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ÉDITORIAL · 2013-08-01 · Glowinski et le bureau du Collège au cours des dernières ÉDITORIAL N° 18 - LA LETTRE 3. ... Par ailleurs, il est membre de plusieurs sociétés savantes

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Le Collège a tissé des liens avec le monde économique etsocial, notamment avec la création du comité Budé, quirassemble certains des grands acteurs économiques denotre pays. Je souhaite consolider cet effort d’ouverture.Cela suppose par exemple de définir avec ce comitéquelles actions pourront être réalisées pour instaurer ourenforcer le dialogue et la coopération entre le mondeacadémique et celui de l’entreprise. L’innovationtechnologique découle directement de la recherchefondamentale – et elle concerne chacun de nous du fait deses applications dans la vie courante. Elle n’avait jamaisfait l’objet d’un enseignement au Collège de France. C’estpourquoi je suis particulièrement heureux que le Collègepuisse, grâce au mécénat, ouvrir la toute nouvelle chaired’Innovation technologique – Liliane Bettencourt. Cettechaire sera renouvelée chaque année. Elle permettrad’aborder successivement les grands secteurs del’innovation.

Ouverture sur le monde universitaire, ensuite.L’Université et le Collège de France n’ont pas la mêmemission. À l’inverse de l’Université, le Collège a pourmandat de délivrer un enseignement libre, sansobligation de délivrer des diplômes. Je souhaite, pourceux de nos professeurs qui le désirent, accroître lespossibilités de partenariat avec les universitésparisiennes en donnant à leurs étudiants post-doctorantsla possibilité de suivre certains enseignements duCollège qui ne seraient pas représentés dans leuruniversité d’origine. Les chaires du Collège pourrontainsi accueillir des étudiants provenant de différentesécoles doctorales. Ce rapprochement ne peut être quebénéfique et un accord dans ce sens avec l’ensemble desuniversités parisiennes devrait être finaliséprochainement.

Ouverture internationale, enfin. En ce qui concerne lareconnaissance et l’image du Collège de France àl’étranger, un effort important doit être entrepris. Notreinstitution, en tant que telle, n’est pas suffisammentconnue ou reconnue pour ce qu’elle est par nos collèguesétrangers. C’est dû sans doute en partie à son origina-lité même et à l’absence de modèle similaire dans le restedu monde. Nous devons donc consolider les liens exis-tant avec nos collègues universitaires étrangers. À cettefin, une dizaine de conventions ont déjà été mises enplace, en Europe et dans le monde entier. Elles permet-tent aux professeurs du Collège de dispenser une partiede leur enseignement à l’étranger. Parallèlement, la poli-tique d’accueil de post-doctorants étrangers sera ampli-fiée. Mais le Collège de France ne peut pas être partout :nous devrons concentrer nos efforts sur des partena-

riats privilégiés, en assurer le suivi avec soin, et les fairevivre par la réciprocité des échanges.

Développer la recherche dans les sites du CollègeAu Collège de France, une partie de la recherche esteffectuée sur les sites propres du Collège, une autrepartie dans des laboratoires extérieurs. D’importantstravaux de rénovation sont en cours sur le site MarcelinBerthelot (phase II). De nouveaux laboratoires de chimieet de biologie seront ouverts début 2008. Les travaux dela phase III seront réalisés dans la foulée et permettrontl’accueil de laboratoires de physique. Leur achèvementmarquera l’aboutissement du grand projet de rénova-tion des laboratoires du Collège. La bibliothèque géné-rale sera installée dans les locaux rénovés du siteMarcelin Berthelot, où sera créé également un centred’accueil pour des invités étrangers. En regroupant surce site des laboratoires de différentes chaires, on atteintla masse critique nécessaire pour leur permettre de béné-ficier d’un plateau technique et de prestations et servicesmutualisés de haut niveau. Dans les espaces derecherche ainsi créés, il est prévu d’accueillir pour unedurée limitée de jeunes équipes sélectionnées sur descritères rigoureux. Elles bénéficieront de ces prestationset services communs, ainsi que de l’environnementscientifique et intellectuel du Collège. Elles participe-ront pleinement à la vie du Collège. La multidisciplina-rité est l’un des maîtres mots de la science d’aujourd’hui.Tout sera mis en œuvre pour la favoriser, au Collège deFrance, grâce au rassemblement dans ses murs de scien-tifiques de haut niveau issus de différentes disciplines, etdotés d’un outil et d’un environnement de travail excep-tionnel.

Sur le site Cardinal Lemoine, le Collège a entrepris uneffort de réorganisation des bibliothèques qui est à lamesure de la richesse et de l’importance des fondsqu’elles abritent. Tous y ont contribué. Les partenariatsnoués avec d’autres grandes bibliothèques ont permis decréer un véritable centre de recherche et de documen-tation. Cette opération sera poursuivie car il reste destravaux à réaliser pour terminer la rénovation de ce siteet faciliter l’accès de ces bibliothèques uniques aux cher-cheurs de toutes nationalités et à un public plus large.Jacques Glowinski a mené de bout en bout la réflexionarchitecturale sur la construction et la rénovation deslocaux sur les différents sites du Collège de France. C’estpourquoi nous lui demandons de bien vouloir se chargerdu suivi de ces travaux.

Pour consolider la politique engagée par JacquesGlowinski et le bureau du Collège au cours des dernières

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Pierre Corvol a été élu administrateur du Collège de France parl’Assemblée des professeurs le 25 juin 2006. Il succède à JacquesGlowinski.

Il est titulaire de la chaire de Médecine expérimentale depuis 1989,il est également membre de l’Académie des sciences française et del’American Academy of Arts and Sciences.

Pierre Corvol mène une activité de chercheur et de clinicien. Il estspécialiste du système rénine-angiotensine aldostérone. Il est direc-teur scientifique de l’unité Inserm « Pathologie vasculaire et endo-crinologie rénale ». Ancien président du conseil scientifique del’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris AP-HP, ainsi que du conseilscientifique de l’Inserm, il a été membre du CODIS (collège de direc-

tion scientifique) de l’Inserm entre 1985 et 1996, et, à partir de1988, il a été conseiller auprès du Directeur général pour le déve-loppement de la recherche clinique et la création des centres d’in-vestigation clinique. Il a par ailleurs été chef du serviced’hypertension artérielle de l’hôpital Broussais (Paris) entre 1986et 1999. Il est actuellement praticien à l’hôpital Georges Pompidou.Par ailleurs, il est membre de plusieurs sociétés savantes euro-péennes et internationales (European Society of hypertension,American endocrine Society, International Society of hypertension,etc.). Il a reçu le grand prix Inserm 2006. Pierre Corvol est officierde la Légion d’honneur et Commandeur de l’Ordre national dumérite.

années, trois conditions doivent être réunies. Toutd’abord, la participation de tous les professeurs duCollège. Le bureau actuel, composé de Michel Zink,vice-administrateur, et Jean-Christophe Yoccoz, secré-taire, assure la continuité de l’action du précédentbureau. Avec ses cinquante-deux chaires, le Collège deFrance réunit un éventail unique de compétences trèsvariées, et bénéficie du vaste réseau que représente lasomme des contacts entretenus par ses cinquante-deuxprofesseurs. Il est essentiel que le Collège, fort de cesatouts, parvienne à établir concrètement une complé-mentarité active entre les disciplines de ces divers hori-zons. Nous sommes tous concernés. Le bureaun’hésitera donc pas à faire appel aux différents collè-gues afin de recueillir leurs suggestions, de faire avancerun dossier ou de consolider une action entreprise. Ilfaudra pour cela favoriser la plus grande fluidité et laplus grande aisance dans la communication entre lebureau du Collège et l’ensemble des professeurs. Cefonctionnement collégial, qui est la base de notre insti-tution est la première condition de notre réussite.

La deuxième condition sur laquelle repose notre politiqueest l’engagement de son administration et de ses servicestechniques. Des auditoires plus nombreux, la poursuitedes travaux, l’installation, dans un avenir proche, denouveaux laboratoires, la complexité des règles d’hygièneet de sécurité ont alourdi la tâche des personnels de l’ad-ministration et des services techniques, et leur demandentdes efforts accrus. L’administrateur se doit de connaître etd’écouter les personnels concernés, et d’envisager aveceux la manière dont le fonctionnement de l’institutionpourrait être encore amélioré. Plusieurs dossiers m’appa-raissent déjà prioritaires : l’informatisation des servicesdu Collège ; la formation du personnel, pour répondreaux exigences d’une technicité croissante des tâches et desfonctions ; le renforcement, dans la mesure du possible,des équipes administratives et techniques dans les servicesd’enseignement et de recherche qui le nécessitent.

Bien entendu, une politique ambitieuse exige desmoyens financiers importants. Le Collège de France abénéficié récemment d’une réévaluation du budget quilui est alloué par le ministère de l’Enseignement supé-rieur et de la recherche. Le ministère a consenti un effortparticulier en faveur de la direction des Affaires cultu-relles et des relations extérieures. Je me réjouis de cettemarque d’estime et de reconnaissance qui honore notreinstitution. Toutefois, nous ne pouvons pas toutattendre des seuls crédits publics. Je m’emploierai àtenter de compléter cette dotation publique par d’autressources de financement, par le développement de parte-nariats et la recherche de mécénats.

C’est un vaste programme – mais il faut être ambitieuxpour le Collège de France. C’est un programme réali-sable, parce qu’il s’appuie sur l’énergie et la fierté deceux qui travaillent et qui enseignent ici, parce qu’il estporté par leur volonté d’être à la hauteur d’un héritageprestigieux, et leur désir de faire avancer cette institutionvers l’avenir qu’elle mérite, sans ménager leur peine carils savent qu’elle tient une place unique dans le paysagescientifique et culturel de notre pays et qu’elle contribueà son rayonnement dans le monde. La récente nomina-tion de plusieurs professeurs du Collège de France auHaut Conseil de la recherche et de la technologie,installé auprès du président de la République, est unepreuve supplémentaire de la reconnaissance du caractèred’excellence du Collège en matière de recherche scien-tifique. Elle témoigne de la confiance qui lui est faitepour continuer de faire progresser notre pays et déve-lopper sa capacité de recherche et d’innovation �

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Le 16 Janvier 1976, je donnais maleçon inaugurale au Collège de France.À la différence de ce que le public putressentir, ce fut pour moi une soiréetragique. Jacques Monod m’avait faitpart quelques instants plus tôt dans lacour du Collège qu’à la suite d’unegrave maladie, ses jours étaientcomptés. Me revinrent alors enmémoire les termes de sa dédicace surl’exemplaire de son livre Le hasard etla nécessité : « À Jean-PierreChangeux vrai fils spirituel et commetel, et tout naturellement, un peuparricide… ». J’avais alors souri etprotesté. Mais ce soir là, je ressentiscomme un devoir de reprendre leflambeau de la biologie moléculairedont il avait été, avec François Jacob,un des pères fondateurs, avec lavolonté de poursuivre son œuvre.Habité de cette émotion, j’expliquaismon projet d’étendre le paradigme dela biologie moléculaire à l’étude ducerveau et de ses fonctions apprentis-sage, conscience, pensée... Trente ansaprès, il ne m’appartient pas de faireun bilan objectif. Mais, ma rechercheà l’Institut Pasteur comme mon ensei-gnement au Collège de France, auronttoujours été fondés sur les concepts,méthodes et enjeux de la biologiemoléculaire.

Les sciences du système nerveux ont,entre temps, changé de visage. Il ne

s’agit plus, comme autrefois, decreuser son sillon, enfermé dans sadiscipline, voire son corporatisme :physiologique, pharmacologique,anatomique ou comportemental.Grâce à la biologie moléculaire, unnuovo cimento, de nouvelles synthèses,tant conceptuelles que méthodolo-giques, sont devenues possibles entreles diverses voies d’approche dusystème nerveux. Au cours des années80, l’ingénierie génétique, puis leséquençage à grande échelle, appor-tèrent un ensemble massif de donnéesnouvelles aux multiples applications,en particulier dans les domaines de laphysiologie, de la pharmacologie etde la pathologie. Une autre disciplinefondamentale, la physique, offrit denouvelles méthodes d’imagerie quiouvrirent une voie d’investigationnouvelle reliant états mentaux et étatsphysiques du cerveau. L’une et l’autrediscipline féconderont un nouveauchamp de recherches : la neuroscience– née en 1971 aux États-Unis avec lapremière réunion de la Society ofNeuroscience – avec le même soucicommun de conceptualisation et demodélisation théorique. Si la révolu-tion de la neuroscience a bien eu lieu,elle n’a pas encore porté tous ses fruits– tant en son sein que dans seséchanges avec les sciences humaines –loin s’en faut.

Cette nouvelle science du cerveau n’apas pu se réaliser sans un soutienadministratif et financier majeur tantau niveau national qu’international.L’action concertée Dynamique deneurone, alors placée sous l’égide de laDirection générale de la recherchescientifique et technique dirigée parPierre Aigrain et que je présidais de1977 à 1983, eut un rôle fédérateuressentiel au niveau national. Ellecontribua à la création de groupes derecherches très actifs qui illustrèrentbrillamment la neuroscience françaisebien au-delà des frontières nationales.L’embellie perdra tristement de savigueur avec la fin de l’actionconcertée et la concurrence malen-contreuse entre organismes derecherche CNRS et INSERM qui s’en-suivit (elle se poursuit toujours aujour-d’hui) et se traduisit par le retourinfortuné des clivages entre disciplines,voire d’antagonismes entre personnes.La mise en place d’une autre actionconcertée « Sciences de la cognition »,heureusement inspirée par ClaudeAllègre et que je présidais égalementde 1988 à 1992, n’eut pas l’impactespéré. Se heurta-t-elle aux manquesde financement de l’ensemble de laneuroscience ? Venait-elle trop tôt ?Elle ne contribuera pas à panser lesplaies d’une communauté nationaledivisée. D’autres initiatives suivirent,publiques ou privées. Quinze ans

À LA DÉFENSE DE LA NEUROSCIENCE...

Jean-Pierre Changeux,titulaire de la chaire deCommunications cellulairesde 1976 à 2006.

Le professeur Changeux a donnésa dernière leçon en mai dernier.

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après, il me paraît plus que jamaisessentiel de consolider et dynamiserau niveau national une recherche enplein essor sur la scène internationaledont l’enjeu reste – si j’ose le dire – leplus fondamental de toute la recherchescientifique : comprendre notrecerveau, ses fonctions, et ses dysfonc-tionnements, révéler les bases neuralesde l’ « esprit »…

Le cerveau de l’homme est l’objetphysique le plus complexe du mondevivant. Il reste un des plus difficiles àappréhender. Il ne peut être abordé demanière frontale sans risque decuisants échecs. Dans la jungle de sesconnections et de ses synapses, il estindispensable de capturer avec perti-nence un trait particulier de son orga-nisation et de ses fonctions qui servirade fil d’Ariane et donnera accès aucœur du labyrinthe. Dans ma leçoninaugurale, je présentais une nouvellemolécule qui était déjà l’objet desrecherches en cours dans mon labora-toire et qui l’est encore aujourd’hui : lerécepteur nicotinique de l’acétylcho-line. Pourquoi cette protéine ? Il fautrappeler que dans les années 60, cetype de molécule relevait d’une entitéquasiment mythique : un « récep-teur ». La raison en est qu’il fallait aupréalable démontrer l’idée et la faireaccepter par d’éminents électro-physiologistes alors tout puissants,qu’il existe dans notre systèmenerveux des agents chimiques, appelésdepuis neurotransmetteurs, qui inter-viennent comme signaux dans lacommunication entre neurones auniveau d’une structure de contactspécialisée appelée synapse. Cettedémonstration fut apportée dès 1904par Elliott avec ses expériences surl’adrénaline. Elle fut reprise par lespremiers pharmacologistes del’époque, John Newport Langley et SirHenry Dale et leurs travaux sur unautre neurotransmetteur, l’acétylcho-line, dont le rôle majeur fut alorsprouvé dans le système nerveux péri-phérique. En 1905, Langley postuleque le neurotransmetteur se fixe surune « substance réceptrice », ou« récepteur », qui « reçoit le

stimulus » et le « transmet ». Le termeest désormais employé par des géné-rations de pharmacologistes, même s’ilest vivement critiqué comme tropabstrait et inutile par un esprit aussidistingué que Sir Henry Dale. Il deve-nait néanmoins urgent de découvrir lamolécule qui se cachait derrière cenom. Dans ma leçon inaugurale, jedécrivais la découverte du premierrécepteur, réalisée à l’Institut Pasteur, àpartir de l’organe électrique de poissonet de la toxine alpha du venin deserpent Bungare. Le « mythe » s’ef-fondrait au bénéfice de la connais-sance d’une protéine dont j’avaissuggéré, dès 1965, dans les conclu-sions de ma thèse de doctorat, l’ap-partenance à une grande catégorie deprotéines régulatrices, ces protéinesallostériques, dont le concept avait étéélaboré au cours de ma thèse avec mesmaîtres Monod et Jacob, puisWyman. Le travail qui suivit futd’abord consacré à l’élucidation de lastructure fonctionnelle de cetteprotéine régulatrice membranaire d’untype nouveau : d’abord la capture dela protéine à partir d’extraits brutsd’organe électrique, puis la caractéri-sation de sa structure moléculaire,l’identification chimique du site actif etdu canal ionique, enfin la démonstra-tion que ses deux sites critiques, le sitede liaison de l’acétylcholine et le sitedu transport ionique, sont distantsl’un de l’autre de plus 30A. Leurcouplage fonctionnel était donc indi-rect ou « allostérique », et se trouvaittransmis par un changement confor-mationnel. Plusieurs groupes à traversle monde participèrent, avec le nôtre,à cette aventure exceptionnelle qui sepoursuit aujourd’hui. Le récepteur del’acétylcholine, comme prévu, est uneauthentique protéine allostérique maismembranaire. Cette conclusion seraprogressivement étendue aux milliersde récepteurs identifiés par la suite,tant ceux liés à des canaux ioniquesqu’à des protéines G ou des kinases,avec des conséquences majeures dansla conception de nouveaux agentspharmacologiques, mais aussi dans lacompréhension de multiples patholo-gies que j’ai appelées « maladies des

récepteurs ». Celles qui sont parexemple dues à des mutations, ouautres modifications, affectant lestransitions allostériques de ces récep-teurs, les rendant, en particulier, spon-tanément actifs ou « constitutifs ».

Une autre conséquence théorique deces travaux est que, présents auxmultiples nœuds critiques du réseausynaptique cérébral, ces récepteurscontrôlent le trafic des signaux circu-lant à travers l’ensemble du cerveau etde ce fait imposent des contraintescinétiques critiques à nos fonctionscérébrales. Les temps de réaction denos réflexes comme ceux de nosperceptions conscientes, ou encore lagenèse spontanée et l’enchaînementdes « objets » de nos raisonnements,sont encadrés par les cinétiques destransitions allostériques de ces récep-teurs et par celles des canaux ioniquesprésents dans nos câbles nerveux. Parvoie de conséquence, cette premièreindentification d’un composant molé-culaire de la synapse, qui s’est pour-suivie depuis aux niveaux pré- commepost-synaptiques, encourageait uneapproche moléculaire « bottom up »,ou de bas en haut, des fonctions supé-rieures du cerveau, et tout particuliè-rement de l’apprentissage.

L’ouvrage visionnaire de JacquesMonod, Le hasard et la nécessité,proposait des réflexions sur la genèsedu système nerveux central, s’inspi-rant des travaux alors récents deHubel et Wiesel sur le système visuel.Je me sentais suffisamment armé pourréagir. Je trouvais la position deJacques Monod trop innéiste et enparticulier ne prenant pas suffisam-ment en compte la genèse et la trans-mission des cultures dans les sociétéshumaines. Invité par Edgar Morin àune réunion sur l’« Événement » en1972, je présentais une théorie suivantlaquelle la mise en place du réseausynaptique cérébral au cours du déve-loppement ne se produisait pas demanière rigide, comme on construitun ordinateur, mais comme un enchaî-nement d’étapes d’exubérance et d’éli-mination, d’essais et d’erreurs par

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stabilisation sélective de synapse sousle contrôle de l’activité, spontanée ouévoquée, investissant ce réseau. Cetteidée fut rapidement exprimée sousforme mathématique avec le concoursde Philippe Courrège et AntoineDanchin (1973, 1976). L’évolutionpar variation/sélection s’appliquait audéveloppement du cerveau mais d’unemanière strictement épigénétique sansentraîner aucune modification dugénome. L’idée sera reprise et étenduepar Gérald Edelman sous le vocablede « darwinisme neural ». Elle faitdepuis l’objet d’abondantes discus-sions. Un de ses principaux effetsbénéfiques aura été d’inciter à unerecherche sur les mécanismes molécu-laires de l’effet de l’activité nerveuse(chimique et électrique) sur le déve-loppement synaptique et, de ce fait, demieux comprendre la variabilité épigé-nétique de notre organisation céré-brale. On accède désormais à la miseen place de ce que j’appellerai les« circuits culturels » du cerveaucomme ceux de la lecture et de l’écri-ture mais également des systèmessymboliques propres à chaque cultureet qui contribuent à ce que PierreBourdieu appelle l’habitus.

Ces 30 années d’enseignement auCollège de France auront eu desconséquences importantes sur maréflexion théorique trop souventréfrénée par le travail empirique dulaboratoire. Elles m’apportèrent unmagnifique espace de liberté limiténéanmoins par les critiques sévèresd’un public fidèle et exigeant. Les septpremières années de cours furentregroupées dans un ouvrage qui étaitinitialement réservé à mes auditeurs,l’Homme neuronal (1983). J’y abor-dais au chapitre des « objetsmentaux » les fonctions supérieuresdu cerveau et même la conscience.Mais les cours qui suivirent me donnè-rent l’occasion d’aborder de manièrebeaucoup plus approfondie et détailléeces fonctions cognitives auxquellesnotre poisson électrique et même lasouris ou le rat, sur lesquels noustravaillions depuis des années, nedonnaient pas directement accès.

J’ai toujours jugé indispensable deprendre en compte les multiplesniveaux d’organisation hiérarchiquequi interviennent dans les fonctions ducerveau et dont l’omission par certainsphysiologistes ou biologistes molécu-laires pouvait faire prendre le cerveaude l’homme pour une collection unpeu trop simple de « microcer-veaux »…. Le cours de 1987 fut doncconsacré aux « bases neurales desfonctions cognitives », à la définitiond’un niveau d’organisation que jequalifiais de « niveau de la raison » etqui mobilise sélectivement – de hauten bas, top down – la regio frontalisou cortex frontal du cerveau dont l’ex-pansion aura été fulgurante au coursde l’hominisation. Ce fut le point dedépart d’une entreprise de modélisa-tion théorique dont le principal acteurfut Stanislas Dehaene alors jeuneétudiant en mathématiques à l’Écolenormale supérieure. Un moment fort(1989, 1991) de cette collaborationfut la construction d’un organismeformel qui réussit la tâche cognitivedite « de réponse différée ». Il l’ef-fectue à la suite d’un apprentissage parsélection qui mobilise un système derécompense (dopaminergique) pour lapremière fois modélisé sous formeneuro-computationnelle. Une autreétape critique fut franchie avec lecours de 1992 consacré aux « basesneurales des états de conscience etd’attention ». Je notais l’intérêt desidées du psychologue Bernard Baarsprésentées dans son ouvrage de 1988,A cognitive theory of consciousness,tout en regrettant l’absence d’archi-tectures neurales qui me satisfassent.Ce fut le point de départ d’un premiermodèle d’espace de travailneuronal conscient parStanislas Dehaene, MichelKersberg et moi-même (1998).L’hypothèse fondamentale de cemodèle est que les neuronespyramidaux du cortex cérébralqui possèdent des axones longset sont susceptibles de relierentre eux de manière réci-proque des aires corticalesdistinctes et même leshémisphères cérébraux, consti-

tuent, en quelque sorte, un ensemblede « circuits neuronaux » de l’espacede travail conscient. Il est tout à faitremarquable que des tâches cognitivesqui donnent accès à la conscienceentraînent effectivement une activa-tion de ces circuits alors qu’ils sontinhibés lors de l’anesthésie générale,dans l’état végétatif ou le coma. Nousen sommes encore aux balbutiementsd’une neuroscience de la conscience,mais celle-ci est désormais bienengagée !

Les cours de ces dernières annéesm’ont permis d’aller bien au-delà etd’aborder des thèmes d’interfacessensibles entre sciences humaines etneuroscience. Parmi ceux qui me tien-nent beaucoup à cœur, je citerai l’es-thétique, l’éthique, l’épistémologie…dont la « naturalisation » est en coursmais prendra sans doute des années(voir le résumé du cours 2006). Lechamp qui s’ouvre avec la neuro-science est immense. Il aura été baliséau Collège de France par des colloquesmultidisciplinaires organisés chaquerentrée universitaire, et dont la respon-sabilité me fut confiée par notre admi-nistrateur Jacques Glowinski. Qu’ilsoit ici remercié pour cette initiative.Elle illustre la tradition de multidisci-plinarité et d’humanisme éclairé quifut aux origines de la fondation duCollège de France par François Ier etdont l’excellence contribua à sa répu-tation au fil des siècles. �

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1988 est la date de mon entréedans notre Maison. Quelquescentaines de mètres seulement laséparent des maisons voisines,Louis-le-Grand d’abord, lieu demes classes préparatoires, l’ENS-rue d’Ulm ensuite. Mais unRubicon de liberté est franchi auCollège de France, plus essentield’une certaine manière que laMéditerranée traversée après uneenfance et des études secondairesau Lycée Carnot de Tunis.

C’est pourtant à Tunis, micro-cosme multiculturel et polyglotte,qu’une vocation de linguiste s’estimposée à moi précocement. Le filétait renoué à Paris, remarquablecreuset linguistique. L’influencedes grands maîtres tels queE. Benveniste (auquel j’ai« succédé » au Collège deFrance), A. Martinet, L. Renou etM. Cohen devait orienter cettevocation sur la voie de l’étudethéorique et du maniement deslangues les plus diverses. Lesannées suivantes ont ainsi étéconsacrées à l’apprentissage, àl’École des Langues orientales, ouseul au cours de voyages, del’arabe, du hongrois, de l’hébreu,du russe, du hindi, du peul, dujaponais notamment. Après uneagrégation de Lettres classiques,

je deviens auditeur de linguistiquegénérale à la IVe section de l’ÉcolePratique des Hautes Études et auCollège de France. Je suis égale-ment l’enseignement de Jakobsonà Harvard et passe ma thèse deDoctorat d’État.

Il est vite apparu que l’étude deslangues et l’enseignement linguis-tique ne pouvaient se passer d’uneapproche des langues in situ,donc de missions à l’étranger. J’aiparcouru l’Afrique sub-saha-rienne, l’Extrême-Orient, lesréserves indiennes d’Amérique duNord, les îles de Micronésie, lemonde arabophone, maisl’Europe occidentale aussi, et,tout près de la place Marcelin-Berthelot, le Poitou et laCharente.

De toutes ces expériences, je retireune conscience aiguë de la diver-sité des faits linguistiques. Jem’attache à mettre en évidence lespropriétés communes des langues,et à lier les traits généraux et larecherche typologique. Ceci dansmes conférences, mes publicationset mes cours : à l’Université dePoitiers, à Paris XII-Val deMarne, à Paris IV, Paris III, àl’EPHE, enfin et surtout, auCollège de France. Dans mes

travaux les plus récents, je mesuis efforcé de construire unmodèle théorique à visée anthro-pologique rendant compte de larelation entre l’homme et lelangage.

Les cours dispensés au Collège deFrance, sous le titre de« Morphogenèse linguistique »,ont eu pour but, en étudiant lamanière dont les formes linguis-tiques sont fabriquées, renouve-lées, réanalysées en réponse auxbesoins humains toujours chan-geants, de mettre en lumière l’om-niprésence de l’homme dans leprocès de communication. Àtravers l’activité individuelle deparole, vite socialisée, l’hommelaisse son empreinte dans lesystème de la langue, dessinant uneévolution dont il est fondamentalde retrouver la trace dans les étatscontemporains. On décèle ainsi lafaçon dont les sociétés ont adaptéleurs langues aux milieux environ-nants et aux exigences de leur vie,remaniant sans cesse un instrumentqui, fait unique parmi les outilshumains, exerce en retour uneaction de façonnement sur ceuxqui l’ont forgé.

Les nombreux linguistes étrangersqu’il m’a été permis d’inviter à

CECI N’EST PAS UNE CLÔTURE...

Claude Hagège, titulairede la chaire de Théorielinguistique de 1988 à2006.

Le professeur Hagège a donné sadernière leçon en juin dernier.

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notre tribune sont pour moi lespartenaires d’un dialogue riche etfécond, sans cesse renouvelé. Ils ontapparemment passionné les audi-toires. Ainsi de l’Indien H. Gill, del’Australienne A. Wierzbicka, desAméricains P. Hopper, L. Hyman,S. Mufwene, et M. Mithun, del’Italien P. Ramat ou du BritanniqueB. Comrie. Sans parler des invitésd’autres spécialités intervenus àl’un ou l’autre de mes séminaires,comme le philosophe A. Jacob oule neuropsychiatre B. Cyrulnik.Tant il est vrai que le Collège deFrance omnia docet.

L’extrême liberté de fonctionne-ment de notre institution, autori-sant une collaboration soupleentre collègues, s’est manifestéeentre autres à l’occasion dessymposiums annuels auxquels j’aiparticipé, et parmi lesquels jeciterai « Gènes et culture » (dir.Jean-Pierre Changeux) en 2002 et« Les espaces de l’homme » (dir.Alain Berthoz et Roland Recht)en 2003 : ils ont été pour moisource de réflexion stimulantedans un cadre pluridisciplinaire.De même l’ont été de nombreuxautres colloques externes, commecelui qui fut consacré auxOrigines (dir. P. Brenot) à Biarritz

en 1999 où je me trouvais auxcôtés d’Yves Coppens. Unecommunauté de vue sur leconcept de « prévention » m’aconduit à cosigner récemment unarticle avec le Dr BernardJouanjean. On pourrait multiplierles exemples. Dans cet esprit,j’aurais appelé de mes vœux unéchange aussi fructueux avec mescollègues philosophes de notreinstitution.

L’excellence de ses équipes etlaboratoires est une caractéris-tique du Collège de France et, àcet égard, mon équipe restreintetient sa place. Mon assistanteAnne Szulmajster-Celnikier quis’y trouve rattachée depuis 1990contribue, ainsi que l’ont fait moninformaticien et mes trois ATERsuccessives, à l’activité perma-nente de ma chaire.

En contraste avec 1988, où lessalles au charme désuet ne suffi-saient pas à contenir une troupecompacte d’auditeurs et de parti-cipants actifs, travaillés par lesénigmes du langage et deslangues, c’est dans un vaste etsomptueux amphithéâtre, dédié àla sœur éclairée du Roi valoisnotre fondateur, que je continue,

depuis quelques années, d’attiserla curiosité de l’auditoire, luisuggérant, pour dissiper lesmystères, diverses voies qui,parfois, contribuent à les épaissir.

Ainsi va la recherche, ainsi va lapensée. Quelqu’un oserait-ilparler de clôture ?

Il n’est sans doute pas inutile derappeler que, prolongeant monenseignement au Collège deFrance, mon séminaire à l’ÉcolePratique des Hautes Études nepeut être interrompu que par desaccidents naturels, et demeureouvert à tous ceux et toutes cellesqui souhaitent entendre parler dulangage et des langues. �

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Antoine Compagnon

a donné sa leçon inaugurale le30 novembre 2006.Son cours intitulé « Proust, mémoire de lalittérature » a commencé le 5 décembre 2006.

Extrait de la leçon inaugurale :

« Prenant la parole en ces lieux, un trouble mesaisit, car je me rappelle comme si c’était hier lapremière fois que je franchis le portail de cettemaison – pour y rencontrer des géants. Je venaisd’intégrer une école voisine ; c’était aux environsde 1970 ; j’avais vingt ans : Paris était une fête del’esprit. La mère d’un ami m’avait conseillé depasser au Collège de France. J’étais venu, j’avaisconsulté l’affiche – aussi ébahi que le narrateur dela Recherche du temps perdu devant la colonneMorris annonçant la Berma dans Phèdre–, et unmatin, non sans appréhension, j’avais pénétrédans une salle de cours, là-haut, je ne sais plus oùcar tout a été bouleversé depuis. Je m’étais tenuau fond, et là, j’avais entendu un petit monsieurqui avait l’air d’un oiseau. Il expliquait, minu-tieusement et admirablement, un sonnet de DuBellay, comme je n’avais jamais entendu faire niimaginé qu’on pût faire. J’appris son nom :c’était, invité par Claude Lévi-Strauss, RomanJakobson que je venais d’écouter, immenselinguiste qui a traversé tout le XXe siècle, deMoscou à Prague, puis New York et Harvard.

À la différence du narrateur après Phèdre, cettepremière fois ne m’avait pas déçu. Suis-je jamaisrevenu de cette visite ? Ne devient-on pas profes-seur si l’on n’a pas su quitter l’école? Ayant trouvéle chemin du Collège, il m’a mené jusqu’ici. Alorsque je me préparais au métier d’ingénieur, j’as-sistai à d’autres cours dans ces murs, celui deMichel Foucault, l’année qu’il donna Surveilleret punir, celui de Roland Barthes, dont j’avaisentre-temps fréquenté le séminaire des Hautes

Études. Un camarade me rappelait tantôt quenous avions ensemble, au séminaire de ClaudeLévi-Strauss, entendu Julia Kristeva, qui devaitensuite diriger ma thèse. C’est ainsi que l’ensei-gnement du Collège de France a pu précipiter maconversion tardive des sciences aux lettres.

Guez de Balzac mettait en garde contre laconversion inverse : “ Quitter l’éloquence pourles mathématiques, disait-il en 1628, c’est êtredégoûté d’une maîtresse de dix-huit ans etdevenir amoureux d’une vieille. ” Vieille, lamathématique ? Balzac avait tort, mais la litté-rature est restée pour moi une “ maîtresse dedix-huit ans ”, et l’un de mes maîtres n’avaitpas non plus raison, qui me mettait en gardeau moment que je sautais le pas : “ Ne vaudrait-il pas mieux rester un ingénieur humaniste ? ”

Pardonnez-moi d’évoquer ces souvenirs anciens :ils expliquent le doute que je ressens devant vous.Vous n’imaginez pas tout ce qui manque à maformation de lettré, tout ce que je n’ai pas lu, toutce que je ne sais pas, puisque, dans la disciplineoù vous m’avez élu, je suis un quasi-autodidacte.J’enseigne pourtant les lettres depuis plus de trenteannées et j’en ai fait mon métier. Mais, comme jecontinuerai de le faire ici, j’ai toujours enseigné ceque je ne savais pas et pris prétexte des cours queje donnais pour lire ce que je n’avais pas encorelu, et apprendre enfin ce que j’ignorais.

Incertain si vous retiendriez mon projet dechaire, puis ma candidature, je me demandais :“ Ne verront-ils pas leur méprise ? ” Puis jeme reprenais en songeant qu’un professeur sûrde soi, qui saurait avant de chercher, ce seraitlui l’imposteur. Cependant me revenaient àl’esprit les noms qui ont illustré la littératurefrançaise moderne au Collège de France depuisun peu plus d’un demi-siècle, de Paul Valéry àRoland Barthes, de Jean Pommier à GeorgesBlin, puis ceux des professeurs éminents,présents aujourd’hui, qui ont bien voulusonger à m’appeler auprès d’eux, MarcFumaroli et Yves Bonnefoy, ainsi que lesmembres de l’Institut d’études littéraires quim’ont présenté à vous, Carlo Ossola et MichelZink, à qui va ma gratitude... » �

CHAIRE DE LITTÉRATURE FRANÇAISE, MODERNE ET

CONTEMPORAINE : HISTOIRE, CRITIQUE, THÉORIE

Professeur àl’Université de

Paris-Sorbonne,depuis 1994.

Membre del’Academia

Europaea

Membre du HautConseil de

l’éducation, 2006

La leçon inauguralesera disponible

prochainement auxéditions Fayard et enDVD (coproduction

Collège de France/CNED/Doriane)

LEÇON INAUGURALE

LA LETTRE - N° 1810

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Guy ORBANprofesseur de neurophysiologie à la Katholieke Universiteit Leuven (Belgique)titulaire de la Chaire européenne pour l’année académique 2006-2007Leçon inaugurale : 22 mars 2007Sujet du cours : Traitement visuel et perception de la forme et du mouvement

NOMINATIONS DE PROFESSEURS

Après des études de médecine et d’in-génieur civil (en mathématiques appli-quées), Guy Orban a passél’agrégation de l’enseignement supé-rieur en neurophysiologie. Mis à partun bref mais fructueux post-doc chezle professeur P.O. Bishop à Canberra(Australie), il a passé toute sa carrièrescientifique à Leuven, où il a fondé ungroupe de recherche sur la neuro-physiologie de la vision. Il est actuel-lement professeur ordinaire à lafaculté de médecine de la KU Leuvenet professeur invité à l’ENS (Paris). Ilest un des cinq directeurs du labora-toire de Neuro- et Psychophysiologie.Il a signé plus de 230 articles, parusdans les revues les plus en vue enneurosciences, dans la plupart des casen tant que premier ou dernier auteur.

Nourri dans les enregistrementsunitaires du cortex visuel primairemais surtout du cortex extrastrié desprimates, il a développé dans le labo-ratoire toute une série de techniquescomplémentaires de psychophysiquehumaine et animale, lésions, immu-nocytochimie, de-oxyglucose doublemarqué, modélisation, tomographie àémission de positons, potentielsévoqués et IRM fonctionnelle chezl’homme et le singe éveillé. Ce dernierdéveloppement (avec W. Vanduffel) luia permis d’établir pour la première foisdes liens directs entre les propriétésneuronales étudiées chez le singe etl’imagerie fonctionnelle humaine. Lesrésultats sur l’extraction de la formetri-dimensionnelle du mouvement réti-nien et l’analyse visuelle des mouve-ments d’autrui illustrentabondamment la puissance de latriade constituée par l’IRMf chezl’homme et singe éveillé, et les enre-

gistrements unitaires. Non seulementcette nouvelle combinaison permetd’élucider les homologies homme-singe et de comprendre les images etstratégies employées en IRMf, maiselles augmentent singulièrement l’effi-cacité des études unitaires, ce quipermet de réduire le nombre de sujetsexpérimentaux.

Avec P. Janssen et R. Vogels, il adécouvert le traitement de l’informa-tion stéréoscopique dans la voievisuelle ventrale et démontré l’exis-tence de neurones sélectifs à la cour-bure stéréoscopique. Il a égalementdécrit la structure des régions antago-nistes du champ récepteur de neuronesde MT/V5 et une série d’ invariancesdes neurones inféro-temporaux.

Avec K. Claeys et D. Lindsay, il adécouvert la région du cortex pariétalinférieur qui chez l’homme traite lemouvement visuel de haut niveau(basé sur l’attention). Cette découvertes’ajoute à une série de régions visuellesdécrites chez l’homme comme KO oules quatre régions pariétales traitant lemouvement visuel de basniveau. Il a égalementdémontré la dissociationentre les voies visuellesdorsales et ventrales du trai-tement quantitatif et quali-tatif des attributs visuelsdans le cerveau humain ainsique la dissociation entrediscrimination successive etmémoire de travail.

Il a démontré avec R. Vogelsque les effets d’apprentissagevisuel se limitent auxneurones corticaux les plus

informatifs pour la tâche. Ce principecomplémente les données antérieuresindiquant que les discriminationsétaient basées sur une population deneurones corticaux et non un petitnombre de neurones extrêmementsélectifs.

Finalement avec W. Vanduffel, il a étél’un des premiers à indiquer le rôle ducortex primaire, et du thalamus visuel,dans les phénomènes d’attention.L’attention spatiale a été l’un des sujetsde ses recherches en imagerie fonc-tionnelle chez l’homme, comme parexemple le coût du traitement parallèlede plusieurs stimuli visuels (avecR. Vandenberghe) ou la recherchevisuelle. �

Pr Alain Berthoz

La triade (enregistrements unitaires, IRMf chez le singeéveillé et chez l’homme) appliquée au problème de l’extrac-tion de la forme 3D du mouvement rétinien : les neuronesde l’aire MT/V5 sont sélectifs pour des gradients de vitesse

rétinienne qui correspondent à des surfaces orientées enprofondeur. MT/V5 du singe et de l’homme est activé

significativement dans un contraste (SPM) entre présenta-tion de stimuli dynamiques qui apparaissent tri-

dimensionnels et ceux qui apparaissent plats.

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Pascal DUSAPINCompositeurtitulaire de la Chaire de création artistique pour l’année académique 2006-2007Leçon inaugurale : 1er février 2007Sujet du cours : Composer. Musique, paradoxes, flux

Dans sa présentation de Pascal Dusapindevant l’Assemblée des professeurs, lePr Jean-Marie Lehn a cité le textesuivant, signé d’Antoine Gindt, quifigure en introduction du catalogue desœuvres de Pascal Dusapin (cf. la pagequi lui est consacrée sur le sitewww.college-de-france.fr)

« Si Pascal Dusapin s’affirme aujour-d’hui comme une des principales et desplus singulières personnalités de lamusique française, c’est sans doute grâceà la régularité et la richesse de son travail.Depuis la fin des années soixante-dix, ilse développe dans tous les domaines dela composition : instrument seul,musique de chambre, ensemble, chœur,orchestre, opéra. Il n’est pas une formequi n’ait été approchée. Mais, au delà detelle ou telle partition, c’est d’un style etd’une rare constance créative dont il fautparler.

Soucieux de la facture de ses œuvres,comme de leur rapport aux interprètes,Pascal Dusapin avoue une véritablepassion pour la matière instrumentaleou vocale. Depuis les pièces pour instru-ment seul – la série en comporte plusd’une quinzaine, reconnaissable par leurstitres débutant par « I » – jusqu’auxgrandes formes, on trouve ce même flux,cette même qualité plastique et sonore,cette même volonté d’embrasser les tech-niques et le vocabulaire les plus expres-sifs. Son écriture, très tôt émancipée del’influence de ses premiers maîtres (IannisXenakis et Franco Donatoni), nerenonce ainsi jamais à un certain lyrismeet au déploiement d’une énergie maîtriséequi conjugue rigueur de l’organisationformelle et liberté de l’invention.L’opposition entre des masses sonoresbrutes et des constructions fluides, recou-

rant à des systèmes harmoniques plusapaisés, est souvent caractéristique deson style. Les cinq quatuors à cordes,écrits de 1982 à 2004 offrent certaine-ment le plus bel aperçu des préoccupa-tions et de l’évolution stylistiques ducompositeur.

Autre champ d’affinité : les voix, solistesou chorales. Chez Pascal Dusapin ellestrouvent un terrain d’épanouissement,et associées à des références littéraires,philosophiques ou même picturales,témoignent de son désir de ne pasenfermer sa démarche et de la garder enéveil sur le monde. Ses deux oratorios

(Niobe et La Melancholia), composéssur des montages de textes anciens, sesquatre opéras qui font appel à desauteurs contemporains ou du XXe siècle(Olivier Cadiot, Heiner Müller, GertrudeStein, Aldo Palazzeschi), comme lespièces pour chœur a capella ou avecensemble rassemblées au sein du recueilRequiem(s), illustrent le souci d’unerecherche contemporaine, de l’aboutis-sement de l’expression qui ne renoncepas à l’histoire. L’originalité du choix deseffectifs et des architectures souligneencore une fois cette aptitude à déve-lopper un langage libre et foisonnant. »�

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Né à Nancy en 1955, il a effectué des études d’arts plastiques et de sciences, arts et esthé-tique à l’Université de Paris-Sorbonne et a suivi les séminaires de Iannis Xenakis de 1974à 1978.De 1981 à 1983, il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Il a entretenud’étroites collaborations artistiques avec le chorégraphe Dominique Bagouet, l’écrivainOlivier Cadiot et James Turrell.Auteur de plus de quatre-vingt partitions (instruments seuls, musique de chambre,ensemble et grand orchestre, chœur, opéra...), il a bénéficié de commandes des plus pres-tigieuses institutions dont l’Opéra National de Paris, le Staatsoper Berlin, le BerlinerPhilharmoniker, la Scala de Milan, l’Opéra Royal de La Monnaie, le Festival d’Aix-en-Provence, le Festival d’Automne de Paris.Les œuvres de Pascal Dusapin comprennent :• cinq opéras (Roméo & Juliette, Opéra de Montpellier, 1989, Medeamaterial, Opérade Bruxelles, 1992, To Be Sung, Théâtre Nanterre-Amandiers, 1994, Perelà, uomo difumo, Opéra National de Paris-Bastille, 2003, Faustus, the Last Night, StaatsoperBerlin, 2006)• deux oratorios (Niobe, 1982, La Melancholia, 1991)• cinq solos pour orchestre (Go, 1992, Extenso, 1993-94, Apex, 1995, Clam, 1997-98, Exeo, 2002)• un recueil pour chœur (Requiem(s) – Granum Sinapis, Umbrae Mortis, Dona Eis –créé et enregistré par le Chœur Accentus dirigé par Laurence Equilbey, 1992-98)• cinq quatuors à cordes (1983, 1990, 1993, 1997, 2004)• sept études pour piano (1997-2001, intégrale du cycle créé par Ian Pace, 2002,Festival d’Automne à Paris)• des concertos (dont Watt pour trombone, 1994, Celo pour violoncelle, 1996, Galimpour flûte, 1998, A Quia pour piano, 2002)• des œuvres de musique soliste et de musique de chambre.

NOMINATIONS DE PROFESSEURS

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ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN

ACTUALITÉ DES CHAIRES

Pr Édouard Bard

Quand la Manche était un fleuve...

Cette étude est parue dans la revue améri-caine Science du 15 septembre 2006.

Il y a environ vingt millénaires, pendantle dernier maximum glaciaire, la Terretraversait une période froide particulière-ment rigoureuse. L’Europe du Nord étaitrecouverte par une véritable montagne deglace, appelée la calotte fennoscandienne.Le niveau marin était très bas (environ130 m sous le niveau actuel), la France etl’Angleterre n’étaient donc plus séparéespar la mer, mais par un gigantesque fleuve(le fleuve Manche). Le plus grand systèmefluvial jamais développé en Europe étaitalimenté à la fois par les eaux de fonte desglaciers de montagne (les Alpes, notam-ment) et par celles des calottes fennoscan-dienne et anglo-irlandaise. Son bassin dedrainage s’étendait très à l’Est sur le conti-nent européen, collectant les eaux de laSeine, de la Tamise, du Rhin, de l’Elbe, dela Meuse, de la Somme, de la Weser etd’autres fleuves plus petits.

Hormis quelques structures géomorpho-logiques sous-marines non datées, iln’existait jusqu’à présent aucun enregis-trement de l’activité passée du fleuveManche. À partir de nombreux indica-teurs géochimiques mesurés dans les sédi-ments marins prélevés dans le Golfe deGascogne par le navire océanographiquefrançais Marion Dufresne, une équiped’Aix-en-Provence (CEREGE et Collègede France), en collaboration avec uneéquipe hollandaise vient d’établir lapremière chronologie de l’activité duFleuve Manche pendant les 40 derniersmillénaires. L’originalité de l’approchetient en particulier à l’utilisation d’unnouvel indicateur paléoclimatique pourreconstituer l’activité des fleuves. Cet indi-cateur est fondé sur l’analyse de certainesmolécules caractéristiques des milieuxd’eau douce. L’équipe d’Aix-en-Provenceest d’ailleurs la seule en France à utilisercette technique novatrice inventée auxPays-Bas.

L’enregistrement obtenu témoigne de laréactivation rapide du cycle hydrologiquesur le continent européen au début de ladernière déglaciation. La phase fluviale,débutée il y a 20 000 ans, a entraîné unimportant flux d’eau douce dans le golfede Gascogne, ce qui a certainement eu unimpact sur la circulation de l’AtlantiqueNord, en surface comme en profondeur.Cette intense phase fluviale s’est terminéetrès brutalement, il y a 17 000 ans, lorsd’un événement froid causé par la débâclepartielle d’une autre calotte de glace quirecouvrait une grande partie du continentnord-américain (la Laurentide).

Les études paléoclimatiques basées sur lessédiments marins au large des embou-chures de fleuves sont essentielles car ellespermettent de reconstituer les variationshydrologiques à l’échelle de continents. Unfleuve intègre en effet les variations desprécipitations et des fontes de glace surl’ensemble de son bassin versant (dans lecas du Fleuve Manche à l’échelle de toutel’Europe).

L’étude de ce paléo-fleuve et de son impactsur le climat régional n’est pas seulementd’un intérêt académique. En effet, il estcrucial de mieux comprendre les relationsentre le cycle de l’eau et le climat. Pour leprochain siècle, les modèles numériquesprévoient une augmentation de la pluvio-sité (rapport du GIEC, 2001) et des fluxd’eau douce à l’océan, incluant la fonte dela calotte groenlandaise. Certaines zonesde l’Atlantique Nord sont très sensibles àces apports, ce qui pourrait ralentir, voirefaire basculer, la circulation océaniqueprofonde et aurait des incidences catas-trophiques sur le climat. Même si les incer-titudes restent nombreuses, le risque d’unedéstabilisation de l’océan à l’échéance dela fin du siècle (ou du prochain) doit êtrepris au sérieux. �

Contact chercheurs :- Guillemette MENOT,Maître de Conférence àl’Université Aix-Marseille III([email protected])- Pr Édouard BARD([email protected])Laboratoire :CEREGE et Collège deFrance, UMR6635 CNRSUniversité Aix-Marseille III,Europole de l’Arbois13545 Aix-en-Provencehttp://www.cerege.fr/tracorga/

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HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE

ET DE L’EMPIRE D’ALEXANDRE

Lancement du musée achéménide virtuel et interactif

Dès 1999, l’un des axes de recherche dela chaire nouvellement créée était decontribuer à la mise au point d’uneplate-forme Internet, qui permettrait àla fois d’offrir un carrefour de commu-nications et d’échanges entre des spécia-listes répartis dans de nombreux pays,et de créer un lieu de rassemblement dela documentation existante et d’annoncedes outils nouvellement mis à disposi-tion. C’est ainsi que, dans l’été 2000, estné www.achemenet.com, qui, refonduau printemps 2005, vient de fêter ses sixans d’existence et qui est considéré dansle monde entier comme le site de réfé-rence dans les études achéménides.

Une branche du projet n’avait pas puêtre alors développée, pour des raisonstechniques. Il s’agissait de rassembler etde rendre accessibles les dizaines demilliers d’objets achéménides, origi-naires d’entre Indus et Méditerranéesous la domination des Grands rois(v. 550-v.330), alors répartis entre desdizaines de musées dans le monde. Lespremiers contacts et premières réflexionsqui se déroulèrent alors (fin 2001) entrePierre Briant et José Paumard (Maîtrede conférences de Génie informatique àParis-XIII) prouvèrent qu’il fallait pourcela mettre au point un site spécifique,avec des techniques encore débutantes,organisé à travers un programme infor-matique qu’il fallait écrire, et articulé surune immense base de données interroge-able en ligne. Le projet scientifique ayantalors été précisé et validé, José Paumarda depuis lors investi tout son temps derecherche à la mise au point deprogrammes spécifiques et de l’architec-ture informatique du futur « muséeachéménide virtuel et interactif »(MAVI). Pour mener à bien l’entreprise,nous nous sommes adjoint PhilippeBertin, consultant, constructeur de sites-web et graphiste. De son côté PierreBriant, qui est épaulé par un Comité depilotage international, s’est chargé des

négociations avec les plus grands muséesdu monde, les plus riches aussi en objetsachéménides ; qu’il s’agisse du BritishMuseum, du Louvre, de la BnF, ouencore de musées américains, hollandais,allemands, suisses et iraniens, nousavons reçu partout un accueil enthou-siaste. Nous avons pu ainsi, au fil desannées, réunir près de 8000 objets, etune dizaine de milliers d’images de trèshaute résolution, aujourd’hui disposéessur un serveur dédié. Dans le mêmetemps, grâce aux données transmises parles musées, mais grâce aussi au travailde Marie-Françoise Clergeau, de SalimaLarabi, et de vacataires, chaque objet aété accompagné d’une fiche descriptiveextrêmement détaillée et scientifique-ment signée. Grâce à des innovationstechniques très pointues, l’internautepeut visiter une collection, mais aussicréer sa propre archive personnelle (quisera conservée d’une session à l’autre),effectuer des recherches (grâce à unmoteur performant : système Sinequa®),avoir accès à l’aide en ligne (sous formede séquences animées). Le grand publicn’a pas été oublié : d’une part la navi-gation a été facilitée, par ailleurs, écritepar P. Briant et réalisée par Ph. Bertin,une introduction à l’espace-temps aché-ménide a également été mise en lignesous forme de séquences d’animation(système Warmseason®), et des systèmesde visualisation ont été spécialement misau point.

Fondamentalement, le programmepermet de réaliser une tâche de première

Pr Pierre Briant

Chariot de l’Oxus © British MuseumEmpreinte de sceau-cylindre © BadischesLandesmuseum Karlsruhe

LA LETTRE - N° 1814

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importance pour le présent et pourl’avenir. En effet, l’enregistrement, l’ar-chivage et la consultation d’un patri-moine culturel sont aujourd’hui et pourdemain des enjeux décisifs du dévelop-pement de la vie culturelle et scienti-fique. Le début du XXIe siècle représenteun moment particulier où les conditionspermettent d’envisager des solutionstechniques à des problèmes auxquelsl’existence des seuls musées « réels » nepeut répondre : sauvegarder et rendreaccessible ce patrimoine. Aujourd’hui lesprogrès joints de la numérisation, desbases de données et des transferts viaInternet rendent possible ce qui ne l’étaitpas hier.

Il est donc de la responsabilité des cher-cheurs et des institutions de recherchesde faire aujourd’hui ce travail de rassem-blement, d’archivage et de mise à dispo-sition de ces immenses archivesartistiques, archéologiques et culturelles– encore dispersées entre des centainesde lieux et de publications, musées etréserves, catalogues, rapports de fouilles,articles et ouvrages – en impulsant unvaste projet international, où collabo-rent non seulement les spécialistes duchamp considéré (historiens, archéolo-gues, conservateurs de musées), maisaussi les spécialistes venus des sciences

humaines et sociales, et des secteurs dessciences et techniques. Telle est la philo-sophie d’un projet maintenant réalisépartiellement, qui a été et qui sera àl’origine de nombreuses innovationstechniques et qui a vocation à essaimerdans d’autres champs de la recherchescientifique.

Même si nous savons qu’il reste beau-coup à faire, les réactions de la pressequotidienne et hebdomadaire, en Franceet en Europe (septembre-octobre 2006),ont montré que les choix que nous avonsfaits sont pertinents. Dans le mêmetemps, beaucoup de musées dans lemonde se sont déclarés prêts à colla-borer à cette aventure. Bref, lancé enseptembre 2006 après cinq ans d’effort,le MAVI reste un projet d’avenir enconstant développement. �

Anse de vase © Louvre

http://www.museum-achemenet.college-de-france.fr

Monnaie de Cilicie © Bibliothèque Nationale

Brochure en téléchargement au format PDF à l’adresse suivante :http://www.museum-achemenet.college-de-france.fr/doc/plaquette-MAVI-FR.pdf

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16 LA LETTRE - N° 18

HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ

Retour des parchemins coptes au Collège de France

L’Institut d’histoire des christianismesorientaux possède un lot de quelquesdizaines de parchemins coptes qui vien-nent de retrouver leur place au Collège deFrance (12 juillet 2006), par l’entremisediligente de Mme Anne Boud’hors(CNRS, IRHT/Collège de France) et deM. Guy Lecuyot (UMR 8546 CNRS-ENS). Ces manuscrits avaient été donnésen 1978 à l’ex-bibliothèque d’histoire desreligions, aujourd’hui Institut d’histoiredes christianismes orientaux, par Mme deLa Rochefoucauld, qui les tenait de safamille égyptienne. Le professeur AntoineGuillaumont, alors titulaire de la chaire« Christianisme et gnose » et responsablede la bibliothèque, confia aussitôt cesmanuscrits, pour étude, à M. MichelPezin, coptisant (décédé le 27 mai 2005dans la Creuse).

En fin connaisseur de la littérature copte,M. Pezin mit de l’ordre dans tous ces frag-ments, identifiant les différents textes desdeux principaux cahiers de parchemin.Après avoir donné les résultats de ce clas-sement dans « Les manuscrits coptesinédits du Collège de France » (Écritureset traditions dans la littérature copte,Louvain 1983), il publia l’un d’entre euxdans « Un texte copte de la prière attri-buée à Chenouti » (Mélanges AntoineGuillaumont, Genève 1988). Comme il lesoulignait dans son article de présentation,ces documents relèvent presque tous de lalittérature magique, ou médico-magique(recettes pour soigner diverses affections,accompagnées de prières, d’invocations etparfois de dessins). Ce sont en quelquesorte les restes de deux petits manuels. Ilest d’ailleurs possible, si on en juge par lescolophons, que les deux cahiers soient dela même main.

La provenance de ces fragments estinconnue. Toutefois, quelques indicespermettent de se faire une idée de leurorigine. Ils sont rédigés dans le dialectecopte appelé sahidique, qui fut la languede toute la vallée du Nil du IVe au Xe siècleenviron, avant de décliner peu à peu, son

usage se conservant en Haute Égyptejusque vers le XVe siècle. Leur écriture estune petite onciale penchée, caractéristiqueà la fois de ce genre de documents, de cetterégion et d’une période postérieure au XIe

siècle. Enfin ces parchemins sont despalimpsestes : des feuillets plus anciens ontété pliés en deux pour être réutilisés etdans les textes sous-jacents, encore assezbien visibles à certains endroits, on recon-naît des écritures qui ressemblent à cellesdes manuscrits du monastère de l’abbéChenouté (celui-là même à qui est attri-buée la prière publiée par M. Pezin), dontles manuscrits furent longtemps àl’abandon avant d’être découverts parGaston Maspero à la fin du XIXe siècle.Quant à la date de fabrication de ces deuxcahiers, elle doit se situer entre le XIIe et leXIVe siècles.

Assez grossiers d’apparence, ces fragmentssont d’un grand intérêt, car ils témoignentde la vivacité de la tradition médico-magique en copte sahidique, à une époqueoù l’on ne copie plus guère de manuscritsdans ce dialecte, sinon quelques outilsgrammaticaux. L’emploi des Psaumes enthérapie, notamment, s’il est bien connupar la tradition arabe, n’était pas encoreattesté en copte. Quelques opérations derestauration et de conservation devraientpermettre l’étude de ces documents, àpartir des nombreuses notes laissées parM. Pezin. �

Anne Boud’hors & Michel Tardieu

Pr Michel Tardieu

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PROFESSEURS INVITÉS

Les tumulus néolithiques deGrande-Bretagne et d’Irlandeprésentent une diversité de formesdont plusieurs se retrouvent égale-ment sur le continent européen. Cestypes de monuments peuvent être letémoignage de connexions mari-times et de réseaux d’échangesreliant la Grande-Bretagne au conti-nent pendant le Néolithique. Leslongs tumulus se trouvent dans lapartie est de la Grande-Bretagne,mais sont aussi connus dans le nordde la France et sur la plaine septen-trionale de l’Europe. Les longstumulus britanniques recouvraientles restes (préalablement brûlés) demaisons mortuaires construites enbois. Si la forme du long tumulusrappelle les longues maisons duNéolithique ancien de l’Europecentrale, les maisons mortuairessont plutôt d’origine insulaire et leuremploi de gros troncs d’arbres faitappel à un symbolisme de la forêt.Dans le sud-ouest de la Grande-Bretagne, les longs tumulus nerecouvrent pas des maisonsmortuaires en bois mais renfermentdes structures mégalithiques dontles plus spectaculaires ont uncouloir qui amène à une chambrecruciforme. Ces tumulus possèdentsouvent une structuration internequi laisse penser que le long tumulusa pu être le résultat de plusieursphases d’agrandissements et demodifications.

Dans l’ouest de la Grande-Bretagne,ainsi qu’en Irlande, d’autres catégo-ries de monuments funéraires telsque les tombes à portail et lestombes à couloir sont le témoignage

d’un réseau de connexions autourde la mer d’Irlande. Les tombes àcouloir du Pays de Galles sont égale-ment à mettre en rapport avec laforte concentration de gravures surles monuments de la Vallée de laBoyne en Irlande. Ici les monumentsfabuleux de Knowth et Newgrangeprésentent chacun des centaines dedalles mégalithiques décorées. Lesgravures et les tombes à couloir seretrouvent aussi en association dansles Orcades, petit archipel au nordde l’Écosse. Les connexions entre lenord-est de l’Irlande et le sud-ouestde l’Écosse sont rendues manifestespar les échanges de haches polies(porcellanite de Tievebulliagh et deRathlin Island d’un côté, tuff deGreat Langdale de l’autre), et il fautenvisager aussi des voyages mari-times vers le nord, le long de la côteouest de l’Écosse.

Ces deux réseaux de connexionssemblent en partie s’opposer, lessociétés néolithiques de l’Est et duSud-Est se tournant plutôt vers lesPays-Bas et le nord de la France, parles traversées de la mer du Nord etde la Manche, tandis que les sociétésde l’Ouest se sont centrées autourde la mer d’Irlande et la façadeatlantique de l’Europe. Il faut cepen-dant reconnaître que cette interpré-tation est trop simpliste, dans lamesure où chaque région a déve-loppé des formes de monumentsparticulières. On doit aussi cons-tater que la circulation de matièresprimaires confirme des connexionsà travers l’est de la Manche, le sudde la mer du Nord, et autour de lamer d’Irlande, mais les connexions à

plus longue distance sur la façadeatlantique sont moins faciles à docu-menter malgré quelques parallèlespossibles entre les céramiques armo-ricaines de type Castellic et cellesdes premières communautés néoli-thiques du sud-ouest de l’Écosse.Les tombes à couloir de l’ouest etdu nord de la Grande-Bretagne etd’Irlande sont aussi à mettre enrapport avec celles d’autres régionsde l’Europe telles que le Danemark,le nord de la France et la péninsuleibérique.

Il paraît alors que les traditionsmonumentales qui ont commencéau Néolithique témoignent deconnexions maritimes avec le conti-nent européen. Il est tout à faitpossible que le Néolithique lui-même ait été introduit dans ces îlespar des colons cultivateurs, et queces gens aient amené des traditionsmonumentales qui étaient déjàétablies dans le nord de la France.Cependant, les formes des monu-ments britanniques ne sont pas iden-tiques à celles des monuments quise retrouvent en France. Il a dû yavoir une traduction et une modifi-cation du concept du monumenta-lisme parmi les sociétés néolithiquesbritanniques et irlandaises. Maisl’air de famille que partagent cesmonuments avec ceux du continentmontre que ces îles faisaient partied’un courant de néolithisation et demonumentalisme ouest-européenplus général, et on aurait tort de lesconsidérer comme le produit pure-ment indigène d’un monde à part. �

Chris SCARRE

Professeur à l’Université de Durhaminvité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr Jean Guilaine

Il a donné le 23 février 2006 une conférence intitulée :« Mégalithes des Îles britanniques et d’Irlande : dolmens et monumentsfunéraires ».

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1. Sur l’acclimatation : Boudin et la géographie médicalePour comprendre les études de géographie médicale effectuéespar Boudin, nous analysons les différences qui le séparent desthéories de l’acclimatation défendues à la même période parGeoffroy Saint-Hilaire. Ils représentent chacun une position para-digmatique relativement au problème de l’acclimatation. Pouréclairer la différence entre les deux modèles, nous analysons leconcept de climat hérité de Humboldt qui leur sert de point dedépart, et la manière dont ils pensent la variabilité ou la flexibi-lité des organismes pour s’adapter aux exigences climatiques.Cela conduit à étudier la façon dont Boudin a pensé l’acclima-tation des hommes, des races, et le problème de la colonisation.2. La crise des thèses du « pessimisme climatique » : le palu-disme et la question du climatDe 1857, où Boudin écrit son Traité de géographie médicale, à1908, où Laveran crée l’Institut de pathologie exotique, appa-raissent différentes conceptions des maladies des climats chauds.Nous étudions la persistance de théories qui, soucieuses dedéfinir les limites de l’acclimatation et l’impossibilité du cosmo-politisme, ont défendu un certain pessimisme ou déterminismeclimatique qui a souvent constitué un obstacle pour la compré-hension de maladies telles que le paludisme.3. Repères épistémologiques de la médecine tropicalePour comprendre la nouveauté théorique et épistémolo-

gique que représente l’émergence de la médecine tropicale,nous analysons deux modèles de recherche illustrés par lesInstituts Pasteur Outre-mer et la London School of TropicalMedicine. Nous étudions les arguments et concepts utilisés; les protocoles de recherche, leurs différences et leurs pointscommuns, et nous nous demandons si l’on peut parler denouveauté épistémologique de la médecine tropicale parrapport à la médecine héritée de Pasteur et à la traditionmédicale relative aux maladies des climats torrides.4. Rôle des naturalistes et des microbiologistes dans l’émergencede la médecine tropicale, au Brésil et en ArgentineNous analysons la manière dont les chercheurs argentins etbrésiliens de la fin du XIXe et du début du XXe siècles ont cons-truit leurs programmes de recherche sur les maladies tropicales.Même si l’hygiène brésilienne et argentine a été l’héritière directedes programmes et principes pasteuriens, le Brésil a abordé sesproblèmes sanitaires avec un nouveau programme de recherchequi intégrait la bactériologie, la parasitologie et l’intérêt pour lesvecteurs. L’Argentine, pour sa part, n’a pas pris en compte lesproblèmes spécifiques présentés par les maladies tropicales, eta continué à ramener ses problèmes sanitaires à ceux quipouvaient être compris à partir du paradigme intégrant lesétudes microbiologiques et les stratégies aéristes propres à l’hy-giène classique.�

Sandra CAPONI

Professeur à l’Université Santa Catarina (Brésil)invitée par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr A. Fagot-Largeault.

Elle a donné quatre cours les 1er, 7, 15 et 22 juin 2006.

Solomon FEFERMAN

Professeur honoraire de Mathématiques et philosophie à l’Université deStanford (États-Unis)invité par l’Assemblée des professeurs à l'initiative des Prs Fagot-Largeault etBouveresse.

Il a donné le 11 mai 2006 une conférence intitulée :« Le théorème de Gödel, l’esprit et la machine ».

Cette conférence a proposé une analyse critique de lapremière partie de la conférence Gibbs donnée par Gödelen 1951 concernant certaines conséquences philosophiquesde son second théorème d’incomplétude, selon lequel aucunsystème formel suffisamment fort ne peut établir sa propreconsistance. Dans la conférence Gibbs, l’argumentation deGödel s’appuie sur une distinction entre mathématiquesobjectives et mathématiques subjectives, les premières étantconstituées des vérités mathématiques au sens absolu, tandisque les secondes consistent en l’ensemble des vérités humai-nement démontrables. La question est de savoir si les deuxcoïncident. Selon Gödel, si tel est le cas, aucun système axio-

matique formel (ou machine de Turing) ne peut englober lepotentiel mathématique de la pensée humaine. Si ce n’estpas le cas, il existe des problèmes mathématiques absolu-ment insolubles qui se présentent sous une forme mathé-matique très simple. Je soutiens que les rouages de l’esprithumain, même quand il fait des mathématiques, ne sont pasassez précis pour autoriser cette conclusion. De plus, il estplausible que la machine de Turing ne soit pas un modèleadéquat de l’esprit et qu’il y ait néanmoins des problèmesinsolubles. (Conférence publiée dans PhilosophiaMathematica, vol 14 (2006) pp. 134-152, « Are there abso-lutely unsolvable problems ? Gödel’s dichotomy »). �

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ACTUALITÉ LITTÉRAIRE

Vers une science de la vie mentaleStanislas DehaeneColl. Leçons inaugurales du Collège de FranceParis, Collège de France/Fayard, 2006.

La cognition humaine obéit à de strictes lois, quin’épargnent pas même les aspects les plus subjec-tifs de notre perception consciente. Je croisprofondément à un renouveau du programmepsychophysique de Fechner, Wundt, Ribot ouPiéron, qui, devenu « neuro-physique », viendraits’ancrer au niveau neuronal. Nous avons l’im-mense chance de vivre un temps où les avancées

conjointes de la psychologie et de la neuro-imagerie cognitives laissent entrevoir de rendreenfin visible, comme à crâne ouvert, l’invisiblede la pensée.

Né en 1965, Stanislas Dehaene s’est formé aux mathé-matiques avant de se tourner vers la psychologie cogni-tive. Il dirige l’unité de recherche « neuro-imageriecognitive » (INSERM-CEA) qui étudie les bases céré-brales d’opérations cognitives fondamentales (lecture,calcul, acquisition du langage, prise de conscience). Il estdepuis 2006 professeur titulaire de la chaire dePsychologie cognitive expérimentaleau Collège de France.

Raison et raisonsJon ElsterColl. Leçons inaugurales du Collège de FranceParis, Collège de France/Fayard, 2006.

Pour les moralistes classiques, la raison, opposéeaux passions ou à l’intérêt particulier, est une idéenormative, censée nous guider dans l’espacepublic ; l’inculquer est la tâche du précepteur duprince. Pour les économistes modernes, la rationa-lité est une idée explicative, censée rendre comptede l’action en la ramenant aux raisons de l’agent :à ses motivations et à ses croyances ; sa poursuite

est la tâche du conseiller du prince. L’empire de laraison serait faible si elle n’était pas soutenue parla rationalité, mais aussi par l’amour-propre.

Né en 1940 à Oslo, Jon Elster a enseigné la philoso-phie, la sociologie et les sciences politiques en France,en Norvège et aux États-Unis. Il est notamment l’au-teur de Leibniz et la formation de l’esprit capitaliste(1975), Le laboureur et ses enfants (1987), Karl Marx: une interprétation analytique (1989) et Psychologiepolitique (1990). Il est depuis 2006 professeur titu-laire de la chaire de Rationalité et sciences sociales auCollège de France.

Croyance, raison et déraisonColloque annuel du Collège de France2005sous la direction de Gérard FussmanParis, Éditions Odile Jacob, 2006.

Le heurt entre croyances anciennes, décou-vertes scientifiques et pratiques rationnelles estsouvent une guerre dont les victimes se comp-tent par milliers ou millions : malades malsoignés ou atteints par des épidémies qu’onlaisse se développer, populations assoiffées ousous-alimentées, victimes annoncées du

réchauffement climatique. Qu’en est-il de ceconflit ? Les bases cognitives de la religion et dela croyance, voire du fanatisme, les grandespeurs et le mysticisme, les mécanismes desruptures épistémologiques en science, et ausside grandes questions historiques ou contem-poraines comme les bûchers au Moyen Âge,l’affaire Lyssenko, le « créationnisme scienti-fique » aux États-Unis ou l’attitude de l’islamà l’égard des sciences : voici les rapports de l’ir-rationnel et du rationnel explorés dans touteleur complexité par les meilleurs spécialistesfrançais et internationaux.

Religion et société en GauleChristian GoudineauOuvrage édité par le Pôle archéologiquedu département du RhôneParis, Éditions Errance, 2006.

Grâce aux découvertes archéologiques desdeux ou trois dernières décennies, notre visionde la religion celtique s’est totalement trans-

formée. Des monuments ont été mis au jour,des rituels se sont révélés, des milliers d’objetsont été recueillis. Loin de se réduire à descultes naturistes et à des sacrifices sanglants,cette religion – comme toutes celles de l’anti-quité païenne se fonde sur des observationssavantes et inspire les conduites sociales. Cetouvrage offre un vaste panorama des décou-vertes et des interprétations.

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L’Économie de marchéRoger GuesnerieParis, Col. Poche, Éditions Le Pommier,2006.

Le marché est plus que jamais une réalitéincontournable, qui pèse sur notre organisationsociale et sur notre vie quotidienne. Est-ce à direque le marché, à lui seul, fournit les clés del’avenir ? Pour répondre à cette question qui, leplus souvent, suscite des réactions aussi partiellesque partiales, Roger Guesnerie tient la gageure dedresser un panorama objectif et éclairant deséconomies de marché. Son regard se porte surleur construction au fil de l’histoire, sur les débatsintellectuels et les polémiques politiques que leurfonctionnement a suscités. Il examine ensuitequelques-uns des défis auxquels les économies demarché sont confrontées au XXIe siècle. Ainsiregard rétrospectif et regard prospectif se complè-tent-ils pour servir le débat public.

Spécialiste de l’économie publique et de la théorieéconomique formalisée, Roger Guesnerie est direc-teur d’études à l’École des hautes études en sciencessociales (EHESS) depuis 1978 et professeur auCollège de France depuis 2000. Auteur de plusieursouvrages théoriques et de nombreux articles dansles revues économiques spécialisées, il est aussi l’au-teur d’un ouvrage plus grand public, L’effet de serreva-t-il nous mettre sur la paille ? paru en 2003 auxÉditions du Pommier.

Cet ouvrage est paru, dans une première version, en1996, dans la collection « Dominos » deFlammarion. Cette nouvelle version, actualisée, estaugmentée d’une troisième partie qui commente lesgrands problèmes contemporains des économies demarché : la mondialisation, le développementdurable et le rôle de l’État.

Phénoménologie et physiologie del’actionAlain Berthoz et Jean-Luc PetitParis, Éditions Odile Jacob, 2006.

Par ses livres Le Sens du mouvement et LaDécision, Alain Berthoz a largement renou-velé notre conception de la physiologie de laperception et de l’action.Il confronte ici ses idées avec celles d’un grandphilosophe du XXe siècle, Edmund Husserl,

dont Jean-Luc Petit, l’un de nos meilleursphénoménologues, est spécialiste. Ses expé-riences et ses analyses du mouvement, de laposture, de la décision, de la perception nousfont comprendre l’importance et la pertinencedes approches qui sont celles de Husserl. Lapensée n’est pas avant l’action ni l’action avantla pensée. Pour Alain Berthoz et EdmundHusserl, l’action contient toute la pensée.

L’empirisme logique à la limiteSchlick, le langage et l’expériencesous la direction de Jacques Bouveresse,Delphine Chapuis-Schmitz et Jean-JacquesRosatParis, CNRS Édition, 2006.

Selon le structuralisme logique, le langagedécrit la forme de notre expérience, mais lecontenu de celle-ci reste inexprimable. DansForme et contenu (1932), Moritz Schlick,fondateur et figure centrale du cercle deVienne, a défendu une version extrême de cetteidée : niant que les intuitions entrent dans laconnaissance, il ne rejette pas seulement lekantisme, mais met en péril les bases de sonpropre empirisme. Ce texte radical offre enoutre un point de vue à partir duquel certainsdes débats fondamentaux de la philosophie dulangage et de l’esprit du XXe siècle peuventêtre reconsidérés d’un œil neuf.

Nous avons ainsi voulu explorer les différentsaspects du problème de l’articulation dulangage et de l’expérience tel qu’il est posé parSchlick, afin de préciser l’éventail des solutionsdisponibles.

Le présent livre, issu d’un colloque organiséen mars 2004 au Collège de France, est lepremier ouvrage consacré à Schlick dans notrelangue. II examine les rapports entre la penséede Schlick et la tradition kantienne (Kant, lenéo-kantisme et le « kantisme analytique » deSellars) ; puis, il la confronte à l’empirismeclassique et à une autre variante de l’empi-risme logique (Carnap) ; enfin, il s’interrogesur la thèse de l’inexprimabilité du contenu,au travers notamment d’une confrontationavec les idées de Wittgenstein (avec qui Schlicka longtemps entretenu un dialogue privilégié).

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Les guerres de Karl KrausRevue Agone n° 35/36Marseille, Éditions Agone, 2006.

« Karl Kraus est le seul Autrichien de ce siècleà avoir gagné deux guerres mondiales »(Hans Weigel). Il a moralement gagné lapremière notamment en publiant, avec LesDerniers Jours de l’humanité, un des réquisi-toires les plus impitoyables qui aient jamaisété conçus contre elle et contre la guerre engénéral. Et il n’y a rien d’artificiel ou d’exa-géré dans le fait de suggérer qu’il a gagnéégalement de façon anticipée la deuxième, enécrivant, en 1933, avec la Troisième nuit deWalpurgis, un des textes les plus perspicaceset les plus puissants qui aient été produits surune catastrophe dont il n’a pourtant vécu queles débuts, puisqu’il est mort en 1936, avantd’avoir connu le pire.

Suivant la parution simultanée, à l’hiver2005, de la traduction de ces deux ouvragesen français, ce numéro est consacré à certainsaspects des nombreuses guerres que Kraus amenées non seulement contre la guerre, mais

également contre le mensonge, la corruption,l’inhumanité et la barbarie sous toutes leursformes.

Ce numéro est issu d’un colloque organisé auCollège de France, le 29 mars 2005, sous la direc-tion de Jacques Bouveresse et Gerald Stieg, etdédié à la mémoire d’un autre intellectuel autri-chien, disparu récemment, qui a mené, lui aussi,toute sa vie un combat infatigable pour la cause dela liberté et de la justice : Felix Kreissler (1917-2004), résistant, déporté à Buchenwald, profes-seur émérite à l’université de Rouen et créateur dela revue Austriaca. Cahiers universitaires d’infor-mation sur l’Autriche.

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N° 18 - LA LETTRE 21

Jacques-Arsène d’Arsonval : un médecinlimousin à ParisPierre VayrePréface de Pierre CorvolAvant-propos de Michel ZinkParis, Éditions Glyphe, 2006.

Personnage olympien, le docteur Jacques-Arsène d’Arsonval est un savant à visagehumain, issu d’une famille médicale enLimousin. Par soif de savoir, doté d’unevolonté pugnace, il fait partie des rares cher-cheurs qui trouvent.

Il acquiert rapidement une renommée enrapport avec ses prestigieuses découvertesconcernant les ondes électriques de hautefréquence, mais aussi l’hormonothérapie etles activités nouvelles de la radiologie, l’acti-nologie et l’hydrologie. Ses travaux ont desinterférences innombrables, sources deprogrès social : transfert d’énergie électrique,lyophilisation, grand froid, bouteille« thermos », téléphone...

Son lumineux humanisme fait éclore etprospérer « le groupe des études limousines »participant aux transformations de la société

du XXe siècle. Professeur titulaire de la chairede médecine au Collège de France, il estmembre de l’Institut, de l’Académie de méde-cine et de l’Académie de chirurgie.

Le scientifique, l’honnête homme, leLimousin, chauvin comme il se doit, touspeuvent assouvir leur curiosité en décou-vrant, grâce à une riche documentation, ledocteur Jacques-Arsène d’Arsonval, touche-à-tout de génie, qui « avait l’encyclopédiedans la tête et des sabots aux pieds ».

Pierre Vayre

Pierre Vayre est membre de l’Académie nationalede médecine et de l’Académie nationale dechirurgie, professeur émérite de l’Université,ancien auditeur de l’Institut des hautes études dedéfense nationale, officier de la Légion d’Honneuret de l’Ordre national du Mérite.

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Le génie de la poésie anglaiseMichael EdwardsParis, Le Livre de Poche, 444 p., 2006.

Comment définir le génie de la poésie anglaise ?Personne jusqu’ici n’avait posé de façon sérieuse,en tenant compte de l’ensemble de cette poésie duVIIe siècle jusqu’à maintenant, cette questionpourtant nécessaire et qui permet une approche,à la fois analytique et synthétique, autre que l’his-toire littéraire ou la théorie.

Michael Edwards met en lumière la présence,d’une génération à l’autre, de certains types depoésies : épopées, par exemple, cantiques, traduc-tions si achevées qu’elles sont des chefs-d’œuvrenon pas de la traduction mais de la poésie, etaussi de grands artes poeticae qui élaborentprogressivement une poétique non pas de l’imi-

tation mais de la recréation, non pas de lamimésis mais de l’anaktisis.

Il souligne surtout la disposition, rigoureusementpensée, de la poésie anglaise pour l’hétérogénéité,la profusion, le quotidien, le prosaïque, le trivial,le comique dans les situations les plus sérieuses,pour l’excentricité comme voie royale vers leCentre. Une série d’aspirations à première vueopposées (vers les hauteurs existentielles et onto-logiques, par exemple, et vers les choses ordi-naires du monde alentour et du temps qui passe)trouveraient peut-être leur source dans l’anglais,langue qui ouvre sur deux mondes différents parses fonds germanique et franco-latin, et éclairentcertainement l’« exception anglaise », une façonparticulière de vivre la vie, la religion, la liberté,la démocratie, la nation.

Exercices de lectureDe Rabelais à Paul ValéryMarc FumaroliCollection Bibliothèque des idéesParis, Éditions Gallimard, 2006.

Les exercices de lecture que j’ai réunis dans cevolume ont été écrits, et parfois réécrits, au coursde longues années. Les œuvres, ou les groupesd’œuvres, auxquels ces exercices s’appliquent,essais de tous ordres, mémoires, récits de voyage,tragédies, poésies, romans, s’étendent du XVIeau XIXe siècle. Certaines de ces œuvres figurentparmi les classiques de la littérature française.D’autres, le plus grand nombre, voisinent plusou moins étroitement avec ces « sommets »aperçus de tous et contribuent à les éclairer. S’ilfallait trouver après coup un fil conducteur à cesexercices, dont chacun a été conçu pour lui-mêmeet peut être lu à part, ce serait la fonction de la

littérature en France comme lien de civilisationentre individus jaloux de leur individualité, fonc-tion qui l’a mise en concurrence avec sa mère etrivale, l’Église et la religion chrétienne.

D’exercice en exercice, absorbé et éveillé chaquefois autrement, je ne me suis jamais proposéd’échafauder une théorie de la littérature, ni uneméthode de critique littéraire, mais de découvrirdans chaque cas la juste distance de regard etd’écoute qui replace en leur lieu, en leur heure, enleur humeur propre, l’œuvre ou le groupe d’œu-vres qui m’ont retenu, afin d’en recueillir lemurmure intime ou les intentions communes.C’était prendre le risque de l’extrême diversité,voire de l’éclatement, mais c’était aussi aller au-devant de la chance de ressaisir des fidélités insis-tantes et fécondes, rajeunies pendant denombreuses générations.

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Apulée, Éros et Psychétraduit du latin par Nicolas Waquet,édition bilinguePréface de Carlo OssolaParis, Rivages poche/Petite bibliothèque,173 p., 2006.

Le centre des Métamorphoses d’Apulée estoccupé – splendide mise en abyme du romantout entier – par la narration de la fabled’Éros et Psyché, un récit qui se glisse là– conté par une vieille femme – pourconsoler une jeune fille prisonnière, arrachéeà son mariage et bouleversée par des rêvestroublants.

De cet apologue, qui a suggéré dans la pein-ture et la sculpture – de Giulio Romano àEdvard Munch, et de Adriaen de Vries àCanova – les plus belles images de la moder-nité, reste, après tant d’épreuves et d’aven-tures, cette conclusion lumineuse :

« C’est ainsi que Psyché passa selon les ritessous la puissance d’Éros. Et quand fut arrivéle terme, il leur naquit une fille, que nous appe-lons Volupté. » Volupté : ce fruit exquis denotre détresse et de notre désir infini d’êtreheureux.

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Politiques de la concurrenceConseil d’Analyse économiqueRapport David Encaoua et Roger GuesnerieCommentaires Jean-Hervé Lorenzi et MichelMougeotCompléments François Brunet, PhilippeChoné, Laurent Flochel, Rachel Griffith,Anne Perrot et David SpectorParis, La Documentation Française, 2006

Les rapports du Conseil d’analyse économique.Une économie de marché a besoin d’une régula-tion et de règles du jeu. La politique de la concur-rence est l’un des instruments de cette régulationet a pris une importance croissante dans tous lespays occidentaux.

David Encaoua et Roger Guesnerie fournissentune présentation détaillée des fondements intel-lectuels et historiques de ces politiques. Ils présen-tent ensuite leurs domaines d’intervention allantdu contrôle des structures de marché par le biaisdu contrôle des opérations de concentration àcelui des comportements par l’application desrègles antitrust qui punissent les ententes et lesabus de position dominante. Sur tous ces points,le rapport souligne et détaille l’importance crois-

sante prise par l’analyse économique à la fois dansl’application des politiques mais également dansle design réglementaire et institutionnel.

Roger Guesnerie et David Encaoua préconisentplusieurs chantiers réglementaires.

Le premier chantier consiste à exploiter lescomplémentarités entre la politique de la concur-rence et les politiques en faveur de la compétitivitéet de l’innovation, dont la protection de lapropriété intellectuelle. Les auteurs font égalementdes propositions d’amélioration du contrôle desconcentrations. En particulier, plusieurs proposi-tions sont faites sur l’évolution du système fran-çais de dualisme des instances de contrôle desconcentrations.

En matière d’interventions répressives, le rapportpréconise de supprimer l’interdiction de la reventeà perte en confiant aux autorités de concurrencele soin de distinguer si une revente à perte cons-titue ou non une stratégie de prédation. Laseconde proposition porte sur l’équilibre entre Iasécurité juridique et la flexibilité économique, enplaidant pour un recours à une règle de raisonstructurée.

Mémoires d’une Éphémère (954-974)par la mère de Fujiwara no MichitsunaTraduit et commenté par Jacqueline PigeotBibliothèque de l’Institut des Hautes étudesjaponaisesInstitut des Hautes études japonaisesCollège de FranceParis, De Boccard, 2006.

Dans la deuxième moitié du Xe siècle, une femmejaponaise entreprend de mettre sur le papier lesévénements qui ont marqué son existence.

Dans ses Mémoires d’une Éphémère, elle retraceau fil de vingt années les péripéties de sa vieconjugale : son époux, un personnage de la plushaute noblesse, séduisant, drôle, lui procure denombreux moments de bonheur, mais, enhomme volage qui multiplie les liaisons, il ladéconcerte, l’irrite, la lasse, jusqu’à la rupturefinale. Elle élève leur fils, que l’on accompagnede sa naissance à sa dix-neuvième année, ungarçon aimé de ses deux parents mais quisouffre de leurs tiraillements.

Cependant l’auteur n’est pas seulement épouseet mère. Elle cultive plusieurs amitiés, noue des

relations ambiguës avec l’un de ses admirateurs.Préoccupée de religion, elle fait un bref essai dela vie monacale. Poétesse renommée, ellecompose quantité de waka. Curieuse du monde,elle effectue de nombreux pèlerinages, dont lesrelations constituent un jalon capital dans ledéveloppement du récit de voyage au Japon.

Fraîcheur des évocations de paysages, subtilitédes notations psychologiques, variété et libertédu ton, ironie, franchise parfois provocatricenon seulement les Mémoires d’une Éphémèreinaugurent au Japon la littérature autobiogra-phique ainsi que, plus généralement, la proseféminine, mais ils constituent l’une des œuvresclassiques les plus séduisantes pour le lecteurd’aujourd’hui.

Dans le commentaire, on s’attache à éclaircirles conditions qui ont permis la naissance de cetexte d’une absolue nouveauté.

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La jeune fille et la mortMisogynie ascétique et représentations maca-bres du corps féminin dans le bouddhismejaponaisFrançois LachaudBibliothèque de l’Institut des hautes étudesjaponaisesCollège de France, Institut des hautes étudesjaponaisesParis, De Boccard, 2006.

Se détacher du monde, renoncer à la chair,cultiver la chasteté et le célibat : le bouddhismeparti d’Inde et en route vers le Japon ambi-tionna longtemps de propager une religion decélibataires. Ses doctrines et ses enseignementsmêlaient à une cosmologie complexe unedéconstruction avant la lettre de l’individu etde son corps. Le Japon tira le plus grand partide cette tradition de misogynie ascétique. Elleretrouvait sur un autre terrain certaines despréoccupations de la société ancienne. Elleinstaurait un régime ambigu d’effroi et defascination devant la chair corruptible , régimepromis à une longue postérité. Ce livre est une

exploration minutieuse des textes doctrinaux,de la littérature religieuse et profane japonais– éclairés par les enseignements fondateurs del’Inde et de la Chine – afin de suivre ces exer-cices macabres jusqu’au Japon de l’immédiataprès-guerre. L’histoire des représentations,dans sa lumière voilée, semble faire des moinesjaponais les lointains préfigurateurs des exer-cices « athéologiques » de Georges Bataille etde Hans Bellmer. Mais ces visions négativesconstituent également une clé pourcomprendre certains modes spécifiques de larelation au corps actifs aujourd’hui encore auJapon, notamment en littérature et dans lesarts visuels. Les chapitres de cette étude propo-sent également une réflexion sur le boud-dhisme, sur sa relation à l’identité personnelleet sur sa mise à l’écart du féminin comme prin-cipe d’inquiétante étrangeté.

Histoire humaine et comparée du climatDisettes et révolutions 1740-1860Emmanuel Le Roy LadurieParis, Éditions Fayard, 2006.

À mesure que progressent les techniques agri-coles et que se perfectionnent les transports, leseffets du petit âge glaciaire (que connaissaitl’Europe depuis 1300) se font moins impi-toyables que durant les premiers siècles del’époque moderne. Certes, la famine ne dispa-raît pas tout à coup – l’Irlande la connaîtencore dans les années 1840 –, mais on n’ob-serve plus au même degré les hécatombesclimatiques – et par conséquent épidémiques –de naguère.

Disettes classiques et disettes larvées n’encontinuent pas moins d’agir sur la vie dessociétés : hivers froids ou humides, printempspourris, étés caniculaires (« échaudage » desblés) ou au contraire étés pourris, et jusqu’auxéruptions volcaniques à l’autre bout de laplanète (le Tambora en Indonésie, 1815),compromettent aisément de fragiles équilibres.Un peu moins de grains, et la cherté provoquedes troubles. Faux ou vrai, les puissants sontaccusés de profiter des circonstances, d’acca-parer les subsistances, d’organiser la pénurie,

d’où les réactions populaires. Sans qu’il faillevoir là un mécanisme imperturbable, il estpatent que la mauvaise année-récolte 1788 asa part dans le déclenchement des événementsde 1789, que l’embellie frumentaire duDirectoire et de l’Empire (jusqu’en 1810)correspond à une période de relative clémencedes cieux ; que les Trois Glorieuses sontcomme cernées par les difficiles années 1827-1832 ; que les soubresauts climatiques et diset-teux de 1845-1846 sont à mettre en relationavec les révolutions de février-mars 1848 àParis, puis à Berlin et à Vienne.

À partir de 1860 et plus encore de 1900, le climateuropéen se réchauffe, comme le montrent lerecul des glaciers alpins et, nettement plusprécises, les mesures instrumentales enregistréesun peu partout. En outre, les navires à vapeur etle chemin de fer permettent d’importer du graind’Amérique et de Russie. L’Humanité d’Occidentse libère de sa dépendance millénaire face à l’aléaclimatique. S’ouvre alors une autre « météo-histoire », dont nous ne connaissons pas leterme ; pleine d’incertitudes, elle aussi (ce seral’objet d’un troisième volume).

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Pétrarque et l’EuropeSous la direction de Carlo OssolaTextes de Yves Bonnefoy, Marc Fumaroli,Michel Zink, Guglielmo Gorni, MichaelEdwards, Christophe Carraud, CarloOssolaCollection « Nomina »Grenoble, Éditions Jérôme Million, 2006.

Ce volume rassemble les actes du Colloque quele Collège de France et son Institut d’ÉtudesLittéraires ont réuni, les 22 et 23 juin 2004, pourméditer, à l’occasion du VIIe centenaire de la nais-sance du poète, sur l’héritage de Pétrarque dansla poésie européenne et sur la conscience quecelle-ci a de sa mission. Père de la Républiquedes Lettres, cet humaniste qui sut unir l’héritagedes classiques latins à la lecture des Pères del’Église se présente au XXe siècle, après tant depétrarquisme lyrique européen, comme le fonda-teur d’un « moi » poétique qui se constitue pardéchirement et par tension « obstinée » de la

pensée : « Déjà en moi la fatigue de pensercomment / mes pensées en vous sont sansfatigue », Io son già stanco di penser si come / imiei pensier’ in voi stanchi non sono (RVF, 74).Le moraliste du Secretum, l’architecte de la figu-ration du temps et de l’éternité (les Triomphes),le poète épique de l’Africa, le poète chrétien desPsaumes pénitentiels et de l’Itinéraire de Gênes àJérusalem se retrouvent dans le bréviaire de souf-france et de délivrance du Chansonnier, cesRerum vulgarium fragmenta que compose une« mémoire amoureuse » (RVF, LXXI), capablede sauvegarder « de l’irréel intact dans le réeldévasté » (René Char, Rémanence).

Et Yves Bonnefoy, en accomplissant une tradi-tion du XXe siècle qui réunit – autour de la leçonde Pétrarque – Ossip Mandelstam et Paul Celan,Vittorio Sereni et Andrea Zanzotto, couronne àla fois ce parcours de poésie et le volume qui veuten rendre compte en proposant dix-neuf traduc-tions nouvelles de sonnets de Pétrarque.

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Historiographie de la France et mémoiredu royaume au XVIIIe siècleActes des Journées d’Étude des 4 et11 février, 4 et 11 mars 2002 au Collègede FranceTexte réunis par Marc Fumaroli etChantal GrellParis, Éditions Honoré Champion, 2006.

En 1790, Edmund Burke, observant depuisLondres le tour radical que prenait la Révolutionfrançaise, se demandait comment les Françaispouvaient, en si peu de temps et avec autant d’ar-deur, détruire de fond en comble la forme poli-tique, sociale et religieuse qui leur avait convenupendant quatorze siècles. Ce détachementsoudain et violent, cette irrésistible volonté defaire table rase du passé, devaient-ils quelquechose à l’ignorance de ce passé, et donc à unedéfaillance de l’historiographie du royaume,impuissante à pourvoir les Français d’unemémoire commune, comme avaient su le faire,pour les Romains, Tite-Live, Tacite et Polybe, etpour les Anglais l’historiographie postérieure àla « Glorieuse révolution » de 1688, notammentl’Histoire d’Angleterre de David Hume ?

Ou bien étaient-ils dus, pour ce qui concerne entout cas l’historiographie de la France, si abon-dante et vivace pourtant au XVIIIe siècle, à soncaractère disséminé, à la diversité de ses genres,à la multiplicité des intérêts institutionnels que

chacun d’entre eux représentait, aux interpréta-tions contradictoires, partielles et polémiquesqu’ils proposaient du passé français, et à l’ab-sence d’une historiographie médiatrice capablede créer un consensus et de fonder sur d’heureuxsouvenirs partagés un fort sentiment d’apparte-nance à un socle ancien et fécond ?

La crise profonde qui travaille la monarchie admi-nistrative du XVIIIe siècle, héritière encore brillanteen apparence de la « contre-Révolution » dontLouis XIV et Colbert avaient été les architectes en1661, ne s’est-elle pas réfléchie et aggravée danscette historiographie éclatée, sourdement ou ouver-tement virulente, et beaucoup plus propre ànourrir les ressentiments et le scepticisme qu’àcréer adhésion et confiance ?

Telles sont les questions que se sont posés MarcFumaroli, professeur au Collège de France etChantal Grell, professeur à l’Université deVersailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, et qu’ilsont posées à une pléiade d’historiens et d’histo-riens de l’historiographie, au cours d’un sémi-naire-colloque du Collège de France. Les Actesamplifiés et enrichis qu’ils publient maintenantdans la collection dirigée par Yves-Marie Bercéfont découvrir toute l’étendue du drame cachéd’un royaume condamné à disparaître pourn’avoir pas su transformer son immense etlongue mémoire en une histoire qui emporte sapropre conviction.

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Current Issues in CosmologyJean-Claude Pecker et Jayant V. NarlikarNew York, Cambridge University Press,2006.

What are the current ideas describing thelarge-scale structure of the universe ? How dothey relate to the observed facts ?

This book looks at both the strengths andweaknesses of the current Big Bang model inexplaining certain puzzling data. The bookarises from an international conference that

brought together many of the world’s leadingplayers in cosmology. In addition to presen-ting individual talks, the proceedings of theresulting discussions are also recorded. Givinga comprehensive coverage of the expandingfield of cosmology, this text will be valuablefor graduate students and researchers incosmology and theoretical astrophysics.

À quoi sert l’histoire de l’art ?Roland RechtConversation avec Claire BarbillonParis, Éditions Textuel, 2006.

À l’heure où les expositions et la mise en scènespectaculaire du patrimoine attirent un publictoujours plus nombreux, Roland Recht,professeur au Collège de France, nous alertesur les défis et les dérives auxquels estconfronté l’historien de l’art. Cette passionconsumériste ne révélerait-elle pas les lacunes

de l’enseignement de la République ? Face auxinjonctions de rentabilité, Roland Recht, dansun dialogue avec Claire Barbillon, analyse saplace et sa marge de manœuvre. Formulantdes propositions pour une éducation duregard, il est convaincu que l’histoire de l’arta un rôle à jouer dans la transmission denouveaux ferments de cohésion sociale.

La contre-démocratieLa politique à l’âge de la défiancePierre RosanvallonCollection Les livres du nouveau mondeParis, Éditions du Seuil, 2006.

L’idéal démocratique règne désormais sanspartage, mais les régimes qui s’en réclamentsuscitent partout de vives critiques. L’érosionde la confiance dans les représentants est ainsil’un des problèmes majeurs de notre temps.Mais, si les citoyens fréquentent moins lesurnes, ils ne sont pas pour autant devenuspassifs : on les voit manifester dans les rues,contester, se mobiliser sur Internet... Pourcomprendre ce nouveau Janus citoyen, cetouvrage propose d’appréhender les méca-nismes d’institution de la confiance et l’ex-pression sociale de la défiance comme deuxsphères et deux moments distincts de la viedes démocraties. L’activité électorale-repré-sentative s’organise autour de la premièredimension : c’est elle qui a été classiquementétudiée. Mais la seconde n’a jamais étéexplorée de façon systématique.

C’est à quoi s’attache Pierre Rosanvallon enproposant une histoire et une théorie du rôlestructurant de la défiance dans les démocra-ties. Ce renversement radical de perspectiveconduit à explorer un continent politiquelongtemps inaperçu : celui de la « contre-démocratie ». Cette dernière résulte d’unensemble de pratiques de surveillance, d’em-pêchement et de jugement au traversdesquelles la société exerce des pouvoirs decorrection et de pression. À côté du peuple-électeur, elle donne voix et visage aux figuresd’un peuple-vigilant, d’un peuple-veto et d’unpeuple-juge. C’est là sa vertu, mais aussi sonproblème. Car, à trop valoriser les propriétésde contrôle et de résistance de l’espace public,elle peut aussi faire le jeu du populisme et del’« impolitique », entravant la formulationpositive d’un monde commun.

Pierre Rosanvallon est professeur au Collègede France. Il préside également La Républiquedes Idées. Le présent ouvrage inaugure unnouveau cycle de ses travaux.

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Le judéo-christianismeJavier TeixidorCollection Folio HistoireParis, Éditions Gallimard, 2006.

Judéo-christianisme : l’expression, utilisée à toutpropos, a-t-elle encore un sens ?Le phénomène « judéo-chrétien » de coexistencede cultures religieuses se manifesta deux fois : audébut, avec les juifs convertis au christianisme quicontinuaient à observer leurs rites et plaçaient leurscroyances dans le contexte exclusif de l’AncienTestament ; puis aux VIe et VIIe siècles, quand lepouvoir civil, au nom de la religion d’État, forçales juifs à se convertir au christianisme.

Si, au commencement, Jésus étant juif et lesapôtres aussi, le christianisme fut redevable desconvictions du judaïsme du premier siècle denotre ère, toute son histoire depuis lors est cellede son détachement comme un fruit de la

branche qui le portait. Sa volonté de se distin-guer du judaïsme prend deux voies : avec l’allé-gorie, il s’approprie le livre du judaïsme, l’AncienTestament, en le considérant le précurseur et lajustification du Nouveau ; avec la formulationdogmatique, l’Église présente à l’éventuel fidèleune série de croyances qu’il devra accepter, luiproposant d’emblée la « conversion » à unnouvel ordre de réalités.

Judaïsme et christianisme ne constituent pasun tout parce que les deux religions sont exté-rieures l’une à l’autre même si celle-ci suit deprès celle-là ; elles se côtoient, ne se confon-dent pas. Voilà qui vide de contenu touteforme religieuse d’antisémitisme, puisqu’on nesaurait, au nom d’un tronc commun « judéo-chrétien », accuser les juifs de nier l’envergurereligieuse et culturelle du message chrétien,tant les deux religions sont organiquementdifférentes l’une de l’autre.

Le Moyen Âge flamboyantPoésie et peintureouvrage collectif, préface de Michel ZinkParis, Éditions Diane de Selliers, 2006

L’ouvrage rassemble cent dix poèmes traduitsen français moderne par les spécialistes de lalangue d’oc, de la langue d’oil et du françaismoyen. Guillaume IX, Arnaut Daniel, ColinMusset, Rutebeuf, Adam de la Halle,Guillaume de Machaut, Christine de Pizan,Charles d’Orléans, François Villon, plus d’unecinquantaine de poètes représentent ces quatresiècles fondateurs de notre poésie. Les poèmesde ce recueil sont illustrés par deux centsminiatures, présentées comme d’authentiques

tableaux. Barthélémy d’Eyck, Jean Fouquet,les frères de Limbourg, Simon Marmion,Robinet Testard figurent parmi les grandsmaîtres. Les œuvres reproduites sont extraitesde manuscrits essentiellement français du XIVe

et du XVe siècle, qui constituent une partremarquable de notre patrimoine artistique.

Cet ouvrage comprend également les biogra-phies de chaque poète, les notices sur lesmanuscrits à peintures reproduits, un réper-toire des termes poétiques et une chronologie.Ces annexes permettent de mieux appréhenderle Moyen Âge français et son épanouissementculturel, politique et intellectuel.

Froissart dans sa forgeColloque réuni à Paris, du 4 au6 novembre 2004 par Michel ZinkParis, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres – Collège de France, Diffusion deBoccard, 2006.

Extrait de l’avant-proposFroissart est un historien si peu digne de foiqu’il a été incapable de nous donner avecprécision la date de sa mort (ni, d’ailleurs, cellede sa naissance, ce qui aurait dû lui être plusfacile). Le Haut Comité des Célébrationsnationales, présidé par M. Jean Leclant,Secrétaire perpétuel de l’Académie des

Inscriptions et Belles-Lettres, a pris l’heureuseinitiative de suppléer à son insuffisance endécidant qu’il était mort en 1404 (date del’événement le plus tardif – la mort du ducAubert de Bavière mentionné par sesChroniques, dont le récit s’interrompt en1400). Décision heureuse, qui nous donnel’occasion de tenir ce colloque.

Ce colloque a été organisé conjointement par leCollège de France et par l’Académie des Inscriptionset Belles-Lettres. Les deux premières demi-journéesont eu lieu au Collège de France, la dernière aoccupé la séance publique hebdomadaire del’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

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Le titre de ce colloque peut paraîtredérangeant ou provocateur. « L’hommeartificiel » évoque le spectre du Golem,de Frankenstein ou des nombreusesautres créatures effrayantes que l’ontrouve dans les mythes ou d’autresproductions de l’imaginaire. Il étaitdonc intéressant de revenir sur cettemythologie de l’homme artificiel et durobot qui hante les imaginations et lescultures humaines au moins depuisHéphaïstos, Vulcain ou Dédale.

L’idée que l’on puisse remplacer leshommes par des machines n’est pasnouvelle. Les dieux grecs sont desprécurseurs à cet égard. L’Iliadesuggère qu’Héphaïstos fut l’un despremiers fabricants de créatures arti-ficielles, avec ses servantes en or et sestrépieds animés portant à l’Olympe lesproduits de sa forge. La Crète du roiMinos était gardée par Talos, un robotde bronze : porté à incandescence, ilembrassait les ennemis du roi dansune étreinte fatalement chaleureuse.

Une série de mythes et de récits clas-siques relatent des tentatives de créerdes êtres artificiels, parfois séduisants,comme la statue de Pygmalion, le plussouvent effrayants. Les mécaniciens dela Renaissance, les automates et lesmachines du XVIIe et du XVIIIe siècleconfèrent une réalité technique et opti-miste à ces premiers rêves del’Antiquité grecque. Enfin, avec lessciences cognitives et les neurosciencesapparaissent des débats sur la concep-tion du cerveau comme machine, etmême de l’homme virtuel. Il y a doncune longue tradition culturelle concer-nant les machines, constructivesparfois, souvent destructrices etporteuses d’une menace, plus ou moinsvoilée, de destruction de l’humanité.

La médecine, par contraste, apparaîtcomme une technique de réparationet de soin, qui vise à combattre la

maladie et la mort, à pallier les déficits,à aider ceux qui souffrent d’unhandicap. Elle invite à réviser latendance courante qui consiste à déva-loriser l’artificiel et à tenir pour bonce qui est naturel. Rappelons que lamort est naturelle, que les plantes sontsouvent toxiques, qu’il existe desanimaux venimeux, que la maladie estnaturelle et que nous sommes accablésd’épidémies. De quoi émettre quelquesréserves quant à l’hypothèse, qu’onoppose aux théories de l’évolutionnéo-darwinienne, d’un dessein « intel-ligent » qui aurait organisé la naturede façon rationnelle.

Faisons l’éloge de l’artificiel. La méde-cine est une invention de l’hommepour lutter contre la souffrance et tousles maux qui accablent l’humanitédans le monde naturel. Elle est avanttout artificielle. En réalité, nous vivonsdans un monde de plus en plus artifi-ciel. Notre alimentation l’est depuistrès longtemps : les plantes alimen-taires ont été sélectionnés par voiegénétique depuis le Néolithique, parune lente transformation des espècesnaturelles. Il a fallu des dizaines, voiredes centaines de milliers d’années poursélectionner des espèces utilisablesdans l’alimentation. Les développe-ments technologiques et l’artificialitése sont donc introduits non seulementdans la médecine, mais aussi dans l’ali-mentation. Très souvent, dans cedomaine, l’artificiel fait peur. Onréprouve tout ce qui apparaît« chimique » ou « génétique » dansles aliments : c’est oublier qu’unepomme est constituée uniquementd’éléments chimiques, tout commenotre organisme et notre cerveau.

Un éloge de l’artificiel doit rappelerque dans ce monde de techniques etd’artifices où nous vivons, nousexigeons que les machines fonction-nent de mieux en mieux. Quand le

téléphone ne fonctionne pas, nousnous sentons démunis. Si le médecinne soigne pas, c’est que la science esttrop lente. Il se développe parmi noscontemporains une exigence d’artifi-cialité.

Sans verser dans l’optimisme techno-phile et scientiste, on peut néanmoinsconsidérer que les développementstechnologiques ont globalement agipour le bien du plus grand nombredans les sociétés industrialisées. Laméfiance technophobe est sans douteau goût du jour : rappelons qu’il n’estpas si injustifié d’avoir confiance dansla science et de placer en elle un espoirraisonné.

Bien entendu, cette invasion de latechnologie pour le bien de l’huma-nité ne va pas sans problèmes. Enmédecine, dans la finance, dans tousles domaines qui recourent à des tech-niques de plus en plus puissantes,celles-ci nous exposent à des pannesou à des erreurs, et peuvent aussi êtredétournées de leur fin première.

L’universalisation de la technologiemérite d’être examinée de plus près.Le plus important, sans doute, seraitde s’assurer que ces techniques et faci-lités artificielles mises à la dispositionde l’humanité sont également répar-

L’HOMME ARTIFICIEL AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉCOLLOQUE DE RENTRÉE DU COLLÈGE DE FRANCE

12 ET 13 OCTOBRE 2006

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Prs Jean-Pierre Changeux et Pierre Corvol

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ties au niveau de la planète. Lecolloque a peu abordé ces questions, lecomité scientifique ayant choisi deretenir surtout certains aspects conc-rets du progrès scientifique et tech-nique et des conditions de vie, et deremettre à un autre colloque l’examendes aspects sociaux. Néanmoins,l’égale répartition des bénéfices issusde la science et de la technologie auniveau de la planète doit être unepréoccupation prioritaire, au nomd’une exigence de justice et du respectdes droits de l’homme. À l’heureactuelle, on en est loin. C’est un desproblèmes, par exemple, de larecherche médicale et pharmaceu-tique, qui s’intéresse d’abord auxmaladies qui frappent les pays déve-loppés. Heureusement, certainesforces œuvrent pour résoudre cesproblèmes : des organismes tels quel’INSERM, l’Institut Pasteur, ou desfondations privées s’efforcent faire ensorte qu’il y ait une meilleure réparti-tion des avancées de la science auniveau planétaire. Il s’agit d’unproblème politique et il faut sensibi-liser les politiques et les décideurs à cesquestions.

Il faut se préoccuper aussi de garantirà tous une égale protection contre lesrisques. Le développement scientifiqueet technique exige une prudenceélémentaire et le souci de la maîtrisedes risques. Il faut donc un contrôledevant la justice et une égale protec-tion contre les risques et les détourne-ments éventuels, assortie decompensations, par exemple dans lecas du handicap.

Ces préoccupations sont de notreresponsabilité, selon les termes de ladéclaration universelle des droits del’homme qui invoque notamment lesnotions de fraternité et de solidarité.Ces vertus laïques et communes nesont liées à aucune tradition culturelle,mais simplement à une sorte de naturehumaine universelle.

Un autre sujet de préoccupation, dansle contexte de cette évolution contem-poraine des sciences et des techniques,

concerne l’avenir de l’humanité. Lascience universalise. Elle offre à l’hu-manité dans son ensemble, sansdistinction de groupes culturels ouethniques, ses résultats et les bénéficesqu’on peut en attendre en matière deconditions de vie et de qualité de la vie– un concept difficile à définir.Parallèlement, on constate que lesgroupes humains se replient sur eux-mêmes et s’engagent dans des conflitsgraves. Il apparaît donc une sorte dedisharmonie profonde entre l’évolu-tion scientifique et la vie des individusdans le groupe social. C’est un enjeude première importance pour l’éduca-tion. L’éducation a lieu pendant lapériode où notre cerveau se développe,où les synapses se mettent en place.Cette épigénèse culturelle est unprocessus lent, progressif, quiimprègne en quelque sorte le cerveaupour le reste de la vie. Il est difficile defaire apprendre une autre langue àquelqu’un qui a déjà appris une languenative. Or, il semble que les traditionsculturelles, philosophiques, religieusess’imprègnent dans le cerveau de l’en-fant comme le fait le langage. PaulRicœur comparait la mise en place dessystèmes symboliques à l’acquisitiond’un langage. Pour un neurobiolo-giste, l’acquisition d’un langage résultede l’interaction physique entre lessignaux du monde extérieur et l’orga-nisation du cerveau. On peut parlerde la même manière de la mise enplace de « circuits culturels » dans lecerveau.

Mais le monde des sciences et destechniques évolue de façon extraordi-naire au cours d’une existencehumaine, surtout avec l’allongementde la durée de vie. L’essentiel desconnaissances en biologie a été acquisau cours des 20 ou 30 dernièresannées. Cette évolution très rapide dumonde scientifique peut entrer enconflit avec les empreintes culturellesque nous avons reçues au cours denotre enfance.

La solution repose sur notre flexibilitémentale et la possibilité de changerd’opinion. Il ne suffit pas d’essayer de

se trouver des points communs avecles autres, des compromis avec denouvelles façons de penser et de vivre.Il est probablement nécessaire quechacun accepte de modifier un peu desa propre identité au bénéfice d’unbien commun qui soit réellementcollectif et universel. Nous devonsnous garder des idées communauta-ristes, qui soulignent les différencesculturelles et revendiquent leur carac-tère immuable. Dans l’esprit des droitsde l’homme et par le moyen de l’édu-cation, nous devons au contraire faireévoluer notre réflexion et accepter dechanger, quitte à renoncer à une partiede notre identité. L’éducation est ici lepoint crucial. Or, alors qu’on met l’ac-cent sur les développements possiblesde la science et de la technologie, on sepréoccupe trop peu de l’éducation desenfants, de l’environnement cultureldans lequel ils se trouvent plongés,souvent saturé de violence, à traversles médias et les jeux. Les parentsdoivent prendre conscience dupouvoir de l’image et apprendre à nepas laisser leurs enfants sans contrôledevant la télévision. Cette responsabi-lité n’incombe pas aux techniques : elleappartient aux parents et aux éduca-teurs. Ces questions sont trop souvent

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absentes de la réflexion sur la scienceet la technologie.

Le Collège de France a un rôle à jouerdans cette réflexion. Les grandscolloques multidisciplinaires qu’il orga-nise sont l’occasion de confrontationsentre domaines scientifiques, de discus-sions entre points de vue différents, quipermettent de construire des approchescritiques et de faire évoluer les opinions.D’un point de vue politique et éthique,il est important que les différentes disci-plines du savoir scientifique engagententre elles et avec les sciences humainesun dialogue ouvert et fécond. Il a été

question au cours de ce colloque de laculture du doute, chez les juristes : cedoute est et doit être présent aussi, etavant tout, chez les scientifiques. Degrands conflits culturels comme ceuxque nous vivons pourraient être évitéssi l’on acceptait de se soumettre à unediscipline du dialogue et de l’examencritique semblable à celle que l’onrencontre dans les sciences. Cettedémarche de construction collective etd’universalisme de la connaissancerejoint l’esprit de la déclaration univer-selle des droits de l’homme. Le but dece colloque est donc de fairecomprendre que le progrès de la science

et de la technique ne va pas contrel’homme, mais qu’il est à son service.L’objectif est de faire le point sur lesprogrès des sciences et des techniquesqui font que l’homme vit dans desconditions de plus en plus artificielles.Il faut gérer cette artificialité pour lebénéfice de la société. Nous devonspenser l’éthique du futur dans unmonde de plus en plus artificiel, recher-cher un équilibre harmonieux entre ceque nous sommes et ce que nous seronsamenés à être dans l’avenir �

MK à partir des proposde Jean-Pierre Changeux

en conclusion du colloque.

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LA LETTRE - N° 1830

Ce colloque de rentrée organisépar un comité scientifique deprofesseurs du Collège de Francesous la présidence de Jean-PierreChangeux s’inscrit dans une sériede colloques interdisciplinairestraitant de grands problèmes desociété. S’y ajoutent également lescolloques européens délocalisés duCollège de France. La plupart deces colloques sont publiés auxéditions Odile Jacob.

Les colloques de rentrée sontfinancés par la fondation Hugot.

Colloque téléchargeable surle site :www.college-de-france.fronglet publications,rubrique podcast.

TITRE DES INTERVENTIONS

� « Autour des servantes en or d’Héphaistos », le mythe antique de l’homme artificielJohn Scheid et Jesper Svendro� Cellules souches et clonage thérapeutique, Nicole Le Douarin� Thérapie génique ?, Alain Fischer� Chimères, artifice et imagination, Françoise Héritier� Automates et hommes-machines : de la renaissance à nos jours, Bruno Jacomy� De la biologie symplectique à la biologie synthétique : saurons-nous construire unorganisme vivant ?, Antoine Danchin� La main artificielle, Maria Chiara Carrozza� Le sang : remplacer ou copier la nature ?, Luc Douay� Le rein artificiel en France, Pierre Corvol� Le médecin électronique, Patrice Degoulet� Outils mentaux et objets de pensée : les mathématiques, Jean-Pierre Kahane� Le cerveau humain est-il une machine de Turing ?, Stanislas Dehaene� Des capteurs artificiels à la perception auditive, Christine Petit� Vision artificielle : entre mythes et réalités, José-Alain Sahel� Simulations numériques et médecine, Pierre-Louis Lions� L’homme virtuel, Alain Berthoz� Les enfants et le virtuel électronique, Aldo Naouri� Y a-t-il un « trader » (non-électronique) dans la salle ?, Jean-Michel Lasry� Vivre le handicap et ses prothèses, Anne Fagot-Largeault� La justice entre le robot et le roseau, Mireille Delmas-Marty� Des machines et des hommes, Erich Spitz� L’homme du futur et les droits de l’homme, Jean-Pierre Changeux

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31N° 18 - LA LETTRE

Il y a trente ans exactement, JacquesBouveresse publiait Le mythe de l’inté-riorité, sous-titré Expérience, significa-tion et langage privé chez Wittgenstein.Alors que dominaient encore en Franceles théories structuralistes de « la mortdu sujet », il faisait reconnaître l’exis-tence d’une autre sorte de critique desphilosophies de la conscience, bien plusradicale à ses yeux, et d’un autre style dephilosophie, le style grammatical, à peuprès ignoré jusqu’alors chez nous. Àcette époque, la publication de l’œuvrede Wittgenstein (qui, à l’exception duTractatus de 1921, est entièrementposthume et n’a donc véritablementcommencé qu’après sa mort en 1951)était encore très lacunaire et sans cohé-rence. Rompant avec l’habitude (elle n’atoujours pas entièrement disparuaujourd’hui) qui était de se consacrerpresque exclusivement aux« sommets » que constituent leTractatus et les Recherches philoso-phiques (1953), Bouveresse entrepre-nait, dans la limite des textes alorsdisponibles, de retracer dans sacomplexité la trajectoire philosophiquequi va des Carnets, datant de lapremière guerre mondiale, auremarques de De la certitude, écritespour certaines par Wittgensteinquelques jours avant sa mort.

Depuis trente ans, les publications sesont multipliées et surtout, depuis 2000,

la totalité des manuscrits est devenuedisponible. L’apport de ceux-ci est parti-culièrement important pour deuxpériodes qui avaient été jusqu’ici plus oumoins négligées ou mal comprises :d’une part, celle dite « de transition »des années 1929-1932, qu’on peut aussiappeler « phénoménologique », toutentière animée par le projet sinon debâtir un langage phénoménologique,tout au moins de circonscrire un certaintype de propositions, différentes de cellesau moyen desquelles nous décrivons lemonde qui nous entoure, et qui seraientappropriées à la description du mondemental et de l’expérience vécue – projetauquel il finira par renoncer ; d’autrepart, la période des Remarques sur laphilosophie de la psychologie (1946-1949) où il s’engage dans une vastecomparaison systématique des conceptspsychologiques entre eux afin d’acquérirsur eux une vue d’ensemble, une Über-sicht, qui en clarifie le sens et l’usage.

Au centre de la réflexion deWittgenstein pendant ces deux périodes,on trouve en grande partie les mêmesquestions : comment le langage néces-sairement public et commun (et éven-tuellement scientifique) peut-il serapporter à l’expérience vécue réputée« privée », intérieure et subjective ?Quel est le statut des énoncés au moyendesquels nous décrivons nos sensationsou notre espace visuel, nos douleurs ounos émotions ? Quel rôle y joue le mot« je » ? Quelle est sa grammaire et quiest-ce qui dit « je » ?

La singularité et la fécondité de ces deuxmoments ont été souvent sous-estiméespar les études wittgensteiniennes. Maison a plus encore négligé les liens étroitset complexes qu’ils entretiennent. L’undes enseignements les plus clairsapportés par le Nachlass est, en effet,que Wittgenstein procédait, dans son

activité d’écriture, par reprises succes-sives des mêmes séquences deremarques, soumettant celles-ci à desremaniements permanents : ainsiprogressait son travail philosophique deressassement thérapeutique. Or, parmiles strates qui jalonnent ce processus dereprise se distingue de façon exemplairela réintégration à la fin des années 1940,dans le cadre des réflexions sur la philo-sophie de la psychologie, de concepts etd’images qui semblaient définitivementécartés après la critique à laquelle lesavait soumises le rejet du projet phéno-ménologique de 1929. Quel sensdonner à cette reprise particulière dansle parcours wittgensteinien ? C’est-à-dire aussi bien : comment penser lerapport de la critique de la phénomé-nologie à celle de la psychologie, àl’égard en particulier des deux questionsde l’expérience et de la subjectivité ? Etqu’est-ce que cela nous apprend surl’évolution de Wittgenstein depuis son« retour » à la philosophie en 1929jusqu’à ses dernières pensées ?

C’est à ces questions qu’a tenté derépondre le colloque Wittgenstein :expérience et subjectivité, organisé parDenis Perrin (Université de Grenoble)et Jean-Jacques Rosat (Collège deFrance), les 30 et 31 mai 2006. Laplupart des contributions à ce colloquesont désormais accessibles sur le siteweb du Collège de France (page webdu Pr Bouveresse). �

Jean-Jacques Rosat

COLLOQUES

WITTGENSTEIN : EXPÉRIENCE ET SUBJECTIVITÉ

Des manuscrits des années trente aux Remarques sur la philosophie de la psychologie

Pr Jacques Bouveresse et Céline Vautrin Pr Jacques Bouveresse et Élise Marrou

Colloque organisé par Denis Perrin(Université de Grenoble) et Jean-Jacques Rosat (Collège de France)30-31 mai 2006

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LA LETTRE - N° 1832

La Société asiatique, le Collège deFrance et la formation FRE 2454(CNRS/Collège de France/EPHE/INALCO) ont décidé depuis quelquetemps d’unir leurs efforts pour rassem-bler des chercheurs en orientalismeautour de sujets assez généraux pourque puissent s’exprimer non seulementles spécialistes des textes et les histo-riens, mais aussi les archéologues deterrain, les historiens de l’art ainsi queles linguistiques. Cette année, nousnous réunissions donc pour la troisièmefois sur le thème le plus largement fédé-rateur qui soit, « Centre et périphérie ».Nos civilisations ont été tout particu-lièrement sous le signe de vastes rassem-blements à la fois politiques et culturels,mais elles ont aussi connu de très fortsmouvements centrifuges et des cloi-sonnements âprement défendus.

Ce troisième colloque, placé sous lepatronage des professeurs Jean-MarieDurand et Michel Tardieu, a été placésous la responsabilité scientifique dudirecteur de la FRE 2454, Jean-MarieDurand, et de trois autres membres dece laboratoire : Jean-Pierre Mahé,membre de l’Institut, président de laSociété asiatique, directeur d’études à

l’EPHE (SHP), Jean-Louis Bacqué-Grammont, directeur de recherche auCNRS, et Dominique Charpin.

Notre Administrateur est venu ouvrirles séances par quelques mots où il aexprimé sa satisfaction de voir laSociété asiatique contribuer désormais,en accord avec sa domiciliation dansles locaux du site Cardinal Lemoine,aux manifestations de l’orientalisme auCollège de France, son président faisantdésormais partie du conseil des biblio-thèques d’Orient.

Pour définir la problématique de nosdeux jours de rencontres, DominiqueCharpin a rappelé que « l’histoirecommence à Sumer », selon la formulede J. Bottéro qui a eu le succès que l’onsait. Sumer est donc pour le Proche-Orient, le centre ; le reste étant la péri-phérie. Cependant, cette définition duCentre est manifestement liée à l’his-toire des découvertes : ce qui est central,c’est souvent ce qui a d’abord étéconnu. Ainsi, les archives et la biblio-thèque de Ninive sont-elles considéréespar beaucoup, encore aujourd’hui,comme constituant le centre de l’assy-riologie. Cela est dû en bonne partie aufait que cette dernière s’est constituéeen discipline autonome, au milieu duXIXe siècle, à partir des découvertesfaites dans les palais des rois assyriens.Et l’on ne peut s’empêcher de se poserla question : que se serait-il passé si l’onavait commencé par la découverte deMari, par exemple, ville volontiersconsidérée encore aujourd’hui commeune expression périphérique ? LeCentre, au lieu d’être situé dans l’actuelIrak, aurait peut-être été localisé plus àl’Ouest…

Autre élément à ne pas oublier : leCentre se déplace. Ainsi, dans la civili-sation mésopotamienne, Babylone est-elle bien au centre, au premiermillénaire. Elle ne l’était pas encore audébut du deuxième : c’est dans la valléede la Diyala, à Eshnunna, et non àBabylone, que les scribes de Mari ont

appris une nouvelle façon d’écrire lecunéiforme. Babylone a été le Centrede la civilisation mésopotamienne àdeux moments seulement : à la fin durègne de Hammu-rabi (1763-1750) et,un millénaire plus tard, sousNabuchodonosor (604-562).

On ne doit pas oublier dès lors que leCentre de notre culture occidentale aété défini à la Renaissance comme étantl’Antiquité classique : l’Orient ne peutplus être, de ce point de vue, quemarginal. La Renaissance avait aussiimposé en peinture la perspective : lesarts plastiques du XXe siècle s’en sontaffranchis. Il serait temps que larecherche sur les civilisations anciennesfasse de même.

À la recherche des véritables centreset périphéries, les orateurs pendantdeux jours, se sont consacrés à l’étudede divers domaines au Proche-Orient,en Arménie et Caucase, en Iran, auxIndes et au Japon ; l’après-midi duvendredi a été consacrée tout entière àla recherche linguistique sur leslangues africaines, iraniennes etchinoise, ainsi que celles du Caucase,séances organisées par G. Authier(INALCO et FRE 2454).

Les Actes des deux premières journées(2004, autour de la figure de Salomon,et 2005, sur Contes, proverbes etsagesses) ont été présentés aux audi-teurs qui remplissaient l’amphithéâtreHalbwachs. Les Actes de ces troisièmesjournées sont en train d’être égalementréunis. �

Jean-Marie Durand et Michel Tardieu

«CENTRE ET PÉRIPHÉRIE»

Troisième journée de l’orientalismeCollège de France - Société asiatiqueorganisée par les Prs Jean-Marie Durandet Michel Tardieu31 mai-1er juin 2006

La carte du monde (Mappa Mundi) avecBabylone au centre.

Jacques Glowinski ouvrant les séances.

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Henry Laurens accueillit avecfaveur l’idée, portée par BernardHeyberger (EPHE / Université deTours), d’un colloque célébrant lavie exceptionnelle d’AbrahamEcchellensis (Ibrahîm Al-Hâqilânî).Celui-ci offrait en effet l’occasionde faire se rencontrer des spécia-listes venus de pays différents et dedomaines de compétence rarementrassemblés (l’histoire de la Toscaneet du Liban au XVIIe siècle, la litté-rature syriaque et arabe – musul-mane et chrétienne –, lesmathématiques arabes, les sciencesà Rome au XVIIe siècle...). Laprésence, parmi les organisateurs,de l’Association des Amisd’Abraham Ecchellensis, offrit aucolloque une ouverture vers unpublic plus large, surtout franco-libanais.

Après une première éducation dansun couvent libanais, AbrahamEcchellensis arriva au collègemaronite de Rome en 1620. À sasortie, il remplit des missions mili-taro-commerciales entre Livourneet l’Afrique du Nord, jusqu’en1633. Pendant de brefs retours auLiban, il tenta d’y ouvrir une écoleavec des subventions romaines.

Il commençait parallèlement unecarrière dans l’enseignement etl’érudition. Professeur de languesorientales à Pise, il devint inter-prète, traducteur et enseignantd’arabe et de syriaque au serviced’Urbain VIII et des cardinauxBarberini. Il fut appelé à Paris pourcollaborer à la bible polyglotte en1640-1641. Après un retour à sesfonctions à Rome, il revint à Parisen 1645 pour bénéficier desfaveurs de Mazarin, en occupant

une chaire de syriaque et d’arabeau Collège Royal, qu’il quitta en1651, pour retourner définitive-ment à Rome. Il enseigna ensuiteau Collège Romain, et termina savie en tant que scriptor à laBibliothèque Vaticane, dont ilétablit le premier catalogue desmanuscrits orientaux.

Si le colloque a permis de précisercertains points de cette biographie,il s’est surtout attaché à déterminerla place d’Abraham Ecchellensisdans la « république des lettres »du XVIIe siècle. Les contributeursont en fait passé en revue les prin-cipales thématiques concernant lascience catholique dans la premièrepartie du XVIIe siècle, et procédéà une évaluation de l’apport del’orientalisme dans les controversesreligieuses et érudites de cetteépoque. Alors que la prise deconnaissance de l’histoire et destextes du christianisme orientalétait un enjeu essentiel de l’émula-tion non seulement entre catho-liques et protestants, mais encoreentre centres catholiques rivaux,plusieurs maronites firent carrièredans l’érudition en Europe,employés à identifier et traduire lestextes et à initier aux langues.Parmi eux, Abraham Ecchellensis,au cœur d’un réseau de protecteursprinciers, eut des échanges épisto-laires avec des érudits européens,mais se livra aussi à de violentescontroverses avec des collègues.

L’érudition philologique orienta-liste du XVIIe siècle se fixait deux

objectifs : mettre des ouvragesimprimés faisant autorité entre lesmains des chrétiens arabisants, etdonner accès aux textes orientauxau public savant européen. Lagrande affaire du premierXVIIe siècle était l’édition de labible, avec l’entreprise de la bibleen arabe à Rome, puis de laPolyglotte de Paris (1645).Ecchellensis contribua aux deuxouvrages. Il composa aussi uneméthode pour apprendre la gram-maire syriaque et un dictionnairearabe-latin resté inédit. Mais il futsurtout un traducteur. Il composaaussi quelques œuvres person-nelles, parfois annexées à sestraductions.

La controverse et l’apologétique nese distinguaient guère de l’érudi-tion au XVIIe siècle. AbrahamEcchellensis entendait apporter sacontribution à la défense de la foicatholique contre les protestants endonnant accès au patrimoine chré-tien oriental. De ce point de vue, ilparaît caractéristique de l’éruditioncatholique du XVIIe siècle, quientendait réaffirmer la légitimitéde l’Eglise en exhumant son passépar une méthode rigoureuse, etsurclasser les travaux protestantspar la supériorité de la documen-tation publiée.

Ses origines orientales et arabo-phones l’amenèrent à valoriser laculture des Orientaux face auxmilieux savants européens. Ildonna en traduction plusieursouvrages classiques de la sciencemusulmane médiévale, etcombattit le préjugé selon lequelles musulmans ne s’adonneraientpas aux lettres. Il composa de plusun véritable traité d’anthropologiehistorique sur les Arabes.

En veillant à séparer la culturearabe de la culture musulmane, il

ABRAHAM ECCHELLENSIS, PROFESSEUR AU COLLÈGE ROYAL

(HÂQIL, 1605 – ROME, 1664) ET LA SCIENCE DE SON TEMPS

Colloque organisé par lePr Henry LaurensCollège de France10 juin 2006

N° 18 - LA LETTRE 33

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La première journée internatio-nale d’histoire de la médecineProche Orientale s’est tenue auCollège de France le 23 juin 2006.À l’initiative de la chaired’Assyriologie, deux médecins,Annie Attia et Gilles Buisson,éditeurs du Journal des MédecinesCunéiformes, ont réuni les princi-paux spécialistes européens de ladiscipline devant un auditoirecomposé de médecins, d’historienset de philologues.

Jean-Marie Durand, qui s’esttoujours intéressé à la médecinemésopotamienne, a insisté dansson introduction sur les progrèsrécents dans ce domaine et surl’attrait qu’il exerce sur unnombre grandissant de cher-cheurs.

Les sujets abordés ont été variés :explication philologique de termesrares désignant la maladie (MartenStol, Leyde), interprétation du voca-bulaire de la symptomatologie auregard de leur emploi dans les lettresdu XVIIIe siècle avant notre ère(Martin Worthington, Cambridge),description de la carrière d’unmédecin babylonien à la cour desrois hittites (Nils Heessel,Heidelberg), reconstitution desgestes techniques nécessaires à lapréparation des médicaments(Barbara Böck, Madrid) et présen-tation en avant-première detablettes illustrées de dessins consa-crées au traitement de maladiesneuropsychiatriques (Irving Finkel,Londres) et de nouveaux textesdédiés aux pathologies oculaires(Jeanette Fincke, Leyde). Des spécia-listes de la médecine ancienne ontapporté leur concours : DanielleGourévitch (Paris) a présidé laséance de l’après-midi et PaulDemont (Paris) est venu apporterdes éléments de médecine grecquepouvant intéresser les assyriologues.

La conclusion de ce colloque estrevenue à Markham Geller(Londres).

Cette journée est venue confirmertoute la richesse de la médecinemésopotamienne, ce que lesarchives de Mari avaient déjàmontré, témoignant ainsi d’unepensée médicale scientifique bienantérieure à Hippocrate et à sespairs. �

Jean-Marie Durand

MÉDECINE MÉSOPOTAMIENNE

Colloque organisé par la chaired’AssyriologiePr Jean-Marie DurandCollège de France23 juin 2006

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LA LETTRE - N° 1834

se peut qu’il ait également eu entête les débats, vifs alors enEurope, sur les rapports entrescience et théologie. D’autant plusqu’il collabora avec le professeur« galiléen » de mathématique dePise Giovanni Alfonso Borelli,pour traduire et éditer le traitéd’Apollonius de Perga sur lesConiques (Florence, 1661).

La recherche de la traditionauthentique et du document fiablel’amena de plus à s’intéresser à sapropre communauté maronite. Ilen prit la défense en la situant réso-lument dans l’orthodoxie chalcé-donienne et dans la fidélité à Rome

contre les accusations critiques decertains érudits ou ecclésiastiques.Il contribua ainsi à établir l’histoiredes origines des maronites, tellequ’elle se perpétue jusqu’à nosjours à travers quelques stéréo-types.

Les travaux d’Abraham Ecchellensiset d’autres maronites érudits de sontemps furent utilisés dans les contro-verses théologiques du secondXVIIe siècle. Mais, au début duXVIIIe siècle, la connaissance deslangues orientales était suffisam-ment avancée en Europe pour qu’onpût se passer des « médiateurs »maronites. L’orientalisme s’est

progressivement émancipé de lathéologie pour se constituer enscience sécularisée et autonome. �

Leyla Dakhli

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Werner Heisenberg, dans une confé-rence de 1941, constatait que lemouvement de la science moderne,orienté vers le contrôle et la compré-hension de la nature à l’aide deconcepts abstraits, a depuis longtempstranché en faveur de Newton contreGoethe sur le problème de la naturede la lumière et des couleurs : « Cettebataille est terminée. La décision sur le‘correct’ et l’‘incorrect’ dans toutes lesquestions de détail a depuis longtempsété prise. La théorie des couleurs deGoethe a de bien des façons porté sesfruits dans l’art, la physiologie et l’es-thétique. Mais la victoire, et par consé-quent l’influence sur la recherche dusiècle suivant, ont été celles deNewton. » Les commentateurs d’au-jourd’hui sont cependant, de façongénérale, moins affirmatifs, y comprisquand la question posée est celle desmérites proprement scientifiques dutravail de Goethe – ils ne pensent plustout à fait que la théorie des couleursde Goethe ne pouvait porter de fruitsque dans des domaines comme ceuxde l’art, de la physiologie et de l’es-thétique – et beaucoup moins enclinsà régler le problème en disant que lepoint de vue de l’auteur de laFarbenlehre s’oppose à celui deNewton comme celui du poète à celuidu savant sur un même phénomèneou que Goethe, à la différence deNewton, écrivait en premier lieu pourles peintres, et non pour les physiciens.

Dennis Sepper par exemple, dans unlivre publié en 1988 (Goethe contraNewton, Polemics and the project fora new science of color), va jusqu’àsuggérer que « si Goethe était en vie

pour voir les sciences de la couleurd’aujourd’hui, il approuverait le vasteeffort coopératif, les approches multi-ples, la variété théorique, la spécifica-tion exacte des expériences que l’onfait, le raffinement des instruments etla vigueur de la communication et dudébat scientifiques. En bref, il n’est pasle promoteur d’une science antimo-derne sous les traits duquel il estsouvent dépeint. En fait, je crois queles sciences de la nature ont à certainségards été réorganisées de manièresdont il espérait qu’elles verraient lejour (la plus importante, peut-être,étant la coopération intense descommunautés de chercheurs). »

On peut trouver un peu exagéré l’op-timisme de ces lignes. Mais le sémi-naire organisé cette année en communpar Roland Recht (Histoire de l’arteuropéen médiéval et moderne) etJacques Bouveresse (Philosophie dulangage et de la connaissance) a vouluêtre, et a réussi au moins dans unecertaine mesure à être, une illustrationde cet esprit de coopération nouveau,beaucoup plus conforme à ce quesouhaitait et espérait Goethe quel’image de partialité, de sectarisme,d’agressivité et d’incompétence scien-tifique, pour ne pas dire d’obscuran-tisme pur et simple, qui reste encoreaujourd’hui attachée souvent à laThéorie des couleurs.

Une première journée de ce séminaireavait eu lieu le 25 novembre 2005, (cf.Lettre du Collège de France n° 16 -fév 2006). Les deux autres journéesont eu lieu les 15 et 16 juin 2006.Plusieurs contributions ont porté surles relations entre Goethe et les pein-tres et théoriciens de la couleur desXVIIe et XVIIIe siècles : Nature et effetdes couleurs chez Félibien (OlivierBonfait, INHA), Goethe : historian ofcolor ? (John Gage, Cambridge), Del’essentiel à l’accessoire. Le statut dela couleur dans les écrits sur l’art

(Anne-Marie Lecoq, Collège deFrance), La décomposition de lalumière selon Newton soumise à lacritique de l’expérience des artistes(Christian Michel, Lausanne). Ont étéexaminées également les relationscomplexes entre Goethe et deux de sescontemporains, le peintre et théoricienRunge, et le physicien et philosopheLichtenberg : Runge et Goethe(Roland Recht, Collège de France) etGoethe et Lichtenberg : le bleu du ciel,les ombres colorées et la nature de lacouleur (Jacques Bouveresse, Collègede France). Enfin, plusieurs contribu-tions ont évoqué l’héritage de laThéorie des Couleurs – héritageculturel : Entre Goethe et Newton.Charles Lock Eastlake et les débatssur la couleur en Angleterre,1820-1860 (Pascal Griener, Neufchâtel) ;héritage pictural : Couleur, occultismeet abstraction : Kandinsky et lesFormes-Pensées de Besant etLeadbeater (Didier Semin, ENSBA) ;héritage philosophique : L’expériencede la couleur (John Hyman, Oxford)et Goethe, Wittgenstein et la couleur(Justin Broackes, Brown University). �

Jacques Bouveresseet Jean-Jacques Rosat

LA THÉORIE DES COULEURS DE GOETHE

Entre science, art et philosophie (II)

2e et 3e journée du séminairecommun des chaires d’Histoire del’art européen médiéval et moderneet de Philosophie du langage et dela connaissanceCollège de France15 et 16 juin 2006

Prs Jacques Bouveresse et Roland Recht

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Les séances « académiques » de cecolloque se sont tenues au Collège deFrance les 3, 4 et 6 juillet. Les complé-taient une exposition au Musée gallo-romain de Lyon sur la religion celtique(visitée le 5 juillet par les congressistes)et diverses manifestations au Mont-Beuvray le 7 juillet – rappelons que leCentre archéologique européen deBibracte co-organisait ce colloque avecla chaire des Antiquités nationales duCollège de France.

De 250 à 300 spécialistes (le colloquen’était pas ouvert au public) ontfréquenté l’amphithéâtre Margueritede Navarre. Cinq demi-journées ontété consacrées aux discussions sur lesthèmes abordés, l’année précédente,dans cinq tables-rondes. Les séancesont été présidées par un professeur duCollège et ont été ouvertes par un longrapport présenté par chacun des cinqorganisateurs des tables-rondes :1. Celtes et Gaulois dans l’histoire,l’historiographie et l’idéologiemodernes.Président : Professeur Roland Recht. Rapporteur : Sabine Rieckhoff,Professeur à l’Université de Leipzig.2. La Préhistoire des Celtes.Président : Professeur Jean Guilaine.Rapporteur : Daniele Vitali,Professeur à l’Université de Bologne.3. Les Civilisés et les Barbares.Président : Professeur Pierre Briant.Rapporteur : Miklós Szabó,

Professeur à l’Université EötvösLórand de Budapest.4. Les mutations de la fin de l’Âgedu Fer.Président : Professeur Pierre Toubert.Rapporteur : Colin Haselgrove,Professeur à l’Université de Leicester.5. La romanisation et la question del’héritage celtique.Président : Professeur John Scheid.Rapporteur : Daniel Paunier,Professeur émérite de l’Université deLausanne.

À la suite de chaque rapport, la paroleétait donnée à la salle. Les échangesont été vivants, abondants et fruc-tueux. L’École normale supérieureavait délégué une équipe chargée d’en-registrer les débats, lesquels sontconsultables sur le site de l’ENS,rubrique « diffusion des savoirs ».

L’une des raisons de la réussite ducolloque tient au fait que le Centrearchéologique européen de Bibracteavait mis sur le Net les Actes des cinqtables-rondes de 2005, que chaqueparticipant avait donc pu consulter.Mais, exploit supplémentaire : cinqlivres ont été édités et distribués à tous lesparticipants ! Le Professeur Goudineaua ressenti une profonde émotion lors dela séance inaugurale, quand cesouvrages lui furent remis en hommagede la part de ses collègues. La substancedes débats suscités par les cinq rapportsde synthèse sera publiée ultérieurementen même temps que ceux-ci.

L’exposition de Lyon a fait l’objetd’un volume intitulé Religion etSociété en Gaule, publié sous la direc-

tion de Christian Goudineau,ouvrage qui veut démontrer – commel’exposition elle-même – que les vieuxclichés sur la religion gauloise (lesdruides chenus, la cueillette du gui,les sacrifices humains) doivent êtreabandonnés à la lumière des décou-vertes archéologiques des deuxdernières décennies. La religionceltique était fondée sur des observa-tions savantes et des considérationsastronomiques, elle s’exprimait dansdes rituels et des conduites quiréglaient la vie sociale.

Enfin, pour ceux qui se sont déplacésau Mont-Beuvray, outre la visite duMusée, de la base archéologique et desfouilles, ils auront apprécié les dégus-tations solides et liquides évoquant enpartie l’époque gauloise mais n’ou-bliant pas les mérites de la meilleuregastronomie et de la plus réputée viti-culture de l’actuelle Bourgogne. �

CELTES ET GAULOIS, L’ARCHÉOLOGIE FACE À L’HISTOIRE

Colloque international organisé parla chaire des Antiquités nationaleset le Centre archéologique européende Bibracte - Mont-BeuvrayCollège de France3-7 juillet 2006

Au Mont-Beuvray, reconstitution d’unecuisine gauloise et une friandise à l’escargot !

De gauche à droite : Colin Haselgrove, Miklos Szabo, Sabine Rieckhoff, Vincent Guichard, Directeur Général de Bibracte, Jacques Fournet,Président de Bibracte, Michel Zink, Christian Goudineau, Gilbert Kaenel, Daniel Paunier et Daniele Vitali

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LA LETTRE - N° 1836

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À la fin du mois de septembre 2006,plusieurs événements scientifiquesportant sur l’Iran de la périodesassanide (224-651) se sont tenusconjointement à Paris : une grandeexposition intitulée « Les Persessassanides ou les fastes d’un empireoublié » au Musée Cernuschi, avecla participation du Musée duLouvre et de la Bibliothèque natio-nale de France ; une journée à l’au-ditorium du Louvre le 30 septembredernier rassemblant des chercheursinternationaux et consacrée à « L’artdes Perses sassanides. Nouvellesdécouvertes, réflexions et perspec-tives de recherche ». Le Collège deFrance souhaitait s’associer à cesévénements exceptionnels en orga-nisant le 27 septembre un colloqueen partenariat avec ces institutions,coordonné par le Professeur MichelTardieu (chaire d’Histoire dessyncrétismes de la fin de l’Antiquité,Institut d’Histoire des christianismesorientaux) et Christelle Jullien, cher-cheur de l’UMR 7528 « Mondesiranien et indien ». Le thème retenufut celui des « Controverses deschrétiens dans l’Iran sassanide »,rejoignant deux axes de recherchede cette unité : « Pour une nouvellehistoire de l’Iran sassanide », etd’autre part « Chrétiens en terred’Iran ».

Les organisateurs ont voulu privilé-gier la participation de représentantsde plusieurs disciplines sur ces ques-tions : histoire des idées et desdoctrines, théologie, archéologie,philologie et exégèse, philosophie ;treize conférenciers venusd’Allemagne (Berlin, Tübingen),d’Italie (Pise, Bologne-Ravenne),d’Angleterre (Cambridge, Oxford) etbien sûr de France attestent ainsil’importance de la dimension euro-péenne de cette manifestation et l’in-térêt porté au christianisme oriental.Dans son allocution d’ouverture, leprofesseur M. Tardieu, président duComité scientifique, a mis avecjustesse l’accent sur l’actualité de cedomaine d’étude.

Les communications ont illustré lesderniers développements de larecherche sur la thématique, regrou-pées en quatre sections présidées parles Pr. D. Taylor (Oriental Institute,Oxford) le matin et P.-G. Borbone(Université de Pise) l’après-midi :- Les controverses entre coreligion-naires chrétiens de doctrines etpratiques différentes (syro-orientaux,syro-occidentaux, chalcédoniens).F. Jullien (EPHE V, Paris) a démontrécomment l’engagement dans lacontroverse, en particulier avec leschrétiens syro-orthodoxes, constituaitun enjeu à la fois stratégique et vitalpour la pérennité des communautéssyro-orientales en territoire sassanide.Spécialiste incontestée des questionsdoctrinales dans les Églises orientales,L. Abramowski (Université deTübingen) a donné une analyse croiséedes théologies chalcédonienne etdyophysite à travers l’exemple de

Martyrius/Sahdona. La contributionde E. Hunter (Faculty of OrientalStudies, Cambridge), grâce au supportphotographique, a rendu compte del’étendue et de l’ancrage des commu-nautés chrétiennes dans la région d’al-Hira, éclairant en particulier les liensmonastiques existant entre la ville etNisibe.- Second thème de cette journée : lesrelations des communautés chré-tiennes avec le mazdéisme, religionofficielle de l’empire sassanide.Ph. Gignoux (EPHE V, Paris) amontré comment le polémiste théo-logien mazdéen auteur du ShkandGumânîg Vîzâr (IXe s.) utilisait sesconnaissances des traditions néotes-tamentaires extra-canoniques,notamment apocryphes, pourdéfendre ses positions dualistes.A. Panaino (Université de Bologne-Ravenne) a relu les allusions à lapratique du khwêdôdah dans lessources syriaques et arméniennes ens’interrogeant sur l’incidence destraditions mythologiques dans leregard négatif porté par les chrétiensde Perse sur les lois matrimonialesdes zoroastriens (en particulier chezMâr Aba et Îshô’buxt, qui eurentnéanmoins accès à des sourcesiraniennes directes). À partir d’untexte arabe du IXe s. dont Dinawaria laissé un récit abrégé, A. Schilling(Université de Tübingen) s’est arrêtésur la notion de théologie politiquedans la représentation des souverainssassanides (spécialement Ardashir),considérés comme successeurs directsdes mages évangéliques. - Trois autres communications ontpermis d’aborder la thématique sousl’angle des discussions entre chré-tiens et autres minorités religieusesdu monde iranien : manichéens,juifs, baptistes de diversesmouvances, et d’en souligner lesenjeux historiques. Ainsi pour lacommunauté chrétienne de Harranau IVe siècle marginalisée face à unpaganisme influent (étude des ActaArchelai par M. Scopello, CNRS,

CONTROVERSES DES CHRÉTIENS DANS L’IRAN SASSANIDE

Colloque organisé par la chaired’Histoire des syncrétismes de la finde l’Antiquité et l’UMR 7528« Mondes iranien et indien »Collège de France27 septembre 2006

Pr Michel Tardieu

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Paris), ou pour l’Église mésopota-mienne d’Aphraate, le Sage perse,confrontée à même époque à unjudaïsme attrayant et dynamique(M.-J. Pierre, EPHE V, Paris).U. Schattner (Institut Catholique,Paris) a présenté quelques élémentsanti-chrétiens chez les mandéens dela région mésénienne.

La dernière partie de cette journée-colloque a ouvert le thème auxespaces-frontières, zones d’influencede l’aire sassanide. À l’appui dequelques textes hagiographiques géor-giens, B. Martin-Hisard (UniversitéParis I) a relevé l’absence de débat reli-

gieux au-delà des nombreuses conver-sions de chrétiens au zoroastrismesilence qu’explique un christianisme– aussi la volonté d’une stabilité poli-tique et économique de ces commu-nautés d’Ibérie. C. Reck (Akademieder Wissenschaften, Berlin) a présentéles fragments de manuscrits chrétienssogdiens de Tourfan conservés àBerlin. Le professeur M. Tardieu(Collège de France, Paris) a replacé letexte de l’inscription de la stèle deXi’an dans le contexte de la polé-mique suscitée au XVIIe s. quant à sateneur nestorienne ; il a proposé unenouvelle lecture du schème hérésiolo-gique de désignation des adversaires,montrant de manière convaincanteque le contenu dogmatique ferait allu-sion non pas aux religions tradition-nelles rencontrées en Chine par lesmissionnaires, mais plutôt au paysagereligieux interne de ces chrétiens syro-orientaux venus de Perse. La commu-nication de J. Gernet (Académie desInscriptions et Belles Lettres), en colla-boration avec la précédente, a insisté

sur les aspects juridiques et sociauxde la présence nestorienne en Chineau VIIIe siècle.

Les interprétations exégétiques, lesétudes méthodologiques des procédéshérésiologiques et les questionne-ments soulevés au cours de cettejournée auront montré la richesse dela thématique choisie ; l’un desmérites de ce colloque fut sans doutede mettre en lumière la contributionde ces communautés chrétiennesétablies entre Euphrate et Indus àl’histoire des courants intellectuels del’Antiquité tardive.

Les actes de cette journée serontpubliés dans les Cahiers de StudiaIranica série « Chrétiens en terred’Iran » (diffusion Peeters, LouvainParis). �

Florence Jullien

Pr Jacques Gernet

Les 4, 5 et 6 octobre 2006 s’esttenu au Collège de France uncolloque international sur le thème« L’argument de la filiation auxfondements des sociétés euro-péennes et méditerranéennesanciennes et actuelles », organisépar P. Bonte (directeur de rechercheau CNRS), E. Porqueres i Gené(maître de conférences à l’EHESS)et J. Wilgaux (maître de confé-rences à l’Université de Nantes)sous le patronage de P. Descola,F. Héritier et J. Scheid, professeursau Collège de France, et grâce ausoutien du CNRS, de l’EHESS, dulaboratoire LAIOS dirigé parM. Abéles, de la MSH, et duCentre culturel franco-norvégien.

Les travaux du colloque ont mis enavant l’évolution des études sur cethème classique de la parenté. Sansnégliger les caractères formels dessystèmes de filiation, elles privilé-gient désormais l’analyse des déter-minations normatives, symboliqueset en définitive culturelles, dans uneperspective historique et interdisci-plinaire qui a présidé à l’organisa-tion du colloque. Nous enproposons un bref parcours.

Une première série de communica-tions a montré les difficultés quepose l’explication de la dynamiquedes groupes à l’aide des seuls faitsde filiation, au cœur pourtant desdiscours dominants. Comme l’amontré la communication deR. Bizzocchi, les pratiquesitaliennes du sisisbeo, attribuant unchevalier servant aux dames

nobles, révèlent comment l’affir-mation d’une stricte continuitébiologique et lignagère patrilinéairepeut s’accommoder de pratiquessexuelles assurant la naissanced’une descendance. Dans le mêmeordre d’idées, les présentations deM. Vartejanu-Joubert et deH. Benkheira, se sont intéressées àla place que les droits talmudiqueet musulman accordent au donnébiologique dans l’agencement dubon ordre matrimonial.

Les dimensions sacrées de la parentéont également été explorées. Lesfiliations divines du Christ, sonincarnation dans le sein virginal deMarie ont par exemple retenu l’at-tention. Tant les débats médiévauxsur les conception miraculeuses,étudiés par M. Van der Lugt, quel’importance de la médiation

L’ARGUMENT DE LA FILIATION AUX FONDEMENTS DES SOCIÉTÉS

EUROPÉENNES ET MÉDITERRANÉENNES ANCIENNES ET ACTUELLES

Colloque internationalCollège de France4-6 octobre 2006

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LA LETTRE - N° 1838

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mariale dans la constitution d’unDieu Homme portant en lui la divi-nité et pourtant soumis à la mort,ont permis d’explorer les bases dudiscours qui fait des chrétiens les filsde Dieu. L’alliance entre Dieu et leshommes, et les représentations quil’accompagnent, a permis àE. Porqueres i Gené d’explorer leslogiques cognatiques chrétiennes dela parenté occidentale. Le thème dusacrifice d’Abraham, sacrifice dupremier né appelé à diverses inter-prétations au sein des différentesreligions du livre, a égalementfourni des outils conceptuels àP. Bonte. Par ailleurs, l’effacementdu féminin dans le temps révolu despatriarches ante-islamiques a permisà E. Conte de mieux comprendredes dynamiques matrimoniales enmilieu musulman, trop souventexpliquées en fonction de la seulenorme du mariage avec la fille dufrère du père. Ces réflexions ont étépoursuivies par S. Walentowitz,dans le cadre d’une communicationconsacrée au système de parentétouareg, dont l’interprétation doitaccorder une place centrale aucouple adelphique frère-sœur.

Le lien entre mythe fondateur etfiliation a été analysé dans lemonde romain, à travers le sensparadoxal de l’adoption du fonda-teur Romulus tel qu’il a été étudiépar Ph. Moreau ; dans le contextemésopotamien, à travers l’exposéde J.-J. Glassner, soulignant l’ins-cription du droit héréditaire dansune monarchie par ailleurs élective.J. Scheid et J. Svenbro ont pourleur part abordé l’étude philolo-gique et sémiologique de l’organi-sation du panthéon divin dans lecontexte grec et romain.

Toujours dans le registre de ladimension politique de la filiation,l’efficacité du registre filiatif àstructurer un champ largementouvert aux événements extérieurs,nous a permis de nouer un lien avecla contemporanéité la plus immé-diate dans l’exposé de M. Abélès.

La force idéologique de la filiationa également été au centre de laprésentation de V. Laurand sur lathéorie stoïcienne de l’engendre-ment. Par ailleurs, l’étude parJ. Wilgaux des groupementssociaux athéniens nous a permis depoursuivre notre déconstructiondes discours filiatifs. De même, laprésentation de P. de Montanerd’accusations, courantes dansl’Europe moderne non hispanique,concernant l’éventuelle présence deJuifs dans l’ascendance de person-nages publics a attiré l’attention surle besoin d’explorer ce système declassification généalogique afin demieux situer l’émergence desdiscours racistes du XIXe siècle. Enfait, l’inscription de la hiérarchiedans un discours généalogique estsouvent apparue comme performa-tive, justifiant ainsi a priori lesévénements dont il s’agit de rendrecompte. Un bon exemple en a étéfourni par les usages de la généa-logie dans le récit de l’Iliade étudiéspar P. Brulé.

L’analyse des évolutions contem-poraines nous a confronté auxenjeux suscités par le besoin expli-cite de fabriquer artificiellementune filiation, diverses communica-tions mettant en parallèle adoptionet nouvelles technologies deprocréation. C. Fortier a ainsimontré que le contexte musulmansunnite tolère les aides médicales àl’engendrement supposant sépara-tion entre sexualité et procréation,mais se montre hostile à la recon-naissance de tout apport extérieurau couple conjugal pour fabriquerun enfant légitime. La sociéténorvégienne, étudiée parM. Melhuus, sacralise de son côtéla naturalité des liens filiatifs et serefuse à dissocier les différentséléments définissant la maternité(la production de gamètes, lagestation et l’accouchement). Ledon d’ovocytes en Espagne,présenté par J. Bestard à partir deses données de terrain sur descliniques de fécondation artifi-

cielle, a permis d’aborder la ques-tion du statut ontologique de la« vérité biologique » de la filiation.La force des images associées à lafiliation nous dit beaucoup de celledes systèmes de classification quidonnent un fondement naturel àleur légitimité. C’est dans cecontexte que l’intervention deL. Brunet sur les évolutions dudroit français contemporain acontribué à mieux poser les équili-bres auxquels la filiation esttoujours soumise, tiraillée entre lareconnaissance d’évidences appré-hendées comme naturelles et l’af-firmation du caractère premier deliens socialement acquis, construitspar les institutions. �

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Ce colloque international a été consacréaux archives élamites découvertes àPersépolis entre 1933 et 1938 par lamission américaine, et depuis lors conser-vées en partie au musée de Téhéran, enpartie à l’Oriental Institute de Chicago.Déjà engagé profondément dans desrecherches sur cette documentation, lenouveau maître de conférences associé,Wouter Henkelman, a contribué à l’or-ganisation scientifique. Du côté de l’or-ganisation logistique, le travail a été prisen charge par Salima Larabi, assistantedu Pr Briant. En raison de la place parti-culière dans le travail d’édition que tientdepuis plus d’un demi-siècle l’OrientalInstitute, l’Université de Chicago à Parisnous a offert l’hospitalité lors de lapremière journée ; les autres sessions sesont déroulées au Collège.

L’annonce de la découverte de milliersde tablettes d’argile lors des fouillesmenées à Persépolis, au printemps 1933,avait fait naître immédiatement l’espoird’une nouvelle vision de l’histoire impé-riale achéménide, – une vision déve-loppée à partir du pays perse lui-même.La publication d’une partie des tablettesdes fortifications de Persépolis, parRichard T. Hallock, en 1969, inauguraune transformation décisive de presquechaque secteur des études achéménides,qu’il s’agisse de l’organisation sociale, dela géographie politique, de la religion, de

la langue et des échanges, ou encore del’interprétation d’autres sources aché-ménides, etc.

En raison des formidables problèmesphilologiques et épigraphiques, mais plusencore sans doute en raison des implica-tions vastes et diverses, il y a peu deprésentations exhaustives qui offrent uneintroduction sûre à l’ensemble ainsidécouvert, et qui explicitent lesproblèmes de fond posés par la mise aujour des inférences historiques. LeColloque organisé au Collège de Francevisait à faire le point de la question.

Les problèmes fondamentaux relèvent dedeux thèmes liés l’un à l’autre : les tech-niques mêmes de l’archivage (circulationde l’information et des registres, règlessuivies pour l’audit et l’archivage, etc.), etle contexte institutionnel (les techniquesadministratives, la hiérarchie des prisesde décision, les règles de contrôle, etc.).Après des introductions par P. Briant(Collège de France), W. Henkelman(Collège de France) et M. Stolper(Chicago), une partie des communica-tions ont pris pour objet les archives dePersépolis proprement dites : M. Stolpera fait connaître l’existence d’une tabletteécrite en cunéiforme vieux perse (ce quiest une grande nouveauté) ; A. Azzoni(Vanderbilt University) a présenté lestablettes araméennes ; M Garrison(Austin, Texas) a introduit les tablettesanépigraphes ; lui-même et M. C. Root(Ann Arbor) ont donné des vuesnouvelles sur les sceaux et empreintes ;M. Brosius (Newcastle) a offert un pointde vue sur l’usage de l’araméen dans l’en-semble de l’empire, et D. Potts (Sydney)a mis en évidence les problèmes liés à lareconstitution de la route Suse-Persépolis ;C. Tuplin (Liverpool) et J. Tavernier(Leuven) ont proposé des analyses spéci-fiques, respectivement sur des aspectsstatistiques et sur le multilinguisme.M. Stolper, Ch. Jones (Athènes) et G.Gragg (Chicago) ont présenté unedémonstration du site-web OCHRE, où

une base de données est dédiée auxtablettes de Persépolis (en construction).

Les autres communications se sont atta-chées à d’autres archives connues, demanière à mener des réflexions compa-ratistes : archives mycéniennes(Fr. Rougemont-CNRS) ; archives néo-assyriennes (K. Radner-London ;M. Fales-Udine), babyloniennes(F. Joannès-Paris-I ; M. Jursa-Wien ;B. Jankovic-Wien), araméo-bactriennes(S. Shaked-Jérusalem), démotiques égyp-tiennes (M. Chauveau-EPHE).

Les conclusions générales ont été tiréespar A. Kuhrt (University CollegeLondon). Les Actes seront publiés en2007 par P. Briant et W. Henkelmandans la Collection Persika.

Par ailleurs, le lundi 6 novembre s’esttenue au Collège la réunion constitutived’un Comité éditorial international,chargé de donner des avis sur le travail depublication et son organisation ; P. Briantet W. Henkelman en sont membres, et ilest projeté également d’y associer étroite-ment les programmes Internet ache-menet.com et Musée achéménide virtuel,qui, à côté d’autres média, pourront servirde lieux de publication des textes et desimages, à travers la base de données et lesautres outils informatiques déjà élaboréspar J. Paumard et Ph. Bertin.�

LES ARCHIVES DES FORTIFICATIONS DE PERSÉPOLIS

Colloque organisé par la chaired’Histoire et civilisation du mondeachéménide et de l’empired’Alexandre et le GDR 25383-4 novembre 2006

M. Chauveau et le Pr Pierre Briant W. Henkelman et A. Azzoni

Les archives des fortifications de Persépolis dans le contexte de l’empire achéménide et deses prédécesseurs.

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LA LETTRE - N° 1840

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Depuis 2000, l’Inserm affirme savolonté de saluer chaque année lestravaux d’excellence réalisés dansses laboratoires et services.

Le Grand Prix Inserm de larecherche médicale rend hommage àun acteur de la recherche scienti-fique française dont les travaux ontpermis des progrès remarquablesdans la connaissance de la physio-logie humaine, en thérapeutique, et,plus largement, dans le domaine dela santé.

Les Prix de recherche distinguentdes chercheurs, enseignants-cher-cheurs, dont les travaux ont parti-culièrement marqué le champ de la

recherche fondamentale, de larecherche clinique et thérapeutiqueet de la recherche en santé publique.

Les Prix de l’innovation récompen-sent des ingénieurs, techniciens ouadministratifs pour des réalisationsoriginales au service de l’accompa-gnement de la recherche.

Un Prix d’honneur et un Prixétranger témoignent de la carrière etde l’œuvre de personnalités scienti-fiques de l’Institut et de la commu-nauté internationale particulièrementéminentes.

En honorant ces talents, souventmal connus du grand public commede la communauté scientifique elle-même, l’Inserm entend montrer ladiversité et la richesse des métiersqui font la recherche biologique,médicale et en santé aujourd’hui,

ainsi que la créativité et la passiondes hommes et des femmes qui laportent et l’animent au quotidien.Ces distinctions individuelles sontaussi une reconnaissance du savoir-faire, de l’implication et de la téna-cité d’équipes entières qui, autravers de la trace laissée par unseul, s’inscrivent elles aussi dansl’histoire de la connaissance.

Emblématiques de l’excellence del’Inserm, ces prix montrent lacontribution majeure de l’Institut àla connaissance du vivant, ainsi qu’àla recherche de moyens concretspour dépister, prévenir, diagnosti-quer et soigner toutes les maladieshumaines. Ils apportent la preuveque, chaque année, ces maladiesreculent, et que la qualité de vie desindividus et la santé des populationss’améliorent. �

PRIX INSERM 2006

Cérémonie de remise des PrixINSERM17 octobre 2006

Lauréats 2006

Pierre Corvol, Zhu Chen, Ketty Schwartz, Christian Roux, Marina Cavazzana-Calvo, Antoine Flahault, Franck Letourneur, Philippe Rostaing, Yara Barreira

� Grand Prix Inserm de la recherche médicale : PIERRE CORVOL, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire deMédecine expérimentale, Directeur de l’unité Inserm 36, médecin à l’hôpital européen Georges-Pompidou

� Prix étranger : ZHU CHEN, vice-président de l’Académie des Sciences de Chine, Directeur du Centre national chinois dugénome humain et de l’Institut d’hématologie (Shanghai)

� Prix d’honneur : KETTY SCHWARTZ, directrice de recherche émérite au CNRS, ancienne directrice de la recherche auministère de la Recherche, président du conseil scientifique de l’AFM.

� Prix recherche - Physiologie/Physiopathologie : CHRISTIAN ROUX, fondateur du Laboratoire de traitement de l’informa-tion médicale, professeur à l’École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne.

� Prix recherche - Clinique et thérapeutique : MARINA CAVAZZANA-CALVO, Directrice du département de biothérapie del’hôpital Necker-Enfants malades et chef d’équipe dans l’unité Inserm 768

� Prix Recherche - Santé publique : ANTOINE FLAHAULT, chef de service de santé publique à l’hôpital Tenon, chercheur àl’unité Inserm 707, enseignant en épidémiologie à la faculté Pierre-et-Marie-Curie.

� Prix Innovation - Méthodologie : FRANCK LETOURNEUR, direction de la plateforme génomique et transcriptomique del’Institut Cochin.

� Prix Innovation - Accompagnement à la recherche : PHILIPPE ROSTAING, membre de l’unité Inserm 789, direction de laplateforme de microscopie électronique du département de biologie de l’École normale supérieure.

� Prix Innovation - Gestion de la recherche : YARA BARREIRA, ingénieur de recherche Inserm, enseignant à l’université Paul-Sabatier et à l’École nationale vétérinaire de Toulouse.

N° 18 - LA LETTRE 41

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Lundi 23 octobre 2006, dans lehall du lycée Le Corbusier àAubervilliers, M. Jean-PierreVernant a donné une conférencesur L’Odyssée d’Homère, dans lecadre des Lundis du Collège deFrance autour des « Classiques dela mémoire humaine ». En fran-chissant – comme son héros – leslimites imposées par sa santé, Jean-Pierre Vernant a été fidèle auxjeunes, aux amis, aux collègues quise sont recueillis autour de lui,pour l’écouter et pour le remercierde son témoignage courageux,plein d’humanité et de dignité. Saparole retrouvait tous les Ulyssesqu’elle nous a dépeints, et cedernier, le plus recueilli, ce « vieuxmendiant » qui rentre enfin chez

soi afin que l’Ulysse-personne,l’Ulysse de la ruse, redevienneUlysse en personne. Ce fut leparcours discret, doux et mélanco-lique, de la mémoire, le bilan d’unevie que nous ne pouvons résumerqu’en faisant recours à la parolemême de Vernant, en citant ici l’undes paragraphes de son essai Lamort dans les yeux (Paris,Hachette, 1985), paragraphe quijustifie toutes nos intentions etnotre projet à Aubervilliers :

« Non que les Grecs soient unmodèle et qu’on puisse transposer,quelle qu’en soit la tentation s’agis-sant d’un problème à tant d’égardsactuel, leur démarche à la nôtre.Mais parce que la distance fait voirplus clairement que si tout groupehumain, toute société, touteculture se pense et se vit comme lacivilisation dont il faut maintenirl’identité et assurer la permanencecontre les irruptions du dehors etles pressions internes, chacune est

aussi confrontée au problème del’altérité, dans la variété de sesformes : depuis la mort, l’Autreabsolu, jusqu’à ces altérations quicontinûment se produisent dans lecorps social avec le flux des géné-rations, en faisant leur place aussiaux nécessaires contacts, auxéchanges avec l’‘étranger’, dontaucune cité ne peut se passer. Orles Grecs ont, dans leur religion,exprimé ce problème en luidonnant toutes ses dimensions, – ycompris philosophique, celle quePlaton développera : le Même nese conçoit et ne se peut définir quepar rapport à l’Autre, à la multi-plicité des autres. Si le Même resterefermé sur lui-même, il n’y a pasde pensée possible. Il faut ajouter :pas de civilisation non plus. ». �

contact : [email protected]

CONFÉRENCES

COLLÈGE DE FRANCE / MAIRIE D’AUBERVILLIERS

Conférence deJean-Pierre Vernant au

Lycée Le Corbusierd’Aubervilliers

L’Odyssée

� Le chevalier qui rêve : Don QuichotteFrancisco Jarauta (Professeur à l’Université de Murcia –Espagne)lundi 5 février 2007, à 19h00, au Théâtre équestre ZingaroProjection en avant-première du film Quijote deMimmo Paladino (présenté à la dernière Mostra de Venise)

� Une parole universelle : Victor HugoMax Milner (Professeur émérite Université de Paris III-Sorbonne)lundi 19 mars 2007, à 19h00, à l’Espace Fraternité d’AubervilliersAtelier-théâtre du Lycée Le Corbusier

� L’autre Europe : Ivo AndricPredrag Matvejevic (Professeur à l’Université de Rome-La Sapienza)

lundi 2 avril 2007, à 19h00, au Lycée Le Corbusier d’AubervilliersConcert par l’orchestre symphonique des étudiants de IIIe Cyclespécialisé du Conservatoire National de Région Aubervilliers-La Courneuve, sous la direction de Paul-Emmanuel Thomas

� Concert, le mardi 3 avril 2007, à 17 heures, au Collège deFrance, par les étudiants de IIIe Cycle spécialisé duConservatoire National de Région Aubervilliers-La Courneuve.

� Notre besoin de RimbaudYves Bonnefoy (Professeur honoraire au Collège de France)lundi 11 juin 2007, à 19h00, au Théâtre de la Commune d’AubervilliersLecture dirigée par Didier Bezace, Directeur du Théâtre : « Lettres de Rimbaud à sa mère »

Programme 2007

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Jean-Pierre Serre, Professeur au Collègede France, titulaire de la chaire d’Algèbre

et géométrie de 1956 à 1994.

J.-P. SERRE : UN MATHÉMATICIEN AU COLLÈGE DE FRANCE

N° 18 - LA LETTRE

Vous avez enseigné au Collège deFrance de 1956 à 1994, dans lachaire d’Algèbre et Géométrie. Quelsouvenir en gardez-vous ?

J’ai occupé cette chaire pendant 38 ans.C’est une longue période, mais il y a desprécédents : si l’on en croit l’Annuaire duCollège de France, au XIXesiècle, la chairede physique n’a été occupée que par deuxprofesseurs : l’un est resté 60 ans, l’autre40. Il est vrai qu’il n’y avait pas de retraiteà cette époque et que les professeursavaient des suppléants (auxquels ilsversaient une partie de leur salaire).

Quant à mon enseignement, voici ce quej’en disais dans une interview de 1986(1) :« Enseigner au Collège est un privilègemerveilleux et redoutable. Merveilleux àcause de la liberté dans le choix des sujetset du haut niveau de l’auditoire : cher-cheurs au CNRS, visiteurs étrangers, collè-gues de Paris et d’Orsay – beaucoup sontdes habitués qui viennent régulièrementdepuis cinq, dix ou même vingt ans.Redoutable aussi : il faut chaque année unsujet de cours nouveau, soit sur ses propresrecherches (ce que je préfère), soit sur cellesdes autres ; comme un cours annuel dureenviron vingt heures, cela fait beaucoup!»

Comment s’est passée votre leçoninaugurale ?

À mon arrivée au Collège, j’étais un jeunehomme de trente ans. La leçon inaugurale

m’apparaissait presque comme un orald’examen, devant professeurs, famille,collègues mathématiciens, journalistes,etc. J’ai essayé de la préparer. Au boutd’un mois, j’avais réussi à en écrire unedemi-page.

Arrive le jour de la leçon, un momentassez solennel. J’ai commencé par lire lademi-page en question, puis j’ai impro-visé. Je ne sais plus très bien ce que j’ai dit(je me souviens seulement avoir parlé del’Algèbre, et du rôle ancillaire qu’elle joueen Géométrie et en Théorie desNombres). D’après le compte-rendu parudans le journal Combat, j’ai passé montemps à essuyer machinalement la tablequi me séparait du public ; je ne me suissenti à l’aise que lorsque j’ai pris en mainun bâton de craie et que j’ai commencé àécrire sur le tableau noir, ce vieil ami desmathématiciens.

Quelques mois plus tard, le secrétariatm’a fait remarquer que toutes les leçonsinaugurales étaient rédigées et que lamienne ne l’était pas. Comme elle avait étéimprovisée, j’ai proposé de la recom-mencer dans le même style, en me remet-tant mentalement dans la même situation.Un beau soir, on m’a ouvert un bureau duCollège et l’on m’a prêté un magnéto-phone. Je me suis efforcé de recréer l’at-mosphère initiale, et j’ai refait une leçonsans doute à peu près semblable à l’origi-nale. Le lendemain, j’ai apporté le magné-tophone au secrétariat ; on m’a dit que

l’enregistrement était inaudible. J’ai estiméque j’avais fait tout mon possible et jem’en suis tenu là. Ma leçon inauguraleest restée la seule qui n’ait jamais étérédigée.

En règle générale, je n’écris pas mesexposés ; je ne consulte pas mes notes (et,souvent, je n’en ai pas). J’aime réfléchirdevant mes auditeurs. J’ai le sentiment,lorsque j’explique des mathématiques, deparler à un ami. Devant un ami, on n’apas envie de lire un texte. Si l’on a oubliéune formule, on en donne la structure ;cela suffit. Pendant l’exposé j’ai en têteune quantité de choses qui me permet-traient de parler bien plus longtemps queprévu. Je choisis suivant l’auditoire, etl’inspiration du moment.

Seule exception : le séminaire Bourbaki,où l’on doit fournir un texte suffisammentà l’avance pour qu’il puisse être distribuéen séance. C’est d’ailleurs le seul séminairequi applique une telle règle, très contrai-gnante pour les conférenciers.

Quel est la place de Bourbaki dansles mathématiques françaises d’au-jourd’hui ?

C’est le séminaire qui est le plus intéres-sant. Il se réunit trois fois par an, en mars,mai et novembre. Il joue un rôle à la foissocial (occasion de rencontres) et mathé-matique (exposé de résultats récents– souvent sous une forme plus claire que

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1. M.Schmidt, Hommes de Science, 218-227, Hermann, Paris, 1990.

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celle des auteurs) ; il couvre toutes lesbranches des mathématiques.

Les livres (Topologie, Algèbre, Groupesde Lie, ...) sont encore lus, non seulementen France, mais aussi à l’étranger.Certains de ces livres sont devenus desclassiques : je pense en particulier à celuisur les systèmes de racines. J’ai vu récem-ment (dans le Citations Index del’AMS(2)) que Bourbaki venait au 6e rang(par nombre de citations) parmi lesmathématiciens français (de plus, auniveau mondial, les nos 1 et 3 sont desFrançais, et s’appellent tous deux Lions :un bon point pour le Collège). J’ai gardéun très bon souvenir de ma collabora-tion à Bourbaki, entre 1949 et 1973. Ellem’a appris beaucoup de choses, à la foissur le fond (en me forçant à rédiger deschoses que je ne connaissais pas) et sur laforme (comment écrire de façon à êtrecompris). Elle m’a appris aussi à ne pastrop me fier aux « spécialistes ».

La méthode de travail de Bourbaki estbien connue : distribution des rédactionsaux différents membres et critique destextes par lecture à haute voix (ligne àligne : c’est lent mais efficace). Lesréunions (les « congrès ») avaient lieu3 fois par an. Les discussions étaient trèsvives, parfois même passionnées. En fin decongrès, on distribuait les rédactions à denouveaux rédacteurs. Et l’on recommen-çait. Le même chapitre était souventrédigé quatre ou cinq fois. La lenteur duprocessus explique que Bourbaki n’aitpublié finalement qu’assez peu d’ouvragesen quarante années d’existence, depuis lesannées 1930-1935 jusqu’à la fin desannées 1970, où la production a décliné.

En ce qui concerne les livres eux-mêmes,on peut dire qu’ils ont rempli leurmission. Les gens ont souvent cru que ceslivres traitaient des sujets que Bourbakitrouvait intéressants. La réalité est diffé-rente : ses livres traitent de ce qui est utilepour faire des choses intéressantes. Prenezl’exemple de la théorie des nombres. Lespublications de Bourbaki en parlent trèspeu. Pourtant, ses membres l’appréciaient

beaucoup, mais ils jugeaient que cela nefaisait pas partie des Éléments : il fallaitd’abord avoir compris beaucoup d’al-gèbre, de géométrie et d’analyse.

Par ailleurs, on a souvent imputé àBourbaki tout ce que l’on n’aimait pasen mathématiques. On lui a reprochénotamment les excès des « mathsmodernes » dans les programmesscolaires. Il est vrai que certains respon-sables de ces programmes se sontréclamés de Bourbaki. Mais Bourbakin’y était pour rien : ses écrits étaientdestinés aux mathématiciens, pas auxétudiants, encore moins aux adolescents.Notez que Bourbaki a évité de seprononcer sur ce sujet. Sa doctrine étaitsimple : on fait ce que l’on choisit de faire,on le fait du mieux que l’on peut, mais onn’explique pas pourquoi on le fait. J’aimebeaucoup ce point de vue qui privilégie letravail par rapport au discours – tant piss’il prête parfois à des malentendus.

Comment analysez-vous l’évolutionde votre discipline depuis l’époque devos débuts ? Est-ce que l’on fait desmathématiques aujourd’hui commeon les faisait il y a cinquante ans ?

Bien sûr, on fait des mathématiquesaujourd’hui comme il y a cinquante ans !Évidemment, on comprend davantagede choses ; l’arsenal de nos méthodes aaugmenté. Il y a un progrès continu. (Ouparfois un progrès par à-coups : certainesbranches restent stagnantes pendant unedécade ou deux, puis brusquement seréveillent quand quelqu’un introduit uneidée nouvelle.)

Si l’on voulait dater les mathématiques« modernes » (un terme bien dangereux),il faudrait sans doute remonter aux envi-rons de 1800 avec Gauss.

Et en remontant plus loin, si vousrencontriez Euclide, qu’auriez-vousà vous dire ?

Euclide me semble être plutôt quelqu’unqui a mis en ordre les mathématiques de

son époque. Il a joué un rôle analogue àcelui de Bourbaki il y a cinquante ans. Cen’est pas par hasard que Bourbaki achoisi d’intituler ses ouvrages Élémentsde mathématique : c’est par référence auxEléments d’Euclide. (Notez aussi que« Mathématique » est écrit au singulier.Bourbaki nous enseigne qu’il n’y a pasplusieurs mathématiques distinctes, maisune seule mathématique. Et il nous l’en-seigne à sa façon habituelle : pas par degrands discours, mais par l’omissiond’une lettre à la fin d’un mot.)

Pour en revenir à Euclide, je ne pense pasqu’il ait produit des contributions réelle-ment originales. Archimède serait uninterlocuteur plus indiqué. C’est lui legrand mathématicien de l’Antiquité. Il afait des choses extraordinaires, aussi bienen mathématique qu’en physique.

En philosophie des sciences, il y aun courant très fort en faveur d’unepensée de la rupture. N’y a-t-il pasde ruptures en mathématiques ? Ona décrit par exemple l’émergence dela probabilité comme une manièrenouvelle de se représenter le monde.Quelle est sa signification en mathé-matiques ?

Les philosophes aiment bien parler de« rupture ». Je suppose que cela ajouteun peu de piment à leurs discours. Je nevois rien de tel en mathématique : ni cata-strophe, ni révolution. Des progrès, oui,je l’ai déjà dit ; ce n’est pas la même chose.Nous travaillons tantôt à de vieilles ques-tions, tantôt à des questions nouvelles. Iln’y a pas de frontière entre les deux. Il ya une grande continuité entre les mathé-matiques d’il y a deux siècles et celles demaintenant. Le temps des mathémati-ciens est la « longue durée » de feu moncollègue Braudel.

Quant aux probabilités, elles sont utilespour leurs applications à la fois mathé-matiques et pratiques ; d’un point de vuepurement mathématique, elles consti-tuent une branche de la théorie de lamesure. Peut-on vraiment parler à leur

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2. AMS : American Mathematical Society.

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sujet de « manière nouvelle de se repré-senter le monde » ? Sûrement pas enmathématique.

Est-ce que les ordinateurs changentquelque chose à la façon de faire desmathématiques ?

On avait coutume de dire que les recher-ches en mathématiques étaient peucoûteuses : des crayons et du papier, etvoilà nos besoins satisfaits. Aujourd’hui,il faut ajouter les ordinateurs. Cela restepeu onéreux, dans la mesure où lesmathématiciens ont rarement besoin deressources de calcul très importantes. À ladifférence, par exemple, de la physiquedes particules, dont les besoins en calculsont à la mesure des très grands équipe-ments nécessaires au recueil des données,les mathématiciens ne mobilisent pas degrands centres de calcul.

En pratique, l’informatique change lesconditions matérielles du travail desmathématiciens : on passe beaucoup detemps devant son ordinateur. Il a diffé-rents usages. Tout d’abord, le nombre desmathématiciens a considérablementaugmenté. À mes débuts, il y a 55 ou60 ans, le nombre des mathématiciensproductifs était de quelques milliers (dansle monde entier), l’équivalent de la popu-lation d’un village. À l’heure actuelle, cenombre est d’au moins 100 000 : uneville. Cet accroissement a des consé-quences pour la manière de se contacteret de s’informer. L’ordinateur et Internetaccélèrent les échanges. C’est d’autantplus précieux que les mathématiciens nesont pas ralentis, comme d’autres, par letravail expérimental : nous pouvonscommuniquer et travailler très rapide-ment. Je prends un exemple. Un mathé-maticien a trouvé une démonstrationmais il lui manque un lemme de naturetechnique. Au moyen d’un moteur derecherche – comme Google – il repère descollègues qui ont travaillé sur la questionet leur envoie un e-mail. De cette manière,il a toutes les chances de trouver enquelques jours ou même en quelquesheures la personne qui a effectivementdémontré le lemme dont il a besoin. (Bienentendu, ceci ne concerne que des

problèmes auxiliaires : des points de détailpour lesquels on désire renvoyer à desréférences existantes plutôt que de refairesoi-même les démonstrations. Sur desquestions vraiment difficiles, mon mathé-maticien aurait peu de chances de trouverquelqu’un qui puisse lui venir en aide.)

L’ordinateur et Internet sont donc desoutils d’accélération de notre travail. Ilspermettent aussi de rendre les manuscritsaccessibles dans le monde entier, sansattendre leur parution dans un journal.C’est très pratique. Notez que cette accé-lération a aussi des inconvénients. Lecourrier électronique produit descorrespondances informelles que l’onconserve moins volontiers que le papier.On jette rarement des lettres alors quel’on efface ou l’on perd facilement les e-mails (quand on change d’ordinateur, parexemple). On a publié récemment (enversion bilingue : français sur une page, etanglais sur la page d’en face) macorrespondance avec A. Grothendieckentre 1955 et 1987 ; cela n’aurait pas étépossible si elle avait été électronique.

Par ailleurs, certaines démonstrations fontappel à l’ordinateur pour vérifier une sériede cas qu’il serait impraticable de traiterà la main. Deux cas classiques : leproblème des 4 couleurs (coloriage descartes avec seulement quatre couleurs) etle problème de Képler (empilement dessphères dans l’espace à 3 dimensions).Cela conduit à des démonstrations quine sont pas réellement vérifiables ; autre-ment dit, ce ne sont pas de vraies« démonstrations » mais seulement desfaits expérimentaux, très vraisemblables,mais que personne ne peut garantir.

Vous avez évoqué l’augmentationdu nombre des mathématiciens.Quelle est aujourd’hui la situation.Où vont les mathématiques ?

L’augmentation du nombre des mathé-maticiens est un fait important. Onpouvait craindre que cela se fasse au détri-ment de la qualité. En fait, il n’y a rien eude tel. Il y a beaucoup de très bons mathé-maticiens (en particulier parmi les jeunesfrançais – un très bon augure).

Ce que je peux dire, concernant l’avenir,c’est qu’en dépit de ce grand nombre demathématiciens, nous ne sommes pas àcourt de matière. Nous ne manquons pasde problèmes, alors qu’il y a un peu plusde deux siècles, à la fin du XVIIIe,Lagrange était pessimiste : il pensait que« la mine était tarie », qu’il n’y avait plusgrand-chose à trouver. Lagrange a écritcela juste avant que Gauss ne relance lesmathématiques de manière extraordi-naire, à lui tout seul. Aujourd’hui, il y abeaucoup de terrains à prospecter pourles jeunes mathématiciens (et aussi pourles moins jeunes, j’espère).

Selon un lieu commun de la philo-sophie des sciences, les grandesdécouvertes mathématiques sont lefait de mathématiciens jeunes. Est-ce votre cas ?

Je ne crois pas que le terme de « grandedécouverte » s’applique à moi. J’aisurtout fait des choses « utiles » (pourles autres mathématiciens). En tout cas,lorsque j’ai eu le prix Abel en 2003, laplupart des travaux qui ont été cités parle jury avaient été faits avant que jen’aie 30 ans. Mais si je m’étais arrêté àce moment-là, on ne m’aurait sansdoute pas donné ce prix : j’ai fait aussid’autres choses par la suite (ne serait-ceque des « conjectures » sur lesquellesbeaucoup de gens ont travaillé ettravaillent encore).

Dans ma génération, plusieurs de mescollègues ont continué au-delà de 80 ans,par exemple mes vieux amis ArmandBorel et Raoul Bott, morts tous deuxrécemment à 82 ans. Il n’y a pas de raisonde s’arrêter, tant que la santé le permet.Encore faut-il que le sujet s’y prête.Quand on a des sujets très larges, il y atoujours quelque chose à faire, mais sil’on est trop spécialisé on peut se retro-uver bloqué pendant de longues périodes,soit parce que l’on a démontré tout cequ’il y avait à démontrer, soit au contraireparce que les problèmes sont trop diffi-ciles. C’est très frustrant.

Les découvertes mathématiques donnentde grandes joies. Poincaré, Hadamard,

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Littlewood(3) l’ont très bien expliqué. Ence qui me concerne, je garde surtout lesouvenir d’une idée qui a contribué àdébloquer la théorie de l’homotopie.Cela s’est passé une nuit de retour devacances, en 1950, dans une couchettede train. Je cherchais un espace fibréayant telles et telles propriétés. Laréponse est venue : l’espace des lacets ! Jen’ai pas pu m’empêcher de réveiller mafemme qui dormait dans la couchette dudessous pour lui dire : ça y est ! Ma thèseest sortie de là, et bien d’autres chosesencore. Bien sûr, ces découvertessoudaines sont rares : cela m’est arrivépeut-être deux fois en soixante ans. Maisce sont des moments lumineux, vraimentexceptionnels.

Le Collège de France est-il unendroit où l’on échange avec d’au-tres disciplines ?

Non, pas pour moi. Même entre lesmathématiciens du Collège, il n’y a pas detravail collectif. Il faut préciser que noustravaillons dans des branches souvent trèsséparées. Ce n’est pas un mal : le Collègen’est pas censé être un club. Un certainnombre de lieux communs modernes –comme le travail collectif, l’interdiscipli-narité et le travail en équipe – ne s’appli-quent pas à nous.

Qu’avez-vous pensé du dialogueentre un spécialiste de neuro-sciences, Jean-Pierre Changeux, et lemathématicien Alain Connes, quiest restitué dans le livre Matière àpensée ?

Ce livre est un bel exemple de dialoguede sourds. Changeux ne comprend pasce que dit Connes, et inversement. C’estassez étonnant. Personnellement, je suisdu côté de Connes. Les vérités mathé-matiques sont indépendantes de nous(4).Notre seul choix porte sur la façon deles exprimer. Si on le désire, on peut lefaire sans introduire aucune termino-

logie. Considérons par exemple unetroupe de soldats. Leur général aime lesarranger de deux façons, soit enrectangle, soit en 2 carrés. C’est ausergent de les placer. Il s’aperçoit qu’il n’aqu’à les mettre en rang par 4 : s’il en reste1 qu’il n’a pas pu placer, ou bien il arri-vera à les mettre tous en rectangle, oubien il arrivera à les répartir en deuxcarrés.

[Traduction technique : le nombre n dessoldats est de la forme 4k+1. Si n n’estpas premier, on peut arranger les soldatsen rectangle. Si n est premier, un théo-rème dû à Fermat dit que nest somme dedeux carrés.]

Quelle est la place des mathéma-tiques par rapport aux autressciences ? Y a-t-il une demandenouvelle de mathématiques, venantde ces sciences ?

Sans doute, mais il faut séparer les choses.Il y a d’une part la physique théorique,qui est tellement théorique qu’elle est àcheval entre mathématique et physique,les physiciens considérant que ce sont desmathématiques, tandis que les mathé-maticiens sont d’un avis contraire. Elleest symbolisée par la théorie des cordes.Son aspect le plus positif est de fourniraux mathématiciens un grand nombred’énoncés, qu’il leur faut démontrer (ouéventuellement démolir).

Par ailleurs, notamment en biologie, ily a tout ce qui relève de systèmescomportant un grand nombre d’élé-ments qu’il faut traiter collectivement. Ilexiste des branches des mathématiquesqui s’occupent de ces questions. Celarépond à une demande. Il y a aussi desdemandes qui concernent la logique :c’est le cas de l’informatique, pour lafabrication des ordinateurs. Il fautmentionner aussi la cryptographie, quiest une source de problèmes intéressantsrelatifs à la théorie des nombres.

En ce qui concerne la place des mathé-matiques par rapport aux autres sciences,on peut voir les mathématiques commeun grand entrepôt empli de rayonnages.Les mathématiciens déposent sur lesrayons des choses dont ils garantissentqu’elles sont vraies ; ils en donnent aussile mode d’emploi et la manière de lesreconstituer. Les autres sciences viennentse servir en fonction de leurs besoins. Lemathématicien ne s’occupe pas de cequ’on fait de ses produits. Cette méta-phore est un peu triviale, mais elle reflèteassez bien la situation. (Bien entendu, onne choisit pas de faire des mathématiquespour mettre des choses sur les rayons :on fait des mathématiques pour le plaisird’en faire.)

Voici un exemple personnel. Ma femme,Josiane, était spécialiste de chimie quan-tique. Elle avait besoin d’utiliser les repré-sentations linéaires de certains groupesde symétries. Les ouvrages disponiblesn’étaient pas satisfaisants : ils étaientcorrects, mais employaient des notationstrès lourdes. J’ai rédigé pour elle unexposé adapté à ses besoins, et je l’aiensuite publié dans un livre intituléReprésentations Linéaires des GroupesFinis. J’ai fait mon travail de mathémati-cien (et de mari) : mis des choses sur lesrayons.

Le vrai en mathématiques a-t-il lemême sens qu’ailleurs ?

Non. C’est un vrai absolu. C’est sansdoute ce qui fait l’impopularité desmathématiques dans le public. L’hommede la rue veut bien tolérer l’absolu quandil s’agit de religion, mais pas quand ils’agit de mathématique. Conclusion :croire est plus facile que démontrer.�

Interview : Marc KirschMaître de conférences

3. J.E.Littlewood, A Mathematician’s Miscellany, Methuen and Co, 1953. Ce livre explique bien la part inconsciente du travail créatif.

4. Il y a quelques années, mon ami R.Bott et moi-même allions recevoir un prix israélien (le prix Wolf) remis dans la Knesseth, à Jerusalem.

Bott devait dire quelques mots sur les mathématiques. Il m’a demandé : que dire ? Je lui ai dit « C’est bien simple ; tu n’as qu’à expliquer

ceci : les autres sciences cherchent à trouver les lois que Dieu a choisies ; les mathématiques cherchent à trouver les lois auxquelles Dieu a

dû obéir. » C’est ce qu’il a dit. La Knesseth a apprécié.

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Pose de la première pierre des travaux derénovation de bâtiments destinés à

l’hébergement des chercheurs sur le site deMeudon en présence de

MM. François Goulard, ministre délégué àl’Enseignement supérieur et à la Recherche,

Hervé Marseille, maire de Meudon,Marc Lipinski, vice-président du

Conseil régional28 juin 2006

MISE EN VALEUR D’UN PATRIMOINE :LE COLLÈGE DE FRANCE RÉALISE 58 LOGEMENTS POUR

CHERCHEURS DANS SON DOMAINE DE MEUDON

Le Collège de France dispose d’unemagnifique propriété en lisière du boisde Meudon, à proximité immédiate del’Observatoire, à deux pas du centre-ville, tout proche de Paris, par le Pontde Sèvres, et remarquablement desservipar les différents réseaux de transportsen commun, avec par exemple troisgares, dans un rayon de 600 m.

En 1883, en effet, Marcelin Berthelot,alors titulaire de la chaire de Chimieorganique au Collège de France, créait àMeudon une station de chimie végétalesur un domaine mis à la disposition duCollège de France par l’État. Cettestation est située en bordure d’une routedevenue depuis « Route Marcelin-Berthelot » à Meudon Bellevue. Dansce parc, Marcelin Berthelot avait égale-ment fait construire une tour de 28 mde haut afin d’étudier l’action de l’élec-tricité atmosphérique sur les plantes.

Afin de valoriser ce patrimoine remar-quable, le Collège de France, sous l’im-pulsion de son ancien Administrateur, leProfesseur Jacques Glowinski, a souhaitéréaliser un centre d’hébergement pourchercheurs français et étrangers en dépla-cement en Île-de-France pour despériodes de quelques jours à quelquesmois. En effet, les chercheurs sontaujourd’hui trop souvent dans l’obliga-tion de trouver des hébergements dans leparc des logements privés dont le coûtdépasse malheureusement les ressources

dont ils disposent. Il s’agissait donc derépondre à une forte demande de lacommunauté des chercheurs.

Le terrain proprement dit occupe unesurface de six hectares, classés en espacesboisés. Conformément au Plan d’occu-pation des sols, ils seront protégés, main-tenus et entretenus. Le projet consiste àréhabiliter et à réaménager deuxmaisons principales, qui pourrontabriter des salles de travail ainsi que deslocaux nécessaires à la gestion dunouveau centre ainsi constitué, et deuxdépendances (une animalerie désaffectéeet des appentis) pour créer 58 logementspour chercheurs (essentiellement desstudios et quelques deux-pièces).

Comme l’a souligné dans son allocutionM. François Goulard, ministre délégué àla Recherche et à l’Enseignement supé-

rieur, il a fallu, pour mener à bien cetambitieux projet, la volonté concertée denombreux acteurs tous déterminés àréussir le montage d’un dossier complexe :la réalisation de ce projet immobilier estfinancée à hauteur de 30 % par la RégionÎle de France et de 20 % par le départe-ment des Hauts-de-Seine, en partenariatavec la mairie de Meudon, l’Observatoirede Paris et le CNRS. Elle a été confiée aubureau d’études CETICA et au groupeLOGIREP (logement et gestion immobi-lière pour la région parisienne).

La pose de la première pierre, en cettejournée ensoleillée du 28 juin, rassem-blait donc tous les acteurs et représen-tants de ce projet. La beauté du site et lamagnifique perspective sur la capitaledevraient en faire un lieu particulière-ment attractif et propice à la rechercheet aux échanges scientifiques. �

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Dans quelle mesure le soutien àla recherche fait-il partie desobjectifs du Conseil général ?

Le territoire des Hauts-de-Seine a,depuis le début de l’ère industrielle,abrité sur son sol des activités derecherche prestigieuses, aussi biendans le domaine de l’astronomie etde la radio-astronomie que danscelui de l’aéronautique, de l’auto-mobile ou des télécommunicationspour ne citer que les principaux.

Mais ce passé, prestigieux, ne doitpas occulter le fait que le départe-ment des Hauts-de-Seine disposeaujourd’hui d’une très forte capa-cité d’innovation en recherche-déve-loppement, grâce notamment àl’exceptionnel potentiel de labora-toires de recherche fondamentale oude recherche appliquée, ou encore

grâce à la forte représentationuniversitaire ou par la densité dutissu industriel. Le département nepeut rester indifférent à cette dimen-sion capitale pour le dynamisme deson économie ! C’est la raison pourlaquelle il entend contribuer, partous les moyens dont il dispose, àappuyer le développement de larecherche française sous tous sesaspects. Son soutien fort aux pôlesde compétitivité, au développementde l’enseignement supérieur par unappui important à Paris X-Nanterreet à Paris XI-Orsay en sont desexemples.

En quoi le projet de Meudoncorrespond-il à cette volonté ?

Le soutien à la recherche ne seréduit pas à des investissementsindustriels : qu’est la recherche sans

les chercheurs ? Et quelle attracti-vité notre territoire présente-t-ilpour les inciter à venir s’installerdans les Hauts-de-Seine ? Je croisque notre collectivité territorialedoit être en mesure de proposer àceux qui concourent à inventer lasociété de demain un minimum deconditions favorables à leur créati-vité. Cela commence par une offredécente en matière d’accueil et d’hé-bergement. C’est la raison pourlaquelle, aujourd’hui à Meudondans le domaine illustre de MarcelinBerthelot, demain dans les locauxréhabilités de l’ancienne Écolenormale supérieure de Fontenay-aux-Roses, le département appuieou appuiera toute initiative visantl’amélioration des conditions maté-rielles de vie des chercheurs. �

Questions à Nicolas SARKOZYPrésident du Conseil général des Hauts-de-Seine, ministre d’État,ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire.

Meudon, terre d’accueil de Rodin,Céline, Wagner, Ambroise Paré,Rabelais, ou encore ArmandeBéjart, a la fierté de disposer surson territoire de nombreuses insti-tutions scientifiques, dont leCollège de France est l’une des plusprestigieuses.

Le site du Collège de France àMeudon, idéalement situé àquelques kilomètres de Paris et lovédans un écrin de verdure, vaprochainement retrouver uneseconde vie, sans, pour autant,renoncer à sa destination premièreconsacrée à la recherche.

En effet, des logements pour cher-cheurs vont être ainsi construitspour répondre à un besoin crois-sant, en matière d’accueil, notam-ment en Île-de-France.

La pose de la première pierre le28 juin dernier, en présence duministre délégué à l’Enseignementsupérieur et à la Recherche, aamorcé la concrétisation de ceprojet d’envergure sur ce siteremarquable, et je m’en réjouissincèrement.

Grâce au soutien du Conseilrégional d’Île-de-France et duConseil général des Hauts-de-Seine,la ville de Meudon poursuit savocation d’être un lieu d’accueilpour les institutions scientifiques etles chercheurs de tous horizons.

Je tiens à remercier plus particuliè-rement les efforts et la détermina-tion sans faille de JacquesGlowinski pour faire aboutir ceprojet au terme de longues négo-ciations.

Comme nous l’espérons tous, entant que partenaires de ceprogramme à forte valeur ajoutée,2007 verra la réalisation de ceslogements, au moment où, heureuxhasard du calendrier, sera commé-moré le centenaire de la mort deMarcelin Berthelot, éminent cher-cheur et professeur de chimie quitravailla pendant de nombreusesannées sur ce site du Collège deFrance. �

Propos d’Hervé MARSEILLEMaire de Meudon, vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine

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L’opérateur choisi, le groupe LOGIREP, qui comprend3 filiales et dont la société mère a été créée en 1958,s’est spécialisé dans une mission d’intérêt général, lelogement pour tous. C’est pourquoi il bénéficie desprêts aidés de la Caisse des dépôts, de différentessubventions publiques ou encore de dispositifs d’aideau logement social, comme le 1 % patronal.

Le groupe construit environ 800 logements par an, ilfavorise également l’accession à la propriété socialedes primo accédants. Il est présent dans180 communes d’Ile de France, 8 départements et8 arrondissements parisiens. �

Pose de la première pierre par Hervé Marseille, Marc Lipinski, François Goulard et Jacques Glowinski.

Le Conseil régional soutient leprojet de Meudon, Dans quellemesure ce projet s’intègre-t-ildans votre politique de soutien àla recherche ?

La région Île de France apporte unsoutien de 773 000 euros au projetde Meudon. Nous menons en effetune politique volontariste pouraméliorer les conditions d’accueil deschercheurs étrangers et, à travers elles,l’attractivité de la région.

Au printemps 2006, j’ai inauguré laVilla Pasteur, un site dépendant de laFondation de l’École normale supé-rieure. Cette opération de réhabilita-tion a permis de mettre à dispositiondes chercheurs étrangers 36 logementssur la Montagne Sainte Geneviève.Auparavant, ce sont 13 logementspour chercheurs qui ont été mis àdisposition des invités de l’Institut desHautes Études scientifiques, dansl’Essonne, et 20 logements pour leschercheurs invités de l’Institut derecherche sur le développement, enSeine-Saint-Denis. Et année après

année, la région finance la réhabilita-tion des différentes maisons de la Citéinternationale universitaire de Paris.

Vous voyez que nous intervenons surtout le territoire francilien, dans tousles domaines pour que les chercheurspuissent accueillir dignement leurshomologues étrangers et continuer defaire rayonner l’Île-de-France.

Au-delà de ce volet immobilier, nousoffrons également aux chercheursétrangers des financements à différentsniveaux, des allocations de recherchedoctorale aux chaires Blaise Pascal quipermettent d’attirer en Île-de-Francedes chercheurs de niveau mondial.

Quels sont les points de ce projetqui vous ont le plus séduits ?

La construction a été pensée selon desprincipes et des normes qui respectentl’environnement.

La conduite du chantier sera menéeselon les mesures de Haute qualitéenvironnementale. Cela permettra de

limiter la production des déchets, devaloriser ceux qui seront néanmoinsproduits et aussi de limiter lesnuisances sonores. Si le mode dechauffage retenu est électrique, unecarte magnétique permettra d’enréguler l’usage en fonction de l’occu-pation des lieux. Enfin, il faut souli-gner que la réhabilitation de cesbâtiments sera effectuée dans lerespect des espaces verts qui l’entou-rent.

Le caractère exceptionnel de cetteconstruction est renforcé par sa proxi-mité avec les différents moyens detransports en commun qui rendent cesite particulièrement accessible etencourageront ses occupants à réduirel’empreinte écologique sur laplanète. �

Question à Marc LIPINSKIVice-président du Conseil régional d’Île-de-France chargé del’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation scientifique ettechnique.

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50 LA LETTRE - N° 18

Il en est certainement plus d’un dans notremaison qui pourrait, mieux que je nesaurais le faire, évoquer la figure de l’hel-léniste Jean Irigoin, sinon peut-êtrecomme savant, du moins commecollègue et sans doute comme amipendant les quelque vingt ans qu’il y passaà partir de sa nomination en 1985 jusqu’àson décès en janvier 2006. Si l’honneurm’est échu de lui rendre hommage, c’est,bien entendu, en raison d’une commu-nauté d’intérêts scientifiques qui, trans-cendant les spécialités au sein des étudessur l’Antiquité classique, me donnel’avantage d’un accès relativement aisé àl’œuvre de cet homme que, par ailleurs, jeme flatte d’avoir tout de même un peuconnu personnellement. En effet, à défautde l’avoir bien longtemps fréquenté ici,j’ai eu le très grand privilège de le compterau nombre des membres de mon jury dethèse en Sorbonne une année avant sonentrée au Collège : mes maîtres avaientjugé indispensable que fût présent à lasoutenance un spécialiste de la traditionmanuscrite des textes grecs, mes recher-ches d’alors m’ayant conduit à toucher,non sans témérité, au domaine sur lequelil exerçait une souveraineté partoutreconnue. Bien leur en a pris : car si lecenseur impitoyable, mais toujours cour-tois et même souriant, qu’était JeanIrigoin ne m’épargna, ce jour-là, ni lespiques ni les petites questions embarras-santes, je tirai un profit considérable de sesobservations et je pus ensuitecorrespondre avec lui en toute confianceet le rencontrer plus d’une fois à Pariscomme dans ma ville de Neuchâtel. Cen’est donc pas seulement en m’appuyantsur les témoignages de personnes ou plusqualifiées que moi ou simplement plusproches de lui que je retracerai briève-

ment sa carrière pour faire apparaître dumême coup l’originalité de sa recherche etla richesse de sa personnalité.

On sera peut-être surpris d’apprendre quecet homme très pondéré, toujours parfai-tement maître de lui, usant au surplusd’une langue où rien ne pouvait trahirune origine autre que parisienne, était unméridional. Et même doublement,puisque, si ses jeunes années eurent pourcadre la Provence, il avait des racinesfamiliales plus lointaines dans le Paysbasque, comme l’atteste du reste sonpatronyme, sans parler de son attache-ment à la région de Ciboure, où il passaittoutes ses studieuses vacances estivales.Mais c’est à Aix qu’il naquit le8 novembre 1920 et qu’il revint parnécessité, deux décennies plus tard,achever une formation universitaireentamée à Paris. L’immédiat après-guerrefut, dans sa carrière, un premier grandtournant, quand, jeune agrégé de gram-maire, il partit pour Berlin comme chef dela section culturelle du Groupe françaisau sein du Conseil de contrôle interallié.Il accepta en 1952 un poste de chargé decours et de collaborateur scientifique àl’Université de Hambourg. Entre-temps ilavait réussi non seulement à achever maisà publier coup sur coup ses thèses dedoctorat, étroitement complémentaires :Jean Irigoin y explorait deux aspects de ceque l’on appelle la lyrique choralegrecque, s’intéressant d’une part à l’his-toire du texte de Pindare, le plus illustrereprésentant de ce genre littéraire, etd’autre part aux structures métriques decette poésie faite pour être chantée avecun accompagnement instrumental. Ainsi,dès son retour d’Allemagne l’annéesuivante, était-il pleinement habilité à

occuper une chaire de langue et littéra-ture grecques. Avant d’accéder à laSorbonne en 1972, il enseigna douzeannées durant à la Faculté des lettres dePoitiers, où son intégration se fit sansdoute d’autant plus aisément que c’étaitaussi la ville de sa femme, elle-mêmeuniversitaire et chartiste.

En 1964, il fut nommé à la IVe section del’École Pratique des Hautes Études, succé-dant à l’un de ses maîtres, le philologueAlphonse Dain. C’est alors aussi qu’il pritla direction de la série grecque de lacélèbre collection Budé aux Éditions desBelles Lettres, série à laquelle il imprimaun rythme extraordinairement soutenu,puisque plus de 200 volumes auront vule jour sous son égide, faisant de cettecollection un instrument de travail qui n’ason équivalent exact dans aucun autrepays du Vieux ou du Nouveau monde.En collaboration avec d’autres hellénistes,Jean Irigoin y a publié lui-même plusieursouvrages, en particulier (et vers la fin desa vie seulement, mais dans le prolonge-ment de ses premiers travaux) la seuleédition critique avec traduction françaisedu texte de Bacchylide, cet émule dePindare dont l’œuvre ne nous est guèreconnue qu’à travers deux célèbrespapyrus en lambeaux exhumés des sablesde l’Égypte.

Éditeur hors pair, Jean Irigoin l’a été parcequ’il avait au suprême degré la connais-sance des conditions – intellectuelles etmatérielles tout à la fois – dans lesquellesles œuvres de la Grèce antique furentconçues, composées, lues ou représentées,puis surtout copiées et transmises tout aulong du Moyen Âge, en Orient commeen Occident, car cette transmission – qui

Jean IRIGOIN (1920-2006)

Hommage prononcé par le Pr Denis Knoepfler, chaire d’Épigraphie et histoire des cités grecques, devant

l’Assemblée des professeurs du 26 novembre 2006

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IN° 18 - LA LETTRE

HOMMAGE À CHANTAL MICHAUD

Chantal Michaud nous a quittés le 10 septembre2006, peu avant son 54ème anniversaire, aprèsdeux longues années de souffrance, qu’elle aaffrontées avec beaucoup de courage et delucidité.

Elle était entourée de sa famille, qui lui était trèsproche, particulièrement de sa fille Sophie et deses deux petites filles Léa et Zoé, dont elle étaittrès fière.

Originaire des Charentes-Maritimes, ChantalMichaud, née le 24 octobre 1952, est entrée auCollège, très jeune, à l’âge de 20 ans. Elle yeffectué toute sa carrière, à différents postes,qu’elle a occupés avec compétence, efficacité etun sens profond du service public.

Après avoir exercé pendant près de dix ans lesfonctions de gestionnaire des traitements sur lebudget propre, elle a été affectée pendant la plusgrande partie de sa carrière au service intérieur,où elle a exercé des activités multiples en prenantde plus en plus de responsabilités. Toujoursdisponible, avec une parfaite connaissance del’institution, elle était considérée un peu comme« la maîtresse de maison », à qui tout le mondes’adressait quand il y avait une difficulté ou unproblème. Son parcours professionnel s’estpoursuivi à la Direction des affaires culturelles etdes relations extérieures, dans laquelle elleoccupait un poste charnière en assurant la liaisonquotidienne entre le secrétariat del’Administrateur et le secrétariat commun desdeux Directions du Collège.

À ces différents postes, Chantal Michaud s’estimposée par des qualités, qui ont gardé toute leurvaleur exemplaire :

- Tout d’abord la curiosité qui a facilité sonapprentissage.

- Ensuite le goût du travail bien fait, ne ménageantni son temps ni sa peine pour parvenir au meilleurrésultat possible.

- Enfin, l’attention aux autres, au public duCollège, comme à l’ensemble des personnels et àses collègues de travail.

On peut résumer sa carrière en affirmant qu’elle asu allier la manière de faire à un savoir-faire, quiétait très grand. Chantal Michaud était doncappréciée par tout le monde pour ses qualitésprofessionnelles et humaines.

C’est une collaboratrice précieuse, que le Collègede France, auquel elle était très attachée, vient deperdre. Cette disparition a provoqué une très viveémotion et les témoignages d’amitié et desympathie ont été nombreux. Tous les proches deChantal Michaud en ont été touchés.

Nous resterons tous fidèles à son souvenir. �

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II LA LETTRE - N° 18

ÉLECTIONS DES REPRÉSENTANTS DES PERSONNELS

AUX COMMISSIONS PARITAIRES D’ÉTABLISSEMENT

Les élections des représentants des personnelsaux commissions paritaires d’établissement sesont déroulées le jeudi 11 mai 2006. Le taux departicipation a atteint plus de 54% contre 44%en 2003. On notera une participation de plus de50% dans le premier groupe du corps decatégorie C, (ITRF) qui regroupe à lui seul plus

de la moitié du corps électoral. Aucun groupen’ayant présenté plusieurs listes en compétition,la mobilisation des électeurs est d’autant plusremarquable.

Les élus ont pris leurs fonctions à la rentrée. �

COLLEGE CATEGORIE SIEGES À PERSONNES PARTICIPATIONELECTORAL DE PERSONNEL POURVOIR ÉLUES

Premier IGR, IGE 2 titulaires Titulaires : Jean Yves LE GALL 56 %groupe Assistants 2 suppléants Gilles L’HÔTEcatégorie A Ingénieurs... RF Suppléants :

Jean-Jacques GUILBARDMonique SPAGNOLI

Premier Techniciens RF, 2 titulaires Titulaires : Danièle QUÉNÉHEN 50 %groupe infirmières... 2 suppléants Marion SUSINIcatégorie B Suppléants :

Françoise MALVAUDSylvie SPORTOUCH

Premier ADT, AGT, AST, 2 titulaires Titulaires : Claudine MARY 51 %groupe RF 2 suppléants Christian JULIENcatégorie C Suppléants : Jean MANGIN

Christophe ROYAN

Deuxième CASU, 1 titulaire Titulaire : par tirage au sortgroupe AASU 1 suppléant Catherine CAMPINCHIcatégorie A Suppléant : Didier JESTIN

Deuxième SASU 1 titulaire Titulaire : Nicole NEVEUX par tirage au sortgroupe 1 suppléant Suppléant :catégorie B Laurence LABRUNA

Deuxième Adjoint et Agents 1 titulaire Titulaire : Jean-Louis FASSI 69 %groupe de l’ASU 1 suppléant Suppléant :catégorie C Yessia BEN ZAIET

Troisième Conservateurs et 1 titulaire Titulaire : Jacques BERCHON 83 %groupe Bibliothécaires 1 suppléant Suppléant :catégorie A Marie-Hélène BLANCHET

Troisième Bibliothécaires 1 titulaire tirage au sortgroupe adjoints... 1 suppléant ultérieurcatégorie B

Troisième Magasiniers 1 titulaire tirage au sortgroupe 1 suppléant ultérieurcatégorie C