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Sciences, technologies et sociétés de A à Z Sous la direction de Julien Prud’homme, Pierre Doray et Frédéric Bouchard Les Presses de l’Université de Montréal LIBRE ACCÈS Projet pilote réalisé en collaboration avec la Direction des bibliothèques de l’UdeM.

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Dicionário sobre Ciência, Tecnologia e Sociedade (em francês).

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  • Sciences, technologieset socits de A Z

    Sous la direction de

    Julien Prudhomme, Pierre Doray et Frdric Bouchard

    Les Presses de lUniversit de Montral

    LIBRE ACCS Projet pilote ralis

    en collaboration avec la Direction des bibliothques

    de lUdeM.

    Vaccination, OGM, pidmies, contraception, changements clima-tiques : voil des sujets portant controverse o la science semble autant juge que partie. Mais que sait-on vraiment du fonctionnement de la science et de la technologie ? Loues ou honnies, elles font intimement partie de notre vie, sans que nous ne comprenions toujours comment, ou pourquoi.

    Ce dictionnaire unique en son genre cartographie nos liens com-plexes avec la science et la technologie envisages comme phnomnes humains. Il dtaille le vocabulaire et les questions de la STS (Sciences, technologies et socits), champ des sciences humaines vou la compr-hension critique des savoirs et de leurs usages. Chaque entre prsente ltat des recherches sur un aspect prcis des sciences et des technologies et rend compte des acquis thoriques, des mthodes denqute et des dbats en cours.

    Fruit du rseau dexpertise du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), ce livre mobilise plusieurs disciplines sociologie, philosophie, management, communication, science politique, histoire, conomie et scientomtrie , tout en mettant lavant des concepts communs.

    Le grand public, les tudiants, les dcideurs et les chercheurs y trou-veront un outil de rfrence ncessaire pour rflchir autrement ces questions qui nourrissent nos inquitudes et nos plus grands espoirs.

    les directeurs

    Julien Prudhomme est chercheur associ au CIRST et professeur associ lUniver-sit du Qubec Montral. Pierre Doray est professeur au Dpartement de sociologie lUniversit du Qubec Montral. Frdric Bouchard est directeur du CIRST et le premier titulaire de la chaire SOPE de philosophie, lUniversit de Montral. Cet ouvrage est aussi le fruit dun comit scientifique compos de Jean-Pierre Beaud, Yves Gingras, Serge Proulx et Majlinda Zhegu.

    PRUDHOMME DORAY

    BOUCHARD

    SCIENCES

    , TEC

    HNOLO

    GIES ET SO

    CIT

    S DE A Z

    PUM

    19,95 $ 18 eCouverture : Le grand collisionneur de hadrons CERN

    Disponible en version numriquewww.pum.umontreal.ca

    isbn 978-2-7606-3495-4

    Sciences, techno-couv-2.indd 1 2015-04-21 16:26

  • sciences, technologies et socits de a z

  • Sciences, technologies et socits de a Z

    Sous la direction deJulien Prudhomme, Pierre Doray et Frdric Bouchard

    Les Presses de lUniversit de Montral

  • Mise en pages : Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothque et Archives nationales du Qubec et Bibliothque et Archives Canada

    Vedette principale au titre :

    Sciences, technologies et socits de A Z

    Comprend des rfrences bibliographiques.

    ISBN 978-2-7606-3495-4

    1. Sciences Aspect social Dictionnaires franais. 2. Technologie Aspect social Dictionnaires franais. I. Bouchard, Frdric, 1975- . II.Prudhomme, Jocelyn.

    Q175.5.S3422 2015 303.48303 C2015-940519-X

    Dpt lgal : 2e trimestre 2015Bibliothque et Archives nationales du Qubec Les Presses de lUniversit de Montral, 2015

    iSBN (papier) 978-2-7606-3495-4iSBN (ePub) 978-2-7606-3497-8iSBN (PDF) 978-2-7606-3496-1

    Les Presses de lUniversit de Montral reconnaissent laide financire du gouvernement du Canada par lentremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activits ddition et remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Socit de dve-loppement des entreprises culturelles du Qubec (SODEC).

    imprim au canada

  • 7Remerciements

    Derrire chaque projet collectif se cache une histoire de collaborations et de curiosits partages. Le prsent ouvrage est le fruit dun travail de longue haleine qui a mis profit les rseaux de collaboration inter-disciplinaire propres au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Le CIRST rassemble une quarantaine de chercheurs provenant dune dizaine dinstitutions et dautant de disciplines des sciences humaines et sociales. Parmi plusieurs parte-naires prcieux, soulignons en particulier lUQAM et lUniversit de Montral ainsi que le Fonds de recherche du Qubec Socit et culture. Le soutien de nos partenaires nous permet dapporter une contribution concrte la recherche fondamentale en sciences humaines et sociales, recherche qui savre un guide essentiel pour comprendre et grer les transformations de nos socits.

    Lidation du volume et la rvision des textes ont largement profit de lapport dun comit scientifique compos de Jean-Pierre Beaud, Yves Gingras, Serge Proulx et Majlinda Zhegu, dont le travail remarquable a constitu la pierre dassise du projet. Martine Foisy, coordonnatrice au CIRST, a aussi jou un rle essentiel dans la bonne marche des oprations. Jen profite finalement pour remercier les deux autres codi-recteurs de rdaction, Julien Prudhomme et Pierre Doray, sans qui ce volume naurait pas vu le jour.

    Frdric Bouchard

  • 9Parlez-vous STS ?

    Julien Prud homme

    Sautez cette introduction , crivait Ian Hacking en prsentant la Structure des rvolutions scientifiques de T. Kuhn, revenez-y plus tard si vous le souhaitez1 . Un sage conseil, lorsque lon tient un ouvrage atypique entre ses mains.

    Quand a-t-on commenc rflchir sur la science, sur ce que nous faisons du savoir et sur ce quil fait de nous en retour ? Quand cessera-t-on de penser la technologie, avec qui nos contacts sintensifient chaque jour ? Le projet de ce livre est de rcapituler cette pense curieuse, de la stimuler et de la diffuser. Le public, les tudiants, les dcideurs et les chercheurs devraient y voir tant un outil de rfrence pratique quune occasion de rflexion. En labordant depuis leurs propres proccupa-tions, ils y trouveront des repres des dfinitions, des bilans sur ltat de la recherche, des problmes non rsolus, des propositions originales, des bibliographies, des indications succinctes et claires pour sy retrou-ver dans une vaste littrature et guider en connaissance de cause leur rflexion sur la dimension humaine des sciences et des technologies.

    Il nexiste pas vraiment de dictionnaire accessible et en franais sur ltude sociale du fait scientifique et technique ce que lon appelle le champ STS , pour science, technologie et socit 2. Sciences,

    1. Ian Hacking, Introductory Essay , Thomas S. Kuhn (2012 [1962]), The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press, p. vii.

    2. Le manuel de Dominique Vinck et le Guide de Michel Wautelet et de ses collaborateurs offrent des travaux de belle qualit, quoique de facture diffrente : Dominique Vinck (2007), Science et socit. Sociologie du travail scientifique, Paris, A. Colin, 302p. ; Michel Wautelet, Damien Duvivier, Pierre Ozer et Bernard Querton (2014), Sciences, technologies et socit. Guide pratique en 300 questions, Bruxelles, De Boeck (4e dition).

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    sciences, technologies et socits

    technologies et socits de A Z remplit cet office. Activement parcouru, il rvle la trame, le vocabulaire, les questions et la mouvante unit dune communaut de pense et de recherche, voue la saisie cri-tique des sciences et des technologies entendues comme phnomnes humains et sociaux. force de le parcourir en tous sens, den exploiter les renvois et den cumer lindex, on pourrait bien se surprendre le lire dun trait.

    Chaque entre prsente ltat des recherches sur un aspect prcis de ltude des sciences et des technologies, en rendant compte tant des acquis de la recherche que des dbats thoriques ou mthodologiques en cours. Travail collectif, fruit du rseau dexpertise, de la culture de lchange et des projets communs du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), lensemble mobilise plusieurs disciplines sociologie, philosophie, management, commu-nication, science politique, histoire, conomie ou scientomtrie tout en mettant en avant les concepts transversaux et les changes interdis-ciplinaires qui transcendent ces divisions.

    Le territoire couvert est vaste. Les sciences et les technologies forment un ensemble tendu, constitu de savoirs et de concepts intgrs dans des thories, des pratiques et des objets physiques qui orientent laction sociale, et plus prcisment interagissent avec les acteurs sociaux (concepteurs et usagers, individuels et collectifs) qui semploient pour leur part, de manire continue, les produire et les transformer. Production, diffusion, mise en uvre et valuation rflexive des sciences et des technologies se mlent ainsi constamment, gnrant des situations complexes que les individus et les collectivits doivent sapproprier. Au-del dun dictionnaire, nous offrons en quelque sorte un atlas du rapport contemporain la science et la technologie.

    Ces situations sont abordes de multiples manires. On peut distin-guer trois veines principales de rflexion et de recherche. La premire est une sociologie historique et une pistmologie en contexte : elle raconte la formation des ides et des institutions savantes, dcrit les cadres intellectuels et sociaux des propositions scientifiques, identifie les ressorts du changement dans la pratique de la science. la fois une histoire des ides et un rappel du poids des contextes, elle fait voir autrement les trajectoires actuelles de la pense et de luniversit. Elle dialogue avec des approches plus normatives, en qute de meilleures

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    parlez-vous sts ?

    rgles pistmologiques ou thiques, pour penser la tension entre les normes idelles et lhistoricit des pratiques.

    Une seconde veine de questions concerne la cration et le devenir de lobjet technique. Des approches varies rvlent une technologie la fois produite, diffuse, et approprie. La recherche peut adopter une facture ethnographique et documenter le poids des interactions sociales dans ces processus. Elle peut aussi se concentrer sur linfluence dacteurs plus institus, comme ltat ou lentreprise prive, sur le dyna-misme de linnovation. Dautres sattardent limpact des technologies sur la participation sociale, identifiant les demandes croissantes pour une plus grande interaction entre producteurs et usagers quil sagisse de firmes commerciales ou de communauts dinternautes. On peut aussi se proccuper des lieux pratiques de la diffusion du savoir, comme lcole, le muse ou les mdias de masse.

    Les sciences et les technologies, enfin, sont des choses qui se grent de plus en plus, dailleurs. Une troisime veine de rflexion pense loptimisation de cette gestion. La proprit intellectuelle, la valorisa-tion de la technologie et la mesure des performances scientifiques des fins acadmiques ou commerciales mobilisent beaucoup defforts et comportent des cueils viter. Les quilibres dlicats entre la collabo-ration, la comptition et le contrle, entre le local, le national et le mon-dial, entre lorganisationnel, lconomique et le politique, supposent une rflexion fine et informe.

    Cette brve typologie puise-t-elle les possibles dune interrogation critique des sciences et des technologies dans leur contexte social ? Le champ est si fcond quil faut sattendre des mutations continues. Anticiper cet avenir exige aussi des outils pour rendre intelligible le mou-vement des sciences et des techniques. Les quatre-vingt-deux entres offertes ici dressent un panorama englobant des rflexions en cours et un portrait suffisamment structur et accessible pour sy reprer.

    Un tel compendium rappelle limportance dun dialogue ancr dans un vocabulaire prcis et une curiosit partage entre tous les penseurs dsireux dentretenir une relation intelligente et police ce fait social sans prcdent quest lessor des sciences et des technologies. Ce dialogue est exigeant, mais la matrise de notre avenir commun ne requiert-elle pas une meilleure comprhension du potentiel et des limites de la science ?

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    Alliances technologiquesJorge Niosi

    Il y a quelques annes, le mot coopration ne figurait pas dans les dic-tionnaires de sciences conomiques (comme ceux de Pearce ou encore de Bannock et de ses collaborateurs). La coopration est pourtant omniprsente dans lconomie. Les employs de chaque organisation cooprent rgulirement entre eux. Les gouvernements de divers pays cooprent dans des organisations internationales comme lOCDE, lONU, lONUDI, lUNESCO, mais aussi dans des marchs rgionaux comme lUnion europenne, le MERCOSUR ou lALENA. Mme dans la thorie conomique, le concept de coopration gagne du terrain avec les travaux dElinor Ostrom, une conomiste amricaine qui a montr que les agents conomiques peuvent cooprer pour viter la destruction des biens publics et grer collectivement ces biens.

    Les entreprises prives cooprent aussi entre elles. Elles le font pour partager certaines ressources et certains quipements (au sein de coopratives agricoles, par exemple), pour conclure des accords commerciaux (comme les alliances entre compagnies ariennes), mais aussi pour crer de nouvelles technologies ou pour en maximiser les rendements (voir Invention et innovation et cono mie de l innovation).

    Lconomie traditionnelle (noclassique) affirme que la producti-vit et lquilibre (la main invisible de lconomie) sont guids par la concurrence. Depuis une vingtaine dannes, la notion de coopration brouille toutefois cette image darwinienne de la lutte pour la survie entre les agents conomiques (individus, entreprises et organisations, y compris gouvernementales). De nouveaux modes de gestion, bass sur les routines des firmes asiatiques, et une analyse plus empirique et plus fine de la vie conomique ont remis la coopration lordre du jour, notamment sur le plan technologique.

    Les raisons qui expliquent lexistence de ces alliances techno-logiques sont nombreuses : raliser des conomies denvergure et de varit, accder de nouveaux marchs, rduire les cots de la recherche-dveloppement, recevoir des connaissances et des techno-logies complmentaires, ou obtenir du financement pour la R-D (voir Recherche et dveloppement).

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    sciences, technologies et socits

    Les alliances technologiques entre les entreprises sont de divers types : horizontales lorsquelles ont lieu entre des entreprises de la mme industrie (par exemple, entre P&W Canada et lAllemande MTU pour produire des moteurs davion), verticales lorsquelles surviennent entre un assembleur ou usager et un fournisseur de pices ou de com-posantes (par exemple, Hydro-Qubec et ABB, ou bien Bombardier et P&W Canada), ou latrales lorsquelles surviennent entre des socits provenant de secteurs industriels diffrents et qui cooprent pour don-ner une nouvelle utilisation des composantes connues (par exemple, entre les industries des semi-conducteurs et de lhorlogerie).

    Lorsque ces accords technologiques impliquent des montants rduits ou des technologies peu stratgiques, les cooprants ne se don-nent pas souvent la peine de formaliser par crit leur collaboration. Des entreprises se consultent ainsi rgulirement sur des questions tech-nologiques sans tre obliges de rdiger de longs et coteux contrats. Par contre, lorsque des sommes importantes sont en jeu, ou lorsque des technologies-cls, actuelles ou davenir, mettent en cause lexistence mme de la compagnie, les entreprises signent des accords de coopra-tion (terme le plus souvent employ pour dsigner ces accords).

    La coopration entre organisations semble plus frquente lorsque les recherches sont de type prcomptitif. Plus prs de la phase de la commercialisation, les entreprises sont moins enclines cooprer, mais lorsquelles le font les montants investis sont plus substantiels. Par ailleurs, les petites et moyennes entreprises mnent un pourcentage plus lev de leur R-D en coopration que les grandes socits, mme si, long terme, elles bnficient moins de la coopration technologique que les grandes entreprises cause de leurs limitations sur le plan de la taille et des ressources.

    Les gouvernements ont emboit le pas aux entreprises et autres organisations impliques dans la coopration. Ils lont fait dabord en modifiant les lois anti-trust qui auraient empch la collaboration entre socits de la mme industrie (voir volution de la rglementation). Ils ont aussi modifi plusieurs politiques de science, technologie et inno-vation afin de susciter la coopration non seulement entre les entre-prises, mais aussi entre les universits et les entreprises, les laboratoires publics et les entreprises, et entre les universits et les laboratoires dtat (voir Universit). LUnion europenne, par exemple, a multipli les pro-

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    amateurs

    grammes en vue daccrotre la coopration entre organisations de divers pays, organisations qui jusqu la fin des annes 1980 staient canton-nes des alliances purement nationales (voir Internationalisation de la R-D). Il sagit de programmes cadres dont le dernier, le septime, est actuellement en cours avec une dotation de plus de 50 milliards deuros, tmoignant de limportance croissante attribue la coopration.

    1

    Alic, J. (1990), Cooperation in R&D , Technovation, vol. 10, no 5, p. 319-332.Bannock, G., R. E. Baxter et Evans Davis (1998), Dictionary of Economics, Londres, Wiley.Chun, H. et S. B. Mun (2012), Determinants of R&D cooperation in small and medium-

    sized enterprises , Small Business Economics, vol. 39, no 2, p. 419-436.Niosi, J. (1995), Vers linnovation flexible : les alliances technologiques de lindustrie cana-

    dienne, Presses de lUniversit de Montral.Ostrom, E. (2010), Beyond markets and states : polycentric governance of complex

    economic systems , American Economic Review, vol. 100, no 3, p. 641-672.Pearce, D. W. (dir.) (1983), The Dictionary of Modern Economics, Boston, MIT Press.

    AmateursLorna Heaton

    La participation des amateurs la production scientifique nest pas un phnomne nouveau, particulirement dans les sciences de terrain o la dimension descriptive tient une place importante. En botanique, comme en astronomie, elle remonte au 19e sicle. La production de cartes gographiques est lie aux pratiques damateurs au moins depuis que Waldseemller a dessin et nomm lAmerica en 1507. Cependant, le dveloppement de linformatique et la prolifration des outils et supports numriques, depuis la fin des annes 1990, permettent denvisager la participation des amateurs et du grand public la recherche scientifique comme une stratgie de recherche raliste pour certains problmes scientifiques. En fait, le nombre de projets qui sollicitent la partici-pation des amateurs explose, au point o nous avons vu lmergence de portails spcialiss afin de connecter projets et contributeurs. Les technologies numriques ont jou un rle structurant dans lmergence dune pratique amateure structure. Elles permettent la multiplication

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    sciences, technologies et socits

    denceintes informelles de partage des connaissances, au point de transformer des amateurs en travailleurs invisibles de la science. Lmergence de ces nouvelles pratiques est aussi directement lie de nouveaux outils dobservation (GPS personnels, par exemple), de production, dagrgation et de partage de donnes. Ces technologies permettent une stabilisation de certaines connaissances en les stan-dardisant sous forme de donnes mises en bases interoprables (voir Infrastructure sociotechnique et Rseau socionumrique).

    Dans la majorit des projets nord-amricains, les amateurs sont rarement impliqus dans la dfinition des questions ou dans linterpr-tation des rsultats. Ils joueraient plutt un simple rle de capteurs : les amateurs sont mobiliss pour former un rseau de senseurs humains pour la collecte de donnes (projets eBird et Monarch Watch) ou le traitement de donnes (Stardust@Home, Galaxy Zoo). Les projets de traitement de donnes sappuient sur des capacits de reconnais-sance de motifs et de rsolution de problmes (Foldit) qui dpassent la capacit dordinateurs individuels. titre dexemple, dans Galaxy Zoo, des amateurs aident la rduction des donnes en classifiant des images de galaxies selon leurs formes.

    Mme si la contribution des amateurs est gnralement restreinte et cadre dans les projets dfinis et grs par des quipes de scien-tifiques, leur participation peut permettre une vritable production de connaissances scientifiques (voir Innovation ouverte). Au-del du traitement dimages, les participants de Galaxy Zoo ont fait des dcou-vertes, tel le Voorwerp de Hanny , un nouvel objet astronomique dcouvert en 2007, ce qui a soulev de nouvelles questions scientifiques. Dans un autre cas, le jeu vido Foldit sur le repliement de protines est bas sur des algorithmes connus. Dans certains cas de figure, le jeu a permis de rsoudre des problmes pineux en seulement quelques jours. Ces solutions fournissent des pistes pour la conception de nou-velles protines, telles que de nouveaux catalyseurs pour la photo-synthse ou des protines capables de sattaquer des virus comme ceux du sida ou de la grippe H1N1. Enfin, comme il existe une multi-tude de faons de rsoudre des problmes de ce type, les chercheurs esprent amliorer les algorithmes employs par les logiciels de pliage des protines en analysant les solutions proposes par de multiples contributeurs.

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    amateurs

    Les amateurs prennent une place nouvelle dans la production des connaissances scientifiques. Leur participation renvoie davantage des formes de division du travail dans la chane de production des connaissances scientifiques. Ces formes de participation ne sont pas exactement celles quavaient caractrises les interactions entre savoirs profanes et savoirs experts ayant donn lieu lmergence plus ou moins russie de forums hybrides dans lenvironnement mdical nous pensons ici aux interactions entre malades devenus porte-parole de leur propre maladie et mdecins soignants.

    Les amateurs semblent vouloir se spcialiser dans la production et la circulation de connaissances scientifiques se situant en amont ou ct des connaissances acadmiques classiques. Ces domaines de connaissances relvent de la vulgarisation scientifique, de linstrumen-tation technique ou des infrastructures informationnelles (bases de donnes). Cette participation est troitement lie lusage des mdias sociaux et du Web 2.0. Tout en crant des espaces de communication facilitant les interactions entre professionnels et amateurs ( collges invisibles et petite science ), ces nouvelles plateformes offrent des possibilits pour la participation du plus grand nombre la coproduc-tion des connaissances scientifiques.

    1

    Benkler, Yochai (2007), The Wealth of Networks : How Social Production Transforms Markets and Freedom, New Haven, CT, Yale University Press.

    Bonney, R., H. Ballard, R. Jordan, E. McCallie, T. Phillips, J. Shirk et C. Wilderman (2009), Public Participation in Scientific Research : Defining the Field and Assessing Its Potential for Informal Science Education. A CAISE Inquiry Group Report, Center for Advancement of Informal Science Education (CAISE), Washington, D.C.

    Charvolin, F., A. Micoud et L. K. Nyhart (dir.) (2007), Des sciences citoyennes ? La question de lamateur dans les sciences naturalistes, Paris, ditions de lAube.

    Cooper, S., F. Khatib, A. Treuille, J. Barbero, J. Lee, M. Beenen, A. Leaver-Fay, D. Baker, Z. Popovic et Foldit (2010), Predicting protein structures with a multiplayer online game , Nature, vol. 466, p. 756-760.

    Epstein, S. (1996), Impure Science : AIDS, Activism, and the Politics of Knowledge, Berkeley, University of California Press.

    Goodchild, Michael F. (2007), Citizens as sensors : the world of volunteered geography , GeoJournal, vol. 69, p. 211-221.

    Kelling, S., J. Yu, J. Gerbracht et W. K. Wong (2011), Emergent Filters : Automated Data Verification in a Large-Scale Citizen Science Project , eScienceW, p. 20-27, 2011 IEEE Seventh International Conference on e-Science Work shops.

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    sciences, technologies et socits

    Lievrouw, L. (2010), Social Media and the Production of Knowledge : A Return to Little Science ? , Social Epistemology, vol. 24, no 3, p. 219-237.

    Neilsen, M. (2012), Reinventing Discovery : The New Era of Networked Science, Princeton University Press.

    Rabeharisoa, V. et M. Callon (1999), Le pouvoir des malades : lassociation franaise contre les myopathies et la recherche, Paris, Presses des Mines.

    Wiggins, A., Newman, G., Stevenson, R. D. et Crowston, K. (2011), Mechanisms for Data Quality and Validation in Citizen Science , e-Science Workshops, IEEE Computer Society, p. 14-19.

    Wiggins, A. Crowston, K. (2011), From Conservation to Crowdsourcing : A Typology of Citizen Science , HICSS, vol. 44.

    Analogie et mtaphore en sciencesJean-Pierre Marquis

    Les analogies et les mtaphores jouent un rle central dans la pense humaine en gnral et dans les sciences en particulier. En sciences, elles ont un statut ambigu. Dune part, puisquelles constituent un outil central ou fructueux de la pense humaine, il nest pas tonnant de voir les analogies jouer un rle important dans la pense scientifique, surtout lorsquon explore cette dernire sous langle de la crativit. Cette fonction des analogies, qui apparat ds la naissance de la science occidentale, y prend un statut particulier de par la nature des analogies exploites par les scientifiques, puisque ces analogies nont pas la mme profondeur , pour ainsi dire, que la majorit des analogies employes au quotidien. Dautre part, le raisonnement par analogie tant mani-festement invalide et napportant, de ce fait, aucune justification aux conclusions quil entend dfendre, les analogies et les mtaphores sont en gnral proscrites du discours scientifique officiel (voir Science et Connaissance tacite). Bref, bien quindispensables dans le processus de cration scientifique, les analogies et les mtaphores doivent tre pur-ges de la justification du discours scientifique. Elles seraient comme les chafauds permettant de construire un difice et que lon fait disparatre une fois celui-ci termin. Toutefois, certains philosophes ont argument que les modles scientifiques eux-mmes seraient des mtaphores ou des analogies (voir Modles scientifiques). Notons gale-ment quelles rapparaissent dans lenseignement des sciences, aspect

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    analogie et mtaphore en sciences

    dont nous ne discuterons pas ici. Avant de commenter ces diffrentes dimensions, clarifions brivement la nature des termes impliqus.

    tant donn un objet ou systme X ayant les proprits A1, , An, et un objet ou systme Y ayant les proprits B1, , Bn, , une analogie entre X et Y est une correspondance (souvent partielle) entre les attri-buts de X et les attributs de Y. On dit que X est la source de lanalogie et quY en est le but ; le but est souvent le systme que le chercheur tente de comprendre grce lanalogie. Ainsi, on prsente souvent le modle de latome de Bohr comme une analogie entre le systme solaire et latome. De mme, on parle du modle des boules de billard pour les gaz comme dune analogie entre les gaz et des boules de billard qui se dplaceraient dans lespace. On se contente parfois de dire que des systmes X et Y sont analogues sils sont semblables ou similaires sous certains aspects pertinents.

    Une mtaphore, par ailleurs, est gnralement entendue comme une analogie dans laquelle la correspondance seffectue par le biais dune fusion, cest--dire quon attribue directement au but certaines proprits de la source, ou encore que la comparaison est laisse impli-cite, ce qui donne le mme rsultat. Un exemple classique de mtaphore littraire est lhomme est un loup .

    Les philosophes ont rintroduit les analogies et les mtaphores dans leur analyse du discours scientifique en affirmant que les modles scientifiques taient des mtaphores nous dirions aujour dhui que certains modles sont analogiques et quil existe dautres types de modles scientifiques. Max Black et Mary Hesse ont t, dans les annes 1960, les instigateurs de cette approche.

    Ainsi, Hesse a suggr une classification des analogies pertinentes en sciences. Les analogies les plus simples et superficielles sont celles o les systmes X et Y possdent des proprits communes : ainsi, on pourrait affirmer que les requins sont analogues aux baleines puis quils vivent dans la mer, ont des nageoires, etc. On peut galement exploiter des relations entre des parties de la source et du but pour tablir lanalogie. Ainsi, en mdecine, on a longtemps affirm que la constitution du corps humain tait analogue la constitution de lUnivers et que, comme ce dernier comporte quatre lments fondamentaux (eau, terre, air et feu), le corps humain devait comprendre lui quatre lments fondamentaux

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    sciences, technologies et socits

    (phlegme, bile noire, sang et bile jaune). Selon Hesse, ces analogies sont des analogies matrielles.

    Il existe galement des analogies formelles ou structurales. Ainsi, lorsque deux systmes physiques, par exemple un pendule et un oscil-lateur lectrique, obissent aux mmes quations mathmatiques, Hesse affirme quil existe une analogie formelle entre les deux systmes. Finalement, Hesse introduit une distinction entre les analogies posi-tives, les analogies ngatives et les analogies neutres. Les proprits partages par la source et le but constituent des analogies positives, alors que les proprits qui distinguent la source du but forment len-semble des analogies ngatives. Les proprits du but que lon ne peut classer du ct des analogies positives ou ngatives sont des analogies neutres. Selon Hesse, ces dernires jouent un rle important dans la recherche scientifique, car elles peuvent guider les chercheurs vers de nouvelles hypothses originales.

    Cest dailleurs probablement lorsquelles concernent la crativit et la recherche scientifique que les tudes sur le rle des analogies et des mtaphores savrent les plus fructueuses. Des recherches, historiques ou menes auprs de chercheurs contemporains, portent ainsi sur le raisonnement des scientifiques et rvlent limportance des analogies dans llaboration des concepts, des hypothses et des thories (voir Thorie scientifique).

    1

    Blanchette, I. et K. Dunbar (2000), How analogies are generated : The roles of structural and superficial similarity , Memory & Cognition, vol. 28, no 1, p. 108-124.

    Dunbar, K. (1995), How scientists really reason : Scientific reasoning in real-world laboratories , The Nature of Insight, p. 365-395.

    (2001), What scientific thinking reveals about the nature of cognition , dans K. D. Crowley, C. D. Schunn et T. Okada (dir.), Designing for Science : Implications from Everyday, Classroom, and Professional Settings, Lawrence Erl-baum, p. 115-140.

    Guay A. et Y. Gingras (2011), The uses of analogies in seventeenth and eighteenth century science , Perspectives on Science, vol. 19, no 2, p. 154-191.

    Hallyn, Fernand (2000), Metaphor and Analogy in the Sciences, vol. 1, Origins Studies in the Sources of Scientific Creativity, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers.

    Helman, David Henry (1988), Analogical Reasoning : Perspectives of Artificial Intelligence, Cognitive Science, and Philosophy, vol. 197, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers.

    Hesse, M. B. (1980), The explanatory function of metaphor , Revolutions and Recons-tructions in the Philosophy of Science, p. 111-124.

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    (1966), Models and analogies in science, vol. 7, University of Notre Dame Press.Holyoak, Keith James et Robert G. Morrison (2005), The Cambridge Handbook of Thinking

    and Reasoning, New York, Cambridge University Press.Holyoak, Keith James et Paul Thagard (1995), Mental Leaps : Analogy in Creative Thought,

    Cambridge (MA), MIT Press.

    Approches dentre-sortieL. Martin Cloutier

    De par le monde, les gouvernements investissent dans la R-D pour soute-nir les activits dinnovation dans le but damliorer la performance co-nomique et dtablir un avantage concurrentiel durable (voir conomie, science et technologie). Toutefois, lissue des activits de R-D est porteuse dincertitudes, car les projets de R-D naboutissent pas ncessairement aux rsultats souhaits ltape de la recherche ou du dveloppement (voir Externalits de la R-D). Par exemple, les retombes (spillovers, en anglais) de la R-D ne se font souvent sentir qu trs long terme, aprs dix, quinze ans ou plus tard encore. Des milliers dtudes sont menes sur les retombes de la R-D : dans une mta-analyse portant uniquement sur la question de lagriculture, Alston et ses collaborateurs ont ainsi pu utiliser les rsultats denviron 2000 tudes sur le sujet !

    La mesure de limpact macroconomique des activits de R-D constitue une problmatique mthodologique de taille. Les cots de la R-D sont gnralement dbourss en amont, et les rsultats, qui passent par la constitution dun stock de connaissances suffisant pour mener ladoption et la diffusion des innovations, peuvent schelonner sur de longues annes, voire des dcennies. La situation typique est que lactivit de recherche prend beaucoup de temps avant dinfluencer la production et quensuite, ses rpercussions peuvent sobserver sur une priode de temps indtermine. Pour un produit ou un secteur spcifique, il est extrmement difficile de documenter avec certitude les priodes dinvestissements, daccumulation des stocks de connais-sances et de rpercussions sur la productivit conomique. Les limites gographiques associes lanalyse des retombes posent galement problme sur le plan mthodologique. Les recherches doivent prendre en considration le fait que la R-D mene lintrieur dune juridiction

    approches dentre-sortie

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    sciences, technologies et socits

    donne aura forcment des retombes sur les juridictions voisines. On retrouve galement la notion de retombe interindustrielle , qui prend en compte la manire dont les activits de R-D dun secteur donn contribuent la performance conomique dautres secteurs.

    Les approches dentre-sortie ont justement t introduites par Leontief pour analyser les activits interindustrielles. Des modles dentre-sortie sont dsormais employs dans de nombreuses juridic-tions travers le monde afin de justifier tout projet devant faire lobjet dun financement public. Les analyses dimpacts macroconomiques par les modles dentre-sortie permettent de mesurer les rpercussions, dans lconomie, dactivits conomiques ou de projets dinvestissement denvergure dans une industrie donne. Les tableaux dentre-sortie sont des modles de comptabilit nationale, mais sont galement utiliss en conomie rgionale (voir Systme statistique national et Systmes d innovation). Ces approches servent mesurer les impacts des indus-tries en amont, donc des fournisseurs. Gnralement, les indicateurs conomiques dintrt de ces tudes sont les effets macroconomiques directs dun secteur ou dun sous-secteur, quil sagisse de ses effets directs, indirects ou induits , ou encore dune combinaison de ces types deffets, sur lemploi, le produit intrieur brut (PIB) et la production.

    La structure des tableaux dentre-sortie est actualise environ quatre ou cinq ans suivant un recensement. Pour compenser ce dca-lage, diverses mthodes permettent dactualiser sur une base annuelle les valeurs des matrices de comptabilit nationale, en tenant compte de lvolution des donnes sur la structure technologique du pays. Ces actualisations annuelles des matrices dentre-sortie nactualisent tou-tefois pas la fonction de production de Leontief qui structure le modle. Au Canada, par exemple, les modles dentre-sortie sont structurel-lement (donc technologiquement, pour les fonctions de production de Leontief) actualiss environ tous les cinq ans en rfrence aux donnes colliges lors des annes de recensement. Les multiplicateurs demplois ou de PIB peuvent tre actualiss plus frquemment.

    Les approches dentre-sortie ont permis dexaminer limpact de laccumulation du stock de connaissances en R-D dans un secteur donn sur la performance dun autre secteur (en matire de croissance, dexportation, de brevetage ou du nombre dinnovations). Ces modles ont donc t utiliss pour mesurer limpact des dpenses de R-D sur

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    approches dentre-sortie

    lconomie. titre dexemple, Terleckyj a mesur limpact des flux de R-D sur la croissance et la productivit, alors que Scherer a examin limpact des flux de brevets interindustriels. DeBresson a aussi utilis les matrices dentre-sortie pour valuer les liens entre les activits co-nomiques, les interactions sociales et les rseaux dinnovations. Bien que les enjeux mthodologiques demeurent importants, les approches dentre-sortie ont permis de mesurer les retombes dactivits de R-D, dtablir que certains secteurs sont fournisseurs de R-D alors que dautres sont plus mme de tirer profit de ces retombes interindus-trielles, et que ces retombes varient entre les secteurs de lconomie, entre les juridictions et dans le temps. Les approches dentre-sortie peuvent ainsi servir doutils daide la dcision en guidant le finance-ment de la R-D vers des retombes plus productives (voir Gestion de la technologie).

    1

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    sciences, technologies et socits

    Appropriation des technologiesGuillaume Latzko-Toth et Serge Proulx

    La notion dappropriation dsigne la fois un processus individuel et collectif (cognitif, culturel et social) dans le rapport aux objets tech-niques, et une approche de la sociologie des techniques qui met en vidence le rle actif des usagers dans la construction sociale des technologies et de leurs usages. La notion a dabord t labore dans le cadre dune rflexion sociopolitique, pour souligner lautonomie que lusager peut dmontrer vis--vis des objets techniques. En ce sens, elle sinscrit dans une double filiation : celle de la notion marxiste dappro-priation des moyens de production (et donc des machines, dans un refus dalination dnonce jadis par les luddites), et celle, emprunte la sociolinguistique, dappropriation de la langue par ses locuteurs. Cette deuxime ascendance, qui trouve chos dans la thorie littraire et la thorie de lart, sest notamment nourrie des ides de Michel de Certeau sur les rapports entre consommation et production. Pour ce dernier, les usagers se trouvent en position de tacticien face au dploiement des stratgies industrielles : leurs moyens sont plus modestes et leur champ daction, plus restreint. Toutefois, il leur est possible de se constituer un propre , autrement dit de sapproprier un domaine au sein du dis-positif technique qui leur est propos ou impos.

    Pour de Certeau, cest la pratique qui constitue ce domaine o sex-prime la crativit des pratiquants, quil appelle poesis. Cest sur cette fondation thorique que se construit, dans la sphre francophone, le concept dappropriation des dispositifs techniques par les usagers, non sans que dautres dimensions sociologiques ne lui soient ajoutes : attribution de sens ( lobjet, ses usages), acquisition dune comp-tence et dune culture technique, insertion dans la vie quotidienne et articulation dautres pratiques culturelles. Une tradition de recherche similaire, lie aux approches dveloppes dans les tudes culturelles (cultural studies), sarticule autour du concept de domestication des objets techniques, dvelopp par Roger Silverstone partir de tra-vaux sur la rception des mdias, la sociologie de la consommation et lanthropologie des cultures matrielles.

    Pour exister en tant que dispositif, il faut quun artefact soit utilis et socialis, autrement dit quil soit insr dans un contexte social et

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    appropriation des technologies

    que des usages se dveloppent. Or, lusager contribue de diffrentes manires llaboration de ces usages, et il peut mme en inventer que les concepteurs navaient ni anticips ni mme souhaits, usages cra-tifs que Pierre Rabardel appelle des catachrses . Lappropriation dun objet technique peut tre plus ou moins pousse, allant dune personnalisation superficielle (modifications cosmtiques dun appareil, slection des boutons affichs dans les barres doutils dun logiciel) jusqu louverture de la bote noire (modifier le code dun programme pour ladapter ses besoins, remplacer des pices dune voi-ture pour la rendre plus performante). Pour sa part, Madeleine Akrich a propos une typologie des formes de crativit de lusager qui est aussi une gradation des carts entre les usages prescrits par les concepteurs et les pratiques effectives des usagers : elle distingue ainsi le dplace-ment (objet utilis dans un contexte diffrent de celui envisag par le concepteur), ladaptation (objet lgrement modifi pour sadapter au contexte dusage), lextension (objet greff dlments largissant ses fonctionnalits) et enfin le dtournement, par lequel un objet est utilis dautres fins que celles prvues par ses concepteurs. Eric von Hippel a dcrit la modalit de lextension au sein de communauts de sportifs de pointe qui adaptent leurs besoins des objets existants, produisant ainsi des artefacts ensuite reproduits par les industriels, phnomne quil appelle innovation par lusage ou innovation horizontale .

    En rsum, lappropriation individuelle dune technologie est un processus par lequel lusager lintgre sa vie quotidienne tout en ladaptant sa personnalit et ses besoins. Une appropriation complte suppose : a) un apprentissage lui permettant dacqurir un minimum de matrise technique et cognitive (comptence dans lutili-sation) ; b) lintgration de la technologie ses routines et habitudes de vie (insertion de lobjet dans le quotidien, banalisation) ; c) des usages cratifs (innovation par rapport au mode demploi). Ces critres peuvent tre envisags comme les conditions de ralisation dun idaltype dans la trajectoire dappropriation.

    Par ailleurs, lappropriation collective dun dispositif technique dsigne sa mise en uvre (utilisation, conception, dveloppement) par un groupe ou une catgorie sociale, dans le but daccrotre son auto-nomie ainsi que sa capacit dagir (empowerment) vis--vis des autres composantes de la socit. Lappropriation individuelle est lie une

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    sciences, technologies et socits

    appropriation collective de la technologie, puisque sans une reprsen-tation politique adquate (par exemple association dautomobilistes, mouvement du logiciel libre), le rapport de forces entre producteurs et usagers reste largement en faveur des premiers.

    1

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    BibliomtrieVincent Larivire

    La bibliomtrie est lanalyse quantitative des caractristiques des docu-ments (articles, actes de confrences, etc.) publis par les chercheurs (voir Quantification et mesure). Dabord cre par les bibliothcaires au milieu du 19e sicle afin de grer leurs collections, la bibliomtrie sest diffuse plus largement avec la cration par Eugne Garfield de lInsti-tute for Scientific Information (ISI) au milieu du 20esicle. Bien que le terme bibliomtrie puisse sappliquer la mesure de nimporte quel type

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    bibliomtrie

    de littrature romans, journaux ou priodiques scientifiques , il est gnralement utilis pour la mesure de la science et de la technologie et donc appliqu aux documents scientifiques. On utilise galement les termes scientomtrie (sciento metrics) ou infomtrie (informetrics) comme synonymes.

    La prmisse de la bibliomtrie est que les nouvelles connaissances sont incorpores dans la littrature scientifique et quen mesurant les caractristiques de cette littrature, on mesure certains attributs de la production des connaissances. Lutilisation actuelle de la bibliomtrie va de la sociologie des sciences aux sciences de linformation, en pas-sant par les tudes conomiques sur linnovation et lvaluation de la recherche (voir Sociologie des sciences).

    Les donnes bibliomtriques proviennent en gnral des bases de donnes. ce jour, deux bases sont principalement utilises : le Web of Science de Thomson Reuters (anciennement ISI) et la base Scopus de Elsevier. Alors que la premire indexe les articles publis dans environ 11 500 revues les plus cites de leurs domaines respectifs , la seconde couvre un ensemble de revues plus large, soit environ 17 500, sans avoir de critres dindexation bien dfinis. La diffrence quant au nombre darticles et de citations est toutefois plus faible les revues couvertes uniquement par Scopus sont de petite taille et la corrlation entre les deux bases de donnes pour ce qui est des publications et des citations est trs leve. Bien que ces sources de donnes recensent plusieurs types de documents, seuls les articles, les notes de recherche et les articles de synthse sont gnralement utiliss dans les tudes biblio-mtriques, parce quils reprsentent les principaux canaux de diffusion des connaissances nouvelles (voir valuation par les pairs). Ces bases de donnes indexent les adresses de chacun des auteurs des publications, ce qui permet la rgionalisation de la production scientifique et la compilation de taux de collaboration nationale et internationale (voir Internationalisation de la R-D).

    Plusieurs types dindicateurs peuvent tre compils avec les mtho-des bibliomtriques, tels des indicateurs relatifs la faon dont les recherches sont conduites (collaboration, volution des thmatiques de recherche) ainsi que des indicateurs dimpact scientifique, bass sur les citations reues par les articles. On considre ainsi que les articles les plus cits ont davantage dimpact scientifique que ceux qui le sont

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    sciences, technologies et socits

    moins (voir Citation et Facteur d impact). En outre, lorsque jumeles des donnes sociodmographiques (ge, sexe, statut professionnel, etc.) ou conomiques, les donnes bibliomtriques permettent lanalyse des dterminants de lactivit de recherche (voir Femmes et sciences).

    En raison de la couverture diffrentielle de ces bases de donnes aucune nindexe lensemble de la littrature publie , la fiabilit des indicateurs bibliomtriques varie selon les domaines. Ils sont gnralement trs fiables pour les sciences naturelles, biomdicales et du gnie, mais le sont beaucoup moins pour les sciences sociales et les humanits. En effet, les mdias de diffusion et, par extension, lensemble des mdias de communication sont plus varis en sciences sociales et humaines (SSH) que dans les sciences naturelles et le gnie (SNG). Plusieurs chercheurs ont soulign ces diffrences fondamen-tales entre les pratiques de communication des chercheurs en SNG et des chercheurs en SSH (voir Champ et Sciences sociales). Cela se reflte dans le rle plus grand que jouent les monographies, les actes de colloques et la littrature non scientifique en SSH. Selon la discipline, les articles peuvent ntre quun mode de publication relativement mineur compar dautres, tels les livres. Malheureuse ment, aucune base de donnes ne couvre ces autres formes de publications de faon aussi systmatique et exhaustive que ne le font le Web of Science ou Scopus pour les articles de revues. Les sujets de recherche en SSH sont aussi souvent plus locaux et, consquemment, les chercheurs des SSH publient davantage dans leur langue nationale et dans des revues dis-tribution plus limite. Or, ces revues plus locales, non anglophones, ne sont que rarement indexes dans les bases de donnes anglo-saxonnes, ce qui a dimportantes consquences sur la couverture bibliomtrique des publications en SSH en provenance des pays nayant pas langlais comme langue principale de communication.

    1

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    brevets et dveloppement de la proprit intellectuelle

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    Moed, H.F. (2005), Citation analysis in research evaluation, Dordrecht, Springer.Nederhof, A. J., R. A. Zwaan, R. E. Debruin et P. J. Dekker (1989), Assessing the Use-

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    Wouters, P. (1999), The Citation Culture, thse de doctorat, Universit dAmsterdam.

    Brevets et dveloppement de la proprit intellectuelleJean-Pierre Robitaille et Pascal Lemelin

    Les brevets dinvention sont des titres de proprit intellectuelle conf-rant leurs titulaires le monopole dexploitation, dune dure limite (denviron vingt ans), pour une invention cre, en change de la divul-gation publique de ses caractristiques et de son mode de fonctionne-ment (voir Invention et innovation).

    Pour tre brevete et donc protge, une invention doit respecter trois critres. Elle doit dabord tre nouvelle ou originale, cest--dire ne pas dupliquer une invention antrieure, brevete ou non, que celle-ci ait t effectivement ralise ou soit reste un concept crit. Une invention brevetable doit aussi tre non triviale (non-obvious) ou faire preuve dune conception inventive, cest--dire quelle doit se distinguer de faon significative de ltat des connaissances (ou tat de lart ) dans son domaine dapplication. Elle doit, enfin, tre concr-tement utile ou pouvoir donner lieu une application industrielle, cest--dire reprsenter un gain tangible et substantiel aux yeux de

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    sciences, technologies et socits

    personnes comptentes dans ce domaine dapplication (voir Gestion de la technologie).

    Au-del de ces trois critres, linvention propose doit aussi faire partie du domaine des choses brevetables, ce qui inclut les machines, les mcanismes, les procds, les produits manufacturs, les composs matriels et mme le matriel vivant, dans la mesure o il rsulte de lindustrie humaine. Le domaine des choses brevetables exclut par contre les programmes informatiques, les algorithmes mathmatiques, les thories scientifiques, les jeux dfinis comme des ensembles de rgles, les contrats daffaires, etc.

    Bien quils soient dabord et avant tout des instruments lgaux de proprit intellectuelle, les brevets offrent aussi compte tenu de leurs liens vidents avec linvention et linnovation de prcieuses donnes pour ltude quantitative du dveloppement technologique, ou tech-nomtrie (voir Bibliomtrie). Un avantage reconnu des brevets est que, pour des raisons administratives et lgales, ils sont rpertoris dans des banques de donnes depuis de nombreuses annes, ce qui facilite beaucoup leur reprage et leur traitement en nombre comme indicateur de la ST. Puisquil sagit de documents lgaux, les informations quils contiennent sont gnralement trs prcises. Mieux que les donnes sur linvestissement en R-D, les brevets permettraient aussi de mesurer linvention et linnovation dans les petites entreprises. Plus important, la fiabilit des donnes sur les brevets comme indicateurs dinnovation technologique a t dmontre par plusieurs enqutes. Les entreprises brevetteraient en effet une large portion de leurs inventions, et il sem-blerait quune bonne part des inventions brevetes poursuivraient effectivement le cycle de linnovation jusqu devenir des produits ou des procds rellement utiliss (voir Recherche et dveloppement).

    Les indicateurs-brevets comportent toutefois des limites, au nom-bre de quatre. Tout dabord, si de nombreux brevets dbouchent effecti-vement sur des innovations, plusieurs inventions brevetes natteignent pas le stade de la mise en valeur ou de la commercialisation, soit parce que le concept noffre quun faible potentiel commercial ou que, pour une raison ou une autre, le dtenteur du brevet prfre sabstenir de dvelopper son invention. Par ailleurs, des changements historiques et contingents dans le systme des brevets affectent le comportement

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    des indicateurs et donc la comparabilit des donnes dans le temps. Autrement dit, les tendances du brevetage ne traduisent pas nces-sairement de faon fidle les tendances de lactivit inventive et de linnovation. Lutilisation des donnes dun bureau national pose aussi le problme des comparaisons internationales, puisque les inventeurs du territoire national y sont nettement surreprsents, ce quon appelle lavantage domestique (home advantage). Enfin, puisque toutes les inventions ne sont pas ncessairement brevetes (mme parmi celles qui sont thoriquement brevetables), les donnes sur les brevets ne livrent pas ncessairement un portrait complet de lactivit inventive.

    Ces limites ne compromettent toutefois pas de faon majeure la validit des indicateurs-brevets puisque des mthodes ont t dve-loppes afin den rduire les effets. Par exemple, les statistiques sur les familles de brevets (une mme invention brevete auprs de plusieurs bureaux nationaux) corrigent significativement lavantage domestique, en plus de produire des mesures axes davantage sur les inventions dotes du meilleur potentiel dinnovation ou du meilleur potentiel commercial.

    Puisque le fait de dtenir un bon portefeuille de brevets confre des avantages industriels et commerciaux indniables, plusieurs entre-prises ont dvelopp ces dernires annes des stratgies de proprit intellectuelle de plus en plus sophistiques et astucieuses. Par exemple, certaines entreprises dsigne comme des trolls , qui ne ralisent aucune R-D et ne produisent strictement rien de tangible, possdent nanmoins de nombreux brevets achets sur le march secondaire de la proprit intellectuelle, et grce auxquels elles gnrent des revenus substantiels en intentant des poursuites contre dautres entreprises quelles accusent dempiter sur leur proprit intellectuelle. Dautres entreprises, rellement actives dans une filire technologique particu-lire, protgent leurs produits de la concurrence en dveloppant autour de cette filire un rseau trs dense de brevets dfensifs, bloquant du coup le dveloppement de produits concurrents. Ces brevets dfensifs ne dbouchent videmment sur aucune innovation relle et ne reposent souvent sur aucune activit inventive substantielle.

    Bien sr, de telles tendances dans le dveloppement de la proprit intellectuelle sont parfaitement comprhensibles du point de vue des

    brevets et dveloppement de la proprit intellectuelle

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    sciences, technologies et socits

    stratgies daffaires dont elles sont issues. Du point de vue de la techno-mtrie par contre, il faut noter quelles tendent accentuer les dcalages entre les indicateurs bass sur les brevets et lactivit inventive dont ils sont censs rendre compte.

    1

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    USPTO (2012), Manual of Patent Examining Procedure (MPEP), 8e dition, Alexandria (VA), US Department of Commerce, U.S. Patent and Trademark Office.

    Cartographie conceptuelleL. Martin Cloutier

    Linformation et la connaissance se transmettent souvent par crit mais, depuis la nuit des temps, elles sont aussi reprsentes visuelle-ment et spatialement par des cartes. La cartographie conceptuelle peut prendre de multiples formes. La littrature en offre de nombreuses variantes et appellations, notamment, pour en citer quelques-unes : carte conceptuelle, carte de concepts, carte cognitive, carte mentale, carte de connaissances, carte smantique, etc.

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    cartographie conceptuelle

    Le terme carte cognitive , introduit par E. C. Tolman en 1948, dsigne un outil cognitif qui reprsente visuellement des liens entre des concepts. Un tel outil permet un individu dacqurir, de stocker, de coder, de rechercher et dinterprter de linformation et les con-naissances dun objet, souvent par analogie ou mtaphoriquement, dans une organisation spatiale donne (voir Analogie et mtaphore en sciences). Le besoin dune telle cartographie conceptuelle demeure tou-jours prsent aujourdhui, alors que les soutiens techniques et logiciels favorisent et multiplient les possibilits nouvelles.

    La cartographie conceptuelle a trouv des applications dans de nombreux domaines scientifiques et techniques dont lanatomie, le droit, lvaluation de programmes, larchitecture, la gographie, le management, la planification, la psychologie, la gestion de processus, larchologie ou la golocalisation. La reprsentation des objets par des cartes attire galement les chercheurs et les consultants en gestion des organisations, de mme que les chercheurs et gestionnaires intresss par les approches de la prospective et la recherche-action participative, utiles aux processus de dcision. La mise en place de cadres mthodo-logiques descendants (top-down, en anglais) ou ascendants (bottom-up) permettent de reprsenter divers concepts sur une carte et les chercheurs sont souvent des acteurs au centre de la production de ces reprsentations.

    Les cartes conceptuelles, ou cognitives, peuvent tre instables parce quelles demeurent la traduction dun discours, et demeurent ce titre sujettes de multiples interprtations par les parties prenantes au processus de reprsentation. Elles peuvent nanmoins servir de point de dpart pour dynamiser , voire tester, linterprtation dune repr-sentation initialement statique dun objet. En effet, les rsultats obtenus par les modles de simulation par ordinateur peuvent contribuer sta-biliser les cartes mentales des individus qui fournissent, seuls ou en groupe, les connaissances tacites, expertises, donnes et informations utiles la comprhension de phnomnes, de processus, de structures et de comportements (voir Modles scientifiques et Connaissance tacite).

    Les approches lies aux cartes conceptuelles labores en groupes mritent que lon sy attarde, car elles ont rcemment fait lobjet dappli-cations formelles dans de nombreux domaines. Dans une perspective participative, la reprsentation conceptuelle de groupes par des cartes

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    sciences, technologies et socits

    offre de nombreuses possibilits. Trochim, par exemple, a introduit une approche qualitative et quantitative de cartographie de concepts, visant llaboration de cartes conceptuelles par lentremise de calculs statistiques, pouvant favoriser le dialogue entre les membres de groupes et de sous-groupes, ainsi que lvaluation de consensus sous-jacents.

    Lapproche systmique de Trochim permet la formalisation dun processus participatif de groupe, souvent en mode prospectif, o des noncs fournis par les participants sont ensuite classs par concepts et traits par la mthode dchelonnage multidimensionnel et une clas-sification ascendante hirarchique. Elle permet la formalisation dun processus dlaboration de la cartographie conceptuelle dont la logique ne relve ni de la dduction, ni de linduction, mais plutt dun proces-sus infrentiel d abduction , selon le mot de Charreire et Durieux. Des dveloppements rcents de cette approche permettent dvaluer et de vrifier la cohrence des rsultats par des tests statistiques de fiabilit, ce qui peut limiter lintroduction de biais dans le processus dlaboration de cartes conceptuelles. Le rle du chercheur en est alors un de facilitateur du processus de cartographie conceptuelle. ce titre, les recherches rcentes nous autoriseraient redfinir la cartographie conceptuelle comme le rsultat dun processus, individuel (descendant) ou en groupe (ascendant), de construction systmique dune repr-sentation conceptuelle spatiale dun objet en utilisant les analogies, mtaphores et reprsentations cognitives des individus, qui forgent des interprtations de ces reprsentations en contexte spcifique.

    1

    Charreire S. et F. Durieux (2003), Explorer et tester : deux voies pour la recherche , dans R. A. Thitart (dir.), Mthodes de recherche en management, 2e dition, Dunod, p. 57-81.

    Cossette, P. et M. Audet (2004), Quest-ce quune carte cognitive ? , dans P. Cossette (dir.), Cartes cognitives et organisations, ditions de lADREG, p. 31-60.

    Kane, M. et W. M. K. Trochim (2007), Concept Mapping for Planning and Evaluation, Thousand Oaks (CA), Sage Publications.

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    catgorie

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    Trochim, W. M. K. (1989), Concept mapping : Soft science or hard art ? , Evaluation and Program Planning, vol. 12, no 1, p. 87-110.

    CatgorieLuc Faucher

    Il existe plusieurs faons de catgoriser les objets du monde. Par exemple, en regardant le champ qui stend devant moi, je peux regrou-per les objets selon leur couleur (il y a des fleurs jaunes, des arbres au feuillage vert, des pierres grises), selon certaines proprits qui mintressent (certaines fleurs sont comestibles ; dautres, toxiques) ou selon leur appartenance des espces biologiques (cet arbre est un rable gigure ou acer negundo ; cette fleur, un lys des prairies ou lilium philadelphicum ; cette pierre, un granit ; celle-l, une quartzite). Comme le remarquait Mill dans son Systme de logique : Quelques classes nont rien ou presque rien en commun qui puisse servir les caractriser, si ce nest prcisment ce qui est connot par le nom. Les choses blanches, par exemple, nont pas dautre proprit commune que la blancheur ; mais des centaines de gnrations nont pu puiser les proprits communes des animaux et des plantes, du soufre ou du phos-phore. Nous ne les supposons mme pas puisables, et nous poursuivons nos observations et nos expriences avec la pleine conviction de pouvoir dcouvrir sans cesse de nouvelles proprits non impliques dans celles dj connues (1865/1995, p. 136). On dira souvent des classes dont les individus ont peu en commun quelles sont des catgories superficielles ou conventionnelles, et des classes dont les individus ont de nombreuses proprits communes quelles sont des catgories relles ou naturelles. On ajoutera parfois que les secondes suivent ce que lon nomme la dcoupe du monde : en effet, par opposition aux catgories superfi-cielles, une catgorie relle ou naturelle est gnralement comprise comme existant objectivement , cest--dire indpendamment des activits classificatrices humaines. Ce sont des catgories de ce type que les scientifiques cherchent identifier et ce sont elles que les

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    sciences, technologies et socits

    concepts classificatoires des diffrentes sciences veulent rfrer (voir Classification et Objectivit et rgulation).

    Une catgorie scientifique est donc une catgorie qui regroupe des individus ayant de nombreuses proprits en commun. Parce quils ont de nombreuses proprits en commun, il est possible de formuler de nombreuses gnralisations inductives leur propos. On postule habi-tuellement que les membres de la catgorie partagent ces proprits parce quils partagent une essence commune (et non quils partagent ces proprits de faon accidentelle). Une partie importante du travail scientifique consiste pour cette raison chercher et dcouvrir cette essence. Dcouvrir que, contrairement ce que lon pensait, des objets que lon croyait former une catgorie naturelle nont pas dessence com-mune a souvent conduit, dans lhistoire, labandon de cette catgorie (voir Thorie scientifique).

    Il existe en philosophie de nombreuses faons de dfinir ce quest une essence. Une des conceptions contemporaines les plus sophis-tiques de lessentialisme est celle de Richard Boyd. Selon Boyd, les membres dune espce naturelle tendent prsenter des groupes de caractristiques typiques (qui nont pas tre des conditions nces-saires dappartenance au groupe : par exemple, les chiens ont typique-ment quatre pattes, mais un chien qui nen a que trois est encore un chien), qui peuvent tre expliques causalement par des mcanismes, des processus ou des structures (qui peuvent tre internes ou externes). Comme lont crit Keller, Boyd et Wheeler au sujet de leur thorie des espces naturelles (thorie dite des grappes homostatiques de pro-prits ou Homeostatic Property Cluster Kinds), les termes despce naturelle rfrent des familles de proprits telles que (1) celles-ci tendent tre (imparfaitement) cooccurentes dans la nature ; (2) leur cooccurrence est explique par des mcanismes (importants du point de vue inductif et explicatif) qui tablissent une sorte dhomostasie (imparfaite) entre elles ; et (3) lunit homo statique quelles dmontrent (imparfaitement) est un facteur important du point de vue causal et explicatif des systmes complexes que nous tudions (2003, p. 104-105). Boyd propose donc que les membres dune espce possdent une essence dite causale , cest--dire un ensemble de mcanismes auxquels il faut faire rfrence pour expliquer la cooccurrence, mme imparfaite, des proprits typiques de ceux-ci.

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    champ

    Prenons pour exemple leau. Tous les chantillons deau possdent une structure molculaire identique (H20). Les proprits de surface de leau son caractre aqueux, le fait quelle bout 100 degrs Celsius, etc. sexpliquent par rfrence cette structure. Savoir quun objet x est membre de lespce naturelle X permet de faire des prdictions quant aux proprits de cet objet : si x est un chantillon deau, alors il devrait bouillir 100 degrs. De mme, si on dcouvre une proprit en tudiant un seul ou quelques chantillons deau, on sera justifi de sattendre ce que les autres chantillons que nous navons pas tudis possdent galement cette proprit (cest ce que lon nomme la pro-jectibilit, une proprit caractristique des catgories scientifiques).

    Si, dans le cas de leau, ce qui permet de faire des gnralisations au sujet des chantillons du liquide est la microstructure du liquide, dans le cas des espces biologiques (species) ces mcanismes peuvent tre des mcanismes physiologiques ou comportementaux (causant lisolation reproductive de certaines populations). Dans le cas des catgories de sciences humaines par exemple, les classes sociales ou lethnie, ce qui expliquerait la cohsion des membres des groupes (et qui fait en sorte que lon peut noncer des gnralits assez robustes leur sujet) pourrait tre des mcanismes psychologiques ou sociaux (comme lintriorisation de certains strotypes ou lexistence de barrires institutionnelles empchant laccs certaines ressources).

    1

    Boyd, R. (1999), Homeostasis, Species, and Higher Taxa , dans Robert Wilson (dir.), Species : New Interdisciplinary Essays, Cambridge (MA), M.I.T. Press, p. 141-185.

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    Mill, J. S. (1995 [1965]), Systme de logique : dductive et inductive, Paris, Mardaga.

    ChampYves Gingras

    Voulant rompre avec limage idyllique dune communaut scientifi-que implicitement homogne, uvrant de faon collective au progrs de la science et rgie par les rgles de don et de contre-don caractristiques,

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    sciences, technologies et socits

    daprs Warren Hagstrom, des socits prcapitalistes, le sociologue franais Pierre Bourdieu propose, en 1975, le modle dune socit capi-taliste dans laquelle les agents sont en comptition pour le monopole de lautorit scientifique. Il applique ainsi au cas de la science sa thorie gnrale des champs sociaux.

    Le modle propos par Bourdieu se fonde sur une analogie explicite et systmatique avec lconomie capitaliste fonde sur laccumulation du capital (voir Analogie et mtaphores). La diffrence majeure rside dans le fait que dans le champ scientifique (par opposition au champ conomique), le rle moteur nest pas jou par le capital conomique, mais par le capital symbolique, cest--dire le capital de reconnaissance scientifique au sein du champ.

    La science, mme la plus pure, est pour Bourdieu un champ social comme un autre, avec ses rapports de force et ses monopoles, ses luttes et ses stratgies, ses intrts et ses profits, mais o tous ces invariants revtent des formes spcifiques (1975, p. 91). Elle est un espace social relativement autonome, fortement hirarchis et structur en fonction des ressources diversifies des agents qui en font partie (voir Universit). Le monopole de l autorit scientifique , insparablement dfinie comme capacit technique et comme pouvoir social , est lenjeu spci-fique au champ scientifique, enjeu qui le distingue des autres champs sociaux. Bien sr, ce monopole est une situation limite, jamais atteinte, et le champ scientifique est toujours le lieu dune lutte plus ou moins ingale, entre des acteurs ingalement pourvus de capital scientifique, donc ingalement en mesure de sapproprier le produit du travail scien-tifique que produisent par leur collaboration objective lensemble des concurrents en mettant en uvre lensemble des moyens de production scientifique disponibles (ibid., p. 102). Aussi, la structure du champ scientifique est dfinie chaque moment par ltat du rapport de forces entre les protagonistes de la lutte, agents ou institutions, cest--dire par la structure de la distribution du capital spcifique, rsultat des luttes antrieures qui se trouve objectiv dans des institutions et des dispo-sitions et qui commande les stratgies et les chances objectives des diffrents agents ou institutions dans les luttes prsentes (ibid., p. 100).

    la diffrence de lconomie capitaliste, qui ne connat que le capital conomique, la dynamique du champ scientifique (comme des

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    autres champs) dpend, en plus du capital conomique, de la distribu-tion de trois sortes de capitaux : social (constitu de relations mobili-sables), culturel (form de savoirs accumuls) et symbolique (capital de reconnaissance et de crdibilit). Les stratgies des chercheurs (choix des objets dtude, des lieux de publication) se comprennent, dans ce modle, comme des investissements en rfrence une anti-cipation (consciente ou inconsciente) des chances probables de profit symbolique (reconnaissance, prix), anticipation elle-mme fonde chaque moment sur le volume et la structure des capitaux possds (voir Modles scientifiques).

    La position dun chercheur dans le champ dpend des rsultats des investissements antrieurs qui dfinissent ainsi une trajectoire. Le sens du jeu scientifique sacquiert par une socialisation (formation scolaire) au sein du champ qui dfinit un habitus particulier, dfini comme un ensemble de schmes gnrateurs de pratiques et dvalua-tion des pratiques. Le concept dhabitus permet ainsi de donner un fon-dement historique et anthropologique aux notions de savoir tacite , de discipline et de paradigme, lhabitus acquis du physicien tant diffrent de celui du biologiste, dfinissant un sens pratique diffrent (voir Discipline et Paradigme). Avec les concepts de champ, dhabitus, de capital et dintrt, Bourdieu fournit ainsi un modle de la science qui se distingue de celui de Merton, fond sur un ensemble de normes, mais en intgre les acquis en les rinterprtant sous un mode plus conflictuel que communautaire. De plus, ce modle sinsre dans une sociologie gnrale et a donc une structure thorique plus large que celle de la sociologie des intrts, qui noffre pas de concepts spcifiques pour penser les relations avec les autres sphres sociales ou la socialisation des agents (voir Sociologie des sciences). Enfin, le modle bourdieusien vite les analyses purement microsociologiques et interactionnistes et tient compte des contraintes institutionnelles et des liens avec les autres champs (conomique, mdiatique et politique, par exemple).

    Bourdieu pose le postulat de base de la sociologie des sciences, quil partage donc avec Merton : la vrit du produit sagirait-il de ce produit trs particulier quest la vrit scientifique rside dans une espce particulire de conditions sociales de production . Bourdieu admet ainsi que les vrits scientifiques existent et sont des produit[s]

    champ

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    sciences, technologies et socits

    trs particulier[s] dont la validit (la vrit), tout en mergeant dans des conditions sociales et historiques donnes, est relativement ind-pendante de leurs conditions sociales de production.

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    Bourdieu, P. (1975), La spcificit du champ scientifique et les conditions sociales du progrs de la raison , Sociologie et socits, vol. 7, no 1, p. 91-118.

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    Science in Context, Cambridge, MIT Press, p. 35-43.

    CitationJean-Pierre Robitaille et Vincent Larivire

    La citation, ou lacte de faire rfrence une uvre, est considre en sociologie des sciences comme un marqueur de capital symbolique (voir Champ et Sociologie des sciences). Elle constitue aussi, en bibliomtrie, un concept de base sur lequel reposent les mesures dimpact scienti-fique (voir Bibliomtrie). En raison dune innovation technique majeure ralise dans les sciences de linformation, les citations se sont imposes ces dernires annes comme un objet de recherche central dans le champ des tudes sociales de la science. Cette innovation, le Science Citation Index (SCI), a en effet ouvert la voie des analyses de citations beaucoup plus systmatiques et extensives que celles qui avaient t pratiques manuellement jusque-l. Elle a aussi relanc les dbats et les rflexions sur la fonction et la signification de la citation dans le processus de communication savante.

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    citation

    LorsquEugene Garfield et son quipe de lInstitute for Scientific Information (ISI) crent le SCI au dbut des annes 1960, leur objectif consiste dvelopper une nouvelle mthode dindexation des publica-tions scientifiques, mieux adapte au besoin de lheure dans le domaine de la communication savante. Face au rythme acclr de la production scientifique de laprs-guerre, il sagit alors dindexer un flot croissant de publications et, pour ce faire, de dpasser deux limites importantes des mthodes classiques par sujets et mots-cls. Ces dernires, dune part, requirent beaucoup de temps de travail de bibliothcaires spcialiss qui doivent procder lanalyse du contenu cognitif de chacun des articles recenss. Dautre part, puisquelles supposent aussi lutilisation dun vocabulaire contrl issu des disciplines scientifiques, elles tardent rendre compte du dveloppement des objets de recherche interdisci-plinaires (voir Classification et Interdisciplinarit).

    Partant du principe que les rfrences bibliographiques sont en rapport direct avec le contenu de larticle o elles apparaissent et quelles expriment donc, en quelque sorte, des associations dides, Garfield et son quipe proposent de les ajouter de faon systmatique aux informations des fiches bibliographiques standards (auteur, titre, anne, etc.) des publications recenses dans le SCI. Inspire des index du domaine juridique, cette procdure confre au SCI sa valeur unique, puisquen reliant les fiches des articles citants (qui font rfrence une publication antrieure) aux fiches des articles cits (utiliss comme rfrences dans une publication subsquente), le SCI retrace en fait la toile du savoir en production. De proche en proche, il permet ainsi de remonter dans la littrature scientifique aux origines dune dcouverte ou dun concept ou, encore, de dcouvrir en aval les utilisa-tions subsquentes des ides scientifiques (voir Paradigme et Migration conceptuelle).

    Au-del de cette fonction premire dindexation et de recherche documentaire, le SCI est aussi devenu assez rapidement un outil de mesure de la littrature scientifique. Grce linformatique, des cen-taines de millions de liens entre articles citants et articles cits ont t tablis pour calculer, par exemple, le facteur dimpact des revues scientifiques, soit le nombre moyen de citations reues par article publi (voir Facteur d impact). Utilis par lISI pour identifier les revues les plus visibles et donc celles quil convient de recenser en priorit, le facteur

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    sciences, technologies et socits

    dimpact constitue aussi un outil daide la dcision dans la gestion des collections de revues des bibliothques scientifiques.

    Suivant la croissance des besoins en valuation de la recherche, les comptes de citations sont aussi utiliss, de plus en plus frquem-ment, pour mesurer la notorit, limpact, voire la qualit des articles scientifiques et donc des chercheurs qui les produisent. Cette tendance sest toutefois accompagne de nombreuses critiques. Sur un plan strictement quantitatif, on a soulign que le nombre absolu de citations reues ne traduit pas ncessairement la valeur scientifique intrinsque de larticle cit, puisque ce nombre est aussi dtermin par plusieurs fac-teurs extrinsques. Mentionnons, entre autres, le temps coul depuis la parution, de mme que la discipline de publication : toutes choses tant gales par ailleurs, les articles plus anciens et qui appartiennent des disciplines dotes dune forte densit de publication (la biomdecine, par exemple) accumulent davantage de citations que les autres et ce, indpendamment de leur valeur scientifique. En bibliomtrie toutefois, ces problmes sont corrigs par lemploi de procdures de normalisa-tion appropries.

    Sur le plan qualitatif, dautre part, la signification mme de lacte de citer a aussi t mise en doute. Critiquant lapproche normative de Merton selon laquelle la citation traduit la reconnaissance explicite des pairs, lapproche constructiviste met plutt en vidence la multiplicit des motivations citer, parmi lesquelles la reconnaissance du travail cit ctoie des intentions moins dfrentes de distanciation, de correc-tion, dinvalidation, etc. (voir valuation par les pairs). Il faut souligner par contre que les cas de travaux scientifiques abondamment cits de faon ngative sont plutt rares et que cela tmoigne encore malgr tout dun impact certain. En consquence, les indicateurs de citations demeurent gnralement considrs comme des outils valables dva-luation de la recherche.

    1

    Bornmann, L. et H. D. Daniel (2008), What do citation counts measure ? A review of studies on citing behavior , Journal of Documentation, vol. 64, no 1, p. 45-80.

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    classification

    Garfield, E. (1964), Science Citation Index A New Dimension in Indexing , Science, vol. 144, no 3619, p. 649-654.

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    Wouters, P. (2006), Aux origines de la scientomtrie. La naissance du Science Citation Index , Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 164, p. 11-22.

    Classification Stphane Moulin

    La classification est lopration qui consiste regrouper dans des cat-gories des individus, quil sagisse de sujets vivants (personnes, animaux ou vgtaux), dobjets matriels (minraux, toiles, produits, livres) ou idels (activits, maladies, rgimes politiques). Pour tre valides, les catgories doivent tre collectivement exhaustives et mutuellement exclusives. On parle de systme de classification lorsque les cat-gories servant classer sont hirarchises (en niveaux, rangs, taxons, etc.). Une nomenclature est une classification qui fait autorit et sert de rfrence dans des milieux scientifiques ou professionnels (voir Catgorie). Enfin, la taxinomie (ou taxonomie) dsigne la thorie des classifications.

    Au 4e sicle avant notre re, Aristote est lun des premiers pro-cder des classifications hirarchiques systmatiques, tant des connaissances (division des sciences entre biologie, mtaphysique, etc.) que des objets de connaissance (classification des animaux ou des rgimes politiques). Mais les critres de classification utiliss jusquau dbut du 18e sicle sont multiples et les pratiques taxinomiques restent confuses jusqu ce que le Sudois Carl von Linn propose en 1735 une classification scientifique des tres vivants. Des entreprises clas-sificatoires se sont multiplies par la suite dans tous les domaines scientifiques, donnant naissance des taxinomies spcialises et des

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    sciences, technologies et socits

    nomenclatures internationales (code international de nomenclature botanique, systme international de classification des maladies, etc.).

    Si la classification relve de la dmarche scientifique, fonde sur des procdures ou mthodes explicites, elle relve aussi du discours normatif ou philosophique, ce qui explique pourquoi la taxinomie est priodiquement lobjet de controverses dont lhistoire des sciences permet de mieux comprendre les enjeux. Ainsi, en biologie, les contro-verses portent sur la question de lexistence objective despces ou sur lexistence de discontinuits dans la nature. Dans bien des cas, il ny a pas de dlimitations tanches entre les catgories, comme le montre lexploration des frontires entre les catgories dactivit socioprofes-sionnelle, ou entre personnes malades ou en bonne sant. Les rvisions des nomenclatures donnent souvent lieu des priodes intenses de dbats qui tmoignent de la multiplicit des approches taxinomiques.

    Dans lensemble des entreprises classificatoires, les classifications des personnes ou de leurs qualits rpondent des problmatiques distinctes des classifications des autres objets de connaissance, au moins pour trois raisons. Dabord, ces classifications sont une source essentielle de pouvoir et sinscrivent dans des dispositifs de suivi et de contrle des populations. Ensuite, les dfinitions des catgories sont le plus souvent des conventions dquivalence , externes et antrieures au travail de celui qui classe, inscrites, par exemple, dans le droit ou dans des coutumes. Enfin, les personnes classes ne sont pas passives : elles ragissent, prennent conscience de leur situation ou position, ce qui modifie la manire dont elles se peroivent, et dans certains cas se mobilisent et rsistent.

    Les classifications des personnes sont largement institutionnalises et expriment un ordre social, bureaucratique et moral auquel on ne peut gure chapper : les catgories dge, les catgories ethniques et raciales, les classifications des professions, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) sont non seulement des conventions qui permettent de regrouper et de qualifier les personnes, mais aussi des outils utiliss par les administrations publi ques et les intervenants pour diag