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26 RUE D'ORADOUR SUR GLANE 75015 PARIS - 01 44 82 16 16 13 AVR 12 Hebdomadaire Paris OJD : 67295 Surface approx. (cm²) : 681 N° de page : 36 Page 1/2 LAROUSSE2 4027791300504/XSB/OTO/2 Eléments de recherche : LAROUSSE : uniquement livres/vie de la société MAIS OÙ EST DONC PASSÉ LE LIBÉRALISME? PRO DOMO Le discours libéral qui faisait partie ces dernières années des thèmes majeurs de division de la classe politique a disparu des débats de la campagne presidentielle. Pourquoi? Mathieu Laine, maître d'oeuvre d'un Dictionnaire du libéralisme qui vient de paraître, donne ses explications. D'un point de vue libéral... E st-ce un effet de la crise écono- mique - et d'identité - que traverse l'Europe ? En tout cas, le thème du libéralisme - ultra, hyper, néo, classique... -, accusé d'être à la source de tous les maux de la France, n'est plus un sujet de polé- mique. La preuve, nul n'en parle dans la campagne presidentielle. « Nicolas Sarkozy a prouvé qu'il n'était pas libéral, et François Hollande, Jean-Luc Mélen- chon et Marine Le Pen sont antilibéraux avec viru- lence. Ils sont tous étatistes », soupire Mathieu Laine. À la tête de la société de conseil Altermind, ce jeune professeur à Sciences-Pô publie cette semaine un Dictionnaire du libéralisme aux éditions Larousse. Fruit de quatre ans de travail et de la collaboration de soixante-cinq spécialistes de tous horizons, la parution de cet ouvrage de plus de 600 pages semble décalée dans la conjoncture politique. « J'ai voulu montrer que le libéralisme n'est pas la caricature que se plaisent à en faire ses détracteurs », se justifie-t-il. L'ouvrage, qui se veut pour le grand public, offre à la fois des définitions daires des principaux théori- ciens, politiques, concepts, événements historiques qui jalonnent l'histoire d'un concept qui, en France, se réduit souvent à l'image du « renard libre dans le poulailler ». Pourtant, le libéralisme a eu ses heures de gloire dans l'Hexagone, notamment aux xvm 6 et xix e siècles, à travers les figures de Frédéric Bastiat, Turgot, Tocqueville, Montesquieu... I prolongeait le mouvement d'idées initié par le philosophe écossais David Hume, i qui impose l'empirisme contre la métaphy- sique, et par John Locke, qui montre la nécessité de repenser la politique à l'aune du droit naturel, inaliénable, de l'individu et du droit de propriété. Un autre célèbre Écossais, Adam Smith, dans son maître ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, repense les lois de la production en avan- tages comparatifs et montre combien le commerce international se substitue avantageusement aux guerres dans les rapports entre États. Mais le libéralisme s'oppose surtout à un État om- niscient, qui dicte le bien pour l'individu. Cette volonté de construire une société meilleure reste d'ailleurs l'alpha et l'oméga des programmes des candidats à la I présidence pour séduire les élec- teurs. Le prix Nobel d'économie Friedrich Hayek, juge, lui, que les actions des individus sont telle- ment complexes qu'il est impos- sible a priori pour un pouvoir central d'établir un ordre social en considérant les citoyens comme des pions que l'on peut bouger à son gré. Hayek dénonce ce « constructivisme » qui nuit à un ordre spontané d'organisation dont le marché, lieu où les individus échangent des biens librement, serait l'exemple le plus probant. On soulignera que les thèmes qui dominent la cam- pagne électorale ne sont pas tant le progrès écono-

Dictionnaire du Libéralisme - La Tribune - 120413

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13 AVR 12Hebdomadaire Paris

OJD : 67295

Surface approx. (cm²) : 681N° de page : 36

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MAIS OÙ EST DONC PASSÉLE LIBÉRALISME?

PRO DOMO Le discours libéral qui faisait partie ces dernières années desthèmes majeurs de division de la classe politique a disparu des débats de lacampagne presidentielle. Pourquoi? Mathieu Laine, maître d'œuvre d'unDictionnaire du libéralisme qui vient de paraître, donne ses explications.D'un point de vue libéral...

Est-ce un effet de la crise écono-mique - et d'identité - que traversel'Europe ? En tout cas, le thème dulibéralisme - ultra, hyper, néo,classique... -, accusé d'être à lasource de tous les maux de laFrance, n'est plus un sujet de polé-

mique. La preuve, nul n'en parle dans la campagnepresidentielle. « Nicolas Sarkozy a prouvé qu'il n'étaitpas libéral, et François Hollande, Jean-Luc Mélen-chon et Marine Le Pen sont antilibéraux avec viru-lence. Ils sont tous étatistes », soupire Mathieu Laine.À la tête de la société de conseil Altermind, ce jeuneprofesseur à Sciences-Pô publie cette semaine unDictionnaire du libéralisme aux éditions Larousse.Fruit de quatre ans de travail et de la collaborationde soixante-cinq spécialistes de tous horizons, laparution de cet ouvrage de plus de 600 pages sembledécalée dans la conjoncture politique. « J'ai voulumontrer que le libéralisme n'est pas la caricature quese plaisent à en faire ses détracteurs », se justifie-t-il.L'ouvrage, qui se veut pour le grand public, offre à lafois des définitions daires des principaux théori-ciens, politiques, concepts, événements historiquesqui jalonnent l'histoire d'un concept qui, en France,se réduit souvent à l'image du « renard libre dans lepoulailler ». Pourtant, le libéralisme a eu ses heuresde gloire dans l'Hexagone, notamment aux xvm6 etxixe siècles, à travers les figures de Frédéric Bastiat,Turgot, Tocqueville, Montesquieu...

I prolongeait le mouvement d'idées initiépar le philosophe écossais David Hume,

iqui impose l'empirisme contre la métaphy-sique, et par John Locke, qui montre lanécessité de repenser la politique à l'aunedu droit naturel, inaliénable, de l'individuet du droit de propriété. Un autre célèbre

Écossais, Adam Smith, dans son maître ouvrageRecherches sur la nature et les causes de la richessedes nations, repense les lois de la production en avan-tages comparatifs et montre combien le commerceinternational se substitue avantageusement auxguerres dans les rapports entre États.Mais le libéralisme s'oppose surtout à un État om-niscient, qui dicte le bien pour l'individu. Cettevolonté de construire une société meilleure rested'ailleurs l'alpha et l'oméga desprogrammes des candidats à la Iprésidence pour séduire les élec-teurs. Le prix Nobel d'économieFriedrich Hayek, juge, lui, que lesactions des individus sont telle-ment complexes qu'il est impos-sible a priori pour un pouvoircentral d'établir un ordre socialen considérant les citoyenscomme des pions que l'on peutbouger à son gré. Hayek dénoncece « constructivisme » qui nuit à un ordre spontanéd'organisation dont le marché, lieu où les individuséchangent des biens librement, serait l'exemple leplus probant.On soulignera que les thèmes qui dominent la cam-pagne électorale ne sont pas tant le progrès écono-

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mique que la protection du ci-toyen, avec à la clé la recherchede boucs émissaires : les immi-grés, la Chine et sa concurrencedéloyale, les riches, l'euro,Bruxelles, les fonctionnaires...Dans son premier grand meetingde campagne en janvier, au Bour-get, le candidat socialiste Fran-çois Hollande avait même claire-ment désigné un « ennemi, qui n'a pas de nom, pasde visage, la finance ». « La campagne presidentielleest dominée par le protectionnisme et la sécurité,autrement dit par l'envie et la peur. En fait, on flatteles plus bas instincts », déplore Mathieu Laine.Paradoxalement, cette protection des citoyens parle Welfare State (l'État-providence) est mise enquestion par l'endettement des pays européens etleurs difficultés à réduire leur déficit public. Le mo-dèle social du Welfare State, qui a caractérisé à par-tir des années 1960 les nations développées, connaîtà présent ses limites. Financé à crédit, il doit être

remis en cause, ce qui ouvre lavoie aux politiques d'austéritéactuelles. Quant au protection-nisme, il n'a jamais été historique-ment probant. Adam Smith déjàdénonçait ce système mercanti-liste, qui, s'il bénéficie aux pro-ducteurs et monopoles locauxainsi qu'au personnel politique àcourt terme, pénalise, en re-vanche, à long terme les consom-mateurs, autrement dit les indivi-

dus, qui sont la véritable source de la richesse d'unpays. Car pour Smith, « c'est la consommation qui estle seul but de toute production ».Un regard jeté sur ce qui est proposé dans lacampagne électorale en cours, permet de constaterque les candidats sont obsédés par la protection des

JJ De fait, l'État\\favorise l'aléamoral, qui seretrouve dansle too big to fai l .»

JJ Financé\\acredit,le modèle socialduWelfare Statedoit être remisen cause. »

producteurs et ne craignent pas de promettre del'argent public à des secteurs lourdement dé-ficitaires au nom d'une réindustrialisation décidéeau sommet de l'État. Ce dernier serait l'uniquelevier à partir duquel il semble possible d'agir, saraison d'être n'est pas interrogée, sa neutralitésemble acquise.Pourtant, en France, la dépense publique, quireprésente 56 % du PIB, mobilise la plus impor-tante part de l'activité, un niveau inégalé dansl'ensemble de la zone euro. Sans surprise, la réduc-tion de la dette a disparu de la campagne. Cet aveu-glement antilibéral se retrouve dans l'analyse de lacrise de 2008. Si le secteur financier a été montredu doigt au travers des « subprimes », on omet tou-jours de rappeler la source de ces produits ; la déci-sion de l'Etat américain - conservateur commedémocrate - de favoriser l'octroi de crédits ban-caires au nom d'une noble cause - l'accès à la pro-priété pour tous - mais au détriment de règles pru-dentielles. Cette prise de risque était garantie parles organismes publics Freddie Mac et Fannie Mae,et sans cette incitation, aucun organisme de prêtprivé n'aurait accepté une si généreuse distribution.Sans parler du rôle des banques centrales et de leurpolitique monétaire laxiste.De fait, l'État favorise l'aléa moral, qui se retrouvedans le too big to fail. Un organisme prend un risqueinconsidéré parce qu'il sait que l'Etat va le sauver.C'est la raison pour laquelle les libéraux défendent

le marché privé plutôt que l'in-tervention de l'État. Les prises derisques nécessitent une respon-sabilité. Or, souvent, l'État per-met de supprimer cetteresponsabilité puisque les gou-vernements ne seront pas pour-suivis. Et cette absence de res-ponsabilité du secteur privé créépar l'État conduit en retour à uneplus grande irresponsabilité del'État qui finance à crédit son sys-

tème social sans les limites que lui imposeraient lemarché. « C'est le "too public to fail" », ironise Ma-thieu Laine.

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a Grèce illustre cette situationjusqu'à la caricature. Voilà un paysqui a pu bénéficier de crédits euro-péens, qui ont été dilapidés par unÉtat clientéliste (de droite commedc gauche) qui, de surcroît, a falsifiéles comptes publics sans consé-

quences judiciaires. Si Ic peuple grec cst dans unesituation aussi difficile en ce moment, il le doitdavantage à l'incurie et la corruption de ses gou-vernements qu'aux technocrates de Bruxelles, duFMI, ou aux marchés financiers. Et la récente dé-couverte sur l'île ionienne d'une concentrationexceptionnelle d'aveugles, parmi lesquels des chauf-feurs de taxis, ne manquera pas d'évoquer la célèbredéfinition de l'État de Frédéric Bastiat : « La grandefiction à travers laquelle tout le monde s'efforce devivre aux dépens de tout le monde. »Au final, comment peut voter un libéral aux prési-dentielles?* Le problème du libéral est qu'il n'est nide gauche, ni de droite », résume Mathieu Laine, res-tant fidèle à son credo de la prime de l'individu. Frie-drich Hayek, qui ne se situait pas vraiment à gauche,n'avait-il pas rédigé un article célèbre intitulé Pour-quoi je ne suis pas conservateur? W

ROBERT JULES

MATHIEULAINEPROFESSEUR

à Sciences-Pô,s'essaie à montrer,dans cette sommecritique surl'histoire récentedu liberalismecombien ce courantest riche, tant parla diversite de sesacteurs que de sesidees et debatsinternationaux,lom de la caricaturemediatiquehabituelle

•» Dictionnairedu libéralisme.Sous la directionde Mathieu Laine,Larousse,639 pages,28,50 euros.

•» Et aussi:Néo-libéralisme^dè Serge Audier,Grasset,630 pages,27 euros.