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EUGÈNE BOUTMY DICTIONNAIRE DE L’ARGOT DES TYPOGRAPHES

Dictionnaire de l argot des typographes - bibebook.com · EUGÈNEBOUTMY DICTIONNAIRE DE L’ARGOT DES TYPOGRAPHES 1883 Untextedudomainepublic. Uneéditionlibre. ISBN—978-2-8247-1062-4

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  • EUGNE BOUTMY

    DICTIONNAIRE DELARGOT DESTYPOGRAPHES

  • EUGNE BOUTMY

    DICTIONNAIRE DELARGOT DESTYPOGRAPHES

    1883

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1062-4

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  • LES TYPOGRAPHES

    Cest un point de vue purement pittoresque et fantaisiste que nous nousproposons de considrer ici les typographes laissant de cot ce qui estexclusivement professionnel et technique.Il est presque inutile de le dire, les fils de Gutenberg constituent une es-pce compltement moderne, sans analogue dans les temps anciens: niles librarii de Rome, qui transcrivaient les livres; ni les notarii, qui re-cueillaient les discours et les plaidoyers prononcs devant le peuple as-sembl; ni les scribes, ni les copistes, ni les enlumineurs de missels dumoyen ge, ne sont comparables ou assimilables aux typographes de nosjours. Il est donc tout dabord indispensable de dfinir exactement ce quilfaut entendre par le mot typographe. Pour le vulgaire, pour les gens dumonde, daprs le Dictionnaire de lAcadmie mme, un typographe estcelui qui sait, qui exerce lart de limprimerie, et, plus spcialement, tousles arts qui concourent limprimerie; mais, pour les initis, pour ceuxqui sont de la bote, comme on dit, pour les enfants de la balle, ce mot naplus la mme extension. Ne sont pas typographes tous les ouvriers em-

    1. Les types que nous avons observs et essay de faire connatre dans cette tude sontceux des typographes parisiens; mais le typographe parisien se confond avec le typographefranais, car, sur dix compositeurs, il en est peine deux qui soient ns et aient t levs Paris.

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    ploys dans une imprimerie: celui seul qui lve la lettre, celui qui met enpages, qui impose, qui excute les corrections, en un mot qui manipule lecaractre, est un typographe; les autres sont les imprimeurs ou pressiers,les conducteurs de machines, les margeurs, les receveurs, les clicheurs,etc. Le correcteur lui-mme nest typographe que sil sait composer, etcela est si vrai que la Socit typographique ne ladmet dans son sein quecomme compositeur, et non en qualit de correcteur.Voici ce que dit sur ce sujet M. Jules Ladimir, dans une tude remplie deverve et desprit, crite il y a quelque trente ans: Il y a des ignorants quiconfondent le compositeur avec limprimeur. Gardez-vous-en bien! celaest erron et peu charitable. Limprimeur proprement dit, le pressier, estun tre brut, grossier, un ours, ainsi que le nomment (ou plutt le nom-maient) les compositeurs. Entre les deux espces, la dmarcation est viveet tranche, quoiquelles habitent ensemble cette sorte de ruche ou de po-lypier qui porte le nom dimprimerie. La blouse et le bonnet de papier ontsouvent ensemble maille partir; et pourtant ils ne peuvent exister lunsans lautre: le compositeur est la cause, limprimeur est leffet. La blouseprofesse un mpris injurieux pour ce collaborateur oblig quelle foulesous ses pieds; car les imprimeurs, avec leurs lourdes presses, sont rel-gus ltage infrieur. Mais le bonnet de papier, dont les gains sont sou-vent plus forts et plus rguliers que ceux de son antagoniste, sen venge enlui appliquant lpithte de singe, soit cause des gestes drolatiques quefait en besognant le compositeur, soit parce que son occupation consiste reproduire luvre dautrui.Dans le passage que nous venons de citer, le typographe est parfaitementdfini; mais ce qui regarde le pressier a cess dtre vrai; le pressier, eneffet, a presque disparu partout; il a t remplac par le conducteur dema-chines, lequel nest, en gnral, que trs peu suprieur son devancier.Ses gains se sont accrus; mais sa culture intellectuelle na pas suivi unemarche ascendante analogue. Mieux rtribu que le typographe propre-ment dit, nous devons cependant reconnatre quil lui est encore infrieursous le rapport des ides et des aspirations. Nous avons rencontr toute-fois des individualits remarquables tous gards et qui deviennent, dejour en jour plus nombreuses.Au point de vue de la hirarchie, les typographes peuvent tre rangs

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    sous trois catgories: le prote, le meeur en pages et le paquetier ; maisces distinctions sont, vrai dire, peu prs fictives: un prote peut perdreson emploi et redevenir metteur en pages ou chef de conscience. Il nestpas rare de voir un metteur en pages reprendre la casse et lever la lettrecomme ses dbuts. Nous avons connu un ancien metteur du Moniteuruniversel que le dcret de M. Rouher a atteint en retirant ce journal saqualit officielle, et qui, plus tard, pompait les petits clous la pige commeles camarades, cte cte avec ses anciens paquetiers: il tait redescenduau rang de simple pltre, aprs avoir durant des annes marg les ap-pointements dun prfet de premire classe.Limportance des fonctions de prote et le rle prpondrant quil jouedans latelier typographique nous engagent crire tout dabord la mo-nographie de ce personnage.Dans les premiers sicles de limprimerie, les fonctions de matre impri-meur, de prote et de correcteur, remplies aujourdhui par trois personnesdiffrentes, taient exerces par le mme individu. Ctait dordinaire unsavant de premier ordre, connaissant lhbreu, le grec, le latin et quelqueslangues vivantes, les sciences, et, de plus, fort expert dans lart typogra-phique. Il nous suffira de citer quelques noms de matres imprimeurs quifurent en mme temps protes et correcteurs: Nicolas Janson, graveur la Monnaie de Tours, envoy Mayence par Charles VII pour tudier lenouvel art, et qui plus tard stablit Venise; Alde Manuce, Venise;les Junte, Florence; Guillaume Le Roy, Lyon; les Plantin, Anvers;les Caxton, en Angleterre; Conrad Bade, Genve; les Elzevier, Leyde;Simon Vostre, Antoine Verard, Simon de Colline, les Estienne, le mal-heureux Dolet, les Didot, en France. Aussi ne se lasse-t-on pas dadmirerles ouvrages si purs, si corrects, excuts avec tant de soin, sortis desmains de ces artistes clbres. A cette grande poque, que lon peut appe-ler lge dor de la typographie, le prote mritait rellement son nom: iltait bien le premier en savoir et en science; ctait bien lui la cheville ou-vrire de latelier, et tous les compositeurs qui lentouraient, eux-mmeslettrs pour la plupart, reconnaissaient sans conteste sa suprmatie enmme temps que son autorit. Le public de nos jours a, jusqu un cer-tain point, conserv au prote cette haute estime, et il confond presquetoujours ses attributions avec celles, pourtant distinctes, du correcteur.

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    LAcadmie elle-mme a commis cette confusion; car, aprs avoir dfinile prote celui qui, sous les ordres de limprimeur, est charg de dirigeret de conduire tous les travaux, de maintenir lordre dans ltablissementet de payer les ouvriers, elle ajoute: Il se dit aussi de ceux qui lisentet corrigent les preuves. Nen dplaise la docte compagnie, si la pre-mire partie de sa dfinition est exacte, nous rcusons compltement laseconde, qui est fausse.A mesure que lart dclina pour faire place au mtier, mesure que lim-primerie descendit au rang des industries, les fonctions se divisrent: lematre imprimeur passa ltat de patron, cest--dire de fabricant delivres; le correcteur devint ce que nous dirons plus loin; le prote se trans-forma en ce quil est aujourdhui: un ouvrier actif et intelligent, choisi parle patron pour diriger le travail des compositeurs, ses anciens confrres.Le prote, dit Momoro, cest le chef ou directeur dune imprimerie. La per-sonne qui remplit cette place est suppose avoir des talents au-dessus ducommun des ouvriers. Dans les premiers temps de limprimerie, des genssavants nont point ddaign cet emploi. Aujourdhui, on choisit parmiles compositeurs ceux qui runissent les talents les plus propres rem-plir cette place. Prote vient du grec , premier. Je dirai, ajoute Mo-moro, quun prote est primus inter pares, le premier parmi ses gaux.Voici de quelle manire M. Audouin de Gronval, dans son Manuel delImprimeur, dtermine, de son ct, le rle du prote: Le prote est ce-lui sur lequel roulent tous les dtails dune imprimerie. Il est charg deveiller sur les compositeurs et sur les imprimeurs; il doit connatre par-faitement le degr dhabilet des uns et des autres. En ce qui concernela composition, le prote doit avoir quelques notions des langues grecqueet latine (ces notions font ordinairement dfaut), possder fond lortho-graphe franaise et la ponctuation, connatre et savoir excuter tous lesgenres de composition. Quant limpression, il doit avoir assez dhabi-let pour diriger le travail des ouvriers la presse dans toutes ses par-ties. Pour ce qui est des qualits suivantes, requises, suivant Audouinde Gronval, pour faire un bon prote, elles se rencontrent rarement chezceux qui aujourdhui exercent ces fonctions, et lon voit aisment quelauteur duManuel de lImprimeur confond ici le prote avec le correcteur.Il dit, en effet: Le prote ne saurait avoir des connaissances trop ten-

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    dues dans les lettres, les sciences et les arts, car il est souvent consultpar les auteurs et quelquefois mme devient leur arbitre. Comme il est,en quelque sorte, responsable des fautes qui peuvent se glisser dans unedition, il faudrait quil connt, autant quil est possible, les termes usitset quil pt savoir quelle science, quel art et quelle matire ils appar-tiennent. Il narrive que trop souvent quun auteur, pour se justifier deses propres fautes, les rejette sur son imprimeur. En un mot, on exige duprote quil joigne le savoir dun grammairien lintelligence ncessairepour excuter toutes les oprations de la partie manuelle de son art.Le prote doit encore veiller ce que le bon ordre et la dcence rgnentdans les ateliers, ce que les casseaux soient bien tenus, que les fonc-tions de la conscience soient remplies avec activit, que les preuves nesubissent jamais le moindre retard, etc. Le prote doit assister le chef deltablissement dans le payement des ouvriers et servir darbitre dans lesdiscussions qui peuvent slever. Il peut encore tre charg de la corres-pondance de limprimerie avec les personnes qui y ont des relations. Ilexpdie les preuves et doit toujours pouvoir rendre compte exactementde la situation de chaque ouvrage. Tous les ouvriers dune imprimerie setrouvant placs dans une dpendance rciproque, le prote doit veiller ceque toutes les pices de ce rouage agissent simultanment; car, si lunedelles devenait stationnaire, les travaux seraient arrts. Il admet dansles ateliers les ouvriers quil en juge dignes et remplace ceux qui sontnuisibles ou inutiles ltablissement.Le prote peut se faire suppler partiellement par des sous-protes, qui enrrent ses dcisions. Les devoirs dun sous-prote de composition sontde veiller ce que les compositeurs reoivent et rendent propos la dis-tribution, la formation des garnitures, au rangement des cadrats, des in-terlignes et lingots et de tous les autres accessoires, au rassortiment descaractres, la composition des pts, etc. Un sous-prote de presses estcharg dinspecter frquemment le travail des imprimeurs, dempcher legaspillage du papier, des toffes ou de lencre, de veiller lentretien despresses et de suivre dans tous ses dtails cette partie importante de la ty-pographie. Les sous-protes sont responsables lgard du prote de lex-cution des travaux dont celui-ci leur transmet la surveillance spciale,comme il lest lui-mme envers le chef de limprimerie. Ces deux sortes

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    demplois, qui ne saccordent gnralement qu des personnes prouvessous le rapport du caractre et du savoir, demandent, en outre, de la partde celles qui y arrivent, du sang-froid et de lactivit. (Henri Fournier,Trait de la typographie.)Dans un Discours, prononc le 6 avril 1856 la Socit fraternelle desprotes des imprimeries typographiques de Paris, M. Alkan an sexpri-mait en ces termes: Pour devenir le premier, , dune imprimerietypographique, y tenir le premier rang, il faut possder des connaissancesvaries; il faut pouvoir tre la doublure du patron, son alter ego, cet autrelui-mme, pour me servir de lexpression de M. Ambroise Didot, le dignemule des Estienne, notre matre tous; il faut tre typographe quandle patron ne lest pas ou ne peut ltre; il faut avoir du got pour ceux quinen ont pas; il faut tre correcteur quand celui-ci vient manquer, fairedfaut; il faut avoir lil typographique et saisir au vol ces fautes bizarres,singulires, qui chappent souvent lil exerc, mais fatigu, du correc-teur, et qui font le dsespoir de lauteur et la rise du public lettr. Il fautque le prote sache aussi la tenue des livres quand son patron ne veut pasinitier un tranger ses affaires, ou lorsquil est oblig, par conomie, dese passer dun commis. Un tel prote, mme rduit ces modestes pro-portions, est encore, nous devons le dira, le rara avis. Cest ce que feracomprendre le passage suivant, emprunt lEncyclopdie Roret, et danslequel un prote, qui a gravi et redescendu successivement les chelons delchelle typographique, exhale ses plaintes et retrace linstabilit de lasituation: Le prote est lesclave de la besogne; quelque heure que saprsence soit rclame par lurgence des travaux, sil ne se conforme pas ce besoin, son devoir nest pas rempli compltement; il est mme tellescirconstances o sa discrtion oblige lexpose tre comme une enclumesur laquelle frappent tour tour et souvent la fois auteurs, libraires, ou-vriers, etc. La proterie offre un emploi fort ingrat dailleurs sous le rap-port de son instabilit. Charg pendant quelques annes de surveiller unpersonnel parfois nombreux, de cooprer forcment la rduction dunprix, ou seulement dempcher sa hausse, de sopposer aux abus ou de lesrprimer, de dbaucher plus ou moins de personnes pour absences tropfrquentes ou pour de mauvais travaux, il peut arriver quun prote rentretout coup dans les rangs des ouvriers; il y retrouve ces gens froisss,

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    dont le ressentiment se manifeste en reproches directs ou indirects, maisfonds sur des griefs que lon suppose dnus de justesse. Cette consid-ration et dautres analogues nchappent pas tous les protes et peuventles dterminer plus dune fois modifier la rigueur de leurs devoirs; toutle monde ne se croit pas oblig de suivre la devise: Fais ce que dois, ad-vienne que pourra. Dailleurs, sacrifier la tranquillit dun long avenirpar des rigueurs actuelles dont on nest que lagent et qui tiennent l untemps limit par la rtribution nest peut-tre pas absolument de devoirtroit. De l une certaine tideur, plus que cela peut-tre, laquelle la sta-bilit parerait convenablement: on peut facilement dduire cette cons-quence, quand on remarque que les protes qui remplissent le mieux leursdevoirs sont ceux dont la position est la plus stable.Lauteur de Typographes et gens de leres reconnat dans le genre protedeux varits: le prote tablier et le prote manchees. Le prote ta-blier se trouve gnralement dans les imprimeries que le patron dirigelui-mme. Cest ordinairement un ouvrier intelligent et laborieux, vieillidans la maison et sous 1e harnais, que le patron appelle ce poste afinquil soit occup linstar des rois fainants. Le prote tablier ne peutsaccoutumer aux grandeurs, et il ne cesse de vaquer ses anciennes oc-cupations, ce qui lui est dautant plus facile que, grce au patron, les soucisde sa nouvelle dignit ne loccupent gure. En revanche, son autorit est peu prs nulle, et il a dordinaire le bon esprit de ne pas sen prvaloir,certain quil est que ses anciens camarades ne manqueraient pas de lacontester Le prote tablier peut avec assez de justesse tre compar ladjudant dun rgiment. Nayant rien faire, il tient cependant faireressortir son utilit et son importance; mais il rencontre partout et tou-jours cette rsistance inerte et tacite de gens qui, niant son autorit, nereconnaissent que celle du patron. Au demeurant, le meilleur homme dumonde, il sait conserver lamiti de ses anciens camarades.Le prote manchees est le vritable prote. Cest lui que nous avons euen vue dans le cours de cette esquisse.On le voit, pour ntre plus les mules des Alde, des Elzevier, des Ro-bert Estienne et de tant dautres, les protes daujourdhui ont encore unchamp assez vaste parcourir, et plusieurs dentre eux le font avec hon-neur. Nous citerons, entre autres: M. Brun, ancien prote de limprime-

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    rie de Jules Didot, qui a donn en 1825 un Manuel pratique et abrgde la typographie franaise; M. Henri Tournier, nagure prote directeurde limprimerie la plus vaste et la plus considrable, non seulement deFrance, mais encore de toute lEurope, celle de Mame et C de Tours,qui a publi un excellent Trait de la typographie, dont la troisime di-tion (Tours, Alfred Mame et fils, 1870) est la plus complte; M. Frey, quia donn 1Encyclopdie Roret un trs bon Manuel de typographie; M.Thotiste Levre, fondateur prote de la succursale de MM. Didot, au-quel les compositeurs sont redevables du Guide pratique du compositeurdimprimerie, un vritable chef-duvre; M. Monpied, qui a reproduit enfilets typographiques, avec autant de patience que de talent, lEnlvementde Pandore, daprs Flaxman, lAmour et Psych, daprs Canova. Avantces typographes mrites, nous eussions du peut-tre rappeler le nom deMomoro, qui, les prcdant dans la carrire, a crit un curieux Trait l-mentaire de limprimerie ou leManuel de limprimeur, avec 40 planches entaille-douce (Paris, 1793). Momoro fut envoy comme commissaire natio-nal Niort; il sintitulait premier imprimeur de la libert nationale, et ilmourut sur lchafaud en mars 1794.A ct de ces noms justement respects, nous pourrions en citer dautresque nous aimons mieux passer sous silence. Pourtant on nous permet-tra dajouter quelques traits qui achveront de faire connatre le typeque nous nous sommes propos desquisser. Quelques ombres sont n-cessaires dans un tableau pour mieux faire valoir les parties claires;dailleurs nous visons au portrait et non au pangyrique.Il se glisse parfois dans les rangs de cette honorable phalange des indi-vidualits douteuses, personnages remuants, bons tout faire, plus sem-blables ladjudant dun rgiment qu un chef datelier. A peu prs d-nus des connaissances indispensables lexercice de leur profession, ilsse faufilent grce leur esprit dintrigue et simposent par leur jactance:serviles et rampants en prsence du patron, ils se montrent irascibles etdespotiques lgard de ceux qui, pour leur malheur, se trouvent pla-cs sous leurs ordres. Nous pourrions nommer comme modle de les-pce le prote dune grande maison de Paris: il est incapable de composerune ligne, incapable dtablir un devis, incapable de lire une preuve. Parcontre, la manie crivassire le travaille et il ne laisse chapper aucune

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    occasion de produire ses lourdes lucubrations. Son audace va plus loin:il courtise les neuf Surs, sans succs, il est vrai; car il ignore les plussimples rgles de la versification et commet bravement des vers de qua-torze syllabes.Mais, htons-nous de le dire, ce ne sont pas l de vrais protes; ce sont desintrus qui font exception et servent de repoussoir. Pour eux, dailleurs, laroche Tarpienne se trouve toujours bien prs du Capitole.Terminons cette esquisse par deux anecdotes o se montre le travers decertains protes qui, force de se frotter aux auteurs, de voir faire deslivres, finissent par se croire eux-mmes des littrateursIl y a quelques annes, vous pouviez voir certaines heures de la jour-ne, toujours les mmes, un homme fortement charpent, vtu dun longpaletot, le chef couvert dune calotte de velours noir, faisant tourner non-chalamment dans ses gros doigts une ou deux clefs, la boutonnire em-pourpre du ruban de la Lgion dhonneur, cheminant le long dune desvoies les plus frquentes de la capitale. Vous leussiez pris pour quelquesoudard en retraite. Non; ctait le prote dune des imprimeries les plusimportantes de Paris. Il stait acquis dans cette maison une trs hauteautorit, non seulement sur le matre de ltablissement et les ouvriers,mais encore sur les clients, des hommes de grande science pour la plupart.Cette omnipotence semblerait inexplicable, si lon ne savait que laudaceet la rudesse tiennent parfois lieu de savoir et de talent. Il arriva quunsavant fit une addition au Trait de statique de Monge; notre savant dsi-rant rester inconnu, ne signa pas son travail. Le prote dont nous voulonsparler qui bien entendu ne connaissait rien aux x et aux y, si ce nest parou-dire proposa au savant de signer de son nom lui lopuscule alg-brique. Le savant laissa faire. Aujourdhui notre prote ne manque jamaisdajouter au-dessous de sa signature: auteur de lAddition au Trait de sta-tique de Monge. Si cet homme ne connat rien en mathmatiques, on ditquil est fort expert en grivoiseries; on ajoute quil scarte bien souventdes plus lmentaires prceptes de la civilit.Autre histoire: M. A., professeur de mathmatiques faisait imprimerune Algbre. Il avait laiss chapper dans son manuscrit une faute assezimportante (il sagissait dune quation du second degr); le correcteuren premire, qui par bonheur savait un peu dalgbre corrigea la faute

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    sur lpreuve. Quelques jours aprs M. A vint limprimerie, remerciachaudement le prote (le correcteur assistait la scne), le flicita de pos-sder des connaissances en algbre, etc. Le prote empocha sans sourcillerles compliments et se contenta de sourire quand le correcteur en plaisan-tant, lui fit remarquer avec quel aplomb il stait laiss parer des plumesdu paon.Ds 1847, une association fraternelle se forma entre les protes des diversesimprimeries typographiques de Paris, avec lautorisation ministrielle.Elle a principalement pour objet dentretenir des liens damiti et debonne confraternit entre les membres qui en font partie; de soccuperdes progrs de lart typographique et dassurer des secours chacun dessocitaires en cas de maladie ou dinfirmits. Cette socit, qui continueobscurment sa paisible existence, se composait, la fin de 1874, de 28membres honoraires (avocats, mdecins, libraires imprimeurs, fondeursen caractres etc.) et de 53 membres actifs parmi lesquels les ex-protestaient en majorit (29 sur 53). Elle est donc loin de renfermer dans sonsein tous les protes des diverses imprimeries de Paris. La Socit desprotes publie par cahiers des comptes rendus annuels.Quant aux meeurs en page et aux paquetiers, ils se confondent sous ladnomination commune de typographes. Leur rle dans latelier est suffi-samment dsign par le nom quils portent.Ce nest donc pas la hirarchie qui dtermine la physionomie du typo-graphe: cest le type individuel ou le genre habituel des travaux. Maisavant de rechercher le caractre particulier chaque genre il nest pashors de propos dintroduire le lecteur dans lantre o le personnage quinous occupe passe la plus grande partie de sa vie. Citons dabord Bal-zac; nous ne saurions prendre un guide plus sr et en mme temps plusexact. Voici en quels termes il dcrit, dans son roman intitul Illusionsperdues, ltablissement de David Schard, Angoulme: Limprimeriesitue dans lendroit o la rue de Beaulieu dbouche sur la place du M-rier, stait tablie dans cette maison vers la fin du rgne de Louis XIV.Aussi depuis longtemps, les lieux avaient-ils t disposs pour lexploi-tation de cette industrie. Le rez-de-chausse formait une immense piceclaire sur la rue par un vieux vitrage et par un grand chssis sur unecour intrieure. On pouvait dailleurs arriver au bureau du matre par

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    une alle. Mais en province, les procds de la typographie sont toujourslobjet dune curiosit si vive, que les chalands aimaient mieux entrer parune porte vitre pratique dans la devanture donnant sur la rue, quoi-quil fallt descendre quelques marches, le sol de latelier se trouvant au-dessous du niveau de la chausse. Les curieux bahis ne prenaient jamaisgarde aux inconvnients du passage travers les dfils de latelier. Silsregardaient les berceaux forms par les feuilles tendues sur des cordesattaches au plancher ils se heurtaient le long des rangs de casses, ouse faisaient dcoiffer par les barres de fer qui maintenaient les presses.Sils suivaient les agiles mouvements dun compositeur grappillant seslettres dans les cent cinquante-deux cassetins de sa casse, lisant sa co-pie, relisant sa ligne dans son composteur en y glissant une interligne, ilsdonnaient dans une rame de papier tremp charg de ses pavs, ou sat-trapaient la hanche dans langle dun banc; le tout au grand amusementdes singes et des ours. Jamais personne ntait arriv sans accident jusqudeux grandes cages situes au bout de cette caverne, qui formaient deuxmisrables pavillons sur la cour, et o trnaient dun ct le prote et delautre le matre imprimeur. Au fond de la cour et adoss au mur mitoyenslevait un appentis en ruine o se trempait et se faonnait le papier.L tait lvier sur lequel se lavaient avant et aprs le tirage les formes,ou, pour employer le langage vulgaire, les planches de caractres; il senchappait une dcoction dencre mle aux eaux mnagres de la maison,qui faisait croire aux paysans venus les jours de march que le diable sedbarbouillait dans cette maisonVoila ce qutait une imprimerie de province, il y a soixante ans. Lemploide la vapeur a modifi cet aspect en quelques points et a donn cette in-dustrie un caractre dusine quelle navait point autrefois. Empruntonsdonc au livre humoristique intitul Typographes et gens de leres, critpar un enfant de la balle, le tableau anim dune imprimerie contempo-raine en pleine activit: Dun ct, ce sont les machines qui dvorentdimmenses quantits de papier en grondant comme le dogue auquel onveut ravir sa proie. Les margeurs poussent ngligemment, en chantant lachanson en vogue, les feuilles qui disparaissent immacules pour venirtomber tout imprimes entre les mains des receveurs. Plus loin sont lesimprimeurs, dernier vestige de lancienne imprimerie, qui font le mouli-

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    net en racontant leurs interminables histoires. Par ici sont les composi-teurs, discourant, plaisantant, discutant, sans que pour cela lemouvementdes doigts se ralentisse.En mettant le pied dans la salle de composition ou galerie, dit M. JulesLadimir, nous avons entendu un bourdonnement, un dissonant assem-blage de voix dans tous les tons, depuis le fausset aigu des apprentis jus-qu la basse-taille des doyens, qui grommellent sans cesse comme devieux bisons, en ruminant leur ouvrage. Donnons-nous la mine dun au-teur et prenons un air sans faon; car ces messieurs naiment pas lestrangers qui viennent, avec un lorgnon enchss dans larcade sour-cilire, les regarder travailler comme on regarde les singes ou les oursmonter larbre et faire leurs exercices. Souvent ils se donnent le motpour se livrer alors aux contorsions les plus bizarres, de sorte que le visi-teur se croit tratreusement amen dans une salle de maniaques ou dpi-leptiques.. coutons. Les intelligences frottes incessamment lune parlautre dgagent un feu roulant de saillies, de bons mots, de pointes desarcasmes, de calembours, de coq--lne dsesprer Odry. A latelieron ne respecte rien, ni les hommes de lettres, ni les hommes dtat, ni lesartistes, ni le tale, ni la richesse, ni mme la sottise. Renvoye dun boutde la galerie lautre, lpigramme rebondit, redouble de verve et de sel.Vires acquirit eundo. Les ridicules sont dcouverts avec une sagacit mer-veilleuse, mis nu et fouetts sansmisricorde. Parfois les compositeurstournent contre leurs propres confrres cette rage de lironie, cette mono-manie homicide de la satire. A-t-on surpris dans la galerie quelque figurefrappe un certain coin, quelque angle facial trop aigu, un crne surlequel la sottise en relief et pouvant Gall, une physionomie condam-ne davance par Lavater, un de ces tristes hres dont lextrieur effac,craintif, porte lempreinte dune cration manque et qui occupent chezles hommes la mme place que lunau et la parmi les animaux, malheur!Il sera comme un pilon qui fait crever la nue et descendre la foudre. Surlui les cataractes sont ouvertes; elles lengloutiront, moins que, commecela arrive, il ne prre abandonner la place et latelier; ou bien encorequil nemploie sa force physique pour faire respecter sa faiblesse intel-lectuelle Si le compositeur nest pas en train de travailler, il rveLe lieu o slaborent les grands travaux qui doivent donner au monde

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    la vie et la lumire est gnralement situ dans un quartier retir dont lesabords, semblables ceux dun antre mystrieux, se rvlent lodoratpar des odeurs inconnues, tranges, produites par le mlange des mana-tions diverses de la colle, du papier humide, de lencre et de la potasse.Le public, qui na pas encore pu shabituer croire que limprimerie estun tat manuel, plonge toujours un regard dfiant et empreint dune vivecuriosit lorsquil passe prs dune de ces demeures. Son tonnement aug-mente encore lorsquil en voit sortir, pour aller se rfugier dans les caba-rets voisins, des hommes coiffs de toques, de bonnets de police, de mitresen papier. Leur accoutrement trange, queux seuls savent porter, leur at-tire, sinon le respect, du moins cet intrt curieux et empress que portele public tout ce qui lui est inconnu. Lamnagement dune imprimerieest gnralement compos de la faon suivante: la machine vapeur ausous-sol; au rez-de-chausse, les presses mcaniques, que les phraseursappellent les canons de lintelligence et les mortiers de la pense, et lespresses.Quand tout cela marche, cest un vacarme tourdir un sourd. Aupremier tage sont placs les compositeurs qui, suivant limportance dela maison, peuvent occuper jusquaux mansardes. Les ateliers de compo-sition, ou botes, comme les appellent les compositeurs, se divisent, sousle rapport de lamnagement, en trois catgories bien distinctes. La pre-mire se compose des imprimeries o lon y voit travailler; la seconde,de celles o lon y voit un peu: la troisime, de celles o lon ny voit pas.Cette dernire catgorie est la plus nombreuse. A Paris, o, dans son lan-gage pittoresque et color, louvrier dnomme dune faon particulireles hommes et les choses, il a donn le nom de cage tout atelier cou-vert de vitres. L, pas de disputes pour les places; pas de rclamations aumetteur en pages, au prote ou au patron, fondes sur le droit dancien-net; car le jour est le mme partout. Il est vrai que ce genre datelier abien aussi ses dsagrments: on y gle en hiver, on y grille en t: parle temps de pluie, leau coule dans les casses et distribue des douches profusion; mais le compositeur est industrieux comme le castor et habilecomme le singe, dont il est limitateur par ses mouvements. En t, pourparer la chaleur, il tend au-dessus de sa tte des cordes sur lesquelles ilplace des maculatures. En hiver, il corrompt lhomme de peine prpos la distribution du charbon en lui offrant le canon de lestime et la goutte

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    de lamiti, afin dobtenir une deuxime dition de combustible. Lorsquilpleut, il a le choix ou de placer un parapluie au-dessus de sa tte, ou derecevoir leau, ce qui avec le temps ne laisse pas dtre agrable; car il sevoit oblig de recourir au marchand de vin le plus voisin, afin de com-battre dune faon homopathique la fracheur extrieure du corps. Dansles imprimeries qui appartiennent la seconde classe, les dsagrmentssont moins nombreux; mais les ouvriers placs auprs des fentres voientseuls travailler; pour les autres, ils ne voient rien, si ce nest quils nevoient pas. Inutile de parler de la troisime catgorie dateliers. Tous lesdsagrments sy trouvent runis. Ajoutons un dtail: dans les ateliersde composition, il est de rgle de nettoyer le moins possible; le parquetest, il est vrai, balay deux fois par semaine, mais les murs ne sont jamaisreblanchis, les carreaux de vitre sont lavs au plus une fois lan; ce quidonne la salle un aspect sombre et mystrieux; elle a lair enfum duntableau de Rembrandt Voici ce sujet une piquante anecdote que nous fournit louvrage citplus haut: Il arriva un jour quun ancien ministre apporta lui-mme sespreuves limprimerie. Ctait un dimanche; latelier avait un aspect depropret et de fte; on et dit quil attendait cette visite. Aprs stre en-tretenu quelque temps avec les compositeurs, il se mit examiner latelieren homme qui cherche se rappeler: La dernire fois que je suis venuici, dit-il, ctait en 1836, mon metteur en pages tait l; et il indiquaitlendroit. Il avait dans les ordres un frre qui est devenu vque; il y atantt vingt-cinq ans de cela il sest pass bien des choses depuis; leshommes ont vieilli; seul votre atelier a conserv la mme physionomieil est toujours aussi saleLemoment de la banque, cest--dire de la paye, offre dans une imprimerieun coup dil curieux. Les bruits connus de latelier ont fait silence; lesouvriers, revtus de leurs paletots, forment, en attendant, des groupesrecueillis; le guichet souvre: le prote appelle un un les metteurs enpages, qui leur tour distribuent chacun de leurs paquetiers ce qui luirevient; aprs les metteurs, cest le tour des hommes de conscience; puis

    2. Typographes et gens de leres, ouvrage trs intressant, que nous recommandons lattention des lecteurs.

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    viennent les conducteurs qui reoivent pour leur quipe; les pressiers, letrempeur, le chauffeur et le brocheur, lhomme de peine et les apprentis.Enfin cest le tour des correcteurs. Dans quelques rares maisons, le proteapporte lui-mme ces derniers le salaire de la quinzaine; dans la plupart,ils passent, comme nous venons de le dire, les derniers, preuve de la hauteconsidration quon leur accorde. De toutes parts retentit cet instantdans latelier le bruit mtallique de lor et de largent que lon remue, bruitinaccoutum; les apprentis, un cornet de papier la main, vont de rang enrang recueillir les collectes et les souscriptions; l, un organisateur de finsdjeuners, qui a pris toute la dpense pour lui, rgle ses comptes avec sesconvives; dans un coin, un fanatique de saint Lundi calcule comment ilpourra satisfaire ses loups ou les fuir. Enfin, huit heures, tout le mondeest parti et les proccupations sont chasses pour quinze jours.Maintenant que nous connaissons la caverne, examinons plus en dtailceux qui lhabitent et lui donnent la vie et le mouvement.Sous le rapport des travaux divers quils sont appels faire les typo-graphes se divisent en trois classes: les labeuriers, cest--dire ceux quicomposent le plus habituellement les ouvrages de longue haleine; lesjournalistes, spcialement employs la composition des nombreux jour-naux quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, et les tableautiers, qui ex-cutent les tableaux de chemins de fer, de douane, de statistique, etc. Enoutre, on compte quelques ouvriers spciaux pour la composition des ou-vrages de mathmatiques, du plain-chant et de la musique. Mais, ces ca-tgories ne sont pas tellement fermes quun labeurier ne devienne jour-naliste ou tableautier, et rciproquement; aucun typographe nest absolu-ment parqu dans sa spcialit. Dans la mme imprimerie, on distingue,outre le prote, comme nous lavons dj dit, les metteurs en pages, lespaquetiers et les corrigeurs. Ces derniers sont la journe, ou plutt lheure et font partie de la conscience. Les gains sont, on le conoit, in-gaux suivant les aptitudes et lassiduit au travail. Les journalistes sontles mieux rtribus.Au point de vue des types et des caractres individuels, il est impossibledtablir des divisions prcises. Le typographe est un tre ondoyant etdivers, essentiellement fantaisiste et prime-sautier. Pourtant nous dis-tinguerons les genres suivants. Cest dabord le gourgousseur, qui ne sait

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    pas renfermer en lui-mme ses impressions et qui les exhale tout proposen plaintes, en rcriminations, en dolances de toute sorte. De mmoirede compositeur, personne na vu le gourgousseur satisfait. Son caractremorose et grondeur fait le vide autour de lui mieux que ne le ferait unemachine pneumatique. Le gourgousseur est presque toujours en mmetemps chevrotin, cest--dire facilement irascible. Le fricoteur, lui est unevritable plaie pour latelier. On lappelle encore pilleur de botes. Le pre-mier arriv latelier, il passe rapidement en revue les casses des cama-rades qui travaillent sur le mme caractre que le sien et prlve un imptsur chacun. Dans sa conscience, il ne considre pas cela comme un vol etpourtant cen est un vritable, puisquil sempare du rsultat du travailde ses confrres. Comme tous les coquins, le fricoteur est dou dune cer-taine audace; il a le verbe haut, cherche intimider ses victimes et jointsouvent ses dfauts celui dtre gourgousseur. Le typographe casanierest moins rare quon ne pourrait le supposer. Il se reconnat des signesparticuliers: Ds quil est depuis quelque temps dans un atelier et quilen connat les us et coutumes, il en fait dans son imagination la maison deretraite pour ses vieux ans et se considre lui-mme comme partie int-grante dumatriel; sa place est unmodle de propret; le soinmticuleuxquil met toujours garder la mme position devant sa casse fait que len-droit o posent ses pieds en a pris lempreinte; chaque coin de latelier luirappelle une histoire, une anecdote, un souvenir. Son rang est amnagavec un soin infini. Il a une collection de choses sans nom et sans utilitpour dautres que pour lui et qui toutes lui sont chres. Il sest cr desamis; il tient ses relations; le patron na pas de plus chaud dfenseurque lui. Si par malheur il est forc de sortir de cette maison quil regar-dait comme la sienne, de quitter cette place o il a pass tant de longuesheures, dabandonner des inconnus ces casses quil soignait avec tantdamour, il ramasse tristement son saint-jean et sen va en essayant defaire croire une indiffrence qui est bien loin de son cur Un caractre commun la grande majorit des typographes, cest lamourdu progrs et des ides nouvelles. En tout et partout le compositeur estpour le progrs. Il a t, dit M. Jules Ladimir, de toutes les religions nou-

    3. Typographes et gens de leres.

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    velles qui ont essay de reconqurir notre foi lasse de tout, mme de sapauvre sur, lesprance. On la vu successivement saint-simonien, fou-ririste, chteliste, etc. On doit se souvenir que ce sont des typographesqui ont commenc la rvolution de 1830. Leurs successeurs appartiennentpresque tous lopinion rpublicaine, et la nuance des journaux auxquelsils sont employs ne dteint que trs peu sur eux.Louvrier compositeur se croit, en gnral, apte tout; mais, parmi lescarrires qui lui offrent le plus dattrait, il faut ranger en premire lignela carrire thtrale. Cest pour beaucoup de typographes une ide fixe,un hanneton, comme on dit dans les ateliers. La typographie parisiennea une troupe thtrale exclusivement compose de compositeurs et deleurs femmes ou de leurs surs; cette troupe joue la comdie comme unetroupe de province. Nous avons assist quelques-unes de ces reprsen-tations, et nous nous sommes retir trs satisfait: la plupart des acteurspossdaient bien les planches et sacquittaient de leur rle avec tact etintelligence. Peut-tre laissent-ils pourtant trop faire au souffleur. Cettesocit, organise dans un but purement philanthropique, verse environdeux mille francs par an aux confrres besogneux.Il y a aussi des potes parmi les fils de Gutenberg; sans parler dHg-sippe Moreau et de Branger, qui furent compositeurs, on compte dansla famille typographique de nombreux amants de la Muse, qui, pour tremoins clbres, ne sont pourtant pas sans mrite. Ceux-l, ouvriers la-borieux, nabandonnent point la casse pour les applaudissements de lafoule, et ils ne voient dans la posie quune douce diversion aux travauxdu jour. Citons quelques noms: Thodore Alfonsi, auteur de Chants etchansons; Th. Delaville, Adolphe Pqueret, Edouard Maraux; V.-E. Gau-tier, qui fut imprimeur Nice; Ch. Bunel, E. Petit, Eugne Clostre, Ma-rion, E. Pelsez, J.-F. Arnould, Chassat, E. Duras, J.-J. Chataignon, Le Go-dec, Victor Heur, Barillot, Bou (de Villiers); Hippolyte Matabon, prote limprimerie Cayer et C, de Marseille, auteur dun volume de posies:Aprs la journe, couronn en novembre 1875 par lAcadmie franaise,etc. Contentons-nous de nommer parmi les romanciers, le curieux Restifde La Bretonne, auquel M. Ch. Monselet a consacr une tude tendue;parmi les journalistes, Lo Lesps, si connu sous le pseudonyme de Ti-mothe Trimm; Charles Sauvestre, etc. Tout le monde sait que Benjamin

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    Franklin a t compositeur. Lhistorien Michelet le fut dans sa jeunesse,et mille autres quil serait trop long dnumrer.Il est un trait de caractre commun tous les typographes, que nousnous reprocherions de passer sous silence: cest le bon cur, la facilit plaindre linfortune, la promptitude avec laquelle chacun deux vientau secours des misres qui frappent autour de lui. Le compositeur, ditM. Ladimir dans larticle que nous avons dj cit, a le cur sur la main.Arrive-t-il un confrre de faire une longue maladie; lui a-t-on, pen-dant son absence, emprunt sonmobilier; est-ce un tranger qui dbarquesans ressource, ou qui, faute douvrage, veut retourner chez lui, ou bienun enfant ple qui stiole et meurt de nostalgie; est-ce une veuve que lamort de sonmari vient de priver limproviste de tout moyen dexistence,aussitt une circulaire court les imprimeries, une liste de souscription seforme, sallonge, se remplit, se gonfle et se rsout en une somme assezronde qui tombe inopinment dans la main du pauvre diable. Cela se faitavec dlicatesse; souvent mme la charit porte les typographes venirau secours dindividus trangers leur profession.Voil le portrait du typographe actuel; nous lavons trac avec tout lesoin et toute la vrit possible. Pourtant il nous reste encore un trait ajouter qui nest point en faveur de notre modle: nous voulons parlerde sa propension fter plus que de raison la dive bouteille. Cest surtoutdans la nombreuse arme des rouleurs, cest--dire des ouvriers qui nesjournent pas longtemps dans la mme imprimerie que se rencontre leplus de courtisans de la dive bouteille comme on disait jadis; cest lque fourmillent les poivreaux, ces incorrigibles ivrognes, souvent habilesouvriers, mais qui ne savent jamais rsister la tentation de prendre unetasse, dcraser un grain ou dtouffer un perroquet. Ceux-l saisissent auxcheveux la moindre occasion de prendre la barbe, et, sous le fallacieuxprtexte de rendre les derniers devoirs un ami, ils ne manquent jamaisde manger le traditionnel lapin et de senivrer lissue de la crmonie fu-nbre. Nous navons pas besoin de dire que les poivreaux sont aujourdhuienminorit. Ils sont, on le conoit aisment, le flau desmarchands de vin,

    4. Voir au Dictionnaire le portrait du rouleur, trac dune faon aussi exacte que pitto-resque par notre ami M. Ulysse Delestre.

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    et il nest pas de ruses auxquelles ils naient recours pour chapper auxloups, cest--dire leurs cranciers, le jour o ils touchent leur maigrebanque. Il nous revient en mmoire un moyen, assez piquant, employpar lun deux pour sortir de limprimerie sans tre harcel par les loupsqui lattendaient la porte. Le quidam en question imagina de se blottirdans une de ces voitures bras couvertes que tranent les hommes depeine et qui servent transporter chez le brocheur les feuilles imprimes.Lhomme de peine de la maison se prta de bonne grce la ruse et semit en devoir de voiturer son fardeau au dehors; mais le personnage taitgros et lourd: un de ses cranciers sapprocha complaisamment, poussa la roue et contribua ainsi la fuite de son dbiteur; en sorte que le loup etses confrres restrent se morfondre la porte pendant plusieurs heurestandis que le louvetier dsaltrait son complice et son sauveur chez unmarchand de vin du voisinage.Lanecdote nest point ddaigner surtout dans la matire qui nous oc-cupe, et bien souvent elle caractrise une individualit, mieux que ne lepourraient faire de prolixes descriptions. En voici quelques-unes parfai-tement authentiques, congruentes notre sujet.La semaine a t rude; les auteurs et les diteurs ont mis latelier surles dents, aussi bien les metteurs que la conscience. Enfin cest samedi,cest jour de banque. Il est huit heures et demie: la banque est faite; laconscience a reu sa quinzaine; les metteurs ont sold leurs paquetiers.Allons prendre une tasse, dit un metteur un homme de conscience.Allons! rpond lautre. Sans prendre le temps de quitter la blouse detoile blanche perce lendroit o louvrier sappuie sur le marbre, etl macule de larges taches dencre dimprimerie, serre la taille par uneficelle effiloche qui a dj servi lier les paquets, nos deux hommes senvont au Petit-Dunkerque ou ailleurs. Ils boivent une tasse; ils causent po-litique; ils schauffent; ils boivent un litre, ils en absorbent un autre, etquand ils songent aller reprendre leurs paletots, la bote est ferme. Ehbien, allons la Halle!Partons. Les voil tous deux, les espadrilles auxpieds, dans le costume que nous venons de dcrire, attabls chez Baratteou dans quelque autre cabaret des Halles. Les heures coulent vite, le vinaussi. Le moins ivre songe enfin rentrer. Lautre veut aller voir les amis(le typographe ne les oublie jamais). Allons voir les amis, puisque cest

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    ton ide; mais lesquels? X est Caen. Allons Caen. Sans discu-ter davantage, nos deux typos se rendent la gare Saint-Lazare, prennentleurs billets pour Caen, et y arrivent le matin, penauds et dgriss. Lesamis leur prtent les vtements indispensables. On fait fte, et lon seregrise. La banque bue et mange, on repart, aprs avoir repris la blouseet les espadrilles; on a conserv juste de quoi revenir Paris. Nos deuxvoyageurs sendorment; mais, fatalit! lun deux se rveille un arrt,descend, veut boire une tasse la gare et laisse partir le train., et le trainemporte son camarade, lequel avait en poche les deux billets. Le malheu-reux est rest l deux jours, sans le sou, conduit chezM. lemaire du villagevoisin, pataugeant dans la boue, presque pris pour un malfaiteur. Enfin,son billet lui ayant t renvoy, il put revenir. On en fit, comme bien vouspensez, des gorges chaudes dans latelier. Mais le pauvre Joseph, un desmeilleurs typographes que nous connaissions, ne sest pas corrig pourcela, et Henri, son complice, entr depuis dans les journaux, rit encore decette escapade quand on la lui rappelle.Autre exemple doriginalit.Un vieux typographe eut un jour une fantaisie singulire. Comme les h-ros de laventure divertissante que nous venons de raconter, il se trouvaitaux Halles, un dimanche matin. Quand fut venu le moment de rentrerchez lui, il saperut que ses jambes flageolaient. Trouver un vhicule futsa pense dominante; mais aller sa recherche lui paraissait une fatigueau-dessus de ses forces. Alors il appelle un porteur qui passait avec salarge hotte, fait prix, se hisse dans la hotte, et porteur et port se mettenten route: ils parcourent ainsi toute la rue de Rivoli et la rue Saint-Antoinejusqu la Bastille. Le typo se tenait tantt accroupi dans la hotte, tanttdebout, haranguant les passants stupfaits de ce nouveau mode de trans-port. Lhistoire ne dit pas si le porteur dposa son fardeau au bas de les-calier ou sil grimpa jusquau domicile de notre factieux poivreau.Cest lemme qui se fit un jour voiturer bride abattue en corbillard, tra-vers les rues de Paris, par un cocher avin des pompes funbres, pendantque lemacchabe attendait patiemment la porte le moment daccomplirson dernier voyage.Voici encore une anecdote non moins vridique que les prcdentes.Les ouvriers sont dans la semaine du batiau et travaillent activement.

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    Lapprenti arrive du bureau en criant: Monsieur Monnier, une damevous demande. Un vieux typo, g de soixante soixante-cinq ans, lvela tte, pose son composteur et se dirige pas lents vers lescalier. Ilrentre quelques instants aprs tout mu et scrie: Ma femme accouche!Comment, pre Monnier, votre femme accouche? Oui; on menvoiechercher. La sage-femme est la maison. Et le brave homme se htedendosser son paletot et part en courant. Cest bien tonnant dit quel-quun aprs son dpart; je connais M Monnier: elle a au moins soixanteans. Cest unmontage. Le lendemain, le preMonnier revint tout penaudet se remit sa casse en silence; il se crut victime dune plaisanterie. Ilnen tait rien pourtant: un de ses compagnons, un jeune homme connu latelier sous le prnom dAuguste, tait absent. On se souvint alorsquAuguste se nommait aussi Monnier. Ctait la femme de ce dernierqui, la veille, accouchait.Nous avons gard pour le bouquet la singulire aventure que voici: deuxcompagnons de rang ne cessaient dchanger damres rflexions sur len-nui que leur causait le travail quotidien, quils trouvaient dune monoto-nie insipide. Pourquoi, se disaient-ils, nous fatiguer durant dix longuesheures disposer dans un ordre dtermin de petits morceaux dun m-tal insalubre? Les quelques misrables pices dargent que nous recevonsen change de tant de peines sont vite converties en grossiers alimentset en boissons frelates. Dcidment ltat de nature tait prfrable! Dutemps o notre grand-pre Adam se promenait peu vtu dans le paradisterrestre, quelques fruits lui suffisaient; il se nourrissait dherbes savou-reuses et de racines succulentes; une eau pure et limpide tanchait sa soif.Il coulait des jours heureux et tranquilles, sans se proccuper du terme payer, des vtements remplacer, dumastroc satisfaire; en un mot, au-cun des vulgaires tracas de notre existence prtendue civilise ne troublaitsa quitude. Revenons donc linnocence adamique et la vie primitive.Cela dit, nos deux philosophes quittent latelier et sen vont dans le boisde Clamart, o ils comptent fonder un nouvel Eden. Pendant deux joursils sy nourrirent de baies sauvages et de lherbe des champs et dormirent labri des taillis. Au bout de ce temps, lun deux faiblit et revint dans lagrande Babylone; lautre persista plus longtemps; il dut cder pourtant:malade et presque mort de faim, il savoua vaincu et reprit regret ses

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    occupations dautrefois, dsol de navoir pu saccoutumer au rgime v-gtal. Il est connu actuellement dans les ateliers sous le surnommrit delHerbivore.Est-ce sortir de notre sujet que de dire unmot du compositeur amricain?Voici une page pleine de verve que M. R. Franois, dlgu lExpositionde Philadelphie, consacre au typo duHerald dans son intressant Rapport:Mis en gentleman, un petit panier au bras renfermant son repas, il entrecalme et digne dans le composing room, quoiquil vienne de franchir lacentaine de marches qui sparait latelier du sol boueux de la rue. Sonpremier soin est de dposer son repas dans la glacire; puis il quitte sesvtements, y compris la chemise, les accroche au porte-manteau et en-dosse le tablier que portaient nos pres sur son gilet de flanelle, qui estgnralement en coton; dun pas tranquille, il va sa bote, o unhomme de bois lui a mis de ct sa part de distribution. Il tire de sapoche son tabac chiquer, le met dans la mentonnire, sassure duncoup dil que le vase bow est la porte de son jet salivaire, grimpe surson tabouret, et le voil parti distribuer, sans que rien ne larrte, jusqulheure de commencer. Une simple visite au bar, situ dans le basementvoisin, nest pas non plus chose rare, histoire de prendre un drink avec lecompagnon.Comme la faon du travail ne demande aucun change de paroles, lecompositeur amricain peut quitter latelier, une fois le journal fini, sansavoir dit un mot. A trs peu dexceptions prs, cela se passe ainsi. Lessortes nexistent quen trs petit nombre; par compensation, ellesmanquent gnralement desprit. La roulance se pratique sur une pe-tite chelle en signe de dngation. Un grand plaisir est de faire rpterle plus de fois possible une question pose haute et intelligible voix, endemandant: Quavez-vous dit? What did you say? A chaque rpti-tion, la galerie se tord littralement. Rarement on entend dire: He has gothis oxen! il a son buf! Nous ignorons de quel ct vient lemprunt.Dans les maisons importantes, les relations entre patrons et ouvrierssont nulles; lintermdiaire est le prote tablier.Le compositeur amricain est, en gnral, plus vif lever la lettre queson confrre franais; cela tient, croyons-nous, son temprament plusfroid, moins susceptible dnervement; on bat moins le briquet quen

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    France.Le niveau intellectuel du typo amricain est, en moyenne, un peumeilleur qu Paris; mais il a un terrible ennemi: le whiskey, et les notionsde lconomie et de la prvoyance lui sont presque inconnues.Nous ne pouvons, dans des pages consacres aux typographes, omettrede parler de la Socit typographique, qui renferme dans son sein le plusgrand nombre des ouvriers compositeurs de Paris. Cette Socit nest passimplement une Socit de secours mutuels; elle sest aussi donn pourmission de maintenir le prix de la main-duvre un taux assez levpour tre rmunrateur. Aprs avoir rencontr dnormes difficults pouraccomplir les diverses tches quelle stait imposes, la Socit typogra-phique avait fini par triompher compltement en 1868. Les premiers Ta-rifs avaient t discuts et consentis par une commission de patrons etdouvriers, et ils furent en vigueur de 1843 1862. A cette poque leprix de toutes choses ayant augment dans une proportion trs consi-drable, la profession de compositeur ne suffisait plus pour faire vivreson homme. La Socit typographique essaya de faire adopter par lesmatres imprimeurs un Tarif plus rmunrateur. Ceux-ci, sabritant der-rire la loi sur les coalitions, refusrent pour la plupart ou tranrent leschoses en longueur. Voyant que les pourparlers naboutissaient pas, laSocit ordonna des mises-bas, cest--dire la cessation du travail dansles maisons qui naccepteraient pas le nouveau Tarif. Un grand nombreadhrrent; dautres rsistrent et furent immdiatement abandonnes.Le chef de lune delles, dput au Corps lgislatif, vit ses ateliers dsertsen un jour; des arrestations et des poursuites eurent lieu; les grvistes,malgr la dfense de lillustre Berryer furent condamns la prison et lamende; mais ils se virent bientt gracis. Une nouvelle loi devenaitindispensable: celle qui rgit encore aujourdhui la matire fut vote parle Corps lgislatif, et laccord se fit alors presque partout entre les patronset les ouvriers.

    5. Le grand avocat, qui tait aussi un grand cur, refusa de recevoir les honoraires qui luitaient dus pour sa plaidoirie. Les typographes trouvrent un moyen ingnieux et dlicat deprouver leur reconnaissance: ils composrent un volume des Oraisons funbres de Bossuet,et en firent tirer un seul exemplaire quils offrirent Berryer. Cet exemplaire unique serarecherch par les bibliomanes de lavenir.

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    Un petit nombre de maisons lindex, cest--dire dans lesquelles aucunsocitaire ne pouvait accepter de travail sous peine de dchance, em-ployrent les typographes qui ntaient pas entrs dans lassociation ouqui, pour un motif ou pour un autre, en taient sortis; dautres, en petitnombre aussi, occuprent des femmes.Outre le Tarif de 1862, entirement refondu en 1868, qui rgla jusquen1878 le prix des divers travaux et spcifia ceux qui pouvaient tre faitsen conscience, cest--dire par les ouvriers la journe, et ceux qui de-vaient tre faits aux pices, la Socit typographique avait tabli quelquesautres dispositions, dont voici les plus importantes: 1 le matre impri-meur nemploiera pas de femmes comme compositrices; 2 les mises enpages seront faites aux pices; 3 le nombre des apprentis sera au maxi-mum de 1 pour 10 compositeurs. Le Tarif favorisait les commandites,cest--dire lentreprise dun labeur ou dun journal par un groupe dou-vriers qui choisissent eux-mmes leur metteur en pages. Presque tous lesgrands journaux quotidiens de Paris sont composs dans ces conditions.En 1878, une nouvelle rvision du Tarif a t tente. Aprs de laborieusesdiscussions et de longs pourparlers entre la Commission patronale et laCommission ouvrire, les dlibrations ont t rompues et laccord napu se faire. Le 21 mars, le comit de la Chambre syndicale typographiquea ordonn une mise-bas qui a caus une grande perturbation dans la ty-pographie parisienne.Soutenus par les diteurs les plus considrables de la capitale, quinzematres imprimeurs des plus importants ont refus daccepter le Tarif la-bor par la Commission ouvrire et vot par les socitaires. Les matresimprimeurs non adhrents ont mis en vigueur un Tarif d la Commis-sion patronale; ce Tarif amliore les prix consentis lamiable en 1868.Lcart entre les deux Tarifs tait si minime quil semblait quune ententebien dsirable et pu se faire facilement. Il nen a rien t: la lutte a durdeux grands mois, lextrme dtriment des deux parties. Finalement,aprs cette longue rsistance, les ouvriers ont d cder et sont rentrspour la plupart dans leurs ateliers en acceptant individuellement le Tarifpatronal. Cest pour la Socit typographique parisienne un chec consi-drable.Il existe dans la plupart des grandes villes de province, Lyon, Bordeaux,

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    Marseille, des socits typographiques organises sur le modle de cellede Paris.Parlerons-nous maintenant du correcteur? Nous avons hsit le fairepour deux motifs: le premier, cest que nous appartenons la corporationet quil est bien difficile de se connatre soi-mme; le second, cest quele correcteur nest rellement typographe, dans le sens exact du mot, quesil est en mme temps compositeur. Pourtant, le jour mme o le compo-siteur est n, le correcteur a paru; sitt quune ligne a t compose, ellea du tre lue. Le correcteur est donc le frre jumeau du compositeur: ildoit mme, pour tre digne de ce nom, joindre des connaissances gram-maticales, lexicologiques, littraires, historiques, etc., la connaissance aumoins thorique de lart typographique. Cest cette troite parent quinous a dcid lui donner place dans notre cadre. Dun autre ct, labs-tention de notre part et pu sembler trange.Empruntons dabord M. Alexandre Bernier, ancien prsident de la So-cit des correcteurs, quelques passages de son article trs comptent,insr dans le tome V du Grand Dictionnaire universel du XIX sicle dePierre Larousse:Toute personne, dit M. Bernier, qui est charge habituellement, soit dansune imprimerie, soit dans une librairie, soit dans un bureau quelconquede publications, de corriger les fautes typographiques, grammaticales etlittraires, qui se trouvent sur les preuves de toute espce dimpressions,est un correcteur.Les personnes trangres limprimerie confondent souvent le cor-recteur avec le prote, quoique leurs fonctions soient compltement dis-tinctes. Le prote est le reprsentant immdiat du matre imprimeur: ildirige et administre ltablissement. Le correcteur na pas simmiscerdans ladministration industrielle: il est le reprsentant de la littratureet de la science dans limprimerie. Son dpartement est du domaine delintelligence pure. Il nest plac sous la direction du prote que commefaisant partie du personnel de lusine typographique.Il y avait autrefois trs peu de correcteurs spciaux, cest--dire se li-vrant exclusivement la correction des preuves. Les protes, dfaut dumatre imprimeur, se chargeaient de ce soin; il en est mme encore ainsidans beaucoup de petites imprimeries, surtout en province, o lon voit

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    le matre imprimeur cumuler les fonctions de patron, de prote, de correc-teur, voire mme de compositeur et dimprimeur.Des besoins nouveaux et imprieux forcrent plus tard le prote sedcharger dune partie de sa responsabilit: il abandonna tout ce quiconcerne la correction des preuves, devenue incompatible avec sa pr-sence presque constante latelier et la surveillance quil y doit exercer.Ce jour- l naquit le correcteur tel quil existe aujourdhui.Quelles sont les fonctions du correcteur? Nous ne saurions en donnerune meilleure dfinition que celle que nous extrayons dune Lere adres-se lAcadmie franaise par la Socit des correcteurs des imprimeriesde Paris (juillet 1868): Les fonctions du correcteur sont trs complexes.Reproduire fidlement le manuscrit de lcrivain, souvent dfigur dansle premier travail de la composition typographique; ramener lortho-graphe de lAcadmie la manire dcrire particulire chaque auteur;donner de la clart au discours par lemploi dune ponctuation sobre etlogique; rectifier des faits errons, des dates inexactes, des citations fau-tives; veiller lobservation scrupuleuse des rgles de lart; se livrer pen-dant de longues heures la double opration de la lecture par lesprit etde la lecture par le regard, sur les sujets les plus divers, et toujours sur untexte nouveau o chaque mot peut cacher un pige, parce que lauteur,emport par sa pense, a lu, non pas ce qui est imprim, mais ce qui au-rait d ltre: telles sont les principales attributions dune profession queles crivains de tous les temps ont regarde comme la plus importante delart typographique.Les correcteurs se divisent en trois catgories: le correcteur en premire, lecorrecteur en seconde ou en bon tirer, et le reviseur de tierces. Le premieraccomplit sa tche en se conformant strictement aumanuscrit de lauteur,dont il lague toutefois les fautes dorthographe et de ponctuation qui au-raient t reproduites par le compositeur. La correction de lpreuve enpremire est faite par le compositeur et ses frais: de l la ncessit de nerien changer la copie; de l aussi une cause incessante de discussionsentre les correcteurs en premire et les typographes, ceux-ci se persua-dant facilement que les fautes marques sont des changements. Il est justedajouter que le correcteur, en prsence dune phrase mal construite, nersiste pas toujours la tentation de la modifier.

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    Le correcteur en bon, lui, est plus libre: il ne lit quaprs lauteur, et lesfautes quil relve sont corriges par la conscience, aux frais de lditeur.Le reviseur de tierces est charg de vrifier si les corrections indiquessur le bon ont t excutes; cest lui aussi qui voit les revisions, cest--dire les premires feuilles tires par limprimeur ou le conducteur. Saresponsabilit, moins lourde que celle du correcteur en bon, est cependantencore trs grande.Le genre de travail divise les correcteurs comme les compositeurs en la-beuriers et en journalistes.Quant la situation du correcteur, les lignes suivantes, que nous cri-vions au mois de dcembre 1866, dans le journal lImprimerie, nont pascess dtre vraies: Le correcteur, par son caractre et la nature de sesfonctions, est isol, timide, sans rapports avec ses confrres, support plu-tt quadmis dans latelier typographique. Le patron voit souvent en luiune non-valeur, puisque son salaire est prlev sur les toffes; le prote,la plupart du temps, diminue le plus possible limportance de ses fonc-tions. Aussi, et nous avons le regret de le dire, le rduit le plus obscur etle plus malsain de latelier est dordinaire lasile o on le confine. Cest lque, pendant de longues heures, il se livre silencieusement la recherchedes coquilles, heureux quand il nest pas troubl dans sa tche ingratepar les exigences incroyables de ceux qui excutent ou dirigent le tra-vail. Et pourtant, quest-ce que le correcteur? Dordinaire un dclass, untransfuge de lUniversit ou du sminaire, une pave de la littrature oudu journalisme, et que les circonstances ont fait moiti homme de lettres,moiti ouvrier. Aujourdhui, sans doute, les choses ne sont plus ce quellestaient il y a dix ans. Un lment jeune, plus nergique, est venu sad-joindre aux hommes timides.Le correcteur a des origines diverses; mais on peut affirmer, sans craintedtre dmenti, quil ny a peut-tre pas un seul correcteur dans les centimprimeries de Paris qui ait fait de cet emploi le but prmdit de sestudes ou de ses travaux antrieurs. Cest par accident quon devient cor-recteur.Souvent, cest un compositeur intelligent quune cause quelconque loignede sa casse et qui se consacre la lecture des preuves. Ce correcteur estdordinaire plus typographe que lettr: les tudes indispensables lui font

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    dfaut; il na pas fait ses humanits, comme disaient nos pres. Cest la correction des premires et la revision des tierces quil excelle. Nousavons connu un vieux reviseur de tierces tellement habile que la fautesemblait lui tirer lil; il lui arrivait assez frquemment de relever sanslire une coquille chappe lil du correcteur en bon.Ou bien cest un jeune homme sans fortune, lev au collge ou au smi-naire. Ses tudes acheves, il sest trouv en face dun problme terrible:vivre. Il a t dabord matre dtude ou rgent dans un collge de lUni-versit; quelquefois, sil sort du sminaire, il sest engag imprudemmentdans les ordres et a plus tard quitt la soutane. Ces deux dclasss se sontlongtemps dbattus avant de trouver un asile. La typographie leur a ou-vert ses bras accueillants. Ils sy sont jets, et, pour la plupart, ils y restent,sefforant dacqurir ce qui leur manque au point de vue du mtier et ap-portant lappoint de leurs tudes antrieures et de leurs connaissances quisaccroissent chaque jour.Il y a encore le correcteur que lon peut appeler amateur. Cest un tudiantpeu fortun ou un homme de lettres sans diteur qui cherche passagre-ment quelques ressources dans la lecture des preuves. Il serait tonnantquil ft habile. Le correcteur femme existe aussi; mais cette espce, dureste trs rare, napparat jamais dans latelier typographique; on ne len-trevoit quau bureau du patron ou du prote. Nous nen parlerons paspar galanterie.Au point de vue du caractre, le correcteur nest pas exempt de certainsdfauts, quon relve dailleurs avec assez damertume; mais ces dfautson doit les attribuer plutt sa situation qu la nature. Il ne faut pas ou-blier quil est presque toujours un dclass: aussi semble-t-il juste dex-cuser plus quon ne le fait les correcteurs auxquels on serait tent, dereprocher leur caractre maussade, quelquefois peu bienveillant, pluttport la tristesse et la misanthropie qu la gaiet. Encore une fois, ilfaut se souvenir quavant den venir l ils ont souffert de pnibles frois-sements, prouv de nombreuses dceptions et lutt contre le mauvaisvouloir de certains typographes dont ils sont, comme on dit, la bte noire.On a mme t jusqu prtendre que le compositeur et le correcteur sontennemis-ns. Cela a-t-il jamais t vrai? Il semble, en tout cas quil nenest plus ainsi aujourdhui. Ce sont tout simplement deux compagnons

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    attels un rude et incessant labeur.Les occupations du correcteur et la tournure habituelle de son esprit lerendent tout fait impropre aux oprations les plus simples de la vieusuelle, et le nombre est grand de ceux qui ont chou dans les tenta-tives quils ont faites pour se crer dans un autre milieu une situationindpendante. Nous avons connu un des correcteurs les plus distingusde Paris, auteur dun petit ouvrage professionnel trs rpandu dans lesimprimeries, qui, cdant aux dsirs de sa femme, quitta son emploi pouraller habiter en province. Au bout dun ou de deux ans, il saperut quilavait commis une imprudence et chercha se rapprocher de la grandeville. Un beau matin, il vint sinstaller Saint-Germain, lui, sa femme etses filles, comptant sur une promesse qui lui avait t faite antrieure-ment par un imprimeur de cette ville de lui fournir du travail. Huit joursaprs son arrive, il se rend limprimerie, o il apprend que le matreimprimeur est mort depuis plus de six mois. La promesse sur laquelle ilcomptait lui avait t faite sept ans auparavant, et il avait nglig deprendre de nouvelles informations. Il revint Paris suivi de sa femme etde ses grandes demoiselles loua, sans y prendre garde, un appartementdans une rue mal fame; en sorte que ces pauvres dames ne purent ja-mais sortir le soir. Il fut tout heureux alors de se voir accueilli par sonancien patron et de reprendre sa vie dautrefois.Notons en passant quelques types. En voici un assez curieux: cest unpetit homme lgrement obse dont la physionomie rappelle vaguementcelle de Sainte-Beuve; comme lauteur des Causeries du lundi, il ne perdpas une ligne de sa taille. Il est instruit, correcteur expriment, mais iras-cible et pointilleux: il a fait le tour des imprimeries de Paris tranant aveclui toute une bibliothque. Au moindre mot il soffense, tempte et fina-lement dmnage.Un autre est si amoureux de sa profession, si mticuleux, si rigide mme,quil ne peut souffrir quune correction indique par lui soit omise. Il ya quelques annes, il tait correcteur en premire limprimerie C Unjour, il ajouta une virgule que le correcteur en seconde fit enlever. Le cor-rigeur, trouvant l une occasion excellente de mettre les deux correcteursaux prises, sempressa dinformer le correcteur en premire que son col-lgue avait frapp sa virgule dostracisme. Aussitt notre homme prend

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    feu, va trouver son voisin et dfend sa correction; lautre maintient cellequil a indique. On discute, on semporte, et, comme toujours, on ne sen-tend pas; bref, on joue au naturel la scne de Vadius et de Trissotin. Lavictoire nous devons le dire est reste au correcteur en premire, qui asuivi la feuille jusquau moment de la mise sous presse et qui ne la quit-te quaprs le tirage. A-t-on ide dun pareil hrosme!Un troisime, mort quarante-cinq ans, avait lair dun vieillard. Predune nombreuse famille (seize ou dix-sept enfants), il se livrait un tra-vail surhumain. Pour se tenir veill, il prenait du caf, auquel il mlaitde leau-de-vie. Celle-ci, finissant par former les deux tiers du breuvage,le tua. Il avait une intelligence rare, jointe une grande facilit de travail.Nous lui avons vu apprendre le portugais en trois semaines, non de faon le parler mais suffisamment pour corriger en bon. Il savait, en outre,le latin, le grec, langlais, litalien et lespagnol. Sur la fin, il tait devenumorose.Un autre affecte des allures populacires et une mise dbraille: il a leverbe haut, la faconde intarissable. Pote et chansonnier ses heures, ilfredonne tous les flonflons nouveaux. Il ddaigne le caf et traite daris-tocrates les confrres qui y vont; en revanche il frquente assidment lemastroc, devant le comptoir duquel il trne et prore volontiers. Cest letype du correcteur poivreau. On affirme autour de lui quil nest jamaisplus apte chasser la coquille que lorsquil nage entre deux vins. Cetteassertion, est-il besoin de le dire? ne doit tre accepte que sous bnficedinventaire. Quoi quil en soit, grce au bonnet et la camaraderie, il nechme presque jamais.Pour terminer faisons le portrait dun vritable original. Cest un individuaux larges paules, la voix de Stentor: quand il vous parle, on croiraitquil veut vous avaler. Il nest pas si mchant quil en a lair. Il a joui dunegrande aisance aujourdhui disparue. Entr tardivement dans la profes-sion (il comptait plus de cinquante hivers), il a souvent lair de descendrede la lune en prsence des mille incidents de la vie datelier, nouvelle pourlui. Du reste instruit, piocheur, il fait convenablement son travail. Le trait1e plus curieux de son caractre, cest que, trouvant tout mal ici-bas, ilne voit de bonheur vrai que dans un autre monde; soccupant peu de cequi existe, il ne songe qu ce qui devrait tre. On pourrait le nommer

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    lAbsolu.Parmi ceux qui ont exerc la profession de correcteur, on compte quelqueshommes devenus clbres. Les plus connus sont: Erasme, Froben, Amer-bach, Franois Raphelenge, Lascaris, Calliergi, Musurus, Frdric Sylburg,Rderer, labb de Bernis, Branger, Armand Marrast, Dbner, CharlesMller, Auguste et Martin Bernard, P.-J. Proudhon et Pierre Leroux; Jo-seph Boulmier, etc.On ne doit pas stonner de rencontrer un grand nombre de littrateursparmi ces hommes quun labeur continu met en perptuel contact avecles crivains de tout genre. Aussi, outre ceux que nous avons cits, et un rang infrieur, on pourrait nommer encore des romanciers, des poteset des journalistes:En 1865, les correcteurs ont form une Socit qui a t approuve en1866.Elle a pour but:l Dtablir des liens de fraternit entre les correcteurs dimprimerie aumoyen de rapports plus frquents et dchange de bons offices;2 De faciliter le placement des socitaires sans travail, et, aprs eux, desautres membres de la corporation;3 De crer une caisse de secours destine payer une indemnit jour-nalire aux socitaires atteints de maladies ou dinfirmits temporaires;4 De venir en aide la veuve ou aux enfants du socitaire dcd.Elle na pas dict de Tarif.Limite aux imprimeries de Paris et de la banlieue, cette Socit comprenddans son sein le tiers environ des correcteurs employs par la typographieparisienne.Un Syndicat des correcteurs a t fond en 1882; il est distinct de laSocit dont nous venons de parler. Toutefois, un grand nombre desmembres de celle-ci y ont adhr.Mais en voil suffisamment sur ce sujet. Peut-tre mme nous accusera-t-on de nous y tre attard et davoir montr trop de prdilection pour uneclasse de travailleurs laquelle nous nous faisons honneur dappartenir.Le teneur de copie est laide du correcteur en premire. Il suit sur le manus-crit, tandis que celui-ci lit haute voix tout en corrigeant; sa principalequalit doit tre lattention. Cest souvent un compositeur infirme ou un

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    vieillard. Dans un grand nombre dimprimeries, ce sont les apprentis quitiennent la copie.Quelques correcteurs prrent lire au pouce, cest--direse passer de teneur de copie. Ce dernier est indispensable dans les jour-naux, o le travail doit tre accompli avec une clrit prodigieuse.

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  • DICTIONNAIRE DE LARGOTDES TYPOGRAPHES

    Pour le plus grand nombre de nos lecteurs, quelques-unes des expressionsemployes dans les pages qui prcdent peuvent tre inintelligibles: nousallons donc les faire suivre dun Dictionnaire de largot des typographes.Pour ceux qui ont pntr dans lantre de la Sibylle et qui comprennent lalangue quon y parle, ce sera un ressouvenir qui, si nous en jugeons parle plaisir que nous prouvons lcrire, ne manquera pas dune certainesaveur:

    Indocti discant, et ament meminisse periti.

    Pour les autres, notre Dictionnaire de largot des Typographes aura toutlattrait de la nouveaut et tout le piquant de limprvu. Il leur permettrade saisir le sens dexpressions nergiques ou pittoresques dont plusieursont franchi les limites de limprimerie et se sont introduites dans la languepopulaire.

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  • A

    Aller en Galile, v. Remanier, remettre en gale. M. Ch. Sauvestre, qui,lui aussi, est un ancien typo devenu journaliste, nous signale cette expres-sion pittoresque: Aller en Galile, dit-il, cest faire des remaniements quincessitent le transport dune page ou dune portion de page du marbre,o elle tait en forme, dans la gale, sur la casse. Aller en Germanie nestrien, comparativement au guignon daller en Galile.Galile est videm-ment une corruption plaisante de gale.Aller en Germanie, v. Remanier. Cette expression, dallure si preste,sapplique pourtant, comme on voit, une chose trs dsagrable pourle compositeur. Lorsquil quil a commis un bourdon ou un doublon etquil est forc de remanier un long alina, on dit quil va en Germanie.Cette locution, rcemment introduite dans quelques ateliers, vient-elledes nombreux remaniements que la Prusse a fait subir, depuis 1866, lacarte dAllemagne, et mme, hlas! la carte de France?Un vieux typographe nous fait remarquer que cette locution:Aller en Ger-manie, dont on naperoit pas distinctement lorigine, que nous venonstout lheure de chercher au del du Rhin, est purement et simplementune corruption. Quand un compositeur a commis un bourdon, il scriede mauvaise humeur: Allons! bon! Il faut que je remanie. Do aller en JE

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  • Dictionnaire de largot des typographes Chapitre

    REMANIE, puis en Germanie.Amphibie, s. m. Ouvrier typographe qui est en mme temps imprimeurou correcteur.Article 4 (PAYER SON), v. Payer sa bienvenue en entrant dans un atelier.Voici lorigine de cette expression. Dans le temps o les compositeurs por-taient lpe, chaque imprimerie formait une sorte de confrrie ou cha-pelle rgie par un rglement. Ce rglement stipulait le nombre dexem-plaires que les diteurs et les auteurs devaient laisser la chapelle. Cesexemplaires taient vendus, et largent quon en retirait consacr fter laSaint-Jean - Porte - Latine et la Saint-Michel. Larticle 4 de ce rglement,le seul qui soit par tradition rest en vigueur, dterminait tous les droitsdus par les typographes. On ajoute quelquefois, en parlant de larticle 4,les mots verset 20, quil faut traduire: Versez vin. Dans le nord de laFrance on dit: payer ses quatre heures au lieu de payer son article 4.Attrapance, s. f. Vive dispute.Attraper, v. a. Faire des reproches, chercher noise un compagnon donton croit avoir se plaindre.Attrape-science, s. m. Nom ironique par lequel les ouvriers dsignentquelquefois un apprenti compositeur. Lattrape-science est lembryon dutypographe; la mtamorphose demande trois quatre ans pour saccom-plir; vers seize ou dix-sept ans, la chrysalide est devenue papillon, et legamin sest fait ouvrier. A latelier, il a une certaine importance: cest lefactotum des compositeurs; il va chercher le tabac et fait passer clandes-tinement la chopine ou le litre qui sera bu derrire un rang par quelquecompagnon altr. Il va chez les auteurs porter les preuves et fait, en g-nral, plus de courses que de pt. Quand il a le temps, on lui fait rangerles interlignes ou trier quelque vieille fonte; ou bien encore il est employ tenir la copie au correcteur en premire, besogne pour laquelle il montredordinaire une grande rpugnance. Parfois victime des sortes de latelier,il en est aussi le complice ou le metteur en uvre. Il nous revient en m-moire une anecdote dont le hros fut un apprenti. Ses parents habitantdans un faubourg, notre aspirant Gutenberg apportait latelier sa fripequotidienne, dont faisait souvent partie une belle pomme. Le gaillard, quitait un gourmet, avait soin de la faire cuire en la plaant sur un coin dupole. Mais plus dune fois, hlas! avant dtre cuite, la pomme avait dis-

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    paru, et notre apprenti faisait retentir les chos de ses plaintes amres:Ma pomme! on a chip ma pomme! La chose stant renouvele plussouvent que de raison, lenfant savisa dun moyen pour dcouvrir le vo-leur. Un beau jour, il apporta une matresse pomme quil mit cuire surle pole. Comme le gamin sy attendait, elle disparut. Au moment o ilcriait tue-tte: On a chip ma pomme! on vit un grand diable cra-cher avec dgot; ses longues moustaches blondes taient enduites dunliquide noirtre et gluant, et il avait la bouche remplie de ce mme li-quide. Ctait le chipeur qui se trouvait pris une ruse de lapprenti:celui-ci avait creus lintrieur de sa pomme et avait adroitement substi-tu la partie enleve un amalgame de colle de pte, dencre dimprimerie,etc. Lamateur de pommes, devenu la rise de latelier, dut abandonner laplace, et jamais sans doute il ne sest frott depuis lattrape-science.Certains apprentis, vrais gamins de Paris, sont ptris de ruses et fcondsen ressources. Lun deux, pour garder sa banque (car lattrape-sciencereoit une banque qui varie entre 1 fr. et 10 fr. par quinzaine), employaun moyen trs blmable coup sr, mais vraiment audacieux. Il avaiteu beau prtendre quil ne gagnait rien, inventer chaque semaine de nou-veaux trucs, feindre de nouveaux accidents, numrer les nombreuses es-paces fines quil avait casses, les formes quil avait mises en pte, riennavait russi: la mre avait fait la sourde oreille, et refusait de le nourrirplus longtemps sil ne rapportait son argent la maison. Comment syprendre pour dner et ne rien donner? Un jour dt quil passait sur lepont Neuf, une ide lumineuse surgit dans son esprit: il grimpe sur le pa-rapet, puis se laisse choir comme par accident au beau milieu du fleuve,qui se referme sur lui. Les badauds accourent, un bateau se dtache de larive et le gamin est repch. Comme il ne donne pas signe de vie, on ledshabille, on le frictionne, et, quand il a repris ses sens, on le reconduitchez sa mre, laquelle il laisse entendre que, de dsespoir, il sest jet leau. La brave femme ajouta foi au rcit de son enfant, et jamais plus nelui parla de banque. Le drle avait spcul sur la tendresse maternelle: ilnageait comme un poisson et avait tromp par sa noyade simule les ba-dauds, ses sauveurs et sa mre. Nous retrouverons cet attrape-sciencegrandi et moribond larticle LAPIN.A lImprimerie Nationale, les apprentis sont dsigns sous le nomdlves.

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    Il en est de mme dans quelques grandes maisons de la ville.Avaro, s. m. Avanie, et aussi accident. Nous orthographions ce mot tout hasard. Quelle en est lorigine? Nous lignorons. Peut-tre vient-ildavarie.

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  • B

    Balade, s. f. Promenade, flnerie, dit Alfred Delvau. Cest vrai; mais,pour les typographes, la balade est quelque chose de plus; cest une pro-menade au bout de laquelle il y a un djeuner, un dner, ou tout au moinsun rafrachissement; cest aussi la promenade au hasard et sans but d-termin; mais il arrive presque toujours que lun des baladeurs a une idelumineuse et entrane ses camarades dans quelque guinguette renomme.Balader (SE), v. pr. Flner, se promener sans but dtermin.Baladeur, adj. Qui aime se balader, faire une balade.Balle (ENFANT DE LA), S. m. Ouvrier compositeur dont le pre tait lui-mme typographe, et qui, depuis son enfance, a t lev dans limprime-rie. Lorigine de cette expression, qui est passe dans la langue vulgaire,est assez peu connue. Elle vient de ce que, avant linvention des rouleaux,on se servait, pour encrer les formes, de tampons ou balles.Banque, s. f. Paye des ouvriers. Le prote fait la banque aux metteurs enpages, qui leur tour la font aux paquetiers. Ce mot entre dans plusieurslocutions. Par exemple on dit: La banque a fouaill, pour indiquer que lepatron na pas pay au jour dit. || Etre bloqu la banque, cest ne rienrecevoir. || Faire banque blche semploie dans le mme sensBarbe, s. f. . La barbe dit lauteur de Typographes et gens de leres, cest

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    ce moment heureux, ce moment fortun, qui procure au malheureux unedouce extase et lui fait oublier ses chagrins, ses tourments et sa casse!Que ne trouve-t-on pas dans cette dive bouteille? Pour tous, elle est unsoulagement aux travaux ennuyeux; pour quelques-uns, un moyen dedistraction; dautres y cherchent loubli, un certain nombre lesprance.La barbe a des degrs divers. Le coup de feu est la barbe commenante.Quand ltat divresse est complet, la barbe est simple: elle est indignequand le sujet tombe sous la table, cas extrmement rare. Il est certainspoivreaux qui commettent la grave imprudence de promener leur barbe latelier; presque tous deviennent alors pallasseurs, surtout ceux qui sonttaciturnes ltat sec.Barboter, v. a. Voler des sortes dans la casse de ses camarades. Se ditsouvent la place de FRICOTER et de PILLER.Barboteur, s. m. Synonyme de FRICOTEUR et de PILLEUR DE BOTES.Bardeau, s. m. Casseau contenant diverses sortes dun mme caractre.Bassin, s. m. Homme ennuyeux. Ce mot appartient aussi largot pari-sien et nest pas spcial la typographie: Tais-toi, vieux bassin. || On ditaussi BASSINOIRE.Batiau, s. m. Le jour du batiau est celui o le compositeur fait son borde-reau et arrte son compte de la semaine ou de la quinzaine. || Parler batiau,cest parler des choses de sa profession, cest--dire pour les typographesdes choses de limprimerie.Batt, adv. Trs bien. Peu usit. Orthographe douteuse.Battage, s. m. Plaisanterie, mensonge; synonyme de MONTAGE.Batteur, s. m. Qui fait des mensonges, des battages.Battre le briquet, v. Heurter la lettre au composteur avant de ly laissertomber. MM. les compositeurs ne sont pas exempts de tics dans laccom-plissement de leur tche. Il en est de trs prjudiciables la rapidit dutravail et consquemment au gain qui en rsulte.Quelques compositeursmettent en mouvement tous leurs membres, tandis que le bras droit seuldoit agir; dautres sy reprennent deux fois pour saisir la lettre; dautrespitinent; mais le dfaut le plus commun est de bare le briquet.B! b!, Cri dappel, imitant le blement du mouton, que poussent, dansquelques ateliers au coup de quatre heures, les imprimeurs et conducteursaltrs.

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    Bcher, v. a. Dire du mal de quelquun; faire des cancans sur son compte.Ce mot, dont le sens est peu prs le mme que celui de Casser du sucre,nest pas particulier au langage des typographes, non plus que cette der-nire expression.Becqueter, v. a. Manger; synonyme de BOULOTTER.Bquet, s. m. Hausse en papier que limprimeur ajoute la mise en trainou place sous un clich. || Composition de quelques lignes. Ce mot est em-prunt au langage des cordonniers pour lesquels il signifie Petit morceaude cuir joint la semelle.Bergre s. f. Dans la langue typographique, comme dans les autres argotsce mot dsigne une femme.Bibasse (LA) s. f. Nom familier sous lequel tait dsigne la Socit ty-pographique de Lyon.Bibassier, s. m. Qui a lhabitude de boire, de bibasser (du latin bibere);ivrogne. Signifie plutt maintenant radoteur, maussade, tatillon, gour-gousseur: Vieux bibassier, va!Bibelot, s. m. En imprimerie, on donne ce nom aux travaux de peu dim-portance, tels que factures, adresses, tiquettes, prospectus, circulaires,lettres de mariage, billets de mort, etc. Ces travaux sont aussi appels bil-boquets, et mieux ouvrages de ville.Bibelotier, s. m. Cest louvrier spcial charg de faire les bibelots. Pourlui, les rgles adoptes en typographie sont lettre morte. Il doit avant toutsassimiler et faire ressortir lide du client, sans sinquiter des rglesordinaires. Le bibelotier est le metteur en uvre des puffistes et des char-latans du jour. Il est linventeur de ces rclames bizarres qui forcent lat-tention; cest lui qui a imagin la disposition des billets de la loterie dulingot dor et autres balanoires.Bibi (). Expression quivalente celle-ci:ACharenton! Bibi est ici labr-viation de Bictre, asile dalins pour les fous qui ne peuvent payer depension. On envoie Bibi ceux dont les pallas sont ou paraissent insenss.Bilboquet, s. m. V. BIBELOT.Blche (FAIRE), v. Amener un coup nul au jeu des cadratins. || Par exten-sion, faire banque blche, cest ne pas toucher de banque. V. BANQUE.Bloquer, v. a. Remplacer provisoirement un signe typographique donton manque par un autre de mme force. || Par extension, Manquer, faire

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    dfaut, faillir. Bloquer le mastroquet, cest ne pas payer le marchand devin.Boche (TTE DE), S. f. Tte de bois. Ce terme est spcialement appliquaux Belges et aux Allemands. parce quils comprennent assez difficile-ment, dit-on, les explications des metteurs en pages, soit cause dunmanque de vivacit intellectuelle, soit cause de la connaissance impar-faite quils ont de la langue franaise et de leur impardonnable ignora