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dlm demain le monde n° 5 – janvier/février 2011 climat L’imposture climato-sceptique introspectus Le « philanthro- capitalisme » a la cote paradis fiscaux Google, le double irlandais et le sandwich hollandais dossier Regards sur Haïti un an après…

dlm // demain le monde

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Dlm est le magazine du CNCD-11.11.11 et supplément 'développement' du magazine Imagine

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dlmdemain le monde

n° 5 – janvier/février 2011

climatL’imposture climato-sceptiqueintrospectusLe « philanthro -capitalisme »a la coteparadis fiscauxGoogle, le double irlandais et le sandwich hollandais

dossier

Regards sur Haïti

un an après…

02sommaire

dlmdemain le monde

n°5 – janvier/février 2011

Directeur de rédactionArnaud Zacharie

RédactionFrédéric Lévêque

GraphismeDominique Hambye, Élise Debouny

ImpressionKliemo – EupenImprimé à 6.500 exemplaires sur papier recyclé

Photo de couvertureCité Soleil, Haïti : construction d’unabri. © UN photo / Logan Abassi 2010

dlm est le supplément « développement » du magazineImagine demain le monde.

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[email protected] – 02 250 12 51

03éditoPromesses non tenues : plus dure sera la chute!par Arnaud Zacharie

04actuGoogle, le double irlandais et le sandwich hollandaispar Antonio Gambini

06actuÀ table! par Jean-Jacques Grodent

08actuL’imposture climato-sceptiquepar Véronique Rigot

10dossierRegards sur Haïti un an après…

Haïti, toujours la catastrophe?entretien avec Pierre Verbeeren, Médecins du Mondepar Frédéric Lévêque

Les cinq « invariants » de la logique humanitairepar Bernard Duterme

Un État en ruines, un peuple deboutpar Sabine Manigat

18projet 11.11.11Les femmes « éco-solidaires »par Yaneth Fernández Collado & David Gabriel

20introspectusLe « philanthrocapitalisme » a la cotepar Miguel Mennig

23pas au sud, complètement à l’ouestOn n’a plus le temps!par Gérard Manréson

24pétitionOuvrons les yeux sur les centres fermés

03édito

« SI LES PAROLES CONTINUENT DE NE PAS ÊTRE SUIVIES D’ACTES

CONCRETS, LE MONDE SE RÉVÉLERA TOUJOURS PLUS

INSTABLE ET INÉGALITAIRE »

Les crises se succèdentau même rythme que lespromesses des gouverne-

ments d’y apporter les réponses adéquates. Mais ces promesses ont été suiviesde bien peu d’actes concrets. À un tel point que les ingrédients semblent réunispour provoquer à terme de nouvelles crises.

C’est par exemple le cas en matière alimentaire. Les émeutes de la faim du prin-temps 2008 avaient illustré l’échec de politiques agricoles et alimentaires fondéessur le productivisme et la course à la compétitivité mondiale. Les centaines de mil-lions de paysans ruraux du Sud sont incapables de concurrencer les excédentsexportés à bas prix par les firmes agroalimentaires, ce qui les prive de revenus suf-fisants pour avoir accès à une alimentation qui pourtant existe. Mais la crise ali-mentaire n’a pas incité, malgré certaines évolutions sémantiques, à revoir en pro-fondeur ces politiques, à un tel point que les symptômes d’une nouvelle crisealimentaire surgissent dans plusieurs pays pauvres (voir l’article p.6).

C’est également le cas en matière financière. La crise bancaire de 2008 et la réces-sion mondiale de 2009 avait incité les gouvernements du G20 à annoncer plusieursmesures ambitieuses en vue de réguler le système financier international et éviterde nouvelles bulles spéculatives et de nouvelles crises. Selon le G20 d’avril 2009,cela en était fini des paradis fiscaux et du secret bancaire ! Mais quelques moisplus tard, on ne peut que constater la modestie des décisions qui ont finalementété prises et le peu d’effets qu’elles ont engendrés. Non seulement les paradis fis-caux sont toujours bien vivants, mais le système financier mondial semble aussiinstable que par le passé (voir l’article p.4).

C’est aussi le cas en matière humanitaire. La situation en Haïti est catastrophique.Malgré l’élan de générosité internationale qui a fait suite au séisme de janvier 2010,la capitale reste dans les décombres, tandis que la choléra est venu s’ajouter auxsinistres et que l’Etat haïtien n’en est plus vraiment un. Face à une des plus impor-tantes catastrophes humanitaires de ces dernières décennies, la reconstruction etle développement d’Haïti représentent un défi titanesque (voir le dossier p.10).

En résumé, face aux crises multiples de notre temps, les promesses ne suffiront enrien à apporter les réponses adéquates. Au contraire, si les paroles continuent dene pas être suivies d’actes concrets, le monde se révélera toujours plus instable etinégalitaire. L’évaluation à New York des Objectifs du millénaire pour le dévelop-pement, dix ans après leur adoption, a révélé combien l’engagement d’améliorerles indicateurs de pauvreté en 2015 était loin d’être atteint. Il est dès lors temps depasser des paroles aux actes.

Promesses non tenues :

plus dure sera la chute !

ARNAUD ZACHARIESecrétaire général du CNCD-11.11.11

« You can make money without doing evil », « Il est possible degagner de l’argent sans vendre son âme au diable », proclamefièrement la philosophie de Google. Troisième société du sec-teur informatique aux États-Unis en termes de capitalisationboursière (194,2 milliards de dollars), Google est une entre-prise mondialement connue et visible, qui se targue en outred’être particulièrement responsable socialement.

Mais la responsabilité sociale dont se pare l’entreprise fondéeen 1998 dans la Silicon Valley (Californie) ne semble pasinclure l’éthique en matière fiscale. En effet, un récent articlede l’agence Bloomberg1 explique comment le groupe Googleréussit à ne payer que le pourcentage minime de 2,4% d’im-pôts sur les bénéfices produits en dehors du territoire desÉtats-Unis. Pourtant, le taux d’impôt sur les bénéfices dessociétés est de 24,99% en moyenne dans le monde – 33,99%en Belgique – en 2010! Même l’Irlande, qui pratique pourtantun dumping fiscal quasiment officiel, applique un taux de12,5%, bien au-delà des 2,4% versés par Google.

La technique des prix de transfertPour réussir ce tour de passe-passe, l’entreprise utilise latechnique désormais bien rôdée des prix de transfert. Avecune économie mondialisée mais une fiscalité restée natio-nale, chaque pays taxe les entreprises présentes sur son ter-ritoire selon ses propres règles et sur la base des bénéficesdéclarés par la filiale nationale de l’entreprise transnationale.Il suffit donc à la société en question de déplacer les béné-fices produits dans les pays à la fiscalité plus lourde vers lespays à la fiscalité plus légère. Si les 12,5% proposés parl’Irlande sont jugés excessifs, pas de panique, des dizainesde juridictions fiscales (États ou territoires souverains d’unpoint de vue fiscal) proposent des taux zéro.

Ce déplacement de bénéfices ne se fait pas par un simple vire-ment, il est dissimulé sous des opérations économiques appa-remment légitimes. Les différentes filiales du même groupeprocèdent entre elles à des opérations aussi simples que desventes de produits, mais à un prix artificiellement haut ou bas,

04actu

En avril 2009, le G20 promettait decombattre les paradis fiscaux pourprotéger nos finances publiques. Plus de deux ans après le début de la crise financière, où en est-on ?Cherchons la réponse avec Google…

c’est selon. La filialequi aura ainsi réalisé uneopération à un prix abusivementdésavantageux verra ses bénéfices réduits d’autant, et doncégalement sa facture fiscale. La filiale qui réalise le côté outra-geusement avantageux de l’opération verra ses bénéfices gon-fler démesurément. La deuxième filiale aura comme par hasardtendance à être localisée sur un territoire particulièrementgénéreux en matière de taux d’imposition des bénéfices.

De l’Irlande aux BermudesGoogle a vendu les droits d’exploitation de ses brevets etautres propriétés intellectuelles à sa filiale Google IrelandHoldings, établie, comme son nom ne l’indique pas, dans lesîles Bermudes (un paradis fiscal), et dirigée par des parte-naires d’un cabinet d’avocat local. Google Ireland Limitedemploie 2.000 personnes à Dublin, et réalise 88% des venteshors États-Unis du groupe, mais ne paye qu’un impôt infimecar les bénéfices sont littéralement mangés par les paie-ments de royalties (droits d’utilisation de brevets et autrespropriétés intellectuelles) à la filiale des îles Bermudes. C’estce qu’on appelle le « double irlandais » dans le jargon des fis-calistes spécialisés.

B

C

ANTONIO GAMBINIChargé de recherche, CNCD-11.11.11

A

Googlele double irlandais

et le sandwich hollandais

©Serg

Dibrova

-Fotolia

Mais l’Irlande applique un prélèvement aux paiementsdirigés vers les îles Bermudes. Encore une fois, pas

de panique, c’est là qu’intervient le « sandwich hol-landais », en l’occurrence une filiale hollandaise

(qui ne déclare aucun employé), vers laquelleGoogle Ireland Limited dirige ses paiementsde royalties, avant le transfert final vers lesîles Bermudes. Le tour est joué.

Aujourd’hui, l’Irlande est au bord de la fail-lite, et des voix s’élèvent pour remettre encause le taux anormalement bas de 12,5%de l’impôt sur les bénéfices des sociétés.Ce à quoi Google a réagi avec culot. Sonreprésentant en Irlande a déclaré, pourprévenir tout durcissement fiscal, et alors

même que Google ne paye même pas letaux pourtant très bas de l’impôt irlandais,

que « tout ce qui pourrait remettre en ques-tion la compétitivité irlandaise – notamment un

changement de l’impôt sur les entreprises –poserait un problème important à Google ».

(Lemonde.fr, 22/11/2010) Quand on vous dit qu’onpeut faire des affaires without doing evil…

Malheureusement Google n’est pas un cas isolé, ce genre depratiques est universellement répandu. En période de criseéconomique, de politique d’austérité généralisée, le coûtpour les citoyens et pour la collectivité de ce manque àgagner fiscal est particulièrement insupportable. Pour ce quiest des pays du Sud uniquement, ces types de pratiquesreprésentent environ 64% des 500 à 800 milliards de dollarsqui quittent illicitement chaque année les pays du Sud pourêtre rapatriés dans les pays du Nord2. Des sommes donc biensupérieures aux 100-120 milliards que le Nord verse au Sudannuellement sous forme d’aide publique au développement.

05actu

Un standard insuffisantAprès le sommet de Londres, le G20 a délégué à l’OCDE4 le travail de mise en œuvre de ses décisions. Or cette organisationinternationale applique un standard qui se révèle aujourd’hui insuffisant, celui de l’accord bilatéral d’échange d’information surdemande. Cette demande d’information doit être motivée, alors que par définition il est difficile de monter un dossier solide sur dessommes d’argent qui justement sont dissimulées dans le trou noir d’un paradis fiscal. En outre, l’OCDE s’estime satisfaite lorsqu’unparadis fiscal signe 12 accords bilatéraux de ce type. Dans l’absolu c’est peu par rapport aux plus de 200 pays et juridictions fiscalesdu monde, mais cela devient ridicule lorsque l’on constate que plusieurs paradis fiscaux (l’île anglo-normande de Jersey parexemple) ont déployé une activité diplomatique intense pour signer des accords avec des juridictions aussi importantes que les ÎlesFéroé et le Groenland, ou mieux encore, des accords entre paradis fiscaux. La probabilité d’une demande d’information par uneadministration fiscale ou un juge issu d’un paradis fiscal auprès d’un autre paradis fiscal est bien évidemment infime…

Les promesses du G20Après la débâcle bancaire et financière de 2007-2008, l’indi-gnation de l’opinion publique mondiale a exercé une pressionimportante vers une moralisation des pratiques du mondeéconomique et financier. Les réactions politiques ne s’étaientpas faites attendre. Le sommet du G20 de Londres du 2 avril2009 s’était achevé sur une déclaration particulièrementoffensive contre les paradis fiscaux : « Nous convenons (…)d’agir contre les juridictions non-coopératives, y compris lesparadis fiscaux. Nous sommes prêts à mettre en œuvre dessanctions pour protéger nos finances publiques (…) »3.Nicolas Sarkozy avait surenchéri en déclarant, quelquesmois plus tard à la télévision, que « les paradis fiscaux, lesecret bancaire, c’est terminé ! ». Mais la montagne du G20a accouché d’une souris (voir encadré).

À l’heure où la crise déclenchée par une finance irresponsa-ble et dérégulée a coûté d’innombrables milliards auxcitoyens de la planète (sous forme de crise économique, desauvetage des banques aux frais du contribuable, de poli-tique budgétaire d’austérité), alors même que les besoins definancement mondiaux insatisfaits s’accumulent pour finan-cer par exemple la lutte contre les changements climatiqueset leurs effets dévastateurs, remettre la main sur ces cen-taines de milliards de recettes fiscales volées n’est plus uni-quement un impératif moral, c’est devenu un véritable enjeuéconomique et social planétaire.

« LA MONTAGNE DU G20 A ACCOUCHÉ D’UNE SOURIS »

1/ Google 2,4% Rate Shows How $60 Billion Lost to Tax Loopholes,Bloomberg, 21 octobre 2010 2/ « Adressing development’s black hole:regulating capital flight », mai 2008, rapport de EURODAD, CRBM, WEED& Bretton Woods Project. 3/ Traduction de l’auteur d’un extrait de l’originalanglais du communiqué final du sommet. 4/ L’Organisation pour lacoopération et le développement économiques, qui rassemble les 29 paysles plus industrialisés du monde.

06actu

JEAN-JACQUES GRODENTSOS Faim

Rappelez-vous, 2008, la crise alimentaire était sur tous les écrans, en Égypte, auSénégal, au Mexique, en Europe, en Indonésie… La mondialisation aidant, pour lapremière fois, une crise alimentaire menaçait l’ensemble des populations fragili-sées de la planète. L’envolée des prix privait l’accès à une nourriture disponible – au plan mondial, on n’a encore jamais été en rupture de stock de produits ali-mentaires ! – et réveillait les consciences sur la fragilité des équilibres entre uneoffre alimentaire et des besoins en constante évolution.

Des actions modestesDeux années ont passé et on est en droit de se demander si on a tiré les leçons decette crise. Le blocage en août dernier par la Russie de ses exportations de blé quia fait exploser les prix des céréales n’est pas là pour nous rassurer. Ni le constat,plutôt rude, du Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation,le Belge Olivier de Schutter : « Nous n’avons rien appris du choc de 2008. Il y a eutrop de promesses non tenues, de sommets sans lendemain, de déclarations d’in-tentions. Rien n’a été fait pour limiter les impacts néfastes de la spéculation sur lesmarchés. Rien n’a été fait pour réguler le comportement des firmes de l’agro-ali-mentaire. » Rien n’a été fait? Non, ce serait trop caricatural de dire que l’on estresté les bras croisés. Des moyens financiers, certes insuffisants en regard desbesoins évalués (plus ou moins 35 milliards de dollars annuels), ont été débloquéspour relancer l’agriculture au plan mondial. L’Union européenne (UE) a libéré la« Facilité alimentaire », un fonds d’un milliard d’euros permettant de répondre rapi-dement aux problèmes causés par la flambée des prix alimentaires dans les paysen développement, et quelques pays, dont la Belgique, se sont engagés à renfor-cer, dans le cadre de leur budget de coopération, la part consacrée à l’agriculture…Mais on reste néanmoins à des niveaux très insatisfaisants.

Bénéfices confisquésÀ côté des interventions publiques, le regain d’intérêt pour la question alimentairesuite à la crise a réveillé les grandes entreprises agro-alimentaires, fournisseursd’intrants principalement, ainsi que les centres de recherches. Rencontres et sémi-naires vantant telle ou telle approche technologique permettant d’améliorer lesrendements se multiplient. Et les OGM ne sont jamais très loin des débats… Desfinancements publics permettant un approfondissement ou une diffusion et unemise en œuvre des résultats sont sollicités et souvent obtenus. L’industrie agro-ali-mentaire tire ainsi son épingle du jeu et obtient des budgets au détriment des pro-ducteurs familiaux et de leurs organisations. De grands investisseurs, privés oupublics, investissent par ailleurs dans des achats transnationaux de terres, privantles producteurs locaux de moyens de production autonomes. Réalisés à grandeéchelle, ces acquisitions déclenchent de nouvelles flambées spéculatives dans unsecteur déjà malmené, menaçant ainsi la sécurité alimentaire des pays.Paradoxalement, les « bénéfices » de la crise sont confisqués par les grandsgroupes privés, au détriment des laissés pour compte de toujours.

À table !La crise alimentaire de 2008 est encore danstoutes les mémoires. Deux ans plus tard, a-t-ontiré les leçons ou va-t-on vers un nouveau crash alimentaire ?

07actu

Le « tout-marché » perd de son lustreEt pendant ce temps, à Genève et à Bruxelles, respectivement au siège del’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la Commission européenne, il yen a encore et toujours qui réclament plus de libéralisation dans les échanges agri-coles. Tout récemment, les pays du Groupe de Cairns1 et le G20, rassemblant pourl’essentiel les pays émergents, se sont émus de ce que des membres de l’OMCrenforçaient le soutien interne à leur agriculture tandis que d’autres limitaient leursexportations de produits agricoles afin d’être en mesure de satisfaire les besoinsde leurs citoyens. On croit rêver… ou on est plutôt en plein cauchemar ! ÀBruxelles, les négociations commerciales entre l’Union européenne et les paysACP2 achoppent aussi sur les « bienfaits » de la libéralisation des produits agri-coles. Il faut dire qu’au cœur de la crise alimentaire, l’ancien commissaire auCommerce Mandelson n’avait pas hésité à dire qu’elle résultait du manque de libé-ralisation! On vient donc de loin.

Cette crise a quand même bouleversé les visions de certains responsables. Le nou-veau commissaire à l’Agriculture, Dacian Ciolos, vient de lancer les négociationssur une nouvelle politique agricole européenne post-2013 en traçant à grands traitsce que devrait être cette politique3. La nécessité de soutenir les petites exploita-tions et de rééquilibrer les aides à leur bénéfice, privilégier les marchés locaux, etc.

traduisent une nette réorientationde la politique européenne visant àassurer une plus grande souverai-neté alimentaire ! Il sera de plus enplus difficile de refuser aux pays duSud des garanties visant à proté-

ger leur souveraineté alimentaire dans le cadre des négociations de Doha4 (dites,il faut se le rappeler, « pour le développement »…) alors que l’UE souhaite conser-ver voire renforcer, à juste titre, ses instruments de souveraineté dans ce domaine.En matière agricole, le dogme du « tout-marché » a, semble-t-il, perdu de son lus-tre, disait-on déjà dans ce même magazine en mai 2010.

Nécessité de cohérenceIl y a un an et demi, le Parlement fédéral adoptait une résolution à la quasi unani-mité de ses membres sur la crise alimentaire… De son côté, le ministre de laCoopération a pris des engagements visant à revaloriser dans la politique de coo-pération l’agriculture familiale, la seule qui permettra de relever les défis alimen-taires, selon une récente étude de 400 scientifiques5. Il s’agit maintenant d’évaluerla mise en œuvre de ceux-ci et de veiller à ce que la Belgique ne contribue pas àreprendre d’une main ce qu’elle a donné de l’autre et donc d’évaluer la cohérencedes actions menées par les divers départements en regard des priorités adoptées.Et afin de satisfaire l’engagement pris d’accorder plus de place aux organisationspaysannes du Sud dans les débats relatifs aux politiques qui les concernent, ils’agit aussi d’associer à cette évaluation leurs représentants. La Belgique seraitcertainement saluée pour le caractère innovateur de son initiative et, surtout, semettrait en situation de mieux encore participer, à son échelle, à la lutte pour quele milliard d’êtres humains, une personne sur six, qui souffrent de malnutritionpuissent trouver de quoi manger lorsqu’elles « se mettront à table ».

1/ Le Groupe de Cairns est une organisation internationale créé en août 1986 à Cairns en Australie,réunissant la plupart des pays en développement qui sont agro-exportateurs. 2/ Les pays ACP, pourAfrique Caraïbes et Pacifique sont un groupe de 79 pays qui négocient, entre autres, des Accords de partenariat économique avec l’Union européenne qui ont pour objectif de créer des zones delibre-échange entre l’UE et ces pays. 3/ http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/index_fr.htm4/ Programme de négociations commerciales lancé lors de la conférence de l’OMC de Doha ennovembre 2001. 5/ Rapport « International Assessment of Agricultural Knowledge, Science andTechnology for Development », www.agassessment.org

« PARADOXALEMENT, LES “BÉNÉFICES” DE LA CRISE SONT CONFISQUÉS PAR LES GRANDS GROUPES PRIVÉS »

© Patricia Artieda 2008

08actu

L’imposture climato-

sceptiqueDans les négociations internationales, chacunjoue de ses intérêts. Une étude récemmentpubliée explique pourquoi et comment lesentreprises européennes financent ceux qui nientles changements climatiques. Retour sur les fondements de la controverse climatique.

VÉRONIQUE RIGOTChargée de recherche, CNCD-11.11.11

Le jeudi 2 décembre était décerné àBruxelles le prix du pire lobby clima-tique. Ce prix fait écho à une étude1 trèsrécemment publiée par le Réseau ActionClimat européen (CAN-Europe) qui ex-plique pourquoi et comment les entre-prises européennes financent ceux quinient les changements climatiques etnotamment les voix américaines oppo-sées à une législation.

Une balade dans les allées du « Cancun -messe », l’espace d’exposition de laConférence des Nations Unies sur le cli-mat, vous permettrait de recevoir des in-formations surprenantes… « Savez-vousqu’il y a des technologies pour inverserle réchauffement global? », « le dioxydede carbone, c’est la vie », etc. De nom-breux spots2 énonçant des « vérités »simples circulent également sur le web :« le CO2 n’est pas polluant », etc. S’ilest indéniable qu’il n’y a pas de vie sansle cycle du carbone, et que le forçage desvégétaux au CO2 est une technique agro-nomique connue depuis longtemps, il esttout aussi prouvé que l’accumulation duCO2 (et des autres gaz) dans l’atmo-sphère est responsable de l’accentua-tion de l’effet de serre, qui, s’il est indis-pensable à la vie sur la planète, risqueégalement de l’anéantir si son effet esttrop accentué. Tout est question d’équi-libre, et toute information scientifiquemériterait d’être replacée dans soncontexte global.

Bref retour en arrière : dès la mi-2009,les médias ont relayé une large contro-verse médiatique. Depuis trop long-

temps, tous les avis semblaient conver-ger dans un seul et même sens : l’heureest grave, il faut un accord international.Les attentes pour Copenhague étaientdémesurées et le terrain était alors prêtpour une crise de confiance.

D’abord, il y a eu le piratage de milliersde courriels et de documents scienti-fiques du Climatic Research Unit del’University of East Anglia : le « climategate » a contribué à semer le troubledans les esprits à la veille de laConférence de Copenhague. Ensuite, il ya eu l’échec de Copenhague lui-même :les Nations Unies en situation d’extrêmefaiblesse, incapables de réaliser les am-bitions partagées par les peuples dumonde entier, supplantées dans la der-nière ligne droite par un petit groupe de

pays puissants qui signent un « accord »pour sauver la face, Copenhague fut té-moin de l’échec du multilatéralisme.

Le GIEC, bouc-émissaireUn échec politique certes, mais aussi unéchec médiatique, où l’attention déme-surée pour le sommet a mis une pres-sion stérile sur les négociateurs et leursresponsables politiques, pression quis’est ensuite retournée contre un bouc-émissaire, le Groupe intergouverne-mental des experts sur l’évolution du

Couverture d’une brochure de la chambre de commerce et d’industrie brésilienne.

climat (GIEC). Pourtant, cet organescientifique mandaté par les NationsUnies pour publier des rapports qui fontl’état des connaissances scientifiquesne porte aucune responsabilité ni dansl’échec de Copenhague, ni dans l’em-ballement médiatique autour de la ques-tion climatique.

Le GIEC a honoré sa mission scienti-fique d’analyse et de recommandationau politique. Il n’a pas la prétentiond’énoncer des certitudes, mais il pro-

cède à un recensement et à une lecturecritique des articles publiés dans les re-vues scientifiques. Les résultats de cesarticles sont compilés de manière à éta-blir des analyses de tendances et àénoncer différents scénarios possibles.Sur base de ces analyses, le GIEC éta-blit des recommandations au politique.

Cependant, le résumé à l’attention desdécideurs fait l’objet d’âpres négocia-tions entre scientifiques et monde poli-tique, sous la pression des lobbies.

« CERTAINS CLIMATO-SCEPTIQUES SONT ENCOURAGÉS PAR LES GROUPESD’INFLUENCE QUI N’ONT PAS INTÉRÊT À VOIRLE “BUSINESS AS USUAL” CHANGER »

09actu

Mais contrairement à ce que prétendentcertains climato-sceptiques, on a du malà imaginer que les groupes de pressionsles plus puissants dans ce débat soientceux qui ont intérêt à renforcer la luttecontre les changements climatiques. Sile résumé varie parfois sensiblement durapport détaillé, c’est plutôt dans le sensde minimiser la menace.

Offensive des climato-sceptiquesLa controverse climatique a été large-ment alimentée par certaines figures mé-diatiques telles Claude Allègre, enFrance. Géochimiste de formation, an-cien ministre de l’Education et membrede l’Académie des sciences, il a publié« L’imposture climatique », contestant lelien entre CO2 et changements clima-tiques, considérant que les nuages oul’activité solaire ont des impacts plus dé-terminants, et dénonçant la mobilisationplanétaire autour d’un « mythe sans fon-dement ». Fin octobre 2010, l’Académiedes sciences française publiait un rap-port3 réfutant les thèses de ClaudeAllègre, réaffirmant que « la hausse duCO2, liée aux activités humaines, est lacause principale du réchauffement », etréaffirmant clairement les grandesconclusions du GIEC. Elle clôturait ainsiofficiellement la polémique.

Au Danemark et dans le monde anglo-saxon, c’est un autre type de climato-sceptiques qui a recueilli l’attention :Bjorn Lomborg4, statisticien danois, professeur à la Copenhagen BusinessSchool, est l’auteur du livre « TheSkeptikal Environmentalist »5 qui ques-tionne l’urgence d’agir contre le réchauf-fement global. S’il ne nie pas le réchauf-fement global (dont le débat est, selon lui,alimenté par la peur), il fait l’apologie dela recherche et de la géoingénierie etvante les solutions technologiques. Pourlui, nous pouvons continuer le « businessas usual » car nous trouverons les solu-tions opportunes en temps voulu.

L’ombre des lobbiesNul doute que certains climato-scep-tiques sont encouragés par les groupesd’influence qui n’ont pas intérêt à voir le« business as usual » changer. Il en vaainsi des parlementaires américains quireçoivent des financements de grandesentreprises européennes, afin de ren-forcer leurs voix contre la législation cli-matique (dont le projet de loi est actuel-lement en cours d’examen au Sénat). LeClimate Action Network explique pour-quoi et comment les entreprises euro-péennes financent ceux qui nient leschangements climatiques et les voixaméricaines opposées à une législation6.

L’influence des lobbies des grandes in-dustries (chimie et pétro-chimie, agroa-limentaire, automobile, métallurgie, tex-tile,…) est en effet une réalité à laquelleaucun pays n’échappe, pas même laBelgique. Ainsi, la proximité du parti dela ministre flamande de l’EnvironnementJoke Schauvliege et du Premier ministreYves Leterme, avec certaines fédéra-tions patronales flamandes liées auxgrandes industries chimique ou auto-mobile, n’est pas gage d’une grande in-dépendance dans la décision politique.

Des lobbies à la controverse climatique,il n’y a donc qu’un pas. Un petit pasd’homme qui empêche de grandesavancées pour les 3/4 de l’Humanitéqui subissent de plein fouet les effetsdes changements climatiques…

1/ CAN Europe, « Think globally, sabotagelocally », an investigation of the Climate ActionNetwork Europe ; October 2010 ; disponible sur www.rac-f.org ou www.climnet.org 2/ Voir notamment « CO2 is not pollution » ou encore « Carbon dioxyde is life » surwww.youtube.com 3/ Jean Loup Puget ; RenéBlanchet ; Jean Salençon ; Alain Carpentier, etJean-Yves Chapron ; « Le changementclimatique », Académie des sciences, 26 oct.2010. 4/ www.lomborg.com 5/ Le documentaire« Cool it », adaptation à l’écran des thèses deson ouvrage, est sorti mi-novembre 2010. Il est,selon certains critiques, rempli d’opinions, maistrès courts dans les faits scientifiques. 6/ CAN Europe, ibid.

10dossier

Le 12 janvier 2010, Haïti était ravagé par un terrible séisme. Un an après, et alors que le pays est marqué par l’incertitude post-électorale et une épidémie de choléra,penchons-nous sur la situation de la « première république noire » à travers trois regards critiques et complémentaires.

Regards sur

un an après…

© Espresso Studio 2010 (designforhaiti.com)

11dossier

Toutes les ONG ou agences de coopération n’ont pas les mêmes valeurs…MdM est effectivement fier de ses valeurs et notamment deson approche basée sur le partenariat local, même en situa-tion d’urgence. Mais je peux comprendre qu’il y ait d’autreslogiques d’intervention. Ce n’est pas juste de faire croire qu’ily a moyen d’éviter à 100% la substitution dans une situationde catastrophe. La solidarité s’exprime de toutes lesmanières qui soient. Il faut être dans une logique de complé-mentarité entre les approches. Et surtout de grande transpa-rence sur ce qu’on fait, pourquoi, comment et avec qui. Il n’ya pas de raison de considérer que la solidarité est un mono-pole d’État. D’ailleurs, le premier pourvoyeur de soins, desecours et d’assistance après la catastrophe, c’était la popu-lation haïtienne, y a pas photo ! Penser le contraire, c’estvraiment se gonfler le cou et ce n’est pas conforme à la réa-lité. Il est de notre responsabilité de rappeler quelle est lataille de ce que nous faisons.

Un représentant de l’ONU sur place a dénoncé la « république des ONG », la création de structures parallèles et que certaines des 10.000 ONG sur place – c’est son chiffre! – faisaient un peu tout et n’importe quoi…En ce qui concerne le vocable « république des ONG », onmet dans le même sac ONG, coopération bilatérale officielleet agences multilatérales. Pour ce qui est de la situation, cen’est pas tout à fait faux. En gros, il y a toute une série dequartiers dans la ville où l’espace public est monopolisé parla communauté internationale qui manque clairement de

pudeur dans ses interventions. Quand j’étais en Haïti, j’ex-primais sur un blog mon désarroi par rapport au fossé entrele gigantesque pouvoir d’achat de la communauté internatio-nale – créé notamment par l’argent de la solidarité – et le toutaussi gigantesque désarroi de la population.

Il suffit de se balader dans les rues de Port-au-Prince pourvoir à qui appartiennent les voitures neuves, pour voir quiklaxonne… parce qu’on se permet en plus de klaxonner !Marc Maesschalck, du centre de philosophie du droit del’UCL, disait dans une interview sur La Première qu’il y amême tout un réseau qui s’est développé sur le loisir desexpatriés. Moi, je n’irais pas aussi loin. Nos équipes, parexemple, sont assignées à résidence le soir parce que lesrègles de sécurité à Port-au-Prince font que ce n’est pas lemoment d’aller jouer au billard. Franchement, la vie d’expatrié

En juillet dernier, Le Soir publiait une carte blanche sous le titre « Haïti : six mois après le tremblement de terre, c’est en-core la catastrophe ». Son auteur, Pierre Verbeeren, est direc-teur général de Médecins du Monde (MdM) Belgique. Noussommes allés à sa rencontre pour savoir si c’est toujours la« catastrophe » à Haïti et connaître son regard critique d’« hu-manitaire » sur l’action de la communauté internationale.

Cela peut sembler paradoxal, mais en matière de santé, l’accès aux soins est meilleur aujourd’huiqu’avant le séisme. Une succès de la coopérationinternationale?Pierre Verbeeren : Avant le séisme, 57% de la populationn’avait pas accès aux soins de santé. Aujourd’hui,90% grosso modo ont accès. Ceci, grâce à la gratuité des soins décrétée par le gouvernementhaïtien – rendons à César ce qui appartient àCésar –, au travail de la communauté internatio-nale, à la remobilisation du personnel de santé local, et à la manière dont le peuple haïtien a réagi.

C’est une bonne nouvelle, mais les ONG ne créent-elles pas un système parallèle, concurrent de santé ?Tout dépend des situations. Prenons un exemple : MdMBelgique a participé à la relance de la maternité à Petit-Goâve.Hier complètement à l’arrêt, cette maternité assureaujourd’hui autant d’accouchements par mois qu’une grossematernité du réseau hospitalier public bruxellois. MdM n’a paspris possession de la maternité mais l’a entièrement laisséedans les mains de son personnel local que nous avonsappuyé : formations, supervisions, équipement, primes sala-riales… D’autres organisations enverront de nombreux expa-triés, prendront le contrôle des services, engageront eux-mêmes le personnel local… Notre approche est de faire ensorte que le système fonctionne plutôt que de s’y substituer.

« NOTRE APPROCHE EST DE FAIRE EN SORTE QUE LE SYSTÈME FONCTIONNE

PLUTÔT QUE DE S’Y SUBSTITUER »

Haïti, toujours lacatastrophe ?Rencontre avec Pierre Verbeeren, directeur général de Médecins du Monde Belgique

FRÉDÉRIC LÉVÊQUECNCD-11.11.11

12dossier

n’est pas le Club Med. Mais tout système a ses profiteurs.C’est d’ailleurs là que Marc Maesschalck a raison : « la com-munauté internationale fait partie du problème haïtien ».

Comment se passe la coordination entre les acteurs de la communauté internationale?C’est une question de bouteille à moitié vide ou à moitiépleine. On peut dire que la coordination entre gouverne-ments, agences des NationsUnies et ONG, au regard del’ampleur de la catastrophe,a fonctionné moins mal quedans d’autres situationsd’urgence. Mais, c’est clair, il y a des ONG qui sont plus pro-fessionnelles que d’autres. Quand on voit débarquer uneécole avec 150 jeunes qui viennent aider à déblayer la rue, etmême si leur impulsion est la solidarité – Qui suis-je pourjuger? –, c’est toujours un peu difficile de se dire qu’on doitse coordonner avec eux. Je pense que ce n’est pas notre rôled’ailleurs.

Actuellement, est-on toujours en situation d’urgenceou le gouvernement a-t-il entamé la reconstruction?Je rappelle toujours que le gouvernement bruxellois a miscinq ans à commencer à avoir les plans pour construire les8.000 logements qu’il avait annoncés en début de législature

« FRANCHEMENT, LA VIE D’EXPATRIÉN’EST PAS LE CLUB MED »

Médecins du Monde à HaïtiPrésent en Haïti depuis le début des années 90, Médecins du Monde (MdM) mène une action de soutien au système de santé haïtien, essentiellement dans les soins de santé primaire, en expérimentant notammentun système levant les barrières financières de l’accès aux soins. « Est-ce que, pour certaines pathologies, cela ne coûterait pas moins cher d’assurer la gratuité parce qu’un système de recouvrements des coûts fait que les malades consultent plus tard, ce qui augmente le prix du traitement ? », se demande Pierre Verbeeren. MdM est aussi actif sur le terrain de la réduction des risques en matière de transmission du sida et mène untravail spécifique sur la question des violences faites aux femmes. « Une série de violences ne font pas l’objetde poursuites judiciaires, alors que si on apprenait au médecin à acter les faits de violence, cela permettrait à la justice de se prononcer davantage », c’est pourquoi MdM a participé à la création d’une association de droithaïtien, Uramel. L’organisation travaille à la formation des médecins aux questions légales et à celle des juristeset des magistrats aux questions médicales.

Après le séisme, MdM a mené une série d’interventions chirurgicales dans les 15 premiers jours, et a mis enplace des cliniques mobiles dans les camps de déplacés. MdM développe aussi un travail sur les questions demalnutrition et sur la santé sexuelle et reproductive avec la relance, notamment d’une maternité à Petit-Goâve.« De zéro accouchement en janvier 2010, on est passé à 140 par mois aujourd’hui », nous confie fièrement sondirecteur. Au plus fort de la crise, MdM international a compté jusqu’à 52 expatriés sur place et 550 membres du personnel local. À ce propos, Pierre Verbeeren entend casser une idée reçue : « Je n’ai pas de souci à avoirune approche très critique sur la construction du drame et sur le rôle des chevaliers blancs de l’humanitaire.Nous devons encore beaucoup changer. Mais il faut rappeler la réalité. Nos expatriés par exemple sont presquepour moitié des non Belges : des Maliens, des Sénégalais, des personnes d’Europe de l’Est… Cela relativise les critiques. »

© MdM 2010

13dossier

(2004). Donc, qui sommes-nous pour fairela leçon au gouvernement haïtien ? En fait, actuellement,urgence, reconstruction et développement coexistent.L’urgence d’abord : l’épidémie de choléra, les camps dedéplacés internes ; et leurs conditions d’hygiène et de loge-ment abominables. Il y a encore un million de personnesdéplacées. Au plus fort de la crise, ils étaient 1,3 million. Lareconstruction aussi. Parce qu’on fait du semi provisoire,semi définitif en termes de logement. Du développementenfin, car sur le choléra par exemple, on travaille à former dupersonnel de santé, à créer des équipes, à mettre en placedes mécanismes de recouvrement des coûts, à améliorer lesinfrastructures. J’ai l’espoir que ce travail soit réalisé dansune perspective durable.

À chaque commémoration, il est de coutume pourla presse de questionner les ONG sur ce qu’ellesont fait des dons du public. Après le Tsunami en Asie du Sud-Est, certains se demandaientpourquoi tout l’argent n’avait pas été dépensérapidement…Quand on intervient quelque part, on a un impact sur le sys-tème. On le renforce en le perturbant. On doit donc être en ca-pacité de ne se désengager que progressivement sinon onrisque de recréer un dysfonctionnement. Dès le mois de jan-vier 2010, nous nous sommes engagés à garantir une pré-sence d’au moins trois ans et à gérer l’argent en consé-quence. Actuellement, l’argent récolté pour les actions deMdM a été utilisé à 40%, avec une très grande parcimonie. Cesont par exemple les grands bailleurs institutionnels qui ontpris en charge tout ce dont nous avions besoin en médica-ments et en équipement médical ; donc, nous n’avons pas dûles payer avec l’argent des donateurs.

Les dix milliards promis par la communauté inter-nationale en mars 2010 ont-ils été versés?Les États et les institutions internationales ont probablementversé 1 milliard. Les ONG aussi mais sur un total de 2 mil-liards et non de 10 comme les États. Les ratios ne sont doncpas les mêmes. Mais, pour moi, la question n’est pas là. Cesdix milliards arriveront peut-être un jour et les États pourrontdire qu’ils ont tenu leurs promesses. Par contre, la questionest de savoir où cet argent va être affecté, dans quels délaiset avec quelle efficacité. L’enjeu est de savoir quand on auraune vision opérationnelle du plan de développement d’Haïti.Là, on touche inévitablement à un problème majeur : la ques-tion foncière. Doit-on protéger absolument le propriétaire ter-rien ou peut-on faire prévaloir l’intérêt général dans un pland’affectation du sol? Tant qu’il n’y aura pas eu un choix fortlà-dessus, on n’avancera guère. Et franchement le contexteélectoral n’est absolument pas favorable à ce qu’on lèvel’ambiguïté sur la question du droit de propriété.

Justement, quel est le problème foncier dont tu parles?En gros, est-ce que le gouvernement va se donner la latitudede repenser la mobilité, les axes routiers, le positionnementdu port, de l’aéroport, des quartiers résidentiels, de villessecondaires de désengorgement autour de la capitale ?Comment penser que la zone côtière, qui va de la capitalejusqu’à Jérémie, sans infrastructure routière cohérentepuisse accueillir une population plus importante et que lesgens ne s’entassent pas tous à Port-au-Prince? Pour fairecela, il faut décider d’y affecter des moyens, plutôt qu’uni-quement à Port-au-Prince. Donc, pour réaliser un véritableschéma d’affectation du sol, il faut avoir une maîtrise foncièreplus grande. C’est un problème majeur, celui de savoir quidétient les richesses à Haïti. L’accès à la propriété et surtoutla spéculation sur le foncier réalisée par des personnes ougroupes qui ont la capacité de spéculer constituent un frein auchangement. Les grands propriétaires fonciers, ce sont lesgrandes familles haïtiennes connues de tous et qui sont pré-sentes au Parlement.

Haïti, un des pays les plus pauvres du monde,dépendant des importations pour son alimentationnotamment, peut-il combiner reconstruction etchangement de modèle?Sans faire d’Haïti un mythe, c’est une société qui a un poten-tiel de développement endogène gigantesque, sur le planagricole notamment, mais aussi culturel. Or, il faut reconnaî-tre que le modèle de développement dominant va encore unefois gagner. Il est en effet difficile d’imaginer que la réponse àune catastrophe soit de faire mieux qu’hier. L’urgence, c’est leretour à la normale. Chez les intellectuels, on rencontre sou-vent cette espèce de mythe de la page blanche. Se dire quepuisque la nature s’est chargée de tout détruire, maintenanton peut reconstruire autrement. Cette vision est apocalyp-tique car c’est croire qu’on a besoin d’une page blanche pourchanger. Philosophiquement, j’ai un vrai problème avec cela.

En fait, les défis d’Haïti restent les mêmes?Il faut un État qui sache décider, une communauté internatio-nale qui vienne en soutien et pas en monopole, une réparti-tion juste des richesses. Seules quelques familles sont dépo-sitaires de l’ensemble des richesses et contrôlent tous lesflux financiers. Qui contrôle par exemple le commerce desvoitures qui a fait florès après le tremblement de terre ouencore les grosses infrastructures de transport? Donc, il fautvoir si on a prise là-dessus pour (re)créer de l’intérêt général.C’est un processus long et lent. Mettre la société haïtienneen capacité d’être un vrai interlocuteur, mettre les autoritéspubliques en capacité d’être un vrai décideur, ça, c’est levéritable enjeu.

« L’ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ ET SURTOUT LA SPÉCULATION SUR LE FONCIERCONSTITUENT UN FREIN AU CHANGEMENT »

14dossier

BERNARD DUTERMESociologue et directeur du CETRI

Une nouvelle fois, l’année 2010 est venue confirmer qu’en matière de catastropheset d’interventions humanitaires, tout ne se vaut pas. Et ce, en parfaite contradictionavec l’un des fondements théoriques originel de l’idéologie interventionniste chari-table : celui selon lequel une victime égale une victime, quels que soient son pays,sa couleur (de peau ou politique), sa religion, son sexe, son âge, sa culture, etc.

Si besoin en était donc, indépendamment de la gravité du drame ou de l’efficacitéde l’opération, on aura compris cette fois qu’une souffrance pakistanaise a déci-dément moins d’atouts qu’une souffrance haïtienne pour susciter la compassionoccidentale, chrétienne ou laïque ; ou que trente-trois mineurs chiliens à sauversous les caméras existent forcément plus que les milliers de mineurs chinois quipérissent chaque année au fond de leur trou…

Soit. Ce n’est pas nouveau. Ce qui choque,c’est le déni de ces engouements à géométrievariable, ou pour le moins l’illusion entretenued’un complexe médiatico-humanitaire magna-nime, inconditionnel et miséricordieux. Sans creuser ici l’éternelle controverseentre aide d’urgence et action structurelle sur le long terme, ou celle sur la légiti-mité de l’ingérence et de la « responsabilité de protéger », ce qui saute aux yeux,c’est la logique implacable du « dispositif interventionniste », ses passages obli-gés. En matière de traitement des catastrophes en pays pauvres, il existe bien des« invariants », c’est-à-dire des réflexes, des élans qui, quel que soit le contexte, enviennent à se répéter, avec plus ou moins d’intensité, pour le meilleur et pour le pire. Relevons-en cinq.

Premier invariant : l’alarme médiatique. Elle est indispensable, mais elleest aussi – souvent – sensationnaliste, superficielle et boursouflée. C’est connu,quand il s’agit d’informer l’opinion d’un désastre, on a tous les droits. Celui surtoutde simplifier à l’extrême, de mettre en scène, de focaliser sur « le plus parlant ».Micro au poing, l’air contrit, comme en aparté sur fond de cohues et de sang, lejournaliste « dépêché dans l’enfer dès les premières heures du drame » alimente letéléspectateur abasourdi. Des images spectaculaires, des « témoignages poi-gnants », des « récits exclusifs » : « Nous avons été les premiers sur place… Lesdégâts sont considérables… Le chaos règne… Les premiers chiffres font état demilliers de morts… L’aide arrive… Nos militaires sauvent des vies… Les gens sontreconnaissants… Mais il y a des pillages… Il va falloir reconstruire… Voilà, Claire,tout ce que l’on pouvait dire sur la situation ici ». Le refrain se répète à l’envi, tantque l’émotion ne fléchit pas. Surenchère descriptive jusqu’à saturation.

Deuxième invariant : l’emballement compassionnel. Il est indispensable,mais il est aussi – souvent – ingénu, sélectif et irrationnel. C’est connu, quand on

Les cinq « invariants » de la logique

humanitaire

donne, quand on veut le bien, on a tousles droits. Celui d’abord de préférer telleurgence, tel bénéficiaire, tel enfant dés-espéré à tel autre, en vertu de critèrespas toujours conscients ou avouables,mais réels : des critères de proximité etd’émotion ressenties, de confiance, dereconnaissance, de disponibilité, depoids moral ou médiatique. À gravitéégale, deux catastrophes distinctesn’ont pas les mêmes chances de nous

apitoyer. Le droit ensuite d’exiger du bé-néficiaire choisi, de la victime élue, del’humanitaire ou du journaliste préféré,qu’il ne bride pas ce « formidable élande générosité », qu’il soit digne, immé-diatement efficace, redevable, éploré…« On doit tous faire un geste, ça pourraitnous arriver ». « Il y a des enfants per-dus plein les rues… pourquoi freiner lesadoptions ? ».

Troisième invariant: la défer-lante humanitaire. Elle est indispensable,mais elle est aussi – souvent – obli-geante, suffisante et arbitraire. C’estconnu, quand on vient sauver des vies,on a tous les droits. Celui d’abord de parer au plus pressé, de s’installer et deplanter son drapeau – il en a fallu de laprésence d’esprit à l’urgentiste états-unien au moment de charger l’avion-cargo en partance pour le lieu du drame,pour ne pas oublier les milliers de fa-nions à distribuer. Le droit ensuite desnober réalités et acteurs locaux, de

« PAS DE DONATEURS SANS JOURNALISTES,PAS D’HUMANITAIRES SANS DONATEURS,

PAS DE JOURNALISTES SANS AUDIENCE… ILS SE NOURRISSENT MUTUELLEMENT »

Si chaque catastrophe ne bénéficie pas de la même attention,une même logique « médiatico-humanitaire » se met pourtanten place. Bernard Duterme pointe cinq invariants.

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audience… ils se nourrissent mutuellement. L’urgence passée, la lassitude va ga-gner, l’actualité chaude se jouer ailleurs, et le pays meurtri quitter l’avant-scène. Lesbesoins restent entiers, les choix décisifs sont encore à venir, les rapports de forcepourraient évoluer… trop tard, on ne saura pas dans quelles conditions la vulnéra-bilité de la région à un prochain séisme, à un prochain ouragan sera ou non atté-nuée. Seule une noria de « développeurs » de toute obédience, plus ou moins ali-gnés sur l’agenda de leurs partenaires locaux, vont persister sur place.

Le dernier invariant – la dépolitisation du problème – traverse les quatrepremiers. Il domine à chaque instant du traitement des catastrophes en pays pau-vres. Et tend à plomber l’ensemble de la démarche. La décontextualisation du désas-tre, sa naturalisation, sa « fatalisation ». La faute à pas de chance, à « la malédiction »ou aux « mauvais choix architecturaux » des autochtones… Condition de l’alarme, del’emballement et de la déferlante, la lecture dominante évacue en effet toute interro-gation fastidieuse. Comment en est-on arrivé là? Pourquoi le même déchaînementnaturel fait-il ailleurs 100 fois moins de victimes? Démantèlement des capacités desÉtats, prêts conditionnés à la libéralisation, évasion fiscale, dumping alimentaire,liquidation des agricultures vivrières, accaparement des terres, pressions agroex-portatrices, déforestation, exodes ruraux, entassements urbains… Autant de regis-tres peu explorés, d’intérêts peu questionnés, d’orientations peu remises en cause.

Au total des invariants, c’est bien en cela que l’humanitaire tend à s’invalider : il répond parfois plus à sa propre logique qu’à celles des pays où il se fait fort d’intervenir.

conforter l’idée d’un Nord zélé au ser-vice d’un Sud invariablement chaotique.« Nos interlocuteurs locaux ne sont pasfiables, nous ne devons compter que surnous-mêmes ». Peu importe que, dans laplupart des catastrophes, les solidaritésde proximité sauvent de facto bien plusde vies que les brigades humanitaires, ledroit d’ingérence s’impose. Il est devoirmoral et défi logistique. Exclusivement.Toute autre considération serait dépla-cée. L’élan interventionniste est justifiéet désintéressé.

Quatrième invariant, inévita-ble : la retombée médiatique, compas-sionnelle, humanitaire… La retraite,l’abandon. Dans la frénésie unanime des premiers jours de la catastrophecomme dans l’essoufflement gradueldes semaines qui suivent, les trois pôlesagissants sont intrinsèquement inter -dépendants. Pas de donateurs sansjournalistes, pas d’humanitaires sansdonateurs, pas de journalistes sans

© UN Photo / Marco Dormino 2010

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SABINE MANIGATSociologue et politologue, Université Quisqueya, Haïti

Un État en ruines, un peuple debout

Le tremblement de terre de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter qui a frappé Haïtia affecté significativement des régions et villes densément peuplées et sociale-ment actives. Les principales victimes du tremblement de terre appartiennentà deux catégories socio-économiques : la classe moyenne qui représenteà Haïti un étroit segment de 20% de la population, résidant principale-ment dans les villes et surtout à Port-au-Prince, et les secteurs popu-laires, de loin majoritaires dans la population, souvent d’immigrationrécente en ville et avec un enracinement encore fortement rural. Cettepopulation, qui représente, selon des statistiques compilées par lesNations Unies, environ 1,2 million personnes, a réagi de deux manièresdistinctes et complémentaires : d’un côté, par l’organisation de vérita-bles campements spontanés avec leurs comités responsables de laréception et de la distribution de l’aide, de la sécurité et du nettoyage ; et,d’un autre côté, par l’exode vers les villes d’origine, surtout pour les femmeset les enfants.

La force des solidarités de baseAu cours des premiers jours, c’est la force des solidarités de base qui s’estmanifestée. Il y avait beaucoup de peuple et peu d’État. Les jeunes des quar-tiers populaires de Port-au-Prince ont constitué les premières équipes desauvetage, les premiers secouristes, les premières brigades d’extraction desgravats et d’évacuation des cadavres. Il y a d’ailleurs une coïncidence inté-ressante entre la capacité d’organisation des travaux et la présence antérieured’organisations populaires dans plusieurs parties de la ville. Si les équipes desecours internationales ont affirmé avoir sauvé quelque 131 vies, rien qu’àl’université Quisqueya, la nuit du 12 janvier, plus de 20 étudiants ont étésortis vivants des décombres. Mais, au-delà de toute statistique demérite, ce qui ressort ici est l’efficacité de la mobilisation populaire,des jeunes en particulier, durant les moments les plus drama-tiques de la catastrophe.

Autorégulation socialeCette mobilisation est la même qui a mené à l’organisa-tion rapide de la population pour recevoir l’aide inter-nationale. Il est important, en effet, de soulignerque, dès les premières heures, l’espérance généralisée de la population reposait sur lafoi dans l’arrivée rapide de la solidarité internationale. L’idée était de préparer l’ar-rivée de ladite assistance pour qu’ellepuisse être rapide et efficacement répartie. Au cours de ce premiermoment, la population a réagipar conséquent de manière

Victimes, les Haïtiens le sont, mais ils ont aussi été les premierssauveteurs, secouristes, déblayeurs, les premiers à portersecours à leurs compagnons d’infortune. Dans une analyse surles mouvements sociaux haïtiens, Sabine Manigat nous parle de la réaction et de l’organisation de la population.

© UN Photo / Sophia Paris2010

des opérations de distribution et ont joué un rôle d’observateur critique des actionsgouvernementales, de l’ONU et des innombrables ONG qui sont arrivées dans lepays à la suite du séisme.

Le facteur sécuritéEn matière de sécurité, certains faits significatifs contredisent certains préjugés dif-fusés par la presse internationale, entre autres, la stigmatisation des camps de réfu-giés comme zones d’extrême insécurité. Une étude basée sur un diagnostic de ter-rain, réalisée en mars et avril 2010, a au contraire établi que les intéressésconsidèrent que les liens avec le quartier alentour influencent considérablement lefacteur sécurité. « Quand la communauté, à l’intérieur du lieu, est elle-même stable(la majorité de ses membres provenant du même quartier), la sécurité est assezbonne. Il semble que le tremblement de terre ait créé un degré de solidarité consi-dérable au sein de la société haïtienne. Dans le quartier Delmas 60, les habitants ontdécrit un ‘sentiment familial’. Les comités et les brigades de sécurité organisés parla population ont souvent été décrits comme une garantie de sécurité et de bonne

gestion des zones de réfugiés. » Et le rapport de conclure que « la cohésion ausein des communautés dans les zones de victimes, entre eux et avec la

communauté alentour est fondamentale en matière de sécurité ».

Faiblesses historiques de l’ÉtatL’impact de cette forte capacité organisationnelle de la population

haïtienne n’a pas été assez mis en avant. Logiquement, c’est son grandinstinct de résilience et de résistance qui a été distingué. Il ne fait aucun

doute que les faiblesses historiques de l’État haïtien à garantir les servicesles plus élémentaires ont habitué la population, pour le dire ainsi, à résou-

dre ses problèmes toute seule. Cette capacité d’autorégulation, pro-ductrice de forts liens de solidarité de base, est avant tout respon-

sable de l’indéniable sérénité des victimes jusqu’à aujourd’huiet, en général, de la tranquillité sociale qui prévaut dans le

pays. On n’a pas assez mis le doigt sur le fait que Haïti avécu avec un contingent national de moins de dix

mille policiers, sans soldats et celaavant le déploiement de la missionde l’ONU chargée depuis six ansde la stabilité. La connaissancede ces circonstances pose sansaucun doute des questions surle potentiel de la société haï-tienne pour prendre en main

la reconstruction du payset, d’une manière plusgénérale, un avenir auto-nome et souverain.

« DÉS LES PREMIÈRESHEURES, IL Y AVAIT

BEAUCOUP DE PEUPLE

ET PEU D’ÉTAT »

Cet article est un extrait de l’analysede Sabine Manigat « Atrapado entre lasociedad civil y la sociedad política. El movi-miento social haitiano en 2010 », publié par la revueOSAL (CLACSO, Buenos Aires, Année XI, n° 28,novembre 2010). Introduction, traduction, adaptation etintertitres : Frédéric Lévêque.

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organisée et a concentré ses ef-forts sur la survie. Ce qui a été dé-crit depuis lors comme une espècede résilience de la population et que

des sociologues haïtiens ont observéet analysé comme une forte capacitéd’autorégulation sociale des commu-nautés, a permis d’éviter tous lesrisques sanitaires et sociaux majeurs.

À côté du rôle joué par les associa-tions de quartier, de nombreusesorganisations citoyennes se sontmobilisées à côté des jeunes pourtransporter les blessés, distribuerl’eau, répartir les aliments. Elles ontfait écho aux besoins populairesdans le contexte d’urgence humani-taire. Les organisations dites de lasociété civile ont exprimé leur avissur la qualité et la transparence

Lesfemmes

« éco-solidaires »

ou quand solidarité et gestion environnementale

se rencontrentAu Pérou, des femmes issues de milieuxpopulaires s’organisent pour recycler les déchets et générer ainsi une nouvellesource de revenus. Le tout, selon les principes de l’économie solidaire.

YANETH FERNÁNDEZ COLLADOCecycapDAVID GABRIELAutre Terre

Où?Arequipa, Pérou

ContexteLa ville péruvienne d’Arequipa a besoin d’un dispositif clairconcernant la gestion des déchetssolides. L’inefficacité du dispositifactuel est manifeste malgré la responsabilisation descommunes locales en la matière.

Qui?Autre Terrewww.autreterre.orgCentro de Estudios Cristianos yCapacitación Popular (Cecycap)

Quoi?L’objectif du projet consiste à permettre à des groupements de femmes et de jeunes de développer des activitésgénératrices de travail et derevenus à partir de la récupérationet la valorisation de déchetsrecyclables.

Soutenir 11.11.11N° de compte : 000-1703269-46IBAN : BE33 000170326946BIC : BPOTBEB1au nom du CNCD-11.11.11, 9, Quai du Commerce 1000 BruxellesLe CNCD-11.11.11 adhère auCode éthique de l’AERFwww.vef-aerf.be

18projet 11.11.11

© Autre Terre

19projet 11.11.11

Située dans les Andes, à près de 2.500 mètres d’altitude, Arequipa est ladeuxième ville la plus peuplée du Pérou.Semblable à Bruxelles en termes de po-pulation, elle connaît de sérieux pro-blèmes de gestion et traitement de sesdéchets. Elle produit quelque 623 tonnesde résidus solides par jour. Ceux-ci, trèssouvent mélangés avec des résidus dan-gereux, s’accumulent dans des tas d’or-dures « informels », des décharges à cielouvert polluant l’air, le sol et le sous-sol.En outre, elles attirent des personnesde faibles ressources économiques qui,dans des conditions de complète insa-lubrité et d’insécurité, se consacrent à la récupération.

Revenus complémentairesDans ce contexte, un groupe de femmesissu de Hunter, un quartier de la ban-lieue d’Arequipa, a pris l’initiative demettre en place une petite unité de col-lecte, tri et vente de résidus solides1.Ces femmes gèrent un « comedor po-pular » – une cantine – offrant chaquejour un repas équilibré à un prix mo-dique. Comme les donations d’ingré-dients sont parfois aléatoires, elles onteu l’idée de générer une source de re-venus complémentaires afin que leurcantine soit plus autonome. L’ONGAutre Terre, invitée à participer au projet,est partie à la recherche d’un partenairelocal pour appuyer ce groupe pilote ainsique plusieurs autres de la région. C’estCecycap, une ONG avec beaucoupd’expérience en termes d’organisationde groupes de base, qui a accepté des’associer pour réaliser ce projet.

Sensibilisation, collecte,tri et venteLa collecte des déchets est une activitéqui requiert un travail coordonné pouridentifier les bonnes zones d’interven-tion. Celles-ci sont souvent les quartiersriches. Un travail de sensibilisation y estnécessaire au préalable. Pour ce faire,

les travailleurs de Cecycap ont trouvéopportun d’associer de jeunes universi-taires volontaires – issus d’une univer-sité locale – afin d’accompagner lesgroupes de femmes « éco-solidaires »dans ces quartiers plus riches, gardés,(voire sécurisés par des grilles).L’objectif est d’y expliquer l’importancede prendre l’habitude de séparer à do-micile les déchets en deux catégories(organique et non organique) et le bé-néfice qu’en retirent ces femmes, leur fa-mille et leur organisation.

La sensibilisation une fois terminée, lesfemmes travaillent alors sans les jeunesvolontaires et reviennent semaine aprèssemaine collecter à domicile les résidussolides. Elles les entassent dans de pe-tits camions qu’elles louent pour lesconduire ensuite vers le lieu où elles lesretrient collectivement. Elles travaillent

selon une classification rigoureuse (lespapiers selon leur type, les plastiquesselon leur qualité et leurs propriétés, lesverres selon leurs couleurs, leur taille,etc.) permettant de retirer la plus grandevaleur ajoutée possible lors de la vente.Ce processus de classification a fait l’ob-jet de formations diverses et a permis dedresser un registre mensuel des pro-duits triés, prêts pour la vente.

La vente des résidus triés est l’activitéqui concentre le plus grand intérêt desmembres du groupe. Elle passe d’abordpar une identification des entreprisesqui les recyclent ou les commerciali-sent. C’est avec celles qui offrent lesmeilleures conditions que se fait lavente collective.

Une des grandes richesses de cette ini-tiative et de tout ce travail réalisé encommun est la répartition équitable desbénéfices entre les membres du groupeau prorata des jours travaillés et l’ali-mentation d’un fonds de solidarité des-tiné à des fins sociales. Cette répartition

se fait lors de réunions mensuelles quipermettent aussi de mesurer le résultatdes efforts fournis par le groupe.

PerspectivesL’objectif – prévu et quasiment atteintau bout de trois années de programme –est la formation de 12 groupes de col-lecte et de recyclage composés de 5-6femmes, issus d’associations populaireset fonctionnant selon les principes debase de l’économie solidaire (coopéra-tion, autonomie de gestion, participa-tion des membres aux décisions, élec-tion des responsables à la majorité).Toutefois, pour les rendre plus fortesface aux municipalités et aux entre-prises, Cecycap et Autre Terre ont ac-compagné la fédération de tous lesgroupes de femmes « éco-solidaires ».L’idée est qu’ils puissent s’organiser en-semble et que le cadre de la nouvelle as-

sociation de second niveau qu’ils vien-nent de créer en ce mois de décembre,puisse permettre à toutes ces femmesd’enclencher la vitesse supérieure.

En effet, regroupées, elles seront plussolides pour se confronter aux munici-palités et aux entreprises. Elles pourrontégalement avancer dans la mise en placed’une unité de tri (voire de premièretransformation) et de vente commune quileur permettra de valoriser au mieux et enplus grande quantité leurs marchandises.

Ces partenariats en cascade allant desacteurs et ONG d’appuis du Sud et duNord jusqu’aux femmes gérant leurs mi-cro-entreprises sociales sont les ga-rants de la bonne marche de ce projet.C’est cette dynamique qui permet l’at-teinte de résultats à des fins sociales,économiques et environnementales.

1/ Ce sont les HEC de Liège (et en particulierl’OIC Horizon, composé d’étudiants) ainsi qu’un petit groupe d’enseignants d’une univer-sité d’Arequipa qui ont permis la mise en place de ce projet pilote avec ce premier groupe de femmes.

« UNE DES GRANDES RICHESSES DE CETTE INITIATIVE EST LA RÉPARTITION

ÉQUITABLE DES BÉNÉFICES ENTRE LES MEMBRES DU GROUPE »

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La philanthropie n’est certes pas un phénomène nouveau, mais le poidsgrandissant des fondations demilliardaires et des entreprises dans la coopération au développement pose question. MIGUEL MENNIGJournaliste

Le « philanthrocapitalisme »

a la cote

Steve Jurvetson 2009

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New York, 22 septembre 2010. La com-munauté internationale est réunie ausiège des Nations Unies pour évaluer, àcinq ans de leur échéance, l’état d’avan-cement des Objectifs du millénaire pourle développement1. À la tribune, commerare représentante de la « société civile »,Melinda Gates lance la nouvelle cam-pagne de l’ONU « Une femme, un en-fant ». Symbolique, cette intervention del’épouse de Bill Gates (en photo ci-contre), le fondateur de Microsoft, té-moigne de la montée en puissance dansla coopération au développement desfondations privées. Celle des épouxGates, de par sa dotation (25 milliardsd’euros), dépasse de loin les autres so-ciétés philanthropiques. Elle consacrechaque année 2,26 milliards d’euros auxcauses humanitaires et est un des dixplus gros donateurs mondiaux, au mêmeniveau que le Danemark ou l’Australie.

Concentration des richesses...La philanthropie n’est pas un phénomènenouveau et il n’est pas question de re-mettre en cause sa nature, quelles qu’ensoient les motivations plus ou moinsavouées. Ce qui ne manque de surpren-dre, c’est l’ampleur des moyens finan-ciers dont elle dispose aujourd’hui et lamultiplication des institutions philan-thropiques dans le monde, parallèlementau nombre croissant de milliardaires. Il s’avère que ce « philanthro capita -lisme » s’inscrit parfaitement dans latendance actuelle aux inégalités crois-santes, tendance encore plus marquéeaux États-Unis où selon la revue Forbes,la richesse des 400 États-Uniens lesplus fortunés équivaut à celle des 50%les plus pauvres. De nombreux écono-mistes et historiens font remarquer quepour retrouver ce niveau d’inégalité, ilfaut remonter à la veille du krach de1929. Celui-ci conduira pendant plus de trois décennies à une politique redistributive de la richesse à traversl’impôt progressif. Sous les présidences

Eisenhower et Kennedy, il atteindra letaux marginal de 91% pour redescendreaujourd’hui à 35%2 et favoriser uneconcentration des richesses et une iné-galité inquiétante des revenus. À cetégard, le milliardaire et philanthropeWarren Buffet signalait en 2007 que sastandardiste « bénéficiait » d’un tauxd’imposition supérieur au sien, lui quigagnait 46 millions par an3.

... et exemptions fiscalesNon contents de ces baisses d’impôt,les entreprises et milliardaires trouventencore de nombreuses stratégies « d’op-timisation fiscale » dont les paradis fis-caux (voir l’article en p.4) sont le versantle plus noir. Ainsi, la création d’une fon-dation offre « d’excellentes opportunitésd’atteindre de substantiels profits finan-ciers et fiscaux tout en ayant un impactcharitable », note froidement l’AmericanFoundation qui se charge de chaperon-ner ses consœurs. L’État leur accorde deplantureuses exemptions fiscales si ellesconsacrent 5% de leurs actifs à des pro-jets non-lucratifs. Pour le reste, ellespeuvent faire fructifier les 95% restantet gonfler ainsi leurs avoirs à l’ombredes exemptions accordées. Que cer-tains de ces investissements soient encontradiction flagrante avec les« causes » soutenues ne semble pas,pour elles, représenter un conflit d’inté-rêt, comme lorsque la Fondation Gatesachetait en septembre pour 25 millionsde dollars d’actions Monsanto (l’entre-prise associée au PCB, à l’agent orangeet aux semences transgéniques) tout endéveloppant en Afrique le programmeAgra censé soutenir la petite paysanne-rie. « Mais, pour l’ancien patron deMicrosoft, il faut distinguer les actions

de la Fondation des investissementsque nous faisons par ailleurs (…) Nousne sommes pas en mesure d’établir unclassement de toutes les entreprises oùnous investissons à titre privé. Nousposons certaines limites, nous n’ache-tons pas d’actions à des entreprises quifabriquent du tabac par exemple. »4 Uneréponse peu crédible pour un des papesdu World Wide Web.

Changement social?Dans une tribune du journal The Hindu,Rohini Nilekani, riche indienne présidantsa propre fondation, remarquait avec iro-nie qu’avec les sommets atteints par lesrichesses privées en Inde, chaque mil-lionnaire veut avoir sa fondation commele nouveau riche sa Ferrari. Elle se de-mande alors : « Voulons-nous nous oc-cuper des symptômes de l’injustice so-ciale ou voulons-nous une véritabletransformation sociale? »5 Et d’ajouterque les fondations ne devraient jouerqu’un rôle limité, laissant aux gouver-nants la tâche de mener une véritablepolitique sociale en partenariat avec lesmouvements de base de la société ci-vile… Et cette politique sociale pour ellene peut se mesurer en termes de ren-dements à court terme sur investisse-ments ou d’autres paramètres stricte-ment quantitatifs.

Robert Reich, ancien secrétaire d’Étatdans le gouvernement Clinton, fait jus-tement remarquer que les fortunes desfondations sont en grosse partie le ré-sultat du traitement spécial et desexemptions accordées par l’appareil lé-gislatif. Les pouvoirs publics sont ainsiprivés d’une assiette fiscale considéra-ble, de l’ordre de plusieurs dizaines de

« N’EST-CE PAS LE RÔLE DES POUVOIRSPUBLICS DE PRÉSERVER LES CONDITIONSD’UNE DÉMOCRATIE SOCIALE? »

1/ Voir notre dossier dans dlm, septembre-octobre 2010. 2/ Dans un système d’imposition progres-sif, le taux marginal d’imposition est celui auquel est imposé la tranche la plus élevée du revenu d’uncontribuable. 3/ « Si l’on comptabilise mes charges sociales et mon impôt sur le revenu, je suis taxé à hauteur de 17,7%. Au bureau, la moyenne est de 32,9%. Il n’y a personne dans l’entreprise, pasmême la standardiste, qui paie un taux plus bas que le mien. Et ne j’ai pas d’arrangements, d’avan-tages fiscaux, ni de comptable. Je fais simplement ce que le Congrès des États-Unis me dit defaire », Warren Buffett and NBC’s Tom Brokaw : The Complete Interview, NBC, octobre 2007. 4/ Bill et Melinda Gates, philanthropes impatients, Le Monde, 13 novembre 2010. 5/ Rohini Nilekani,Philanthropy, old and new in The Hindu, 13 juillet 2008.

milliards. Dans l’esprit du législateur,ces fondations philanthropiques de-vraient corriger les inégalités sociales.Mais le font-elles réellement ? Vont-elles scier la branche sur laquelle ellesont construit leur fortune ? Et les dota-tions à de prestigieuses universitéscomme Harvard ou Yale – le vivier deces grandes fortunes – plutôt qu’à cellesdans le besoin, corrigent-elles les iné-galités ou les creusent-elles un peuplus? « Devance la charité en empê-chant la pauvreté » disait Maimonide, lephilosophe juif du XIIIe siècle. Maisn’est-ce pas le rôle par excellence despouvoirs publics que de préserver lesconditions d’une démocratie sociale?

Proximité des centres de décisionLa présence de ces fondations et autresmultinationales auprès des responsa-bles de l’ONU et de ses agences commela FAO (agriculture et alimentation) oul’OMS (santé) pose aussi la questiondes partenariats public-privé et d’uneforme de privatisation de fonctions tra-ditionnellement dévolues aux pouvoirspublics. Cette proximité des centres dedécision, sans parler du pouvoir gran-dissant des lobbies, leur permet d’exer-cer une influence bien peu transparente.La vulgate selon laquelle les entreprisesdétiennent une rationalité dont les ad-ministrations publiques ou les ONG se-raient dépourvues est d’autant plus per-suasive que bien des États se sontdépouillés de leurs prérogatives et demoyens d’agir. Les fondations et entre-prises ont beau jeu, quitte à se parerdes atours d’un développement « vert »ou de responsabilité sociale, de pointer

les défaillances d’un État qu’elles s’em-ploient à discréditer. Et de prêcher en-suite les méthodes de management oud’ingénierie sociale capables d’arracherÉtats et organisations internationales àleurs bureaucraties inutiles. Dans lemême temps, moult experts convain-cront les opinions qu’il ne s’agit pas dechoix politiques mais d’impératifs tech-nico-économiques guidés par une « ra-tionalité » quasi transcendantale dontles populations mondiales apprécientaujourd’hui les résultats. Cette rationa-lité leur permettra de gérer tellementmieux que les pouvoirs publics les poli-tiques de santé, de distribution de l’eau,de l’éducation, etc. Quel gouvernementserait alors assez aveugle que pour re-fuser aux populations ces bienfaits ?Robert Orr, Secrétaire général adjointl’ONU, abonde dans ce sens : « Ellespeuvent mobiliser de l’argent plus rapi-

Trop, c’est tropEn novembre dernier, Bill Gates avouait dans les colonnes du Monde qu’« il existe unniveau de richesse où il devient impossible de tout dépenser soi-même ! ». C’est pro-bablement dans cet esprit que le fondateur de Microsoft, l’incontournable entreprisecondamnée pour abus de position dominante par l’Europe, s’est joint en août dernier àun autre maître du monde, Warren Buffet, pour lancer la campagne « Giving Pledge »(« la promesse de don »). Il s’agit d’un appel aux riches états-uniens à donner au moinsla moitié de leur fortune, de leur vivant ou après leur mort, pour les bonnes œuvres.

Plus surprenant encore est le cri lancé à Obama par une quarantaine de millionnaires,états-uniens encore une fois, pour être taxés davantage. Au nom de la « santé fiscalede notre nation et du bien-être de nos concitoyens », ils demandent ainsi l’abandondes allègements fiscaux accordés depuis 2001 par l’administration Bush aux contri-buables dont les revenus annuels excèdent le million de dollars, et ceci à un momentoù ces avantages doivent être débattus au Congrès. Warren Buffet – encore lui ! –estime que « les gens qui se situent en haut de la pyramide devraient payer beaucoupplus d’impôts ». « Nous nous portons mieux que jamais », affirme-t-il.

dement que les gouvernements et sontcapables via leur réseau de trouver despartenaires pour des projets partoutdans le monde ». Il souligne également« l’esprit d’entreprise » qui règne au seinde ces structures et qui « crée une sainecompétition » entre bailleurs de fonds.6

À l’ONU, on semble sous le charme. La création en 2002 du Contrat mondialdes Nations Unies a d’ailleurs représentéune étape significative dans cette évolu-tion. Lancé par Kofi Annan au Forum économique de Davos, il rassemble au-jourd’hui, dans 140 pays, quelque 8.000entreprises qui se sont engagées à adop-ter, soutenir et appliquer 10 valeurs fondamentales dans les domaines desdroits de l’Homme, des normes du tra-vail, de l’environnement et de la luttecontre la corruption. « Cet engagementavait comme force motrice la moralité àlaquelle s’est ajoutée désormais laconviction que principes et profits sontles deux côtés d’une même pièce. », lit-on dans un communiqué du secrétariatde l’ONU7. Parmi les signataires duContrat, on trouve le gratin des multina-tionales (Bayer, BASF, Dupont, Aventis,Novartis, Nike, Shell, BP, DeutscheBank, Crédit Suisse, Unilever, etc.) parmilesquelles certaines ont un triste bilan enmatière de droits humains ou de respectde l’environnement. Conflit d’intérêtspensez-vous? Le débat n’est pas clos.

6/ L’aide privée stimule la lutte contre la pauvreté, Le Monde, 23 septembre 2010. 7/ Sommet 2010 des dirigeants du Pacte mondial, Nations Unies, juin 2010.

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Steve Jurvetson 2009

La démographie, causeou conséquence ?Cela fait déjà très longtemps que lesdisciples de Malthus (1766-1834) affir-ment que la démographie est la causede la pauvreté et qu’il faut contrôler demanière contraignante les naissances.Le contrôle des naissances devant sefaire chez les pauvres. Les partisansactuels de cette vision utilisentaujourd’hui l’urgence des multiplescrises (climatique, alimentaire) pouressayer d’imposer cette vision. LesONG de développement et de solida-rité internationale contestent cettevision et rappellent la réalité : partoutsur la terre, lorsqu’une sécurité sociale est mise en place et que lesfemmes ont accès à l’éducation,qu’elles ont des qualifications et desrevenus suffisants pour être libres etémancipées, le taux de natalité chute à un niveau qui maintient voire mêmefait diminuer la démographie. C’est ce qu’on appelle la transition démo-graphique. C’est cette voie qu’il fautpoursuivre dans les pays à forte nata-lité en renforçant la solidarité et enluttant contre le modèle commercial et financier qui appauvrit ces pays.

Il est urgent, primordial, essentiel, bref central des’attaquer aux vraies causes de la pauvreté. Et je nedis pas ça seulement pour les pauvres, mais aussipour moi. Regardez la réalité en face : les gens ontfaim et ils sont de plus en plus nombreux. Il ne faut pasavoir fait de longues études pour voir que la réponse estdans la constatation : ils sont nombreux ! Le climat seréchauffe? Normal, ils sont trop nombreux ! Des maladiestoutes simples continuent de tuer 6 millions de personneschaque année? Eh bien oui, ils sont trop nombreux !

Laissons de côté cette pudeur qui nous empêche de poser les vraiesquestions. Changer le système, les mentalités, les modes de consommation,c’est bien joli mais surtout très compliqué! Moi, je dis : « Ne changeons rien maisdiminuons le nombre d’humains ».

Attaquons-nous dès maintenant au problème démographique. Les Nations Unies nedisent pas autre chose en affirmant « qu’il vaut mieux investir dans les politiques decontrôle des naissances plutôt que dans l’énergie verte ». J’adore l’ONU. Avec unpetit bémol quand même : investir d’accord, mais il viendra d’où c’t argent? Pas deceux qui font des efforts ! J’ai un pot catalytique, du café équitable (pas encoreouvert) et j’ai découvert le tourisme éthique, à la rencontre des vrais gens, chez eux,dans leur lit, … Super dépaysant ! J’ai donc fait énormément d’efforts.

Ceux qui me rétorquent que la meilleure façon de réduire la natalité, c’est de répar-tir les richesses et d’assurer l’éducation publique et gratuite aux filles, je les arrêtetout de suite ! Ces gens-là ne se rendent pas compte : il faudra aussi donner unrevenu décent aux femmes, ouvrir des crèches, combattre les inégalités de salaireset patati, et patata … ON N’A PLUS LE TEMPS! C’est l’heure de l’union sacrée.Les glaciers fondent, il y a de moins en moins de neige dans nos stations. Ce genrede propositions prendra du temps, trop de temps, sans parler des résistances de ceux qui, comme moi, ont déjà fait beaucoup, beaucoup d’efforts.

J’en vois déjà me dire que contrôler les naissances, c’est difficile : « On ne peutpas être dans le lit de tout le monde ». Je réponds qu’il y a des solutions modernes.Von Hayek, mon chat a été castré chimiquement et continue de ronronner. J’aiaussi un aquarium avec des poissons exotiques. Tout y est fait pour qu’ils se repro-duisent. Eh bien, pas moyen! Ils sont stérilisés au rayon X et ils n’ont pas l’air mal-heureux, bien au contraire ! À l’heure où l’on arrive à faire accepter de se faire dés-habiller dans n’importe quel aéroport, je propose de mettre les mêmes installationsau rayon X à l’entrée des camps de réfugiés du Programme alimentaire mondial etdes tentes de l’UNICEF en augmentant suffisamment l’intensité, évidemment. On se débarrasserait ainsi du problème climatique et de l’épineuse question de larépartition des richesses.

Alors, merci qui?

Chronique subjective et complètement à l’ouest,…

GÉRARD MANRÉSON,Docteur ès cynisme à HECC

Haute école du Café du Commerce

On n’a plus le temps !

23pas au sud,

complètement à l’ouest !

Ouvrons les yeux sur les centres fermés

Signez la pétition :www.ouvronslesyeux.be

© Gaëtan Massaut

© Nick Hannes Édite

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