «Tu m’éner-ves», «Tu me fais de la peine», «Je suis en colère à cause de mon patron». Ce qui est une façon de rendre les autres respon-sables de nos ressentis. Ce ne sont donc pas les situations, mais nos interprétations qui déterminent les émotions que nous vivons. Le philosophe Epictète l’affi rmait déjà au dé-but de notre ère : «Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu’ils en ont».

Ce sont nos pensées qui déterminent nos émotions. Or, la cause de l’émotion est toujours à rechercher en soi-même, alors que le déclencheur est très souvent extérieur. Le déclencheur est un événement particulier, et la cause,

notre façon personnelle d’interpréter, de don-ner sens à l’événement en relation avec nos besoins fondamentaux. Prenons un exemple : je me donne beaucoup de peine pour réaliser un rapport demandé par mon chef. Celui-ci se contente d’y jeter un rapide coup d’œil et le classe sur une pile d’autres dossiers. Je res-sens de la frustration. Le déclencheur de cette émotion est incontestablement l’attitude du chef. Mais la cause de ma frustration est mon évaluation de la situation : je m’attendais à être félicité pour la qualité de mon travail, ce qui n’est pas advenu. Dans ce contexte, mon besoin de reconnaissance n’est pas satisfait. La cause de l’émotion est donc bien interne : ma

Comment sortir de la c

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façon de considérer l’attitude du chef. J’attendais une confi rmation de la qualité de mon travail. En eff et, le même déclencheur pourrait donner lieu à une tout autre émotion : à supposer que j’aie bâclé ce fameux rapport, je serais soulagé que mon chef ne s’y attarde pas, ce qui satisferait cette fois-ci mon besoin de sécurité (ne pas risquer de perdre mon emploi).

Celui qui a peur des chiens les perçoit comme une menace. Alors que celui qui les aime cherche leur compagnie et va s’approcher tran-quillement. Féroce ou joueur ? C’est l’interprétation qui dicte l’émotion ressentie. Nous ne subissons pas nos émotions, nous y contribuons. Cette distinc-tion entre cause et déclencheur est primordiale pour qui souhaite appren-dre à gérer ses émotions, et la culpabilité en particulier. En eff et, un grand nombre de personnes estiment qu’elles subissent leurs émotions. Au con-traire, en se réap-propriant la cause de leurs ressentis et en soignant leurs interpréta t ions , elles pourraient apprivoiser leurs émotions. Elles se rendraient comp-te qu’elles ont le choix d’agir plutôt que de simplement réagir. C’est l'une des bases de ce que l’on appelle intelli-gence émotionnelle.

Dialoguer, écouter, accompagner...

L’amour véritable est libérateur et permet à l’être de grandir, alors que la

culpabilité emprisonne, renferme (enfer-me, c’est-à-dire : moi en enfer)

sur soi-même et coupe des autres.

culpabilité morbide ?

En cherchant à fuir une situation qui nous fait mal, nous fuyons également ce qui nous permettrait de nous en libérer. Claudia Rainville

Pour en fi nir avec la culpabilité • Première étape : Accueillir la culpabilité

Il n’est pas possible de soigner un mal dont nous n’avons pas conscience. On peut en percevoir les manifestations (migraine, maux de ventre…) sans faire le lien avec la présence de l’émotion. Le point de départ est donc la prise de conscience de la culpabilité. Pour certains, ce sera l’aide d’un thérapeute qui va leur permettre de bien reconnaître et identifi er leur culpabilité, alors que d’autres seront guidés par un événement signifi catif dans leur vie. La première étape est d’aller à la rencontre du sentiment et de ses manifestations, non dans la lutte mais dans l’exploration. Paradoxalement, le premier pas est d’accepter d’accueillir la culpabilité en soi pour ensuite la dépasser.

• Deuxième étape : Accepter ses limites L’étape de l’accueil n’est pas suffi sante. Il faut également explorer les bénéfi ces se-

condaires procurés par la culpabilité. Cette illusion de toute-puissance nous évite d’être confrontés à notre propre impuissance. Elle nous protège de l’insécurité inhérente au

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monde et aux relations humaines. C’est l’étape du lâcher-prise, de l’acceptation de notre juste place et de nos choix. C’est le «Inch’Allah» des musulmans, le «Que ta volonté soit faite» des Chrétiens. C’est accepter qu’il y ait certaines choses qui nous dépassent. C’est renoncer au fantasme de toute-puissance tout en gardant confi ance. Le lâcher-prise n’est pas toujours le résultat d’un mouvement volontaire. Il peut survenir de lui-même lorsque nous sommes prêts à faire face à l’insécurité.

• Troisième étape : Prendre ses responsabilités et rejeter celles des autres. En renonçant à notre pouvoir sur les autres, nous pouvons les laisser exister comme

des personnes douées de libre arbitre et capables d’assumer leurs propres responsabilités. Celui qui cesse de prendre des responsabilités à la place des autres arrête automatiquement de se culpabiliser. La raison en est évidente : par défi nition, «culpabiliser» signifi e se rendre responsable. Parfois, ce sont les autres qui cherchent à nous imputer leur responsabilité et tentent de nous culpabiliser. Ce qui revient à dire qu’ils veulent, souvent inconsciemment, nous manipuler. Le refus de prendre en charge les responsabilités d’autrui est l’attitude de base permettant de sortir des situations de manipulation.

Cette troisième étape du processus de guérison s’articule selon deux principes : - Nous devons assumer toutes nos responsabilités, actes, paroles, pensées et émo-

tions.- Nous rejetons toutes les responsabilités relatives aux

actes, paroles, pensées, émotions et ressentis des autres.Cette étape est cruciale et demande de l’attention, voici

un outil qui aide à mieux voir la répartition des responsabi-lités. Un tableau est proposé page 190 du livre "Au diable la culpabilité" avec plusieurs colonnes : - Situation où je me sens coupable ;- Ce que j'aurais dû faire ; - dans quel but ?- Le but visé dépend-t-il entièrement de moi ?- En défi nitive, suis-je responsable ?Se poser les bonnes questions amène les bonnes réponses.

• Quatrième Étape : Réparer et tourner la pageAvez-vous remarqué que jusqu’à présent la faute n’était jamais mentionnée dans ce

processus de guérison ? Que la faute soit réelle ou imaginaire ne change pas grand chose. C’est donc un mauvais calcul que de vouloir guérir la culpabilité morbide en essayant de démonter que la faute n’est pas réelle. Pensez-vous que l’on peut aider une jeune femme aux prises avec la culpabilité d’avoir avorté en lui disant que l’interruption volontaire de grossesse est légale dans son pays ? Savoir que la culpabilité est justifi ée ou non ne change rien au vécu subjectif de la culpabilité.

Dans cette étape, nous cherchons à réparer le préjudice, si cela est possible. Ce désir de réparation porte le coup de grâce à la culpabilité. La réparation est utile dans les cas de préjudices avérés. L’autopunition cesse lorsque nous avons «payé notre dette».

Réparer, c’est proposer un dédommagement, même symbolique, aux personnes lésées. Lorsqu’il n’est plus possible de le faire concrètement (personnes décédées ou préjudices irréparables…), il est envisageable de poser un acte symbolique. C’est le cas d’un homme qui a tué un enfant lors d’un accident de la route et qui s’est engagé dans l’aide humani-taire auprès de jeunes enfants. L’important est de pouvoir clore défi nitivement.

Le livre Au Diable la Culpabilité ! se termine ainsi : «Dieu que la vie expurgée de cette cul-pabilité morbide est agréable ! Peut-être même retrouve-t-elle ainsi un goût de paradis…». q

Par Y. - A. Th almannSources

Au diable la culpabilité ! Cessez de vous culpabiliser et retrouvez votre liberté intérieure d'Y. - A. Thalmann

A propos de l’auteur

Yves-Alexandre Thalmann est psycholo-gue et formateur d’adultes. Au béné-fi ce d’un doctorat en physique, il s’est (dés)orienté vers des domaines plus re-lationnels. Il s’est formé en Suisse, où il exerce actuellement, ainsi qu’en France, en Belgique et au Québec.

Site Internet : www.yathalmann.ch

bibliographieEn vente dans la boutique SP p. 54

- Au diable la culpabilité ! de Y.-A. Thalmann- Les quatre accords toltèques : La voie de la liberté personnelle de Miguel RuizEn librairie

- Les mots sont des fenêtres (ou des murs), introduction à la CNV de Marshall Rosenberg Ed. La découverte de Marshall Rosenberg • en livre de Poche Jouvence

- Responsable, oui ! Coupable, non ! Pour une juste prise de responsabilités de Y.-A. Thalmann- Se libérer de la tyrannie des répétitions amou-reuses, Plus jamais ça ! de Y.-A. Thalmann- Élever nos enfants avec bienveillance de M. Rosenberg- Les bases spirituelles de la Communication Non Violente de M. Rosenberg- La communication non violente au quotidien de M. Rosenberg- Eduquer sans punitions ni récompenses de J. P. Faure

En septembre 2008 paraîtra

«Le non-jugement, de la théorie à la

pratique» d'Y.A. Thalmann

qui apporte un nouvel éclairage

sur le non-jugement et l’acceptation

de soi et des autres.

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