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103 Séminaire régional de recherche-action Cantho, du 1 er au 5 décembre 2003 « Formation et autoformation des enseignants de français » Pour une didactique de l’argumentation TRAN Thê Hung (Université des langues étrangères – Université Nationale de Hanoi, Vietnam) 0. INTRODUCTION De nos jours, on ne parle plus de l’enseignement des langues mais des langues- cultures. L’enseignement des langues-cultures ne peut plus être toujours considéré comme une application pure et simple de la linguistique et des autres disciplines comme la psychologie et l’anthropologie. C’est une discipline qui aurait pour objectif l’enseignement/apprentissage des langues-cultures et pour finalité une meilleure compréhension entre tous les Hommes de cette planète. C’est dans cet esprit que nous allons proposer une didactique de l’argumentation et de la réfutation. Pour pouvoir enseigner l’argumentation, l’enseignant doit être formé à cette tâche. 1. LA FORMATION DES ENSEIGNANTS La formation des enseignants doit conduire les enseignants vers une autonomie de jugement et d’action leur permettant d’éviter l’assujettissement aux méthodologies dominantes, d’analyser les situations complexes auxquelles ils se sont confrontés et de construire des scénarios motivants et des outils adéquats. Cela veut dire qu’il faut amener les enseignants à se responsabiliser, à refuser leur enfermement méthodologique, à prendre conscience de la diversité-complexité des situations d’apprentissage. Ce qui conforte la primauté naturelle du sujet (apprenant et/ou l’enseignant) sur l’objet. Pour ce qui concerne l’enseignement de l’argumentation et de la réfutation, l’enseignant doit connaître non seulement le système linguistique français mais aussi le système linguistique vietnamien. En effet, l’enseignant du français langue étrangère est confronté chaque jour aux difficultés de fonctionnement de la langue et surtout, aux redoutables questions des apprenants, questions fort pertinentes mais très insolites pour les Français. Face à de telles questions, l’enseignant se doit d’expliquer le fonctionnement de la langue aux étudiants. Le recours à la linguistique leur sera alors précieux. Le terme de « recours » ne signifie pas prendre la linguistique comme modèle pour penser la didactique, mais de se servir des analyses et des descriptions de la linguistique pour fonder son travail sur la langue. Ceci est non seulement vrai pour la langue mais aussi pour la culture : si l’enseignant ne maîtrise pas le système de valeurs auquel il doit se référer, s’il ne connaît pas le comportement verbal des Français, comment peut-il aider les étudiants à construire une vraie compétence de communication ? En ce qui concerne la linguistique, nos enseignants n’ont pas tellement de difficultés parce qu’ils sont bien formés dans ce domaine. Pourtant, il leur faut une

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Séminaire régional de recherche-actionCantho, du 1er au 5 décembre 2003

« Formation et autoformation des enseignants de français »

Pour une didactique de l’argumentation

TRAN Thê Hung(Université des langues étrangères – Université Nationale de Hanoi, Vietnam)

0. INTRODUCTIONDe nos jours, on ne parle plus de l’enseignement des langues mais des langues-

cultures. L’enseignement des langues-cultures ne peut plus être toujours considérécomme une application pure et simple de la linguistique et des autres disciplines commela psychologie et l’anthropologie. C’est une discipline qui aurait pour objectifl’enseignement/apprentissage des langues-cultures et pour finalité une meilleurecompréhension entre tous les Hommes de cette planète. C’est dans cet esprit que nousallons proposer une didactique de l’argumentation et de la réfutation. Pour pouvoirenseigner l’argumentation, l’enseignant doit être formé à cette tâche.1. LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

La formation des enseignants doit conduire les enseignants vers une autonomiede jugement et d’action leur permettant d’éviter l’assujettissement aux méthodologiesdominantes, d’analyser les situations complexes auxquelles ils se sont confrontés et deconstruire des scénarios motivants et des outils adéquats. Cela veut dire qu’il fautamener les enseignants à se responsabiliser, à refuser leur enfermementméthodologique, à prendre conscience de la diversité-complexité des situationsd’apprentissage. Ce qui conforte la primauté naturelle du sujet (apprenant et/oul’enseignant) sur l’objet.

Pour ce qui concerne l’enseignement de l’argumentation et de la réfutation,l’enseignant doit connaître non seulement le système linguistique français mais aussi lesystème linguistique vietnamien. En effet, l’enseignant du français langue étrangère estconfronté chaque jour aux difficultés de fonctionnement de la langue et surtout, auxredoutables questions des apprenants, questions fort pertinentes mais très insolites pourles Français. Face à de telles questions, l’enseignant se doit d’expliquer lefonctionnement de la langue aux étudiants. Le recours à la linguistique leur sera alorsprécieux. Le terme de « recours » ne signifie pas prendre la linguistique comme modèlepour penser la didactique, mais de se servir des analyses et des descriptions de lalinguistique pour fonder son travail sur la langue. Ceci est non seulement vrai pour lalangue mais aussi pour la culture : si l’enseignant ne maîtrise pas le système de valeursauquel il doit se référer, s’il ne connaît pas le comportement verbal des Français,comment peut-il aider les étudiants à construire une vraie compétence decommunication ?

En ce qui concerne la linguistique, nos enseignants n’ont pas tellement dedifficultés parce qu’ils sont bien formés dans ce domaine. Pourtant, il leur faut une

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formation complémentaire sur l’argumentation et sur la « méthodologie ». Pourl’argumentation, les enseignants doivent être solidement inculqués des éléments de basede l’argumentation. Pour la méthodologie, la question que Puren pose dans « Laformation en questions » nous paraît non seulement nouvelle mais c’est surtout unequestion de taille : Comment enseigner pour faire apprendre ? Dans l’enseignement/apprentissage de l’argumentation et de réfutation, va-t-on centrer sur l’enseignement ousur l’apprentissage ?

En ce qui concerne la culture, le problème c’est que dans l’enseignement/apprentissage d’une langue-culture, la culture existentielle joue un rôle plus importantque la culture institutionnelle. Nos enseignants vietnamiens doivent posséder cetteculture, comprendre les mots « à charge culturelle partagée » et les palimpsestesverbaux. On sait que la compétence culturelle, d’une part, constitue l’essentiel de lacompétence communicative, et d’autre part, est constituée d’un ensemble diversifié dereprésentations partagées. Ces représentations tendent en premier lieu au figement,participent ainsi à des idéologies et constituent la base du noyau dur de la compétencecommunicative.2. L’ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE DE L’ARGUMENTATION2.1. Nécessité de l’apprentissage de l’argumentation

Depuis l’ouverture du pays au monde, surtout à l Occident, notre société s’esttransformée en « univers communicationnel », l’argumentation a commencé à gagner duterrain, d’abord utilisée par les hommes politiques, manifestement revendiquée ensuitepar les publicitaires, produite et consommée au fur et à mesure par les simples gens faceau développement sans précédent de l’information, aux exigences des discussions,débats ou négociations de toutes sortes de l’économie de marché.

Apparaissant ainsi progressivement comme une pratique sociale nécessaire,l’argumentation est devenue un objet d’étude, un domaine de recherche en priorité etattire l’attention de certains linguistes chevronnés comme H u Châu ( H u Châuet Bùi Minh Toán, 1993), Nguy n c Dân (1999). « L’art d’argumenter » se présentecomme une nécessité démocratique et argumenter a partie liée avec la liberté et laculture.

De plus, l’exigence de coopération internationale concerne l’ensemble desmembres de la société. Des échanges authentiques nécessitent la possibilité de secomprendre dans la langue de l’un des partenaires et la connaissance de sa culture, deson mode de vie et de pensée. D’où une exigence éducative de l’enseignement del’argumentation surtout dans le nouveau contexte d’une vie de plus en plusdémocratique. Cette vie démocratique est caractérisée par la capacité à débattre,raisonner, juger, convaincre, en un mot à argumenter. Et pour pouvoir argumenter, ilfaut apprendre.

Dans le contexte vietnamien, comment entrer dans un enseignement/apprentissage de l’argumentation en français ? Nous insistons sur le mot « contextevietnamien » parce que jusqu’à maintenant, à notre connaissance, le « coursd’argumentation » n’est dispensé dans aucun centre d’enseignement du français, dunord au sud, ni même en vietnamien au lycée. Nous allons prendre le risque de proposerune démarche que nous croyons convenable à nos étudiants, en tenant compte de leurscaractéristiques, du programme de formation et en déterminant la tâche que l’enseignantet des étudiants doivent accomplir.

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2.2. Par où commencer l’enseignement/apprentissage de l’argumentation ?La culture vietnamienne est une culture orientale. Le Vietnam est une société

dont les membres attachent une importance cruciale à la protection de leur face, sociétéoù il s’agit surtout pour les interactants de ménager leur narcissisme mutuel, où ilimporte avant tout de “ faire bonne figure ”, de ne pas “ perdre la face ”, ni de la faireperdre à autrui, société où la grande affaire c’est d’éviter surtout de blesser autrui.

C’est pour ces raisons que les Vietnamiens ont tendance à éviter lesaffrontements, la confrontation dans les conversations et surtout dans une relationhiérarchique. Tout ceci influence énormément le comportement des jeunes dans lesdébats. Pour nos étudiants, le problème n’est pas uniquement culturel, mais aussilinguistique. Lorsqu’on émet un désaccord, on doit le justifier, argumenter pourdéfendre son point de vue ; voilà le problème, un vrai et un épineux pour lesVietnamiens. Les étudiants ont donc besoin des moyens linguistiques et culturels pourargumenter, réfuter…

Mais par où commencer ? Nous sommes tout à fait d’accord avec RobertGalisson ( 2002), lorsqu’il dit qu’on peut aller « de l’intra à l’interculturel ».2.3. La maîtrise du langage argumentatif

Il faut fournir aux étudiants un « savoir déclaratif ». Les étudiants ont à« apprendre certaines connaissances de manière à les mémoriser suffisamment pour êtrecapables par la suite de se les remémorer ; soit pour les restituer explicitement; soit pourles mobiliser implicitement mais toujours consciemment.2.3.1. Un vocabulaire nécessaire

Quand on parle on argumente. La pratique argumentative est indissociable del’analyse critique des arguments. Pour appuyer ou réfuter une argumentation, il faut êtrecapable de la décrire, de l’exposer, de la démonter, afin de mettre au grand jour sesqualités et ses défauts. Tout un vocabulaire est indispensable pour cela. Ce vocabulaireun peu technique de l’argumentation est un sous-domaine du vocabulaire des activitésde parole, dont l’enseignement du français devrait programmer l’acquisitionsystématique.2.3.2. Une syntaxe centrée sur le mot

La syntaxe précise et détaillée dont nous avons besoin pour l’apprentissage de lalangue ne peut satisfaire de règles générales ou de principes abstraits risquant l’échecsur les cas précis. D’emblée, elle doit être une syntaxe centrée sur le mot, et d’abord surle verbe, en tant que centre organisateur de la phrase. Apprendre un mot, c’est connaîtreson sens, certes, mais aussi savoir construire correctement les différentescomplémentations qu’il exige ou tolère, les manipuler selon les paraphrases et lestransformations qu’elles admettent, et surtout être capable de différencier les sens selonles constructions. Ainsi, on doit travailler les mots comme : argument, argumenter,contre-argument, contre-argumenter, argumentation, un argumentateur, unargumentaire, argumentaire, argumentatif, tirer argument de, évoquer un argument,invoquer un argument, être étayée par des arguments, les arguments appuient laconclusion, argumenter pour, argumenter contre, etc. ; persuader et convaincre ;objecter et réfuter ; concéder, contredire et démentir. Et aussi paralogisme,raisonnements captieux et fallacieux

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2.3.3. Les connecteurs argumentatifsUn énoncé ne peut s’auto-qualifier comme étant un argument. La qualification

d’un énoncé comme argument ou conclusion est conditionnée extérieurement : soitintra-discursivement, soit extra-discursivement.- Il existe deux moyens intradiscursifs de présenter un énoncé comme étant unargument, ou comme une conclusion : le premier, un commentaire métadiscursif, dit cequ’est l’énoncé ; le deuxième, un connecteur, le montre. Un énoncé peut apparaîtrecomme un argument ou comme une conclusion, ceci dépend du connecteur que lelocuteur le fait précéder ou suivre. Un même énoncé peut être un argument ou uneconclusion. Ainsi, dans les deux exemples suivants donc fait apparaître ce qui leprécède et ce qui le suit comme étant, respectivement, un argument et la conclusionvisée par cet argument :

Les liens entre les connecteurs et l’argumentation sont bien connus. C’estpourquoi on ne saurait se passer de l’apprentissage de l’emploi des connecteurs. Lapossession de ce vocabulaire est fondamentale dans l’étude de l’argumentation. Unmême connecteur peut remplir plusieurs fonctions pragmatiques ou sémantiques :+ On peut distinguer les connecteurs introducteurs d’argument (parce que, mais…) desconnecteurs introducteurs de conclusion (donc, en conséquence, décidément…).+ On peut aussi distinguer les connecteurs dont les arguments sont coorientés (même…)de ceux dont les arguments sont anti-orientés (pourtant, mais…).+ On distingue aussi deux types d’enchaînement par les connecteurs pragmatiques :l’enchaînement entre deux interventions et l’enchaînement intra-intervention.2.4. Le savoir-faire

Le savoir-faire, c’est la « capacité opératoire (une capacité non plus à [re]diredes choses, comme ci-dessus, mais à [re]faire des choses), en l’occurrence la capacité àdéclencher, effectuer et contrôler l’effet de certaines procédures, c’est-à-dire de sériesdéfinies d’actions permettant d’aboutir aux résultats recherchés […] » (Puren, 1999, p.10). Pour que les étudiants puissent posséder un savoir-faire, on doit tout d’abord lesmettre en situation où ils peuvent imiter, apprendre, automatiser le comportement verbalet culturel.2.4.1. La mise en situation de l’argumentation2.4.1.1. La situation d’argumentation

La finalité communicative est primordiale dans le discours argumentatif, c’estpourquoi nous devons placer les étudiants dans des situations d’argumentation oraleproche de leur expérience quotidienne afin qu’ils puissent avoir une représentation de lasituation de communication dans laquelle s’inscrit leur discours argumentatif et qu’ilsen repèrent clairement les composantes. On peut recourir à une simulation d’unediscussion entre étudiants sur un thème qui les intéresse tous. La simulation d’un débatest intéressante dans la mesure où le public sera plus motivé. Pour faciliter le travail desétudiants, il faut choisir un sujet convenable.2.4.1.2. Les éléments constitutifs de la situation d’argumentation

L’argumentation est une forme particulière d’interaction humaine : à ce titre, sonenseignement/apprentissage doit inclure la maîtrise et l’analyse des donnéespragmatiques de la situation. Pour favoriser les prises de position et l’émergence d’unepluralité de points de vue, il nous faut fabriquer un dispositif dans lequel les étudiants

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peuvent argumenter. Nous choisirons par exemple un sujet qui concerne tous lesétudiants, qui leur facilite la mobilisation des arguments dans le stock de leur expérienceet qui porte sur une question d’actualité, objet de polémique : « Faut-il maintenir leconcours de recrutement à l’université ? ». Par ce débat d’actualités s’inscrivant dansl’espace d’une interaction sociale simulée, avec des interlocuteurs identifiables, dans unmoment et lieu d’énonciation précis, on peut non seulement rendre les étudiantsconscients de la finalité argumentative qui est d’emporter la conviction d’undestinataire, mais aussi leur montrer la nécessité de mettre en uvre une stratégie, deposséder des outils, d’utiliser des procédés pour argumenter efficacement. En analysantcette simulation, l’enseignant oriente les étudiants, avec des questions bien précises,à distinguer prise de position, thèse, argument, exemples, conclusion. Enapprofondissant l’analyse de ce débat, on fait différencier les trois catégoriesd’arguments : l’argument pour, l’argument contre et le contre-argument.2.4.1.3. Le rôle des participants

Qui suis-je quand j’argumente ? Est-ce que je m’exprime en mon nom, en tantque camarade, fils, père, citoyen ? Est-ce que je m’exprime au nom d’un groupe social,de ma classe, de ma génération ? Suis-je le représentant d’une institution ? Qui est ledestinataire auquel je m’adresse ? C’est le destinataire qui donne un statut àl’argumentateur et construit, d’une certaine manière, son point de vue. Le changementde destinataire implique un changement de statut de l’argumentateur : individu oureprésentant d’un groupe ? Relation égalitaire ou relation hiérarchique ? Quand unparamètre change, d’autres paramètres changent aussi. Le choix des moyens et desprocédés à utiliser dépend de la réponse à ces deux questions.2.4.2. Les activités dans l’argumentation

L’argumentation est la « logique des jugements de valeurs ». Celui quiargumente se situe dans le domaine du préférable soit pour lutter contre desreprésentations, des opinions, soit pour renforcer des valeurs établies, soit pour établir lavalidité des thèses nouvelles. L’argumentation se présente donc comme une justificationde choix éthiques, esthétiques, sociaux ou politiques qu’il s’agit de valider ou de rendrepertinents. Les raisonnements ou les faits utilisés par celui qui argumente sont auservice de valeurs à faire admettre, à renforcer ou à récuser. Il faut donc différencier lesfaits comme simples éléments du réel, les jugements à valeur affective et les jugementsaxiologiques qui relèvent d’un système de valeurs auquel on se réfèrera plus ou moinsexplicitement quand on argumente.2.4.2.1. La transformation d’un fait en argument

Argumenter, c’est adresser à un interlocuteur un argument pour lui faireadmettre une conclusion. Mais qu’est-ce qu’un argument ? Un énoncé n’est considérécomme un argument que s’il est relié à une conclusion. Il n’est pas rare des étudiantsqui ont tendance à confondre faits et arguments. Il faut donc distinguer un fait et unargument.- Un fait, c’est un élément du réel que nous pouvons situer dans l’espace et/ou dans letemps et dont la réalité est incontournable d’où son utilité pour l’argumentateur.- Un argument est un fait ou une idée orienté vers une conclusion, il exprime une prisede position, une opinion, un jugement subjectif que l’argumentateur doit inscrire dansun système de valeurs auquel il se réfère.

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Mais comment s’effectue la transformation d’un fait en un argument ? par quelsprocédés ? Grosso modo, il existe trois façons de transformer un fait en argument.

Le premier procédé consiste à imprimer une marque subjective aux faits retenus.Le deuxième procédé consiste à sélectionner les faits.Le troisième procédé, c’est l’interprétation des faits.

2.4.2.2. L’identification des contenus et des valeurs implicites dans un énoncéPour argumenter avec efficacité, pour emporter la conviction, il est important

pour un argumentateur de pouvoir valider ou réfuter des thèses, d’imprimer à sondiscours une cohérence qui rende la conclusion nécessaire, ce qui suppose une analysepréalable des fondements présupposés des thèses présentées. Les étudiants ont donc àdécouvrir les implicites dans des phrases empruntées à la vie quotidienne. Tout énoncépose un certain nombre d’affirmations explicites mais en même temps en présupposed’autres qui restent implicites. Dans la première étape, il vaut mieux sensibiliser lesétudiants à la découverte de l’implicite dans des énoncés qui frappent par leurtransparence ou leur évidence. Ensuite, le professeur peut donner une liste de phrases endemandant aux étudiants de trouver ensemble les implicites.2.4.2.3. L’utilisation des lieux communs

Pour mieux convaincre, l’argumentateur doit encore s’appuyer sur des notions,des conventions ou des raisonnements généralement admis par tous. Dans toutes lescultures, on peut exploiter les topoï dans le processus de l’argumentation. Ces topoï, ceslieux communs ne sont pas, en principe, susceptibles d’être mis en question : ils fontl’objet d’un consensus sur lequel s’appuie l’argumentation. Cependant les topoï ontpour effet caractéristique de permettre des jugements opposés comme les deux énoncéssuivants “ Loin des yeux, loin du c ur ” et “ L’absence attise le feu de l’ardeur ”. Lestopoï présentent isolément les propositions adverses d’une question non-paradoxale(deux propositions constituent deux topoï apparemment contradictoires, mais en réalitéselles sont basées sur différents critères). Ainsi, dans une argumentation, on peut tantôtvaloriser le superflu “ Le superflu est préférable au nécessaire ” tantôt valoriser lenécessaire “ Le nécessaire est préférable au superflu ”, sans que les deux lieux soientcontradictoires. Pour sensibiliser les étudiants à la pratique de cette découverte deslieux, nous pensons que l’enseignant doit commencer par la langue maternelle. Descouples comme Bán anh em xa mua láng gi ng g n vs t gi t máu ào h n ao n clã. Par la suite, l’enseignant aide les étudiants à dégager les oppositions conceptuellesou les couples de valeurs implicites dans les proverbes, dictons ou dans de courts textesen français, choisis par l’enseignant lui-même. Les oppositions conceptuelles peuventêtre d’ordre logique ou thématique. Si l’étudiant possède les couples conceptuelsimplicites, il peut argumenter en valorisant l’un ou l’autre de leurs termes et engageainsi dans la justification de thèses différentes.2.4.2.4. Classement des arguments

On peut classer les arguments en deux grandes catégories :a) Les arguments affirmatifs

Ce sont de simples confirmations de l’idée-prise de position. Dans cettecatégorie, le développement rend plus claire, plus familière, plus concrète, plus explicitel’idée-prise de position, la renforce, mais il n’apporte aucune preuve de sa validité.• Soit on s’appuie sur des faits qui illustrent l’idée-prise de position.

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• Soit on s’appuie sur des valeurs.• Soit on éclaire l’argument.b) Les arguments logiques

Dans une argumentation, les idées s’enchaînent les une aux autres par lesrelations logiques. Les étudiants doivent découvrir ces principales relations. À chaquetype de relation correspond un type d’argument. Ces arguments se caractérisent par lerecours à une démonstration en prévision d’une réfutation possible. Ils se caractérisentsouvent par la présence de connecteurs logiques à l’intérieur du développement.2.4.3. Les techniques d’argumentation et de réfutation

Il est important que les étudiants comprennent qu’une réfutation réussie doit saréussite au moins autant, sinon plus, à la stratégie discursive déployée qu’au contenuavancé. Parmi ces opérations discursives fréquentes on peut relever :+ L’usage des mouvements concessifs : « Admettons que sur ce point, vous ayezpartiellement raison, mais…+ Le détournement des arguments adverses pour en tirer des conclusions opposées.+ La dévaluation de l’adversaire auquel on dénie capacité ou pouvoir à parler de ce dontil parle+ À l’inverse, auto-justification de l’auteur de la réfutation qui se légitime lui-même, seprésente comme étant le seul habilité à traiter du sujet.+ l’anticipation d’une réfutation virtuelle+ la clôture prématurée d’une liste d’exemples par une formule rhétorique qui verrouillela démonstration et rend périlleux le retour de l’adversaire sur le même argument.2.4.4. La contre-argumentation

La contre-argumentation est une opération complexe qui consiste à prendre encharge les positions adverses tout en les mettant à distance. Cette opération suppose lacapacité à se représenter les opinions de l’autre, à repérer les valeurs implicites qui lessous-tendent et la capacité à justifier son propre point de vue et à le comparer à celuid’autrui. En d’autres termes, la contre-argumentation consiste à répondre à l’argumentd’un adversaire pour le récuser, l’atténuer ou le relativiser tout en maintenant son proprepoint de vue. Elle peut prendre une tournure purement réfutative dans le cas d’unepolémique ou plus simplement la forme d’une concession quand il s’agit d’apporter desnuances ou des restrictions.

L’apprentissage de la contre-argumentation sensibilise les étudiants aux formesvariées de dialogue ou de polyphonie. Le recours à la contre-argumentation estl’expression de l’acceptation du dialogue et le respect de l’opinion d’autrui. Dans lecadre d’un dialogue ou d’une argumentation interactive mettant en scène desadversaires spécifiés, individualisés, l’intérêt de la contre-argumentation est d’ordrepsychologique ou tactique. Il s’agit de mettre le destinataire dans de bonnesdispositions, de le « ménager », d’établir avec lui une certaine connivence, du moinsune sorte d’accord minimal sur les prémisses de l’argumentation. La stratégie consisteaussi à accepter certains aspects de sa thèse afin de s’autoriser à en critiquer d’autres. Àla différence de la justification et de la réfutation qui sont orientées vers une seuleconclusion, la contre-argumentation suppose la gestion cohérente d’arguments dont lesorientations sont parfois antagonistes. La contre-argumentation est une opération doublequi conjugue souvent réfutation de l’argument d’autrui et justification de son propre

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argument. Elle oblige ainsi les étudiants à mener conjointement deux opérationsd’ordinaire séparées et donc à opérer simultanément une valorisation et unedévalorisation de certains contenus afin de les intégrer avec cohérence dansl’argumentation globale.2.4.4.1. La production de contre-arguments

Pour contre-argumenter, les étudiants doivent produire les contre-arguments enillustrant les diverses manières dont il est possible de contester un raisonnement-source.Par quels verbes de communication présenter l’argument adverse ? Comment introduireson point de vue ? On a intérêt à faire varier les formules introductives en fonction desmodalités du conflit d’idées : de la formulation la plus neutre à l’attaque ouverte.+ Formulation du discours d’autrui : - Vous dites, pensez, affirmez, assurez que… -Vous supposez, avez l’impression, vous croyez que… - Vous prétendez ; etc.+ Formulation de sa propre position : - Je pense au contraire, néanmoins, cependant,pourtant, en revanche… - Il semblerait plus juste de dire que, il n’en reste pas moinsvrai que…

Les étudiants sentent à ce stade non seulement la nécessité d’enrichir leursarguments, d’aller plus loin dans leur justification mais surtout celle de choisir uneposition personnelle qui déterminera la valorisation d’un argument et la dévalorisationde celui de leur adversaire supposé.2.4.4.2. Quelques techniques de contre-argumentation+ Une première manière de contre-argumenter est de mettre en cause l’argument A.+ Une deuxième stratégie est de s’attaquer directement à C.+ Une troisième stratégie consiste à invalider le lien logique présenté comme préétablientre R et C.+ Une autre réaction possible est de ne pas entrer en matière sur le raisonnementproposé et de répondre latéralement, ce qui se marque souvent par des introductions dutype : de toute façon, d’ailleurs, quoiqu’il en soit.+ Enfin, une stratégie souvent mise en uvre consiste à s’en prendre directement àl’énonciateur, dont on peut récuser soit la compétence, soit l’autorité, soit la consciencemorale : - Qu’est-ce qui te fait dire cela ?3. CONCLUSION

Celui qui argumente ne cherche pas purement et simplement à contraindre soninterlocuteur, ou à lui imposer telle croyance ou telle attitude par des procédésmanipulatoires. Il cherche à lui montrer qu’il est logique, raisonnable, d’adopter cettecroyance ou cette attitude au vu de tel argument. Bien entendu, l’argument pourra ounon être admis par l’interlocuteur, la « bonne raison » donnée pourra s’avérer plus oumoins bonne. Les étudiants doivent donc savoir évaluer la qualité des argumentsavancés. L’activité d’argumenter est intimement liée à la critique de l’argumentation,qui ouvre la voie aux techniques de réfutation.

Nos argumentations les plus courantes reposent sur des règles de conduite trèsgénérales, des principes admis dans une société ou dans un groupe. Les contraintesargumentatives peuvent être de natures très différentes et reposer sur des contraintesnaturelles, aussi bien que culturelles. Ces grands principes d’action sont considéréscomme déterminant ce qu’il est raisonnable de croire et de faire, toujours pour ungroupe donné.

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