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Tumeurs neuroendocrines dossier thématique Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015 108 Prise en charge actuelle et perspectives thérapeutiques des tumeurs neuro- endocrines métastatiques : quelle place et quelles bases (moléculaires) pour une éventuelle médecine personnalisée ? Metastatic neuroendocrine tumors: the way toward personalized treatment Thomas Walter * * Service d’oncologie digestive, hôpital Édouard-Herriot, Hospices civils de Lyon ; unité Inserm UMR 1052 CNRS UMR 5286, centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL), équipe 4, faculté de médecine RTH Laennec, Lyon. RÉSUMÉ Summary » La prise en charge d’une tumeur neuroendocrine (TNE) bien différenciée métastatique doit être triple : contrôler le syndrome sécrétoire s’il est présent ; proposer un traitement antitumoral ; tout en gardant une qualité de vie acceptable pour les patients qui peuvent vivre plusieurs années sans même aucun traitement. Les traitements, du moins contre les TNE pancréatiques, sont actuellement nombreux et sont locaux (chirurgie, radiofréquence, embolisation hépatique) ou systémiques (analogue de la somatostatine, interféron, thérapie ciblée, chimiothérapie et radiothérapie interne vectorisée). Ces traitements ne sont pas comparés entre eux dans ces tumeurs rares : le choix repose actuellement sur différents facteurs pronostiques clinico- biologiques, mais il devrait, dans un avenir proche, également intégrer des facteurs prédictifs de réponse. Mots-clés : Tumeur neuroendocrine - Carcinoïde - Traitement personnalisé - MGMT. The three treatment’s goals of gastroenteropancreatic neuroendocrine tumours (NETs) are to control the secretory syndrome if present, to control the tumour growth and to take into account the quality of life, because patients may live many years without any specific treatment. Several treatments, at least for pancreatic NETs, are now available. They are focused on the liver (surgery, radiofrequency ablation, transarterial liver embolization) or systemic (somatostatin analogs, interferon, targeted molecular therapy, cytotoxic chemotherapy, peptide receptor radionuclide therapy). The choice between them currently takes into account different clinicobiological prognostic factors, but it should soon include new predictive factors of response (MGMT…). Keywords : Neuroendocrine tumours - Carcinoid - Personalized treatment - MGMT. L a prise en charge d’une tumeur neuroendo- crine (TNE) bien différenciée métastatique doit répondre à un triple objectif : contrôler le syndrome sécrétoire s’il est présent et propo- ser un traitement antitumoral, tout en conservant une qualité de vie acceptable pour les patients qui peuvent vivre plusieurs années sans aucun traite- ment. Les deux TNE primitives les plus fréquemment rencontrées, sur lesquelles nous allons insister, sont celles du pancréas et de l’intestin grêle. L’éventail des traitements disponibles, au moins contre les TNE pancréatiques, est actuellement large, d’où l’impor- tance de pouvoir disposer de critères de sélection et de prédiction de la réponse pour optimiser la prise en charge des patients. La stratégie thérapeutique actuelle repose sur différents facteurs pronostiques clinicobiologiques et devrait s’enrichir, dans un avenir proche, de données moléculaires (préfigurées aujourd’hui par le statut de l’O(6)-méthylguanine- ADN-méthyltransférase [MGMT]). Les grands principes thérapeutiques communs à toutes les tumeurs neuroendocrines métastatiques Les grandes spécificités du traitement des TNE La prise en charge en France des TNE est discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée du réseau RENATEN (Réseau national de référence pour la

Prise en charge actuelle et perspectives thérapeutiques ...lisation hépatique est en eff et le traitement de première intention devant la persistance d’un syndrome sécrétoire

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Tumeurs neuroendocrines

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015108

Prise en charge actuelle et perspectives thérapeutiques des tumeurs neuro-endocrines métastatiques : quelle place et quelles bases (moléculaires) pour une éventuelle médecine personnalisée ? Metastatic neuroendocrine tumors: the way toward personalized treatmentThomas Walter*

* Service d’oncologie digestive, hôpital Édouard-Herriot,

Hospices civils de Lyon ; unité Inserm UMR 1052 CNRS UMR 5286,

centre de recherche en cancérologie de

Lyon (CRCL), équipe 4, faculté de médecine RTH

Laennec, Lyon.

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» La prise en charge d’une tumeur neuroendocrine (TNE) bien diff érenciée métastatique doit être triple : contrôler le syndrome sécrétoire s’il est présent ; proposer un traitement antitumoral ; tout en gardant une qualité de vie acceptable pour les patients qui peuvent vivre plusieurs années sans même aucun traitement. Les traitements, du moins contre les TNE pancréatiques, sont actuellement nombreux et sont locaux (chirurgie, radiofréquence, embolisation hépatique) ou systémiques (analogue de la somatostatine, interféron, thérapie ciblée, chimiothérapie et radiothérapie interne vectorisée). Ces traitements ne sont pas comparés entre eux dans ces tumeurs rares : le choix repose actuellement sur différents facteurs pronostiques clinico-biologiques, mais il devrait, dans un avenir proche, également intégrer des facteurs prédictifs de réponse.

Mots-clés : Tumeur neuroendocrine − Carcinoïde − Traitement personnalisé − MGMT.

The three treatment’s goals of gastroenteropancreatic neuroendocrine tumours (NETs) are to control the secretory syndrome if present, to control the tumour growth and to take into account the quality of life, because patients may live many years without any specific treatment. Several treatments, at least for pancreatic NETs, are now available. They are focused on the liver (surgery, radiofrequency ablation, transarterial liver embolization) or systemic (somatostatin analogs, interferon, targeted molecular therapy, cytotoxic chemotherapy, peptide receptor radionuclide therapy ). The choice between them currently takes into account diff erent clinicobiological prognostic factors, but it should soon include new predictive factors of response (MGMT…).

Keywords : Neuroendocrine tumours − Carcinoid − Personalized treatment − MGMT.

L a prise en charge d’une tumeur neuroendo-crine (TNE) bien différenciée métastatique doit répondre à un triple objectif : contrôler

le syndrome sécrétoire s’il est présent et propo-ser un traitement antitumoral, tout en conservant une qualité de vie acceptable pour les patients qui peuvent vivre plusieurs années sans aucun traite-ment. Les deux TNE primitives les plus fréquemment rencontrées, sur lesquelles nous allons insister, sont celles du pancréas et de l’intestin grêle. L’éventail des traitements disponibles, au moins contre les TNE pancréatiques, est actuellement large, d’où l’impor-tance de pouvoir disposer de critères de sélection et de prédiction de la réponse pour optimiser la prise en charge des patients. La stratégie thérapeutique

actuelle repose sur diff érents facteurs pronostiques clinicobiologiques et devrait s’enrichir , dans un avenir proche, de données moléculaires (préfi gurées aujourd’hui par le statut de l’O(6)-méthyl guanine-ADN-méthyltransférase [MGMT] ).

Les grands principes thérapeutiques communs à toutes les tumeurs neuroendocrines métastatiques

Les grandes spécifi cités du traitement des TNELa prise en charge en France des TNE est discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée du réseau RENATEN (Réseau national de référence pour la

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015 109

Prise en charge actuelle et perspectives thérapeutiques des tumeurs neuroendocrines métastatiques :

quelle place et quelles bases (moléculaires) pour une éventuelle médecine personnalisée ?

prise en charge des tumeurs neuroendocrines malignes rares sporadiques et héréditaires ). La stratégie théra-peutique, régulièrement actualisée dans le Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD, accessible sur www.tncd.org ), en accord avec les recommanda-

tions internationales (notamment celles de l’ENETS [European Neuroendocrine Tumor Society]), dépend de l’existence d’un syndrome sécrétoire, de la locali-sation du primitif, de l’extension métastatique et de l’évolutivité tumorale (fi gure).

Figure. Traitement des tumeurs neuroendocrines bien diff érenciées métastatiques non résécables, d’origine iléale (A) et pancréatique (B) . ASS : analogues de la somatostatine. ATU : autorisation temporaire d’utilisation. IPP : inhibiteurs de la pompe à protons. SZE : syndrome de Zollinger-Ellison .

Surveillance simple ou ASS

ASSEmbolisation hépatique

Rediscuter régulièrement les possibilités chirurgicales, y compris

la transplantation hépatique chez des cas très sélectionnés

Radiothérapie vectorisée interne en ATU

Non validé (au cas par cas) : interféron,évérolimus, chimiothérapie cytotoxique

www.tncd.org

Tumeur non progressive,non symptomatique

Foie envahi < 25-50 %Ki67 < 10 %

Métastases osseuses = 0

Tumeur progressive et/ou symptomatique

et/ou foie envahi > 25-50 %,Ki67 > 10 %

et/ou métastases osseuses

Contrôle du syndrome carcinoïde si présent : analogue de la somatostatine

Résection chirurgicale de(s) tumeur(s) primitive(s) si faisable (+ cholécystectomie)

TNE iléale métastatique non résécable

Traitement premier du syndrome sécrétoire si présent

Tumeur non progressive,non symptomatique

Foie envahi < 25-50 %Ki67 < 10 %

Métastases osseuses = 0

Tumeur progressive, et/ou symptomatique

et/ou foie envahi > 25-50 %,Ki67 > 10 %

et/ou métastases osseuses

Surveillance simple ou ASS

ÉvérolimusSunitinib

Chimiothérapiecytotoxique

Radiothérapie interne vectorisée ?Chimioembolisation hépatique (en l’absence d’anastomose biliodigestive)

Rediscuter les possibilités chirurgicales sur la tumeur primitive ou les métastases

www.tncd.org

– Chirurgie (insulinome)– IPP (SZE)– ASS (VIPome, glucagonome)

TNE pancréatique métastatique non résécable

A

B

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Tumeurs neuroendocrines

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015110

Le traitement d’un syndrome sécrétoire, prioritaire lorsqu’il est présent (environ 20 % des cas), repose sur les ana-logues de la somatostatine, octréotide ou lanréotide le plus souvent (syndrome carcinoïde, VIPome et gluca-gonome), ou les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) pour le syndrome de Zollinger-Ellison (gastrinome). L’insulinome pancréatique, le plus souvent “bénin”, se règle par la chirurgie, mais le diazoxide ou l’évérolimus sont utilisés pour le traitement symptomatique des formes métastatiques non accessibles à la chirurgie.Les TNE font partie des rares tumeurs pour lesquelles, au stade métastatique, l’exérèse de la tumeur primitive reste préconisée (pour les TNE intestinales) ou discutée (pour les TNE pancréatiques), afi n de traiter ou d’éviter une complication locorégionale aiguë (occlusion intestinale, hypertension portale, etc.). C’est aussi un type de tumeur pour lequel une chirurgie non carcinologique des méta-stases peut être acceptable dans certaines conditions.Enfi n, les TNE fi gurent parmi les rares tumeurs pour les-quelles, même en présence de métastases, une simple surveillance peut parfois être proposée initialement, puisque ces tumeurs peuvent rester stables pendant de nombreuses années en l’absence de tout traitement antitumoral (fi gure, p. 109).

Les traitements antitumoraux aujourd’hui disponiblesLe traitement antitumoral ne sera pas le même selon la localisation du primitif ; il y aura plus d’options théra-peutiques en cas de TNE pancréatique (fi gure, p. 109). Nous ne parlerons ici que des traitements médicaux, même si le traitement chirurgical et les traitements locorégionaux (radiofréquence, [chimio- ] embolisation hépatique, chirurgie, voire exceptionnelle transplan-tation hépatique) sont toujours à discuter en priorité, spécialement pour les TNE intestinales, qui bénéfi cient de peu de ressources thérapeutiques. La (chimio-)embo-lisation hépatique est en eff et le traitement de première intention devant la persistance d’un syndrome sécrétoire ou une progression tumorale hépatique malgré un traite-ment par analogue de la somatostatine (fi gure A, p. 109).En dehors de leurs eff ets antisécrétoires, les analogues de la somatostatine (ASS) ont un pouvoir antitumoral modéré mais réel, dont le mécanisme est probablement multifactoriel (eff et antiprolifératif direct sur les cellules tumorales et eff et indirect sur le stroma tumoral, anti-prolifératif et antiangiogénique). Les taux de réponse objective sont faibles, de l’ordre de 5 %. En revanche, ils permettent d’obtenir une stabilisation de la maladie dans 35 à 70 % des cas, pendant une période médiane de 10 à 25 mois. L’étude PROMID est la première étude de phase III randomisée, prospective, en double aveugle, démon-

trant un doublement du temps jusqu’à progression sous octréotide versus placebo, en cas de TNE de l’intestin grêle (et du côlon droit), notamment parmi les patients ayant un volume métastatique hépatique inférieur à 10 % (1). L’étude CLARINET a confi rmé ces résultats sur 204 TNE (dont 73 du grêle et 91 du pancréas) de grade 1 et 2 avec Ki67 inférieur à 10 % , non fonctionnelles, avec un Octréoscan® positif et un allongement de la survie sans progression sous lanréotide (2). Il faut noter que 96 % des TNE étaient non progressives à l’instauration du traitement dans cette dernière étude et que le statut progressif n’était pas connu dans l’étude PROMID. Par conséquent, du fait du coût de ces médicaments et de l’absence de gain sur la survie globale, la question du meilleur moment pour commencer la prise d’un ana-logue reste entière : traitement précoce versus attente de la progression morphologique de la maladie. Les 2 options sont proposées dans le TNCD. L’interféron est parfois utilisé pour son activité anti-sécrétoire contre les syndromes carcinoïdes résistant aux ASS et l’embolisation hépatique. Il a aussi une acti-vité antitumorale modeste dans les TNE intestinales (réponses d’environ 10 %), ainsi qu’une possible activité antiangiogénique. Dans un essai de phase III portant sur les TNE intestinales, l’interféron a apporté un avantage non signifi catif en termes de survie sans progression versus 5-FU-streptozotocine (14,1 versus 5,5 mois), sachant que l’étude était sous-dimensionnée (3).Contrairement aux TNE pancréatiques, beaucoup plus chimiosensibles, la chimiothérapie cytotoxique n’est pas un traitement standard des TNE iléales et sa prescription doit être clairement discutée. Cette chimiorésistance pourrait être expliquée par l’absence de perte d’expres-sion de la MGMT dans les TNE iléales en comparaison des TNE pancréatiques (4, 5). En revanche, la chimio-thérapie cytotoxique reste le traitement de première ligne des TNE pancréatiques localement avancées ou métastatiques. L’association de référence adriamycine-streptozotocine tend à être remplacée par de nouveaux médicaments comme l’oxaliplatine ou le témozolomide, qui ont une certaine activité, avec un meilleur profi l de tolérance.Les TNE n’échappent pas à l’essor actuel des thérapies ciblées. L’hypervascularisation constitutionnelle de ces tumeurs a d’emblée fait porter les espoirs des cliniciens sur les antiangiogéniques purs, de type bévacizumab, seul ou en association. Reste à savoir quel est son meil-leur partenaire. Plusieurs phases II ont montré des résul-tats prometteurs dans les TNE avec le bévacizumab : soit en monothérapie, ou associé à l’interféron ou à la capécitabine pour les TNE intestinales ; soit associé à une chimiothérapie cytotoxique habituelle (5-fl uoro uracil

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015 111

Prise en charge actuelle et perspectives thérapeutiques des tumeurs neuroendocrines métastatiques :

quelle place et quelles bases (moléculaires) pour une éventuelle médecine personnalisée ?

[5-FU]-streptozotocine [6] ou témozolomide) ou un inhibiteur de mTOR (temsirolimus ou évérolimus) pour les TNE pancréatiques. Cependant, la seule étude de phase III rapportée en juin 2015 sur les “carcinoïdes” (TNE du tube digestif et des bronches) est négative. Les inhibiteurs multikinase , comme le sunitinib et le pazopanib, entraînent peu de réponses partielles, mais, comme souvent dans le domaine des thérapies ciblées, le taux de stabilisation est important. Le sunitinib a une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans les TNE pancréatiques avancées en progression depuis les résultats de la phase III (7). En France, il est plutôt utilisé en deuxième ligne après une chimiothérapie cytotoxique (fi gure B, p. 109), mais sa place dans la stra-tégie thérapeutique pourrait changer. Enfi n l’évérolimus, un inhibiteur oral de mTOR, a aussi une AMM dans les TNE pancréatiques avancées en progression depuis les résultats de l’étude de phase III, RADIANT-3 (8). En dehors du pancréas, le bénéfi ce de l’association évérolimus-octréotide dans l’étude de phase III RADIANT-2 a été jugé trop faible pour permettre une AMM, par com-paraison avec placebo-octréotide (9). Il faut cependant attendre les résultats de RADIANT-4 (phase III sur des TNE bronchiques et intestinales), étude positive selon un communiqué de presse récent. La meilleure séquence thérapeutique, entre chimiothérapie cytotoxique et évérolimus, est actuellement testée dans une phase III européenne (essai SEQTOR ).La radiothérapie interne vectorisée (RIV), couplant un ana-logue de la somatostatine et un radio-isotope (yttrium 90 ou lutétium 177), semble très prometteuse dans les TNE présentant une fi xation à l’Octréoscan® de grade 3-4. Une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) dite “de cohorte” pour Lutathera® ([177Lu]-DOTA0-Tyr3-octréotate) est ouverte en France depuis mai 2015 pour des patients atteints de TNE intestinale en échec de traitement par des analogues de la somatostatine non radiomarqués. L’activité antisécrétoire de la RIV est indiscutable (60 à 80 % des cas) et son activité antitumorale devrait être confi rmée (résultats en 2016) par l’étude de phase III NETTER-1 (versus octréotide LP 60 mg dans les TNE iléales). Pour les autres TNE, la RIV n’est accessible en France que dans le cadre d’essais cliniques, comme l’étude randomisée OCLURANDOM dans les TNE pancréatiques, versus sunitinib. La place de la RIV dans la stratégie théra-peutique des TNE iléales reste cependant à préciser.

Les critères cliniques et biologiques actuels pour guider la stratégie thérapeutiqueIl existe donc, du moins pour les TNE pancréatiques, de multiples options thérapeutiques qui n’ont pour l’instant quasiment pas été comparées entre elles dans

ces tumeurs qui restent rares. Le traitement est guidé par les facteurs pronostiques évalués au moment de la prise en charge du patient. Les facteurs pronostiques utili-sés en routine sont simples et n’intègrent pour l’instant pas de marqueurs moléculaires. Ils sont cliniques (présence de symptômes, performance status, âge, localisation du primitif ), biologiques (taux de chromogranine A), radio-logiques (stade de la maladie, pourcentage d’envahis-sement hépatique [ou nombre de lésions hépatiques], présence de métastases osseuses, faible expression des récepteurs de la somatostatine à l’Octréoscan® et/ou forte fi xation au TEP FDG), et surtout anatomo-pathologiques (comme le détaille l’article compagnon de A. Couvelard et A. Cazes pp. 102-107, diff érenciation morphologique, grade histologique et notamment index Ki67). Enfi n, un des meilleurs facteurs pronos-tiques, qui les prend tous en compte, mais qui n’est par défi nition pas présent à la première entrevue, est l’évolution spontanée sans traitement de la tumeur, qui permet l’évaluation de la pente de progression.Le premier élément d’orientation reste en pratique la diff érenciation morphologique. Les carcinomes neuro-endocrines peu diff érenciés métastatiques sont ainsi traités par chimiothérapie de type platine-étoposide, et les patients ont une survie médiane de près de 1 an. À l’opposé, des patients asymptomatiques ayant une TNE bien diff érenciée métastatique peuvent même être simplement surveillés si la tumeur est peu agressive. La prise en charge des TNE métastatiques d’origine intestinale ou pancréatique est schématisée dans la fi gure, p. 109.

Existe-t-il aujourd’hui des biomarqueurs prédictifs utilisables en clinique ?

Comme le confi rment A. Couvelard et A. Cazes dans l’article précédent (pp. 102-107) , aucun facteur pré-dictif de réponse n’existe actuellement en routine pour ces traitements, en dehors de la nécessité d’avoir une tumeur fi xante à l’Octréoscan® pour être éligible pour une RIV. Dans une large étude de phase II non rando-misée testant la RIV, le contrôle tumoral était d’autant meilleur que la fi xation à l’Octréoscan® était intense (10). Cependant, une fi xation intense étant, en dehors de tout traitement, un facteur de bon pronostic, il est diffi cile de conclure quant à son rôle prédictif de réponse à la RIV en l’absence d’étude randomisée comportant un bras sans RIV.Le statut MGMT est probablement le facteur prédictif de réponse à une chimiothérapie à base d’alkylant le plus proche d’une utilisation en pratique clinique dans les TNE.

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Tumeurs neuroendocrines

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2015112

Les agents alkylants (streptozotocine, dacarbazine, témo-zolomide) constituent l’un des principaux traitements systémiques, du moins pour les TNE pancréatiques méta-statiques, avec des taux de réponse de 30 à 40 %. Le statut MGMT peut être évalué par immuno histochimie (4, 5) ou par une technique moléculaire permettant l’évaluation de la méthylation du promoteur du gène correspon-dant (4, 11), mais il n’existe pas encore aujourd’hui de standardisation des techniques à utiliser ni de leur inter-prétation. Même si les données sont encore contradic-toires et aff aiblies par leur caractère rétrospectif, plusieurs études récentes suggèrent que le statut MGMT est un facteur prédictif de réponse aux alkylants. Le promoteur du gène MGMT est méthylé dans 25 à 50 % des TNE, et la survie sans progression est alors doublée par rapport aux patients ayant une tumeur MGMT non méthylée traitée par les mêmes chimiothérapies (4, 5). Comme pour le glio-blastome (12), les 2 techniques les plus reproductibles et fi ables semblent être le pyroséquençage pour l’étude de la méthylation de MGMT et l’étude immunohistochimique de la protéine correspondante (4). La corrélation entre les 2 techniques reste imparfaite. Par ailleurs, même si les alkylants sont recommandés en première intention dans les TNE, l’oxaliplatine, associée soit avec le 5-FU soit avec la gemcitabine, a montré une activité intéres-sante, avec des taux de réponse entre 17 % et 30 %. Nous avons récemment montré, dans une étude rétrospective, que l’association gemcitabine et oxaliplatine semble avoir une activité similaire à celle des alkylants, sans que celle-ci soit infl uencée par le statut MGMT (13). Des études prospectives sont nécessaires pour le confi rmer, mais ces données suggèrent que les alkylants pour-raient être proposés aux patients ayant des tumeurs défi cientes en MGMT, tandis que les chimiothérapies à

base d’oxaliplatine ou un autre traitement antitumoral (évérolimus, sunitinib) pourraient être privilégiées pour les autres patients. Il reste encore cependant à confi rmer ces résultats de manière prospective et à standardiser la détermination du statut MGMT.

Quels sont les besoins et les perspectives ?

De nombreuses options thérapeutiques sont mainte-nant disponibles, et il devient urgent de trouver des biomarqueurs prédictifs ou, à défaut, des marqueurs précoces de réponse à ces traitements afi n de ne pas exposer inutilement les patients à des traitements peu effi caces, chers et souvent non dépourvus d’eff ets indé-sirables. Il faut, au sein des études prospectives à venir, prévoir des études ancillaires pour identifi er les patients qui tirent un vrai bénéfi ce d’une molécule, puisque la plupart de ces traitements ne seront jamais comparés entre eux dans ces pathologies rares. À part celles tou-chant la voie PI3 K/ AKT/mTOR activée dans certaines TNE, les autres mutations somatiques identifi ées dans les TNE pancréatiques (ATRX/DAXX, MEN1) ou les TNE intestinales ne semblent pas facilement ciblables par les traitements actuels, même si des perspectives encore très préliminaires sont ouvertes par les inhibiteurs de protéines à bromodomaines, qui pourraient être actifs dans les tumeurs associées à d’importants remaniements épigénétiques. Il faut aussi développer des études pros-pectives randomisées pour confi rmer l’intérêt d’étudier MGMT pour la prescription des alkylants et d’étudier des récepteurs de la somatostatine (sur tissus ou par imagerie nucléaire) pour la prescription des analogues de la somatostatine “froids” ou radioactifs. ■

1. Rinke A, Müller HH, Schade-Brittinger C et al. Placebo-controlled, double-blind, prospective, randomized study on the effect of octreotide LAR in the control of tumor growth in patients with metastatic neuroendocrine midgut tumors: a report from the PROMID Study Group. J Clin Oncol 2009;27(28):4656-63.2. Caplin ME, Pavel M, Cwikla JB et al. ; CLARINET Investigators. Lanreotide in metastatic enteropancreatic neuroendocrine tumors. N Engl J Med 2014;371(3):224-33.3. Dahan L, Bonnetain F, Rougier P et al. Phase III trial of chemo-therapy using 5-fl uorouracil and streptozotocin compared with interferon alpha for advanced carcinoid tumors: FNCLCC-FFCD 9710. Endocr Relat Cancer 2009;16(4):1351-61.

4. Walter T, Van Brakel B, Vercherat C et al. O6-Methylguanine-DNA methyltransferase status in neuroendocrine tumours: prognostic relevance and association with response to alky-lating agents. Br J Cancer 2015;112(3):523-31.

5. Kulke MH, Hornick JL, Frauenhoff er C et al. O6-methylguanine DNA methyltransferase defi ciency and response to temozolo-

mide-based therapy in patients with neuroendocrine tumors. Clin Cancer Res 2009;15(1):338-45.

6. Ducreux M, Dahan L, Smith D et al. Bevacizumab com-bined with 5-FU/streptozocin in patients with progressive metastatic well-diff erentiated pancreatic endocrine tumours (BETTER trial)--a phase II non-randomised trial. Eur J Cancer 2014;50(18):3098-106.

7. Raymond E, Dahan L, Raoul JL et al. Sunitinib malate for the treatment of pancreatic neuroendocrine tumors. N Engl J Med 2011;364(6):501-13.

8. Yao JC, Shah MH, Ito T et al. Everolimus for advanced pan-creatic neuroendocrine tumors. N Engl J Med 2011;364(6):514-23.

9. Pavel ME, Hainsworth JD, Baudin E et al. Everolimus plus octreotide long-acting repeatable for the treatment of advanced neuroendocrine tumours associated with carcinoid syndrome (RADIANT-2): a randomised, placebo-controlled, phase 3 study. Lancet 2011;378(9808):2005-12.

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12. Quillien V, Lavenu A, Karayan-Tapon L et al. Comparative assessment of 5 methods (methylation-specifi c polymerase chain reaction, MethyLight, pyrosequencing, methylation-sen-sitive high-resolution melting, and immunohistochemistry) to analyze O6-methylguanine-DNA-methyltransferase in a series of 100 glioblastoma patients. Cancer 2012;118(17): 4201-11.

13. Dussol AS, Joly MO, Vercherat C et al. Gemcitabine and oxaliplatin or alkylating agents for neuroendocrine tumors: Comparison of effi cacy and search for predictive factors gui-ding treatment choice. Cancer 2015;121(19):3428-34.

R é f é r e n c e s

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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