8
aPopulation Les peurs et les croyances p. 4-5 aAvenir Survivre et reconstruire p. 6-7 aHistoire Violence de la nature et des hommes p. 2-3 Haïti Année zéro aTribune La refondation, selon Laënnec Hurbon p. 8 Port-au-Prince Envoyé spécial A près l’apocalypse, la reconstruc- tion. La terrible tragédie qui a frap- pé mardi 12 janvier, le pays le plus pauvre des Amériques sera-t-elle l’oppor- tunité de construire « Une nouvelle Haï- ti » ? Le mauvais sort semble s’acharner sur la première république noire fondée en 1804, qui a universalisé les droits humains. Ses deux siècles d’existence ont été mar- qués par la violence et les convulsions. L’es- pérance démocratique née à la chute de la dictature duvaliériste, en 1986, s’est éva- nouie au rythme de sanglants soubresauts et de l’extension de la misère. Petit bout d’Afrique accroché aux flancs des Améri- ques, Haïti est depuis un quart de siècle, l’un des exemples les plus déprimants des échecs de la coopération internationale. Après le séisme le plus meurtrier de l’histoire du continent américain, le suc- cès de la reconstruction dépendra d’abord des Haïtiens. De leur capacité à surmonter le traumatisme provoqué par les amoncel- lements de cadavres jetés dans les fosses communes ou toujours prisonniers des décombres ; par les innombrables blessu- res, physiques et psychiques ; par la crain- te de nouvelles répliques. La renaissance dépendra de leur aptitu- de à construire un Etat moins corrompu et plus performant, capable par exemple de faire respecter des normes de construc- tion ou de promouvoir le reboisement. Conséquence de la catastrophe, le dépeu- plement de la capitale sera positif si des ser- vices publics, des emplois et des loge- ments sont créés dans les provinces pour y fixer les sans-abri. La centralisation des activités dans la « république de Port-au- Prince » a amplifié le désastre. Le modèle de développement impulsé par les pays « amis » et les bailleurs de fonds en est, en partie, responsable. Le déversement des excédents agricoles sub- ventionnés – le riz des Etats-Unis, notam- ment – a ruiné les paysans qui sont venus gonfler les bidonvilles de la capitale. Les emplois des zones franches ont été concen- trés à Port-au-Prince. Les bailleurs de fonds ont multiplié les conférences, ces dernières années. Des mil- liards de dollars ont été promis, et en par- tie dépensés en « coopération technique ». Cet euphémisme masque les grasses rému- nérations d’experts rédigeant les mêmes rapports pour la énième fois, et les dépen- ses des bureaucraties de l’aide au dévelop- pement. Depuis 2004, la communauté internationale semble convaincue de la nécessité d’un engagement à long terme et l’Amérique du Sud, Brésil en tête, a ren- forcé le groupe des pays « amis ». Face à l’ampleur des besoins, l’heure n’est pas aux procès d’intention. L’intérêt des Etats-Unis n’est pas d’occuper Haïti, mais d’éviter un déferlement de boat peo- ple et un Etat failli, livré aux narcotrafi- quants dans leur arrière-cour. La Républi- que dominicaine a conscience que le déve- loppement d’Haïti est la seule réponse au grave problème migratoire qui empoi- sonne les relations entre les deux pays voisins. Anderson Cooper, le présentateur de CNN, trouvera bientôt de nouveaux théâ- tres pour mettre en scène son journalisme de compassion. Mais la crise humanitaire continuera après le départ des équipes de télévision. Le formidable élan de générosi- té s’essoufflera. Pour les pays « amis » et pour les Nations unies, le grand défi sera de rompre avec les échecs du passé et trans- former, enfin, les promesses de coopéra- tion en réussites. p Jean-Michel Caroit Dossier La renaissance du pays dépendra de l’aptitude de ses habitants à construire un Etat moins corrompu et plus performant Cahier du « Monde » N˚ 20221 daté jeudi 28 janvier 2010 - Ne peut être vendu séparément

Dossier - lesmorenantislesmorenantis.org/files/20100128_DOS_ANNEE_ZERO.pdf · 2017. 11. 10. · 1791 Début de la révolte des esclaves, pre-mier actedela révolution de Saint-Domin-gue.Une

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aPopulationLes peurset les croyances p.4-5

aAvenirSurvivreet reconstruire p. 6-7

aHistoireViolence de la natureet des hommes p.2-3

HaïtiAnnéezéro

aTribuneLa refondation, selonLaënnec Hurbon p.8

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

A près l’apocalypse, la reconstruc-tion. La terrible tragédie qui a frap-pé mardi 12 janvier, le pays le plus

pauvre des Amériques sera-t-elle l’oppor-tunité de construire « Une nouvelle Haï-ti » ? Le mauvais sort semble s’acharnersur la première république noire fondéeen 1804, qui a universalisé les droitshumains.

Sesdeux siècles d’existenceontété mar-quéspar la violenceet lesconvulsions.L’es-pérance démocratique née à la chute de ladictature duvaliériste, en 1986, s’est éva-nouieau rythme de sanglantssoubresautset de l’extension de la misère. Petit boutd’Afrique accroché aux flancs des Améri-ques, Haïti est depuis un quart de siècle,

l’un des exemples les plus déprimants deséchecs de la coopération internationale.

Après le séisme le plus meurtrier del’histoire du continent américain, le suc-cès de la reconstruction dépendra d’aborddes Haïtiens. De leur capacité à surmonterletraumatismeprovoqué par les amoncel-lements de cadavres jetés dans les fossescommunes ou toujours prisonniers desdécombres; par les innombrables blessu-res, physiques et psychiques ; par la crain-te de nouvelles répliques.

La renaissance dépendra de leur aptitu-de à construire un Etat moins corrompu etplus performant, capable par exemple defaire respecter des normes de construc-tion ou de promouvoir le reboisement.Conséquence de la catastrophe, le dépeu-plementde lacapitaleserapositifsidesser-vices publics, des emplois et des loge-

ments sont créés dans les provinces pour yfixer les sans-abri. La centralisation desactivités dans la « république de Port-au-Prince» a amplifié le désastre.

Le modèle de développement impulsépar les pays « amis » et les bailleurs defonds en est, en partie, responsable. Ledéversement des excédents agricoles sub-ventionnés – le riz des Etats-Unis, notam-

ment – a ruiné les paysans qui sont venusgonfler les bidonvilles de la capitale. Lesemploisdeszonesfranches ontété concen-trés à Port-au-Prince.

Les bailleurs de fonds ont multiplié lesconférences,ces dernièresannées. Desmil-liards de dollars ont été promis, et en par-tie dépensés en « coopération technique ».Ceteuphémismemasquelesgrassesrému-nérations d’experts rédigeant les mêmesrapports pour la énième fois, et les dépen-ses des bureaucraties de l’aide au dévelop-pement. Depuis 2004, la communautéinternationale semble convaincue de lanécessité d’un engagement à long termeet l’Amérique du Sud, Brésil en tête, a ren-forcé le groupe des pays « amis ».

Face à l’ampleur des besoins, l’heuren’est pas aux procès d’intention. L’intérêtdes Etats-Unis n’est pas d’occuper Haïti,

mais d’éviter un déferlement de boat peo-ple et un Etat failli, livré aux narcotrafi-quants dans leur arrière-cour. La Républi-que dominicaine a conscience que le déve-loppement d’Haïti est la seule réponse augrave problème migratoire qui empoi-sonne les relations entre les deux paysvoisins.

Anderson Cooper, le présentateur deCNN, trouvera bientôt de nouveaux théâ-tres pour mettre en scène son journalismede compassion. Mais la crise humanitairecontinuera après le départ des équipes detélévision. Le formidable élan de générosi-té s’essoufflera. Pour les pays « amis » etpour les Nations unies, le grand défi seraderompreavec leséchecsdupasséettrans-former, enfin, les promesses de coopéra-tion en réussites. p

Jean-Michel Caroit

Dossier

Larenaissance dupaysdépendrade l’aptitudedeseshabitantsàconstruire un Etatmoinscorrompuetplusperformant

Cahier du « Monde » N˚ 20221 daté jeudi 28 janvier 2010 - Ne peut être vendu séparément

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«Nous allons nous relever.Avec une prise de conscience des Haïtiensqu’on ne peut pas construire n’importe où» RenéPréval, présidentd’Haïti

P our toute personne qui veut com-prendre les problèmes du mondecontemporain, la frontière de quel-

que cent soixante-dix kilomètres de longqui divise la grande île caraïbe d’Hispanio-la, entre la République dominicaine etHaïti, constitue comme une énigme. Vued’avion, elle ressemble à une ligne zigza-gante, arbitrairement découpée au cou-teau et séparant brusquement un paysageplussombre et plus vert à l’est (le côté domi-nicain) et un paysage plus clair et plus brunà l’ouest (le côté haïtien). » Ainsi commen-ce le chapitre consacré à l’île des Caraïbespar Jared Diamond dans son best-sellerEffondrement. Comment les sociétés déci-dent de leur disparition ou de leur survie(Ed. Gallimard, 2008).

Les histoires opposées des deux paysfournissent « un antidote utile » à ceux quiconsidèrent qu’il existe un déterminismeenvironnemental, poursuit le biologisteet géographe américain. Pour Jared Dia-mond, les bonnes ou les mauvaises déci-sions pèsent bien davantage que la fatalitédans le destin des nations.

Le bois, enjeu vitalA l’origine, les deux côtés de l’île étaient

recouverts de forêts tropicales. Celles-ciontdisparu engrandepartie, maislaRépu-blique dominicaine a su préserver environun tiers de ses paysages originels quandHaïtiapresquetotalement épuisésoncapi-talforestier. La nature, pourtant, prédispo-saitàdesdestins inverses.Lapartieorienta-le de l’île est davantage arrosée. Le relief deplaines et de plateaux qui se glisse entredes sommets culminant à 3 000 mètresd’altitude, offre des terres de meilleurequalité : la République dominicaine avaitune vocation agricole. C’est Haïti qui s’enestemparé.D’abordpour asseoirla prospé-rité de la colonie française : son économiesucrière fait d’elle le territoire le plus richedu Nouveau Monde. Puis rapidementpour le pire, lorsque l’expansion agricoledevient celle de la misère.

La déforestation symbolise bien le cer-cle vicieux de la pauvreté en Haïti. Audébut des années 1920, la forêt tropicale–après avoir été en partie ponctionnée deses essences rares pour honorer le tributfinancier imposé par la France en échangede l’indépendance – occupait encore 60 %de la superficie nationale. Puis moins de20% au tournant des années 1950. Aujour-d’hui, il n’en reste que 2 %. Avec environdixmillions d’habitants–commeenRépu-blique dominicaine mais sur un territoire

deux fois plus petit –, Haïti affiche la plusforte densité de population de la région.La forêt a été grignotée par les millions depetitspaysans en quête d’un lopin de terrepour survivre, et de bois qui assure à plusde 65 % des Haïtiens laseule source d’éner-gie.Pour nombrede familles, lebois reven-duenvillefournit uncomplémentdereve-nus dont il serait difficile de se passer lors-qu’il faut joindre les deux bouts avec 2 dol-lars (1,41 euro) par jour. Trente millionsd’arbres seraient ainsi coupés chaqueannée, selon les Nations unies.

La disparition des arbres a entraîné une

forte érosion des sols, réduit leur fertilitéet provoqué, par endroits, des phénomè-nes de sécheresse et de désertification. Lamoindre averse expose la plupart des vil-les aux inondations et aux torrents deboue. Le bilan des cyclones tropicaux y estdonc plus lourd que chez le voisin domini-cain. La déforestation a été officiellementmise en cause dans le bilan dramatiquedesdeux derniersgrands épisodes cycloni-ques, en 2004, puis en 2008, au cours des-quels la région des Gonaïves, dans le norddu pays, a été particulièrement touchée.

La gravité du problème est connue

depuis longtemps sans que les gouverne-ments successifs aient été en mesure d’yapporter une solution. De multiples pro-grammes de reforestation ont été lancésavec l’appui de bailleurs de fonds interna-tionaux. Mais la lassitude a gagné, à forcede voir les rares progrès remis en causepar les crises récurrentes qui minent lepays depuis des décennies. Sur le terrain,des associations villageoises et des ONGessaient encore d’agir.

La misère pousse les Haïtiens à s’instal-ler illégalement de l’autre côté de la fron-tière pour trouver les ressources que leur

terre ne leur donne plus. Chaque année, lapopulation haïtienne consomme 1 mil-lion de tonnes de céréales, dont 60 % doi-vent être importées – lorsque les prix surles marchés mondiaux le permettent…L’insécurité alimentaire reste grande et,en 2008, le pays a été le théâtre d’émeutesde la faim. L’histoire racontée par JaredDiamond montre que le drame d’Haïtis’est, en partie, forgé sur une catastropheenvironnementale.

Au moment de penser l’avenir du pays,il serait coupable de l’ignorer. p

Laurence Caramel

La frontière entre Haïti(à gauche) et la Républiquedominicaine (zone verte, à droite).NASA/GODDARD SPACE FLIGHT CENTER SCIENTIFIC

VISUALIZATION STUDIO

1492 Christophe Colomb débarque surune île qu’il baptise Española (« l’Espagno-le »), puis Hispaniola, car elle lui rappelleles paysages de Castille. Commence l’ex-ploitation intensive des gisements d’orde l’île, qui contribue à décimer les popu-lations locales. Un demi-siècle après l’arri-vée des Espagnols, on ne compte plus quequelques milliers d’Amérindiens. CharlesQuint autorise, pour pallier le manque demain-d’œuvre, l’importation d’esclavesvenus d’Afrique.1697 A la suite du traité de Ryswick, lesEspagnols renoncent au tiers occidentalde l’île, sur laquelle ils reconnaissent lasouveraineté française. Commence unessor spectaculaire, qui fait surnommerSaint-Domingue la « Perle des Antilles ».1791 Début de la révolte des esclaves, pre-mier acte de la révolution de Saint-Domin-gue. Une figure émerge : celle d’unaffranchi, Toussaint Louverture. L’île estréunifiée après le traité de Bâle (1795).1804 Le 1er janvier, quelques mois après lamort en captivité de Toussaint Louvertu-

re, Jean-Jacques Dessalines proclame l’in-dépendance d’Haïti. Les derniers colonsblancs sont massacrés, la plupart des plan-tations désertées par les anciens esclaves.L’agriculture haïtienne cesse d’être expor-tatrice pour se tourner vers des culturesde subsistance. La déforestation commen-ce. En 1809, la partie orientale de l’île serattache à l’Espagne. Elle reviendra sousdomination haïtienne en 1822.1825 Le président Jean-Pierre Boyerobtient la reconnaissance par la France del’indépendance d’Haïti, en échange dupaiement d’une indemnité de 150 mil-lions de francs-or, ramenée par la suite à90 millions. Toute menace de reconquêteest écartée, mais cette dette contribue àl’asphyxie économique du pays. Elle seraréglée par échéances jusqu’en… 1888 !1844Lapartie espagnoledel’île faitdéfini-tivement sécession, alors qu’Haïti est ron-gée par des violences endémiques. Larévolte agraire « des piquets » est dure-ment réprimée. La société se structuredans l’affrontement entre l’élite mulâtre

et la population noire.1915 A la faveur d’émeutes ayant fait plu-sieurs centaines de morts à Port-au-Prin-ce, l’armée américaine s’installe en Haïti,provoquant un profond rejet dans l’im-mense majorité de la popluation. LesAméricains quitteront le pays en 1934.1957 François Duvalier, dit « Papa Doc »,est élu sur la base d’un programme trèshostile aux mulâtres. Il s’appuiera surune milice paramilitaire, les « tontonsmacoutes», dans un climat de corruptiongénéralisée. A sa mort, en 1971, son filsJean-Claude, « Baby Doc », 19 ans, lui suc-cède. Il sera chassé du pouvoir en 1986.1994 L’armée américaine revient en Haïti,pour ramener au pouvoir le président Jean-Bertrand Aristide, élu en 1990, et chassépar un coup d’Etat militaire en 1991.2004 Haïti fête le bicentenaire de sonindépendance dans le chaos politique : leprésident Aristide est chassé en février.L’ONU crée une mission internationalede stabilisation, la Minustah.

Jérôme Gautheret

HaïtiAnnéezéro

PLAQUE CARAÏBEM e r d e s A n t i l l e s

G o l f e d uM e x i q u e

OCÉANATLANT IQUE

CUBA

JAMAÏQUE

Haïti

HONDURAS

BELIZE

R. DOMINICAINE

BAHAMASÉTATS-UNIS

GUATEMALA

SALVADOR

COSTARICA COLOMBIE

VENEZUELA

PORTO RICO

AntillesCaïmans

NICARAGUA

MEXIQUE

PLAQUEPANAMA

PLAQUEDES ANDESDU NORD

PLAQUE SUD-AMÉRICAINE

PLAQUE NORD-AMÉRICAINE

PLAQUE COCOS

18 mm/an

22 mm/an26 mm/an 18 mm/an

19 mm/an

23 mm/an

67 mm/an

500 km

SOURCES : USGS ; INSTITUT PHYSIQUE DU GLOBE

Epicentre du séisme

Séismes de magnitude 7 et plusdepuis 1900 (pour les Caraïbes)

Zone de subduction (où une plaquepasse sous une autre)

Autres failles

Failles transformantes (entre deux plaquescoulissant en sens inverse)

Mouvement des plaques tectoniques

Couper les arbres pour survivre… En Haïti, la déforestationa conduit à la sécheresse et à la désertification; et protègemoins bien des cyclones tropicaux qui ravagent l’île d’Hispaniola

Lepaysdelaforêtdisparue

Dixdates-clés d’une histoirechaotique

2 0123Jeudi 28 janvier 2010

Page 3: Dossier - lesmorenantislesmorenantis.org/files/20100128_DOS_ANNEE_ZERO.pdf · 2017. 11. 10. · 1791 Début de la révolte des esclaves, pre-mier actedela révolution de Saint-Domin-gue.Une

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

D ès le lendemain du séisme qui adévasté Haïti, des images de« pillards », armés de machettes et

de bâtons, ont fait le tour du monde. Ecu-mant les boutiques détruites de Port-au-Prince, la capitale, ils se disputaient vio-lemmentdes butins dérisoires, poursuivisparune police haïtienne brutale et expédi-tive qui livrait parfois les « voleurs » à desfoules en colère. L’un d’entre eux a été lyn-ché puis jeté sur une pile d’ordures en feu.Un autre a eu la tête écrasée par un bloc debéton. Comme si l’enfer s’était abattu surl’enfer…

Ces incidents ont bien existé. Mais,quinze jours après le séisme, la viereprend un cours quasi normal à Port-au-Prince. Les rues grouillent de petits ven-deurs,quiproposentdes morceauxdecan-ne à sucre, des gousses d’ail, quelquesbananes ou des cartes de téléphone. Lestaxis-motos fendent la foule, indifférentsà l’odeur pestilentielle qui filtre des gra-vats. « Il n’y a pas eu d’émeutes », seule-ment « des voyous qui essaient de profiterde la situation », a expliqué l’ambassadeurde France en Haïti, Didier Le Bret. « Ce peu-ple, dans l’épreuve, a été extraordinaire. »

L’insécurité est aussi affaire de percep-tion. « Les médias étrangers ne sont pashabitués à Port-au-Prince et sont choquésque l’ONU ne fasse rien », s’énerve DavidWimhurst, porte-parole de la Mission desNations unies pour la stabilisation enHaïti (Minustah). « Mais dans une situa-tiondepauvreté absolue, après untremble-ment de terre, il est normal que les genscherchent à survivre, ajoute-t-il. Nous n’al-lons pas gaspiller nos ressources à protégerles propriétés des morts, nous allons les uti-liser pour aider les vivants. »

Le général brésilien Floriano PeixotoVieira Neto, qui commande les quelque7 000 casques bleus de la Minustah, char-gé de la sécurité dans le pays, affirmen’avoir « jamais perdu le contrôle » de lasituation. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y apas eu d’incidents, mais de telles violencesse produisaient déjà avant le tremblementde terre, et c’est la raison pour laquelle nousétions ici », affirme-t-il. Pour ce militaire,« la sécurité est directement liée à l’aidehumanitaire ». Et lorsque celle-ci tarde à

arriver, l’instinct de survie prend le des-sus. Au moindre signe de trouble, lesregardsse portentsurCité Soleil, unbidon-ville de Port-au-Prince où les gangs peu-vent trouver refuge. Le long d’une pistepoussiéreuse, une foule anxieuse et com-pacte se masse sous un soleil implacable.Des casques bleus brésiliens montent lagarde. Courtois, ilscanalisent leshabitantsvers deux camions garés dans la courd’une école proprette. Armés de fusils àpompe, cartouches en bandoulière, ils ontajouté à leur panoplie létale une bombelacrymogène, plus adaptée à la situation.Leur capitaine, Dominguez Tebo, se mon-tre prudent. « Nous n’avons pas assez denourriture pour tout le monde, il faut faireattention», explique-t-il.

Ce jour-là, le Programme alimentairemondial (PAM) n’a envoyé que deuxcamions. « Merci papa, merci ! », lance unevieille femme, heureuse d’emporter unedes dernières bouteilles d’eau et un cartonde biscuits énergétiques. Il faut mainte-

nant disperser une foule affamée de plu-sieurs centaines de personnes, sans créerd’émeutes.Lessoldatsbrésiliens disposentd’un atout majeur : présents dans le quar-tier depuis des années, ils y ont endigué lacriminalité, aidé à construire des écoles ettissé des liens étroits avec les représen-tants locaux. Lorsque leur auxiliaire hurledes instructions en créole dans un porte-voix, les sinistrés repartent, résignés. « Ilsn’avaient rien avant le séisme, et ils n’onttoujours rien », lâche un officier, amer.

« On repart de zéro »La police haïtienne n’est pas d’un grand

secours. Durement frappée par le tremble-ment de terre, elle aurait perdu près de 15%deseseffectifsetlamoitiédesescommissa-riats. Durant les premiers jours, les poli-ciers ont, comme tout le monde, essayé desauver leurs proches et leurs maigresrichesses. Aujourd’hui, ils montent la gar-de devant les bâtiments des banques fissu-rés, les stations-service ou les camps de for-tune. Mais leur tâche est immense. « Nousavonsenviron2500policiersàPort-au-Prin-ce. Il y a 3 000 bandits qui sont sortis de laprison»,détruite dansle séisme, aexpliquéle président haïtien, René Préval, encoura-geant«lesquartiers»à«dénoncer»ou«rai-sonner » les membres de gangs qu’on nesait plus où enfermer. Mais la justice desquartiers est expéditive.

« Très inquiet » du retour des gangs, lecommandant des casques bleus dit avoir«les capacités de s’occuper d’eux ». Les trou-pesdugénéralPeixotoontdéjàrattrapécer-tains fuyards. Et, partout dans la ville, sescasques bleus sont à l’œuvre. Des soldatspéruviens, équipés de boucliers transpa-rentsetdebâtons,écartentlafoulequiveuts’engouffrer dans le parc industriel Sonapi.

Despoliciersnigériansmontentlagardeàun carrefour tandis que la police militaireguatémaltèque surveille les ruines dupalais présidentiel. Pour la Minustah, quiavait fait de grands progrès ces derniersmois, tout est à refaire. « Cité Soleil étaitrevenu à un niveau de sécurité que le quar-tier n’avait pas connu depuis longtemps.On en était à essayer d’attirer les investis-seurs,expliqueAlainLeRoy,lechefdesopé-rations de maintien de la paix de l’ONU. Onne repart pas de zéro, mais tout le pays areculé terriblement.»p

Philippe Bolopion

«Dansles moments de catastropheen Haïti, le petitpeupleest toujoursle premier à réagir» Louis-PhilippeDalembert, écrivain

Unerépubliquenoire marquéepar laviolence depuis ses origines

Le 24janvier, dans les ruesde Port-au-Prince, des policiers

haïtiens tentent d’empêcherle pillage de boutiques détruites

par le tremblement de terre(ci-dessus et ci-dessous).

Les troublessont restéssporadiques,pourtantles imagesde pillageont fait le tourdu monde.Après la fuitedes prisonniers,la lutte contrel’insécuritérevient aupremier plan

Lapeurduretourdesgangs

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

LE TREMBLEMENT de terre du 12janvier2009, et ses conséquences extrêmementbrutales, ouvre un nouveau chapitre del’histoire de la première république noire– proclamée en 1804 – marquée par la vio-lence depuis ses origines.

Traite négrière et esclavage : Haïti estnée dans la souffrance et la cruauté. L’in-surrection des esclaves à partir de 1791, laguerre d’indépendance menée par Tous-saint Louverture et Jean-Jacques Dessali-nes, et la déroute du corps expéditionnai-re envoyé par Napoléon pour rétablir l’es-clavage ont fait des dizaines de milliersde morts.

La violence a continué au XXe siècle.L’occupation d’Haïti par les troupes amé-ricaines, de 1915 à 1934, a été marquée parla sanglante répression de l’insurrection

des Cacos, menée par Charlemagne Péral-te. Le bilan est d’au moins 13 000 morts.

A partir de 1957, François Duvalier,«Papa Doc », a mis en place une dictaturesanguinaire, s’appuyant sur la milice desvolontaires de la sécurité nationale: les«tontons macoutes». Les mulâtres ontété persécutés au nom du « noirisme».Des dizaines de milliers d’Haïtiens ontété contraints de s’exiler en Amérique duNord, en Europe ou en Afrique.

Les espoirs de démocratisation aprèsla chute de « Baby Doc» (Jean-ClaudeDuvalier, le fils de François), en 1986, ontété déçus. Coups d’Etat et massacres sesont succédé et la population a continuéde s’enfoncer dans la misère malgré lespromesses d’aide internationale.

Symbolisant l’espoir des plus pauvreslors de son élection à la présidence, le16décembre 1990, le curé des bidonvilles,Jean-Bertrand Aristide, a été renversé par

un sanglant coup d’Etat militaire neufmois plus tard. Nouveaux « tontonsmacoutes», les « attachés » ont massacréses partisans.

Réélu en 2000 lors d’un scrutin mar-qué par une abstention supérieure à90%, Aristide s’est allié aux cartels colom-biens de la cocaïne pour compenser la sus-pension de l’aide internationale. Il a arméles organisations populaires transfor-mées en « chimères » (gangs mafieux)pour réprimer l’opposition.

Après son départ en exil, en 2004, ilfaudra plus de trois ans à la Mission desNations unies pour la stabilisation en Haï-ti (Minustah) et à la police haïtienne pourreprendre le contrôle des grands bidonvil-les de la capitale, bases des gangs lourde-ment armés qui faisaient régner la ter-reur, multipliant les kidnappings, les tor-tures, les viols et les assassinats. p

Jean-Michel Caroit

AnnéezéroHaïti

REPORTAGE PHOTO :JEAN-CLAUDE COUTAUSSE

POUR « LE MONDE »

30123Jeudi 28 janvier 2010

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«Selon unproverbe haïtien, lorsqu’on senoie, on ne regarde pas lacouleurdela mainqui voussauve du torrent» JeanMarieThéodat,géographe

Arrivée de troupes américaines, déposées par hélicoptère, sur la pelouse du palais présidentiel à Port-au-Prince, le 19 janvier.

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

E n Haïti, l’armée américaine restetoujours objet de suspicions… Mar-di 19 janvier, ses hélicoptères se

posent en force devant les ruines dupalais présidentiel à Port-au-Prince, afinde sécuriser l’hôpital de campagne qui yest installé. L’image choque immédiate-ment. Parmi les sinistrés qui campentsur la place présidentielle, les nerfs sont àfleur de peau. « Nous sommes dans unesituation de précarité alimentaire et sani-taire, et on nous envoie des soldats ! » lan-ce un jeune homme, le regard révolté.« Haïti n’est pas en guerre ! Nous avonsbesoin de nourriture, de solidarité, et nond’occupation ! »

Sous les encouragements, trois hom-mes partent à l’assaut des grilles dupalais pour y accrocher le drapeau natio-nal. « Les Américains apportent desarmes, des avions blindés, des hélicoptè-res, ils essaient de contrôler les ports et lesaéroports », s’emporte un sinistré. Enchœur, le groupe entonne en français,puis en créole, La Dessalinienne, l’hymnenational : « Pour le pays, pour les ancêtres,marchons unis. Dans nos rangs point detraîtres, du sol soyons seuls maîtres… »

Rouleau compresseurLa présence des Etats-Unis est « généra-

lement bienvenue », explique RotchildFrançois Junior, un journaliste haïtien.Dans les rues de Port-au-Prince, il n’estpas rare ainsi de voir des tee-shirts à l’effi-gie de Barack Obama. « Les Américainssont très utiles pour le moment. On sedemande comment on ferait sans eux »,ajoute le journaliste, reconnaissant toute-fois que « certains Haïtiens se demandents’ils ne sont pas là pour nous occuper défi-nitivement ».

Lorsque l’armée américaine a pris, aulendemain du séisme, le contrôle duminuscule aéroport de Port-au-Prince,rétablissant le trafic aérien, elle a privilé-gié ses propres avions, au détriment del’aide humanitaire. « Il s’agit d’aiderHaïti, il ne s’agit pas d’occuper Haïti », aalors lancé le secrétaire d’Etat français àla coopération, Alain Joyandet. Même lecommandant des casques bleus, le géné-ral brésilien Floriano Peixoto Vieira Neto,s’est irrité du rouleau compresseur amé-ricain.

Depuis, la diplomatie a fait son œuvre.Dimanche 24 janvier, casques bleus brési-liens et GI américains se sont retrouvésau petit matin dans le bidonville de Cité

Soleil, pour procéder, devant les camé-ras, à une distribution de nourriture.Habitués du quartier, les commandosbrésiliens contrôlent la foule et organi-sent les files d’attente, pendant que lessoldats américains distribuent desrations estampillées « Cadeau des Etats-Unis d’Amérique ».

« Il y a plein de nourriture, restez cal-mes ! », lance un soldat américain quepersonne ne semble comprendre. Unautre ne sait que faire de deux enfantsqui marchent à peine et qu’un père lui aconfiés, pour mieux progresser dans lafile d’attente. Observant la scène sur lecôté, le général Peixoto et son homolo-gue américain, le général Keen, fontassaut d’amabilités.

Trop présentes, les forces américai-nes ? « Nous sommes ici à l’invitation duprésident Préval », explique le gradé amé-ricain. « Mais nous avons besoin des trou-pes et de la logistique. Ce serait une tragé-die, si nous n’avions pas assez de forcespour nourrir les gens », insiste-t-il.

Andrew Salamo, un officier originairedu Midwest, qui commande 142 hom-mes, semble détendu. « Je me promènesans arme, sauf mon pistolet, et c’est pourne pas le perdre car je serais dans la m… »,dit-il. « L’histoire entre les Etats-Unis etHaïti, n’a pas toujours été jolie, mais noussommes ici pour aider », assure l’officier.« Dans les rues, les gens nous voient com-me des rock-stars, s’amuse-t-il, mais, onveut gagner leur respect en les aidant. »

Au large de Port-au-Prince, sur l’USNSComfort, un immense navire-hôpitalblanc, la présence américaine offre unautre visage. L’officier Mill Etienne, unneurologue de la marine, officie en créoleauprès de Haïtiens blessés, qui ont étéhéliportés. Sa famille a fui l’île alors qu’ilavait 5 ans. Passé par Yale et Columbia, il arejoint l’armée après les attentats du11 septembre 2001. « C’est un honneur derevenir aider le pays », explique-t-il. La sal-

le des urgences, impeccable, grouille deblessés dont les membres ont été écrasés.« On doit faire beaucoup d’amputa-tions », regrette le jeune neurologue.

Robert Fetherston, un chirurgien quicoordonne les salles d’opération, est aubord des larmes. « Je n’ai jamais vu ça… Jesoigne des enfants qui ont le même âgeque les miens… Parfois, je dois me cacherpour pleurer. » Plus loin, une infirmièremilitaire pousse une couveuse qui abriteun minuscule bébé. Son prénom estEsther. « Sa maman avait des os brisés, ona dû sortir le bébé pour la soigner, racon-te-t-elle. Elle est née un mois avant termemais elle s’en est bien sortie, et la mamanaussi. C’est génial de pouvoir aider, et c’estce qu’on fait. » p

Philippe Bolopion

Si l’aide humanitaire des Etats-Unis semble «généralement bienvenue», la formede leur intervention a irrité d’autres pays qui se sont aussi portés au secours de l’île

«L’ingérence»américaine

La diaspora

Amérique du Nord Officiellement, lesHaïtiens seraient au nombre de 430000aux Etats-Unis et 55000 au Canada.

France On dénombre officiellement40000 Haïtiens en métropole. Mais ilsseraient plutôt 50000 à 60 000, selonBogentson André, doctorant en démogra-phie à l’université de Paris-X-Nanterre,et entre 70000 et 90000, selon l’Agencehaïtienne pour le développement local(AHDL).

Caractéristiques L’essentiel de l’immi-gration est de nature économique plusque politique. 70% des Haïtiens installésen France avaient moins de 40ans lorsdu recensement de 1999. La majoritéd’entre eux sont des femmes.

Localisation Pour l’essentiel, ils sont ins-tallés en Ile-de-France: c’est en Seine-Saint-Denis que la communauté est laplus importante, puis dans le Val-d’Oiseet dans les Hauts-de-Seine.

Si l’arrivé de l’armée américaine à Port-au-Prince a éveillé une certaine méfian-ce chez beaucoup d’Haïtiens, c’est quele souvenir des années 1915-1934 restetrès présent dans ce pays profondé-ment attaché à son indépendance.C’est le 28juillet 1915, après le lynchagepar la foule du président Jean VibrunGuillaume Sam, que le président améri-cain Wilson décida l’envoi de marines àPort-au-Prince. Commence une périodede mise sous tutelle du pays, qui perd le

contrôle de son administration et de sesdouanes. La violence de l’occupation etle racisme de l’administration colonialeprovoqueront la colère de l’élite mulâ-tre, et, en réaction, un profond renou-veau de la fierté raciale. Rejetés par l’im-mense majorité de la population, lesAméricains quitteront le pays le 21août1934, mais ils reviendront à plusieursreprises, notamment en 1994, pourremettre au pouvoir le président Aristi-de, ou en 2004… pour le forcer à partir.

WashingtonCorrespondante

À VOIR leur président apparaître aussisouvent sur les écrans, les Américainsauraient pu croire que la catastrophes’était produite sur leur sol. Barack Oba-ma a d’entrée pris les choses en main.Une demi-heure après avoir pris connais-sance du séisme en Haïti, il publiait déjàun communiqué. Déclarant la situation« prioritaire », le président a retenu àWashington les secrétaires à la défense etaux affaires étrangères, dépêché l’un deses plus proches collaborateurs, DennisMcDonough, à Port-au-Prince pour coor-donner la communication. Dans les troisjours qui ont suivi le tremblement de ter-re, la Maison Blanche a débloqué 100 mil-lions de dollars, envoyé 10 000 soldats,un porte-avions muni de dix-neuf héli-coptères, et le navire-hôpital Comfort,équipé de douze salles d’opération.

Pour justifier son engagement enfaveur d’Haïti, Barack Obama a ajouté un

impératif moral au nom de l’« humanitécommune» partagée par tous les peuplesde la Terre. Pour l’image que les Améri-cains se font d’eux-mêmes, et pour celleque leurs voisins ont d’eux. C’est unequestion de leadership.

Autant qu’un impératif humanitaire,Haïti est pour les Américains un impéra-tif de sécurité nationale. A chaque soubre-saut concernant la Caraïbe, et notam-ment Cuba, ils redoutent un exode qui jet-terait des centaines de milliers de boatpeople vers la Floride, à 1 200km seule-ment. La réaction éclair du président a étébien accueillie aux Etats-Unis, à quelquesexceptions près. Même si les deux situa-tions n’ont rien à voir, le parallèle avecl’ouragan Katrina a été dressé, à son avan-tage – et à la grande satisfaction de la Mai-son Blanche. La critique la plus acerbe aété celle de Rush Limbaugh, l’animateurradio de l’ultradroite, qui l’a accusé decourtiser la communauté afro-américai-ne, à un moment où elle se sent délaisséepar son président «postracial ».

Haïti entretient une longue histoire–souvent tourmentée – avec les Etats-Unis, depuis la première campagne dejuillet1915, décidée par Woodrow Wilson,le précurseur des interventions arméesmenées au nom de la promotion de ladémocratie (l’occupation dura dix-neufans). Les Etats-Unis sont revenus en 1994,lorsque Bill Clinton s’est mis en tête derétablir au pouvoir le Père Jean-BertrandAristide, victime d’un coup d’Etat. Puis en2004, pour chasser le même Aristidedevenu un sanglant dictateur. A chaquefois, l’armée américaine a servi d’élémentavancé d’une force multinationale de l’Or-ganisation des Nations unies (ONU).

Saisie d’une ambition de faire «bien »,l’administration Obama promet cettefois un engagement à long terme pour enfinir avec un mal chronique. A unmoment où deux guerres drainent leursressources, il est difficile de faire repro-che aux Américains de prétendre à unequelconque nouvelle « occupation». p

Corine Lesnes

BarackObama, humanitaire et sécuritaire

Une longue histoire commune

HaïtiAnnéezéro4 0123Jeudi 28 janvier 2010

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«Auterrible grondementde la terre répond notre silence»Jean-ClaudeBajeux, directeurduCentreœcuméniquedesdroitshumains(CEDH)

Qu’ils soient catholiques, protestants ou adeptes du vaudou,les survivants remercient Dieu et les «esprits» de leur avoir sauvéla vie et attendent leur aide pour faire face à cette tragédie

Unpeuplehabitéparlareligion

Devant la cathédrale en ruines de Port-au-Prince, le 17janvier.

André Ismaite, «houngan» (prêtre vaudou), dans les décombres de son péristyle, lieu de danses et de prières,à Tabarre, dans les faubourgs de la capitale haïtienne, le 21 janvier.

AnnéezéroHaïti

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

T outes les nuits, après le tremble-ment de terre, des cantiques s’éle-vaient dans l’obscurité des camps de

réfugiés improvisés dans les quartiers dePort-au-Prince. Les invocations du vau-dou se mêlaient aux chants catholiques etprotestants. Frappés par un désastre apo-calyptique, blessés, livrés à eux-mêmes,les survivants remerciaient Dieu et lesloas, les esprits du vaudou, de leur avoirsauvé la vie.

Catholicismeen déclin, protestantismeen progrès, surtout sous ses formespentecôtistes, et vaudou omniprésent : lepeuple haïtien est profondémentreligieux. « Le vaudou aide les Haïtiens àfaire face à cette tragédie », affirme MaxBeauvoir, l’un des houngans (« prêtres »)les plus connus de cette religion d’origineafricaine.

Si le catholicisme demeure, la religionofficielle,pratiquée par54,7% delapopula-tion, selon une étude réalisée, en 2003, parle Fonds des Nations unies pour la popula-tion, le vaudou est considéré par de nom-breux experts comme la religion nationa-le d’Haïti. De nombreux Haïtiens qui sedéclarent catholiques pratiquent égale-ment le vaudou et « servent les loas », sur-tout dans les campagnes et les quartiersles plus pauvres.

Dans son ouvrage de référence Le Vau-dou haïtien (éd. Gallimard), publié en1958, l’ethnologue suisse Alfred Métrauxle décrivait ainsi : « Ensemble de croyanceset de rites d’origine africaine qui, étroite-ment mêlés à des pratiques catholiques,constituent la religion de la plus grandepartie de la paysannerie et du prolétariaturbain de la République noire d’Haïti. Sessectateurs lui demandent ce que les hom-mes ont toujours attendu de la religion :des remèdes à leurs maux, la satisfactionde leurs besoins et l’espoir de se survivre. »

Système cohérentCette religion a souvent été caricaturée

et réduite à des pratiques de sorcellerie,aux zombies et aux poupées vaudoues.« L’idée de base de cette religion est quetout, y compris la terre, a une dimensionspirituelle, un « esprit » », explique Eliza-beth McAlister, une spécialiste du vaudoude l’université de Wesleyan (Etats-Unis).La terre d’Haïti est considérée comme unemère. Pour certains, le séisme est sa révol-te face aux mauvais traitements, érosion,déforestation, dévastation de l’environne-ment, qui lui ont été infligés.

Sans pape ni doctrine, le vaudou estpourtant un système cohérent. « Chaqueesprit, ou loa, est comparable à un motdans une langue. L’ensemble des famillesde loas, dans leur opposition et leur com-plémentarité forme le panthéon du vau-dou », écrit le directeur de recherches auCNRS Laënnec Hurbon, dans son ouvrageLes Mystères du vaudou (éd. Gallimard).

Deux rituels se partagent le vaudou,célébré par des houngans et des mambosdans des houmfors (« temples ») qui ne

sont souvent que de modestes maisonsou des tonnelles. Les loas du « rite rada »,venu du Dahomey (Bénin), sont plusconciliants que ceux du « rite petro », plussévères.

Parmi les plus connus, souvent repré-sentés par les peintres naïfs, Agoué est ladivinité de la mer, Damballa symbolisel’eau et la fécondité, Erzulie, l’amour et lapureté, Guédé et Baron Samedi, la mort, etOgoun,le feuetla guerre.Ces loassont sou-

vent associés à un saint catholique. Lesloas se manifestent dans les rêves ou lors-que les fidèles entrent en transe et qu’unesprit s’empare temporairement de leurcorps. Pour obtenir leur protection, lescroyantsleur font desoffrandes de nourri-ture et de boissons. Les rites funérairestémoignent de l’importance des mortsqui peuvent apparaître en rêve pour don-ner des conseils ou des avertissementsaux survivants.

L’enterrementdedizainesdemilliersdecadavres dans des fosses communes sansobserver ces rites a ajouté une dimensionspirituelle à la tragédie provoquée par leséisme. « Les esprits des morts restent trèsproches des vivants, invisibles mais tangi-bles, habitant un univers parallèle del’autre côté de chaque miroir », soulignel’écrivain américain Madison Smartt Bell,auteur de plusieurs ouvrages sur Haïti.

Le dictateur François Duvalier s’est ser-vi du vaudou pour renforcer son pouvoir.« Papa Doc » a recruté nombre de houn-gans dans sa milice de tontons macoutes.La chute de son fils Jean-Claude, en 1986, aétésuivied’unechasseauxhoungans,asso-ciés au régime duvaliériste.

Les communautés ecclésiales (Ti Legliz)de l’Eglise catholique ont joué un rôleimportant dans la mobilisation populairequi a provoqué la chute de la dictature. Audébut des années 1980, Radio Soleil, la sta-tioncatholique, était àla pointe du combatcontre «Baby Doc». Mais le catholicisme asouffertdelafracture entrelabase, acquise

à la théologie de la libération, et la hié-rarchieconservatrice qui refusait l’engage-ment politique. Plus tard, la dérive autori-taire de Jean-Bertrand Aristide, ancien prê-tre salésien et « prophète des bidonvilles»devenu président, allait déboussolerdavantage les fidèles catholiques, notam-mentses partisansde la première heure ausein de la Ti Legliz.

Généreusement financées par les mis-sionnaires nord-américains, les sectes pro-testantes ont profité de ce désarroi. Selonle chercheur André Corten, le succès desEglisespentecôtistescommel’Arméecéles-tes’explique en partie par la récupérationde pratiques empruntées au vaudou tellesque « la croyance dans les visions ou laconception surnaturalisante du rêve ».

Naguèredominantauseinduprotestan-tisme, le baptisme a été rattrapé par le pen-tecôtisme. Comme l’observait déjà AlfredMétraux, le protestantisme apparaît, plusque le catholicisme, comme un refuge oùl’on est à l’abri de la colère des loas.p

Jean-Michel Caroit

Dimanche 17janvier, c’est jour de mes-se à Port-au-Prince. Mais les cloches dela basilique Notre-Dame ne sonnentplus. Elle n’est plus que gravats. Com-me si une bombe avait été larguée.Comme si le diable, dit la vieille Cécilia,paroissienne de longue date, s’étaitacharné à la détruire. «Il a réussi en par-tie, le vicieux! Les pierres ont ensevelil’intégralité de la chorale Sainte-Cécilequi était en train de répéter. Ils chan-taient, tous, si sincères, si vibrants,quand la terre a tremblé!Et ils sontencore là. Personne n’est venu lesdéterrer».Seule une grande croix blanche, à l’ex-trémité de l’édifice, a échappé au mas-sacre. Elle se dresse, triomphante, et

Cécilia y voit plus qu’un hasard: «Lemessage du Christ rédempteur! Il nousaime! Il continue de protéger Haïti !»Sur de nombreuses radios, ce matin, lesprédicateurs l’ont affirmé. «Les bontésde l’Eternel ne sont pas épuisées.»Mais enfin, ce séisme, ces victimes ?«Son mystère est immense, mais sasagesse infinie», répond une paroissien-ne, collerette immaculée et capelineassortie. «Que nous reste-t-il d’autreque la foi? Douter reviendrait à nouseffondrer d’un coup.» Près de la cathé-drale, un aveugle improvise à la guitare,d’une voix profonde et triste: «Pays cas-sé, pays fêlé. Mon père mourir, ma mèremourir. Pays qui tremble, pays si tendre.Si dur et si amer, pays qui saigne.»

Cinq jours après le séisme, c’est jour de messe à Port-au-Prince...

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«Ce qui a sauvé cette ville, c’est l’énergie des pluspauvres. Sanseux,Port-au-Princeserait restée uneville morte» DanyLaferrière,écrivain

Mirebalais (Haïti)Envoyée spéciale

I ls lancent des « bienvenus », mais ilssont bouleversés. Ils transformentleursmaisons, alignentlesmatelas,cui-

sinent pour douze au lieu de quatre, parta-genthabits, eau, nourriture,médicaments,et trouvent cela naturel. Mais ils sont fati-gués et pétris d’inquiétude. Recevoir sousleurs toits les réfugiés de Port-au-Prince,hagards et miséreux, a bousculé leur vie,irrémédiablement.

En moins de dix jours, la population deleur ville, Mirebalais, est passée de100000 à 150000 habitants. Sans trop devacarme. Sans même la création de cescampements immenses surgis à l’impro-viste dans chaque quartier de la capitale.Ici, la plupart des réfugiés du séisme du12janvier sont accueillis chez leur familleou des amis. Et se fondent dans le paysage.C’est dans les maisons individuelles et lesappartements, que s’est installé le chaos.Mais la pression démographique sur cettepetitevilledéjàtrèspauvredelarégionPla-teau central, située à une heure de voiturede Port-au- Prince, est de plus en plus lour-de. Mirebalais est au bord de l’asphyxie.

«Ils sont partout!, dit le maire de la ville,Lochard Laguerre. Pas une famille quin’abrite au moins un réfugié du séisme. J’enai accueilli quinzechez moi. La moitié a per-du entièrement leur maison ; celles des

autres sont fendillées et s’écrouleraient à lamoindre secousse. Bien sûr, qu’il leur fallaitfuir Port-au-Prince ! Ils ont tant vu et tantsouffert ! Et il nous fallait les accueillir, cesont nos parents, nos cousins. »

Dès le lendemain du tremblement, lamunicipalité a envoyé trois autobus cher-cher dans la capitale des proches des habi-tants de Mirebalais. Et cela a continué ainsijusqu’au24janvier.Lesbusrevenaientbon-dés. Certains réfugiés étaient lestés de sacs,valises,matelas.D’autresneportaientrien.Rien que les vêtements dans lesquels lesavaient surpris « la grande catastrophe ».

« J’ai fait passer mon numéro de porta-ble à Signal FM, la radio actuellement laplus écoutée de Port-au-Prince, raconte lemaire.Iln’aplusarrêtédesonner.Mesadmi-nistrésm’appelaientpourmesignalerl’arri-vée de dix ou vingt personnes. Des sinistrésme demandaient de leur trouver un lieu,chose quasi impossible puisque nos écoleset églises sont fissurées et que je ne peux pasprendre le risque de les y loger. » Aujour-d’hui qu’ils sont là, on le presse de SOS endemandant de l’eau, de la nourriture, desmédicaments. « On m’appelle même lanuit, alors que je n’ai quasiment pas d’aide.Cetteville avec untaux de chômagede 60%estdéjà si pauvre! Jusqu’où peut-elle encores’appauvrir?»

Les seules aides matérielles sont venuesdeplusieurscitésdela Républiquedomini-caine avec lesquelles la ville entretient des

relations étroites depuis le dernier cyclonedévastateur. Des familles ont pu recevoirun peu de riz, de pois, de lait, de manioc, depatates. Les grandes ONG, concentrées surPort-au-Prince, n’ont pas encore pensé àMirebalais. Pourtant il y a urgence. L’ONUestime à 235 000 le nombre actuel demigrants. L’Organisation pour l’alimenta-tionetl’agriculture(FAO)pensequecechif-fre pourrait atteindre le million.

Un groupe de jeunes gens arborant untee-shirt blanc « Solidarité » se presse aurez-de chaussée de la mairie. Ils ont l’inten-tiond’accueillir àMirebalais300 étudiantsde Port-au-Prince. « On a perdu tantd’amis! dit le jeune Pierre Rigaud Dubuis-son. Des dalles de l’université ont écrasé desclasses entières d’étudiants. Les maisons denos parents sont surchargées ? Alors, déga-geons un lieu public !» Ils ont envie « d’êtreenfin des citoyens » dans un pays dont lesgouvernants ont tout fait pour « dérespon-sabiliser» sa population.

A l’hôpital de la ville, on vous raconte legrandchaosdespremiersjours.Cinqcents,800, puis 1 000 blessés ont voyagé depuis

Port-au-Princedansdesconditionseffaran-tes et débarqué avec des fractures ouverteset des plaies infectées. Les médecinscubains, en majorité parmi le personnelsoignant, n’avaient jamais vu cela.

Jeune docteur haïtien effectuant à lafaculté de LaHavane une spécialisation enorthopédie-traumatologie, Johnny Millers’est vu ordonner, par le gouvernement deCuba, de rentrer d’urgence dans son paysparticiper aux secours. « C’est une idée deFidel Castro, dit-il. Il a déclaré qu’il fallaittout faire pour Haïti et qu’il valait mieux yenvoyer des médecins que des soldats. » Il ya en tout cas vécu l’expérience de sa vie.«On manquait de produits, d’instruments;on improvisait comme on pouvait, utili-sant du carton, des planches, des branchespour étirer un membre. Et on a dû amputer,confrontés à la gangrène. »

Les orphelinats aussi perçoivent l’ondede choc des sinistrés de Port-au-Prince. Desparents frappent chaque jour à leur porte,un bébé dans un linge, ou tenant par lamain, un petit marchant à peine. « C’esttrèsdur, maisjedis non! », raconteMathieuCenoble, le directeur de la crèche d’HaïtiChildren’s Home, située à la périphérie dela ville. « Nous avons déjà 46 enfants, dontsept handicapés que personne, jamais, nevoudra adopter. La banque par laquelle jereçois l’argent de l’étranger est fermée. Jen’ai plus de quoi nourrir ni soigner mesenfants. Que vais-je faire ?»

Une organisation dominicaine livre unpeud’eau,degazetdenourriture.Maisl’en-droit, dénué de moyens, écrasé de chaleuret d’ennui, est plus que déprimant. « Gar-dez-nous l’enfant deux ou trois mois, letemps qu’on se retourne », supplient lesparents qui accourent. « Et comment jeferai, moi ?, interroge Mathieu Cenoble. Jene peux pas être irresponsable ! Ah, cespleurs de mamans à qui je ferme la porte… »

La place principale de la ville grouille demonde. Les commerçants du centre-villeprofitent bien sûr un peu de cet exode cita-din.Maislesstockss’épuisent,ditlarespon-sable de la supérette Saint-Pierre. On n’estpluslivré. Etpuis tous cesgens quidisent lemalheur…

Le mairea bienunepetite idée pour sau-ver sa ville promise à la faillite. «Faisons deMirebalais la nouvelle capitale du pays ! »Les géologues, dit-il, citent le Plateau cen-tral comme l’endroit le moins exposé auxséismes du pays. Prenons donc une déci-sion sage ! « Des ministres préfèrent dormiricietfairechaquematinlevoyageàPort-au-Prince. Evitons-leur ces déplacements etreconstruisons, ici, ministères et adminis-trations. Port-au-Prince deviendrait villemusée avec son palais présidentiel éventré,qu’il ne faut surtout pas réhabiliter, et quiservirait de message aux générations àvenir. Et créons, à Mirebalais les milliersd’emplois dont elle a un besoin vital.» p

Annick Cojean

En moins de dix jours, la population de Mirebalais, à une heurede voiture de Port-au-Prince, est passée de 100 000 à 150 000 habitants.Les sinistrés tentent de rejoindre leur famille et leurs proches

Laquêted’unrefugeàtoutprix

«Faisons deMirebalais lanouvellecapitale du pays!»

Lochard Laguerremaire de Mirebalais

HaïtiAnnéezéro

Dans ce qu’il reste du port,des habitants de Port-au-Prince

tentent de quitter la capitalepar bateau, le 19 janvier.

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Queva-t-il advenir d’un Etat dontlafaiblesseétaitdéjàpatente bien avantle séisme?

«L’Haïti quej’ai connue est morte. Une nouvelle Haïti va naître»RaoulPeck, cinéaste,ancienministredelacultured’Haïti

La moitié des bâtiments dans la région de Port-au-Prince ont été détruits.

Le séisme a laissé un million de sans-abri. Seule résolution:ne pas reconstruire à l’identique. Quatre à cinq ans seraientnécessaires avant d’espérer pouvoir dessiner un nouveau pays

Rebâtirpourcontinueràvivre

Port-au-PrinceEnvoyé spécial

LE PALAIS présidentiel, le palais de justiceet le Parlement figurent parmi les milliersd’édifices détruits par le tremblement deterre qui a dévasté Haïti. Les sièges destrois pouvoirs de l’Etat ne sont plus quedes décombres, comme la plupart desministères. Réfugié dans le local de la poli-ce judiciaire, le président haïtien, RenéPréval, a été privé de moyens de commu-nication pendant près de 48heures.

Critiqué pour son manque de lea-dership dans les heures qui ont suivi lacatastrophe, il a rétorqué : « L’Etat a étéparalysé en une minute, nous sommestous des réfugiés.» Plutôt que de faire latournée des centaines de camps de sans-abri, il s’est efforcé de reconstituer unembryon d’équipe gouvernementale afinde coordonner l’aide internationale.

L’Etat haïtien était déjà extrêmementfragile avant le séisme. La présence de laMission des Nations unies pour la stabili-sation en Haïti (Minustah) limitait de faitsa souveraineté. Et une multitude d’ONG,mal coordonnées et à l’efficacité parfoisdouteuse, se substituait à l’Etat défaillantdans de nombreux domaines.

Le tremblement de terre a décimé lescadres administratifs, les responsablespolitiques et l’intelligentsia. Fils de l’histo-rien Roger Gaillard, porte-parole du partisocial-démocrate Fusion, Micha Gaillard aété tué lors de l’effondrement du palais dejustice. Il servait de pont entre l’opposi-tion et le président Préval. MonseigneurJoseph Miot, archevêque de la capitale, leleader politique Hubert Deronceray, legéographe Georges Anglade, le linguistePierre Vernet, l’économiste Philippe Rou-zier: la liste des personnalités tuées par leséisme n’a cessé de s’allonger. La mort de

Myriam Merlet, de Magalie Marcelin etd’Anne-Marie Coriolan a décapité le mou-vement féministe. De nombreux musi-ciens, des peintres et des sportifs ont périsous les décombres.

Le chef de la Minustah, le TunisienHédi Annabi, figure aussi parmi les victi-mes. Moins d’une semaine avant le séis-me, il soulignait « l’importance capitalepour l’avenir du processus démocratiqueet la consolidation de la stabilité en Haïti»des élections législatives prévues le28février. Ce scrutin ne pourra pas avoirlieu et personne n’a encore évoqué l’élec-tion présidentielle qui devrait être organi-sée à la fin de l’année.

Au cours des mois précédant le séisme,la situation s’était sensiblement amélio-rée. Le démantèlement des principauxgangs et la présence de la police et des cas-ques bleus dans les bidonvilles avaientfait reculer l’insécurité. L’économie avait

repris le chemin de la croissance, une par-tie de la dette extérieure avait été annu-lée, des projets hôteliers étaient en chan-tier. L’ancien président américain Bill Clin-ton, nommé envoyé spécial de l’ONU enHaïti, avait attiré près d’une centaine d’in-vestisseurs potentiels dans l’île.

Les manœuvres électorales faisaientcraindre un regain d’agitation, après l’ex-clusion du scrutin de la Famille Lavalas, leparti de l’ancien président Jean-BertrandAristide, exilé en Afrique du Sud. Mais leremplacement du premier ministreMichèle Pierre-Louis par Jean-Max Belleri-ve s’était fait sans heurts. Ce technocrateapprécié des bailleurs de fonds a assuréque l’Etat haïtien serait en mesure « d’as-surer le leadership que la populationattend de lui», tout en appelant la commu-nauté internationale « à maintenir sonappui massif à moyen et à long terme ».p

Jean-Michel Caroit

S ans attendre la fin de la phase d’ur-gence, la renaissance d’Haïti s’orga-nise. La tâche est colossale : le séis-

me a détruit la moitié des bâtiments dansla région de Port-au-Prince et a laissé unmillion de sans-abri. Les détails du plande reconstruction doivent être discutéslors de la Conférence des donateurs pré-vue au mois de mars au siège de l’Organi-sation des Nations unies (ONU), à NewYork, sur la base de l’état des lieux menépar la Banque mondiale, l’ONU et l’Unioneuropéenne. « Il y a un accord pour dire

que l’exercice ne peut pas se faire qu’entreEtats et organisations internationales,indique une source diplomatique françai-se. Il faut impliquer les ONG, le secteur pri-vé, la diaspora. Tous ont leur rôle à jouer àcondition de trouver une bonne divisiondu travail. »

Déjà, une résolution s’est imposée : iln’est pas question de rebâtir à l’identiqueune ville surpeuplée, composée aux troisquarts de bidonvilles accrochés à flanc deravines et dont moins d’un tiers des loge-ments étaient raccordés à un système

d’assainissement et desservis en eaupotable. « Cette catastrophe nous donnel’opportunité de reconstruire d’unemanière plus durable, avec de meilleuresnormes parasismiques, des règles d’urba-nisme et de construction adaptées aux ris-ques naturels », estime Sergio Jellinek,porte-parole de la Banque mondiale pourles Caraïbes. L’ONU, les banques de déve-loppement et les ONG auront ainsi pourmission de « renforcer les capacités » dupersonnel haïtien : participer à la défini-tion de nouveaux règlements, former les

fonctionnaires, les architectes, lesmaçons.

Pour le gouvernement haïtien, qui aaffiché, lundi 25 janvier, lors de la réu-nion des « amis d’Haïti » à Montréal, auCanada, sa détermination à garder lecontrôle des opérations, la reconstruc-tion doit aussi être l’occasion de désen-gorger la capitale en mettant fin à une« centralisation excessive » qui a eu poureffet de « lui faire perdre 60 % de son pro-duit intérieur brut [PIB] en quelques secon-des », a indiqué le premier ministre, Jean-

Max Bellerive. « Cette reconstruction tou-chera l’ensemble du pays et nous devonspenser à relocaliser une partie de la popu-lation », a-t-il ajouté.

A Croix-des-Bouquets, à 17 km de Port-au-Prince, la Banque interaméricaine dedéveloppement a déjà prévu de construi-re des maisons en dur pour 30 000 per-sonnes sur le site d’un camp de déplacés.Mais éloigner les populations pauvres ducentre-ville apparaît risqué à de nom-breux experts du développement. « Lareconstruction va se heurter au manquede terrain plat, mais on ne peut pas chas-ser les gens des collines, proches des cen-tres économiques, des ressources en eau »,estime George Deikun, à l’ONU-Habitat.

Des organisations internationales évo-quent aussi le risque de voir les dizainesde « villages » de tentes de 10 000 habi-tants dressés dans la plaine à des kilomè-tres de Port-au-Prince se consolider etdevenir des bidonvilles condamnés à l’as-sistance humanitaire.

Absence de ressourcesPeut-on reconstruire à prix modique

un habitat sécurisé sur les collines dePort-au-Prince ? Pour la fondation Archi-tectes de l’urgence, dont le président,Patrick Coulombel, s’est rendu sur placeau lendemain du séisme : « Quand on n’apas de moyens et très peu de matériaux, ilfaut construire léger et bas ; on peut met-tre en place des systèmes d’autoconstruc-tion qui reviennent à 2 000 euros par mai-son. » L’association américaine Habitatfor Humanity prévoit, quant à elle, debâtir dans la capitale haïtienne des mai-sons en acier, résistantes aux séismes etéquipées de réservoirs d’eau et de toilet-tes, pour un coût de 3 000 dollars. Pointcommun des deux ONG : les habitantsseront formés à bâtir eux-mêmes ces loge-ments et rémunérés pour leur travail.

Jusqu’à 220 000 personnes devraientêtre employées par l’ONU et par l’ONGaméricaine CHF International, selon ceprincipe de cash for work, pour participeraux travaux de déblaiement des ruines etde reconstruction. Ils toucheront un salai-re de 5 dollars par jour, ce qui pourraitassurer la subsistance d’un million de per-sonnes au total, dans un pays où 76 % de lapopulation vit avec moins de 2 dollars parjour. Le Programme des Nations uniespour le développement (PNUD) a lancé unappel de fonds d’urgence de 41 millions dedollars pour alimenter l’opération.

Bien malin qui peut dire aujourd’huicombien coûtera la reconstruction d’Haï-ti, alors que l’absence de ressources surplace va obliger à importer de nombreuxmatériaux et que les infrastructures man-quantes mêlent étroitement les destruc-tions dues au séisme et les besoins struc-turels du pays. Seule certitude, le chiffrede 10 milliards de dollars évoqué, le 18 jan-vier, par le président de Saint-Domingue,Leonel Fernandez, est déjà dépassé.

Pour M.Bellerive,une période de transi-tion « de quatre à cinq ans » sera nécessai-re pour revenir à la situation qui prévalaitavant le séisme, avant d’espérer construi-re ce « nouvel Haïti » dont le visage reste àdessiner. p

Grégoire Allix

Les émigrés sont aussi appelésà se mobiliser

AnnéezéroHaïti

Le premier ministre d’Haïti, Jean-MaxBellerive, a appelé les émigrés haïtiensà participer activement à la renaissan-ce de leur pays d’origine: «Il n’y a pasd’autre solution aujourd’hui qu’une inté-gration de la diaspora à la reconstruc-tion. Il n’y a plus de ressources humai-nes suffisantes pour reconstruire lepays.» Au-delà des compétences desélites haïtiennes réfugiées à l’étranger,c’est l’argent de cette diaspora qui inté-resse Haïti. Plus de 3millions d’Haïtiensvivent hors de leur pays, principale-ment en Amérique du Nord, en Républi-que dominicaine, dans les Antilles et enFrance. Le montant des transferts defonds envoyés chaque année par cesémigrés à leurs proches n’a cessé decroître depuis les années 1990, pouratteindre en 2008 la somme record de1,2milliard d’euros. Ces envois sontessentiels à la survie d’un grand nom-bre de familles haïtiennes et à l’équili-bre du pays : ils représentent, selon lesannées, entre un quart et un tiers duPIB. La crise mondiale avait provoquéun repli de ces transferts en 2009. Leséisme pourrait les faire rebondir.

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Page 8: Dossier - lesmorenantislesmorenantis.org/files/20100128_DOS_ANNEE_ZERO.pdf · 2017. 11. 10. · 1791 Début de la révolte des esclaves, pre-mier actedela révolution de Saint-Domin-gue.Une

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Après le séisme sans précédent survenu en Haïti,Le Monde, avec France Télévisions et

Radio France, s’associe à la Fondation de Francepour venir en aide aux millions de sinistrés.

Apportez-leur votre aide. Faites un don.D Par chèque à l’ordre de Fondation de France - Solidarité Haïti

à envoyer à l’adresse suivante : Fondation de France, boîte postale 22, 75008 Paris

D Ou directement par Internet sur le site

www.fondationdefrance.org

Crédit photo : Thony Belizaire/AFP

L ’ampleur du désastre qu’estle séisme du 12 janvier estaujourd’hui connue. Le choc

est si puissant qu’il constitue untraumatisme profond pour lesindividus comme pour la collecti-vité. Même si l’on se mettait à ima-giner que, dans le court terme, lepays pourrait reprendre une vienormale grâce à l’afflux massif del’aide internationale – ce qui meparaît peu probable –, les veinesdu pays resteraient encore ouver-tes pendant plusieurs décennies,pourreprendrelaformuled’Eduar-do Galeano à propos de l’Améri-que latine.

Des questions essentiellesdemeurent. Quelle est la place réel-le de la coopération internationaledans le relèvement du pays ? Peut-il penser son avenir en dehors de laperspective d’une reconstructionde l’Etat ? Et cette reconstructionest-elle possible si la communautéinternationale doit prendre appuisur le seul gouvernement actuel?

Tout laisse à penser que nousserions en Haïti à l’an zéro de sonhistoire et qu’il devient difficile devivre indéfiniment dans le seul res-sassement des gloires passées de laguerre de l’indépendance. Une rup-ture s’impose avec notre manièred’habiter le pays, mais cette ruptu-re ne se produira pas automatique-ment sur la seule base du choc bru-tal du séisme ni dans l’oubli de lasituation qui prévalait avant lacatastrophe.

La caractéristique principale del’Etat haïtien a été son impuissanceà répondre à un certain nombre derevendications de base expriméesdepuis la chute de la dictature en1986 : scolarisation universelle(15 % seulement des écoles sontpubliquesetl’analphabétismes’élè-ve à environ 50%), relance de l’en-seignement supérieur et de larecherche, demande d’électricité etd’eau potable (38 % de la popula-tion y ont accès), demande de sécu-rité pour le citoyen et la propriété,luttecontrelacorruptionetl’impu-nité relative au vol des bienspublics et aux actes de banditisme.

Emmuré dans la capitale quiregroupe le tiers de la population,l’Etat haïtien a abandonné les villeset les campagnes à elles-mêmes; ilafonctionnécommeunEtatàdeuxvitessesacceptantunesorted’apar-theid social avec une majoritéd’Haïtiens comme citoyens deseconde zone. En effet, 5 % de lapopulation disposent de 50% de la

richesse nationale, et 55 % viventavec moins de 1 dollar par jour. Onsesouvientquelesdiscoursenflam-més d’Aristide surfaient sur cettesituationde misèredesbidonvilles,danslesquelsvivent1 500000Haï-tiens à Port-au-Prince.

Qu’en est-il du régime de Prévaljuste avant le 12 janvier? La contes-tationquiseradicalisaitàl’universi-té d’Etat suite à l’assassinat d’unprofesseur de la faculté des scien-ceshumaines, leader des étudiants,juste une heure avant le séisme,commençait à s’étendre dans plu-sieurs secteurs.

Presque tous les partis politi-quesmettaientenquestionlalégiti-mité du conseil électoral provisoi-re, reprochaient à l’exécutif sonrefus de reconnaître la moindreautonomieauxcollectivitésterrito-rialescommeleprévoitlaConstitu-tion, et donc la volonté de centrali-ser toutes les décisions importan-tes depuis le palais national, com-meparexemplelaprolongationdumandat des députés au-delà desquatre ans prescrits.

Bref, cette politique partisanehabilléedu langage de la stabilité etde la continuité… du pouvoir estune hypothèque qui pèse sur lanécessaire reconstruction de l’Etat.L’injection massive d’argent et debiens matériels (nourriture, médi-caments, maisons préfabriquées,etc.), le redressement des murs desbâtimentspublicsnepeuventsuffi-re à remettre debout l’Etat effondréavec ses symboles (palais national,Parlement, ministères, directiondesimpôts, douane, etc.). Pour pen-ser la reconstruction de l’Etat enHaïti, il y a des conditions incon-tournables qu’il convient de met-tre en place face à la situation abso-lument inédite créée par le séisme.

Tout d’abord, le silence total dugouvernement et son désarroidans les premiers jours de la catas-trophe sont symptomatiques d’unEtat imprévoyant, pourtant avertide l’imminence du tremblementde terre. Certes, vu sa magnitude,celui-ci aurait causé de toute façondes dégâts importants ; mais lapopulation a ressenti qu’elle étaitlivrée à elle-même sans recours.

L’aide internationale peut-elleproduire des effets positifs dura-bles en s’appuyant sur un partenai-re défaillant? Si l’on admet que lespays donateurs ne doivent pas êtredesEtats quiviennentse substitueràl’Etathaïtien,outoutsimplementle coiffer, il faudra, sur la base d’unsursaut de la société civile et despartis politiques (mais pas demanière irénique), proposer demettreen place une représentativi-ténationaleregroupanttouslessec-teurs et toutes les catégories socia-

les, en vue d’un partenariat avec lacommunauté internationale.

Le risque d’unemise sous tutellede facto n’est pas à écarter avec ungouvernement haïtien falot, quidéjà ne disposait d’aucun plan degouvernement, ni d’aucun pro-gramme. Ce que représente Haïtidansl’histoiredudroitetdelaliber-té ne doit pas disparaître ni subirune dilution : la révolution anties-clavagiste et anticoloniale qui don-na naissance à l’Etat indépendantd’Haïtiavaitétéeneffetunesecous-se importante pour les grandespuissances, au point qu’il avait fal-lu mettre en quarantaine le nouvelEtat. Les Etats-Unis, par exemple,n’ont reconnu l’indépendanced’Haïti qu’en 1861.

Ensecondlieu, ilrevientàl’Orga-nisation des Nations unies (ONU)de prendre en charge l’aide à lareconstruction de l’Etat, sinon lespays donateurs fonctionneronthors de tout contrôle juridique; ilspeuvent être ainsi entraînés dansdespratiquescaritativessanslende-main qui aboutiront à renforcer lemême type d’Etat corrompu,dérégulé, indifférent au bien com-mun et à l’ensemble des citoyens.

Entroisième lieu, il est indispen-sable de faire appel aux cadres etintellectuels de la diaspora haïtien-ne, qui peuvent être efficaces dansle projet de reconstruction de l’Etaten mettant à profit leurs expérien-ces et leurs compétences. La politi-que qu’il convient de promouvoir

devra donner la priorité à l’éduca-tion, négligée depuis deux centsans, ainsi qu’à un système de jus-tice qui reconnaisse enfin lacitoyenneté effective de tous lesHaïtiens sans exception, et à unenouvelle focalisation sur la ques-tion centrale de l’environnement,permettantderendrelepaysdésor-mais habitable, sans oublier unevéritable autonomie des collectivi-tés territoriales.

A vrai dire, dans cette perspecti-ve, il s’agit non plus d’une simplereconstruction de l’Etat, mais de sarefondation sur des bases nouvel-les, si l’on prend la mesure de l’ini-maginable catastrophe qui a frap-pélepays.Unetâcheaussigigantes-que a besoin non seulement de

l’aide internationale, mais aussi duconcours de la société civile mon-dialequiasudéjàmanifestersasoli-darité avec les souffrances du peu-ple haïtien et qui par conséquentlaisse entrevoir un nouveau visagepossible de la mondialisation.

L’on sait que la société haïtien-ne dispose de capacités de se rele-ver face à l’Etat effondré, car on aassisté à de nombreux gestes departage entre les survivants danstous les quartiers ; bien plus, lepays dispose des ressources d’unriche imaginaire et d’une grandecréativité culturelle. Autant designes d’un espoir qui ne doit pasêtre déçu et qui ne saurait secontenter de l’aide matérielle, aus-si nécessaire soit-elle. p

Lerisqued’unemise

soustutelle de facton’est pasàécarter avecungouvernementhaïtienfalotqui,déjà,ne disposaitd’aucunplandegouvernement»

«Genèse de l’Etat haïtien»,Laënnec Hurbon (codirigé avecMichel Hector), éditions de laMaison des sciences de l’homme,2009, 22 euros.«L’Enigme du retour», DanyLaferrière, Grasset (prix Renau-dot 2009), 18 euros.«Yanvalou pour Charlie»,Lyonel Trouillot, Actes Sud (prixWepler 2009), 19 euros.« La Couleur de l’aube », YanickLahens, éd. Sabine Wespieser,2008, 20 euros.

«Adieu mon frère», Edwige Dan-ticat, Grasset, 2008, 19,90euros.«Banal oubli», Gary Victor, Ventd’ailleurs, 2008, 16 euros.« Hadriana dans tous mesrêves», René Depestre,Gallimard (prix Renaudot 1988),11,43 euros.« Nouvelles d’Haïti », Magellanet Cie, 2007 (en partenariat avecCourrier international), 12 euros.A paraître en février :«Saison sauvage», Kettly Mars,Mercure de France, 18,80 euros.

L’étape essentielle à la reconstruction du pays est la mise sur pied, avec l’aidede la communauté internationale, de nouvelles politiques donnant la priorité,en particulier, à l’éducation, à la justice et à l’environnement

Refonderl’Etat,unenjeuhistorique

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LaënnecHurbonDirecteur de rechercheau CNRS, professeurà l’université Quisqueya(Port-au-Prince).

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