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DI$SERTÀTION SUR LE PONT CONSTRUIT P111 CÉSAR POUR PASSER LE RHIN. (Guerre des Gaules livre 1V, chapitre XVII.) La description que donnent les Commentaires du polit construit par César sur le Rhin est assez détaillée pour que tout le monde puisse !1ire Un dessin suilisarunient exact de cet ouvrage. Il est , toutefois, deux ou trois passages du texte latin qui n'ont pas été traduits , jusqu'à ce jour, d'une inariire satisfiuisante : les mots bnoe fibule, notamment , sont restés, selon nous mal interprétés. Nous allons essa y er d'en donner une explica- tion , basée sur un examen approfondi des Com- mentaires, et sur l'expérience que nous avons acquise pendant un séjour de plus de six années dans une école régimentaire du génie, où nous Document liIl Il II Il III l l l li Il Il li ^ 1 li li 0000005622474 r

Dissertation sur le pont construit par cesar pour passer ...bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/84f9a... · PONT CONSTRUIT P111 CÉSAR POUR PASSER LE RHIN. (Guerre des Gaules

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DI$SERTÀTIONSUR LE

PONT CONSTRUIT P111 CÉSAR

POUR PASSER LE RHIN.

(Guerre des Gaules • livre 1V, chapitre XVII.)

La description que donnent les Commentaires dupolit construit par César sur le Rhin est assezdétaillée pour que tout le monde puisse !1ire Undessin suilisarunient exact de cet ouvrage.

Il est , toutefois, deux ou trois passages dutexte latin qui n'ont pas été traduits , jusqu'àce jour, d'une inariire satisfiuisante : les motsbnoe fibule, notamment , sont restés, selon nousmal interprétés.

Nous allons essa yer d'en donner une explica-tion , basée sur un examen approfondi des Com-mentaires, et sur l'expérience que nous avonsacquise pendant un séjour de plus de six annéesdans une école régimentaire du génie, où nous

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avons fait jeter, bien des Ibis , tous les ponts depilots en usage dans l'armée.

Voici la relation de César, avec la traductionque nous proposons et dans laquelle nous n'avonspas hésité à sacrifier l'élégance à la clarté.

ri

Casar bis de causis,qitas commemoravi, Rhe-flUfl1 transire (lecreverat;sed na'ibustransire, nequesalis tutum arbitrahatur,neque suv, neque populiRomani dignilatis esse sta-tuehat. Raque et si summadiffieultas faciundi pontisproponebat.ur, propter la-titudinem , rapidilatemaltitudinemque iluministamen sibi contendendum,aut aliter non transdueen-dum exercitum existima-bat. Rationem igitur pontisliane instituit. Tigna binasesquipeualia paulum ahimo proeacuta, diinensa adallitudinem iluminis , in-tervallo pedum dtioruminter sejungehal. Huc eummachinalionibus demissain liumert defixerat, fistu-

César, pour les motifs quenous venons de rappeler,avait décidé qu'on passeraitle filin ; mais l'emploi debateaux ne lui semblait jasoffrir assez de sécurité; deplus, il ne trouvait ce moyencompatible ni aÇec sa propredignité ni avec celle du peu-ple romain. C'est pourquoi,malgré les grandes difficultésqu'opposaient ii l'exécution deson projet, la largeur, la han-teiir et la rapi(lilé du fleuveil persista à ne le faire fraii-chir à l'armée que de la façonqu'il avait adoptée. Voici leprocédé qu'il employa pourconstruire ce pont.

[r ux pilots ayant chacunun pied et demi de diamètre(0m 44), aiguisés par un boutet d'une longueur appropriée àla profondeur de l'eau , furent

— c) —

cisque adegerat , non su-blicm modo ilirecta ad per-peIl(licIllilrf1 , sed iroia FIC

[astigiata , ut seciiridhmnaturam fluinitiis procum-bereiit : bis item contrariaduo ad euluLleni modmnjuncta , ilitervallo peduiriqu ailiage n u in ab in [e ri oieparte contra vint alquc im-ptUlll flumiiiis conversastatuebat liac ulraquebipedalibus trabibus mi-niissis quantiiiii coruum ti-gnorum junctura distaliatbitus utrimque Ilbulis abextrema parte distinebaitur; (1uibus disclusis, at.qnein contrariam partem re-vinetis , tanta erat opensfirmitudo atque ea rerumnatura , ut, quo major visaqice se incitavisset, hocarctiis illigata tc.ne.rcntur.Ilac direcia niateria injectacontexehautur, et longuriiseratibusque consterneban-I tir. Ac nihilo seciits subli-civ ad in[eriorem partemfl umin is obliqué adigeban-lui, qua pro pariete stib-

reliés l'iiii ii l'autre de ma-nière à laisser entre eux unintervalle vide de deux pieds(Ou 59). On les maintint im-mergés an moyen d'appareilsconvenables puis, on les en-fonça à l'aide de moutonsnon pas verticalement commecela se fait pour les pilots or-dinaires, mais inclinés et peu-cités dans le sens même, ducourant. Un couple de pieuxpareils furent enfoncés vis-ii--vis de ceux dont nous venonsdo parler (eu aval), h une dis-tance de 60 pieds (1 jrn 80)mesurée au fond de l'eauseulement ils étaient inclinésen sens inverse des précé-dents, pour mieux lutter cou-tre l'action violente du fleuve.

Une poutre de deux piedsde grosseur fut jetée d'uncouple à l'autre ; elle entraitdans le vide qui séparait lespilots et qui était juste de ladimension de son équarris-sage; ces pilots furent main-tenus par leur extrémité su pé-rieure , en dessus et en des-sous , à l'aide mie doubles

jectr, et cum omni opereconjuncta? , vim fluminisexciperent : et alic itemsupra pontein mediocrispatio ; ut si arborumtrunci • sire naves , deji-ciendi opens causâ, essentà harbaris missa., his de-fensoribus carum rerum visminuerentur , neu Pontinocerent.

Diebiis x , quibus mate-ria cupta erat comportari,onini opere effecto, exer-citus transducitur. Ca?sar,ad utrarnque partein poilusfirmo prsidio relicto , infines Sicainbrorum cou-tendit.

étriers qui les enveloppaient(eux et la poutre dont il a étéparié et les serraient dansdeux sens opposés.

Il en résultait un système sisolide , et l'organisation (letout cet ensemble était telleque plus la violence de l'eaucroissait, plus les diverses piè-ces se trouvaient étroitementreliées entre elles. Suries pou-tres, et perpendiculairementh leur direction, oit plaça ticsPoutrelles, et, par-dessus, defortes perches et des claies.

De plus, on enfonça obli-queutent, près des punis d'a-val , des pieux en guise demur de soutènement ; reliésavec tout le reste de la cons-truction , ils supportaient l'ef-fort du courant ; un peu enamont du pont, on plantad'autres pieux disposés detelle sorte que si des corpsd'arbres oui de bateaux ve-naioni, à être lancés par lesbarbares , dans te but de dé-truire l'ouvrage , l'effet deleur choc fût atténué et qu'ilsne pussent nuire au pont,

I -

Dix jours aprs pqu'on eut,commencé apporter les bois,l'armée passa le fleuve. Césarorganisa une forte tête depont sur chaque rive et s'a-vança dans le pays des Si-cambres.

Ainsi , une palée se composait de deux piedsformés chacun d'un couple de deux pilots , etd'un chapeau ou poutre de O n 5 1) d'équarrissage.

Le ithiit est très-large et, sur un même profil,ta profondeur de l'eau devait varier au temps deCésar comme elle varie de nos jours; les lon-gueurs des pilots ditféraient donc suivant lespoints où on les ent'onai1 , et quelques-uns d'en-tre eux ne devaient pas avoir moins de neuf mè-tres ; c'est ce qui résulte des considérations sui-vantes.

César fit son expédition d'outre-Rhin pendantl'été (fichu gahlico , livre IV, chap. 20), c'est-à-direà une époque ot toutes les rivières qui ont leurssources dans des glaciers sont sujettes à (les cruessubites et excessives. Nous avons sous les yeux,un tableau des profondeurs ,nexirna et minimaobservées au pont de Kelti peIftlal)t 58 années de1806 à 1 864', et nous vo yons que les fortes crues

-8—ont presque toujours eu lieu pendant l'été. EnI 352 , les eaux s'élevèrent de plus de 4 mètres enquelques jours , et leur profondeur totale attei-gnait 8 mètres en certains endroits; mais lamoyenne des exhaussements , pendant les i8années précitées, e été de 2111 83 , et celle de laprofondeur de l'eau variait du S à 7 mètres i l'en-droit le plus creux.

Sans avoir la prétention de préciser le lieu oùCésar passa le [Ihin , il est permis de croire quece fut en aval de Cologne et même de Dusseldorf,en un point où le fleuve n reçu , depuis Sires-bourg, bien (les affluents; et, quoique nous ne con-naissions pas son régime au temps de César , ilnous parait certain que la profondeur moyenneet les exhaussements dus aux crues ne devaientpas y ètre moindres que de nos jours à Kehl.

César avait donc à se précautionner contre desvariations qui pouvaient donner une hauteurd'eau de 5 û 6 mètres , au moins, en quelquesendroits du profil suivant lequel il établissait sonpeut. Là , il dut par conséquent conserver unminimum de 6 n, 50 entre le dessous des chapeaux(les pelées et le fond du lit.

Ce fond est généralement, assez meuble ; il entredans sa composition beaucoup de gros graviers

9 -et sa forme change facilement sousl'action d'uncourant qui est toujours très-rapide. Aussi lesaffouillements et les attérissements s'y forment-ils d'uie manière tout-Ù-ftit irrégulière et impré-vue, et il serait imprudent , pour un pont des-tiné à , subsister quelque temps , d'enfoncer lesPilots d'une quantité moindre que l m 50 ou 2 M 00;ils courraient risque d'être déchaussés.

D'après ce qui précède, nous voyons que lespieds des palées (le César devaient avoir près (le8 mètres complés au-dessous des chapeaux etcomme il finit un na'lre environ en plus , pour latète des pieux , flOuS SÛItIIflCS conduits à admet-tre la longueur de 9 nitres pour ceux qui étaientdestinés aux endroits les plus profonds.

Quant au dispositif'] ndiqué r' ces mots : iniervzllo pedum durum inter se jutujcbat, il avait û rem-plir deux conditions

1 0 limpéiher Fécartenient et le rapprochementdes pilots et conserver entre eux le vide de 0m 59

Laisser chaque puai toute la liberté néces-saire pour s'enfoncer indépendamment du pilotvoisin , au cas oi't des inégalités de résistance seprésenteraient dans le terrain. On peut évidem-ment atteindre ce résultat (le plusieurs manièresmais l'une des plus simples nous l)a ri1t ètre celle

- .10 -qui est indiquée Fig. I et que nous avons emprun-tée, en partie, à Rondelet lI) ; ce sont des gansesen corde réunies à des taquets en bois. Les gali-ses empêchent l'écartement, les taquets s'oppo-sent au rapprochement; le tout n'est pas trop serrépour que chaque pilot puisse glisser librementdans le sens de sa longueur.

Après le battage, on pouvait enlever les cordeset les taquets , mais il valait mieux les laisser; ilscontribuaient à la consolidation des couples fbr-mant les pieds des palées. Il était même utile (leconserver un de ces taquets à la partie supérieuredes couples pour contribuer à supporter le cha-peau.

Iloec cum ntchnatonjbus deinissa 1n flurnendefixerat, flstucasquc adegerat. D'après ce que nousvenons de dire, avec un fleuve aussi profond etaussi rapide que le Rhin, avec de lourds pilotsdont quelques .-uns avaient au moins 9 mètres delong, il devient impossible de voir dans les machi-nalionibus elles flsiueis autre chose que des son-nettes armées de forts moutons; elles étaient con-nues des anciens, et l'emploi de hies à main ou

(1) Traité de l'art de bâtir, par Rondelet, 189, tome III, plan-che 08, fig. 3.

- II -

de simples moutons à bras est tout-à-fait inadmis-sible pour quiconque a vu enfoncer des pieux clansdes circonstances analogues à celles que nousrelatons.

Il est même aisé de démontrer que le poids dechaque mouton ne devait pas être inférieur à 400kilogrammes.

Les sonnettes étaient doubles; chacune d'ellesportait deux moutons séparés par un montanta yant précisément pour largeur les O" 59 qui for-maient le vide entre les pilots. Comme la manoeu-vre d'un seul mouton exigeait 25 hommes environ,les deux ne pouvaient pas fonctionner à la foisla place aurait manqué pour les 50 travailleursnécessaires.

Les hommes, après avoir frappé quelques coupssur la tète d'un des pieux , s'interrompaient pourbattre l'autre, également pendant quelque temps.Cette manoeuvre se faisait sans changer de placepuisque, nous le répétons , les moutons étaientaccouplés, à raison de deux pour une même son-nette. U suffisait de saisir celles des cordes quicorrespondaient au mouton que l'on voulait faireagir. En ayant soin de colorer en noir l'une descieux tiraudes et son faisceau de cordes , il étaitimpossible qu'ily eut erreur pour les 25 hommes,

- -Lorsqu'ils devaient haler sur l'une et non surl'autre.

César n'indique pas le degré d'inclinaison qu'ildonnait aux couples formant les pieds de sespalées; dans notre figure n° 6, nous l'avons sup-posé à un de base sur quatre de hauteur. Nouscroyons difficile de les pencher davantage, parceque tout-l'heure nous aurons à considérer unpilot beaucoup plus incliné que les précédentspuisqu'il leur servait de contre-fort , et qui cpen-dant ne devait pas s'éloigner de la verticale aitpoint d'empêcher le battage de la sonnette destinéeà l'enfoncer.

Le couple d'amont était posé comme si le cou-rant avait coinitiencé à le renverser (secondum nain-ram fluminis procumberent) ; celui d'aval, inclinéen sens inverse, tendait it être ramené dans laposition vr'ticale par l'action de l'eau (contra vintatque inpctwn fium in is con rersa siatuebat).

La distance qui séparait les points où ils étaientenfoncés dans le sol était (le 40 pieds 1 11- 80i(intervallo pedwn qnadrwjenuin ab interiore parte).

Avec l'inclinaison (lu quart que nous avonsadoptée, on obtient une largeur do m 25 environpour le tablier et une longueur (le 10 11, 00 pour leschapeaux qui reposaient sur des points d'appui

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séparés par un intervalle (le 7m 70 (Planche 2.Fig. 6).

La largeur de 77 25 paraitra peut-être exces-sive, surtout si l'on observe que les plus grandesvoies romaines étaient loin d'en avoir autant.

La voie Appia, que les anciens appelaient pom-peusement la Regina Viaruin , n'avait qu'unechaussée de 8 pieds de large et deux trottoirs de2 pieds chacun , en tout 12 pieds, ou 3 1n 14. Cesdimensions étaient prescrites par la loi des douzetables ,_qui demandait simplement que deux charspussent s'y croiser ; or la voie d'un char romain ûcette époque n'était que de 3 pieds.

Pour justifier les 7' 25 (lu pont du. Rhin enadmettant toutefois (111'it n'y ait pas une erreurdans le mot quadragenum qui sert de point dedépart nous dirons d'abord qu'avec une dimen-sion plus faible il n'eût pas été nécessaire de don-ner ail chapeau un aussi fort équarrissage queØm 59

Pour ce qui est de la voie Appia, elle sembleavoir en, certains moments, 25 pieds 1m 3'7 delargeur (MONGEZ , Dictionnaire d'antiquités, faisantpartie de la grande Encyclopédie, au mot via',nous ferons observer en outre que César dutemployer , pour ses transports , des voilures du

- 14 -pays, et l'on croit que les chars gaulois avaient unevûie qui allait jusqu'à I l 20. Enfin, nous citeronsle pont cri pierre dAlcantara , sur le Tage, bâtisous Trajan, et dont la largeur était de 8m 00 envi-ron.

Il ne faut pas perdre de vue que le pont du Rhinétait l'unique moyen que les légions du vainqueurdes Gaules eussent à leur disposition pour revenirdans ce pays; qu'il fallait prévoir, à un momentdonné, une circulation très-active et notamment delarges trottoirs pour que les impedimenta placéssur les voitures n fussent pas un obstacle au pas-sage des fantassins.

1.es chapeaux des palées se composaient depoutres de 2 pieds d'équarrissage 0m 59,(bipeda-libus trabibus). Elles entraient dans les intervallesdes pilots. Ceux-ci étaient maintenus par leurextrémité supérieure (disonebantur ab extremaparte,) , en dessus et Cil dessous (ut)-im que) à l'aidede doubles étriers (binis fibulis) qui les envelop-paient eux et leurs chapeaux et les serraient (laflsdeux sens opposés (in contrariant partein revinctis).

Telle est la traduction littérale de ce passage sicontroversé ; nous allons l'étudier avec détails, et,tout d'abord , nous examinerons les principalesexplications présentées par quelques-uns des sa-

vants les plus compétents dans ces sortes de ques-tions I.

Le célèbre Palladio o donné le dessin des figu-res 2 et 3, dans lesquelles les bina' fibula' sont com-posées de deux traverses a, b, encastrées, en partie,dans les pilots et dans le chapeau. Ce tracé répondbien auxaux mots utrim que et in conlrariam partemrevinctis; ixiais il ne s'accorde pas avec le passageOÙ il est dit que , plus le courant agissait avec vio-lence sur la palée , plus les liaisons entre lesdiverses pièces se resserraient et devenaient inti-mes. Il est clair qu'il se produirait alors (les mou-vements tendant Ù détacher la traverse b du couple(l'aval. D'ailleurs, ce système de petites traversesmanque de solidité pour lin tablier aussi lourdet pour un pont permanent.

Seaminozi, ingénieur qui fortifia Palma-Novadans le XVIe siècle, et qui est l'auteur d'une archi-tecture universelle , fait reposer le chapeau surune entretoise destinée en outre à relier les deuxpilots d'un même couple ; de Plus , il consolide letout par de doubles liens de cordages.

Léon Alberti n'emploie que des ganses en cor-

(1) Voir le Traik dc lori de bdlir, par Rondelet, 189, tonie III,page 91 et planche 98.

- 16 -des. Rondelet trouve ces procédés insuffisants etpeu solides, et nous sommes de sou avis.

Il faut se rappeler que César franchit le Rhinavec son armée pour se lancer dans un pays tota-lement inconnu , et , bien qu'il eût probablementl'intention de ne faire qu'une simple reconnais-sance et de ne pas trop s'éloigner , il n'en est pasmoins vrai qu'il laissait derrière lui un fleuvelarge , profond , impétueux , et toute, la Gaulefrémissante de colère, prête à secouer un jougabhorré, trop récemment imposé pour être affermi.Ce pont était son unique moyen du retraite, et ildut le faire aussi solide que possible, à l'abri desaccidents et des causes de destruction quels qu'ilsfussent. Des cordes , des traverses eu bois , (lesharts en osier, comme nous savons qu'il en a étéproposé , étaient trop exposés à se briser et sur-tout à être . coupés par la malveillance. Il eût étébien facile à deux ou trois nageurs, Gaulois ouGermains, de profiter (l'une nuit de pluie et (le ventpour aller scier ou couper , en quelques minutesces moyens si précaires de soutenir le tablier.

C'est donc à des armatures métulliques fer oucuivre' qu'il faut demander la solidité dont onavait besoin.

Rondelet l'a Compris uiiisi et , pour lui les

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bnœ fibule sont deux boulons e • d , lraversuit lespilols et le chapeau (fig. 4). Ce dispositif, plus so-lide que les précédents , a l'inconvénient de nepas rendre les mols utrim que, in contrariam parlent

revinctis , hoc arclius iliigata teneren(ur.Un dessin très-obscur, donné par quelques

anciens commentateurs et notamment par Biaisede Yigéiière , dans sa traduction de César 1 , in-dique pour les bina' fibule un cadre en bois quientoure les pilots et le chapeau , nous l'avonsreproduit (fig. 5) sans y rien changer. C'est unPeu le système de Palladio , sauf que les traversesa et b sont rendues solidaires l'une de l'autre parles deux montants du cadre.

Comme le procédé que nous proposerons nous-mème tout-à-l'heure a quelque analogie avec, celuide Vigénère , nous ne nous appesantirons pas surce dernier dont le jeu sera expliqué p" les déve-loppements D'° nous donnerons en parlant dunôtre.

outre hs conditions clairement éi ioncées dansle texte latin , il y a , nous le répétons , l'obliga-tion de satisItire i une grande solidité ; il faut

(1) Lus (iItIeutairsde.Llésai , par IUais\ign.'rParis, Laugellier, 1603,, . 378

- '18principalement quo les bina' fibule Cm1)èCheflt au-tant que possible nu accident qui se présente fré-queminerit dans les ponts de pilots , surtout aumoment ou on les étal)lit. Il n'est personne, ayantquelque habitude de la construction de ces sortes deponts, qui n'ait vu quelquefois une ou deux paléesse renverser dans le sens perpendiculaire au fil del'eau. Un déftiut d'horizontalité dans le tablier, dessecousses , des pressions accumulées sur un seulpoint peuvent amener cette chute. César y obviaiten composant de deux pilots chaque pied de sespalées; mais c'était à la condition qu'ils ne s'écar-tassent pas l'un de l'autre sous les mouvementsanormaux occasionnés par la pose des chapeauxet (lu tablier, opération qui fatiguait surtout leurextrémité supérieure ('extremam partem). Voilàpourquoi, sans doute, Vigénère avait adoptéson cadre qui enserrait latéralement les deuxpieux d'un même couple; c'est aussi pour cetteraison que nous emplo yons un étrier en fer qui vanous servir en mème temps à soutenir le chapeaude la palée.

Le dispositif que nous indiquons tient Ù la foisde celui des ponts Birago et Cadiot et du svstmedes ponts Thierry , usités en Belgique.

Dans le pont Birago, une chaîne, fixée à la

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partie supérieure du pied vient passer sous lechapeau; elle l'embrasse complètement et contri-bue à l'empêcher de descendre; avec le. systèmeCadiot, la chaine est remplacée par une corde;dans le pont Thierry, le chapeau repose sur desboulons ou des traverses qui entrent dans lespieds et dont on peut faire varier la position.

Voici comment sont organisés nos étriers etcomment ils représentent les bina, fibu 1cc deCésar.

Chacun d'eux (fig. 6, 7, 8, 9 et 10) est forméde (Jeux brides egi, fhk et (le trois boulons de Øtm 07de diamètre ef, gh, ik. Ces boulons ont leurs extré-mités percées de fentes où l'on introduit des cla-vettes. Les trous des brides qui reçoivent le boulondu milieu gh doivent être assez larges pour per-mettre à tout l'ensemble de l'étrier de tournerlibrement autour de lui.

Le mot fibula veut dire boucle, agrafe; une bouclesimple, comme celle d'une bretelle de pantalons'appelle fibula; les boucles doubles, comme cellesdes ceintures des femmes, sont des bmw fibu 1cc.

Notre étrier a précisément la forme d'une boucle deceinture de femme dont on aurait té les ardillons.Quand il est en place, son boulon supérieur cfrepose sur les tètes des pieux. Le boulon intermé-

- 20 -diaire yh se loge dans (les entailles pratiquées surles mémos pilots et. le boulon inférieur ik restesuspendu de l'ati r'e côté (les pieux du couplec'est lui qui porte le chapeau, conjointement avecle taquet (lotit nous avons parlé plus haut.

Les tètes des pilots et les entailles dont ilvient d'ètrc question sont garnies (l'ut! PCU de tôlepour empécInr lu tr des boulons de pénétrer , àla longue , (laits le bois et (le lu faire éclater sousle 1)01115 du laijlier et de sa charge. Pour ([UC lesboulons e/ , , fj h ne s'échappent vilS du leurs encas-trements , ils sont recouverts (le bandes de fier platCl')IIécS sur les pieux et sous lesquelles ils peuventfturner librement. -Nous reconnnissons , du reste,que cette tôle et ce t1r plat rie sont nullementmentionnés dmts César; c'est un détail minimedouit l'utilité nous putt certaine.

Les cinq pièces de fer composant un étrierpèsent CIlSernl)lC \ peu près 160 kilogrammes.Comme elles se posent successivement, deuxhommes peuvent les mettre en place avec tici1iléle boulon internlé(liaire gh se met le dernier, aprèsque le chapeau est installé SUP le boulon ik.

Il est facile de voir coitihien les pilots sont sou-lagés par la disposition qui consiste L répartir surdeux points la fiitigue que leur fut éprouver le

poids du tablier et COml)iefl ils sont peu affaiblisà lotir contact avec les boulons des étriers.

Ces derniers, nous le répétons , fonctionnentcomme la ehaine Birago ; le boulon inférieur il;remplace tout-à-lait le. support Thierry.

Ce que nous proposons il donc la sanction del'expérience, et n'est pas le résultat d'une idéepurement théorique.

Pour que le chapeau ne puisse pas glisser dans]e sens de la longueur, on pratique une légèreentaille où l'on cloue un petit taquet fig. WI destinéà l'arrêter contre ik.

Prouvons maintenant que les conditions impo-sées par le texte des Commentaires sont satisfaites

Nos étriers sont de doubles boucles (bina'

fibuhr);Les pilots sont cerclés à leur extrémité par ces

étriers. (tfu'c tigna ab extrema parte distinehantur,);Les boulons cf, ik les étreignent des deux côtés,

en dessus et en dessous (utrim que)Les pressions s'exercent eu sens contraires (in

contrarîan parlein rerinctis) ; ainsi, le boulon efpresse les pieux de manière à les rabattre, tandisque le boulon ik tendà les relever.

Plus l'effort du couraiit est violent , plus lespièces se trouvent serrées entre elles.

In effet, considérons d'abord le couple d'a_mont: le courant tend Ù le renverser, le bouloni1C', maintenu par le tasseau e' ou par l'entaille duchapeau , entrane ce dernier qui résiste de toutson propre poids ; il en résulte que i'k' est forte-ment serré contre les pilots. Plus il est serré, plusl'étrier tend ù tourner autour de son l)Oulofl central!ïh' et par suite presser fortement e'r contre latète (lu pilot.

Les choses se passent de même au coupled'aval. Le chapeau, entrané par le mouvement(lu couple d'amont , appuie le boulon i k contreles pieux, l'étrier tournant autour de gh serre deplus (, il plus ef sur la tète tics mérnes pieux.

Ce jeu des diverses pièces de la palée, qui tend' les consolider en les pressant le plus étroitementpossible, était surtout indispensable avant la posedu tablier. Une fois celui-ci mis en place , sonpoids très-considérable diminuait beaucoup tousces mouvements.

On sait qu'il faut pour la stabilité d'un pont depilots , que le tablier soit le plus lourd possiblec'est, en partie, pour cela qi ii César a dot t i té unaussi fort équarrissage On. 59 aux chapeaux (lespalées.

Les étriers sont très-f'4ieiles à confectionner ; le

-

forgeron le moins habile peut les faire. On sait queles légions romaines avaient des compagnies d'ou-vriers, fiibri. César les cite souvent dans sonlivre; c'était un ingénieur appelé Magius qui lescommandait pendant la guerre civile (livre Ichap. 24). Ils exécutaient (les Ouvrages bien plusdifficiles que celui dont nous parlons , puisqu'ilsconstruisaient des tours roulantes et même desnavires. Le fer et la tale faisaient partie des appro-visionnernents des armées romaines, et servaientà assembler les pièces de leurs machines et à lesprotéger contre les projectiles incendiaires del'ennemi.

Toutefois , nos boulons de 1m 50 de longueuret (le 0m 07 de diamètre, nos brides latérales (luiont environ de O" 03 d'épaisseur et 0" 13 de lar-geur, ont paru à (l1eI(ltes personnes (les piècesbien lourdes et bien volumineuses pour étre tra-vaillées avec de simples forges de campagne.Voici ce que flOUs répondrons Ù cette objection10 Les boulons pouvaient étre. formés , chacunde plusieurs barres de lèr assez minces, simple-ment réunies en faisceau par un entourage en mide fir. Les brides étaient liitis de plusieurs pla-ques de t]e superposées. 2' César, qui avaitcertainement organisé sui- lu rive genette du lhiit

- -

flou loi u du point où il le passa , une ville de dépôtpour ses malades, ses approvisionnements, sonmatériel , etc., a pu faire exécuter les fibu41r dansles ateliers de cette place. 30 Nous connaissonsdes fi-tues et des tours d'attaque dont les rouesavaient des essieux de mètres de longueur etd'un diamètre bien plus considérable que celui denos boulons. Ces essieux étaient fuits d'avance etse trouvaient dans le matériel des armées , il suffi-sait donc d'en prendre trois pour en faire lesboulons d'une de nos fibubv.

La destruction d'une palée telle que nous l'avonsorganisée aurait, exigé un temps assez lon g ; unetentative nocturne n'aurait pas réussi.

Les pilots qui sont enfoncés près des piedsd'aval et qui fonctionnent comme un mur (le sou-tènement, pro pire1e, (levaient venir buter contrechaque palée et supporter à leur sommet un coursde loi ugueri nes longitudinales (1. fig. 6 qui régnaientsous les chapeaux rnèmes, pour ne pas urrèter lescorps flottants engagés dans les travées. Ces Ion-gueriiues reliaient toutes les I)a1('es entre elles etnous semblent indispensables pour satisfoire ùcette condition que les pilots contreforts étaientsolidaires de tout l'ouvrage (cum omni operc con-juncku')

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Pour ce qui est des pieu plantés en avant dansle but d'écarter les bateaux et les troncs d'arbrestous les systèmes proposés nuits paraissent à peuprès également bons (1 . Nous adoptons celui dePalladio, en le réduisant à trois pilots par palée.

Nous pensons que César n'employa de bois engrume que pour les punis , les autres piècesfurent grossièrement équarries à la hache ou àl'herminette (dolabra).

Jusqu'à notre époque, les commentateurs, quiont figuré des machines ou des ouvrages do guerrefaits en bois par les anciens, ont représenté despoutres parfaitement travaillées, t vive arête etrabotées comme des pièces de menuiserie. C'estévidemment un tort; mais , d'un autre côté, denos jours, notamment en Allemagne, les savants(lui s'occupent de ces sortes de questions nedessinent que des bois complètement bruts, etnous croyons que c'est encore une erreur. Lechapeau et les poutrelles d'un pont n'auraient quetrès-peu d'assiette, si on ne les équarrissait lasUri peu.

(1) Exceptil celui de Rondelet (fig. 1V, planche 1), qui a l'incon-vénient de raire épruuver au pünt lui-uuhoe les secousses ducs aux

chocs des corps flottants

- 26Nous donnons un (lerni-pied de côté environ

15', aux pOiitreIli's (dirccia nza1era) jetées d'unchapeau à l'autre; elles s'y fixaient, peffi-étre,par des taquets analogues aux grifls du pontlhrago.

Los lOflguria, mises en travers sur ces poutrelles,tle aient itre jointives et pouvaient s'obtenir enIndant en deux, dans le sens de la longueur, degrosses branches d'arbres. On les posait à plat,la partie Convexe en dessus , et ou les clouait.Elles étaient revêtues (le claies maintenues sansdoute avec des harts , et probablement, une cou-('lie de terre recouvrait le tout.

César ne parle ni (le trottoirs ni de garde-fouaussi on ne le mentionne ici que Pu' mémoire.Mais ils étaiejit trop dans les habitudes des an-ciens , pour qu'on puisse croire que le pont duEthiu en ait été

L'Empereur Xapo1éoii 1er était loin de partagerl'admiration que cet ouvrage semble inspirer. Illui préférait, avec raison, le pont de pilots cons-truit en 1809, sur le Damiubo , par son aide-de-camp Bertrand, et qui fut jeté en 20 jours , quoi-qu'il exigeàt dix fois plus de travail que celui deCésar. L'Empereur estimait que les cinq pilotsemployés pour faire une palée auraient été plus

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solides , si on les avait plantés verticalemen t , enles répartissant sous toute la longueur du dia-peau.

Suiiuiir, P. GODET, im i) . -

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