Diacritisme absent dans le Coran, pourquoi?

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  • 8/3/2019 Diacritisme absent dans le Coran, pourquoi?

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    Pourquoi le Coran est-il apparusans points diacritiques ?

    Les points diacritiques permettent de distinguer entre elles nombre de consonnes de la languearabe par comparaison, cest extrmement peu le cas en hbreu ou en aramen. Labsence de cespoints est une cause norme dambiguts, un t par exemple pouvant tre lu aussi bien commeun b , un y, un th /t ou encore un n . Or, cela fait un bon moment que les spcialistessavent que, contrairement ce qui a t dit longtemps, les signes diacritiques existaient dj

    presque tous au temps de Muhammad. Les voyelles sont apparues plus tard, mais leur absence elles na jamais empch la lecture : au plus est-ce l une cause dambiguts en quelques raresoccasions (par exemple quand le contexte nindique pas clairement si le verbe est une formeactive ou passive). Linscription arabe rcemment dcouverte sur un roc en Arabie Saoudite et quiest date de 644 fournit un bel exemple dcriture avec diacritisme (mais sans voyelle).

    Franois Droche, spcialiste des manuscrits arabes de la BN a reli la question au Coran[1]. Ona longtemps imagin que les signes diacritiques avaient t invents postrieurement aux premiersCorans et quils auraient alors t ajouts dans la mesure o les incertitudes saccumulaient dans latransmission orale et quune mise par crit plus rigoureuse simposait. Selon le rcit islamique de la rvlation en effet, les dclamations du prophte Muhammad auraient t notes sur dessupports divers, des omoplates de chameau, des pierres, etc. (mais bizarrement jamais ni sur dupapier ni sur des parchemins). Avec le temps et la diminution de la mmoire, il aurait fallu apporterdes prcisions aux premires mises par crit sans diacritisme. Il y aurait dailleurs eu jusqu septlectures possibles. cette difficult se seraient ajoutes celle de la collecte du Coran , puis cellesquamenaient les accomodements successifs subis par le texte, des divergences au point que

    Uthmn le premier puis dautres califes ensuite firent disparatre tous les corans non conformes .

    Ce rcit est bourr dinvraisemblances qui sont souvent des souvenirs dforms. La mmoire,extrmement fiable dans les cultures orales, nexplique ni le manque ni lapparition du diacritisme.Les supports si invraisemblables de la Rvlation (omoplates de chameau, pierres, etc.)ressemblent une pitre explication de la disparit des sourates coraniques et dabord de leursorigines des feuillets htroclites ?. Et si la lecture est tellement malaise, nest-ce pas dabordparce que les feuillets primitifs ntaient vraiment lisibles[2]que pour celui qui les avait critscomme des aide-mmoire personnels, dans le but de prparer ses prdications et non en vue de les

    publier un jour ?La force du rcit islamique est de cacher toutes ces questions sous une avalanche de faux

    dtails. Mais tt ou tard, la question capitale surgit : comment les dictes de Muhammad ont-elles pu tre si mal mises par crit si elles ont t considres ds le dbut comme inspires parDieu ? Et pourquoi un texte techniquement aussi mauvais a-t-il t recopi tel quel parfois duranttrois sicles ? Car, note Droche, de nombreux copistes se sont obstins ne pas mettre de

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    diacritisme, ou lont fait de manire anarchique :

    En fait, la comparaison entre diffrents fragments, voire entre diffrentes mains quand plusieurs copistes ont uni leurs efforts pour transcrire le Coran souligne lecaractre extrmement personnel de la ponctuation [diacritique] ; chacun met despoints l o cela lui semble bon (p.23).

    En tout tat de cause, les proto-musulmans ont t confronts non des problmes demmorisation mais des textes qui, dune manire ou dune autre, ne leur taient pas familiers.Venaient-ils de Dieu , par lintermdiaire dune mise par crit alors extraordinairement

    ngligente[3], ou de groupes autres que leurs propres cercles tribaux ? En tout cas, si Dieu aparl cette occasion, il faudrait Lui suggrer de sexprimer lavenir dans un meilleur arabe etsurtout avec moins dobscurits le texte en est truff, et cest peu dire[4]. En fait dobscuritstextuelles, heureusement, des chercheurs en ont clairci certaines grce un meilleur diacritisme :Christoph Luxenbergla fait, en sappuyant sur des formules existant en aramen, et plusrcemment Munther Youns[5]. Les rsultats sont indubitables.

    Traduction: Au nom de Dieu, moi, Zubayr, ai crit [ceci] au temps de Umar mort en lan 24 (= 644)

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    Envisageons maintenant les choses sous un autre angle de vue. Supposons que le but recherch partir de Uthman ait t davoir un texte opposer aux juifs et aux chrtiens, et que les seulsmatriaux dont ce Calife disposait taient les aide-mmoire (plausiblement sans diacritisme) laisssen arabe par les enseignants judo-nazarens (dont Waraqa) et datant de lpoque de Muhammad,ou mme davant lui. Le contenu de ces aide-mmoire ntait gure connu. Du reste, lauteur de lasourate 39 (verset 27) se plaint de ce que les Arabes ne se font pas deffort pour mmoriser (encoreparle-t-il l du lectionnaire traduit en arabe, non de ses commentaires ou de ses propresprdications). Quant lire ces aide-mmoire, le manque de diacritisme conduisait en donner des

    lectures divergentes. Mais le premier sujet de discorde tait videmment le choix de tel de cestextes plutt que tel autre. Le temps pressant, on en tira au plus vite un recueil en fait, on en tirajustement plusieurs qui entrrent en concurrence, comme le rapportent les traditions islamiques recopiant un choix assez arbitraire de ces aide-mmoire dont le contenu, connu grosso modo,semblait aller dans le sens de ce quon attendait : constituer quelque chose dopposable au livre des

    juifs et des chrtiens et magnifier llection par Dieu de la nation arabe.

    Comme on peut sen douter, les textes qui rsultrent de ces choix trop rapides nerpondaient que moyennement aux besoins de Uthman puis des Califes de Damas, et ne rsistaientpas la critique des juifs et des chrtiens (on leur interdit donc de lire le Coran !), et pas davantage celle des opposants des Califes (ou mme de leurs partisans un peu critiques). Cest pourquoi, desinterventions multiples et successives sur le texte savrrent ncessaires, ce qui conduisit lautoritpolitique imposer plusieurs fois de nouvelles versions, et brler les corans obsoltes, sous

    peine de mort pour les rcalcitrants. leur manire, les traditions islamiques voquent cesliminations successives.

    CONCLUSION

    Uthman fit appeler Coran (du nom du lectionnaire-coran/quran qui avait t en usage autemps de la tutelle nazarenne) le livre de rfrence quil commena mettre au point. Cette miseau point qui va se poursuivre paralllement la sacralisation progressive du texte contribua conserver la transcription dfective. Plus encore que le sens (incertain) du texte, cest le sens luidonner qui retardait lajout du diacritisme, pourtant ncessaire : ce qui tait en jeu ntait rien demoins que docculter la provenance des feuillets originels et dassurer la justification et la survie dupouvoir sacral et totalitaire des Califes. Tout cela n'encourageait gure les copistes clarifier letexte, au contraire.

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    [1]DEROCHE Franois, Beaut et efficacit : lcriture arabe au service de la rvlation [avec un petit r ] in

    KROPPManfred ed., Resultsof contemporary research on the Qurn. The question of a historical-critical text ofthe Qurn, Orient-Institut Beirut/ Wrzburg, Ergon Verlag, 2007. Il sagit des actes partiels dun Congrs quisest tenu luniversit de Mayence du 8 au 13 septembre 2002.

    [2]Selon Christoph Luxenberg (Relikte syro-aramischer Buchstaben in frhen Koran-Kodizes, in Der frheIslam. Eine historisch-kritische Rekonstruction anhand zeitgenssischher Quellen, Berlin, 2007, p.377-414), unedifficult supplmentaire de lecture (pour des Arabes) aurait t la prsence de feuillets en garuni (oukarshuni) cest--dire crits en arabe avec lalphabet syro-aramen (dit syriaque). Il se pourrait mme que lamajorit des feuillets primitifs du Coran soient concerns. On constate que la plupart des manuscrits anciens en

    langue arabe notamment tous ceux de la Bible, par exemple le ms Arab L sont crits de cette faon, etlcriture arabe ne commena simposer quavec le Calife Abd al-Malik (fin 7e sicle). Certains motsincomprhensibles du texte coranique actuel sexpliqueraient par une fausse lecture du garuni (en particulierdes confusions entre deux lettres qui se ressemblent en syriaque mais non en arabe, et dont la correctionrenvoie un mot connu dans une de ces deux langues). Exemple : en criture aramenne, le peut seconfondre facilement avec le l.

    Un exemple parmi d'autres (p.394-395) : prives de diacritisme (et de voyelles), les trois consonnespeuvent tre lues aussi bien comme Yuhannan (cest--dire le prnomJean signifiant Dieu fait grce enaramen, repris en arabe chrtien sans le diacritisme, les lettres yet n finales se ressemblent ; et leredoublement de la consonne [n] est lui-mme un signe diacritique tardif) que comme Yahya (la manire dontJean est transcrit dans le Coran), ou encore comme tahana, devenir dur, ce qui na pas de sens dans lecontexte. Les coranistes (ceux qui ont arrang le texte coranique que lon voit aujourdhui) voulaientprobablement montrer que les Arabes chrtiens et leurs vangiles se trompaient quant au nom deJean (et

    donc quant sa signification) ; ils inventrent les voyelles imposant la lecture Yahya (ce qui a un sens enarabe: il est vivant). Cest lunique explication possible, et elle est plus que probable.

    La graphie des premiers Corans conduisait dautant plus srement des confusions entre le n final et le yfinal ou ce quon a lu comme un yfinal , que, note Luxenberg, celui-ci ressemble normment au n aramende la fin dun mot (par exemple dans le BNF 328a conserv Paris).

    [3] Entre Dieu et la mise par crit, le dogme islamique (tardif) postule laction dun Prophte qui dicte etqui, dabord, reoit de lAnge Gabriel ce quil aura dicter.

    [4] Quant au contenu, les difficults sont plus nombreuses encore. Par exemple, Dieu peut-Il jurer parmoins que Lui, par le Mont Tr ou par le mont Sina , plutt que de jurer par Lui-mme comme Il lefait dans la Bible ?

    [5]Il a tabli que le verset 3 de la sourate 100 constitue un ajout. Cf. Munther YOUNES, ChargingSteeds or

    Maidens Doing Good Deeds ? A Re-Interpretation of Qurn 100 (al-diyt), inArabica 55, 2008, p.362-386.