Dossier La Finance islamique Le montage de financement · PDF fileréférence au Project Finance d’origine anglo- ... et en Malaisie avec la création des Caisses d’épargne

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  • N77 Juin 2010 17 JOURNAL DES SOCITS

    Dossier La Finance islamique

    Ce mode de financement, souvent prsent comme une technique rcente, sutilisait dj lors des grandes expriences maritimes comme la dcouverte et lexploration des Amriques (2). Au Moyen-ge les expditions commerciales recourraient aux bases du financement sur projet (3) en matire de partage des risques, de mise en concurrence de partenaires ! au regard de la rentabilit attendue de lopration, de la constitution dune structure dlimite dans le temps, et de recherche de fonds via des rseaux internationaux. De la sorte, les contrats de grosse aventure de compagnie ou de colleganza au Xme sicle en Italie regroupaient financiers, commerants, armateurs. Ces mercatores taient chargs de soccuper du financement et de lorganisation des expditions en Mditerrane. Les contrats de command (marchandise ou somme dargent confie un marchand en contrepartie dune part des profits gnrs par lexpdition) laissrent peu peu la place la colleganza ou societas maris. Les commerants des grands ports italiens agissant, dans le cadre de ces derniers, en qualit dassocis. Loin de tomber en dsutude, le contrat de command originel donna naissance la socit en commandite dans laquelle lassoci commanditaire est le bailleur de fonds. Ne disposant, la diffrence de lassoci commandit, de la qualit de commerant, il voyait sa responsabilit limite son apport. Ainsi, il devenait possible ceux ne pouvant obtenir un statut de commerant, tels les militaires, ecclsiastiques, nobles, etc., dtre nanmoins parties prenantes des oprations de nature commerciale. (4)

    Cette forme contemporaine de financements sur projet poursuivit son ascension au XIVme sicle. Pour exemple, lexploration et le dveloppement des mines dargent du Devon qui furent financs par lEmpire britannique via un prt consenti par un banquier florentin, Frescobaldi, et dont le remboursement provenait du produit dgag de lexploitation des mines. (5) De mme, autre exemple avec les maones : associations constitues au XIVme sicle par les banquiers gnois, dans le but dexploiter les ressources naturelles des territoires doutre-mer de la Rpublique de Gnes . (6)

    Le financement sur projet tel que dvelopp au cours de la deuxime moiti du XXme sicle fait rfrence au Project Finance dorigine anglo-saxonne. Il sentend de lensemble des techniques juridiques et financires permettant la ralisation

    dinfrastructures importantes, publiques ou prives, finances essentiellement sur la capacit du projet gnrer les revenus ncessaires permettant le remboursement des prts (nominal et intrts) et un juste retour sur investissement pour les promoteurs, avec un recours gnralement limit ou inexistant des prteurs lencontre des promoteurs en cas de dfaillance de paiement. Le financement sur projet implique la cration dune entit ad hoc (socit de projet) qui a pour objet la construction et lexploitation du projet ; les risques y affrant tant transfrs vers les intervenants appropris (constructeur, exploitant, etc.), permettant ainsi aux sponsors (investisseurs) un financement hors bilan. Les secteurs essentiellement concerns sont lnergie (ptrole, gaz, mines, oliennes, etc.), les tlcommunications, les infrastructures routires, autoroutires et celles lies la distribution deau, ainsi quaux rseaux ferroviaires, portuaires et aroportuaires.Le montage en financement sur projet sest dvelopp paralllement aux moyens de communication. Justifi par une possible rduction des cots, il a attir des capitaux toujours plus consquents travers le monde.Ainsi en est-il dEtats qui, soucieux de prserver leurs fonds, ont tendance se dsengager au profit de financements privs. Le cas notamment au Moyen Orient o se dveloppe, depuis les annes quatre-vingt-dix, le recours au financement sur projet dans des domaines impliquant dimportants capitaux comme le ptrole, le gaz, llectricit. La finance islamique - dont lobjet est doffrir des services bancaires et des produits financiers conformes aux prceptes de la loi coranique - est ainsi devenue une source de financement incontournable dans les financements sur projets au Moyen Orient. Dune part, car les banques islamiques disposent de fortes liquidits et dautre part, parce quelles sont aussi comptitives que des banques commerciales conventionnelles. Si la finance islamique trouve ses fondements dans des principes et interdictions, vieux de quatorze sicles, son apparition est rcente et remonte au dbut des annes soixante-dix. Les premires institutions financires islamiques datent des annes soixante avec la constitution en 1963 des caisses rurales MitGammar en gypte, et en Malaisie avec la cration des Caisses dpargne des plerins (Pilgrims Management Fund) (Tabung Hadjji). Lavnement de la finance islamique, telle quelle se pratique aujourdhui, prend son vritable essor en 1975 concomitamment ce que lon a appel la monte du panarabisme, au boom ptrolier, mais

    1) Sous la direction de M. le Professeur Alain Couret, dpartement de recherche Sorbonne-Finance.

    2) Michel Lyonnet Du Moutier, Financement sur projet et partenariats public-priv, d. Ems. 2006, p.16.

    3) Traduction franaise emprunte M. Lyonnet Du Moutier.

    4) Claude Martinand [dir.], L'exprience franaise du financement priv des quipements publics, Economica, Paris, 1993.

    5) G.M Bodnar, Project Finance teaching notes, Wharton School, 1996.

    6) Zine Sekfali, Droit des financements structurs, Revue banque dition, 2004, p. 533.

    Le montage de financement sur projet charia compliant

    Hugues Martin-Sisteron,Doctorant (1) en droit, Universit de Paris I Panthon-Sorbonne

  • JOURNAL DES SOCITS 18 N77 Juin 2010

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    aussi lafflux des ptrodollars aprs la guerre du Kippour. Ce mouvement a t accompagn par la cration de diverses organisations islamiques, telles que lOrganisation de la confrence islamique (OCI) en 1970, qui permit la mise en place de la Banque islamique de dveloppement (IDB). linstar du systme financier conventionnel, la finance islamique vise la mobilisation de ressources financires et leur allocation sur diffrents projets dinvestissement. Elle puise cependant son originalit dans lobservance de principes et dinterdictions prenant eux-mmes leurs sources dans des textes religieux fondamentaux datant de plusieurs sicles : le Coran, la Souna. Le jus musulman trouve sa lgitimit, non dans lexpression de la volont gnrale de la vox populi, mais dans lincarnation de la volont divine et du pouvoir souverain du crateur, la vox dei : lordre lgal repose sur le Livre sacr - le Coran - qui est la Rvlation, et sur les hadith de son Prophte, qui la commentent. Toutefois, nous pouvons assurer que la plus importante part du droit musulman rsulte de luvre des hommes, plus prcisment des jurisconsultes musulmans. Il sagit dun travail dexgse des textes scripturaires et dune analyse casuistique de la solution adquate. Sy mle un travail dialectique, dans le sens orthodoxe du mot, cest--dire dialogu et qui ne dduit pas ses effets des prmices du sacr. Ces prescriptions peuvent tre prsentes comme suit : linterdiction du prt intrt (riba), le partage des pertes et des profits, linterdiction de la spculation (gharar) et des jeux de hasard (qimar ou maysir), le paiement dun impt religieux (7) (zakt), la supervision de la banque islamique par un conseil religieux (sharia board) et le caractre thique (halal) des actifs - objets des investissements - avec, comme consquence, linterdiction dinvestir dans des secteurs illicites (haram). En ce sens, chacune des structures financires de droit musulman, que nous prsenterons aprs, reflte une manire de penser et une vision du monde terrestre quil convient dexpliciter pour les rendre intelligibles aux yeux du profane et ce, pour apprhender la finance islamique en tant quoutil et non comme une limite. Autrement dit : un principe douverture plutt que de fermeture. Face laugmentation significative des actifs islamiques, les tablissements financiers mirent en place progressivement des outils financiers, parfois dorigine ancienne, permettant de marier lorthodoxie des textes sacrs lorthopraxie de la finance. En ce sens, un effort de standardisation est opr en 1991 avec la cration dune entit ayant pour vocation dlaborer des normes comptables adquates aux institutions financires islamiques, lAccounting and Auditing Organization for Islamic Finance Institutions (AAOIFI). Le Fonds montaire international a recens, dans sa dernire tude (8), 300 institutions financires islamiques rparties dans plus de 75 pays auxquelles sajoutent aujourdhui les filiales islamiques de grandes banques des diffrentes places boursires dans le

    monde.Ainsi, en adaptant leurs pratiques bancaires la finance islamique, des banques, telles par exemple, BNP Paribas (2005) avec Calyon et Natixis, ont pu participer au financement du projet stratgique de pipeline Dolphin en Arabie saoudite, le montant global du projet a atteint 3,45 milliards de dollars dont une tranche islamique de USD 1 milliard. Aussi, nous pouvons citer le Projet Marafiq de centrale lectrique et dunit de dessalement deau de mer en Arabie Saoudite, dans lequel BNP Paribas a occup (2007) un rle de conseil financier et darrangeur principal. Ce projet dun montant de USD 2.725 millions comprenait une tranche islamique de USD 600 millions. Par ailleurs, Calyon est intervenu (2009) en qualit de conseil financier, de chef de file et dtablissement coordinateur des oprations de couverture en USD du projet de campus de lUniversit Zayed (Abu Dhabi), dun montant de USD 1,045 millions. Le financement a t apport par un pool de six banques internationales (Calyon, BTMU, Socit Gnrale, Natixis, Royal Bank of Scotland, BIIS), quatre banques classiques rgionales (National Bank of Abu Dhabi, First Gulf Bank, Abu Dhabi Commercial Bank, Union National Bank) et une banque dAbu Dhabi (Al Hilal Bank). Le financement se dcompose en de