2
Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2011 - Hors série 1 27 © 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Le coin biblio de la SFD Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC Pfeffer MA et al, for the TREAT (Trial to Reduce cardiovascular Events with Aranesp Therapy) Investigators A trial of darbepoetin alfa in type 2 diabetes and chronic kidney disease N Engl J Med 2009 ; 361 : 2019-2032 L’ étude TREAT est une grande étude menée dans plus de 600 centres de 24 pays à travers le monde, incluant 4038 diabétiques de type 2 présentant un débit de filtration glomérulaire estimé entre 20 et 60 ml/mn/1,73 m 2 (MDRD) et un taux d’hémoglobine ≤ 11 g/dl (âge médian : 68 ans, DFG : 34 ml/mn/1,73 m 2 , Hb : 10,4 g/ dl, antécédents cardiovasculaires dans environ 2/3 des cas). Ces patients étaient randomisés en deux groupes, l’un traité par darbepoétine alpha (Aranesp ® ) pour tenter de maintenir une hémoglobine à 13 g/dl, l’autre recevant un placebo avec cependant recours temporaire à la darbepoétine alpha lorsque l’hémoglobine descendait en dessous de 9 g/dl. Les critères primaires de jugement étaient des composites constitués d’une part du nombre de décès et d’événements cardiovasculaires (IDM, AVC, insuffisance cardiaque, hospitalisation pour ischémie myocardique), de l’autre du nombre de décès et d’insuffisance rénale terminale. Initialement hebdomadaire, l’injection est devenue men- suelle chez 86,9 % des patients du groupe placebo et 84,6 % des patients du groupe darbepoétine alpha (moyenne 176 μg/mois en moyenne), et 46 % des patients du groupe placebo ont reçu au moins une injection de darbepoétine alpha au cours de l’étude. Au terme d’un suivi médian d’environ 30 mois, et en dépit des bénéfices significatifs sur l’anémie obtenus sous darbepoétine alpha (Hb 12,5 g/dl vs 10,6 g/dl, p < 0,001 ; recours à une transfusion 14,8 % vs 24,5 %, p < 0,001 ; recours au fer IV 14,8 % vs 20,4 %, p < 0,001), il n’y avait aucune différence entre les groupes pour les critères primaires de jugement (critère « cardiovasculaire » 31,4 % dans le groupe traité vs 29,7 % dans le groupe placebo ; critère « rénal » 32,4 % dans le groupe traité vs 30,5 % dans le groupe placebo). Pris isolément, aucun des paramètres agrégés dans les critères primaires ne différait de façon significative entre darbepoétine alpha et placebo, à l’exception notable des AVC dont l’incidence était presque deux fois supé- rieure dans le groupe traité (5 % vs 2,6 % ; HR 1,92, IC95 % 1,38-2,68, p < 0,001). Des résultats comparables étaient retrouvés dans le sous-groupe de patients présentant des antécédents cardiovasculaires comme dans celui des patients fortement protéinuriques. Par ailleurs, l’état de fatigue était un peu plus souvent amélioré dans le groupe darbepoé- tine alpha (échelle FACT-Fatigue : diminution de la fatigue chez 54,7 % des patients du groupe traité et… 49,5 % du groupe placebo, p = 0,002), alors que les scores du question- naire SF-36 relatifs à l’énergie à la fonction physique étaient comparables entre les deux groupes. À noter enfin que l’incidence des accidents thromboemboliques veineux était plus importante dans le groupe traité (2,0 %) que dans le groupe placebo (1,1 %, p = 0,02), et que 7,4 % des patients présentant des antécédents de cancer sont décédés de cancer dans le groupe darbepoétine alpha (14 sur 188) contre seulement 0,6 % dans le groupe placebo (1 sur 160) (p = 0,002). Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC L’anémie constitue un marqueur précoce d’altération de la fonction rénale chez les patients présentant une néphropathie chro- nique. Sa présence est un facteur de risque indépendant de morbi-mortalité cardiovas- culaire et de progression de la néphropathie, en particulier chez les diabétiques [1-2]. Chez les patients insuffisants rénaux chroniques, la cause principale de l’anémie est un déficit en érythropoïétine. Les agents stimulants de l’érythropoïèse (ASE), comme la darbepoétine alpha, agissent selon le même mécanisme que celui de l’hormone endogène, et sont aujourd’hui largement utilisés, et de plus en plus précocement, pour traiter l’anémie de ces patients. Pour autant, il n’a jamais été démontré que ces produits pouvaient réduire le risque cardiovasculaire et/ou améliorer le pronostic rénal dans cette population. De fait, la présomption du bénéfice de la correction de l’anémie chez ces patients à haut risque était telle qu’aucun essai contrôlé n’avait encore été mené jusque là. Financée par le laboratoire pharmaceutique produisant l’Aranesp ® , l’étude TREAT est donc la première étude versus placebo visant à répondre à cette question, et le moins que l’on puisse dire est que ses résultats risquent de remettre en cause la prise en charge de ces patients telle qu’on la connaît aujourd’hui. L’augmentation du risque d’AVC sous ASE n’avait jamais été retrouvée dans les grands essais menés jusqu’à lors, et notamment dans l’étude CHOIR [4]. Cet essai visant à comparer deux niveaux de corrections de l’hémoglobine (13,5 g/dl vs 11,3 g/dl) sous époétine alpha (Eprex ® ) chez des insuffi- sants rénaux chroniques pré-dialytiques, a du être arrêté prématurément en raison d’une augmentation du risque de mortalité et d’insuffisance cardiaque dans le groupe « 13,5 g/dl », mais le nombre d’AVC était

Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC

  • Upload
    patrice

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC

Dossier thématique

Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2011 - Hors série 1

27

© 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Le coin biblio de la SFD

Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVCPfeffer MA et al, for the TREAT (Trial to Reduce cardiovascular Events with Aranesp Therapy) Investigators A trial of darbepoetin alfa in type 2 diabetes and chronic kidney disease N Engl J Med 2009 ; 361 : 2019-2032

L’étude TREAT est une grande étude menée dans plus de 600 centres de 24 pays à travers le monde, incluant

4038 diabétiques de type 2 présentant un débit de filtration glomérulaire estimé entre 20 et 60 ml/mn/1,73 m2 (MDRD) et un taux d’hémoglobine ≤  11  g/dl (âge médian  : 68 ans, DFG : 34 ml/mn/1,73 m2, Hb : 10,4 g/dl, antécédents cardiovasculaires dans environ 2/3 des cas). Ces patients étaient randomisés en deux groupes, l’un traité par darbepoétine alpha (Aranesp®) pour tenter de maintenir une hémoglobine à 13 g/dl, l’autre recevant un placebo avec cependant recours temporaire à la darbepoétine alpha lorsque l’hémoglobine descendait en dessous de 9 g/dl. Les critères primaires de jugement étaient des composites constitués d’une part du nombre de décès et d’événements cardiovasculaires (IDM, AVC, insuffisance cardiaque, hospitalisation pour ischémie myocardique), de l’autre du nombre de décès et d’insuffisance rénale terminale. Initialement hebdomadaire, l’injection est devenue men-suelle chez 86,9 % des patients du groupe placebo et 84,6 % des patients du groupe darbepoétine alpha (moyenne 176 μg/mois en moyenne), et 46 % des patients du groupe placebo ont reçu au moins une injection de darbepoétine alpha au cours de l’étude.Au terme d’un suivi médian d’environ 30 mois, et en dépit des bénéfices significatifs sur l’anémie obtenus sous darbepoétine alpha (Hb 12,5 g/dl vs 10,6 g/dl, p < 0,001 ; recours à une transfusion 14,8 % vs 24,5 %, p < 0,001 ; recours au fer IV 14,8 % vs 20,4 %, p < 0,001), il n’y avait aucune différence entre les groupes pour les critères primaires de jugement (critère « cardiovasculaire » 31,4 % dans le groupe traité vs 29,7 % dans le groupe placebo ;

critère « rénal » 32,4 % dans le groupe traité vs 30,5 % dans le groupe placebo). Pris isolément, aucun des paramètres agrégés dans les critères primaires ne différait de façon significative entre darbepoétine alpha et placebo, à l’exception notable des AVC dont l’incidence était presque deux fois supé-rieure dans le groupe traité (5 % vs 2,6 % ; HR 1,92, IC95 % 1,38-2,68, p < 0,001). Des résultats comparables étaient retrouvés dans le sous-groupe de patients présentant des antécédents cardiovasculaires comme dans celui des patients fortement protéinuriques.Par ailleurs, l’état de fatigue était un peu plus souvent amélioré dans le groupe darbepoé-tine alpha (échelle FACT-Fatigue : diminution de la fatigue chez 54,7 % des patients du groupe traité et… 49,5 % du groupe placebo, p = 0,002), alors que les scores du question-naire SF-36 relatifs à l’énergie à la fonction physique étaient comparables entre les deux groupes. À noter enfin que l’incidence des accidents thromboemboliques veineux était plus importante dans le groupe traité (2,0 %) que dans le groupe placebo (1,1 %, p = 0,02), et que 7,4 % des patients présentant des antécédents de cancer sont décédés de cancer dans le groupe darbepoétine alpha (14 sur 188) contre seulement 0,6 % dans le groupe placebo (1 sur 160) (p = 0,002).

Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC

L’anémie constitue un marqueur précoce d’altération de la fonction rénale chez les

patients présentant une néphropathie chro-nique. Sa présence est un facteur de risque indépendant de morbi-mortalité cardiovas-culaire et de progression de la néphropathie, en particulier chez les diabétiques [1-2]. Chez les patients insuffisants rénaux chroniques, la cause principale de l’anémie est un déficit en érythropoïétine. Les agents stimulants de l’érythropoïèse (ASE), comme la darbepoétine alpha, agissent selon le même mécanisme que celui de l’hormone endogène, et sont aujourd’hui largement utilisés, et de plus en plus précocement, pour traiter l’anémie de ces patients. Pour autant, il n’a jamais été démontré que ces produits pouvaient réduire le risque cardiovasculaire et/ou améliorer le pronostic rénal dans cette population. De fait, la présomption du bénéfice de la correction de l’anémie chez ces patients à haut risque était telle qu’aucun essai contrôlé n’avait encore été mené jusque là. Financée par le laboratoire pharmaceutique produisant l’Aranesp®, l’étude TREAT est donc la première étude versus placebo visant à répondre à cette question, et le moins que l’on puisse dire est que ses résultats risquent de remettre en cause la prise en charge de ces patients telle qu’on la connaît aujourd’hui. L’augmentation du risque d’AVC sous ASE n’avait jamais été retrouvée dans les grands essais menés jusqu’à lors, et notamment dans l’étude CHOIR [4]. Cet essai visant à comparer deux niveaux de corrections de l’hémoglobine (13,5 g/dl vs 11,3 g/dl) sous époétine alpha (Eprex®) chez des insuffi-sants rénaux chroniques pré-dialytiques, a du être arrêté prématurément en raison d’une augmentation du risque de mortalité et d’insuffisance cardiaque dans le groupe « 13,5 g/dl », mais le nombre d’AVC était

Page 2: Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC

Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2011 - Hors série 1

28

Diabète de type 2 et insuffisance rénale chronique : traiter l’anémie par érythropoïétine double le risque d’AVC

identique dans les deux groupes. L’excès de risque d’AVC observé dans l’étude TREAT ne s’explique pas par une augmentation de la pression artérielle. Il est peut-être à mettre en perspective avec l’élévation du risque d’acci-dents thromboemboliques, déjà décrite dans d’autres études avec les agents stimulants de l’érythropoïèse.Si l’on ajoute à l’augmentation du risque d’AVC la surmortalité par cancer chez les patients présentant des antécédents de can-cer, donnée concordante avec les résultats d’une méta-analyse publiée récemment [4], on peut conclure comme les auteurs de l’étude TREAT que le ratio bénéfice-risque des ASE semble clairement défavorable

chez les diabétiques de type 2 insuffisants

rénaux chroniques pré-dialytiques, tout au

moins lorsque l’on recherche un seuil cible

de l’hémoglobine autour de 12 ou 13 g/dl.

Le ratio bénéfice-risque serait peut-être plus

favorable pour des objectifs moins élevés,

mais cela reste évidemment à démontrer.

P. D.

Références

[1] Vlagopoulos PT, et al. Anemia as a risk factor for cardiovascular disease and all-cause mortality in diabetes: the impact of chronic kidney disease. J Am Soc Nephrol 2005;16:3403-10.

[2] Babazono T, et al. Lower haemoglobin level and subsequent decline in kidney function in type 2 diabetic adults without clinical albuminuria. Diabetologia 2006;49:1387-93.

[3] Singh AK, et al. Correction af anemia with epoetin alfa in chronic kidney disease. N Engl J Med 2006;355:2085-98.

[4] Bohlius J, et al. Recombinant human erythropoiesis-stimulating agents and mortality in patients with cancer: a meta-analysis of randomised trials. Lancet 2009;373:1532-42. [Erratum Lancet 2009;374:28].