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161 Vies consacrées, 84 (2012-3), 161-162 Éditorial « Cinquante ans après », voici Vies consacrées à son tour en marche vers cette année de la foi où il s’agira de relire Vatican II, de reprendre le Catéchisme de l’Église catholique (qui aura vingt ans), de professer à nouveau le Credo, pour vivre dans plus de foi et de charité, sans oublier les pèlerinages à Rome ou en Terre sainte, et toutes sortes de colloques, congrès et rassemblements dont les JMJ de Rio de Janeiro représenteront une sorte de sommet. C’est donc un immense mouvement d’évangélisation qui s’ébranle ; il nous concerne de manière particulière : le Pape Benoît XVI reconnaît en effet, dans sa lettre apostolique Les portes de la foi (du 11 octobre 2011), que « par la foi, des hommes et des femmes ont consacré leur vie au Christ, laissant tout pour vivre dans la simplicité évan- gélique l’obéissance, la pauvreté et la chasteté, signes concrets de l’attente du Seigneur qui ne tarde pas à venir » (Porta fidei, n°13). En conséquence, la « Note de la Congrégation pour la doc- trine de la foi » (du 6 janvier 2012) offre aux diverses formes de vie consacrée, dans ses numéros 7 à 9, ces recommandations : Les membres des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique sont invités, au cours de cette année, à s’engager dans la nouvelle évangélisation par une adhésion plus ferme au Seigneur Jésus, grâce à l’apport de leurs charismes propres et dans la fidélité au Saint-Père et à la saine doctrine. Pendant l’Année de la foi, les communautés contemplatives se donneront particulièrement à la prière pour le renouvellement de la foi dans le Peuple de Dieu et pour un nouvel élan dans sa transmission aux jeunes générations. Les associations et les mouvements ecclésiaux sont invités à favoriser des initiatives spécifiques qui, grâce à leur charisme propre et en collaboration avec les Pasteurs locaux, s’inséreront dans le grand événement de l’Année de la foi. Les communautés nouvelles et les mouvements ecclésiaux sauront, de manière créative et généreuse, trouver les moyens les plus appropriés pour offrir leur témoignage de foi au service de l’Église.

Éditorialconcerne de manière particulière: le Pape Benoît XVI reconnaît en effet, dans sa lettre apostolique Les portes de la foi (du 11 octobre 2011), que «par la foi, des hommes

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 161-162

Éditorial

« Cinquante ans après », voici Vies consacrées à son tour en marche vers cette année de la foi où il s’agira de relire Vatican II, de reprendre le Catéchisme de l’Église catholique (qui aura vingt ans), de professer à nouveau le Credo, pour vivre dans plus de foi et de charité, sans oublier les pèlerinages à Rome ou en Terre sainte, et toutes sortes de colloques, congrès et rassemblements dont les JMJ de Rio de Janeiro représenteront une sorte de sommet. C’est donc un immense mouvement d’évangélisation qui s’ébranle ; il nous concerne de manière particulière : le Pape Benoît XVI reconnaît en effet, dans sa lettre apostolique Les portes de la foi (du 11 octobre 2011), que « par la foi, des hommes et des femmes ont consacré leur vie au Christ, laissant tout pour vivre dans la simplicité évan-gélique l’obéissance, la pauvreté et la chasteté, signes concrets de l’attente du Seigneur qui ne tarde pas à venir » (Porta fidei, n°13).

En conséquence, la « Note de la Congrégation pour la doc-trine de la foi » (du 6 janvier 2012) offre aux diverses formes de vie consacrée, dans ses numéros 7 à 9, ces recommandations :

Les membres des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique sont invités, au cours de cette année, à s’engager dans la nouvelle évangélisation par une adhésion plus ferme au Seigneur Jésus, grâce à l’apport de leurs charismes propres et dans la fidélité au Saint-Père et à la saine doctrine.

Pendant l’Année de la foi, les communautés contemplatives se donneront particulièrement à la prière pour le renouvellement de la foi dans le Peuple de Dieu et pour un nouvel élan dans sa transmission aux jeunes générations.

Les associations et les mouvements ecclésiaux sont invités à favoriser des initiatives spécifiques qui, grâce à leur charisme propre et en collaboration avec les Pasteurs locaux, s’inséreront dans le grand événement de l’Année de la foi. Les communautés nouvelles et les mouvements ecclésiaux sauront, de manière créative et généreuse, trouver les moyens les plus appropriés pour offrir leur témoignage de foi au service de l’Église.

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Pour notre part, nous allons proposer dans les prochains numé-ros, quelques articles de retour aux textes conciliaires, qui peuvent éclairer, voire discerner nos préoccupations actuelles. Pour com-mencer cette sorte de rubrique temporaire, il nous a paru important de retraverser en même temps le décret sur la vie religieuse Perfec-tae caritatis et le décret sur le ministère et la vie des prêtres Pres-byterorum ordinis. Ce sont là des documents qu’on croit mineurs, au regard des quatre grandes constitutions conciliaires, mais leur doctrine, plus précise qu’on ne le croit, doit être à nouveau mise en valeur, comme le font Noëlle Hausman, s.c.m. pour l’un, Pierre Piret s.j. pour l’autre. La méditation de Marie-Pascale Ducrocq, o.p., et la réflexion de Bernard Ardura, o.praem. au sujet du charisme fondateur s’accordent à leur tour pour désigner l’Esprit du Christ comme notre vraie source, et l’intelligence spirituelle de l’histoire comme lieu de sa dispensation. On lira l’analyse du Professeur Paul Lievens, psychiatre, avec intérêt ; il n’est pas rare que fassent retour, dans les cultures les plus avancées, les questions de pos-session et donc d’exorcisme ; c’est le mérite d’une psychologie non dogmatique d’y entendre parler le sujet souffrant. Comme chaque année à cette époque, le Professeur Didier Luciani nous propose une brassée d’ouvrages récents portant sur l’Ancien Tes-tament et le Judaïsme : une chronique qui réserve son lot de sur-prises, ses points de vue décapants, ses lignes de fond théologiques aussi. Quelques pages de recensions bibliographiques et l’inven-taire des ouvrages envoyés à notre revue terminent cette livraison.

En tête, la présentation de l’Union internationale des Supé-rieurs majeurs (U.S.G.) par Javier Álvarez-Ossorio, supérieur géné-ral des Pères des Sacrés-Cœurs, nous aura rappelé les questions à traiter avec le Saint-Siège, au niveau mondial, mais aussi les dif-ficultés propres à la vie religieuse. Ainsi que l’écrit l’auteur dans son langage direct : « Prenez-le comme un commentaire très person-nel, mais laissez-moi vous le dire : à mon humble avis, les difficul-tés les plus grandes ne nous viennent pas du “dehors” (le monde sécularisé etc., etc.), mais de nous-mêmes comme personnes consacrées. La question est de savoir si nous nous soucions vrai-ment de ce que nous avons professé et si nous y croyons vraiment ».

De la réponse à cette question dépendent, dans le ciel et sur la terre, plus de choses que n’en pense notre théologie…

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L’Union des Supérieurs Généraux (USG)1

Permettez-moi de vous adresser un salut cordial de la part de l’USG, au nom de laquelle je suis ici. L’USG est composée d’envi-ron 170 Supérieurs Généraux d’ordres, instituts et congrégations de droit pontifical. Son siège est à Rome. Notre Président actuel est le P. Pascual Chavez, Supérieur Général des Salésiens de Don Bosco. Il y a un secrétariat général et un Conseil Exécutif auquel j’appartiens.

L’activité principale de l’USG est l’assemblée : nous nous réu-nissons deux fois par an pendant trois jours. L’ensemble est essentiellement un lieu de rencontre, de formation permanente, de partage, de réflexion et de prière commune. La participation à chaque assemblée est en moyenne d’environ 120 Supérieurs Généraux. Parfois, ils peuvent être accompagnés par un Conseil-ler général.

L’USG a également des commissions : juridique, théologi- que, JPIC (Justice, Paix et Intégrité de la Création), éducation etc. Certaines de ces commissions sont communes à l’USG et à l’UISG (Union Internationale des Supérieures Générales).

Les deux instances de l’USG et de l’UISG ont une relation régulière avec le Saint Siège : le « Conseil des 16 » (qui se réunit deux fois par an avec la CIVCSVA) et le « Conseil des 18 » (qui se réunit avec la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples). Une nette amélioration des relations avec la CIVCSVA a été notée après la nomination du nouveau Préfet, son Éminence Mgr João Braz de Aviz, et le Secrétaire, Mgr Joseph Tobin. Parmi les nom-breux thèmes habituels de dialogue et de tension avec le Saint

1. Intervention prononcée en espagnol dans le cadre de l’Assemblée générale de l’U.C.E.S.M., consacrée au thème « Religieux et Religieuses en Europe : La vie comme vocation. « La parole du Seigneur me fut adressée » (Jér 1, 4), Lourdes, mars 2012. Nous remercions Sœur Josyane Cluzel, Secrétaire générale de l’U.C.E.S.M. de nous en avoir procuré la traduction française.

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Javier Álvarez-Ossorio, s.s.c.c.

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Siège, je soulignerais la question non résolue de la marginalisa-tion des frères laïcs par rapport aux religieux clercs et celle de la juridiction des affaires disciplinaires et de l’accord des dispenses.

Sujets de réflexion et centres d’intérêt

Les sujets couverts par l’USG au cours des dernières années sont nombreux et variés. Les documents présentés lors de réu-nions sont généralement publiés dans un fascicule et peuvent éga-lement être trouvés sur le site web www.vidimusdominum.org. J’ai sélectionné ici quelques questions d’importance ou d’actualité.

Inter-CongrégationsNous comprenons « l’inter-congrégations » comme l’effort

pour unir les forces afin de rendre plus visible le charisme de la vie consacrée dans l’Église et pour rendre un service plus efficace dans le monde où nous vivons. Un des exemples les plus clairs est le projet d’appui au Sud-Soudan, où de nombreuses congré-gations sont impliquées et ont plus de 20 religieux et religieuses sur le terrain, travaillant dans la formation du personnel de santé et du personnel éducatif.

Nous reconnaissons que, parmi les Supérieurs Généraux, nous parlons beaucoup de l’inter-congrégations, mais il y a des obstacles pour en faire un principe réellement opérationnel : des obstacles institutionnels (chacun est plongé dans les préoccu-pations de son propre Institut) et spirituels ou théologiques (chaque famille religieuse existe en soi et non simplement comme l’expression d’une sorte de « super-vie-religieuse » en général).

EuropeDurant deux années, plusieurs rencontres ont été consacrées

à discuter sur la question de la vie religieuse en Europe. Des facteurs connus de tous font que l’Europe constitue une pro - blé matique spécifique qui nécessite un intérêt particulier : les défis missionnaires posés par la sécularisation, le manque de vocations, les communautés vieillissantes, la concentration du pouvoir et des ressources financières, l’origine européenne de la plupart des charismes, etc.

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L’Union des Supérieurs Généraux (USG)

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Nouvelle ÉvangélisationRécemment, l’assemblée de l’USG a travaillé autour de la

préparation du prochain Synode sur la « nouvelle évangélisa-tion ». Le résultat des débats a été la rédaction d’un document, à partir des Lineamenta, qui a été envoyé au secrétariat du Synode.

Parmi les Supérieurs Généraux, certains pensent que toute la question de la nouvelle évangélisation peut comporter le risque d’une vision déformée de la relation entre l’Église et le monde, un renforcement du cléricalisme et la marginalisation de la vie religieuse au bénéfice des nouveaux mouvements. En tout cas, nous sommes tous d’accord sur le fait que l’évangélisation, nou-velle ou non, doit être comprise avant tout comme un appel à nous remettre en question et à nous convertir en tant qu’Église à la lumière de l’Évangile.

Séminaire sur la théologie de la vie consacrée et possibilité d’une deuxième conférence internationale

En février 2011, à l’initiative de l’USG et de l’UISG, a eu lieu à Rome un séminaire de théologie sur la vie consacrée. La préoc-cupation qui l’a provoqué était le souci de relancer la réflexion théologique sur la vie religieuse et de favoriser l’émergence de nouvelles générations de religieux et religieuses qui se livrent à une telle réflexion. Les participants ont fait une évaluation très positive du séminaire.

A la suite de cet événement, nous avons débattu à l’USG de l’opportunité de créer une commission de théologie de la vie consacrée et de préparer un deuxième congrès international de la vie religieuse, comme celui qui a eu lieu en 2004. Nous avons rejeté l’idée d’une commission théologique, parce que nous croyons qu’il y a beaucoup de publications sur ce sujet et parce que certains sont réticents à multiplier la réflexion sur nous-mêmes — il est beaucoup plus intéressant et pertinent de réflé-chir, éventuellement avec d’autres, sur les questions plus larges qui touchent à la fois l’Église et le monde.

On a toutefois laissé ouverte la possibilité de préparer un congrès, que beaucoup considèrent comme intéressante. La ques-tion est à l’ordre du jour de la prochaine réunion conjointe de l’UISG et USG.

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La vie comme vocation : comment cela se vérifie

Comme je viens de le dire, les deux assemblées annuelles de l’USG traitent de sujets d’intérêt général. Nous avons habituel-lement de bons orateurs qui nous inspirent avec leurs présenta-tions. Mais, à mon humble avis, le plus intéressant des assem-blées est ce qui se passe en petits groupes, dans les couloirs, à table pendant le petit déjeuner, déjeuner ou dîner. Pour beau-coup d’entre nous, c’est la possibilité de parler librement avec d’autres « collègues » de ce qui nous préoccupe vraiment dans le quotidien de notre service. Nous partageons les tristesses, les joies et les tensions ; nous recueillons des conseils sur les initia-tives réussies ; nous cherchons à savoir comment d’autres font face à des difficultés analogues. Dans ces moments de rencontres informelles, nous mettons de côté les « grands mots », qui habi-tuellement ornent le discours sur ce que nous sommes ou ce que nous prétendons être, et nous posons les pieds sur terre, sur la fraîcheur et la rugosité de l‘argile qui nous constitue.

Je pense qu’il est juste de dire que nos assemblées respirent la liberté et la simplicité, la spontanéité et la bonne volonté, le réa-lisme et l’humilité. Quelque chose de vraiment rafraîchissant et oxygénant, en gardant à l’esprit combien nous sommes divers en termes d’origines, de cultures et de sensibilités religieuses. Le cli-mat de notre groupe n’est pas exactement euphorique, mais pas découragé. Je voudrais le définir comme une atmosphère de foi dans les moments de grisaille et peu enclins à des aventures exal-tantes. Chaque fois que je participe aux assemblées, je remercie Dieu pour le bien que j’y trouve, au moment même où je constate combien il est difficile d’être supérieur dans nos congrégations.

Prenez-le comme un commentaire très personnel, mais lais-sez-moi vous le dire : à mon humble avis, les difficultés les plus grandes ne nous viennent pas du « dehors » (le monde sécularisé etc. etc.) mais de nous-mêmes comme personnes consacrées. La question est de savoir si nous nous soucions vraiment de ce que nous avons professé et si nous y croyons vraiment.

Pour donner juste un exemple et ne pas nous étendre sur des « récits de batailles », juste un mot sur le sujet même de cette assemblée de l’UCESM : la vie comme vocation.

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L’Union des Supérieurs Généraux (USG)

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Dans les conférences données lors des assemblées de l’USG, on parle souvent, avec un langage théologique adéquat, de la façon dont notre vie est une réponse à Dieu qui appelle, avec tout ce que cela implique comme corollaire. Mais dans les discus-sions de groupes et de couloirs, nous racontons de nombreuses histoires concrètes montrant que la vocation est démentie dans la réalité : de nombreux endroits (en particulier des pays du nord) où les religieux ont pris l’habitude par exemple de retirer leurs noms dans les listes d’élections, où ils ont oublié ce que c’est de recevoir une obédience. La vie est davantage conçue comme une aventure d’accomplissement personnel que comme un chemin avec d’autres, dans un « corps ». Les choix individuels l’emportent sur le projet collectif, qui parfois n’existe même pas.

Je pense que l’obéissance dans la vie religieuse implique la volonté d’être appelé (par un choix des frères/sœurs ou par un supérieur) à un lieu et à un service que je n’ai pas choisi (ou même « négocié »). Si cette ouverture à « être envoyé » et « désinstallé » se meurt, peut-on continuer à parler de notre vie comme d’une « vocation » ?

- Javier Álvarez-OssOriO s.s.c.c.Membre du Conseil Exécutif de l’USG

Congregazione dei Sacri Cuori di Gesù e di MariaVia Rivarone 85IT-00166 Roma

En écho à la récente Assemblée des Représentants des Supérieurs Majeurs d’Europe, nous avons retenu cette intervention du Père général des « Pic-pus » ; on verra qu’elle s’éloigne des propos convenus par la vigueur de ses interrogations.

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Le décret Perfectae caritatis Un temps pour les ordres religieux ?1

Cinquante ans après, il est devenu possible d’évaluer le che-min parcouru depuis les grands textes de Vatican II. Encore faut-il les relire, et c’est ce que nous allons tenter de faire ici. Le décret sur « la vie religieuse », comme on disait encore (aujourd’hui, on parlera plutôt de « la vie consacrée par la profession des conseils évangéliques ») fait partie des seize textes promulgués par le Concile : ce sujet si particulier touche en fait tous les membres du « peuple de Dieu », j’espère le montrer. Commençons par nous resituer, à l’aide d’un article récent de Mgr J. Doré2. Il résume l’enseignement des fameuses quatre constitutions conciliaires comme suit : « L’essentiel de l’enseignement de Vatican II peut tenir en quatre mots : célébration, communion, confession, mis-sion » ; et il poursuit sa démonstration, où l’on reconnaîtra au passage la constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium et la constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, tout en voyant annoncées la constitution dogmatique sur la Révé-lation divine Dei Verbum et la constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes :

[…] l’Église est appelée à se recentrer sur son propre Mystère, et dès lors à se concevoir et à s’organiser selon quatre dimensions et attitudes constitutives :

– Célébration. Il s’agit pour l’Église de revenir toujours d’abord au cœur de ce qui la fonde et ne cesse de la faire et de la faire vivre : la célébration des sacrements.

– Communion. Il revient à l’Église de s’organiser et de s’ordon-ner en une communion qui ne recherche son unité qu’en articulant en son sein la diversité des responsabilités et des fonctionnalités.

1. Allusion à l’ouvrage célèbre de J.-B. Metz, paru sous ce titre au Cerf, en 1981 ; voir déjà son article « L’heure des religieux ? », dans VC 1969, 5-25. 2. J. Doré, « Pour commémorer Vatican II comme une grâce », in DC 2476 (16 octobre), 2011, 906-911.

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Le décret Perfectae caritatis

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– Confession. Rien de tout cela ne sera possible si l’Église ne s’en rapporte pas incessamment à la source normative qu’est pour elle, en même temps que la Révélation, le souci de la réception de cette Révélation dans une confession toujours renouvelée.

– Mission. Tout le reste étant dit, l’Église ne peut se concevoir et se réaliser que dans le monde et pour lui — et, en cela même, pour Dieu. Le Mystère qui l’appelle à la communion en Dieu est en effet de soi celui qui, du même coup, l’envoie en mission dans le monde.

Vatican II est le premier parmi les conciles œcuméniques à traiter de la vie religieuse sur un mode qui n’est pas celui de la discipline, comme à Latran IV (1215), ou de l’apologétique, comme à Trente (Décret du 3 décembre 1563), mais celui d’une réflexion proprement doctrinale. Désireux d’aborder dans un esprit pastoral les fondements doctrinaux posés par Lumen gentium, les Pères donnent en Perfectae caritatis les principes d’un aggiornamento de la « vie consacrée par la profession des conseils évangéliques », dans l’Église de ce temps (PC 1). Ainsi, les premiers mots du décret Perfectae caritatis3 nous renvoient à la constitution sur l’Église :

Dans la constitution Lumen Gentium, le Concile a précé-demment montré que la recherche de la charité parfaite par les conseils évangéliques a sa source dans l’enseignement et l’exemple du divin Maître et apparaît comme un signe éclatant du Royaume des cieux. Maintenant, il se propose de traiter de la vie et de la discipline des instituts dont les membres font profession de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, et de pourvoir à leurs besoins, selon les exigences de l’époque actuelle.

Dès les origines de l’Église, il y eut des hommes et des femmes qui voulurent, par la pratique des conseils évangéliques, suivre plus librement le Christ et l’imiter plus fidèlement et qui, chacun à sa manière, menèrent une vie consacrée à Dieu (Perfectae cari-tatis, 1).

3. Cfr N. Hausman, « Pour Dieu seul : la vie religieuse », in Beauté de la personne humaine. La lumière de Vatican II. Trente ans après, Cahiers de l’École Cathédrale 21, Mame-Cerp, 1996, 99-110.

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N. Hausman, s.c.m.

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Nous allons repartir du chapitre VI de Lumen gentium avant de nous mettre à la lecture rapide du décret en vue d’en tirer quelques réflexions, voire, des orientations pour les temps actuels.

Les religieux dans Lumen gentium

Du long itinéraire du texte, retenons qu’un chapitre sur les religieux fut toujours intégré au schéma sur l’Église. D’abord autonome dans le projet primitif (texte A, 23 novembre 1962), il est ensuite compris dans la vocation à la sainteté lors du projet rédigé par G.Philips (texte B, juillet 1963), puis il apparaît dans le texte C (1963-64) comme un second volet de ce même futur chapitre V, pour finir par constituer, dans le texte final, un cha-pitre VI, première figure du caractère eschatologique de l’Église (chapitre VII). Le texte final de la Constitution dogmatique (texte D) comporte ainsi huit chapitres, dont la teneur et l’ordon-nance ont été pratiquement dictées par les Pères conciliaires. Il est promulgué le 21 novembre, jour de clôture de la troisième session. L’évolution du titre du chapitre assigné à la « vie reli-gieuse » est tout aussi intéressante ; les « états de perfection évan-gélique à acquérir » (texte A), « les états de perfection à acquérir » (texte B), font place aux « religieux » (textes C et D). En situant clairement les religieux dans le mystère de l’Église, le Concile opérait un renouvellement théologique considérable, qui n’a peut-être pas encore sorti tous ses effets. Ainsi, partageant la vocation de tous à la sainteté (chapitre V), les religieux ont bien reçu, dans la Constitution dogmatique Lumen gentium, un cha-pitre distinct de celui des laïcs (chapitre IV) et des membres de « l’ordre sacré » (chapitre III), mais ils se trouvent aussi, avec les clercs et les laïcs, dans l’unique peuple de Dieu (chapitre II) en marche vers le salut (chapitre VII) que Dieu lui offre (chapitre I) et qui, en la Vierge Marie, a déjà abouti (chapitre VIII).

En résumé toujours, le chapitre VI de Lumen gentium décrit la vie religieuse comme une profession des conseils évangéliques dans un état de vie ecclésial (LG 43), une consécration signifiante (LG 44), une existence liturgique et cependant canonique (LG 45), une vocation (parmi d’autres, certes) à la sainteté de Dieu dans

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Le décret Perfectae caritatis

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l’Église du Christ (LG 47). A la personne consacrée par Dieu dans la profession des conseils, il est ainsi donné un état de vie stable en lequel l’Eglise peut à la fois manifester le Christ (LG 46) et se reconnaître comme l’Épouse du Sauveur (LG 46).

Outre Lumen gentium, d’autres textes conciliaires majeurs devraient encore être examinés, pour formuler l’apport de Vati-can II à la théologie de la vie religieuse. La constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium voyait la vie religieuse comme une profession liturgique (SC 80, 98 et 101). Le Décret Christus Dominus l’appellera à un apostolat concerté avec les évêques, mais aussi le clergé et les autres instituts religieux (CD 33-35). Le décret Ad gentes estimera que l’Église n’est pas plantée tant que la vie religieuse n’y est pas apparue (AG 184 et 40). Et le décret Perfectae caritatis, richement nourri de citations scriptu-raires, va la désigner comme un témoignage évangélique5.

Perfectae caritatis

Lorsque la Commission conciliaire des religieux reçut du Conseil de présidence, à la fin de la première session du Concile (début décembre 1962), la mission de « résumer beaucoup » le projet confectionné durant la période préparatoire au sujet des religieux, elle convint de faire apparaître les fondements de la vie religieuse dans Lumen gentium, les rapports entre évêques et religieux dans Christus Dominus et les questions de l’apostolat missionnaire dans Ad gentes6. Le reste, tout le reste, formerait la matière du futur décret sur « La rénovation adaptée de la vie religieuse ». C’est au cours de la séance publique du 28 octobre, que la sixième mouture du texte, objet d’un dernier vote favo-rable, fut solennellement promulguée par Paul VI.

Attachons-nous à présent à ce seul décret Perfectae caritatis, pour le parcourir brièvement. Nous évoquerons ensuite, comme

4. « La vie religieuse manifeste avec éclat et fait comprendre la nature intime de la vocation chrétienne ». 5. Voir le terme dans AG 40 ; ce sera le titre de l’exhortation apostolique Evangelica testificatio de Paul VI (1971). 6. Cfr N. Hausman, Vie religieuse apostolique et communion de l’Église. L’enseignement du Concile Vatican II, Cerf, 1987 (ici : 74).

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N. Hausman, s.c.m.

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prévu, son actualité et, pour finir, je m’avancerai à énoncer quelques signes de l’avenir7.

Il me paraît que, du préambule à la conclusion, le document décrit d’abord les critères du renouveau escompté (1-4), les fon-dements communs à toutes les formes de la vie religieuse (5-6), puis la variété des instituts, laquelle engage diversement leurs membres et leur visibilité sociale (7-18), et enfin, les chemins de l’avenir (19-25). Suivons donc cette quadruple articula- tion, qui montre comment la vie religieuse8 doit se rénover : en « s’adaptant », selon l’esprit des fondateurs (1°) ; puisque Dieu la consacre pour la mission (2°) ; dans cette « charité parfaite » (3°) que l’Église protège et soutient judicieusement (4°).

1° Une rénovation adaptée (1-4)La rénovation adaptée, selon l’intraduisible formule latine,

de la vie et de la discipline religieuses concerne « les instituts religieux et, compte tenu de leur caractère propre, les sociétés de vie commune sans vœux9 et les instituts séculiers » (PC 1). Cette rénovation se caractérise d’une part par un retour continu aux sources de toute vie chrétienne et à l’inspiration originelle des instituts10, et, « d’autre part », par la correspondance des instituts aux conditions nouvelles de notre temps. Sous l’impulsion de l’Esprit Saint et la direction de l’Église, elle s’accomplit selon les principes suivants : suite du Christ dans le respect du patrimoine de l’institut, communion à la vie de l’Église en vue de secourir les hommes et, avant tout (primas partes), rénovation spirituelle (PC 2). Les critères pratiques de ce renouvellement viendront des conditions actuelles des religieux et des besoins de l’apostolat (PC 3). Tous les membres des instituts, et non seulement les

7. Dans ces deux premiers points, je résume quelques pages de l’ouvrage précité (160-166 ; cfr aussi 69-121). 8. Je mets souvent, comme le Décret, sous l’étiquette « religieux », d’autres formes de la vie consacrée, en particulier les ermites (cfr PC 1) et les instituts séculiers (cfr PC 11) ; pour les vierges consacrées, voir SC 80. 9. Le Code de Droit canonique de 1983 les nomme désormais « sociétés de vie aposto-lique », cfr cc. 731-746. 10. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le Concile n’emploie pas le terme de « charisme » pour désigner la grâce supposée propre à un institut religieux. Ce sera le fait d’Evangelica testificatio, aux numéros 11 et 32.

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Le décret Perfectae caritatis

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supérieurs ou les chapitres généraux, en seront les acteurs (PC 4).

Ainsi, le Concile Vatican II n’appelle pas la vie religieuse à se réformer de l’intérieur, comme l’avait fait le Concile de Trente11, il lui demande de se renouveler en « s’adaptant »12 mieux : au Christ et à l’Église, au monde et aux religieux présents. Au-delà de la réforme disciplinaire, la visée du renouveau est christolo-gique, ecclésiologique et pastorale tout ensemble.

2° Consécration à Dieu et à la mission de l’Église (5-6)Les « éléments communs à toutes les formes de vie religieuse »

tiennent en quelques mots : consécration particulière à Dieu et service de l’Église, union de la contemplation avec l’amour apos-tolique (5). La profession des trois conseils évangéliques est en effet la réponse à une vocation divine ; ici, la vie entière est dédiée au service de Dieu et le Concile y voit une manière particulière d’exprimer, « avec plus de plénitude », la consécration baptis-male. Acceptée par l’Église, cette donation lie les religieux à son service. Participant à la fois de l’abaissement du Christ et de sa vie dans l’Esprit, ils ont à suivre l’Unique nécessaire, ne cherchant avant tout que Dieu seul (soli Deo vivant). C’est ainsi qu’ils uni-ront la contemplation avec l’amour apostolique, c’est-à-dire l’adhésion à Dieu et à son œuvre de rédemption.

Car la dilection du prochain « pour le salut du monde et l’édification de l’Église » procède de la vie cachée avec le Christ en Dieu. Telle est la charité qui vivifie la pratique des conseils. En conséquence, que la vie spirituelle soit intense (oraison, méditation de l’Écriture, liturgie, surtout eucharistique, prière de l’Église) et que la vie fraternelle soit ecclésiale (amour des membres du Christ, révérence et dilection pour les pasteurs, vie et pensée avec l’Église, consécration à sa mission) : c’est le numéro 6. Le paragraphe sur « la vie spirituelle à cultiver avant tout » s’achève ainsi par une exhortation à se consacrer totale-ment à la mission de l’Église.

11. La remarque est de Th. merton, “The Council and Religious Life”, in New Black-friars 47 (1965/1966), 9-10. 12. Le mot revient à de nombreuses reprises, dans la plupart des numéros du décret.

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Le fait est tout aussi remarquable que l’accent du numéro 5 sur la consécration à Dieu, s’épanouissant elle aussi dans l’union de l’amour apostolique avec la consécration divine. Ce qui est commun à toute forme de vie religieuse, c’est de ne vivre que pour Dieu seul, et, par là même, d’être associé à la mission de l’Église pour le salut de tous. Voyons comment cet unique élan se réalise sous des formes variées dans les différents instituts.

3° Diversité de la charité (7-11 et 12-18)Nous mettons sous ce titre à la fois ce que l’on nomme habi-

tuellement une typologie de la vie religieuse (7-11) et la partie dite ascétique du document (12-18). Ce regroupement sur-prendra moins lorsqu’on verra la place donnée, dans tous ces paragraphes, à leur fondement commun, la charité.

Les numéros 7 à 11 sont tous construits sur le même rythme : description, à partir de ses composantes concrètes, du type de la vie religieuse que l’on envisage, puis appel à la rénovation et à l’adaptation qui lui conviennent. En premier lieu sont considé-rés les instituts intégralement ordonnés à la contemplation (7), puis les instituts voués à la vie apostolique (8) — un paragraphe doctrinalement inégalé13. La vie monastique et conventuelle (9) est ensuite distinguée de la vie contemplative ; la vie religieuse laïque (10) et les instituts séculiers (11) concluent une énuméra-tion qui ne se veut pas exhaustive, et dont l’ordonnance n’est pas plus historique que canonique — elle relèverait plutôt de la phé-noménologie, qui décrit pour désigner, la vie religieuse étant irréductible à toute définition.

Disons pour faire bref que, livrés à Dieu et par lui à l’apostolat, les religieux sont tous exhortés à la perfection de la charité, qui va de l’amour de Dieu à l’amour de tous ses enfants.

Les trois vœux (12-14), la vie à mener en commun14 (15) et quelques problèmes d’adaptation propres aux religieux (16-18) forment un second volet. Alignés sur l’ordre donné par Lumen gentium — où la chasteté précède toujours la pauvreté et

13. Cfr N. Hausman, « La vie religieuse apostolique selon Vatican II », in NRT 107 (1985), 658-674. 14. Il faut préférer cette expression à celle de « vie commune », que le Concile n’em-ploie qu’à propos des prêtres.

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l’obéissance —, les trois vœux sont présentés tour à tour à partir de leur principe final : le royaume des cieux, pour la chasteté (12), la suite du Christ pour la pauvreté (13), l’exemple du Christ pour l’obéissance (14). De même, la vie à mener en commun a pour modèle la primitive Église et procède de la charité que Dieu a déjà répandue dans les cœurs (15). L’adaptation de la clô- ture (16), la modification de l’habit (17), la rénovation de la for-mation en fonction de « l’unité de vie » (18)15 sont à chaque fois mises en relation avec les circonstances et les manières de penser de notre temps. Fondement théologique des vœux et de la vie fraternelle, référence pastorale donnée aux autres problèmes d’adaptation : l’unité des composantes « ascétiques » de la vie religieuse lui vient du souci d’envisager le don à Dieu en même temps que l’engagement envers les frères, et c’est bien le fait de ces numéros 12 à 18 du Décret.

De l’une à l’autre partie de notre diptyque, la charité de Dieu, s’exerçant dans tous les instituts (7-11), se fait signe visible (12-18) d’une restauration universelle, elle-même fondée dans l’union de l’Église avec le Christ (12) et l’effusion de l’Esprit (15).

4° Utilité pour l’Église et nécessité des temps (19-25)La création de nouveaux instituts (19), la conservation des

œuvres propres et l’esprit missionnaire (20), la suppression ou le regroupement des instituts (21-22), la collaboration des supé-rieurs majeurs entre eux et avec les conférences épiscopales pour ce qui regarde l’apostolat (23), et même les vocations religieu- ses (24) reçoivent comme critères de base l’utilité, l’espoir et les besoins de l’Église, universelle ou particulière. C’est d’ailleurs l’autorité de l’Église qui est donnée comme juge en ces matières, sauf pour ce qui est des œuvres propres (20), seul moment où il est encore question, et à deux reprises, d’adaptation aux condi-tions actuelles. Finalement, le Concile dit son estime pour le genre de vie des instituts religieux et son espoir dans la fécon- dité de leurs œuvres : leur divine vocation et leur mission dans l’Église à l’époque actuelle, c’est de répandre la bonne nouvelle

15. L’importance de ce numéro ne peut être surestimée, puisqu’il condense une quin-zaine de chapitres du texte A ; cfr N. Hausman, Vie religieuse…, o.c., 72.

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du Christ dans l’univers entier, par un témoignage universelle-ment visible (25).

Achevons cette lecture. La rénovation de la vie religieuse (1-4) impose de se consacrer « plus intimement » à Dieu et de s’unir « davantage » à la mission de l’Église (5-6), dans une charité diver-sement pratiquée, mais qui procède toujours de l’amour de Dieu en vue du salut du monde (7-11 ; 12-18), sous l’autorité de l’Église de ce temps (19-25). Le cœur de la vie religieuse, c’est de mani-fester visiblement et socialement ce que recherche aussi toute vie chrétienne : la « perfection de la charité ». Pour Perfectae cari-tatis, la vie religieuse est particulièrement requise de signifier l’efficacité de l’amour de Dieu dans le langage de ce temps.

Cinquante ans plus tard

Les forces et les faiblesses du décret n’ont pas manqué d’ap-paraître, dans la réflexion et surtout la pratique postconciliaires. Du point de vue doctrinal, les acquis ne sont pas minces. Aban-donnant la définition des « états de perfection » pour se ressour-cer dans l’Écriture16, Perfectae caritatis présente la vie religieuse comme une « profession de la pratique des conseils » (1) qui ne monopolise pas la « perfection de la charité » vers laquelle tend, disait déjà Thomas d’Aquin, toute vie chrétienne17. Il choisit, à l’encontre d’une division d’inspiration païenne entre vie active et vie contemplative, la voie plus descriptive d’une typologie, insatisfaisante par nature18, mais qui souligne la diversité (pneu-matique) des formes de la vie consacrée. Enfin, à la tâche de « faire signe », urgée par Lumen gentium, le décret ajoute le devoir de discerner les signes de Dieu qui ne cesse de se révéler19.

Du point de vue pastoral, Perfectae caritatis est à la source d’un renouveau particulièrement centré sur les numéros 5

16. On compte 55 renvois scripturaires, pour une seule référence à la tradition. Le Père J.M.R. tillard pense que « l’utilisation de l’Écriture dans le décret est souvent peu fidèle au sens littéral des textes » (voir « Les grandes lois de la rénovation de la vie religieuse », in L’adaptation… (US 62), o.c., 93, note 48). En sens contraire, on verra P. de la Jonc-quière, dans « La Bible et le décret Perfectae caritatis », in VC 38 (1966), 295-314. 17. Somme théologique IIa IIae, q.186, a.2 ; cfr q.184, a.2. 18. Il faut en tout cas lui adjoindre la typologie christologique de LG 46. 19. C’est l’avis de M. de certeau, « La rénovation de la vie religieuse », in Christus 13 (1966), 101-120.

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(« éléments communs à toutes les formes de vie religieuse ») et 6 (« primauté de la vie spirituelle »), assidûment scrutés. La direc-tive communautaire du numéro 15 — qu’on tende à « une seule catégorie de sœurs », que les coadjuteurs soient « plus intime-ment associés » aux autres membres —, a pu achever un mouve-ment d’unification datant, en beaucoup d’instituts, du début du vingtième siècle. Mais c’est sans doute la prescription du numéro 3 — « il faut réviser convenablement les constitutions, les ‘directoires’, les coutumiers, les livres de prière, de cérémonies et autres recueils du même genre » — qui demeurera dans les mémoires, puisqu’elle fut à l’origine de l’immense mouvement capitulaire qui mobilisa les énergies des instituts, depuis le motu proprio Ecclesiae sanctae de Paul VI (6 août 1966), pour rénover, adapter, mettre à jour, leurs textes constituants. Un mouvement qui devait reprendre, vingt ans plus tard, en raison de la publica-tion du Code de droit canonique de 1983.

Or, cet approfondissement considérable de la doctrine et des pratiques semble coïncider avec l’effondrement devenu mani-feste (ses prémices datent du siècle dernier) du recrutement et des vocations. Sans compter ses dérives vers les courants dont les trois conseils sont précisément la critique (freudisme, marxisme, nietzschéisme), ou le repli sur la « vie commune », on doit bien constater que, dans les pays occidentaux du moins, la vie consa-crée paraît aujourd’hui tellement affaiblie qu’on envisage parfois son extinction. Peut-être les remèdes sont-ils venus trop tard (le premier Congrès des états de perfection et les premiers appels au renouveau datent du pontificat de Pie XII), mais ce temps d’épreuve pourrait aussi permettre d’en revenir à l’essentiel.

Largement dépouillée de son efficacité sociale, souvent en difficulté économique, parfois absorbée par les différents domestiques, la vie religieuse, féminine et masculine, se trouve, de plus, sévèrement marquée aujourd’hui non seulement par un âge grandissant (moins de deux pour cent de ses membres, en Europe occidentale, n’ont pas quarante ans), mais par le retentissant scandale des abus sexuels tardivement dénoncés. Une situation de crise totale, qui n’est pourtant pas sans espé-rance, pour autant que l’on accepte de migrer vers les chemins de l’avenir.

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Et maintenant ?

Le décret Perfectae caritatis énonce en termes d’engagement personnel (« manifester l’union de l’Église avec le Christ », 12) ce que la constitution dogmatique Lumen gentium considérait à partir de l’union du Christ avec son Église20 (LG 44). Avant même que chacun des religieux ne chemine, par les vœux et dans la vie communautaire, vers la figure eschatologique de la Jérusalem céleste, l’Église manifeste déjà en ce monde la réalité du salut qui lui vient du Christ. S’intégrer au mystère de l’Église, se recon-naître comme un fruit de sa sainteté, c’est pour la vie religieuse se trouver dans l’obligation de repenser toutes les figures de son déploiement. Le magistère postconciliaire l’y a aidé, de multiples manières, et par les documents qu’il lui a adressés21, et par les appels inscrits dans la plupart des exhortations postsynodales22, et par un Synode général, en 1994, entièrement dédié à la vie consacrée sous toutes ses formes. Dans les derniers temps, il a fallu sans doute, comme dans la Lettre aux catholiques d’Irlande, appeler à la pénitence et à la conversion. Il me paraît qu’une des conditions de l’avenir réside dans l’écoute que feront les reli-gieux, et d’ailleurs tous les consacrés, de la voix de l’Église, lorsqu’elle sort des condamnations pour inviter dans la confiance aux chemins d’un vrai renouveau.

20. LG 44, §1 : « Par les vœux (ou d’autres engagements sacrés assimilés aux vœux par leur nature même), le fidèle du Christ s’oblige à la pratique des trois conseils évangé-liques susdits ; il est livré entièrement à Dieu, qu’il aime par-dessus tout, et ainsi il est ordonné au service du Seigneur et à son honneur à un titre nouveau et particulier. Le baptême déjà l’avait fait mourir au péché et consacré à Dieu, mais pour pouvoir recueillir en plus grande abondance le fruit de la grâce baptismale, il veut, par la pro-fession faite dans l’Église des conseils évangélique, se libérer des surcharges qui pour-raient le retenir dans sa recherche d’une charité fervente et d’un culte parfait à rendre à Dieu, et se consacrer plus intimement au service divin [n]. Cette consécration sera d’autant plus parfaite que des liens plus fermes et plus stables reproduiront davan-tage l’image du Christ uni à l’Église son Épouse par un lien indissoluble ». 21. Voir la liste établie dans mon ouvrage, o.c., 19-20, à laquelle il faut ajouter l’instruction Potissimum institutioni sur la formation (2 février 1990), le document Congregavit nos in Christi amor sur la vie fraternelle en communauté (2 février 1994) et l’exhortation, publiée à la suite du Synode de 1994, Vita consecrata, le 25 mars 1996 ; l’instruction « Repartir du Christ » en a célébré les cinq ans, le 19 mai 2002. 22. Evangelii nuntiandi 69 (1971), Catechesi tradendae 65 (1979), Familiaris consor- tio 74 (1981), Reconciliatio et paenitentia 4 (1984), Christifideles laici 55-56(1988), Pas-tores dabo vobis 4, 27(1992), etc., jusqu’à Verbum domini (30 septembre 2010) ; voir N. Hausman, « Parole du Seigneur et vocations dans l’Église : le cas de la vie consacrée », Revue des Bernardins, 2011-2, 117-124.

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C’est ainsi que la vie consacrée pourrait mieux manifester sa particularité dans l’Église : ni sacrement, comme l’ordre et le mariage, ni condition provisoire de l’existence, comme souvent le célibat, elle constitue un « état de vie » stable, où l’Église recon-naît l’une des figures du « grand mystère » dont parle la Lettre aux Éphésiens 5,32 — mystère qui abrite aussi bien, quoiqu’à des titres divers, le mariage et la vie religieuse23, le veuvage et le célibat24, les diacres25 et les prêtres26. L’originalité de la vie consacrée est précisément de rendre visible, par pure grâce, la transcendance de l’amour de Dieu sur tous les autres attache-ments, mais aussi la proximité de cet amour dans tous les lieux où l’homme pourrait en désespérer. Ce témoignage d’une sura-bondance qui comble le cœur et se diffuse sans mesure porte évidemment les consacrés aux avant-postes de la mission (Evangelica testificatio 69), parce qu’ils se tiennent au cœur de l’Église : qui pourrait les en séparer ?

A ces défis il faut ajouter, pour l’avenir, l’appel fait aux anciennes générations d’accepter la greffe des jeunes pousses qui leur sont encore données. Il y a peu de chances, d’un point de vue sociologique, qu’un groupe majoritairement âgé, affecté pendant des dizaines d’années par des évolutions radicales, pré-venu à tous égards de sa disparition prochaine, trouve les res-sources nécessaires à l’effacement qui s’impose devant les forces les plus jeunes. Mais la vie religieuse n’a-t-elle aucunement pré-paré à cette joie de diminuer pour que d’autres grandissent ? Pourquoi ne pourrait-elle trouver, même dans l’Occident vieillis-sant, un modèle où les générations ne s’affrontent pas mortelle-ment, mais s’accordent à transmettre ce qu’elles ont reçu ? On peut évidemment s’orienter vers un partenariat avec des « laïcs associés », et souvent on le doit. Mais la vie religieuse ne peut se dispenser de connaître en son propre sein cet enfouissement

23. Pour le mariage, voir LG 11 et 41 ; cfr aussi GS 48 et 49 ; OT 10 ; AA 11. Pour la vie religieuse, voir LG 44 ; cfr aussi PC 12, etc. ; pour le ministère sacerdotal, voir PO 16. Le mystère est le même, la manière de le symboliser diffère : le mariage « signifie » ce mystère « en y participant » (LG 11), les vœux religieux « représentent » le Christ uni à l’Église (LG 44), les prêtres « évoquent les noces mystérieuses voulues par Dieu qui se manifesteront pleinement aux temps à venir » (PO 16). 24. Innuptis, « non mariés », hapax conciliaire, en Lumen gentium 41. 25. Lumen gentium 41. 26. Presbyterorum ordinis 16.

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des saisies propres, pour que les plus jeunes trouvent disponi-bles et puissent assumer, mais aussi renouveler, les valeurs mêmes de l’institut. Il serait dommageable que les dernières forces soient mobilisées, dans les familles religieuses, pour le soin des aînés, tout respectables qu’ils soient. Une politique cou-rageuse d’affectation des jeunes aux plus grandes responsa-bilités n’est pourtant pas suffisante ; il faut encore soutenir ces engagements par des communautés spirituellement vigoureu-ses — une propriété que l’âge ne peut affecter.

On soulignera encore cette évidence, que le régime éco-nomique des instituts et des personnes relève lui aussi de la préparation de l’avenir. Certes, la doctrine s’est beaucoup amé liorée, durant les cinquante dernières années, dans les constitutions des instituts religieux eux-mêmes ; mais certains points demeurent dans l’ombre : les propriétés et les biens des instituts, la gestion des institutions encore pour un temps aux mains des congrégations, le rôle des économes… Ces lacunes éventuelles, ajoutées à une relative faiblesse de la théologie du travail et de la Providence, voire du rapport entre le vœu de pau-vreté et la présence du Christ dans les pauvres, invitent à la réflexion. La vie religieuse peut-elle manifester le style évangé-lique de son administration ? Pourquoi son constant effort de partage demeure-t-il caché ? Comment se fait-il que des procé-dures « séculières » s’emparent de ses dynamismes financiers, au point que les décisions des supérieurs semblent dépendre de l’aval de comptables tout-puissants ? La vie religieuse s’est tou-jours renouvelée quand elle est devenue plus pauvre. À bien des égards, c’est sa vocation et sa situation spirituelle aujourd’hui.

Malheureusement, le droit canon n’étant pas connu, et le droit civil étant parfois devenu la seule référence, il arrive que les biens d’Église dont disposent les instituts en voie d’extinction se volatilisent eux aussi : on vend à des promoteurs peu scrupuleux, on s’empêtre dans des obligations de proximité, on se lie à des « bienfaiteurs » intéressés… Même si les cas de spoliation sont marginaux, parce que, d’habitude, les Unions de Supérieurs Majeurs (et les responsables diocésains) veillent, ils font l’objet d’effervescences médiatiques répétées qui n’aident pas à la com-préhension de nos contemporains.

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Par ailleurs, si l’État devient la référence externe du droit ecclésial27, qu’en sera-t-il de la renonciabilité à certains droits fondamentaux qui s’exerce, en droit ecclésiastique, aussi bien au niveau des personnes que des institutions ? On pense ici aux vœux des religieux, régime qui implique évidemment de renon-cer au mariage, mais on vise aussi les pratiques que ces vœux engagent et qui vont de plus en plus apparaître comme opposées à la « liberté de choix » habituellement reconnue en matière de résidence, de travail professionnel, de loisirs, etc28. Comment manifester que ce renoncement exhausse la liberté plutôt qu’il ne la contraint et comment faire en sorte que le droit civil n’im-pose pas aux congrégations de provisionner des « garanties » à l’égard des sortants éventuels, ce qui annihilerait l’authenticité des engagements ?

Et que dire des religieux âgés devenus incapables de se rendre aux ordres de leurs supérieurs, parce qu’ils ont tissé autour d’eux le réseau protecteur d’affections de type familial, plus fortes que toute obligation communautaire ? Enfin, quel temps faudra-t-il pour que l’infamie attachée aux abus d’enfants s’atténue dans la mémoire commune, si manipulée soit-elle ? Toutes ces ques-tions qui ont bien quelque chose à voir avec les trois vœux pèsent sur les cœurs livrés à Dieu, plus peut-être qu’ils ne peuvent le dire. C’est bien dans cet abaissement que nous sommes atten-dus, s’il plaît à Dieu de nous y reprendre.

Conclusion

Comment peut-on être religieux ?, se demandent peut-être les amis de Montesquieu29. Quand on a passé l’âge de l’amour — comme disait Sara en entendant les visiteurs d’Abraham lui promettre un fils (Gn 18,1-15) — peut-on encore enfanter ? Mais qui donc a décrété qu’une absence de vocations, même durant

27. Voir mon article « L’Église en tant qu’institution justiciable. Une journée d’étude Leuven-Strasbourg, le 15 décembre 2000 », in NRT 123 (2001-2), 254-257. 28. On a déjà vu, dans des procès civils, d’anciens religieux attaquer leurs supérieurs parce qu’ils n’avaient pu choisir ni leur métier, ni leur assignation communautaire, ni leurs vacances annuelles, etc. 29. Allusion à la fameuse question du tout-Paris : « Comment peut-on être persan ? ».

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des décennies, signifiait un échec de l’engagement, une stérilité définitive, ou une disparition prochaine30 ?

Nous avons rappelé que le décret conciliaire consacré aux religieux se résume par le double commandement de la charité : pour le Christ qui nous a aimés, pour ceux qu’il nous destine à aimer. Les temps actuels ne représentent-ils pas un kairos divin, une invitation du Christ à le trouver présent là où il nous appelle — quoiqu’il en soit du soutien si nécessaire des chrétiens laïcs et des pasteurs — dans cette faiblesse et ce vieillissement ?

- n. Hausman, s.c.m.Avenue Pré-au-Bois, 9

BE-1640 Rhode-Saint-Genèse

Les temps présents sont-ils encore propices à la vie consacrée ? Une relecture du décret Perfectae caritatis permet de donner une réponse de principe, que l’actualité peut sembler contredire ; cependant, rappelons aussi la parole du Christ à Thérèse d’Avila : « qu’en serait-il du monde, s’il n’y avait les religieux ? » (cité dans Vita consecrata, 105).

a

30. Voir par exemple l’article de Sœur G. ang, sur « La Congrégation des Petites Sœurs de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus d’Anguo (Chine) » in Vies consacrées 81 (2009), 19-24, qui relate le relèvement d’un institut longtemps réduit à deux membres âgés et infirmes.

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 183-194

Le décret Presbyterorum ordinis sur le ministère et la vie des prêtres

Cinquante ans après

La quatrième session du Concile s’achève ; nous sommes à la veille de la célébration qui clôture Vatican II. Le 7 décembre 1965, le décret Presbyterorum Ordinis (l’Ordre des Prêtres), intitulé Décret sur le ministère et la vie des prêtres, est approuvé en der-nière lecture par 2390 voix contre 4. L’ultime texte de Vatican II, la constitution Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps, sera promulguée le même jour.

Deux interrogations, débattues surtout en France et en Bel-gique, sont intégrées par le décret. Cette intégration est un exemple de la richesse doctrinale et pastorale de Presbyterorum Ordinis, qui, depuis lors, ne cesse de se voir confirmée.

La première interrogation surgit au cours du Concile lui-même, parmi les prêtres notamment. L’ecclésiologie de Lumen Gentium, en valorisant l’épiscopat et le laïcat, ne relativise-t-elle pas le presbytérat — l’Ordre des prêtres ? La seconde interro-gation, lancinante, parcourt les années antérieures au Concile. Elle est suscitée tout particulièrement par le milieu ouvrier, étranger à l’Église. La « mission » évangélisatrice n’est-elle pas devenue plus urgente que le « culte » — auquel les prêtres sont ordinairement voués ?

Consacré à Presbyterorum Ordinis, notre exposé prend en compte cette double interrogation posée, à l’époque du décret, au sujet des prêtres : c’est la première section, intitulée « Cir-constances ». La deuxième section, « Le contenu du décret », est un commentaire du préambule et du chapitre premier du texte conciliaire, que suivra un aperçu du plan d’ensemble.

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Pierre Piret, s.j.

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Circonstances

L’interrogation relative à Lumen GentiumLe texte de Lumen Gentium, intitulé Constitution dogma­

tique sur l’Église, date du 25 novembre 1964. Le chapitre 3 concerne la « hiérarchie » de l’Église : l’épiscopat, le presbytérat, le diaconat. La constitution souhaite voir restauré celui-ci, après un abandon qui remonte au Moyen Age, comme « un degré permanent de la hiérarchie ». Le chapitre 4 traite du « laïcat ». Les deux chapitres sont à saisir ensemble, ils correspondent entre eux. Le principe de cette correspondance est enseigné par le cha-pitre qui les précède. Ce sera notre premier point.

Le chapitre 3 de Lumen Gentium consacre neuf numéros (nos 19 à 27) à l’épiscopat pour un seul au presbytérat (n° 28) puis au diaconat (n° 29). Pourquoi le Concile tient-il à accorder une pareille importance à l’épiscopat, et de quelle façon celle-ci va-t-elle rejaillir sur les prêtres ? Ce sera notre second point.

Premier point. Avant d’explorer la relation entre la hiérarchie et le laïcat, Lumen Gentium, au chapitre 2, confesse la réalité une et normative de l’Église : celle-ci est Corps du Christ, Temple de l’Esprit, Peuple de Dieu. En vertu du sacerdoce du Christ « unique Grand Prêtre » (Hé 4, 14), l’Église tout entière, par la grâce du bap-tême qui nous incorpore au Christ, est un « peuple sacerdotal ».

Que signifie le sacerdoce du Christ auquel communient, par l’action du Christ lui-même, tous les membres de l’Église ? Les prêtres de l’Ancien Testament intercèdent auprès de Dieu en faveur du peuple et offrent des sacrifices pour les péchés. Le Christ, Fils de Dieu fait homme, introduit ses frères dans la vie divine, les conduit jusqu’au Père, il les sauve « une fois pour toutes » du péché. Nous bénéficions de son sacerdoce, et aussi, en communion avec lui, nous formons ensemble un peuple de prêtres (sacerdotes) au milieu des hommes et en leur faveur. Tel est le « sacerdoce commun » de tous les fidèles. C’est en lui qu’alors se distinguent réellement et se promeuvent mutuelle-ment le témoignage baptismal des laïcs et le ministère sacerdotal des prêtres (presbyteri).

Deuxième point. Les expressions sont courantes : quelqu’un est ordonné prêtre, une ordination sacerdotale, le sacrement de

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Le décret Presbyterorum Ordinis

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l’Ordre… Parle-t-on de sacrement ? Celui-ci est une réalité signi-fiée et effectuée par le Christ Seigneur en personne dans son Église. Parle-t-on d’ordination ? Le prêtre est sacramentellement ordonné, consacré, habilité à célébrer l’Eucharistie et à réconci-lier les hommes avec Dieu : c’est le « pouvoir d’Ordre ».

Dans cette reconnaissance du ministère sacerdotal guidée par le Concile de Trente, comment considère-t-on généralement le pouvoir de l’évêque comparé à celui du prêtre ? Il semble ne plus concerner l’Ordre, relatif au Christ et au sacrement de l’Eucharistie. C’est plus largement un « pouvoir de juridiction » relatif à l’Église, à sa doctrine et à son organisation.

Or voici que Lumen Gentium professe la « sacramentalité de l’épiscopat », considère dans celui-ci « la plénitude du sacre-ment de l’Ordre » et « le sacerdoce suprême » (n° 21).

Le Christ et son Église, le Corps eucharistique du Christ et son Corps ecclésial, sont de la sorte compris dans leur unité — ainsi que le ministère que partagent le prêtre et l’évêque. Ce ministère (ministerium) ou service (diaconia) de l’Eucharistie comme de l’Église est d’ordre sacerdotal et sacramentel : le Seigneur Jésus, mort et ressuscité, s’y adonne en personne.

Une remarque sur la terminologie des « trois degrés de l’Ordre » sera utile à la compréhension de la doctrine de l’Église. Elle concerne le vocabulaire grec du Nouveau Testament, sa transpo-sition dans le latin ecclésiastique, sa traduction française.

Un seul mot français, « prêtre », traduit les deux mots grecs « hiereus » (d’où est dérivé « hiérarchie ») et presbuteros, ainsi que les deux mots latins correspondants sacerdos (d’où viennent sacerdotium et sacerdotalis, soit « sacerdoce » et « sacerdotal ») et presbyter (d’où le mot français « presbytérat »). Le grec episkopos, en latin episcopus, est traduit par « évêque » et se retrouve dans « épiscopat ». Le grec diakonia et diakonos sont translittérés diaconia et diaconus en latin, « diaconie » ou « diaconat » et « diacre » en français.

« Ministère » et « ministre », du latin ministerium et minister, ainsi que « service » et « serviteur », sont synonymes du grec dia­konia et diakonos.

Le « ministère » de l’« évêque » et du « prêtre » est « sacer do-tal ». A l’intérieur du sacrement de l’Ordre, le « diacre » représente le « ministère » en tant que tel, dans sa permanence.

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L’interrogation relative à l’identité du prêtreCertes, la relation du prêtre au sacrifice eucharistique du

Christ est une donnée essentielle du sacerdoce ministériel ; enseignée par le Concile de Trente, elle se trouvera confirmée par Presbyterorum Ordinis. Toutefois, au cours des âges, certaines applications pourront la gauchir : par exemple, on percevra la « consécration » des prêtres comme une mise à part qui ne rend guère raison de leur mission proprement ecclésiale au sein de la société humaine.

Certes, dans sa restauration après la Révolution française, l’Église s’organise moyennant une ample répartition de son clergé. Toutefois, la typologie variée de celui-ci spontanément présente à la conscience chrétienne ne suffira pas à intégrer les nouveaux besoins qui s’imposeront massivement.

Résumons, par quelques énumérations, la situation. On connaît les prêtres diocésains (ou « séculiers »), qui ont en charge les paroisses sous l’autorité de l’évêque de leur diocèse. Des institutions ecclésiales, telles que les écoles et les hôpitaux, dépendent fréquemment de congrégations religieuses. Les prêtres religieux (ou « réguliers »), distingués en « actifs » et en « contem-platifs », communiquent le savoir-faire (intellectuel, spirituel, liturgique…) propre à leur ordre.

Le territoire chrétien est de la sorte bien arpenté. Le vocable « mission » (généralement décliné au pluriel : « les missions ») est réservé aux régions du monde à la fois colonisées et évangé-lisées par les pays européens. Mais bientôt, ceux-ci auront à l’adopter pour eux-mêmes. « La France, pays de mission ? » est le titre choisi par H. Godin et Y.Daniel pour un ouvrage publié en 1943.

Comment l’Évangile peut-il pénétrer le « milieu ouvrier » ? J. Cardijn, en Belgique, dans les années 1920, fonde la « Jeunesse ouvrière chrétienne » (J.O.C.) et le mouvement prend rapide-ment son ampleur internationale. L’« Action catholique » suit le principe, reconnu par Pie XI, de « l’évangélisation du milieu par le milieu ». Ainsi l’« apostolat (ou mission) des laïcs » est-il mis en œuvre. Les prêtres auront à s’inscrire dans cette mission. Certains recevront une charge d’aumônerie, d’autres s’engage-ront dans le travail — ce sont les « prêtres ouvriers ». L’identité

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Le décret Presbyterorum Ordinis

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sacerdotale est débattue : la fonction du prêtre serait, soit le « culte », selon la tradition tridentine, soit la « mission » requise par le monde actuel. La mission elle-même pose un dilemme : son geste premier est-il l’annonce explicite de l’Evangile ou bien le témoignage patient d’une solidarité fraternelle ?

D’emblée, par son préambule, le décret Presbyterorum Ordi­nis déclare l’attention que Vatican II porte au ministère propre-ment sacerdotal des prêtres et aux conditions concrètes de son exercice.

Le contenu du Décret

Le préambule (n° 1)Composé d’un seul numéro, le préambule de Presbyterorum

Ordinis se réclame de l’attention que porte le Concile à « l’Ordre des prêtres dans l’Église ». Le décret souhaite en traiter de façon détaillée et approfondie. Il s’adresse « à tous les prêtres », à ceux qui ont charge d’âmes spécialement, aux religieux, qui sauront trouver les adaptations qui conviennent.

Les prêtres reçoivent des évêques ordination et mission. Ils participent au ministère du Christ qui édifie son Église. La situation pastorale et humaine qu’ils rencontrent étant sou-mise aux changements, le Concile entend les soutenir dans leur ministère et dans leur vie.

Par ces derniers mots, le préambule annonce la composition du décret. Celui-ci aborde le ministère des prêtres (chapitre 2, nos 4 à 11), puis la vie des prêtres (chapitre 3, nos 12 à 21). Cet ensem- ble est cependant précédé d’un chapitre premier, bref mais capital : « Le presbytérat dans la mission de l’Église » (nos 2 et 3).

Le chapitre premier (nos 2 et 3)Le numéro 2 du décret nomme d’emblée « le Seigneur Jésus »,

reprenant à son sujet le verset johannique : « … celui que le Père a sanctifié (ou consacré : hègiasen) et envoyé (apesteilen) dans le monde » (Jn 10, 36). La référence au Père est suivie par celle à l’Esprit : le Seigneur Jésus transmet l’onction de l’Esprit que lui-même a reçue (cf. Ac 10, 38) à son Corps ecclésial. Le premier paragraphe du numéro 2, en soulignant le lien de la consécration

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et de la mission, met en avant le « sacerdoce » de « tous les fidèles » (cf. 1P 2, 5. 9) dans le Christ :

(…) en lui, tous les chrétiens (omnes fideles) deviennent un sacerdoce saint et royal (…). Il n’y a donc aucun membre qui n’ait sa part dans la mission du Corps tout entier : chacun d’eux doit sanctifier Jésus dans son cœur (cf. 1P 3, 15) et rendre témoignage à Jésus par l’esprit de prophétie (cf. Ap 19, 10).

Le deuxième paragraphe déclare que « le même Seigneur » est l’auteur du sacerdoce ministériel sacramentellement ordonné.

Le texte mentionne tout d’abord l’Ordre sacerdotal et son office. Unissant les fidèles en un seul Corps où « tous les membres n’ont pas la même fonction » (Rm 12, 4),

le même Seigneur, (…) a établi parmi eux des ministres (minis­tros) qui, dans la communauté des [fidèles], seraient investis par l’Ordre du pouvoir sacré d’offrir le Sacrifice et de remettre les péchés, et y exerceraient publiquement pour les hommes au nom du Christ la fonction sacerdotale (sacerdotali officio).

Presbyterorum Ordinis reprend ainsi l’enseignement du concile de Trente. Le sacrifice salvateur du Christ, acte de louange au Père et de miséricorde pour les hommes, se transmet à nous par l’Eucharistie : sacrement de l’acte du Christ, l’Eucharistie est sacrifice, impliquant un ministère proprement sacerdotal.

Dans l’unité ainsi posée de l’Ordre sacerdotal, le décret dis-tingue alors l’épiscopat et le presbytérat. Le texte, tout d’abord, réfère le presbytérat à l’épiscopat moyennant la mission aposto-lique confiée par le Christ. La citation johannique (Jn 10, 36) qui introduisait le numéro 2 du décret semble se poursuivre dans une paraphrase de Jn 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie (pempô humas) » :

C’est ainsi que le Christ a envoyé les Apôtres comme lui-même avait été envoyé par le Père, puis, par les Apôtres eux-mêmes, il a fait participer à sa consécration et à sa mission leurs successeurs, les évêques, et la charge du ministère des évêques a été transmise aux prêtres à un degré subordonné : ceux-ci sont donc établis dans l’Ordre du presbytérat, pour être les collaborateurs de l’Ordre

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épiscopal et lui permettre d’accomplir comme il le doit la mission apostolique confiée par le Christ.

A la suite de Lumen Gentium (n° 28), le décret considère le presbytérat dans son rapport à l’épiscopat et définit celui-ci comme la participation à la mission des Apôtres du Christ. La relation des prêtres au Christ, à sa mission comme à celle des apôtres, n’est cependant pas déterminée uniquement à travers la médiation épiscopale. Le Christ, par l’onction de l’Esprit Saint, en est l’auteur.

C’est le contenu du troisième paragraphe. Puisque c’est « le Christ lui-même » qui « construit, sanctifie et gouverne son Corps », le sacerdoce des prêtres relève de l’ordre sacramentel, est conféré par un sacrement particulier :

La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’Ordre épis-copal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps. C’est pourquoi le sacer-doce des prêtres (sacerdotium presbyterorum), s’il suppose les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère (charactere signantur) spécial, et les configure ainsi au Christ-Prêtre (Christo Sacerdoti configurantur) pour les rendre capables d’agir [en la personne] du Christ Tête (in persona Christi Capitis agere).

Le texte recourt à la double désignation héritée de l’apôtre Paul : l’Église comme Corps du Christ, le même Christ comme Tête du Corps ecclésial. Les relations entre le Corps, en crois-sance par la sanctification de tous ses membres, et la Tête qui sans relâche y agit en personne, sont comparables aux relations entre le sacerdoce des fidèles vécu selon la grâce baptismale, et le ministère sacerdotal sacramentellement ordonné.

Celui-ci consiste à « agir en la personne du Christ Tête ». L’agir du Christ en personne dans l’édification de son Corps eucha-ristique et ecclésial passe humblement — d’une humilité qui appelle la nôtre en retour — par l’agir de ses ministres, les prêtres. Lumen Gentium (au n° 10) avait employé l’expression d’un « agir en la personne du Christ » dans le contexte eucharistique.

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Presbyterorum Ordinis précise l’énoncé par l’adjonction du vocable « Tête » ; il l’amplifie également, en l’inscrivant dans le contexte ecclésial et en décrivant bientôt (au paragraphe sui-vant) l’ensemble du ministère sacerdotal.

Vocable de la tradition théologique, translittéré du grec et du latin, le « caractère » signifie la marque inaliénable du Christ, le sceau de l’Esprit Saint. Les sacrements du Baptême et de la Confirmation d’une part, le sacrement de l’Ordre d’autre part, confèrent, à la personne qui les reçoit, leur caractère propre. Enten-due comme synonyme du « caractère » de l’Ordre, la « configu-ration » du prêtre au Christ évoque un comportement personnel qui corresponde à la grâce sacramentelle objectivement reçue.

Le décret vient d’affirmer la réalité sacramentelle du sacer-doce ministériel des prêtres. Le quatrième paragraphe décrit à présent, de façon organique, leur ministère sacerdotal.

En vertu du fondement proprement « apostolique » du minis-tère sacerdotal, le décret, au début du quatrième paragraphe, définit la mission évangélisatrice des prêtres par celle de l’apôtre Paul. Celui-ci (en Rm 16, 15) se déclare par la grâce de Dieu « un officiant (leitourgon) du Christ Jésus auprès des nations », qui « assure l’office sacré (hierougounta) de l’Évangile de Dieu, pour que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint ».

L’application de l’enseignement paulinien se poursuit : « En effet, l’annonce apostolique de l’Évangile convoque et ras-semble le Peuple de Dieu » ; le « sacrifice spirituel » de tous ses membres s’unit au « sacrifice du Christ, unique Médiateur », offert « au nom de toute l’Église dans l’Eucharistie », et cela, « jusqu’à ce que vienne le Seigneur lui-même (cf. 1 Co 11, 26) ».

Cet avènement du Seigneur oriente le ministère des prêtres :

C’est à cela que tend leur ministère, c’est là qu’il trouve son accomplissement : commençant par l’annonce de l’Évangile, il tire sa force et sa puissance du sacrifice du Christ et il tend à ce que « la Cité tout entière, c’est-à-dire la société et l’assemblée des saints, soit offerte à Dieu comme un sacrifice universel par le Grand Prêtre qui est allé jusqu’à s’offrir pour nous dans sa Passion, pour faire de nous le Corps d’une si grande Tête » (Augustin, Cité de Dieu, X, 6).

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Le décret Presbyterorum Ordinis

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La description suit une progression ordonnée : le ministère « commence » par l’évangélisation, « tire sa puissance » du sacri-fice du Christ, « tend » à l’édification de la Cité de Dieu. L’Eucha-ristie est au centre de ce mouvement, comme sacrement qui intègre la proclamation de la Parole et la croissance du Corps.

Reliant l’évangélisation au culte, reliant l’une et l’autre à l’édification de l’Église qu’oriente la venue du Seigneur dans l’histoire des hommes, le décret conciliaire enseigne la « triple charge » du ministère des prêtres (que décriront respectivement les numéros 4, 5 et 6) : l’annonce de la Parole, la sanctification par l’Eucharistie et les sacrements, la conduite pastorale du peuple de Dieu.

C’est le numéro 6 de Presbyterorum Ordinis qui désigne expli-citement la troisième charge des prêtres : la conduite pastorale de la communauté chrétienne selon le Christ « Tête et Pasteur ». Habituellement attribué à l’évêque, le titre de « pasteur » (et l’expression « charité pastorale ») seront particulièrement mis en valeur dans Pastores dabo vobis (cf. Jr 3, 15), exhortation aposto-lique de Jean-Paul II (1992) « sur la formation des prêtres ».

Le Rituel des Ordinations, promulgué par Paul VI en 1968, témoigne à plusieurs reprises de « la consécration pour la mis-sion » et de « la triple charge ». Celle-ci est particulièrement évo-quée, par l’édition de 1989, dans « la prière consécratoire » que prononce l’évêque et qui, faisant immédiatement suite à « l’impo-sition des mains », forme avec elle le rite essentiel de l’ordination.

La perspective eschatologique du ministère des prêtres ins-crit dans la mission de l’Église est ainsi affirmée : ce ministère est voué au Christ Seigneur qui est, qui était et qui vient.

Le cinquième paragraphe déploie à nouveau la même pers-pective d’une autre façon. Il s’agit de la glorification de Dieu dans le service des hommes :

Ainsi donc, la fin que les prêtres poursuivent dans leur minis-tère et dans leur vie, c’est de rendre gloire à Dieu le Père dans le Christ. Et cette gloire, c’est l’accueil conscient, libre et reconnais-sant, des hommes à l’œuvre de Dieu accomplie dans le Christ ; c’est le rayonnement de cette Œuvre à travers toute leur vie. Ainsi, (…) dans les différents ministères exercés au service des hommes,

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les prêtres contribuent à la fois à faire grandir la gloire de Dieu et à faire avancer les hommes dans la vie divine.

Vient la brève conclusion du paragraphe :

Tout cela découle de la Pâque du Christ, tout cela s’achèvera dans le Retour glorieux du Seigneur, « quand il remettra la royauté à Dieu le Père » (1Co 15, 24).

*

Etre à Dieu pour les hommes et aux hommes pour Dieu. Ainsi résumé, le cinquième paragraphe du numéro 2 introduit assez naturellement au numéro 3 du décret, qui a pour sujet la condition, le comportement des prêtres parmi les hommes. On peut le comprendre comme une application de l’épître aux Hébreux qui enseigne deux moments, successifs et coordonnés, de l’acte sacerdotal du Christ : celui-ci, Fils de Dieu, nous recon-naît comme ses frères et nous fait communier à sa filiation divine.

C’est au cœur de la « fraternité » humaine que les prêtres rendent témoignage au Christ, le Fils de Dieu devenu homme parmi les hommes et leur communiquant sa vie filiale. C’est en vertu même de leur ministère attestant la vie éternelle que les prêtres ont à se rendre proches de la vie des hommes, afin de pouvoir les servir.

Cette alternance se résume dans leur conformité de « bons pasteurs » au Christ, l’« unique pasteur » :

Leur ministère même exige, à un titre particulier, qu’ils ne prennent pas modèle sur le monde présent (cf. Rm 12, 2), et, en même temps, il réclame qu’ils vivent dans ce monde au milieu des hommes, que, tels de bons pasteurs, ils connaissent leurs brebis et cherchent à amener celles qui ne sont pas de ce bercail, pour qu’elles aussi écoutent la voix du Christ, afin qu’il y ait un seul troupeau, un seul pasteur (cf. Jn 10, 14-16).

Le second paragraphe enchaîne aussitôt :

Pour y parvenir, certaines qualités jouent un grand rôle, celles qu’on apprécie à juste titre dans les relations humaines (…).

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Il s’achève — et l’ensemble du chapitre premier avec lui — par la recommandation de Paul dans sa lettre aux Philippiens (Ph 4, 8).

Le plan du décretIl reste à tracer le plan d’ensemble de Presbyterorum Ordinis.

Le chapitre 2, « Le ministère des prêtres », décrit dans leur variété et leur complémentarité les « trois charges » (nos 4 à 6). Il rappelle les relations auxquelles les prêtres sont conviés par leur minis-tère : avec les évêques, entre eux, avec les laïcs (nos 7 à 9). Il invite à une attention accrue à la répartition des prêtres et aux voca-tions sacerdotales (nos 10 et 11). Cet enseignement du décret conciliaire influe sur le chapitre suivant.

Le chapitre 3, « La vie des prêtres », exprime la vocation des prêtres à la sainteté à travers l’exercice de la triple charge et dans la fidélité au Christ (nos 12 à 14). Il expose ensuite les exigences spirituelles que leur assimilation au Christ inscrit en eux : l’obéis-sance dans la disponibilité à la mission, le choix du célibat dis-cerné comme un don de Dieu, l’attitude juste à l’égard des biens terrestres ainsi que la pauvreté volontaire (nos 15 à 17). Enfin, le texte énonce des « moyens » d’ordre spirituel (no 18), intellectuel (no 19) et économique (nos 20 et 21) que les prêtres ont à leur service. Une « exhortation » conclut le décret (no 22). Nous en retranscrivons trois extraits :

Conscient des joies de la vie sacerdotale, le saint Concile ne peut cependant pas ignorer les difficultés dont souffrent les prêtres dans les conditions de la vie actuelle. (…) Mais ce monde tel qu’il est aujourd’hui, ce monde confié à l’amour et au ministère des pasteurs de l’Église, Dieu l’a tant aimé qu’il a donné pour lui son Fils unique (cf. Jn 3, 16). (…) Le saint Concile remercie les prêtres du monde entier. Et « à Celui qui peut tout faire, et bien au-delà de nos demandes et de nos pensées, en vertu de la puis-sance qui agit en nous, à lui la gloire dans l’Église et le Christ Jésus » (Ep 3, 20-21).

L’enseignement de Vatican II et de Presbyterorum Ordinis en particulier s’inscrit dans la Tradition de l’Église, qu’il éclaire et renouvelle dans l’Esprit du Christ Jésus. Transmis il y a cinquante

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ans, cet enseignement nous rejoint aujourd’hui. Pourrions-nous ne pas lui rendre témoignage ?

- Pierre Piret, s.j.Boulevard Saint­Michel, 24

BE­1040 Bruxelles

Le décret sur « le ministère et la vie des prêtres » est à son tour situé dans le questionnement qui l’a suscité ; l’auteur s’attache au préambule et au premier chapitre, médités dans leur signification toujours actuelle ; le reste du décret est parcouru plus rapidement. La théologie du ministère proprement sacerdotal de tous les prêtres découle de la Pâque du Christ et peut se résumer dans la superbe formule « être à Dieu pour les hommes et aux hommes pour Dieu ».

a

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 195-202

Quel avenir pour la vie contemplative ? « Seigneur, enseigne-moi tes voies,

fais-moi connaître ta route »

Verra-t-on dans quelques décades la plupart des monastères convertis en musées ou centres d’accueil divers ?… Dieu le sait ! Pour qui a foi en l’Évangile, c’est peu probable, car la vie consa-crée en général, et la vie contemplative en particulier, sont une constante trop enracinée dans la sequela Christi, depuis les pre-miers temps de l’Église, pour se laisser enterrer, submerger par la société contemporaine, quels que soient les doutes soulevés à son égard. Mais il serait téméraire, devant la raréfaction évidente des vocations, de se contenter de survivre au jour le jour sans se préoccuper de poser quelques jalons pour l’avenir, surtout si l’on fait partie du milieu concerné. Il en va du Royaume de Dieu ! Survivre pour survivre, un illustre historien anglican, le Profes-seur A-J.Krailsheimer, voyait là la définition même de la déca-dence1. La vie consacrée doit surmonter cette tentation en se posant les vraies questions, sans oublier que le phénomène concerne surtout actuellement les communautés d’Occident.

Les grands fondateurs d’Ordres religieux, eux, ne se sont jamais interrogés sur leur avenir, ni sur leur recrutement (mot déplaisant qui fait plutôt penser à l’armée ou à quelque propa-gande économique ou politique !), ni sur leurs chances de durer. Poussés par l’Esprit ils ont répondu à un appel pour l’Église de leur temps, appel caritatif souvent, contemplatif parfois. La continuité de leur fondation était dans les mains de Dieu. On peut dire en un sens qu’ils s’en souciaient peu. Jamais ils ne se sont préoccupés de survie, rarement des adaptations à venir. Et cette constatation déjà nous interroge.

1. D’après une communication inédite de Soeur Colette Friedlander (†), cistercienne, au Conseil de rédaction de Vie consacrée, en 1993, sur « L’avenir de la vie contemplative ». Soeur Colette a publié ensuite une étude sur la clôture des moniales, parue dans la col-lection Vie consacrée : La clôture des moniales. Trente ans d’expectative, Namur, 1997.

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Car n’est-il pas bien important aujourd’hui de ne pas donner aux jeunes générations l’impression qu’elles sont en face d’une réalité qui s’effrite, doute de son avenir, ne sait pas très bien où elle va, au pire serait déjà condamnée à mourir ? Comment ce regard ne serait-il pas asphyxiant pour l’éclosion et l’épanouissement de vocations éventuelles, que nous avons à accueillir plus qu’à sus-citer ? Heureusement non, « nous ne sommes pas les derniers des Mohicans » comme l’affirme fermement Jean-Claude Lavigne2.

Les analyses de la situation actuelle ne manquent pas. Que de réunions, questionnaires, articles, voire livres entiers à ce sujet, que d’efforts généreux et ouverts dans la plupart des commu-nautés depuis le grand aggiornamento demandé par le Concile ! Retour aux sources, c’est le cheval de bataille des uns. Pour d’autres : « À vin nouveau, outres neuves » (Mc 2,22), essayons de l’inédit ! Même pour l’orientation moyenne adoptée par beau-coup et dans une certaine expectative, la position reste inconfor-table et continue de poser question. On accuse la société, sa laïci-sation accélérée, la chute des valeurs familiales et des valeurs tout court etc. Si l’on pouvait, à travers et au-delà de tout cela, savoir quelles sont les idées de Dieu lui-même plutôt que les nôtres !… Si l’on pouvait être certain d’échapper toujours à la sévère parole de Jésus adressée un jour à Saint Pierre ! « Vos pensées sont celles des hommes et non de Dieu ». Sommes-nous bien sûrs d’être ce que Jésus veut que nous soyons dans son Église aujourd’hui pour qu’il appelle de plus jeunes à se joindre aux ancien(ne)s ? Tout le monde n’est pas saint Paul pour pouvoir dire avec assurance : « La pensée du Seigneur, c’est nous qui l’avons ! » (I Cor 2, 16).

Oh ! Il n’est pas question de se culpabiliser à outrance (très mal vu à notre époque ! Infantile.…), ni de faire le procès de tout ce qu’il peut y avoir de défaillant dans nos structures et nos habi-tudes de vie, sombrant ainsi dans des analyses sans fin, parfois injustes, et sans résultats concrets. Mais le courage et la volonté de vivre au mieux des exigences de l’Évangile ne dispensent pas d’oser se remettre toujours plus profondément en cause ni d’af-fronter un problème que beaucoup de nos contemporains ne se posent même pas parce qu’ils en vivent la réponse de façon quasi

2. J.-Cl. Lavigne, « Pour qu’ils aient la vie en abondance », Cerf, 2010.

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Quel avenir pour la vie contemplative ?

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empirique, comme une chose acquise sans démonstration. En d’autres termes et de façon plus abrupte : avons-nous encore pour eux des raisons d’exister ? Quel est notre rapport à la société actuelle ? Notre fonction propre dans l’Église, telle que nous la vivons, même repensée, a-t-elle encore sa raison d’être au XXIe siècle ? On gagne toujours à se laisser interpeller par les signes des temps : « Les vierges suivent l’Agneau partout où il va », chante l’Apocalypse. Où veut-il donc nous conduire ?

Bien des congrégations de vie apostolique, par la force des choses, ont déjà pris avec courage de fameux tournants, comme la conversion en maisons de retraite ou d’accueils divers de ce qui fut autrefois d’immenses maisons-mères, en ce temps béni où les noviciats débordaient. Était-ce d’ailleurs forcément le signe de l’ultime bénédiction ? Qui sait si la pénurie actuelle, par les sacrifices et les remises en question qui s’imposent, ne prépare pas un autre temps de fécondité pour l’Église ? « Le bras du Seigneur serait-il si court ? … » (Nb 11,23).

Qu’en est-il plus précisément pour les monastères ?

D’après les statistiques officielles, la vie contemplative serait moins touchée que la vie apostolique par la chute des vocations. C’est vrai que, à quelques exceptions près, la source n’est pas com-plètement tarie et que, de loin en loin, il se présente ici ou là quelque aspirante… Il faut reconnaître que ce n’est quand même pas la gloire (Dieu nous garde de la rechercher !), que la plupart des communautés vieillissent à rythme accéléré, et que bien des fusions ou amorces de fermetures sont en route, sinon consom-mées. Pourtant, il est certain aussi que les hôtelleries monastiques sont de plus en plus recherchées par nos contemporains comme havres de prière et de paix, signe manifeste d’une vraie soif spiri-tuelle. Or, si des infirmières ou des enseignantes laïques ont rem-placé les religieuses en bien des endroits, si ces dernières sont souvent regrettées, non pour la qualité du travail d’abord (ce serait faire injure à la compétence du personnel laïque que de le penser), mais pour cette note de gratuité évangélique que pouvait donner leur service, hôpitaux et collèges ont malgré tout continué de tour-ner ! Il n’en va pas de même quand un monastère s’éteint, c’est un

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pôle de prière qui disparaît purement et simplement. Ce n’est pas forcément une catastrophe pour lui s’il n’était plus en mesure de faire face à sa mission propre, mais il y a peu de chances que des laïques du voisinage prennent le relais pour la prière ….

En quoi Dieu peut-il nous interpeller dans ce genre de situa-tion ? Que veut-il nous faire comprendre ? Je pense assez souvent au sous-titre d’un livre de Gustavo Gutierrez3 qui pourrait être une première piste : « Boire à son propre puits ». Pas dans le sens de la suffisance comme si on n’avait rien à apprendre des autres, mais dans le sens de notre ligne propre, de notre vocation profonde, pour garder l’unité du regard sans tomber dans le piège de la dispersion. Nous ne sommes pas dans les monastères appelées à plus d’amour que les autres (bien des gens « du monde », même non chrétiens, ont, autant et parfois plus que nous, des obligations de dépassement d’eux-mêmes qu’ils assu-ment quotidiennement sans en faire un plat), mais nous sommes appelées à beaucoup d’amour dans le sens de l’intériorité, si menacée par le stress ambiant. N’est-ce pas là notre propre puits, inépuisable, celui où Dieu nous attend, d’où l’Esprit Saint peut faire jaillir des sources neuves, inimaginables peut-être à vues humaines, et qu’il faudrait accueillir sans a priori d’aucune sorte ? Notre puits, c’est tout ce qui favorise le climat de prière, litur-gique ou personnelle, c’est d’abord le souci d’une présence à sa Présence, la plus continuelle possible, (sans ascèse inhumaine, ou visée d’un angélisme coupé du réel), quel que soit l’Ordre choisi. Toutes les personnes qui se sentent appelées à la vie monastique reconnaissent leur appel dans ce fond commun. Il s’enracine très simplement, mais sans équivoque, dans une orientation vers Dieu pour Dieu, directement, dans la louange et l’intercession pour tous les hommes. « Être devant Dieu pour le monde, et non devant le monde pour Dieu »4.

C’est bien là notre fonction, notre mission dans l’Église, notre part dans la construction du Royaume, et même notre premier service de la société. Si une communauté monastique n’a plus la possibilité ou le désir assez ferme d’assumer cette mission de

3. g. gutierrez, La libération par la foi : boire à son propre puits, Cerf 1985. 4. J-M.R.tiLLard, Devant Dieu et pour le monde, Paris, Cerf (Coll. Cogitatio fidei), 1974.

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prière, elle n’a plus de raison d’être comme telle, même si les autos envahissent ses parkings les jours de fête, même si son implanta-tion a un certain renom, car cette affluence ou estime peut être davantage (mais pas forcément) le signe de la soif spirituelle de ces fidèles plus que de sa propre fidélité à elle. D’où pourrait venir cette déviation ? Soit de l’envahissement des medias ou de toute autre activité qui la tirerait de plus en plus vers des valeurs réelles mais extrinsèques par rapport à sa vocation première, soit d’un vieillissement de la communauté tel qu’il ne permettrait plus de trouver dans la paix le temps du vacare Deo, et d’assumer en même temps toutes les tâches nécessaires à la bonne marche d’une maison, y compris un accueil minimum, incontournable à notre époque. Autrement dit : la réalité doit correspondre à la mission. Faute de cette cohérence, Dieu lui-même peut-il soute-nir la communauté en cause ? Association de pieuses et bonnes personnes peut-être, mais pas pierre vivante de l’Église, à la place et dans le rôle qui doivent être les siens. Cela ne diminue pas le prix de la prière personnelle de chaque religieuse. L’une ou l’autre pourrait être amenée à la vivre ailleurs ou autrement, source possible d’une nouvelle fécondité pour l’avenir.

Les jeunes de notre époque ont bien des défauts, c’est connu ! — pas plus sans doute que les vieux quand ils étaient jeunes, seulement différents — mais les plus sérieux ont une qualité qu’on peut rarement leur refuser et qui est peut-être une grâce de notre temps : le sens de l’authenticité. Il leur faut des choses vraies, claires, conformes à ce qu’elles veulent signifier. Ils ont en général horreur du bla, bla, bla, des théories abstraites, des appa-rences trompeuses ou floues. Finalement pas moins généreux que leurs ancêtres, ils ne résistent pas souvent au témoignage de l’amour sans compromis, désintéressé, vraiment gratuit. (Qu’on pense à la popularité d’une Mère Teresa et au développement prodigieux de sa congrégation !).

Cette exigence d’authenticité était une des grandes idées de Sœur Colette Friedlander (citée plus haut), non comme critique démolissante des communautés contemplatives, mais comme invitation à y réfléchir devant Dieu. Y aurait-il là une deuxième piste de réflexion dans la ligne de la vérité de notre vie ? Qu’en-tendait-elle par le concept d’« authenticité » ? Comme pour le

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mystère de Dieu, elle en valorisait le contenu plutôt par ce qu’il n’était pas que par ce qu’il est. Par exemple serait in-authentique une conception de la clôture qui, tout en maintenant une sépa-ration du monde très stricte extérieurement, ne se priverait pourtant pas d’utiliser pour sa commodité tous les medias du temps. Elle disait à ce sujet, faisant allusion aux exigences d’une législation rigoureuse, toujours en vigueur maintenant, bien qu’avec quelques élargissements : « Les moines et moniales de notre temps peuvent-ils et doivent-ils continuer à vivre sur ce modèle de stricte séparation ? La réponse est simple : il y a belle lurette qu’ils ne le font plus. Les contacts avec l’extérieur se sont multipliés de façon exponentielle depuis une quarantaine d’années » (Que dirait-elle aujourd’hui !). « On sort ou on reçoit des personnes ‘extérieures’ au monastère pour se soigner, pour gagner sa vie, pour s’instruire et se cultiver, pour assister à des réunions et ainsi de suite. Tous ces contacts ont un dénominateur commun : ils servent les besoins et les intérêts (légitimes) du monastère, pas ceux d’autrui (à de rares exceptions près)… Autre-ment dit, nous avons laissé se créer une situation où nous n’assu-mons plus les sacrifices exigés par une stricte séparation d’avec l’extérieur, mais où nous en acceptons encore les avantages, quand nous ne les revendiquons pas ». Jugement sévère et plus ou moins exact selon les communautés quelque vingt ans après. Il invite pourtant à la réflexion, plus encore sous l’angle d’une charité authentique que sous celui de la séparation. Mais une séparation n’en est pas moins nécessaire si nous ne voulons pas voir se tarir ou s’embourber notre puits ! Où est la bonne mesure si l’on ne veut pas survaloriser ou dévaloriser les moyens en per-dant plus ou moins de vue la fin ? La notion de « l’écart fertile », chère à Jean-Claude Lavigne, a toute sa place en la matière.

Que dire de la pauvreté ! … Parodiant Marcel Proust, le Père Timothy Radcliffe lançait un jour avec son humour habituel : « A la recherche de la pauvreté perdue ! ». (Il parlait évidemment du monde religieux, car il y a encore des pauvres en Occident). Énorme question qu’on ne peut plus vivre à l’ère de la mondia-lisation sans référence aux autres continents. Un jeune Évêque d’Afrique rentrant dans son pays après un séjour en Europe s’ex-clamait : « Ils me font rigoler avec leur crise … ». Évidemment,

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quand on voit quotidiennement des gens quasi-mourir de faim à sa porte et de longues files de malheureux attendre là quelque secours qui n’est jamais suffisant, la crise monétaire internatio-nale paraît une donnée bien lointaine, et comme hors du temps et de la réalité toute crue. Elle est pourtant bien réelle au dire des spécialistes. Si nous ne pouvons rien sur cette économie interna-tionale, ne serait-elle pas aussi dans l’abstrait, et donc in-authen-tique, une pauvreté monastique qui se réduirait à l’absence de grande propriété personnelle, sans rien ou pas grand-chose qui nous fasse communier concrètement à la condition des pauvres que Dieu aime d’un amour de prédilection. Lui voit tous ses enfants d’un seul regard, tota simul. L’eau de notre puits ne devient-elle pas plus ou moins trouble si nous nous comportons en riches, en oubliant plus ou moins le monde des pauvres ? …

Au fond, est in-authentique tout ce qui substitue à l’exigence évangélique du don total, de la sortie de soi, du service, de la gra-tuité, une certaine recherche du plus utile, du plus beau, du plus réussi, de ce qui finalement servira au mieux nos intérêts, aussi élevés puissent-ils nous paraître. Comme un manque de cohé-rence entre l’idéal poursuivi au départ et ce qui se vit réellement. Qui peut prétendre, individuellement et collectivement, être indemne dans l’un ou l’autre de ces domaines ? Il ne s’agit pas de français ou de latin dans la liturgie, du port de l’habit d’autrefois ou de sa simplification à outrance, de grille au parloir ou de ren-contres plus libres. Non, ce qu’attend Dieu de ses communautés contemplatives — et il en attend d’autant plus que leur idéal est très beau et très haut — n’est-ce pas avant tout la pureté et la fer-meté du don de soi dans cette vie de prière librement choisie, sans équivoque ? Les modalités sont alors secondaires ; à chaque Ordre, à chaque communauté de les chercher, pour les trouver selon sa grâce propre et les signes de la Providence sur sa route. Et aux autres communautés de respecter les choix différents. « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ! » (Jn 14,2).

On peut ajouter que la « séparation du monde » a toujours été considérée comme une composante essentielle de la vie monas-tique, et elle le reste, mais, pas plus aujourd’hui qu’hier, elle ne peut se vivre hors du monde, car (remarquait encore Sœur Colette Friedlander) « la séparation du monde, au sens strict et

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littéral du terme est une impossibilité : le monde a façonné les personnes qui entrent dans les monastères, il conditionne leurs moyens d’existence, le travail qu’elles font, les objets qu’elles utilisent dans leur vie quotidienne, et ainsi de suite. Tout au plus peut-on retarder l’impact des changements en se coupant stric-tement de l’extérieur, mais on ne parviendra par là qu’à vivre pour un temps dans le monde d’hier plutôt que dans celui d’aujourd’hui, jamais hors du monde ». Or, notre monde a beau-coup changé et sa mentalité en proportion (développement considérable des médias, durée de la vie, montée d’un confort de vie de plus en plus exigeant, sécularisation dans tous les domaines etc.). Nous ne pouvons échapper à un retentissement de cette évolution sur notre manière de vivre notre séparation du monde. Quelle forme va prendre aujourd’hui « l’écart fertile » de J.-Cl. Lavigne pour que la vie contemplative reste fidèle à son être même ? En quoi l’état de la société actuelle nous interroge-t-il à ce sujet ? Que faudrait-il inventer pour être adapté à notre société, en être séparé sans en être coupé, et bien de notre siècle sans être englouti par les mœurs du temps ? — Aux moniales elles-mêmes de le demander ardemment à l’Esprit Saint, et de le demander avec foi. Plutôt que de prier pour voir de jeunes vocations frapper à la porte de nos monastères, ne devons-nous pas d’abord cher-cher devant Dieu à être ce qu’il veut que nous soyons ? Creuser, creuser notre puits….

« Bois l’eau de ta propre citerne, l’eau jaillissante de ton puits » (Pr. 5,15).

- Marie-Pascale ducrocq, o.p.Monastère La Clarté Notre-Dame

FR-26770 Taulignan

« Les grands fondateurs d’Ordres religieux, eux, ne se sont jamais interro-gés sur leur avenir, ni sur leur recrutement, ni sur leurs chances de durer. Poussés par l’Esprit ils ont répondu à un appel pour l’Église de leur temps. La continuité de leur fondation était dans les mains de Dieu ». Telle est l’attaque de ces pages dynamiques, qui interrogent avec humour sur le rapport de la vie contemplative à la société actuelle et surtout, invitent à se tourner vers Celui dont la jeunesse peut, si l’on y puise, tout renouveler.

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 203-212

Suggestions pour une réflexion sur le charisme

À l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture du concile Vatican II

À la veille de l’Année de la Foi consacrée à la nouvelle évangé-lisation, qui sera inaugurée en concomitance avec le 50e anni-versaire de l’ouverture du IIe concile œcuménique du Vatican, de nombreux instituts de vie consacrée ont manifesté le désir d’ap-profondir leur propre charisme. Le concile Vatican II évoque d’ailleurs à plusieurs reprises les charismes et en précise la nature.

1. Ils tirent leur origine de l’Esprit Saint : « Cette Église que l’Esprit Saint introduit dans la vérité tout entière et à laquelle il assure l’unité de la communion et du ministère, il la bâtit et la dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques »1.

2. Comme les offices hiérarchiques, ils sont ordonnés au bien de l’Église tout entière : « Ces charismes, des plus éclatants aux plus simples et aux plus largement diffusés, doivent être reçus en action de grâces et apporter consolation, étant avant tout adaptés aux nécessités de l’Église et destinés à y répondre »2.

3. Ils sont principalement destinés à l’évangélisation : « Ainsi l’Esprit Saint, qui partage comme il lui plaît les charismes pour le bien de l’Église, inspire-t-il la vocation missionnaire dans le cœur d’individus et suscite-t-il en même temps dans l’Église des instituts, qui se chargent comme d’un office propre de la mission d’évangélisation qui appartient à toute l’Église »3.

4. Les conseils évangéliques et les diverses formes de vie consacrée dans l’Église sont des charismes approuvés par l’auto-rité des successeurs des apôtres : « L’autorité de l’Église, sous la conduite de l’Esprit Saint, a veillé elle-même a en fixer la doctrine

1. Lumen Gentium, 4. 2. Ibid., 12. 3. Ibid., 23.

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et en régler la pratique en instituant même des formes de vie stables sur la base de ces conseils. Comme un arbre qui se rami-fie de façons admirables et multiples dans le champ du Seigneur, à partir d’un germe semé par Dieu, naquirent et se développèrent ainsi des formes variées de vie solitaire ou commune, des familles diverses dont le capital spirituel profite à la fois aux membres de ces familles et au bien de tout le Corps du Christ »4.

Le charisme des fondateurs

On trouve dans l’Évangile5 et dans les Actes des Apôtres6 l’affirmation répétée de manifestations spirituelles que saint Paul, dans sa Lettre aux Corinthiens, appelle charisma, de charis — grâce —, pour les rattacher au don de l’Esprit fait à l’humanité en la personne du Sauveur. Prenant acte de la diversité de ces charismes, saint Paul met donc l’accent plutôt sur leur unité, qui est en Dieu, dans l’unité même du Dieu Trinité. Ce sont des grâces, des ministères et des énergies7. Non seulement les cha-rismes sont donnés « pour l’utilité commune », avec pour finalité le bien commun surnaturel de l’Église, et non l’avantage spirituel du sujet, mais chacun d’eux représente un service ou une fonc-tion spéciale, suscitée par l’Esprit Saint, qui doit concourir, à sa place et selon son genre propre d’activité, au bien spirituel de l’ensemble. Ils dérivent du Christ-Tête sur toute l’Église, sont ordonnés à l’édification et à la croissance du Corps mystique et assurent la conservation de l’unité de la foi8.

Sujet diversement traité au cours de l’histoire de l’Église, la question des charismes a connu des fortunes variées. Il semble bien que ce soit saint Thomas d’Aquin qui ait présenté, au XIIIe siècle, la synthèse la plus élaborée sur la nature et la fonc- tion des charismes. Pour lui, ceux-ci prennent place, aux côtés des états de vie et des fonctions ecclésiales9 : les charismes concernent la vie chrétienne et sont essentiels à son essor moral.

4. Ibid., 43 ; cf. aussi 45. 5. Cf. Mc, XVI, 17-18 ; Lc, XXI, 15 ; Mt, XVII, 19, etc. 6. Cf. AA, II, 1-13 ; V, 12 ; VI, 10 ; IX, 31, etc. 7. Cf. I Co, XII, 4-6. 8. Cf. I Co, XII, 12-14. 9. Cf. Summa theologica., IIa-IIae, q. 171 sq.

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Le Docteur angélique, dans son effort de clarification, les dis-tingue de la grâce. Cette dernière est donnée pour rendre les baptisés agréables à Dieu — gratia gratum faciens — tandis que les charismes sont gratuitement donnés — gratia gratis data — pour le bien de toute la communauté des croyants. Ainsi faut-il comprendre que le charisme d’un fondateur, par exemple, n’est pas donné en propriété au sujet, mais à l’Église, pour le bien de tous. Le sujet qui en est donc dépositaire, est un instrument en vue d’une communication de ce charisme à ceux et celles que l’Esprit Saint lui suscitera comme disciples. Enfin, saint Thomas d’Aquin insiste sur la fonction doctrinale ou apologétique des charismes : « Ils sont ordonnés à la manifestation de la foi et de la doctrine spirituelle »10.

Il convient donc de dire que le charisme des fondateurs est un don particulier que le Christ accorde à une personne, par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, le Sanctificateur, celui qui donne la vie, selon l’expression du Credo ; le charisme est don divin et reconnu comme tel par l’autorité de l’Église assistée par le même Esprit, pour le bien du Corps du Christ tout entier.

On le comprend facilement : à travers le charisme des fonda-teurs l’Esprit saint manifeste sa puissance de susciter la vocation à tel état de vie correspondant à des besoins spéciaux du Corps mystique et de féconder la vie consacrée de ceux qui répondent à cette vocation particulière. Comme l’Esprit suscite les fonda-teurs, il suscite les vocations de leurs disciples au service du bien de toute l’Église.

Quelle réponse donner à la question du charisme des instituts de vie consacrée ?

La question pourrait paraître prétentieuse ou naïve quand il s’agit d’un Ordre historique, fondé voici presque 900 ans. Et pour tant ! Cette question s’est imposée à moi toujours plus forte, revenant sans cesse comme un leitmotiv, à la suite de très nom-breuses relations entretenues, pendant presque quarante ans, avec différents instituts de vie consacrée, dont certains ont à

10. Ibid., III, q. 7, a. 7.

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peine quelques décennies d’existence et d’autres ont terminé leur histoire propre, par leur union à d’autres instituts ou la mort de leurs derniers membres. Qu’il s’agisse d’instituts fondés au XIXe ou dans le premier XXe siècle, ou de fondations postconci-liaires, j’ai souvent été le témoin d’âpres discussion sur le cha-risme des instituts respectifs. Or, ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’à la question : « Quel est votre charisme ? », j’ai reçu deux types de réponses qui m’ont laissé profondément insatisfait.

Les instituts fondés au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, l’ont souvent été pour répondre à des nécessités de l’Église ou de la société. Telle congrégation de sœurs a été fondée pour l’évangélisation des petites paroisses rurales, telle autre pour assurer une présence chrétienne dans les hôpitaux, les pri-sons, ou encore pour dispenser un enseignement inspiré par l’Évangile. Ces instituts ont été nécessaires et l’autorité de l’Église les a reconnus comme tels. Ajoutons que ces instituts ont permis à de nombreux hommes et femmes de devenir des saints dans l’accomplissement de leur vocation spécifique. Mais à la ques-tion : « Quel est votre charisme ? », la réponse était régulièrement formulée en termes de « mission » : « Nous avons été fondés pour faire ceci ou cela » ; « Nous avons été fondés pour honorer tel aspect de la spiritualité chrétienne ». Or, les aspects de la mission ou de la spiritualité chrétienne ne sont pas le charisme, ils consti-tuent sa mise en œuvre concrète sur le plan social ou spirituel. En fait, ma question restait sans réponse.

Quel est donc le charisme de l’Ordre de Prémontré ?

Et nous, Prémontrés, que pouvons-nous dire du charisme de notre Ordre, sans donner une fausse réponse en termes de mis-sion ? Qu’a voulu et effectivement créé saint Norbert ? Une chose est certaine : Norbert a résolu avec ses premiers compagnons de rester fidèles à leur formation canoniale. La vie canoniale n’entraînait pas nécessairement l’exercice du ministère, mais elle rendait cette forme de service ecclésial possible, tandis que le concile œcuménique du Latran, tenu entre le 18 et le 27 mars 1123, interdisait aux moines de célébrer des messes publiques, de visiter les malades hors du monastère et de leur donner

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l’extrême-onction. Quant aux premiers chapitres généraux de Prémontré, ils ne font guère mention du ministère ; aussi, pour répondre à la question du charisme, nous devons, nous aussi, prendre garde d’articuler notre réponse en termes de mission. On a trop souvent entendu définir les Prémontrés comme des « curés blancs » ; ce fut même le titre d’un livre.

Nous connaissons, par ailleurs, l’attrait de saint Norbert et de ses premiers disciples pour une vie caractérisée par une rude ascèse, comme c’était le cas chez les chanoines de Rolduc ou d’Arrouaise. Par ailleurs, les critiques ne manquèrent pas, lorsque saint Norbert, pour se démarquer des chanoines suivant la règle qui leur avait été donnée en 817 à Aix-la-Chapelle, choisit d’adop-ter la forme sévère de la Règle de saint Augustin, l’Ordo monaste-rii, diffusée dans la région de Reims depuis le IXe siècle, adoptée à Arrouaise par l’abbé Gervais et à Rolduc par l’abbé Richer, un texte dont les prescriptions se révélèrent vite inapplicables dans les régions septentrionales, mais dont saint Norbert et ses contemporains ne doutaient pas qu’il fût d’Augustin. Il faudra attendre 1139, cinq ans après la mort du fondateur de Prémon-tré, pour que le pape Innocent II imposât le texte vulgarisé par Yves de Chartres, qui se compose du prélude qu’Augustin avait écrit pour l’Ordo monasterii, et de l’Exhortation aux frères. Une question se pose : pourquoi cet attrait pour l’ascèse ? Une pre-mière réponse vient du contexte dans lequel Prémontré est fondé : la réforme grégorienne a pour premier but la réforme de la vie du clergé et bientôt les chanoines réguliers en seront le fleuron. Mais, à notre avis, pour identifier le charisme de l’Ordre de Prémontré, il faut rechercher une réponse plus profonde.

La rhétorique de la « spécialisation » de la vie consacrée, plu-tôt faible dans les grands ordres historiques comme les Bénédic-tins, les Cisterciens, les Prémontrés, ou les Mendiants, n’a cessé de prendre de l’ampleur au fur et à mesure que les instituts se sont multipliés, introduisant des distinctions que le premier millénaire de l’Église indivise n’avait pas connues, comme par exemple la distinction entre « vie contemplative » et « vie active ». Avec le temps, on en est arrivé à faire consister le charisme d’un institut en des aspects toujours plus limités et précis de la mis-sion de l’Église, ou en formes de piété liées à la spiritualité des

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époques dans lesquelles ces instituts naissaient. D’ailleurs, cette « spécialisation » à outrance a souvent engendré un repli sur soi, un isolement, au détriment de l’appartenance ecclésiale de cer-tains instituts religieux. Un responsable de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements me faisait récem-ment remarquer un état de fait désormais répandu : combien d’instituts nouveaux ont-ils délaissé la structure de la Liturgie des Heures pour se créer leur propre office ? Combien d’instituts tout frais émoulus se paient-ils le luxe d’avoir leur propre traduc-tion des psaumes pour leur usage liturgique, au lieu d’utiliser celle qui est proposée par la Liturgie des Heures ? Qu’est devenue la communion ecclésiale lorsqu’elle disparaît du cadre quoti-dien de la prière commune ? Dans bien des cas, ce repli sur soi a conduit à considérer comme « éléments propres » ce qui n’était, en fait, qu’un désir de se singulariser dans le détail, pour parer à l’absence de charisme. Le repli sur soi, en fin de compte, a sou-vent entraîné une stérilité du point de vue ecclésial, une incapa-cité de reconnaître les signes des temps dont parlait le bienheu-reux Jean XXIII dès l’ouverture du concile Vatican II, et ce, jusqu’à contribuer à une crise des vocations.

Il nous faut donc revenir à saint Norbert. Incontestablement, saint Norbert et les fondateurs de la réforme grégorienne puisent leur inspiration dans l’Évangile de saint Marc et les Actes des Apôtres.

Lors de l’institution des Douze, Marc souligne : « Jésus monte sur la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher »11. Littéralement, il faudrait lire : « Il les créa douze… », car le verbe grec est le même que celui utilisé dans le texte de la Genèse : « Dieu créa le ciel et la terre »12, pour souligner que les Douze n’existent que sous la forme d’un collège, et que leur communion se réalise autour de la personne de Jésus. Les deux autres textes de référence se trouvent dans les Actes des Apôtres, et décrivent la première communauté de Jérusalem : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain

11. Mc, III, 13-14. 12. Gn, I, 1.

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et aux prières »13. Deux versets plus loin, Luc décrit la première communauté élargie aux convertis : « Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun »14. Ces références scripturaires sont communes, nous l’avons dit, à l’ensemble des fondateurs contemporains de saint Norbert. Quelle est donc l’originalité du fondateur de Prémontré ?

Il apparaît que ces passages du Nouveau Testament ont été pour tous une source d’inspiration spirituelle. La communauté de Jérusalem apparaît aux yeux des contemporains de saint Nor-bert comme un idéal lumineux, propre non seulement à stimuler la générosité des vocations, mais encore à leur indiquer un mode de vie exemplaire, fondé sur la communion qui se concrétise dans le partage des biens. C’est d’ailleurs la caractéristique de ce qu’on appellera l’Ordo novus, pour le distinguer des chanoines suivant la Règle d’Aix-la-Chapelle. L’originalité de saint Norbert consiste dans le fait qu’il ne se limite pas à considérer la commu-nauté primitive de Jérusalem seulement comme une référence insigne, un idéal propre à inspirer un genre de vie conforme à l’idéal des apôtres. Il entend recréer concrètement cette commu-nauté de Jérusalem à Prémontré, dans la diversité des vocations unies dans une même communion. De fait, saint Norbert attire à Prémontré non seulement des clercs, mais encore des laïcs « convertis » qui reçoivent un habit régulier et vaquent aux affaires de la communauté, et des femmes, ainsi que le note Hériman de Tournai : « Seuls les hommes sont reçus dans le monastère de Cîteaux, le seigneur Norbert, pour sa part, a tenu à accueillir des femmes pour leur conversion en plus des représentants du sexe masculin, de sorte que l’observance de ces dernières est même visiblement plus étroite et plus stricte que celle des hommes dans ses monastères »15.

Saint Norbert a acquis une conviction : il vivra en commu-nauté avec des frères et des sœurs, dans le partage des biens, et s’efforcera de mener avec eux une vie semblable à celle des Apôtres et des saintes femmes de l’Évangile, réunis autour du

13. AA, II, 42. 14. Ibid., II, 44. 15. Hériman de Tournay, Les miracles de Sainte Marie de Laon. Édité, traduit et annoté par Alain SainT-deniS, Paris, 2008, p. 219.

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Christ. C’est en prêchant, et donc en quittant Prémontré, qu’il recrutera des compagnons, aussi se met-il en route dès les pre-miers jours du printemps 1120. Lorsque les légats pontificaux Pierre de Léon et Grégoire de Saint-Ange confirmèrent le mode de vie des premiers Prémontrés, en 1124, ils déclarèrent : « Nous rendons grâces à Dieu dont la miséricorde surpasse toute vie, de ce qu’il vous a inspiré de renouveler la vie louable des saints Pères et l’institution établie par la doctrine des Apôtres, laquelle fleurissait au début de l’Église, mais se trouva presque abolie dans les siècles suivants »16.

Le choix de la Règle de saint Augustin s’imposait, en premier lieu parce qu’elle permettait à la nouvelle communauté de se distinguer de l’Ordre monastique, qui suivait la Règle de saint Benoît, mais aussi parce qu’elle offrait un idéal que l’Exhorta- tion aux frères synthétise en ces quelques mots : « Tout d’abord, puisque vous vous êtes unis en communauté, habitez d’un par-fait accord en la maison, n’ayez qu’un cœur et qu’une âme tendus vers Dieu »17.

Cet idéal constitue, nous semble-t-il, le charisme propre de l’Ordre de Prémontré, fort bien exprimé par nos Constitutions : « La Vie Apostolique, c’est : n’avoir, sous la direction de l’Esprit du Christ, qu’un seul cœur et une seule âme ; tout posséder en commun ; persévérer dans la doctrine des Apôtres ; persévérer dans la prière commune en union avec Marie, la mère de Jésus, et les frères ; rompre le pain dans la joie, c’est-à-dire, considérer l’Eucharistie comme le centre de toute notre vie ; rendre témoi-gnage de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ par la parole, par l’exemple de notre conduite et par toutes les formes de notre apostolat18. Cette vie à la manière des Apôtres doit être considérée comme la valeur la plus haute qui doit caractériser notre vie entière »19.

C’est bien cela, nous semble-t-il, le charisme de l’Ordre de Prémontré. Mais comme le charisme a la nécessité de s’incarner

16. C.L. Hugo, Vie de saint Norbert, Luxembourg, 1704, p. 227 ; Sacri Ordinis Prae-monstratensis Annales, Nancy, 1734-1734, t. II, preuves VIII ; Texte de l’approbation au nom de Urbain II : P.L., t. 151, col. 338. 17. Règle de Saint Augustin, I, 2. 18. Cf. AA., I,13-14 ; II,42-47 ; IV,31-35 ; VI,1-7, etc. 19. Constitutions de l’Ordre de Prémontré, n° 27.

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Suggestions pour une réflexion sur le charisme

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concrètement dans la vie commune, saint Norbert et le bienheu-reux Hugues de Fosses adoptèrent une certain nombre d’éléments et de coutumes qui sont, au XIIe siècle, les signes visibles conven-tionnels de la vie consacrée et les moyens de mettre en œuvre l’intuition du fondateur. C’est ainsi que prennent place dans l’Ordre de Prémontré la formule de profession, l’habit régulier, la célébration solennelle de l’Office divin qui culmine dans l’Eucha-ristie, le chapitre quotidien, l’étude et la contemplation, la prédi-cation de la parole de Dieu, l’accueil des pauvres et des pèlerins.

Ajoutons que la dévotion mariale n’appartenait alors pas en propre aux traditions canoniales. Le fameux Sermon de saint Norbert, dont on lisait jadis quotidiennement des passages, ne fait aucune mention de la dévotion mariale ; c’est précisément cette absence qui milite en faveur de son ancienneté. Toutefois, le contexte spirituel du XIIe siècle était marqué par un dévelop-pement intense de la dévotion envers la Vierge Marie, dont saint Bernard fut le promoteur le plus connu. L’amour que saint Nor-bert partageait avec ses contemporains envers Marie s’inséra si bien dans ce contexte, que les auteurs prémontrés postérieurs verront dans cette dévotion l’un des éléments caractéristiques de leur Ordre.

En guise de conclusion

Lorsque le concile Vatican II invite expressément les instituts de vie consacrée à conserver et promouvoir leur charisme propre, il faut donc entendre cet élément central, non négociable, qui, tout à la fois, constitue l’identité, est source d’inspiration de la vie régulière et du ministère, et la référence privilégiée pour évaluer la dimension ecclésiale de notre vie commune.

C’est ce à quoi nous invitent nos Constitutions : « La commu-nion de l’Église du Christ doit s’incarner concrètement en nos églises. Cette communion est sans doute un don de la grâce, cependant pour qu’elle se réalise de plus en plus chaque jour, il faut que tous les membres de nos églises y collaborent, car il y a entre eux diversité de ministères mais unité de mission. Répon-dant à leur vocation par la pratique de la vie commune et de leur mission apostolique, ceux qui s’offrent par les vœux religieux à

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Bernard Ardura, o.praem.

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nos églises doivent réaliser la communion tant à l’intérieur de leur communauté qu’à l’extérieur. De plus, ils doivent faire très attention à ce qu’existe un sain équilibre entre la communion avec Dieu orientée vers les frères d’une part et la communion avec les frères tendue vers Dieu d’autre part. Car l’authenticité de leur vie chrétienne et religieuse en dépend »20.

- Bernard ardura, o.praem.Président du Comité Pontifical des Sciences Historiques

Viale Giotto 27 It-00153

Italie

Destinées au départ à une réflexion interne à l’ordre des Prémontrés, ces observations sur le charisme des fondateurs, illustrées par l’exemple de la famille norbertine, tracent les contours d’autres travaux semblables, qui chercheraient à retourner aux inspirations primitives. C’est ainsi que l’histoire peut se faire source d’avenir.

a

20. Ibid., n° 31.

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 213-220

Réflexions d’un psychiatre à propos de l’exorcisme1

Mon propos est de faire quelques réflexions concernant l’exor-cisme parce qu’il m’est arrivé, surtout dans le cadre de l’organisme d’accompagnement dépendant du Diocèse de Malines-Bruxelles, de devoir donner un avis sur des personnes envoyées par le ser-vice Saint Gabriel (Exorcisme). C’est un fait, certaines personnes mentionnent le démon ou une puissance surnaturelle pour expliquer l’origine de leur souffrance ou des malheurs qui leur arrivent. C’est un fait aussi que certaines personnes prétendent pouvoir commander à des forces occultes ou les conjurer. Il en va ainsi dans toutes les cultures.

Il n’y a pas de position officielle de la psychiatrie vis-à-vis de l’exorcisme, mais le psychiatre est prêt à examiner le phénomène en tant que manifestation humaine — comme toute autre mani-festation, religieuse ou non. Les avis des spécialistes sont parta-gés : la plupart n’y croient pas et parmi eux, beaucoup consi-dèrent le phénomène comme d’ordre folklorique ; d’autres ne prennent pas position.

En médecine aussi le mot « possession » est utilisé

Longtemps la médecine a été impuissante, et pourtant on s’adressait à elle parce qu’on croyait que ses représentants pou-vaient faire mieux que d’autres. Et ceci indépendamment de l’idée, couramment admise, que la maladie était la conséquence d’une offense à la divinité ou du péché. « Celui que Jupiter veut perdre, il le rend fou ». Il était facile, en ces temps-là, de parler de posses-sion par un « démon », un « djinn », un « esprit ». Cela correspon-dait à une manière admise d’expliquer les phénomènes. Actuelle-ment on parlera plus facilement de « sorts jetés », de « fluides », de

1. Conférence donnée dans le cadre d’une journée d’étude sur « L’exorciste, l’accom-pagnant spirituel et le psy. Trois écoutes », organisée à l’Université catholique de Louvain par l’asbl Sésame, le 4 février 2011.

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« rayons », « d’ondes », de « magnétisme ». Les psychiatres n’entrent pas dans le mode de penser qui consiste à attribuer l’origine d’un trouble à une cause surnaturelle ou immatérielle. Signalons cependant que le mot « possession » est encore souvent utilisé actuellement, non pour parler du démon, mais pour caractériser une forme de trouble psychique, le trouble obsessionnel.

« Ça me tombe dessus », disent certains patients ; d’autres disent, quand une peur obsessionnelle ou une compulsion s’ins-talle, « et ça tombe sur l’un ou l’autre objet » sans qu’ils sachent à l’avance lequel. Ils disent tous : « c’est plus fort que moi », comme s’ils étaient possédés. C’est aussi le cas des joueurs invétérés dont on dit facilement qu’ils sont comme possédés par le démon du jeu. Il en va de même dans le vaste chapitre des troubles du contrôle des impulsions, tels que les paraphilies (déviances sexuelles), la kleptomanie, la pyromanie, la boulimie, la cigarette, l’alcool, l’ordinateur, etc. À propos des paraphilies, on parle d’activité passionnelle, impulsive et instinctive (c’est-à-dire fonctionnant comme l’instinct). Les critères définissant ces activités concer- nent la structure du comportement ; le contenu dépend de la culture et des expériences passées du sujet. Ces critères sont :

– l’impossibilité d’appliquer à la tendance, la logique que le sujet applique ailleurs ;

– la disparition des valeurs rationnelles, comme l’adaptation au réel, à l’avenir, et au milieu, quand apparaît la tendance dans son esprit, et cela sans angoisse ;

– la joie et le plaisir à réaliser le désir ou l’envie qui s’impose ; c’est « l’acte suprême ».

C’est donc une activité alogique, amorale et irrationnelle. C’est évidemment le patient qui décrit son expérience vécue en termes de plaisir suprême ou parfois en termes de « possession » ; mais peut-on le croire ? Oui, parce que sa parole est la seule source pour savoir ce qu’il vit et parce que le phénomène se répète.

Dans ma pratique

Au cours de ma pratique de psychiatre, j’ai pu observer plusieurs choses. Certaines personnes me parlent d’une expérience de Dieu,

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expérience qui a définitivement orienté leur vie ; pour d’autres, la religion est un secours, un soutien et un élément d’apaisement ; d’autres encore rejettent le religieux de leur vie ou l’ont aban- donné. Peu de patients font spontanément allusion à des notions religieuses, mais au cours d’une thérapie, surtout narrative, il arrive que des événements religieux soient évoqués, sans plus. Le phénomène de la culpabilité est dans la majorité des cas sans rapport avec un enseignement chrétien ou une faute ou un péché.

J’ai l’impression que les patients évoquent peu souvent des thématiques religieuses parce qu’ils ont le sentiment que le soi-gnant ou le thérapeute n’y prêtera pas attention ou parce qu’ils ont eu l’expérience d’une réponse décevante, tant il est vrai que peu de soignants ont une formation en ce domaine.

De l’exorcisme

L’exorcisme, outre ses aspects plus fondamentaux qui sont religieux, psychologiques et anthropologiques, est aussi un phé-nomène psychosocial qui participe aux habitudes de consom-mation dans le domaine des guérisseurs. A titre d’information, rappelons qu’en Belgique, dans une publication récente du CRIOC (Centre de Recherches et d’Information des Organisa-tions de Consommateurs) sur la consommation des citoyens dans le domaine de la voyance, des guérisseurs et des personnes nanties de dons métapsychiques (631 interviews), on peut lire que 40% des personnes interrogées croient que les voyants pos-sèdent un don, et que ce pourcentage est en hausse de 10% depuis quelques années ; que 15% ont déjà consulté un voyant et 8% un guérisseur. Cela veut dire que le phénomène de croyance est important et j’estime que trop souvent, la société ne le prend pas au sérieux ; comme si c’était une faiblesse ou quelque chose qui relevait d’un monde dépassé. Il n’en est rien.

Croyance et conviction

La psychologie ne prétend pas à une connaissance exhaus-tive de l’être humain, qui est très complexe. Elle va en décrire l’organisation du comportement, du langage et de la pensée et

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prendre particulièrement en compte le spécifiquement humain, la capacité symbolique, la subjectivité et sa dimension spirituelle qui peut revêtir une forme religieuse. La dimension spirituelle, rendue possible par la capacité symbolique et la subjectivité est autre chose que la pensée. Son point de départ est l’éprouvé. La spiritualité s’éprouve d’abord, puis se pense.

On peut la comprendre par comparaison avec l’apprentissage de la lecture. Lorsqu’un enfant sait lire, il a appris à ne plus aperce-voir les signes pour eux-mêmes ; il va au-delà. Une porte s’ouvre à lui, la porte du sens, qui ouvre des perspectives à l’infini. La capacité symbolique est la capacité de voir qu’il y a autre chose derrière la lettre, le mot, l’objet ; qu’il y a un au-delà des choses. Cette expé-rience de l’au-delà des choses est subjective et personnelle. En lisant un texte, le lecteur peut voir un projet là où l’œil ne voit qu’une forme ; il peut même aller au-delà de l’intention de l’auteur. Comme la vérité et la raison interpellent toujours l’individu au-delà de ce que l’humanité sait déjà, il n’y a pas de fin à la lecture ni d’arrêt pour l’humain dans sa connaissance de la vérité. Ce qui vient d’être dit rend compte de l’accès au spirituel et par là, potentiel-lement à la visée religieuse de l’humain, mais non de son contenu.

Il résulte de cette structure symbolique de l’humain que, ce que nous découvrons au-delà des choses et qui donne un sens à ces choses, nous amène ou nous oblige à y croire. Le sens qui est découvert n’est pas un fait observable ; c’est pourquoi nous sommes obligés d’y croire ; et nous y croyons. Cette façon de penser se manifeste aussi dans d’autres domaines. Beaucoup de nos savoirs et de nos idées sont des croyances — en dehors de quelques idées que nous avons pu vérifier par nous-mêmes ou de savoirs qui sont scientifiquement établis ; et même dans ce cas, nous devons souvent faire crédit aux scientifiques et les croire. Croire, c’est faire crédit ; c’est un assentiment qui n’a pas toujours le caractère intellectuel et logiquement communicable du savoir ; c’est un acquiescement à l’information reçue. Quel-ques fois nous exigeons des preuves2. En ce qui concerne l’esprit, nous n’avons une expérience que du nôtre. Celui des autres est toujours déduit et « crédité ».

2. C’est ce que fait le monde scientifique pour affirmer un savoir vérifiable.

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C’est sur la croyance que se bâtit la conviction laquelle, du point de vue psychologique, consiste à ne plus vouloir mettre la croyance en question, même si on conserve un petit doute. En effet la conviction a un effet apaisant ; il n’est donc pas facile de la changer. Comme elle repose sur un témoignage ou sur une intuition, il est possible qu’on puisse tenir pour vraie une idée fausse. Parmi les domaines où la conviction joue un rôle impor-tant, il y a celui de la justice ; j’évoque ici la notion juridique de « conviction intime » du juge, qui est un des éléments déter-minants du jugement. La « conviction » caractérise aussi la pen-sée du délirant ; on peut dire que délirer, c’est ne plus mettre en question une croyance sans fondement.

Du sujet

La psychiatrie n’est pas réductible au modèle de la médecine scientifique, c’est-à-dire, celle qui se limite à des faits obser-vables, parce qu’elle tient compte aussi de ce qui échappe à l’observation : la subjectivité du patient. Le « je pense » est une expérience vécue de se sentir et d’être affecté (touché), de voir, d’imaginer et d’aimer. Ce « penser vécu » est subjectif et person-nel évidemment. Quand un moine bouddhiste ou une moniale chrétienne méditent, l’I.R.M.3 montre que ce sont les mêmes zones cérébrales qui s’activent. Mais le contenu de la pensée est différent et propre à chacun. Pour le connaître il faudra que la personne me le révèle par la parole. La parole seule permet de dire qu’il y a eu une expérience personnelle et laquelle. Mais je ne saurais éprouver à sa place ce que l’autre a éprouvé. Je dois le croire. Je peux prêter un « je pense » à une personne, mais pas le vivre. A ce propos, A. Huxley en 1954 disait : « Nous pouvons mettre en commun les renseignements des expériences éprou-vées, mais pas les expériences elles-mêmes ». La science et la recherche scientifique mettent donc habituellement le sujet, le Je, entre parenthèses parce qu’il est essentiellement subjectif, c’est-à-dire non objectivable et donc non contrôlable. Il peut en

3. L’imagerie par résonance magnétique est une technique de référence pour l’étude du fonctionnement cérébral humain.

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effet dire une chose et son contraire. Il n’est pas nié mais il est oblitéré. Or le domaine spirituel relève de ce Je. En outre, c’est ce « je pense » qui est lourd d’une possibilité de folie.

La notion de pathologie

A titre d’illustration, prenons le cas d’une personne délirante qui affirme que le démon lui a inspiré les idées qui l’habitent ou lui a parlé — ce qu’on appelle les « voix », que le scientifique considère comme des hallucinations auditives. On peut faire un parallèle avec le paranoïaque, mieux connu, qui se croit persé-cuté, ou traité injustement, ou se croit investi d’une mission jus-ticière. Il affirme avec conviction des idées non vérifiables, qu’elles soient de persécution ou de « possession ». On peut les considérer comme des croyances non partagées par les autres, et se dire dès alors, qu’elles sont anormales ou pathologiques. Mais en quoi est-ce différent de la croyance de Galilée affirmant qu’un corps abandonné à lui-même reste dans son état, de repos ou de mouvement, en somme le principe d’inertie ? A son époque cette affirmation paraissait inacceptable et comme délirante.

Je ne crois pas qu’on puisse juger de la normalité en fonction de ce que pense la majorité, ni en fonction de l’adhésion des autres. Un délirant n’est pas simplement quelqu’un qui, dans une fonction psychique, présente un écart de la norme. Il est autre ; il se présente à nous d’emblée de manière inaccessible à notre entendement. Il nous paraît étranger ; d’où le mot, jadis, d’aliéna-tion. Lorsqu’un psychotique me parle, je ne suis pas sûr de com-prendre ce qu’il veut me communiquer, parce je ne peux pas éprouver la situation comme lui. Mais quand nous nous donnons le temps de l’écouter, il va nous révéler qu’au début, quand il a entendu des voix il a été très perplexe ; il a douté. « Ai-je bien entendu ? » ; « s’adressait-on bien à moi ? » Et plus tard, « que me veulent-elles, ces voix ? ». Son esprit critique est mis à rude épreuve, mais finit par fondre et laisser la place à un état de certitude. Tout va alors devenir pour lui indices de sa persécution par autrui ou de sa mission pour autrui. On appellera cela un trouble du jugement ; c’est, en fait, l’aboutissement d’une longue évolu- tion intérieure. Mais ce n’est pas le « je » qui est malade ; c’est

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l’organisation psychique, et le « je » finit par ne plus vouloir prendre position vis-à-vis de ce qu’il vit et il va, en quelque sorte, s’effacer.

En psychiatrie on considère, dans ces cas, que la pathologie n’est pas dans l’énoncé du discours, mais dans l’organisation neuronale cérébrale qui fonctionne mal. Une idée, une parole, une action peuvent paraître déplacées, inadmissibles, aber-rantes ; c’est dans ce qui est à l’origine de ces manifestations que se trouve la pathologie. On observe d’ailleurs d’autres signes de dysfonctionnement cérébral, tels que les troubles de la concen-tration, de la mémoire, de la cohérence du langage, de l’humeur, du contrôle, du rendement.

En ce qui concerne la personne qui se dit envoûtée par un démon, nous cherchons à savoir s’il existe des signes d’un éven-tuel dysfonctionnement mental qui permettent de penser à un trouble psychiatrique. En leur absence, rien ne permet de dire que cette personne est malade et nous ne prenons pas parti. Quand nous trouvons des signes d’ordre psychiatrique et si nous pensons qu’un traitement, pharmacologique et/ou psychothérapeutique est susceptible de soulager la souffrance de la personne (angoisses, découragement, préoccupations…) et si elle demande de l’aide, nous le proposons, sans nous prononcer sur la signification de son problème religieux. Nous pensons en outre, que la présence de signes psychiatriques ne peut pas être un obstacle pour une démarche religieuse qui rencontrerait les attentes du patient et, par là, respecterait sa dignité et lui rendrait la vie plus supportable.

En conclusion

Puisque nous n’avons pas un accès direct à la vérité, c’est-à-dire au monde réel et à la subjectivité de l’autre, nous tenons pour vraies certaines choses pour des raisons dont nous ne sommes pas toujours conscients, mais qui peuvent éventuel-lement se révéler plus tard. Une grande prudence s’impose. Le « je » décrit plus haut, et qui est souvent mis entre parenthèses parce que non objectivable, ne se révèle que quand il parle. Il révèle alors sa présence (existence) et, dans le cas de posses-sion, qu’il a à se plaindre de celle-ci. Il est affecté par ce qui lui arrive et il veut prendre position.

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On observe cela aussi chez le délirant au début de la maladie. Il est bouleversé par la découverte d’être persécuté, ou d’être trompé, ou d’entendre une voix qui lui commande. Et parce qu’il en est affecté, il va vouloir prendre position. Mais petit à petit, quand l’affect s’atténue et disparaît, il ne reste plus qu’un phénomène cognitif dont le patient ne doute plus. Cette compa-raison ne signifie pas que le possédé soit un délirant. Elle veut montrer simplement que dans le monde subjectif du sujet, le « je », veut prendre position vis-à-vis d’une intuition qui l’affecte, que son origine soit maladive ou non.

Ce qui me paraît important, c’est d’entendre le « je ». Que veut nous dire une personne possédée ou une personne malade quand elle utilise un langage religieux ; quand elle nous confie qu’elle trouve la force dans la prière ; quand elle nous dit avoir reçu un signe de Dieu au plus profond de sa détresse ; quand elle affirme que Dieu seul peut encore l’aider ; quand elle se dit maudite à cause de ses péchés ; enfin quand elle se plaint d’être possédée par le démon ?

Ces propos sont la révélation d’un jugement et d’une prise de position. Ils nous disent quelque chose sur la personne et son ques-tionnement existentiel. Ils peuvent aussi être dits pour provoquer une réaction de manière à être reconnue dans la façon dont elle porte son fardeau. Ce peut être aussi une recherche auprès de quelqu’un, du sens de ce qu’elle vit. De toutes manières, par le biais du langage religieux, elle demande une attention à ce qu’elle vit. L’important est de l’entendre pour pouvoir l’accompagner.

- Dr Paul Lievens

Professeur émérite UCLAv. de Broqueville 99/25, 1200 Bruxelles

[email protected]

En tant que psychiatre, l’auteur explique le phénomène vécu de la pos­session comme une expérience subjective. Il en analyse ensuite les prin­cipales dimensions : le sujet, « l’éprouvé », la capacité symbolique, la croyance, la conviction et les déviations pathologiques. Il insiste sur l’importance d’entendre le « je » quand il nous parle ou nous interpelle. Une réflexion dont l’actualité montre, en milieu chrétien ou ailleurs, toute la pertinence.

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 221-231

Chronique d’Écriture SainteAncien Testament et Judaïsme

Neuf ouvrages nous sont offerts par les éditeurs pour ce rendez-vous annuel : quatre commentaires de livre ou de péricope bibliques (I), une étude transversale (Ancien Testament, Nouveau Testament, judaïsme et christianisme anciens) sur le monothéisme biblique (II) et enfin, quatre ouvrages en rapport avec le judaïsme, son histoire et sa pensée (III).

I

Une fois n’est pas coutume, mais c’est bien au Lévitique que revient le privilège d’ouvrir cette chronique avec le livre d’Alfred Marx, profes-seur émérite de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Près de vingt ans après la parution d’un premier volume sur Lv 1-16 sous la plume de René Péter-Contesse, la collection « Commentaire de l’Ancien Testament » (Labor et Fides) achève enfin le chantier par un volume sur Lv 17-26 offrant ainsi le seul commentaire actuel, scienti-fique et intégral en français, sur ce livre biblique1. Si la division, classique depuis K.H. Graff (1866) et A. Klostermann (1877), entre une première partie (Lv 1-16) et un « code de Sainteté » (Lv 17-27) semble a priori pouvoir justifier une telle répartition des tâches, le défi n’était pourtant pas si simple à relever et cela, pour trois raisons au moins. D’une part, le livre central de la Torah, bien qu’ayant bénéficié ces dernières années d’un regain d’intérêt exégétique, reste pour la plupart des lecteurs un livre difficile qui nécessite, en conséquence, des trésors de pédagogie pour accéder à son intelligence. Ensuite, le paradigme de la recherche a passablement évolué en deux décennies, notamment, en ce qui concerne la nature et la datation de ce supposé « code de Sainteté » ; enfin, et résultant en partie du point précédent, la perspective de Marx n’est pas forcément identique à celle de son prédécesseur. Sensible à la cohérence, à la logique interne et à la dimension rhétorique du texte, celui-ci cherche, en tout cas, à honorer bien davantage que Péter-Contesse, l’unité du Lévitique en même temps que son appartenance à l’œuvre sacerdotale (P). En outre, il excelle à en déployer les dimensions

1. A. Marx, Lévitique 17-27 (coll. Commentaire de l’Ancien Testament, IIIb), Genève, Labor et Fides, 2011, 17 × 24 cm, 226 p., 30 /.

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D. Luciani

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éthiques et théologiques qui — comme il le dit si bien — sous-tendent un véritable « projet de société tendu vers le Royaume » (voir p. 22-23). Et, comme le lecteur s’en rendra vite compte à propos de maints pas-sages habituellement négligés, il ne fait pas cela à l’occasion du seul commandement (trop) connu sur l’ « amour du prochain » (Lv 19,18) : on peut voir, par exemple parmi bien d’autres passages, son commen-taire sur Lv 17,10-12 (l’interdiction de manger le sang). Concrètement, après une introduction et une bibliographie d’une quinzaine de pages chacune, le commentaire — répondant aux normes de la collection dans laquelle il s’insère — propose, dans un gabarit à peu près équiva-lent pour chaque chapitre du Lévitique (15 à 20 pages), une traduction et un commentaire suivi du texte biblique, les références savantes et les pistes de recherches étant renvoyées en note de bas de page. Bien que douze fois moins volumineux (7 fois, pour les chapitres concernés : Lv 17-27) que le commentaire monumental de Jacob Milgrom (Anchor Bible, 1991-2001), l’ouvrage de Marx ne représente pas qu’un guide sûr, profond et stimulant à propos d’un livre qui en vaut bien la peine, mais il fournit aussi des arguments supplémentaires pour le (re)lire et en savourer les innombrables richesses.

Ceux qui ont encore en mémoire le « Cahier Évangiles », n° 125 (Paris, 2003) ne seront pas trop dépaysés par le nouveau livre de Philippe Abadie, professeur d’Ancien Testament à l’Institut Catholique de Lyon et auteur bien connu des lecteurs de la revue puisqu’il nous honore à peu près chaque année d’une publication. Dans son nouvel opus2, l’auteur, en effet, développe la recherche qu’il avait jadis initié dans ce « Cahier » en même temps qu’il poursuit et enrichit, par une lecture attentive du livre des Juges, ses réflexions stimulantes sur l’histoire d’Israël [L’histoire d’Israël entre mémoire et relecture ; voir VC 82 (2010-3), p. 228-230]. Dans la lignée des « maîtres » dont il se réclame (Pierre Gibert, notamment), sa perspective est d’abord clairement historique (la manière dont la mémoire d’Israël s’est élaborée dans le temps à tra-vers ces récits), même si, à l’occasion, il ne rechigne pas à prêter atten-tion à la beauté littéraire des textes en leur état final et qu’en outre, — comme le sous-titre l’indique — il entend bien tirer une théologie de ces écrits. Après une introduction générale (nom, origine, formation, place du livre et rapport à l’histoire), le parcours, sans constituer à pro-prement parler un commentaire exhaustif, commence par examiner la double introduction du livre (Jg 1,1-2,5 ; Jg 2,6-3,6), puis passe, tour à tour, en revue les récits de ces « héros peu ordinaires » que sont Otniel, Ehoud et Shamgar (Jg 3,7-31), Déborah et Baraq (Jg 4-5), Gédéon et Abimélek (Jg 6-9), Jephté (Jg 10,6-12,7), Samson (Jg 13-16), pour se clô-turer enfin, sur le récit de la migration des Danites vers le nord (Jg 17-18).

2. P. abadie, Des héros peu ordinaires. Théologie et histoire dans le livre des Juges (coll. Lectio Divina, 243), Paris, Cerf, 2011, 13,5 × 21,5 cm, 198 p., 19 /.

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Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)

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Une dernière fois, la conclusion revient sur la difficile question du rapport complexe du récit biblique à la vérité historique pour conclure que, si peu d’éléments narratifs résistent finalement à l’examen de la critique, il n’est pas moins impérieux, pour comprendre la théologie véhiculée par ces récits d’époque tardive, d’essayer d’en découvrir l’intentionnalité historienne sous-jacente. À titre d’exemple et sans contester le moins du monde l’intérêt d’un tel type de démarche, les résultats me paraissent bien illustrés par le propos, certes limité et pro-visoire, mais qui clôture l’étude de Jg 6,1-32 (vocation de Gédéon) : « Au vu de cette analyse, la seule conclusion qui s’impose est donc de voir dans le combat du héros contre Baal une reconstruction théolo-gique sans lien réel à l’histoire si ce n’est de projeter dans le passé un combat toujours présent au moment de la mise en écriture » (p. 90). D’où ma question, peut-être naïve, sincère en tout cas, mais qui trahit aussi — je l’avoue — une petite déception par rapport à l’ensemble du parcours proposé : sans contester la réalité de l’intentionnalité histo-rienne, est-il vraiment nécessaire d’opérer ce si grand détour par l’his-toire factuelle pour en conclure, sans doute avec raison, que ces récits n’ont pas grand-chose à voir avec elle et pour en tirer des conclusions théologiques qu’une simple lecture synchronique aurait souvent suffi à établir ? N’y a-t-il pas là précisément une invitation à aborder ces textes autrement que comme des documents historiques ? Ou pour le dire plus brièvement : faut-il autant d’histoire pour aboutir à si peu de théologie ? Hormis cette question, à mon avis essentielle, on regrettera une pré-cipitation sans doute trop grande dans le travail d’édition qui entraîne la production d’un manuscrit non dépourvu de nombreuses coquilles et fautes : ainsi, un des auteurs envers qui Abadie reconnaît pourtant sa dette (W. Richter), s’appelle parfois Wolfang (p. 9, 190), d’autres fois Walter (p. 71, 78) et d’autres fois encore, Walther (p. 13). Une telle situa-tion, si elle se multipliait, nuirait certainement à la réputation d’une collection aussi prestigieuse que Lectio Divina.

C’est dans cette même collection que paraît le troisième volume de la série « Études d’histoire de l’exégèse »3, initiative conjointe de l’« Institut d’études augustiniennes » (CNRS-EPHE, Paris IV) et du « Groupe de Recherches sur les Non-Conformistes Religieux des XVIe et XVIIe siècles et sur l’Histoire des Protestantismes » (Université de Strasbourg) qui consacrent, deux fois par an, une journée à l’étude d’un verset ou d’une péricope biblique et à l’histoire de son interprétation [voir VC 83 (2011-3) 214]4. Ce volume réunit, autour du fameux verset d’Habacuc 2,4 (« Le juste vivra de sa foi »), cinq contributions : Thierry

3. M. arnold et al., « Le juste vivra de sa foi » (Habacuc 2,4) (coll. Lectio Divina, 246), Paris, Cerf, 2012, 13,5 × 21,5 cm, 144 p., 15 /. 4. En mars 2012, ce séminaire vient de tenir sa septième séance consacrée à Lv 17,10-12 (encore le Lévitique à l’honneur !).

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Legrand traite du Pesher (1QpHab VII-VIII) et du Targum d’Habacuc retrouvés à Qumrân ; Martine Dulaey aborde les premiers siècles du christianisme (surtout Eusèbe de Césarée, Jérôme et Augustin) ; Gilbert Dahan étudie les commentaires latins médiévaux de ce verset (de Hay-mon d’Auxerre à Denis le Chartreux) ; Annie Noblesse-Rocher fait de même avec les commentaires du XVIe et XVIIe siècles (principalement, François Lambert, Cornelius a Lapide, Luther, Calvin et Wolfang Capi-ton) ; David Banon, enfin, propose une lecture juive qui articule les notions d’emunah (foi) et de loi. Contrairement aux principes énoncés par les promoteurs de l’entreprise, le volume ne contient pas vraiment d’information sur l’exégèse actuelle du verset d’Habacuc — on entre de suite dans l’interprétation qumrannienne — et, par ailleurs, l’utilisation paulinienne de ce verset est à peine effleurée par M. Dulaey et indirec-tement traitée par A. Noblesse-Rocher, mais on se consolera plus faci-lement de ces quelques limites en apprenant qu’une autre étude de Stephen Hultgren [Habakuk 2 :4 in early judaism, in Hebrew, and in Paul (Cahiers de la Revue Biblique, 77), Paris, 2011] est parue six mois avant celle qui est présentée ici et complète, de manière tout à fait adé-quate, cet important et déjà riche dossier.

Dans la lignée de ceux qui ont proposé récemment une lecture du livre d’Isaïe dans son unité et selon sa forme finale (J. Ferry, D. Janthial, R. Lack, A.-M. Pelletier, etc.), Yvan Maréchal, enseignant au Collège des Bernardins (Paris) offre un commentaire théologique et pastoral de ce monument de la littérature prophétique5. Les quatre actes du drame qui, selon l’auteur, s’y joue commandent les quatre sections de son ouvrage. Is 1-12 sert de socle à tout le livre et, sur fond d’une critique sérieuse des maux de la société dans laquelle le prophète vit, pose la question fondamentale de la foi et de la confiance. Le deuxième acte (Is 13-39) adopte une perspective plus universaliste en élargissant la même problématique de la foi aux nations et lui confère même une connotation eschatologique en associant le cosmos aux événements historiques. Is 40-55 présente le processus de la transformation de ceux qui, humiliés par l’épreuve de l’exil, reconnaissent leur faute et acceptent la nouveauté de l’action créatrice et rédemptrice de Dieu. La quatrième section (Is 56-66), enfin, prolonge ce temps de la trans-formation en appelant le peuple des pauvres à se purifier et à colla-borer à l’action divine. On ne cherchera pas tant l’originalité des posi-tions exégétiques dans ce commentaire que le déploiement patient d’un message auquel le nom même d’Isaïe renvoie sans se lasser : Dieu sauve.

5. Y. Maréchal, Le livre d’Isaïe ou l’expérience du salut, Paris, Parole et Silence, 2011, 15 × 23,5 cm, 419 p., 30 /.

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II

C’est à un vaste tour d’horizon sur les origines du monothéisme que nous convie le collectif publié par l’Équipe de recherche en exégèse biblique (EREB) de l’Université de Strasbourg6. Fruit de cinq années de travail, celui-ci ne compte pas moins de vingt-quatre contributions, réparties en cinq sections. Après une mise en perspective de la question (« Le monothéisme en débat », p. 9-68) les domaines suivants sont abordés tour à tour : 1) « L’Ancien Testament et la société israélite » (p. 69-143), avec quatre articles traitant des chapitres 4 et 32 du Deuté-ronome, du livre de Jonas et du Psautier ; 2) « Le Nouveau Testament » (p. 145-272), avec sept études portant sur les évangiles de Matthieu, Marc et Jean, sur les Actes des apôtres et sur 1Co 8-11 ; 3) « Qumrân et la litté-rature non canonique » (p. 273-311), avec trois contributions proposant aussi bien une analyse globale des théonymes dans les manuscrits de la Mer morte qu’une lecture particulière du Cantique de l’holocauste du cinquième sabbat (4Q402 4) et de l’Apocalypse d’Abraham ; 4) « La lit-térature rabbinique » (p. 313-357), avec une enquête dans les traditions targumiques et une autre dans le Talmud ; 5) « La société gréco-romaine et le christianisme des premiers siècles » enfin (p. 359-434), regroupant quatre papiers sur le monothéisme philosophique de Rome (de Varron à Sénèque), sur la question de la représentation de la divinité chez Dion de Pruse et Aelius Aristide, et sur le concept de « monarchie » utilisé par les Pères apologistes. Une conclusion sous forme de « Prolongements théologiques » (p. 435-454) invite à poursuivre la réflexion à propos du Dieu de Jésus-Christ et du monothéisme trinitaire si singulier qu’il inau-gure. Il est clair que semblable richesse de contenu rend tout aussi vaine la tentative de compte-rendu détaillé que la prétention à une synthèse globalisante. Mais le lecteur percevra vite la pertinence d’une telle recherche, bien au-delà du strict champ exégétique où elle se déploie et même si in fine elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Ses répercussions concernent aussi bien l’histoire (d’Israël, du judaïsme et du christianisme primitifs) que la théologie ou encore la philosophie, sans parler des aspects sociologiques et politiques de la question, notamment le lien, supposé ou réel, entre monothéisme et violence. Le lecteur persévérant ne manquera pas toutefois de voir quelques lignes de force se dessiner et peut-être quelques convictions s’imposer. D’une part, le monothéisme n’est sans doute pas plus facile à penser que le polythéisme et l’opposition entre les deux, aussi traditionnelle et commode soit-elle, ne suffit pas pour rendre compte adéquatement de l’émergence du premier. D’autre part, dans ce lent et obscur processus d’élaboration théologique et de séparation — voire de confrontation

6. E. bons et T. legrand (éd.), Le monothéisme biblique. Évolution, contextes et pers-pectives (coll. Lectio Divina, 244), Paris, Cerf, 2011, 13,5 × 21,5 cm, 465 p., 34 /.

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polémique — par rapport aux discours et aux pratiques environnantes, la question du langage joue un rôle capital. Enfin, si le monothéisme trinitaire impose aux chrétiens la charge spécifique de rendre raison de leur croyance face au monothéisme juif, l’un et l’autre ne peuvent évi- ter la confrontation avec les philosophies issues du monde « païen ». Souhaitons, avec les auteurs de ce bel et exigeant parcours, que l’étude de ces problématiques anciennes et pourtant toujours actuelles contri-bue au dialogue, au respect réciproque et à la paix dans nos sociétés.

III

Daniel Boyarin serait-il en train de s’imposer comme « l’auteur qu’il faut avoir lu » sur les origines du christianisme et du judaïsme ? Déjà plébiscité aux USA où il enseigne la culture talmudique (Université de Berkeley), il commence, en tout cas, à se faire un nom dans l’ère francophone depuis la traduction de deux de ses ouvrages précédents7. Celui recensé ici8 est donc le troisième et il peut être considéré comme le prolongement du précédent Mourir pour Dieu. Autant le dire d’emblée : dans ces ouvrages, et spécialement dans le dernier, l’auteur n’hésite pas à « secouer le cocotier » des convictions savantes et des reconstitutions historiennes classiques en tenant une thèse que le titre condense à sa façon et que l’on peut présenter ainsi : la frontière entre juifs et chrétiens est restée floue au moins jusqu’au IVe, voire jusqu’au début du Ve s., c’est-à-dire bien après les dates de 70 (destruction du temple de Jérusalem) ou de 135 (fin de la seconde révolte juive), com-munément admises pour la rupture. En outre, la relation entre des groupes non encore formés — avant que les hérésiologues de tous bords ne parviennent à élaborer un discours suffisamment clair dessinant les identités respectives et consolidant donc les orthodoxies propres au judaïsme et au christianisme — doit être comprise selon le modèle de la partition, de la différentiation progressive et de la gémellité plutôt qu’en termes de séparation brusque des voies ou de relation mère / fille. Autrement dit, le christianisme ne naît pas d’une matrice juive déjà constituée, mais les deux « sont jumeaux, liés par la hanche » (p. 27), ce qui oblige du coup à comprendre les concepts mêmes d’orthodoxie et d’hérésie de manière concomitante (ils apparaissent ensemble), corré-lative (on ne peut les définir que l’un par rapport à l’autre) et, en partie au moins, concordante (même si le contenu diffère de part et d’autre, la

7. Pouvoirs de Diaspora : essai sur la pertinence de la culture juive (co-écrit avec son frère Jonathan ; 2002, trad. française : 2007) et Mourir pour Dieu. L’invention du martyre aux origines du judaïsme et du christianisme (1999, trad. française : 2004). 8. D. boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme (coll. Patrimoines Juda-ïsme). Paris, Cerf, 2011. 447 p. 23,5 × 14,5. 48 /.

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forme et les perspectives coïncident). L’argumentation dense et parfois touffue, avec abondance de notes savantes, se déploie en trois étapes.

Dans la première (« Faire une différence : les débuts hérésiologiques du christianisme et du judaïsme », p. 73-167), il s’agit essentiellement de présenter les preuves d’un développement parallèle des hérésiolo-gies chrétienne et rabbinique à la fin du IIe s. en lisant d’une part, le Dialogue avec Tryphon de Justin le Martyr — ce dernier étant considéré non pas comme témoin d’une situation de séparation déjà existante, mais plutôt comme planificateur d’une partition du territoire religieux et inventeur de l’orthodoxie chrétienne — et d’autre part, en traçant dans divers textes du Ie-IIIe s. (Flavius Josèphe, Philon, NT, Qumrân, Apocryphes, Mishna) l’émergence de la notion d’hérésie (minut) sur la scène juive non chrétienne.

La deuxième partie (« La crucifixion du Logos : comment la théo-logie du Logos devint chrétienne », p. 169-272) tourne autour de ce que Boyarin présente lui-même, dans son introduction, comme l’argument majeur du livre, à savoir la théologie du Logos selon laquelle existerait une seconde entité divine (Verbe, Sagesse, Memra) en position d’inter-médiaire entre Dieu et le monde : « Selon moi, la théologie du Logos ne distingue pas à l’origine le christianisme du judaïsme mais c’est plu-tôt un héritage commun qui fut interprété et construit pour devenir une marque distinctive à travers une conspiration de fait de théologiens orthodoxes des deux côtés de la nouvelle ligne frontière » (p. 65). En d’autres termes, longtemps avant que cette question ne devienne un shibbolet discriminant entre deux orthodoxies exclusives et même n’exprime l’essence de leur différence théologique, il y eut des juifs non chrétiens pour croire au Logos comme en un « second Dieu » alors que certains disciples de Jésus pouvaient avoir, à l’inverse, une conception purement modaliste de la Trinité.

L’ultime section (« Étincelles du logos : ou comment historiciser la religion rabbinique », p. 273-389) aborde la « fin » de l’histoire en s’intéressant d’une part, à la période de clôture du Talmud de Babylone et d’autre part, à celle du concile de Nicée et de sa réception. Concernant le Talmud, un grand crédit est accordé à la théorie selon laquelle sa rédaction finale serait due aux stammaïm, ces rabbis anonymes post-amoraïques qui ont réussi à imposer, aussi bien au plan théorique que rhétorique, la culture du débat sans fin, l’argumentation dialectique, l’indétermination interprétative et donc, la contingence de toute pré-tention à la vérité comme la forme la plus sublime, la quintessence même de la Torah9. Par ailleurs, en créant le mythe de Yavneh (sorte de « concile œcuménique » des rabbis rétroprojetée au Ie s.), ces mêmes

9. Idéologie bien illustrée par la formulation d’Eruvin 13b, rapportant un oracle céleste à propos d’opinions contradictoires de Hillel et de Shammaï : « Celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant ».

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stammaïm ont fourni au judaïsme un récit des origines légitimant les institutions qu’ils cherchaient à mettre en place et, réussissant à les imposer, ils ont donné forme à l’orthodoxie rabbinique. Cette édifica-tion de la Bet ha-Midrash (maison d’étude) idéale et la « canonisation du désaccord » comme mode de son fonctionnement, illustrées par plusieurs textes talmudiques et adroitement mises en parallèle avec certaines légendes sur Nicée (notamment celles conservées par Rufin d’Aquilée) permettent de percevoir l’évolution des stratégies discur-sives au sein des deux entités en formation. Là où les choses se rejoignent toutefois, c’est dans la manière dont, de part et d’autre, les légendes symbolisent les pratiques textuelles et comment les « livres » qui en résultent (le Talmud « désordonné », le corpus « consensuel » des Pères de l’Église) soutiennent le même mythe de fondation d’une orthodoxie.

À ce stade terminal de la définition du judaïsme rabbinique, une dernière étape reste toutefois à franchir : montrer l’asymétrie des déve-loppements de la notion de religion dans l’Empire devenu chrétien. Alors que l’Église a besoin de définir une orthodoxie juive en vis-à-vis pour se penser elle-même et pour garantir, dans une opposition binaire, sa propre orthodoxie, se prémunissant ainsi des dangers de l’hybridité, les Rabbis récusent la définition chrétienne de la « religion » — vue comme système de croyances et de pratiques adoptées librement et où celui qui abandonne ce système devient hérétique — et, rejetant l’idée même d’hérésie, ils refondent sur l’ethnicité (Sanhédrin 44a : « Un Israélite, même s’il pèche, reste un Israélite ») ce qui les différencie des chrétiens, lesquels sont maintenant devenus pour eux, le prototype des Gentils : « le Royaume [l’empire] est devenu minut [chrétien] » (Sota 23b ; 49b).

Si cette trop brève présentation permet de percevoir les grands axes et le caractère novateur de la thèse de Boyarin, elle aura déjà rempli son rôle. Gageons toutefois que, sans mégotter sur l’importance de la remise en cause et sur les déplacements que l’auteur nous invite à faire, cette brillante et provocatrice reconstitution historiographique n’ira pas sans susciter de nombreux débats.

Les deux ouvrages suivants proviennent du même éditeur (Lessius), sont publiés dans la même collection (l’Autre et les autres) et tous deux donnent la parole, mais dans un contexte différent, au rabbin David Meyer déjà connu de nos lecteurs. Dans Le minimum humain10, celui-ci — comme il l’avait fait jadis avec le jésuite Yves Simoens et le théologien musulman Soheib Bencheikh [Les versets douloureux : voir VC 81 (2009) 231] — provoque et poursuit un dialogue aussi exigeant qu’impéra- tif, cette fois avec un pasteur protestant, sur les conditions du vivre

10. D. Meyer et J.-M. de bourqueney, Le Minimum humain. Réflexions juive et chré-tienne sur les valeurs universelles et sur le lien social (coll. L’Autre et les autres, 12), Bruxelles, Lessius, 2010, 14,5 × 20,5 cm, 213 p., 19,50 /.

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ensemble quand la diversité culturelle, religieuse ou tout simplement la vision du monde séparent les individus ou pire, génèrent des conflits identitaires. Il le fait à partir d’une relecture — à la fois traditionnelle (dans sa manière de scruter les moindres aspérités du texte), critique (par les questions qu’il n’hésite pas à adresser à sa propre tradition) et novatrice (par l’interprétation qu’il en donne) — des lois noachides qui, dans la tradition juive et pour elle, sont un des lieux majeurs à partir duquel les dimensions d’ouverture et d’articulation à l’universel sont réfléchies et honorées. En contrepoint, Jean-Marie de Bourqueney, pasteur à Bruxelles, interroge la « prétention » du christianisme à l’uni-versel en reparcourant l’histoire de celui-ci à la lumière des catégories de kosmos (universel créationnel), de katholikos (universel symbolique) et d’oikouménè (universel centrifuge). Si ce dernier modèle a été large-ment dominant, de Bourqueney montre bien qu’il n’est pas le seul pos-sible et qu’on peut lui préférer le modèle de l’universalité symbolique qui, sans forcément conduire au syncrétisme ou au relativisme, invite plutôt à vivre la vocation universelle de ses convictions tout en conser-vant une posture de dialogue. C’est d’ailleurs certainement ce terme de « dialogue » qui constitue le maître-mot de tout l’ouvrage, lequel se ter-mine en élargissant — de manière sans doute utile mais malheureuse-ment trop brève — le débat à l’islam (Farid el Asri) et à l’humanisme laïque (Paul Danblon).

Même si certains lecteurs n’y verront pas la même urgence, c’est une autre question, non moins brûlante et tout aussi incontournable, que le second livre de Meyer aborde11 : à la suite de la Shoah, quelles pour- raient être les raisons proprement théologiques qui justifieraient la per-manence d’un peuple qui a été exterminé, non « à cause de ses fautes », mais en raison même de sa fidélité à l’alliance ? Existerait-il un 614e commandement qui prescrirait sa survie et qui, par l’obligation de transmettre, envers et contre tous, la vie aussi bien que la tradition, empêcherait de désespérer de l’Homme et de Dieu ? Pour tenter, non pas tant de répondre, mais plutôt de s’ouvrir à cette double interroga-tion (quelle foi juive et quel avenir pour le judaïsme ?) et, plus largement, pour s’affronter au terrible défi de « penser après Auschwitz », Meyer convoque trois rabbins et théologiens anglophones — Emil Facken-heim (1916-2003), Richard Rubenstein (1924) et Eliezer Berkovits (1908-1997) — représentant trois types d’appartenance au judaïsme (réformé, conservateur et orthodoxe) et peu ou pas du tout (pour le 3e d’entre eux) traduits en français. Après une présentation générale de leur pensée respective et de leur cheminement intellectuel, il propose pour chacun d’eux, de longs extraits de leurs œuvres qu’il traduit parfois de première

11. D. Meyer, Croyances rebelles. Fackenheim, Rubenstein et Berkovits : théologies juives et survie du peuple juif au crépuscule de la Shoah (coll. L’Autre et les autres, 14), Bruxelles, Lessius, 2011, 14,5 × 20,5 cm, 344 p., 29,50 /.

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main, qu’il situe dans le contexte historique et qu’il commente dans un apparat de notes toujours substantiel12 : de Fackhenheim, God’s presence in History (1970)*, To mend the world (1982), What is judaism ? An interpretation for the present age (1987)* ; de Rubenstein, After Auschwitz. History, théology, and contemporary judaism (1966, 21992), The cunning of history (1975)* ; et enfin, de Berkovits, Faith after the Holocaust (1973). Le parcours est suffisamment ample pour montrer que ces pensées excèdent les simplifications auxquelles on les a parfois réduites (au-delà de la « voix prescriptive » d’Auschwitz pour Facken-heim, et au-delà de la « mort de Dieu » pour Rubenstein) et qu’elles savent aussi se montrer critiques — dans le cas de Berkovits — par rap-port au discours officiel de l’orthodoxie et à son credo sur l’« invariabi-lité de la tradition ». Même si Rubenstein refuse, pour des raisons tout à fait compréhensibles, cette comparaison et que Berkovits insiste sur le fait qu’il ne tient que la place du « frère de Job », on ne peut, bien sûr en lisant ces pages, s’empêcher de penser à l’homme « intègre et droit, craignant Dieu et se gardant du mal » du pays de Uç (Jb 1,1). En outre, et nonobstant les positions radicalement anti-chrétiennes d’un Berko-vits ou précisément grâce à elles, le lecteur chrétien comprendra sans doute également mieux pourquoi la Shoah ne concerne pas que la théo-logie juive et, face à ces interrogations, peut-être se remémorera-t-il l’énigmatique parole de Jésus : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18,8).

Le Lévitique qui a ouvert cette chronique la refermera également (au moins en partie) puisqu’il s’agit, pour terminer, de présenter le deu-xième volume d’un ambitieux projet éditorial initié par André Paul — spécialiste reconnu du judaïsme ancien — autour de la « biblio-thèque de Qumrân »13. Or ce volume concerne précisément l’Exode, le Lévitique et les Nombres. Le projet en question consiste à présenter l’ensemble des textes de Qumrân, non bibliques et bibliques (au moins quand ces derniers présentent des variantes significatives par rapport au texte massorétique), dans une édition bilingue, non pas en suivant le classement traditionnel par numéros de grotte ou par genre littéraire, mais plutôt — et c’est là toute l’originalité de la démarche — en classant les manuscrits en fonction de leur lien thématique ou formel avec tel ou tel livre biblique. Ainsi, pour le Lévitique, sur la quinzaine de manuscrits trouvés à Qumrân, sont présentés, avec toutes sortes d’annotations savantes : 4QLévitique-Nombres (4Q23) ; 4QLévitiqueb (4Q24) ; 4QLé-vitiqued (4Q26) ; 11Qpaléo-Lévitiquea (11Q1) ; 4QSeptante du Lévitiquea

12. Les ouvrages pour lesquels existent déjà une traduction française sont marqués d’une astérisque. 13. K. berthelot et Th. legrand (dir.), Torah : Exode – Lévitique – Nombres. Édition et traduction des manuscrits hébreux, araméens et grecs (coll. La bibliothèque de Qum-rân, 2), Paris, Cerf, 2010. Le premier volume sur la Genèse est paru, chez le même éditeur, en 2008.

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(4Q119) ; 4QSeptante du Lévitiqueb (4Q120) ; et enfin, une traduction araméenne, très littérale, du Lévitique (4Q156). Si l’on perçoit bien l’originalité d’une telle entreprise — notamment par rapport aux projets éditoriaux concurrents, qu’ils soient allemand ou anglais — et son intérêt aussi bien pour la connaissance du judaïsme que pour l’histoire de l’interprétation du texte biblique, la critique textuelle, ou encore la compréhension du processus de canonisation, on réalisera également sans peine que la matière traitée et la technicité du propos réservent cet ouvrage à un public assez spécialisé et fortement motivé.

D. luciani

3, rue saint RochBE-5530 Godinne

Belgique

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Vies consacrées, 84 (2012-3), 232-240

Renseignements bibliographiques

Comptes rendus

Témoins

Delbrêl M., Œuvres complètes, t. 8 : Athéismes et évangélisation, vol. 2 : Textes missionnaires, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2010, 13 ≈ 20 cm, 288 p., 19,00 /.

Avant sa conversion, en 1924, M. Delbrêl avait vécu l’absurdité de Dieu et du monde. Convertie, elle écrira : « En milieu athée, pour vivre, il faut évangéliser ! » C’est à cette lumière qu’il faut lire ce volume 2 de ses Textes missionnaires. Elle s’y explique sur les conditions de l’évangéli-sation et sur l’évangélisation elle-même. On y trouvera des réflexions très personnelles, enracinées dans une foi profonde : la foi, écrit-elle, « n’est-elle pas l’engagement “temporel” de la vie “éternelle” ? » Mais alors, conclut-elle, « notre erreur dans les engagements temporels ne serait-elle pas, non qu’ils soient temporels mais qu’ils ne le soient pas assez ? » Pour elle, évangéliser était une sorte de nécessité organique, pas un divertissement. Les notes des éditeurs, en fin de volume, nous laissent découvrir que sa pensée, dans de précédents recueils, avait été plus d’une fois retouchée. Nous pouvons désormais connaître, dans son exigeante vérité, l’élan qui la faisait vivre et intériorisait sa démarche d’évangélisation. — H. Jacobs, s.j.

DiDgé, Joseph André. Audace et don de soi, Durbuy, Coccinelle, 2010, 22,5 ≈ 30,5 cm, 48 p., 13,50 /.

Cette bande dessinée met en scène le destin exceptionnel du prêtre namurois Joseph André. Aumônier de prison, il se voua avec une ardeur indéfectible au salut de marginaux de toutes sortes. Il reçut par ailleurs la distinction de « Juste parmi les nations » pour avoir protégé de nom-breux enfants Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le scénario est parfois trop conventionnel, mais de belles représentations de Namur et le témoignage des proches du saint prêtre belge enrichissent ce récit accessible aux plus jeunes. — Fr. Dominique, f.s.j.

burton P.-A., Ælred de Rievaulx (1110-1167). De l’homme éclaté à l’homme unifié. Essai de biographie existentielle et spirituelle, Paris, Cerf (Histoire), 2010, 14,5 ≈ 21,5 cm, 656 p., 39,00 /.

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Voici une biographique très documentée, sinon exhaustive, mais surtout une mise au jour du secret de la vie et de l’œuvre de cet homme exception-nel qui aura marqué de son empreinte le monachisme cistercien du xiie siècle anglais. Le propos n’est pas seulement événementiel et nous pressentons que l’empathie ancienne de notre biographe lui a donné de percevoir, et de bien exprimer, les multiples facettes du génie d’Ælred. On se limiterait beaucoup à ne voir en lui « que » l’auteur des œuvres bien connues : Le miroir de la charité (commandité par Bernard lui-même) et, plus personnel, L’amitié spirituelle. Il faut considérer les vingt années de son abbatiat qui l’ont impliqué dans l’histoire ecclésiale et politique de son pays. Le rayonnement de la réforme cistercienne aussi a été largement son œuvre. La hauteur spirituelle des Sermons, la visée de sa théologie de l’histoire dans les Ecrits historiques ne peuvent se concevoir que d’un homme en humble possession d’une maturité humaine et spirituelle. On approuvera volontiers le titre de la conclusion de ce remarquable tra-vail : « De l’homme éclaté à l’homme unifié dans le Christ. » Tant d’autres qualités (la rigueur historiographique surtout et, malgré quelques lon-gueurs, la clarté pédagogique) seraient à signaler. Qu’il suffise de conclure le « lisez ce livre » par cela même que notre auteur affectionne, les « … » qui, en guise de pause, invitent à prier et méditer. — J. burton s.j.

reynal G., Pierre-André Liégé (1921-1979). Un itinéraire théologique au milieu du xxe siècle, Paris, Cerf (Histoire – Biographie), 2010, 14,5 ≈ 23,5 cm, 496 p., 33,00 /.

La carrière théologique du P. Liégé o.p. (1921-1979), au service de la récon-ciliation du monde moderne et de l’Église, s’étend de 1948 à 1979 (de la fin du pontificat de Pie XII à l’inauguration du pontificat de Jean-Paul II) avec, au centre, le Concile auquel il a participé comme expert. Il a été l’initiateur de la théologie pastorale, une discipline dont il a cherché à préciser les contours et à justifier le caractère scientifique. Au menu : la crise de la Route dont il est l’aumônier national ; la responsabilité poli-tique des chrétiens dans les événements d’Algérie ; les griefs portés à Rome contre lui (découragé, il songe à entrer à la Trappe) ; sa participa- tion à la revue Parole et mission ; son enseignement à l’Institut supérieur d’enseignement catéchétique. Parmi les sujets qu’il aborde : foi implicite et évangélisation ; le kérygme et la catéchèse ; ministère pastoral plutôt que sacerdoce ministériel ; le rapport à l’Église des non-évangélisés… À la question « Faut-il opposer foi et religion ? », il avoue, à la fin de sa vie, avoir donné pendant vingt ans une réponse fausse. — P. Detienne, s.j.

lelièvre B., Saint Philippe Néri, un cœur brûlant d’amour, Paris, Édi-tions de l’Emmanuel, 2010, 13 ≈ 21 cm, 96 p., 12,00 /.

Ce petit livre vise à faire découvrir saint Philippe Néri, non pas en pro-posant une nouvelle biographie, mais en le présentant sous l’angle de

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la charité qui a habité son cœur : cœur brûlant d’amour dans l’oraison, amour joyeux et fraternel, amour envers les pauvres, les malades, les pécheurs. Les chapitres, très courts, sont à lire comme des méditations car ils condensent en peu de mots l’enseignement du saint transmis aujourd’hui dans l’Oratoire. Ainsi un itinéraire se dessine, du cœur de Philippe au cœur de chaque homme qui voudra bien se laisser toucher. Cor ad cor loquitur signifie non seulement parler de façon à toucher les cœurs mais encore parler au cœur de chaque personne. — S. Dehorter, prêtre de l’Emmanuel.

simonnet A., Pierre Emmanuel, poète du Samedi saint, Paris, Parole et Silence (Studium Notre-Dame de Vie), 2010, 14 ≈ 21 cm, 176 p., 17,00 /.

Le mystère du Samedi traverse souvent, comme un « combat de Jacob », l’engagement risqué de l’écriture poétique, exposée aux abîmes de l’oxymore : « le jour nocturne ». Cette belle étude reconnaît en Pierre Emmanuel (Noël Mathieu, 1916-1984), un ce ces poètes marqués au sceau de ce Jour où tout semble suspendu et en Dieu et pour l’homme. Comment en serait il autrement pour celui dont le « premier » poème, Christ au tombeau (1938), ouvre « une voie de parole » qu’il ne quittera plus ? De cette voie, trois stations : Où est-il ton Dieu ?, Toute l’histoire de l’homme semble avoir la mort de Dieu pour objet, et La face nord de la miséricorde. Les citations de l’œuvre sont donc choisies thématique-ment. Ainsi nous sommes accompagnés dans nos propres précipices où entendre cette Parole qui est la Voie et donne Vie. L’œuvre d’Emmanuel n’est pas une proposition de la foi mais, en amie, soutient notre propre chemin. Cette étude honore la collection « Sorgues » comme un de ces bras de la rivière éponyme, non loin de Venasque, qui irrigue en ses berges les « Témoins en Esprit-Saint ». — J. burton s.j.

carrier Y., Mgr Oscar A. Romero. Histoire d’un peuple. Destinée d’un homme, Paris, Cerf (L’histoire à vif ), 2010, 13,5 ≈ 21,5 cm, 352 p., 28,00 /.

Après avoir rappelé le contexte historique (histoire du Salvador depuis l’époque coloniale ; option préférentielle pour les pauvres dans l’Église postconciliaire), l’A., professeur de théologie à l’université de Laval (Québec), se penche sur l’étonnant parcours de Mgr Romero (1917-1980), prophète assassiné. Pasteur conservateur lié à l’Opus Dei, il devient archevêque de San Salvador en 1977, année au cours de laquelle, marqué par l’assassinat de Rutilo Grande s.j., il se convertit à la cause des pauvres et s’implique politiquement durant les trois dernières années de sa vie. C’est la période qui retient principalement l’attention de l’A. Nous en retenons l’analyse qu’il nous offre des lettres pastorales

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de l’archevêque et de ses homélies qui ont fait le sujet de sa thèse de doctorat, publiée en 2004. L’A. lui-même nous avertit : « Bien plus qu’une biographie historique, il s’agit de l’histoire d’un peuple. » La pré-face est signée François Houtard. — P. Detienne, s.j.

sœur marie Du christ, avec la collaboration de sœur marie-emma-nuel, Mère Marie de Saint-François d’Assise (1911-2005). Une vie dans la lumière, Paris, Salvator, 2010, 14 ≈ 21 cm, 232 p., 22,00 /.

La Mère Ancelle et la Sœur Archiviste des Annonciades de Thiais nous présentent la lumineuse biographie de celle qui joua un rôle important dans leur Ordre. Simone Siraudeau naquit à Vincennes le 13 août 1911. Elle alla rejoindre le Seigneur le 29 novembre 2005. Entrée chez les Annonciades à Thiais à l’âge de 19 ans, elle fut tour à tour assistante, maîtresse des novices, ancelle, fondatrice de monastères auxquels elle ne cessa de donner son aide et sa sollicitude. Déchargée de son supé-riorat en 1996, elle passa ses dernières années comme une présence rayonnant la grâce de Dieu pour toutes les moniales de son Ordre. La simplicité de l’Évangile l’illuminait, vécue dans le charisme de l’Annonciade. Fondé à Bourges en 1502 par sainte Jeanne de France (1464-1505) et le Bienheureux Gabriel-Maria (1460-1532), frère mineur, cet Ordre a pour fin de plaire à Dieu en suivant la Vierge Marie et en imitant ses vertus, telles qu’en témoignent les Évangiles. L’intimité avec Jésus, un regard aimant et fervent sur Marie, voilà en quelques mots l’idéal si simplement évangélique qui animait cette religieuse dont l’intercession commence à être invoquée. — H. Jacobs, s.j.

Vie de l’Église

missègue M.-G., Des maux de l’Église à ses mots d’espérance. L’a-venir du prêtre, Paris, Lethielleux, 2011, 14 ≈ 21 cm, 240 p., 22,00 /.

Comment concevoir le sacerdoce à venir ? Dans le présent essai d’an-thropologie théologique, l’auteure nous propose une réflexion auda-cieusement personnelle, dépouillée de toute référence aux auteurs face auxquels elle se situe. Qu’en retenons-nous ? Associer célibat et sacré est un retour aux religions ancestrales. Ce n’est pas le célibat qui a une dimension eschatologique, mais le mariage. Le Christ demande à ses disciples non pas de le représenter mais de l’imiter. Dieu s’incarne dans l’homme « fondamental » d’avant la distinction en mâle et femelle, il annihile l’opposition masculin-féminin ; il opère une totale désacra-lisation du créé. Le Christ en croix ne s’adresse pas à sa mère mais à la Femme. Les « prêtres », hommes ou femmes, mariés ou non, sont les ministres de la Mission. Leur vocation est une vocation parmi d’autres,

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pas au-dessus des autres. Le mariage et le célibat consacré ne sont pas des vocations, mais des choix de vie soutenant une vocation. L’A. pro-pose un temps de célibat comme préparation à la Mission… et cette Mission requiert une telle disponibilité qu’elle exclut quasiment la pos-sibilité d’avoir des enfants. — P. Detienne s.j.

aa vv, Célibat sacerdotal. Fondements, joies, défis… Colloque à Ars, 24-25-26 janvier 2011, Paris, Parole et silence / Société Jean-Marie Vianney – Sanctuaire d’Ars, 2011, 15 ≈ 23,5 cm, 272 p., 25,00 /.

Sont regroupées ici une quinzaine de conférences prononcées lors d’un colloque (Ars, janvier 2011) consacré au célibat sacerdotal. Au pro-gramme : les objections historiques, sociologiques, etc. ; les aspects scripturaires ; les origines apostoliques ; une approche philosophique ; le contexte de diverses cultures ; identité de matière et différence de signification entre célibat sacerdotal et vœu de chasteté des religieux ; le rapport à l’eucharistie. Sont alors présentées les encycliques des der-niers papes qui traitent du sujet : Ad catholici sacerdotii (Pie XI), Sacra virginitas (Pie XII), Sacerdotii nostri primordia (Jean XXIII), Sacerdotalis caelibatus (Paul VI)… et les Exhortations apostoliques de Jean-Paul II (Pastores dabo vobis) et de Benoît XVI (Sacramentum caritatis). D’autres interventions concernent la maturité affective, l’argument de conve-nance, l’œcuménisme, la vie spirituelle, la fécondité apostolique… La postface est signée de Mgr Bagnard, évêque de Belley-Ars : le céli- bat sacerdotal est une réponse à l’appel du Christ à tout quitter. Notons en passant que l’ordination d’une femme est un « blasphème ecclésio-logique. » (Mgr Fr. Frost) — P. Detienne s.j.

Spiritualité

Peyrous B. et loyer C., Vivre avec Dieu. 220 textes des plus grands auteurs chrétiens, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2010, 13 ≈ 21 cm, 320 p., 18,00 /.

Des milliers de textes spirituels ont été écrits, observent les auteurs de cette anthologie. Que de lumières, parfois même décisives, pouvons-nous y trouver ! On a donc voulu nous en présenter ici un choix abon-dant, leur numérotation s’élevant au nombre de 230. N’ont été privilé-giés que les auteurs les plus connus. Les textes ont été répartis selon un ordre chronologique mais qui évidemment n’est jamais contraignant. Quelques recueils semblables sont cités dans la bibliographie. Nous avons ainsi à notre disposition de quoi aider grandement notre prière, notre étude, notre lecture spirituelle. Un index thématique renvoie à de nombreuses notions dans les textes où elles sont rencontrées. Un index

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chronologique des auteurs, brièvement identifiés, achève de faire de ce volume un auxiliaire bien utile dans notre vie avec le Seigneur. — H. Jacobs, s.j.

Dubois m.-g., La joie en Dieu. Les trois âges de la vie spirituelle, Paris, Presses de la Renaissance, 2010, 13 ≈ 20 cm, 250 p., 22,00 /.

Ce livre est une somme ! Ancien abbé de la Grande Trappe, l’A. livre un texte intelligent et fort documenté. Mettant à profit son expérience de maître des novices, il adopte un plan pédagogique et un style vivant pour entraîner le lecteur vers la connaissance de soi, du prochain et de Dieu. L’exposé des questions fondamentales de notre foi (la rédemp-tion, le mal, la liberté, etc.) et la présentation des doctrines spirituelles (la petite voix thérésienne, l’obéissance bénédictine, etc.) sont limpides. Une synthèse à placer dans toutes les bonnes bibliothèques. — Fr. Domi-nique, f.s.j.

alvarez t., Introduction aux œuvres de Thérèse d’Avila, 1 : Le livre de la vie, Paris, Cerf (Initiations), 2010, 13,5 ≈ 21,5 cm, 192 p., 17,00 /.

Le cinquième centenaire de la naissance de sainte Thérèse d’Avila (2015) donne lieu à d’intenses préparatifs ; la présente Introduction est un des chantiers de la commémoration. Le père Alvarez dresse d’abord un por-trait détaillé de l’Espagne du xvie siècle et de la vie religieuse à cette époque ; dans ce contexte, il situe Thérèse dans sa famille ; il entre enfin dans le fameux Livre de la vie, ses deux rédactions, sa structure et son contenu. La plume rigoureuse et experte de l’A. livre dans ce premier tome un aperçu enthousiasmant de la qualité scientifique des ouvrages à venir. — Fr. Dominique, f.s.j.

thérèse D’Àvila, Amour et prière, textes choisis et présentés par P. Serouet o.c.d., Paris, Cerf (Trésors du christianisme), 2010, 13,5 ≈ 19,5 cm, 224 p., 17,00 /.

L’A., religieux carme, propose ici une petite anthologie de textes tirés des œuvres de Thérèse d’Àvila. Il y est question d’un quadruple rapport de la prière : à l’amour, à la fidélité, à la charité fraternelle, à l’humi- lité. Recueillons-en quelques perles. Prier c’est parler à Dieu, lui parler d’amour. L’important n’est pas de penser beaucoup mais d’aimer beau-coup. L’oraison mentale est une conversation amicale et fréquente avec celui dont nous savons qu’il nous aime. Un simple regard est une parole d’amour. Dieu mène les âmes par divers chemins. Notre Seigneur ne regarde pas tant à la grandeur de nos œuvres qu’à l’amour avec lequel nous les accomplissons. La fidélité est un don de Dieu. Je veux servir ce Maître et je n’ai pas d’autre ambition que celle de le contenter. Quand

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l’âme trouve tout en Jésus, elle oublie tout le reste. Pour jouir des faveurs de Dieu, il faut d’abord se convaincre qu’on ne les mérite pas. Tout notre bien consiste à nous conformer à la volonté de Dieu… Notons l’insistance de Thérèse sur la parfaite union des cœurs en communauté, et sur l’im-portance de la contemplation de l’humanité du Christ. — P. Detienne, s.j.

Ouvrages reçus

aa. vv., La Mennais Magazine. Chronique des Frères de l’Instruction chré-tienne de Ploërmel et des laïcs mennaisiens, numéro 03-2012 / 14, Vannes, 2012, 64 p.

aa. vv., Youcat. Le livre de prière, Paris, Bayard / Cerf / Fleurus-Mame (Documents d’Église), 2012, 176 p., 19,95 /.

bauquet N., D’aroDes De Peyriague X., gilbert P. (dirs), « Nous avons vu sa gloire. » Pour une phénoménologie du Credo, Bruxelles, Lessius (Donner raison, 36), 2012, 304 p., 28,50 /.

bovon Fr., Dans l’atelier de l’exégète. Du canon aux apocryphes, Genève, Labor et Fides (Christianismes antiques), 2012, 408 p., 37,00 /.

bugnon R., Voyage de Marc en Galilée. Récit imaginaire et romancé de la naissance d’un livre, Saint-Maurice (Suisse), Éditions Saint-Augus-tin, 2012, 296 p., 22,00 /.

cholvy G., Le xixe siècle. Grand siècle des religieuses françaises, Perpi-gnan, Artège (Histoire), 2012, 136 p., 17,00 /.

chorale De la communauté De l’emmanuel, 2 CD : Il est vivant ! Ordi-naires de messe, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2012, 26 chants, 11,71 /.

—, CD : Il est vivant ! Chants de confiance et d’espérance, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2012, 21 chants, 13,38 /.

coste R., L’amitié avec Jésus, Paris, Cerf (Théologies), 2012, 336 p., 32,00 /.

De martin De viviés P., Oracle du Seigneur. Amos, Osée, Isaïe, Lyon, Profac (n° 112), 2012, 336 p., 20,00 /.

Delville J.-P., Famerée J. et henneau M.-É., Marie, figures et réceptions. Enjeux historiques et théologiques, Louvain-la-Neuve / Paris, Univer-sité catholique de Louvain – RSCS / Mame – Desclée, Théologie, 2012, 228 p., 28,50 /.

Dionne Chr., L’Évangile aux Juifs et aux païens. Le premier voyage mis-sionnaire de Paul (Actes 13–14), Paris, Cerf (Lectio Divina, 247), 2011, 400 p., 35,00 /.

Famerée J. (dir.), Vatican II comme style. L’herméneutique théologique du Concile, Paris, Cerf (Unam Sanctam, nouvelle série), 2012, 320 p., 25,00 /.

Fourastié J., Prier avec Marie dans la liturgie, Paris, Parole et silence (Collège des Bernardins, 103), 2012, 172 p., 14,00 /.

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Fournier E., Un rendez-vous avec Elle. La présence merveilleuse de la Vierge Marie en nos vies (2e éd.), Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes (Verbe de Vie), 2012, 224 p., 13,90 /.

routhier G., roy Ph.J., schelkens K. (dir.), La théologie des mouvements entre intransigeance et renouveau. La réception des mouvements préconciliaires à Vatican II, Louvain-la-Neuve, Bibliothèque de la revue d’histoire ecclésiastique, 2011, 384 p., 45,00 /.

grasso E., Le chant nouveau. Le cœur nouveau. Pour une spiritualité du chant liturgique, Mbalmayo (Cameroun), Centre d’Études Redemp-tor hominis (Cahiers de réflexion, 9), 2011, 66 p.

guigain Fr., La récitation orale de la Nouvelle Alliance selon saint Mat-thieu, Paris, Cariscript, 2012, 312 p., 28,00 /.

hubaut M., Sous la discrète mouvance de l’Esprit. Initiation à la vie inté-rieure, Paris, Cerf (Épiphanie), 2012, 288 p., 22,00 /.

hurtaDo L.W., « Dieu » dans la théologie du Nouveau Testament, Paris, Cerf (Lectio divina, 245), 2011, 206 p., 24,00 /.

Jacobs H. (dir.), Saints et bienheureux de Belgique, Namur, Fidélité, 2012, 136 p., 12,95 /.

JorDy V., La rencontre de Jésus. Un parcours de sainteté en saint Jean, Paris, Cerf (Épiphanie), 2011, 240 p., 15,00 /.

lémonon J.-P., Pour lire la lettre aux Galates, Paris, Cerf (Pour lire), 2012, 140 p., 19,00 /.

marguerat D. et Wénin A., Saveurs du récit biblique. Un nouveau guide pour des textes millénaires, Montrouge, Bayard, 2012, 372 p., 22,90 /.

marie De la trinité, Carnets, t. III : Du sacerdoce à la filiation (9 juillet – 14 décembre 1942), Paris, Cerf (Intimité du christianisme), 2012, 658 p., 44,00 /.

matura Th., Une absence ardente. Approches de l’expérience de Dieu, Paris, Cerf – Éditions franciscaines (Épiphanie), 2012, 130 p., 10,00 /.

mccormack M., Prier à l’école du Carmel. « La splendeur du Carmel lui a été donnée », Toulouse, Éditions du Carmel (existenCiel), 2012, 96 p., 8,00 /.

mestre A., Au fil de la Parole, Paris, DDB (Spiritualité), 2012, 286 p., 21,00 /.monoD-zorzi St., Soins aux personnes âgées. Intégrer la spiritualité ?,

Bruxelles, Lumen Vitae (Soins et spiritualité, 2), 2012, 104 p., 15,00 /.myre A., La source des paroles de Jésus, Montrouge, Bayard, 2012, 304 p.,

21,00 /.reDing J., Un sentier dans le jardin. Saveurs d’Évangile (avec le soutien

des Feuilles familiales, Malonne), Bruxelles, Lumen Vitae (Pédagogie pastorale, 9), 2012, 144 p., 18,00 /.

saint bernarD, Quand passe le vent de l’Esprit. Sermons pour la Pente-côte, traduction et lecture Fr. Callerot, présentation et relectures É. Baudry, Bégrolles-en-Mauges, Éditions de l’Abbaye de Bellefon-taine (Vie monastique, 48), 2012, 256 p., 22,00 /.

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sesboüé B., Les « trente glorieuses » de la christologie (1968-2000), Bruxelles, Lessius (Donner raison, 34), 2012, 480 p., 29,50 /.

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touton G., Marie. Au plus près des Écritures et dans la Tradition, Perpig-nan, Artège (Sed contra), 2012, 596 p., 39,00 /.

touzeau G., Miseratione Divina. Le Manifeste de Jean Carrier (1429), Per-pignan, Artège (Histoire), 2012, 296 p., 24,00 /.

trigano P.I. et vincent A., Heureux les pauvres ! Béatitudes de Jésus, révo-lution hébraïque, Ganges, Réel éditions, 2011, 168 p., 15,00 /.

un moine bénéDictin, Découvrir la vie intérieure. Peut-on devenir l’ami de Dieu ?, Le Barroux, Editions Sainte-Madeleine, 2012, 192 p.

une carmélite, Veiller dans l’amour. Une pensée pour chaque jour avec sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, Toulouse, Éditions du Carmel (Sagesses carmélitaines), 2012, 192 p., 16,00 /.

valli A.M., Carlo Maria Martini. L’histoire d’un homme, Saint-Maurice (Suisse), Saint-Augustin, 2012, 264 p., 21,00 /.

venarD Chr., La confession, mode d’emploi, Perpignan, Artège, 2012, 32 p., 2,95 /.

vianney balegamire J.-M., La vie religieuse en Afrique au troisième millé-naire, Paris, L’Harmattan (Grands Lacs), 2012, 166 p., 17,00 /.

you Fr., D’alliance en alliance, Dieu se donne. À l’écoute de la pédagogie divine, Paris, Médiaspaul, 2012, 248 p., 20,00 /.

Éditeur responsable : Noëlle Hausman • 24, bd Saint-Michel • BE-1040 Bruxelles

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ImprimaturMalines, le 19 juin 2012, Etienne van Billoen, vic. gén.