Discours de Manuel Valls pour l'inauguration du Mémorial du Camp de Rivesaltes

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Le Premier ministre, Manuel Valls, était ce vendredi 16 octobre dans les Pyrénées-Orientales pour l'inauguration du Mémorial du camp de Rivesaltes. Voici son discours.

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    Inauguration du Mmorial du camp de Rivesaltes Vendredi 16 octobre 2015

    Allocution de Manuel VALLS, Premier ministre Seul le prononc fait foi

    Mesdames les ministres, Monsieur le ministre, Monsieur le prfet de Rgion, Madame la prfte, Madame la snatrice, prsidente du Conseil dpartemental, Messieurs les parlementaires, Monsieur le prsident du Conseil rgional, Monsieur le maire de Rivesaltes, Mesdames, messieurs les lus, Monsieur le dlgu interministriel la lutte contre le racisme et lantismitisme, Madame la prsidente du fonds de dotation du mmorial, Monsieur le prsident du Conseil scientifique, Mesdames, messieurs les rescaps et descendants, Mesdames, messieurs, Garder toujours la mmoire en veil, ne jamais laisser sassoupir les consciences : voil lessence dun mmorial. Et cest lengagement que nous prenons, aujourdhui. Pas seulement pour nous-mmes, mais aussi pour les gnrations qui viendront. Dornavant, dans ce lieu, chacun pourra se rappeler. Chacun pourra se souvenir de celles et ceux qui ne sont plus. Chacun pourra, enfin, prendre le temps de regarder en face ce quont t les errements de notre pass, ce que furent ces vents infmes de lHistoire, venus lacrer cette belle terre catalane. Comment, en effet, ne pas voir dans ces briques, ces murs, ces baraques, une sdimentation de tous les malheurs du 20e sicle : conflits arms, dictatures, antismitisme, racisme, fivres et aveuglements des peuples ? Les hectares de ce plateau aride ont vu les souffrances, lhorreur, les drames se succder comme un interminable relai. Dabord, la guerre civile dans lEspagne voisine, avec larrive de centaines de milliers de rfugis. La Retirada fut pour tous ces rpublicains une meurtrissure que rien ne put jamais gurir vraiment. Chasss par la dictature qui sannonait, ils durent se rsoudre abandonner leur terre natale, tout abandonner derrire eux. Ce choix, qui brise les curs, ils lont fait au nom de ce qui, pour eux, navait pas de prix : la libert, la

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    dmocratie, la Rpublique. Ils envoyrent alors un message dune trs grande force et dune trs grande puret : on ne transige pas sur lessentiel. Le mmorial dArgels-sur-Mer o jtais, en fvrier dernier, rappelle, avec dautres, la douleur de se retrouver enferms, dconsidrs, dans ce pays, la France, dont ils attendaient un autre accueil, aprs stre tant battus pour la libert. Puis, vint la Seconde Guerre mondiale et linternement des suspects parce qutrangers, avant la dportation puis lextermination. On a interdit aux Tsiganes de vivre comme ils avaient toujours vcu. Ils voulaient voyager, on les a interns, attachs un lieu. Ils taient ici 1 300. Certains sont morts sur place, dautres, nombreux, ont t extermins, loin dici. Cela, on en a trop peu parl.

    Ici, fut aussi actionn un pan de cette mcanique effroyable de la destruction des Juifs dEurope. Aprs les rafles, les regroupements, les mauvais traitements, neuf convois partirent, entre aot et octobre 1942, pour Drancy, tape avant les camps de la mort, avant lenfer dAuschwitz. Nous le savons, grce au travail acharn de Serge KLARSFELD : l o nous nous trouvons, 2 313 destins ont t scells, livrs sans tat dme lapptit dune sauvagerie dont la France cest un remord ternel fut complice. Enfin, la guerre dAlgrie qui, depuis lautre rive de la Mditerrane, a charri tant de dracins. Les Harkis se sont retrouvs comme au milieu de nulle part, ne comprenant pas pourquoi la France, pour qui ils staient engags, qui avait tant promis, dtournait ainsi le regard. 21 000 sont passs par Rivesaltes, supportant le fardeau dune Histoire qui les dpassait, et mme qui les crasait. Ainsi, pendant plus de quatre dcennies, des hommes, des femmes, des enfants, se sont retrouvs pris au pige de ce camp, regroups, parqus, humilis, nis car considrs comme des indsirables , des ennemis , des trangers dont on ne voulait pas.

    On se reprsente trs bien, quand on connat un peu la rgion et en mme temps, on a du mal imaginer ce quont pu tre les conditions de vie. En hiver : la Tramontane qui gifle les visages et sengouffre dans les baraquements. Lt : la chaleur insupportable, suffocante mme. En permanence : lhygine prcaire, voire inexistante, labsence dintimit et de dignit. La dignit : voil ce quon voulait arracher aux personnes enfermes ici. Or, sans dignit, on nest rien. Cette dignit, nous voulons la leur rendre, aujourdhui, par cet hommage. Imaginons un instant ces familles qui survivaient tant bien que mal : la faim, la maladie, la vermine, le dnuement le plus total. Elles taient entasses les unes sur les autres. Imaginons ces femmes, ces hommes, lucides sur leur sort, et donc rongs

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    par les pires angoisses. Imaginons ces enfants, pleurant de fatigue, terroriss par ce quils voyaient dans le regard des adultes. Le quotidien, ici, fut terrible. Presque autant que ces euphmismes qui voulaient recouvrir la vrit dun voile pudique : camp de rtention, camp dinternement, camp de regroupement Pourtant, derrire ces expressions diffrentes, il y eut une mme ralit : un camp dexclusion fait de mise lcart et de mpris total de lhumanit. Ce qui caractrisait ce lieu, ce nest pas seulement le regroupement, cest lordre du mpris qui y rgnait. Si nous sommes rassembls, cest pour que la mmoire de ce mpris dhier nous rappelle nos devoirs daujourdhui et empche la rptition de lhorreur, demain.

    * Ce camp de Rivesaltes est l pour rappeler, pour dire haut et fort ce qui, pendant trop longtemps, sest murmur tout bas. Il est l pour reconnatre toutes les mmoires, toutes les douleurs, pour nen oublier aucune ctait une volont du chef de ltat ; il la affirm ds 2012. Pas de concurrence, de surenchre mmorielle dans la Rpublique ! Nous connaissons bien cette tendance actuelle vouloir se mettre en cong de lhistoire de France qui nous runit ; cette tendance qui pousse certains crire leur petite histoire personnelle sur fond dentre soi, de repli communautaire et de dlitement de la socit. Non, il ny a pas dhistoire la carte, o chacun ne retiendrait que ce qui le concerne et rejetterait tout le reste. Faire partie dune mme Nation, cest partager les mmes souffrances, les reconnatre comme autant dpreuves qui ont contribu faire ce que nous sommes aujourdhui. Une Nation, ce nest pas un assemblage dintrts particuliers o chacun, se prvalant dune identit singulire, revendiquerait un droit suprieur. Oui au droit la justice, la reconnaissance ! Non au passe-droit qui exonre de ses responsabilits de citoyen !

    * Reconnatre les souffrances demande de bien les connatre. Cest pourquoi, ce mmorial est avant tout un centre scientifique, un lieu de savoir, de recherche, pour tablir les faits avec rigueur. La transmission de lHistoire a besoin de prcision, dexigence, face ceux qui sempressent de vouloir la nier, de vouloir la rcrire, ou de sen servir pour manipuler le prsent. Je tiens, ce titre, remercier Denis PESCHANSKI, qui prside le Conseil scientifique, et dont les travaux nous ont ouvert les yeux sur cette France des camps . Ce travail scientifique est dautant plus important que les tmoins sont de

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    moins en moins nombreux, quils disparaissent sans avoir pu raconter, sans avoir pu livrer ce quils ont endur.

    * Il y a les tmoignages qui racontent. Il y a aussi ce lieu qui parle presque de lui-mme. Cest une ralisation audacieuse et je veux saluer le travail incroyable de Rudy RICCIOTTI. Le btiment sinsre parfaitement dans le paysage, dans le sol le muse y est enterr, comme une mmoire qui peine rejaillir. Il ne dpasse pas les baraques, comme pour dire que le prsent se fait humble et ne prend pas le pas sur le pass. Cest une belle image, ce respect pour le pass, ce respect pour les disparus et les oublis. Ltat, je suis l pour le rappeler, accompagne ce projet ambitieux qui doit tant vous lavez dit la volont dun homme, Christian BOURQUIN. Sans lui, rien de tout cela naurait vu le jour. Sil a consacr du temps, de lnergie, cest quil savait bien lenjeu de ce lieu. Il savait que le balayer comme on chasse un mauvais souvenir, ctait tous nous affaiblir. Car, que sont ces pierres sinon une mise en garde ? Sinon un rempart contre les vents hostiles de lpoque ? Alors que la rsurgence de lantismitisme, cette pourriture de lHistoire, vient ronger ce que nous sommes ; alors que le racisme, la haine de lautre, fracturent chaque jour davantage notre pacte rpublicain, nous ne devons aucun moment faiblir. A aucun moment oublier. Tous ces lieux de mmoire sont les postes avancs de cette reconqute des esprits que nous devons mener au nom de la Rpublique et de tous ceux qui se reconnaissent en elle. Nous devons mener cette reconqute vis--vis de la socit dans son ensemble, trop souvent fatigue la seule ide de sindigner. Mais la mener, dabord, pour notre jeunesse, souvent victime des contre-discours, des complotistes, des affabulateurs de toute sorte, des avocats du relativisme. Je le dis : nous avons trop tard. Le temps de la reconqute des curs et des esprits est venu ! Et cest aussi aux gnrations qui viennent de prendre le relai. Le Dpartement et la Rgion ont voulu insister sur la dimension pdagogique. Ils ont eu raison. Tout comme le Camp des Milles, prs dAix-en-Provence o sest rendu le Prsident de la Rpublique, la semaine dernire tout comme la prison de Montluc, ou encore la maison dIzieu, ce camp de Rivesaltes vient renforcer la cartographie mmorielle de la France et sinscrire pleinement dans le plan de lutte contre le racisme et lantismitisme que jai annonc en avril dernier, et que Gilles CLAVREUL met en uvre. Ce plan sappuie notamment sur un fonds Mmoire et

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    histoire qui viendra soutenir les actions qui seront menes ici pour sensibiliser, accompagner et former. Avec tous ces lieux de mmoire, les tablissements scolaires car cest avant tout lcole que tout se joue disposent doutils solides au service de la transmission des valeurs ; au service de la formation des citoyens. Je noublie pas que cest, aussi, ici, Rivesaltes qua commenc ce travail indispensable didentification des lieux dinhumation des Harkis ; cest une premire, et le dispositif sera tendu en 2016 dautres camps, pour permettre aux familles douvrir la page du deuil et pour rendre ces Harkis leur nom, leur parcours, leur histoire. Mesdames, messieurs, Lieu de mmoire, de pdagogie, lieu de vigilance : cest tout cela, le Mmorial de Rivesaltes. Un endroit hors du temps un monolithe qui nappartient aucune poque ! , mais un endroit qui nous parle tous, et nous dit quelque chose dimportant. Ce Mmorial du camp de Rivesaltes ne nous parle pas seulement du pass : il nous parle de nous, de la France daujourdhui. De notre cohsion. De la lutte contre le racisme, lantismitisme, je lai dit. Mais, comment, galement, dans le contexte actuel de crise des rfugis, ne pas voir ici, un commandement ? La France, son histoire, sa tradition, son message, cest laccueil de ceux qui fuient les perscutions et les tortures. Nous devons accueillir avec dignit, humanisme, dans le cadre rpublicain auquel nous sommes tous attachs. Je le dis mon tour : ceux qui prtendent que nous ne pourrions pas accueillir, ceux qui affirment que nous serions submergs, envahis, remplacs mentent et plus grave, ils abment limage de la France, son honneur. Faire vivre lasile, cest aussi dire avec clart que limmigration irrgulire, les filires, les passeurs qui vivent de la misre et de la traite des Hommes doivent tre combattus sans relche. Comment, aussi, ne pas voir dans ce camp une injonction ne pas cder au repli identitaire ? Non, la France, ce nest pas la mise lcart de lautre, ce nest pas trier entre les individus, exclure. La France, la Rpublique, ce doit tre le refus de la sgrgation et de lenfermement. Enfermement que tant de personnes subissent, dont ils souffrent. Mais enfermement social que certains, aussi, cultivent en se mettant volontairement en retrait de la socit. Le message du mmorial cest de dire que notre rapport aux trangers, aux nouveaux arrivants fait partie de ce que nous sommes. Donner sa chance celle ou celui qui

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    vient vivre en France, adhre ses valeurs, aspire devenir Franais, cest sinterdire de porter sur lui ce regard suspicieux, inquisiteur ce regard dhier. Etre Franais ne dpend pas du nom, du prnom, de la couleur de peau. Etre franais, cest sinscrire dans un mme hritage, souscrire une mme exigence, entretenir une mme fiert. Aim CSAIRE la dit sa manire : Ma race : la race humaine. Ma religion : la fraternit ! Ces mots sonnent comme une devise. Au fond, hier et aujourdhui, nous sommes toujours confronts au mme choix : lapaisement ou la rupture. Lapaisement est une responsabilit, une exigence. La rupture est une facilit, une inconsquence. Le message du Mmorial : cest de dire voil quelles ont t les consquences de la rupture, de la facilit, de linconsquence ! Ce camp, cest enfin une invitation se rconcilier avec notre pass, tout en laffrontant, parce quil nous faut apaiser notre prsent, retrouver cette srnit dont la France a besoin pour aller de lavant. Faire preuve de lucidit, affronter le pass, se rconcilier, cest le moyen pour surmonter les difficults, pour remiser les doutes, tre plus fort et croire ensemble la France. Car, nous le voyons, le risque de dsagrgation est l, avec la monte des extrmes qui, sur fond de rancur et de renoncement, veulent nous entrainer vers le bas. Or, la France, la Rpublique, cela a toujours t la hauteur dune ambition. Pour elle-mme et pour le monde. La France, ici, et partout dans le monde, c'est un espoir et une exigence. Quand lespoir se meurt, l'exigence le fait revivre. Souvent l'espoir est mort Rivesaltes, dans les yeux de ces enfants, de ces hommes et de ces femmes, parqus, humilis et opprims, mais aujourd'hui il doit revivre. Car voil l'me de la France ternelle : l'espoir et l'exigence. Faire de l'espoir, une exigence. Et faire de lexigence ... un espoir. Le populisme, lextrmisme, se nourrissent du dsespoir. Le populisme, l'extrmisme pullulent sur les renoncements. Ce n'est pas a la France. Lme de la France cest lespoir et lexigence. Alors oui, dans ce lieu des souffrances, il y a aussi de lespoir. Celui que porte non pas ces vents infmes, ces vents hostiles mais le souffle inexorable de nos volonts pour une France unie, solidaire, fire delle-mme. Et ce souffle, rien, personne, jamais, ne peut larrter. Vive la Rpublique et vive la France !

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