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Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, nO 4, pp. 141-144 © Masson, Paris, 1983 CONDUITE A TENIR DEVANT ... Les arthroplasties totales de hanche M. RENAUT (1), A. PROST (2) (1) Clinique de Rééducation Fonctionnelle Notre-Dame de Lourdes, (2) École de massa-kinésithérapie, F35000 Rennes. Les questions posées par nos lecteurs ont pour thème le plus souvent la hanche et le genou - articulations bien connues des kinési- thérapeutes·- et devant le nombre de requêtes, nous avons été amenés à demander une mise au point simple mais sérieuse sur ce que l'on sait aujourd'hui. Les auteurs font le tour de la question, en insistant sur l'abord rééducatif. Notons leur conseil (basé sur nos connaissances en biomécanique) : ne pas faire de pou lieth éra- pie. Cette affirmation peut être confirmée tous les jours en clinique autant que par la théorie, et si de nombreux chirurgiens ont décidé dans le passé de ne plus confier leurs prothèses totales de hanche au kinésithérapeute, c'est parce que l'utilisation débridée des circuits résistants a déclenché des douleurs et occa- sionné des déscellements; espérons que ces indications précises aideront les confrères à concevoir des traitements raisonnés. Un peu d'histoire L'idée du remplacement prothétique est née très tôt : 1. Gluck, en 1891, émettait l'idée d'une prothèse totale de hanche qu'il semble n'avoir jamais réalisée. 2. Dès 1926 Hey-Groves réalisait la première arthrosplastie en fixant sur le col fémoral une pièce d'ivoire en forme de champignon. 3. En 1938, l'anglais Wiles tente de remplacer à la fois la tête fémorale et l'acétabulum à l'aide d'un implant total en acier. Il réalise ainsi six interventions qui peuvent être considérées Tirés à part: M. RENAUT, à j'adresse ci-dessus. comme les premiers remplacements totaux métalliques. 4. En 1946, Robert et Jean Judet réalisent l'arthroplastie de hanche par interposition de matériel mixte. Malheureusement la détériora- tion anatomique apparaissait après quelques mois. Déjà deux problèmes se posaient: a) celui de l'ancrage sur le fémur, b) celui des matériaux: sous l'impulsion des anglo-saxons l'acrylic fut remplacé par des alliages métalliques atoxiques. 5. En 1948, la cupule d'une prothèse conçue par Mac Kee est fixée par une vis acétubulaire. Ce modèle est progressivement modifié pour être solidarisé à l'os par l'intermédiaire d'un «ci- ment » à partir de 1960. Un progrès décisif était alors réalisé dans la fixation os-prothèse. 6. L'étude de Charnley d'une pièce cimentée de sept ans permettait d'envisager l'avenir avec optimisme: à la jonction os-ciment il y avait une assise basale de cellules indifférenciées avec des ostéocytes à quelques centièmes de millimètres du ciment. Notion très réconfortante puisqu'il n'existait aucun signe microscopique permettant de penser qu'un trouble surviendrait à ce niveau, mais cette notion reposait sur une seule pièce anatomique. 7. Il apparaissait très tôt que le cimentage n'était pas un collage parfait entre os et prothèse : - que la moindre sollicitation mécanique de ce bloc rigide mettait fortement en cause le ciment, - que l'os fragilisé au contact du ciment représentait un point d'appel microbien. 8. Les recherches s'orientaient alors dans deux directions : - recherche de nouveaux matériaux: la prothèse iso-élastique,

Doc'CISMeF - Les arthroplasties totales de hanche · 2011. 2. 1. · Ann. Kin ésithér., 1983, t. la, n° 4 143 p E FIG. 1 - Contraintes en cisaillement exercées sur une prothèse

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Page 1: Doc'CISMeF - Les arthroplasties totales de hanche · 2011. 2. 1. · Ann. Kin ésithér., 1983, t. la, n° 4 143 p E FIG. 1 - Contraintes en cisaillement exercées sur une prothèse

Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, nO 4, pp. 141-144© Masson, Paris, 1983

CONDUITE A TENIR DEVANT ...

Les arthroplasties totales de hanche

M. RENAUT (1), A. PROST (2)(1) Clinique de Rééducation Fonctionnelle Notre-Dame de Lourdes, (2) École de massa-kinésithérapie, F35000 Rennes.

Les questions posées par nos lecteurs ontpour thème le plus souvent la hanche et legenou - articulations bien connues des kinési­thérapeutes·- et devant le nombre de requêtes,nous avons été amenés à demander une mise

au point simple mais sérieuse sur ce que l'onsait aujourd'hui. Les auteurs font le tour dela question, en insistant sur l'abord rééducatif.Notons leur conseil (basé sur nos connaissancesen biomécanique) : ne pas faire de pou liethéra­pie. Cette affirmation peut être confirmée tousles jours en clinique autant que par la théorie,et si de nombreux chirurgiens ont décidé dansle passé de ne plus confier leurs prothèsestotales de hanche au kinésithérapeute, c'estparce que l'utilisation débridée des circuitsrésistants a déclenché des douleurs et occa­

sionné des déscellements; espérons que cesindications précises aideront les confrères àconcevoir des traitements raisonnés.

Un peu d'histoire

L'idée du remplacement prothétique est néetrès tôt :

1. Gluck, en 1891, émettait l'idée d'uneprothèse totale de hanche qu'il semble n'avoirjamais réalisée.

2. Dès 1926 Hey-Groves réalisait la premièrearthrosplastie en fixant sur le col fémoral unepièce d'ivoire en forme de champignon.

3. En 1938, l'anglais Wiles tente de remplacerà la fois la tête fémorale et l'acétabulum à l'aided'un implant total en acier. Il réalise ainsi sixinterventions qui peuvent être considérées

Tirés à part: M. RENAUT, à j'adresse ci-dessus.

comme les premiers remplacements totauxmétalliques.

4. En 1946, Robert et Jean Judet réalisentl'arthroplastie de hanche par interposition dematériel mixte. Malheureusement la détériora­tion anatomique apparaissait après quelquesmois. Déjà deux problèmes se posaient:a) celui de l'ancrage sur le fémur,b) celui des matériaux: sous l'impulsion desanglo-saxons l'acrylic fut remplacé par desalliages métalliques atoxiques.

5. En 1948, la cupule d'une prothèse conçuepar Mac Kee est fixée par une vis acétubulaire.Ce modèle est progressivement modifié pour êtresolidarisé à l'os par l'intermédiaire d'un «ci­ment » à partir de 1960.Un progrès décisif était alors réalisé dans lafixation os-prothèse.

6. L'étude de Charnley d'une pièce cimentéede sept ans permettait d'envisager l'avenir avecoptimisme: à la jonction os-ciment il y avait uneassise basale de cellules indifférenciées avec desostéocytes à quelques centièmes de millimètresdu ciment. Notion très réconfortante puisqu'iln'existait aucun signe microscopique permettantde penser qu'un trouble surviendrait à ce niveau,mais cette notion reposait sur une seule pièceanatomique.

7. Il apparaissait très tôt que le cimentagen'était pas un collage parfait entre os etprothèse :- que la moindre sollicitation mécanique de cebloc rigide mettait fortement en cause le ciment,- que l'os fragilisé au contact du cimentreprésentait un point d'appel microbien.

8. Les recherches s'orientaient alors dansdeux directions :- recherche de nouveaux matériaux: la prothèseiso-élastique,

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- recherche d'autres moyens d'ancrage:a) mécanique: de 1961 à 1963 Debeyre pose

vingt prothèses couplées associant un cotyled'V rist à une prothèse de Moore;

b) biologiques: depuis 1964, les soviètiquesutilisent une prothèse métal-métal en alliagecobalt-titane de Sivasch. En novembre 1971,Robert Judet pose chez l'homme sa prothèse enporométal ;

c) mixtes: en 1971 prothèse de Boutin enalumine pur; en 1975 prothèse acrylique sansciment de Ruchet.

9. Séduisants dans leurs principes tous lesprocédés d'ancrage biologique ont certains in­convénients : un délai de décharge de 3 à 4 moispour attendre la repousse osseuse. Ils, sontd'autre part trop récents pour être appréciés avecexactitude.

10. Les travaux actuels portent:a) sur l'amélioration du profil des pièces

fémorales: la prothèse auto-bloquante de Mullerreprésente un progrès certain;

b) l'utilisation des céramiques, des matériauxcomposites (polyéthylène + fibres de carbones)matériaux très résistants dotés de meilleurscoefficients de friction;

c) les cupules couplées ou prothèses a minimaavec lesquelles le sacrifice osseux est beaucoupmoins important, permettant en cas d'échec lapossibilité de recourir à une prothèse conven­tionnelle.

En conclusion: malgré les progrès techniques,il faut craindre la séduction de la technique etne jamais oublier que le tissu osseux est vivantet susceptible. Réduire le matériel étranger auminimum et respecter l'os au maximum doiventêtre nos soucis majeurs.

La rééducation des prothèses totalesest très controversée

Plusieurs éléments doivent être pris en comptedans l'indication de rééducation après arthro­plastie totale de hanche.

1. Le type de prothèse: prothèse convention­nelle, prothèse à ancrage biologique.

2. La valeur fonctionnelle de l'éventail fessier.

3. L'âge de l'opéré.4. Enfin et surtout la technique de rééduca­

tion : mieux vaut ne pas rééduquer une arthro­plastie totale de hanche si l'on ignore labiomécanique et les contraintes qu'imposent àla prothèse certains mouvements.

1. Le type de prothèse

- En cas de prothèse conventionnelle (prothèsescellée) l'indication est fonction de la qualité del'éventail fessier sauf dans les cas où la raideurarticulaire est majeure ou après des arthrodèses.- En cas de prothèse à ancrage madréporiquela durée de la décharge nécessaire à la repousseosseuse rend la rééducation indispensable maisselon des règles bien codifiées.

2. La valeur de l'éventail fessier

a) Éventail fessier de qualité moyenne côté 3,souvent amélioré par une remise en tensionpré-opératoire permettant un appui monopodalstable: pas de rééducation.

b) Éventail fessier nettement insuffisant avecdéhanchement important: rééducation essentiel­lement orientée sur la musculation des fessierset du moyen fessier en particulier mais unique­ment par un travail isométrique ou par latechnique d'irradiations.

3. L'âge de l'opéré

a) Sujet jeune: c'est l'état des fessiers qUIguidera la décision.

b) Sujets âgés, souvent seuls: rééducation àminima, à visée essentiellement fonctionnelle;il s'agit plus d'une réadaptation que d'unerééducation.

4. La technique de rééducation: rééduquer sansnotions vraies et solides de biomécanique risquede vous confronter à tous les incidents ouaccidents de l'arthroplastie totale de hanche.

Quelle technique de rééducation adopter?(prothèses totales scellées)

1. Réfléchir avant d'entreprendre cette rééduca­tion: c'est pourquoi à la suite des travaux de

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FIG. 1 - Contraintes en cisaillement exercées sur une prothèse de hanche.o A = 8 cm P = poids du membreo B = 40 cm T = SPOB=JXOA OAXT=OBXPT = force en flexion 0 A X T = 5 X 0 A X P

Or chez l'homme le membre inférieur pèse en moyenne Il kg •.d'où T = 55 kg agissant comme force luxante.

Rydell nous emprunterons à Borgi et Plas unexemple simple de contraintes en cisaillementexercées sur l'implantation d'une prothèse dehanche lors d'une flexion en décubitus (fig. 1).2. La rééducation devra donc être essentielle­ment manuelle, centrée sur le travail isométriquede l'éventail fessier, ou musculation par irradia­tion à partir des péroniers latéraux: irradiationau tenseur du facia lata: irradiation au moyenfessier.

3. Buts de la rééducation: rendre la hancheindolore, mobile, stable.

a) Indolence

- Sont responsables de douleurs après mise enplace d'une prothèse de hanche chez un maladeapyrétique :

a) une contracture réflexe des adducteurs,b) une contracture réflexe du psoas,c) une infiltration cellulitique péri-cicatri­

cielle.- Traitement:

a) hydrothérapie au jet,b) balnéothérapie: mobilisa~ion active de

l'articulation,c) contracté relaché, massages,d) à défaut de piscine, travail en suspension

dans un but de re1achement péri-articulaire.b) Mobilité

- Une mobilité normale de hanche ne peut êtreespérée après arthroplastie totale de hanche. Lesamplitudes maximales récupérables sont cellesobtenues par le chirurgien en fin d'anesthésie.

- Traitement:a) mobilisation active en piscine de travail,b) marche en immersion cervicale,c) mobilisation active aidée sur table,d) rééducation globale sous forme de bi­

cyclette sans résistance. (seule la répétition dumouvement est intéressante) mais en prenant laprécaution d'un bon réglage de la hauteur deselle et de la longueur de manivelle du pédalier.c) Stabilité- Elle est essentiellement liée à la qualité del'éventail fessier.- Traitement: renforcement musculaire isomé­trique et par irradiation.Le travail de stabilisation doit fréquemments'étendre au verrouillage du genou.- Verrouillage du genoud) Marche

Autorisée au 2e jour sauf dans le cas detrochantérotomie qui implique 3 semaines dedécharge totale.- Suivre une progression régulière, ne paschercher à supprimer trop rapidement lesauxiliaires de marche. 2 cannes anglaises pen­dant 3 semaines minimum. 1 canne anglaisependant 6 semaines environ. Suppression del'aide de marche ou une canne Maginot pourles longs parcours (cette canne sécurise psycho­logiquement certains malades).- Pendant les premiers mois, marches courteset fréquentes. Eviter au maximum de piétiner.- Montée et descente d'escaliers peuvent êtreentreprises à partir du I5e jour post-opératoire.

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4. Hygiène de viea) Certains mouvements doivent être formel­

lement proscrits au cours des premiers moispost-opératoires (2 mois).Ne pas croiser les jambes.Éviter de mettre le pied trop en rotation externe.Éviter le mouvement combiné flexion adductionrotation externe.Mettre les chaussettes, lacer les chaussures.

b) Ne pas s'asseoir sur des sièges trop bas (ycompris cuvette des WC qui doit être surélevée).Ne pas rester longtemps dans la même position(signe du cinéma).Ne pas porter de charges lourdes.Pas de tracteur. Ne pas bêcher. Éviter lejardinage.

c) Attention aux kilogrammes superflus:grossir de 1 kg c'est surcharger la hanche de4 kg en appui monopodal.

d) La conduite automobile pourra être repriseau terme du 2e mois post-opératoire.5. Quelques précautions à rappeler à vospatients:

a) Une prothèse totale de hanche qui va bienest indolore. En cas de chute, de douleurs,nécessité de consulter.

b) Toute infection (cystite, bronchite, angine,problèmes bucco-dentaires) doit faire consulterimmédiatement afin d'éviter une infection se­condaire de la hanche prothétique.

c) Pas d'injections intramusculaires du côtéde la prothèse.

d) La prothèse totale de hanche comportantune pièce métallique peut déclencher les sys­tèmes de sécurité dans les aéroports.

e) Ne pas faire de pouliethérapie : du fait d'unbras de levier trop important, cette techniquemajore considérablement les contraintes auniveau de la prothèse et au niveau de l'insertiondistale du moyen fessier, entraînant un risquede descellement, tendinite, périarthrite dehanche.

Sport et prothèse totale de hanche

Devons-nous rappeler que les micro-trauma­tismes répétés sont responsables d'un certainnombre de descellements. En conséquence, pourles sujets jeunes, le sport n'est conseillé que dansle but d'un auto-entretien (natation, cyclisme,

mais jamais dans un esprit de compétition- même la danse n'est pas dénuée de tout risquesecondaire).

Complications des prothèses totales de hanche

Outre les complications communes à toutesles arthroplasties (complications de decubitusnotamment thrombo-emboliques, décompensa­tion de tares pré-existantes), doivent êtresignalées :- Les luxations se produisant pratiquementtoujours au lit lors d'un mouvement de retourne­ment sur un malade relaché, détendu, du faitde l'insuffisance de coaptation d'origine mus­culaire; mais aussi la luxation traumatique àl'occasion d'une chute;- Les descellements: traumatique, septique in­contestablement plus redoutable.- Les complications neurologiques:

- paralysie sciatique le plus souvent due à unéchauffement anormal dû au ciment (la poly­mérisation s'accompagne d'une élévation ther­mique importante: 1000 environ au centre dela masse) ;

- paralysie crurale: le crural mal repéré peutparfois être coincé accidentellement sous unécarteur; il s'agit d'une neuropraxie qui ré­cupère toujours mais parfois après 3 à 4 mois;

- paralysie obturatrice par atteinte de l'obtu­rateur interne soulevé par une fusée de cimentdans le petit bassin.- Les fractures par mauvaise répartition descontraintes:

- au niveau de l'arrière fond du cotyle,- en regard de la queue de prothèse;

- La rupture de la queue de la prothèse plussouvent inhérente à un défaut de fabrication qu'àun excès de contraintes;- Le granulome osseux: traduction d'un conflitos-ciment;- La périarthrite de hanche en rapport dans lamajorité des cas avec une rééducation maldosée;- La cotyloïdite si fréquente avec les prothèsesà cupule mobile.

Pour en savoir plus :

1. BORG! R., PLAS F. - Traumatologie et Rééducation. Mas­son, édit. Paris, 1981.

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