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0123Vendredi 27 juin 2014 Dossier | 3
ANTOINE D’AGATA/MAGNUM PHOTOS
Mauvais planSous un titre inutilement racoleur, Le Plan cul. Ethnologie d’une pratique sexuelle, (Fayard, 200 p., 17 €), JeanFrançois Bayart, politologue connu pour ses travaux sur l’Afrique, propose une enquête sur les rapports sexuels sans lendemains de deux jeunes garçons bisexuels, dont les « plans cul » nous sont longuement reconstitués. Suit une réflexion méthodologique destinée à défendre l’idée d’une « abiographie », attentive aux pratiques des individus plus qu’à la cohérence supposée de leur identité. Mais quelle validité sociologique reconnaître à ces deux entretiens où, la crudité du langage une fois écartée, on est frappé de la naïveté avec laquelle les propos sont recueillis puis retraduits ? L’« enquête ethnologique » semble parfois tourner à la confession intime, qui n’est pas sans rappeler les grandes heures de Menie Grégoire sur RTL, mais que s’emploient ici à relever d’innombrables références à Bergson, Deleuze ou Bourdieu. Reste l’étonnant portrait d’« Hector », hétérosexuel en couple que ses goûts sexuels conduisent à se comporter « presque comme une femme » avec les hommes. J.L. J.
Patrick Cardon : « Ce qui m’intéresse dans le genre, c’est le trouble, l’indétermination »Le fondateur des éditions GayKitschCamp réédite « Le 3e sexe », du compagnon de Colette, Willy
propos recueillis par julie clarini
L e 3e Sexe, de Willy (18591931), lecélèbre compagnon de Colette,est un ouvrage étonnant. En 1927,à sa parution, Willy peut se préva
loir d’une bonne connaissance du milieuhomosexuel. Ces pages en sont la démonstration. On y apprend beaucoup sur les lieux parisiens fréquentés par les « pédéros » ainsi que sur la « littératureandrogyne ». Patrick Cardon, qui a fondé la maison GayKitschCamp, réédite cetexte et en assure la présentation, a enrichi l’ouvrage non seulement de reproductions et de photographies, mais aussi d’annexes qui permettent de restituer l’esprit d’une époque.
« Le 3e Sexe » est une sorte de guide du « gay Paris » des années 1920. Mais c’est aussi un ouvrage très ironique…
Ce qui est intéressant chez Willy, et quiapparaît bien dans Le 3e Sexe, c’est qu’il est féministe, tout en se moquant des féministes, et homophile, tout en se moquant des homosexuels. C’est quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux et qui semoque de ceux qui se prennent au sérieux, qui ne sont pas libres comme lui. Même s’il reste prudent : il a mis en préface du 3e Sexe un texte presque homophobe que nous avons remisé en annexe.Mais le livre est un feu d’artifice de critique sociale.
Que veut dire le terme « 3e sexe » au moment où Willy l’emploie ? Le terme même a une déjà longue tradition, comme le montre l’historienne Laure Murat dans « La Loi du genre. Une histoire culturelle du 3e sexe » [Fayard, 2006].
Il y avait deux significations quis’étaient enchevêtrées : l’expression s’adressait soit aux homosexuels soit aux femmes émancipées. A l’époque, onemployait fréquemment le terme d’« inverti » pour homosexuel, qui désignait soit un homme qui se trompe (il croit qu’il est un homme alors qu’il est unefemme), soit celui qui se trompe de sujet (l’homme qui aime les hommes au lieu des femmes). Le « 3e sexe » représente l’alternative par rapport à cette binarité. En mettant sur la couverture ce visagelong aux cheveux tirés sur la tête, avec des yeux rimmelisés de bleu et un nez effacé – un visage qui laisse pendante laquestion : estce un homme, ou une femme, qui est représenté ? –, Willy a, à safaçon, laissé le portrait idéal de ce qu’ilétait, à savoir un androgyne parfait. Ce qui veut dire pour moi : quelqu’un quin’est ni homme, ni femme, ni une femmeen homme, ni un homme en femme.
En réalité, Willy est soidisant un hétérosexuel aimant les lesbiennes. Mais il est décrit comme féminin, comme quelqu’un d’attendrissant, par les témoins que je cite. Et il aime les lesbiennes masculines… Alors, quelle est sa sexualité ? Onpourrait dire qu’il est pédé puisqu’il aime les femmes lesbiennes. Au fond, estil hétérosexuel ou homo ? Notre volonté de nommer les choses les complique !
On a le sentiment que nos sociétés progressent vers toujours plus de liberté sexuelle. Mais en lisant Willy, on s’aperçoit que des bouffées de liberté ont existé bien avant notre époque. La nôtre n’est pas forcément la plus audacieuse…
Oui, c’est ce que j’ai voulu montrerdans toutes mes publications, à vrai dire. J’ai toujours voulu apporter aux militants l’épaisseur historique de leur lutte.
Souvent les militants s’enferment dansles catégories (femmes, homosexuels, bi, etc.) qu’ils ont forgées pour lutter. Or, selonmoi, l’identité ne devrait rester qu’un outil stratégique. Sinon on prend le risque que tout se fossilise et se réessentialise. Quand on se dit homosexuel, soit c’est pour provoquer, faire réfléchir, soit c’est pour dé
fendre des droits. Mais qu’estce que ça veut dire un homosexuel aujourd’hui ? Unhomme qui désire un homme ? Mais quel type d’homme ? L’idée du « transgenre » sur laquelle il y a beaucoup de travaux aujourd’hui me paraît plus intéressante. Utiliser ce mot, ça permettrait de mettre à égalité tout le monde.
GayKitschCamp, fondé il y a exactement vingtcinq ans, offre à relire des textes oubliés par l’histoire littéraire ou dont une partie de la signification a été gommée. Comment travaillezvous ?
Armé de la « théorie » (qu’importe lemot) du genre – et, moi, ce qui m’intéresse dans le genre, c’est le trouble, l’indétermination –, je relis les textes. Je les vois alors et les utilise différemment. Il faudrait refaire un manuel du type Lagarde & Michard avec un contenu différent. C’est un peu ça, notre ambition. On s’appelle GayKitschCamp parce qu’onveut être fiers d’être gays (et trans, etc.). Et parce que je m’intéresse depuis longtemps à la « kitschisation », cette façon qu’ont les choses (ou les textes) d’être dévitalisées – parce qu’elles ne paraissentplus importantes –, puis de reprendrevie, investies de nouvelles valeurs, celles du contemporain.
sexuels refoulés ou ce que l’on nomme, dans le Dictionnaire des sexualités, des « bisexuels par obligation », en référence aux souverains « contraints au devoir conjugal afin d’assurer leur descendance », d’Alexandre le Grand à Louis XIII ? Ce serait trop simple,car de tels lieux permettent aussi à des hommes ayant découvert la
masturbation entre copains durant leur adolescence de trouver dans un contexte « monosexué » une jouissance libre des obligations de performance ou de contrôle propres à la vie conjugale.
Daniel WelzerLang a néanmoins pour but principal de réévaluer son enquête sur La Planèteéchangiste publiée en 2005 chezPayot. Si les couples rencontrésau camp naturiste du Cap d’Agdeou par le biais de revues spécialisées révélaient, dix ans auparavant, qu’au sein de cette « multi
sexualité commerciale à forte domination masculine » les femmes servaient avant tout de corps disponibles au plaisir des hommes (en 1994, 2 % des femmes se rendaient seules dans ces lieux de rencontre), l’échangisme a laisséplace, ces dernières années, à d’autres formes de libertinage. Dans cette nouvelle économie du désir, les couples ont rajeuni et les « hommes seuls » (ce qui ne veut pas dire célibataires) s’ymontrent souvent plus à l’écoute des femmes.
Une telle enquête de terrainrelève de ce que l’on nomme, ensociologie, l’« observation participante ». Mais sur la question de savoir si interroger des gens dans ce cadre suppose un acte sexuel, Daniel WelzerLang botte en touche : y répondre serait un« piège » tant qu’il n’est pas possible « d’analyser les phénomènes sociaux de la sexualité comme… des phénomènes sociaux, et nonde manière morale, victimologique et essentialisée », écritil.Pourtant, en 2005, peu aprèsl’élection du sociologue comme professeur à l’université de Toulouse II Le Mirail, deux associations féministes avaient relayé les plaintes informelles de doctorantes dans un texte auquel WelzerLang avait répondu par unprocès en diffamation. Tel est leparadoxe d’une recherche dé
nonçant la violence symbolique ou réelle qui gangrène les rapports de sexe, mais que sa miseen œuvre est à son tour soupçonnée de reconduire. Si la sexualité est loin d’apparaître comme un« phénomène social » neutre,peutêtre estce parce que s’y joue plus qu’ailleurs notre liberté, dont on souligne dans le Dictionnaire la tension entre tolérance inédite pour la sexualité « consentie » (comme l’homosexualité) et répression renforcée de la sexualité « non consentie » (comme le harcèlement ou le viol). Une tension dont lasource et les effets sont au cœur même de la masculinité.
e n t r e t i e n
masculinités. enjeux sociaux de l’hégémonie(Masculinities),de Raewyn Connell,multiples traducteurs de l’anglais (Australie), édité par Meoïn Hagège et Arthur Vuattoux, Amsterdam, 286 p., 25 €.
dictionnaire des sexualités, sous la direction de Janine MossuzLavau, Robert Laffont, « Bouquins », 1 024 p., 32 €.
propos sur le sexe,de Daniel WelzerLang,Payot, 250 p., 22 €.
le 3e sexe,de Willy,édité par Patrick Cardon, GayKitschCamp, « Question de genre », 350 p., 25 €.Signalons aussi la parution de deux romans de Willy et Ménalkas, datant de 1924, réunis en un seul volume : Le Naufragé, précédé de L’Ersatz d’amour, GayKitschCamp, « Question de genre », 268 p., 24 €.
Certains lieux permettentà des hommes de trouver une jouissance libre des obligations de performance ou de contrôle propres à la vie conjugale
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