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Discours d’ouverture du colloque des Bernardins – 12 et 13 mars 2015
Pourquoi ces deux journées ? Puisque nous sommes aux Bernardins, je pourrais partir du célèbre discours de Benoît XVI en septembre 2008, ici-‐même, lorsqu’il s’adressait aux acteurs du monde de la culture, et lorsque, évoquant les moines qui, il y a quelques siècles, vivaient et travaillaient ici, en parlant d’eux, il disait, je cite : « Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. » Là tout de suite, on se trouve avec un programme un peu lourd pour les deux journées. Chercher le définitif derrière le provisoire. On ne va peut-‐être pas se donner des ambitions aussi grandes, aussi profondes, aussi fortes. Plus modestement, dire que ces deux journées ont lieu parce que l’école ne peut pas ne pas constamment interroger ses pratiques et ne pas chercher constamment à se nourrir d’une démarche de pensée. Je dis bien l’école. Pardonnez-‐moi mon Père (ndlr. père Frédéric Louzeau, directeur du pôle recherche des Bernardins), mais je me permets de relever une de vos formulations, lorsque, à la fin, vous avez distingué l’école de la République de l’école catholique. Oserais-‐je dire que je ne suis pas d’accord ? Il n’y a pas d’un côté l’école de la République et de l’autre côté une école qui ne serait pas celle de la République ou de la nation. Il y a d’un côté l’école publique et de l’autre l’école catholique qui est aussi une école de la nation et donc de la République. C’est juste un détail, mais enfin, ça me paraît important, parce que justement, il s’agit bien de la question de l’utilité de l’école. Alors pour nous, de l’école catholique mais de l’école d’une manière générale. Je dis toujours, pardonnez-‐moi pour la répétition, que la raison d’être de l’école catholique c’est d’essayer d’être utile, mais de se rendre utile y compris au-‐delà d’elle-‐même. Ce que nous pensons et ce que nous faisons a vocation à servir aussi à d’autres que nous, non pas parce que nous serions meilleurs que nos collègues, mais parce que chacun a vocation à enrichir le travail de l’autre. C’est cela la complémentarité au sein de la Nation. Donc voilà, l’école ne peut pas ne pas se poser de questions et donc elle ne peut pas ne pas constamment s’interroger sur les savoirs qu’elle transmet. Alors, sous bénéfice d’inventaire, je vous propose en guise d’apéritif, une salve de six questions, qui ne seront pas nécessairement toutes reprises au cours de ces deux journées, mais voilà six questions, qui pourraient être un peu les miennes, qui sont celles que je vous propose. Première question, une question de vocabulaire mais qui est beaucoup plus qu’une question de vocabulaire : de quoi s’agit-‐il ? De transmission ou d’appropriation ? Depuis des années, des années et des années, il est systématiquement question de la transmission des savoirs. Ou, et/ou de la transmission des valeurs. Plus je vieillis, et je vieillis vite, plus je m’interroge sur la pertinence de la notion de transmission, parce que finalement, elle sous-‐entend la vision de l’enfant ou du jeune, comme une sorte de vase vide avec l’éducateur ou le professeur, qui serait là avec son arrosoir, pour infuser dans la tête vide de l’enfant ou du jeune, les bonnes connaissances et pourquoi pas les bonnes valeurs. Ça me paraît de moins en moins adéquat et je crois que nous sommes appelés à raisonner, à réfléchir et autant que faire se peut à le vivre, en terme d’appropriation. Comment est-‐ce que nous permettons à l’enfant ou au jeune de faire siens les connaissances, les savoirs, les valeurs que nous nous efforçons de partager avec lui pour qu’il puisse les utiliser dans sa vie. On n’est pas sur le même registre. C’était ma première question. Deuxième question, je vais vite pardonnez-‐moi, c’est la question de l’articulation entre les savoirs. Plus les savoirs s’enrichissent, plus ils s’amoncellent et plus se pose la question de la
capacité de l’école, au sens du dispositif de formation, se pose la question de la capacité de l’école à faire sens, à faire culture et autant que faire se peut à faire culture partagée. Une culture, ce ne sont pas des savoirs juxtaposés les uns aux autres, ce sont des savoirs qui, parce qu’ils sont en dialogue et en articulation les uns avec les autres, nourrissent une vision du monde et donc une manière de s’y positionner. Où en sommes-‐nous dans notre travail d’articulation entre les savoirs, afin de leur donner sens ? Troisième question, ce pourrait être celle de la liberté par rapport précisément à une certaine forme de sacralisation des savoirs. Et Dieu sait si l’école a tendance à sacraliser les savoirs. On ne va pas le lui reprocher, mais comment nous donnons-‐nous les moyens de partager avec les enfants et les jeunes, le fait que les savoirs sont toujours le fruit d’une construction ? Les savoirs ont une histoire, les savoirs sont le fruit d’une élaboration de l’esprit. En d’autres termes, ils ne constituent jamais une Vérité révélée, éternelle et a historique. Je crois qu’il y a là un enjeu de liberté profonde à côté duquel nous ne pouvons pas passer. Quatrième question, la question des contenus. Elle est difficile, elle est complexe, elle me semble majeure. Un contenu d’enseignement n’est jamais, jamais, jamais neutre. Heureusement. Encore faut-‐il en avoir conscience. Un contenu de savoirs n’est jamais vierge. Et cela quelle que soit la discipline concernée. Je dis bien quelle qu’elle soit. A fortiori, si elle est perçue comme une discipline neutre. On ne me fera pas dire que les mathématiques sont une science pure, dénuée de toute vision de la personne et du monde. En tout cas pas dans la manière dont elles sont enseignées. Et c’est ça l’enjeu pour nous. La question n’est bien évidemment pas, je le dis à chaque fois parce que je suis parfois mal compris, sans doute parce que je ne suis pas assez clair. La question ne consiste bien évidemment pas à rêver de mathématiques chrétiennes ou de sciences catholiques, etc. Bien évidemment non. En revanche, la question se pose pour tout éducateur, pour tout enseignant, la question de fond consiste à se demander dans quelle mesure les éléments de connaissance que nous nous efforçons à partager avec les enfants et les jeunes, dans quelle mesure ces éléments de connaissance contribuent-‐ils un peu, beaucoup, ou pas du tout, à faire grandir l’humanité en chacun d’eux. C’est bien ça l’enjeu de l’école. Cinquième question, vous voyez c’est rassurant, on approche de la fin. Cinquième question, au carrefour des deux interrogations précédentes, celle de la liberté et celle des contenus, ce pourrait être, ce doit être pour nous, la question de la vérité. La question de la vérité, ou pour sans doute mieux le dire, la question du rapport à la vérité. Je veux dire par là, la vérité comme mouvement, la recherche de la vérité comme dynamique, et pas la vérité comme une propriété. Foi et raison tourne autour de ça. L’école catholique ne peut pas ne pas travailler ces questions, qui ne sont pas nouvelles mais que l’on n’aura jamais fini de creuser. Sixième question, la dernière. Elles ne sont pas hiérarchisées. La sixième question m’a été suggérée en quelque sorte par la lecture récente d’un article que j’ai trouvé très intéressant d’Arnaud Join-‐Lambert dans le dernier numéro des Études sur la notion d’Église liquide. Il fait référence aux travaux de Bauman sur la société liquide. Société liquide, société des réseaux, société de l’informel, société volatile, etc. Et au fond, la question, alors Join-‐
Lambert la pose par rapport aux paroisses, mais on pourrait la déplacer, moi je la déplace. La question c’est, au fond, de savoir comment nous pouvons articuler le solide et le liquide, toute cette culture croissante de l’informel et du réseau. Articuler le solide et le liquide, je vais le dire autrement pour être plus clair. Au fond, notre conception des savoirs est-‐elle encore ajustée aux mutations socio-‐culturelles de notre temps. Sacrée question. Pour le dire toujours autrement, et pour aller vraiment dans le vocabulaire professionnel de notre monde à nous, je commence à me demander jusqu’à quel point la notion de socle est une notion adéquate. Jusqu’à quel point la notion de socle est-‐elle encore pertinente ? Et je me demande dans quelle mesure, plutôt que de parler de socle, il ne faudrait pas essayer de réfléchir aux savoirs et aux compétences, non pas comme un socle, mais comme à des clés. Nous allons visionner dans quelques instants un court film dans lequel des jeunes s’expriment et vous comprendrez pourquoi je parle de clés. Mais réfléchir en terme de clés plutôt qu’en terme de socle. C’est à dire, au fond, réfléchir aux savoirs comme les éléments permettant de définir pour chaque enfant et pour chaque jeune son usage du monde. En référence, même si le contenu n’a rien à voir avec nos questions, au magnifique livre de Nicolas Bouvier. Nous sommes là pour permettre aux enfants et aux jeunes de s’approprier les clés d’un usage du monde. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit, parce que finalement, le fait de disposer de clés n’indique pas quelle porte ouvrir. J’ai les clés, qu’est-‐ce que j’en fais ? Ces clés, je les utilise pour quelle porte ? Et la question des portes qu’il convient d’ouvrir, il me semble que ça n’est pas une question de savoirs, il me semble que c’est bien une question d’éducation, en ce sens qu’elle relève à la fois du moral et pour nous du spirituel. Et du coup, cela nous renvoie en interrogation ultime à la manière dont nous pouvons vraiment, au-‐delà de nos mots valises et des formules un peu toutes faites dont nous abusons bien souvent dans l’école catholique, comment nous pouvons vraiment, comment nous pouvons véritablement articuler les savoirs, en tant qu’éléments de connaissance, à l’éducation, en tant que formation de la personne ? C’est pour moi la question majeure, et c’est bien dans cet esprit que nos deux journées prennent place, dans mon esprit, dans le pré lancement de toute une dynamique à laquelle je vais bientôt appeler toute l’école catholique, à quelque niveau qu’elle se situe et sur tout le territoire national, dynamique de ré enchantement de l’école, ré enchanter l’école parce que l’école ne peut pas ne pas être un lieu d’espérance pour éduquer à l’espérance. Ré enchanter l’école, parce que l’enjeu majeur me semble résider dans notre capacité commune à assembler les uns aux autres tous les aspects de nos pratiques éducatives et pédagogiques. Et c’est bien dans cet esprit que je vous souhaite et que je nous souhaite, parce que je vais passer les deux jours avec vous, deux journées fructueuses et fécondes. Je vous remercie. Pascal Balmand, Secrétaire général de l’Enseignement catholique 12 mars 2015 – Collège des Bernardins