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Voilà six ans maintenant que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 (JO 24 mars) a créé au sein du Code civil un Livre quatrième intitulé « Des sûretés ». Le code de 1804 ne consacrait que quelques chapitres disparates à la matière ; la voici livre entier. Dans l’ordre des symboles, la petite baronnie a été faite principauté, en reflet de l’importance qu’a prise la matière au plan pratique et des progrès corollaires de sa conceptualisation théorique. S ’agissant de l’essor pratique de la matière, je n’ai pas de chiffre à livrer. Mais on peut le démontrer autrement que par des statistiques. L’essor phénoménal de la richesse mobilière au cours des deux siècles derniers est un fait incon- testable. Il n’est pas davantage contes- table, me semble-t-il, qu’il a été permis par l’essor de l’industrie et du commerce. Or la croissance écono- mique suppose le crédit, et le crédit n’est raisonnablement possible qu’avec une prise de garantie. Pour favoriser le financement de projets prometteurs, une étape majeure a été le développement de sûretés nou- velles. En particulier, à partir du moment où il est devenu possible de 56 DROIT & PATRIMOINE N°213 - AVRIL 2012 constituer aisément des garanties sur les fruits attendus de la croissance financée ou sur les actifs actuels sans en bloquer l’usage, on a permis l’en- clenchement d’un cercle vertueux. Ce besoin de sûretés mobilières sup- posait une évolution du droit civil de 1804. L’évolution s’est longtemps produite en dehors du Code civil. Elle s’est incarnée dans le droit pré- torien et dans des lois spéciales. Le droit spécial des sûretés n’a cessé de s’enrichir depuis le XIX e siècle: nan- tissement de fonds de commerce, war- rant en magasin général, warrant agricole, warrant pétrolier, hypo- thèque maritime, hypothèque d’aé- ronef, gage automobile, nantissement de matériel et d’outillage, nantisse- ment de films cinématographiques, nantissement de logiciels, nantisse- ment de parts sociales, nantissement d’actions, gage de compte d’instru- ments financiers. Il suffit de consulter la table des matières de l’ouvrage qui, en 1953, fut consacré au «gage com- mercial» pour s’apercevoir combien l’évolution a été constante (1). Au fur et à mesure que des espèces de biens nouveaux venaient à entrer dans le commerce, il semblait qu’ils appe- laient une législation spéciale permet- tant de les offrir en garantie autrement que selon les modes du droit civil. Des biens de toute éternité, comme les produits agricoles ou les navires, faisaient l’objet d’un même traite- ment. Ainsi, de très nombreuses varié- tés de biens ont été pourvues d’une législation spéciale dont le trait com- mun était de permettre de les consti- tuer en sûreté, sans faire perdre au constituant la possibilité de les exploi- ter. Car tel était bien l’obstacle majeur de la seule sûreté mobilière que le Code civil envisageait: le gage des articles 2071 et suivants du Code Napoléon supposait ad validitatem une dépossession du constituant (2). Il s’agissait d’un contrat réel, exigeant au surplus une dépossession continue pour demeurer opposable aux tiers (C. civ., art. 2076). Outre sa lourdeur, cette exigence était peu conciliable avec une gestion dynamique du bien offert en garantie. La pratique avait bien trouvé des accommodements, notamment par le recours à un tiers convenu, mais l’en- semble restait laborieux et coûteux. Le gage du code civil était anti éco- nomique. Ces difficultés gâtaient pareillement le droit des sûretés incorporelles. Le Code Napoléon ne disait presque rien du nantissement de créance; seuls les articles 2075 et 2081 le mention- naient. Les créances relevaient donc du gage de droit commun, avec son exigence de dépossession (3). En outre, le formalisme d’opposabilité Notes (1) J. Hamel (dir.), Le gage commercial: études de droit commercial, Dalloz, 1953. Après une grande étude historique du gage écrite par Jean Foyer, l’ouvrage s’égrainait en articles sur « le gage sur instruments symboliques » (i.e. sur titres représentatifs d’une marchandise ou d’une créance), « le warrant des magasins géné- raux », « la loi “Malingre” » (gage de véhicule automobile), « l’hypothèque sur les navires, les bateaux et les aéronefs », « le warrant hôtelier, le warrant pétrolier, le warrant stock », « le nantisse- ment sur les films cinématographiques (loi du 22 fé- vrier 1944) », « le warrant industriel », « la loi du 18 janvier 1951 relative au nantissement de l’ou- tillage et du matériel d’équipement », « le nantisse- ment des valeurs mobilières», «le nantissement des marchés », « la mise en gage des polices d’assurance sur la vie ». (2) Cass. civ., 18 mai 1898, S. 1898, 1, p. 433, note G. Lyon-Caen, DP 1900, I, p. 481, note L. Sarrut: « Vu l’article 2071 du Code civil; At- tendu, en droit, que le contrat de gage étant un contrat réel, il est de l’essence même de ce contrat que la chose donnée en gage soit mise en possession du créancier ou d’un tiers convenu ». (3) Cass. req., 11 juin 1846, .. 1846, I, p. 252: « Attendu, en droit, 1° qu’il est de l’essence même du contrat de nantisssement que la chose donnée en gage soit mise en la possession du créancier ou d’un tiers convenu; que si donc cette chose est une créance, il est nécessaire que le débiteur ait effectué la remise du titre constitutif de cette créance, à une époque où il avait le droit de la donner en gage ». Dossier Premier bilan de la réforme Par Philippe Stoffel- Munck, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1)

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Voilà six ans maintenant que

l’ordonnance n°  2006-346 du

23  mars 2006 (JO 24  mars)

a créé au sein du Code civil un

Livre quatrième intitulé «  Des

sûretés ». Le code de 1804 ne

consacrait que quelques

chapitres disparates à la

matière  ; la voici livre entier.

Dans l’ordre des symboles,

la petite baronnie a été faite

principauté, en reflet de

l’importance qu’a prise la

matière au plan pratique et

des progrès corollaires de sa

conceptualisation théorique.

S’agissant de l’essor pratique dela matière, je n’ai pas de chiffreà livrer. Mais on peut ledémontrer autrement que par

des statistiques. L’essor phénoménalde la richesse mobilière au cours desdeux siècles derniers est un fait incon-testable. Il n’est pas davantage contes-table, me semble-t-il, qu’il a étépermis par l’essor de l’industrie et ducommerce. Or la croissance écono-mique suppose le crédit, et le créditn’est raisonnablement possiblequ’avec une prise de garantie. Pourfavoriser le financement de projetsprometteurs, une étape majeure a étéle développement de sûretés nou-velles. En particulier, à partir dumoment où il est devenu possible de

56 D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012

constituer aisément des garanties surles fruits attendus de la croissancefinancée ou sur les actifs actuels sansen bloquer l’usage, on a permis l’en-clenchement d’un cercle vertueux.

Ce besoin de sûretés mobilières sup-posait une évolution du droit civil de1804. L’évolution s’est longtempsproduite en dehors du Code civil.Elle s’est incarnée dans le droit pré-torien et dans des lois spéciales. Ledroit spécial des sûretés n’a cessé des’enrichir depuis le XIXe siècle�: nan-tissement de fonds de commerce, war-rant en magasin général, warrantagricole, warrant pétrolier, hypo-thèque maritime, hypothèque d’aé-ronef, gage automobile, nantissementde matériel et d’outillage, nantisse-ment de films cinématographiques,nantissement de logiciels, nantisse-ment de parts sociales, nantissementd’actions, gage de compte d’instru-ments financiers. Il suffit de consulterla table des matières de l’ouvrage qui,en 1953, fut consacré au «�gage com-mercial�» pour s’apercevoir combienl’évolution a été constante (1). Au furet à mesure que des espèces de biensnouveaux venaient à entrer dans lecommerce, il semblait qu’ils appe-laient une législation spéciale permet-tant de les offrir en garantie autrementque selon les modes du droit civil.Des biens de toute éternité, commeles produits agricoles ou les navires,faisaient l’objet d’un même traite-ment. Ainsi, de très nombreuses varié-tés de biens ont été pourvues d’unelégislation spéciale dont le trait com-mun était de permettre de les consti-tuer en sûreté, sans faire perdre auconstituant la possibilité de les exploi-ter. Car tel était bien l’obstacle majeurde la seule sûreté mobilière que leCode civil envisageait�: le gage desarticles� 2071 et suivants du CodeNapoléon supposait ad validitatem unedépossession du constituant (2). Il

s’agissait d’un contrat réel, exigeantau surplus une dépossession continuepour demeurer opposable aux tiers(C. civ., art. 2076).Outre sa lourdeur, cette exigence étaitpeu conciliable avec une gestiondynamique du bien offert en garantie.La pratique avait bien trouvé desaccommodements, notamment par lerecours à un tiers convenu, mais l’en-semble restait laborieux et coûteux.Le gage du code civil était anti éco-nomique.Ces difficultés gâtaient pareillementle droit des sûretés incorporelles. LeCode Napoléon ne disait presque riendu nantissement de créance�; seuls lesarticles� 2075 et� 2081 le mention-naient. Les créances relevaient doncdu gage de droit commun, avec sonexigence de dépossession (3). Enoutre, le formalisme d’opposabilité

Notes

(1) J. Hamel (dir.), Le gage commercial�: étudesde droit commercial, Dalloz, 1953. Après unegrande étude historique du gage écrite parJean Foyer, l’ouvrage s’égrainait en articlessur «�le gage sur instruments symboliques » (i.e.sur titres représentatifs d’une marchandise oud’une créance), «�le warrant des magasins géné-raux », «�la loi “Malingre” » (gage de véhiculeautomobile), «�l’hypothèque sur les navires, lesbateaux et les aéronefs », «�le warrant hôtelier, lewarrant pétrolier, le warrant stock », «�le nantisse-ment sur les films cinématographiques (loi du 22 fé-vrier 1944) », «�le warrant industriel�», «�la loi du18 janvier 1951 relative au nantissement de l’ou-tillage et du matériel d’équipement », «�le nantisse-ment des valeurs mobilières�», «�le nantissement desmarchés », «�la mise en gage des polices d’assurancesur la vie ».(2) Cass. civ., 18 mai 1898, S. 1898, 1, p. 433,note G. Lyon-Caen, DP 1900, I, p. 481, noteL. Sarrut�: «�Vu l’article 2071 du Code civil�; At-tendu, en droit, que le contrat de gage étant uncontrat réel, il est de l’essence même de ce contratque la chose donnée en gage soit mise en possessiondu créancier ou d’un tiers convenu ».(3) Cass. req., 11 juin 1846, .. 1846, I, p. 252�:«�Attendu, en droit, 1° qu’il est de l’essence mêmedu contrat de nantisssement que la chose donnée engage soit mise en la possession du créancier ou d’untiers convenu�; que si donc cette chose est unecréance, il est nécessaire que le débiteur ait effectuéla remise du titre constitutif de cette créance, à uneépoque où il avait le droit de la donner en gage ».

Dossier

Premier bilan de la réforme

Par Philippe

Stoffel-

Munck,

Professeur à l’École de droit de laSorbonne(Paris 1)

D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012 57

fiée par l’effet de deux cents ans dejurisprudence, était devenue touffueà force de mesures ponctuelles dis-persées entre le Code de la consom-mation (C. consom., art. L.�313-7 et s.,et L. 341-1 et s.), le Code de com-merce (C. com., art. L.� 225-35,L.� 622-26, L.� 622-28, L.� 626-11,L.�631-14, L.�631-20, etc.), le Codemonétaire et financier (ex.�: C.�com.,art. L.�313-22) et diverses lois spé-ciales�(7). Cependant, le Parlementn’a pas souhaité que cette matièrepolitiquement sensible soit réforméepar voie d’ordonnance. Il a préféréque son indispensable réforme d’en-semble soit l’objet d’une discussionparlementaire normale, laquelle n’atoujours pas eu lieu aujourd’hui.L’important travail réalisé par le groupede réflexion présidé par M. MichelGrimaldi n’a donc pas encore profitéaux sûretés personnelles. La réformen’a qu’effleuré la matière. D’une part,un nouvel article�2287-1 du Code civila précisé que la garantie autonome etla lettre d’intention étaient aussi dessûretés personnelles, ce dont nul ne

doutait. D’autre part, ces deux sûretésont été respectivement définies auxarticles�2321 et�2322 du Code civil,d’une manière qui n’a rien changé àce qu’on en connaissait.

C’est bien dommage, car l’œuvre réa-lisée par ce groupe de travail repré-sente sans doute le plus beau travailde codification réalisé depuis le Nou-veau Code de procédure civile (8).Entretemps, une fièvre codificatrices’est certes emparée du Législateur,mais il s’est agi d’une «�codificationcompilation�».À l’inverse, le groupe présidé par M.Grimaldi a entièrement refondu,rationalisé et modernisé le droit dessûretés. Le travail de réflexion a accou-ché d’un droit cohérent et attentif auxbesoins de la pratique, servi par unerédaction précise. La composition dugroupe et sa méthode de travail lais-saient augurer un tel résultat, mêlanthabilement théorie et pratiques (9).

Si l’on veut tirer un bilan de la réformedu droit positif, il convient donc de

(4) L. n° 78-9, 4 janv. 1978, JO 5 janv., mo-difiant le titre IX du Livre III du Code civil(« De la société ») introduisant notamment l’ar-ticle 1866 du Code civil relatif au nantisse-ment de parts sociales.(5) L. n° 83-1, 3 janv. 1983, JO 4 janv., mo-difié par l’article 102 de la loi n° 96-597 du2�juillet 1996 (JO 4 juill.) relative à la moder-nisation des activités financières, abrogé parl’ordonnance n°�2000-1223 du 14 décembre2000 (JO 16�déc.) portant création du Codemonétaire et financier, et devenu l’articleL.�431-4 dudit code, actuellement renumé-roté article L. 211-20.(6) Ph. Delebecque, Le régime des hypo-thèques, in Commentaire de l’ordonnance du23 mars 2006 relative aux sûretés, JCP G2006, supplément au n° 20, Étude 8; M. Gri-maldi, L’hypothèque rechargeable et le prêtviager hypothécaire, ibid., Étude 9.(7) Cautionnement des dettes de loyer d’unbail d’habitation, v. L. n° 89-462, 6 juill.1989, JO 8 juill, art. 22-1. Cautionnementpar une personne physique d’une dettecontractuelle professionnelle souscrite par

un entrepreneur individuel, v. L. n° 94-126,11�févr. 1994, JO 13 févr., art. 47, II.(8) Les deux premiers livres de ce code ontété mis en vigueur par le décret n° 75-1123du 5 décembre 1975 (JO 9 déc.), les deuxderniers par le décret n° 81-500 du 12 mai1981 (JO 14 mai).(9) Présidée par le professeur Michel Grimaldi,la commission comprenait les professeursL.�Aynès, P. Crocq, Ph. Simler et H. Synvet,Maîtres E. Frémaux, pour le notariat et A.�Pro-vansal, pour le barreau, Mme le conseillerD.�Do-Reis et, pour les banques, Mme AnnieBac et M. A. Gourio. M. Ph. Dupichot, alorsmaître de conférences et avocat, assurait le se-crétariat du groupe. Le petit nombre de parti-cipants était gage d’efficacité et d’unité. La va-riété de leurs domaines professionnels garantis-sait la prise en compte de la matière sous tousses angles. Les universitaires, rompus à l’étudedes textes et au style classique, alliaient leur re-cul savant sur la matière à une connaissanceaguerrie de sa pratique, couvrant des opéra-tions élémentaires jusqu’aux financements in-ternationaux complexes.

exigeait en principe la «�signification�»,par exploit d’huissier, du nantissementau débiteur de la créance garantie(C.�civ., art. 2075). À nouveau, deslois spéciales avaient simplifié le dis-positif dans certains cas�: en matièrede brevets ou de marques et, surtout,de créances bancaires�; c’était la loiDailly, mais son domaine d’applica-tion restait étroit, limité à la consti-tution d’une sûreté sur des créancesprofessionnelles en garantie d’opéra-tions de crédit.En outre, le régime du Code civils’appliquait au nantissement devaleurs mobilières, assimilées à descréances contre l’émetteur du titre.Ce n’est qu’en 1978 (4) pour les socié-tés de personnes, puis en 1983 et 1996pour les sociétés de capitaux (5), quedes éléments sensibles de simplifica-tion furent introduits.Quand on ajoute que le gage du Codecivil était d’une réalisation laborieuse,notamment parce qu’elle supposaittoujours une procédure judiciaire, onréalise à quel point il était nécessairede réformer le droit commun des sûre-tés mobilières.Ce sont donc essentiellement ces sûre-tés que la réforme de 2006 a concer-nées. En revanche, les sûretésimmobilières et les sûretés person-nelles n’ont été que retouchées.

L’hypothèque conventionnelle n’aque peu varié, s’enrichissant essen-tiellement de trois institutions dont,à ma connaissance, la pratique n’aguère fait l’emploi�: la réalisation parattribution en pleine propriété (attri-bution judiciaire, pacte commissoire),l’hypothèque rechargeable et le créditviager hypothécaire (6).Le droit des sûretés personnelles estlui-même resté stable. Le groupechargé de préparer la réforme avaitintroduit des éléments considérablesde simplification du droit du caution-nement. La matière, déjà bien modi-

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

des sûretés en droit français

Notes

Dossier

Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

58 D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012

relever que la réforme de 2006 s’estprincipalement concentrée sur lessûretés mobilières. Mais l’on doit allerau-delà aussi. En effet, l’œuvre réaliséeen 2006 a déclenché un mouvementde modernisation de la matière quis’est poursuivi les années suivantes,principalement à propos des sûretés-propriété. C’est au regard de ce vastedomaine que les progrès accomplis (I)comme ceux qui restent à achever (II)peuvent s’apprécier.

I – LES PRINCIPALES AVANCÉES

L’ordonnance de 2006 a abandonnéplusieurs des sujets traités par le projetde réforme établi par la commissionque présidait M. Grimaldi. Ce fut lecas du cautionnement, on l’a dit.Furent aussi écartées les propositionsrelatives au transfert de propriété àtitre de garantie, aux sûretés sursomme d’argent et le projet de toi-lettage et de rapatriement vers le Codecivil des textes relatifs au nantissementde compte d’instruments financiers.Par suite, on peut dire que l’essentielde la réforme a consisté à instituer unnouveau régime du gage et du nan-tissement (A). S’agissant des sûretés-propriété, ce sont surtout les annéessuivantes qui ont été décisives (B).

A – La révolution du nantissement

et du gage

Signe d’une pensée ordonnée, laréforme a commencé par clarifier lelangage applicable aux sûretés mobi-lières. Le gage est devenu le mot dési-gnant les sûretés sur meubles corporels(C. civ., art. 2333), le terme de «�nan-tissement�» concernant les meublesincorporels (C. civ., art. 2355) (10).À cette summa divisio verbale en cor-respond une autre, de fond�: le régimedu gage de droit commun, fort de dix-huit articles (art. 2333 à 2350), n’estpas celui décrit au chapitre du nantis-sement (art. 2355 à 2366) qui demeurespécial aux créances, puisque l’arti-cle�2355 dispose que le nantissement

«�qui porte sur d’autres meubles incorporels

(que les créances) est soumis, à défaut de

dispositions spéciales, aux règles prévues

pour le gage de meubles corporels ».L’analyse du régime du gage présentedonc un intérêt d’ordre général (1°),qui ne saurait cependant éclipser l’exa-men du nantissement de créance (2°).

1°/ La modernisation du gage

Au plan de la technique juridique, lenouveau gage a pour première vertula généralité. Le gage du Code civiln’est pas le gage civil�; il est le régimequi gouverne l’affectation de toutmeuble corporel en garantie d’unecréance, sans égard à la nature com-merciale ou civile de celle-ci, aucuneprécision n’étant faite par les textessur ce point (11). En outre, il permetde constituer la sûreté en garantie decréances présentes comme futures, etde lui donner pour assiette des biensprésents comme futurs, des corps cer-tains comme des choses fongibles. Lesdeux aspects traditionnels du principede spécialité (spécialité quant à la choseconstituée en garantie et quant à lacréance garantie) sont donc assouplis.

Assouplie, la constitution du gage l’estégalement�: la formation du contratne suppose plus la remise de la chosemais la rédaction d’un écrit. Cet écritest requis à peine de nullité mais sesmentions obligatoires sont nettes� :désignation de la dette garantie et desbiens offerts en garantie (C. civ., art.2336). Le formalisme d’opposabilitéest construit en alternative à deuxbranches�: soit la dépossession, soit lapublication sur le registre des gages(C. civ., art. 2337).

Les modes de réalisation sont égale-ment construits en alternative, maisà trois branches�: aux traditionnellesfacultés de réalisation judiciaire parattribution ou vente aux enchèresselon le régime des saisies s’est ajoutéela possibilité du pacte commissoire(C. civ., art. 2348). En revanche, laclause de voie parée n’est pas pluspermise qu’avant�: elle n’est pas abso-

lument interdite mais simplement fra-gile (12). La solution semble sage carle pacte commissoire offre les mêmesfacilités de réalisation au créanciertout en garantissant au débiteur quela valeur de la chose sera appréciéeobjectivement.

À la lumière de ces rappels, le gagepeut être passé au crible des critèresde la sûreté idéale que l’on peut,en s’inspirant de MM.� Aynès etCrocq�(13), décliner en quatre qua-lités�: simplicité (a), modicité (b), effi-cacité (c), équilibre (d).

a) La simplicité du dispositif

La simplicité du dispositif est remar-quable. Le formalisme ad validitatem

est léger et utile. Quelques précisionspourraient, comme nous le verrons,être apportées s’agissant de la notionde créances ou de biens futurs, maiselles ne sont pas dirimantes.Le formalisme d’opposabilité est éga-lement simple. La dépossession en estla branche fruste, bien adaptée auxmeubles qui ne s’inscrivent pas dansun cycle productif, tels que les bijoux,les objets d’art et autres choses sta-tiques. En outre, cette technique peuts’enrichir des assouplissements connussous l’ancienne législation, à savoir la

Notes

(10) L’article 55 de l’ordonnance a généralisé larègle : « Dans toutes les dispositions législatives etréglementaires en vigueur, la référence au gage et aucréancier gagiste s’entend de la référence au nantisse-ment et au créancier nanti lorsque la sûreté a pour ob-jet un bien meuble incorporel. Réciproquement, la ré-férence au nantissement et au créancier nanti s’entendde la référence au gage et au créancier gagiste lorsquela sûreté a pour objet un bien meuble corporel ».(11) Le gage commercial se distingue seule-ment par deux assouplissements quant à lapreuve – qui est libre – et quant à la procédurede réalisation par adjudication – qui est plus ra-pide (C. com., art. L. 521-1 et L. 521-3).(12) Cass. civ., 25 mars 1903, DP 1904, I,p.�273, note L. Guénée : le débiteur peut, unefois la créance née, donner mandat au créan-cier de réaliser le bien de gré à gré. Il ne s’agitque d’un mandat, de sorte que si le débiteurcraint de devoir pâtir du pouvoir qu’il a ac-cordé au créancier, il peut toujours révoquer saprocuration.(13) L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, La pu-blicité foncière, Defrénois, 5e éd., 2011, n° 8.

D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012 59

possibilité de nommer un tiers déten-teur qui pourra rendre manifeste lamise en gage tout en laissant les chosesgagées sur place, ce qui est pratiquepour les biens volumineux tels que lesstocks, ou en les emportant et, éven-tuellement, en les exploitant parcequ’il en est, par exemple, locataire.La publicité sur registre en est labranche sophistiquée, à laquelle onaura recours pour permettre au consti-tuant de continuer à user du bien.Cela évitera de stériliser l’utilité dubien. C’est particulièrement pertinentpour les biens qui font l’objet d’uneexploitation par le constituant. Il est,en effet, de l’intérêt de tous qu’il puissecontinuer à les valoriser. Les registresont été créés fin 2006�; il en existeun par tribunal de commerce et unregistre électronique national�; la pro-cédure d’inscription est précise (14).La nomenclature qu’ils emploient aété fixée début 2007, permettant àcette publicité de fonctionner (15).La simplicité s’étend également auxmodes de réalisation, car l’institutiondu pacte commissoire permet de s’at-tribuer le bien sans avoir besoin des’adresser au juge. Celui-ci n’inter-vient qu’a posteriori pour désigner letiers chargé d’évaluer les biens et depermettre, par suite, de faire lescomptes entre les parties. Et encore,l’intervention du juge peut même êtreentièrement évitée si gagiste et consti-tuant s’entendent sur la désignationdu tiers expert (C. civ., art. 2348).

b) La modicité du dispositif

Quand le gage est fait avec déposses-sion, la modicité du dispositif est, dupoint de vue du gagiste, égale à cequi existait auparavant. Il n’a jamaisété signalé que cela entraîne un coûtdissuasif, si tant est qu’un coût soitconstaté, comme dans l’hypothèse oùla chose est confiée à un tiers détenteurqui la gardera pour le compte du oudes gagistes. La publicité sur registrene paraît pas non plus donner lieu àun coût significatif. Le greffier du tri-bunal de commerce perçoit des émo-luments analogues à ce qui est prévu

en matière de nantissement de fondsde commerce (16).

Du point de vue du constituant, lecoût de constitution du gage s’estconsidérablement allégé. Ce coût étaitpour lui essentiellement constitué parle fait de devoir se priver de la chosemise en gage. L’institution du gagesans dépossession a rendu optionnelce sacrifice.

c) L’efficacité du gage

du Code civil

L’efficacité du gage du Code civil estconsidérable. Tout d’abord, lesanciennes sanctions pénales demeu-rent. En l’absence de dépossession,l’article�314-5 du Code pénal, relatifau délit de détournement de gage,dissuadera le constituant de dissiperla chose�; voilà pour la sécurité dugagiste. En cas de dépossession, l’ar-ticle�314-1 du même code, relatif àl’abus de confiance, dissuadera legagiste ou le tiers convenu de la chosede faire de même�; voilà pour la sécu-rité du constituant.Ensuite, l’efficacité du gage s’apprécieau regard de son aptitude à vaincredes droits concurrents. À cet égard,le gagiste peut craindre des ayantscause du constituant, qui peuvent êtresoit des cessionnaires, soit des tierssaisissants.Le premier cas ne faisait pas de grandesdifficultés avant la réforme, car le tiersacquéreur ne pouvait normalementpas se prévaloir de la règle «�en matière

de meubles, possession vaut titre » (C.�civ.,art. 2279 ancien, actuellement art.2276), puisque le gage supposait ladépossession du constituant. Par suite,l’ayant cause du constituant ne pou-vait pas entrer en possession, puisquec’est le gagiste qui avait la main surla chose et pouvait la conserver parl’effet de son droit de rétention. Letiers était donc un acquéreur non pos-sesseur, exposé à se voir préférer l’ad-judicataire ou l’attributaire qui, auterme de la procédure de réalisation,en prendrait possession avant lui(C.�civ., art. 1141). Depuis que le

gage sans dépossession est admis, onpeut imaginer l’hypothèse où leconstituant non seulement vend lebien à un tiers de bonne foi mais luien remet, en outre, la possession. Pourrégler cette difficulté, l’article�2337prend soin de disposer que «�lorsque

le gage a été régulièrement publié, les ayant

cause à titre particulier du constituant ne

peuvent se prévaloir de l’article�2276 ».La sécurité du gagiste face à un tiersacquéreur est donc complète.

Dans le cas où un créancier du consti-tuant viendrait saisir le bien, la sécuritédu gagiste est également assurée s’ila respecté le formalisme d’opposabi-lité du gage (dépossession/publica-tion). En effet, son droit de préférenceest alors opposable au tiers saisissant.Le juge de l’exécution, auquel le sai-sissant doit fatalement s’adresser, nepermettra donc pas à la saisie de pros-pérer. Pour que le gagiste puisseobjecter à la saisie, encore faut-il tou-tefois qu’il en soit informé. Maismême si la saisie avait prospéré à soninsu, la règle de l’article�2337 devrait,peut-on croire, assurer sa protectioncontre l’adjudicataire.

Enfin, la sécurité du gagiste est relati-vement garantie contre la procédurecollective qui peut frapper le consti-tuant ou le débiteur. Certes, la procé-dure du débiteur suspend la réalisationde la sûreté réelle qu’il a fournie. Lecréancier est alors contraint d’attendrela liquidation – cas le plus fréquent –ou l’exécution du plan de sauvegarde,de redressement ou de cession. Sous

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(14) D. n° 2006-1804, 23 déc. 2006, JO 31 déc.(15) Arr. 1er févr. 2007 (JO 10 févr. 2007,NOR JUSC0720104A). Le texte énumère17 catégories, allant des animaux (catégorie 1)aux produits alimentaires (catégorie 16) enpassant par les objets d’art (catégorie 11), lesparts sociales (catégorie 12) ou les meubles in-corporels autres que les parts sociales (catégo-rie 9) et s’ouvre finalement à n’importe quelmeuble au moyen d’une catégorie résiduelledénommée «�Autres » (catégorie 17).(16) D. n° 2006-1804, 23 déc. 2006, art. 19.

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Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

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cette réserve de taille, qui souligne d’ail-leurs l’intérêt des sûretés réelles fourniespar un autre que le débiteur, les droitsdu gagiste sont plus ou moins préservésselon qu’il bénéficie ou non d’un droitde rétention opposable à la procé-dure�(17).

Au détour de la loi n°�2008-776 du4�août 2008 (JO 5�août), on pensa ali-gner la situation du gagiste sur registresur celle du gagiste avec dépossessionen l’investissant d’un droit de rétentionfictif. La liste des titulaires d’un droitde rétention, fixée à l’article�2286 duCode civil, fut donc allongée d’un 4°visant «�celui qui bénéficie d’un gage sans

dépossession ». Le droit de la faillite mitmoins de cinq mois à réagir�: l’ordon-nance n°�2008-1345 du 18�décembre2008 (JO 19 déc.) modifia à nouveaul’article L. 622-7 pour préciser que lejugement d’ouverture de la procédurecollective «�emporte de plein droit inop-

posabilité du droit de rétention conféré par

le 4° de l’article�2286 du Code civil pen-

dant la période d’observation et l’exécution

du plan, sauf si le bien objet du gage est

compris dans une cession d’activités décidée

en application de l’article L. 626-1 »,c’est-à-dire en cas de cession d’acti-vités réalisée dans le cadre d’un plande sauvegarde ou de redressement (parrenvoi de l’article L. 631-19).Les plans de cession étant fréquents,il existe donc une exception d’im-portance à la neutralisation du droitde rétention fictif. De même, celui-ci retrouve son intérêt dans l’hypo-thèse de la liquidation, c’est-à-diredans l’hypothèse où le risque d’êtreen concours avec des privilégiés pré-férables est le plus net.C’est pourquoi, malgré ces péripéties,il semble que l’efficacité des droits dugagiste sur registre n’ait dans l’ensem-ble pas grand-chose à envier au gagisteavec dépossession, réserve faite del’hypothèse où le constituant en faillitebénéficie d’un plan de continuation.Ce dispositif montre que la recherched’efficacité peut se combiner aveccelle d’un équilibre entre les intérêtsen présence.

d) L’équilibre du régime

du gage du Code civil

Pour demeurer sur l’exemple du droitde rétention fictif, on constate ques’il est neutralisé au cours de la périoded’observation et pendant l’exécutiondu plan, c’est pour favoriser leschances de redressement du débiteur.La prise en compte de son intérêt n’estdonc pas absente du dispositif légal.L’idée de ne pas nuire au débiteurau-delà du nécessaire se rencontre ail-leurs.D’abord, si l’introduction du pactecommissoire dans le gage mais aussidans l’hypothèque représente unefacilité offerte au créancier, elle s’estaccompagnée d’une mesure de pro-tection du constituant. Un tiers indé-pendant doit toujours intervenir pourévaluer de manière impartiale le bienque s’attribue le créancier, et cetteévaluation objective servira de basede calcul de la soulte dont l’attributairesera éventuellement redevable.Ensuite, la prise en compte de l’intérêtdu constituant se constate dans la tech-nique même du gage sur registre.Celle-ci lui permet non seulementd’éviter la dépossession et les incon-vénients qui s’y attachent, mais ellelui permet aussi de tirer le maximumde crédit de son bien. Ce mode degage facilite, en effet, l’inscription degages successifs, chaque créancier pre-nant rang à sa date. Par suite, toute lavaleur du bien peut être affectée à lagarantie de plusieurs créanciers, ce quisauvegarde le crédit du constituant.

Le gage avec dépossession permet bienmoins d’allier tous ces avantages. Enfait, la technique du registre permetassez idéalement de sécuriser les créan-ciers et d’optimiser la situation duconstituant. On retrouve, en réalité,tous les avantages de l’hypothèque.Cette «�reine des sûretés » (18) a donctrouvé son pendant dans le monde desmeubles corporels�; c’est une des avan-cées majeures de la réforme de 2006que de l’avoir permis.Qu’en est-il, en revanche, dans ledomaine des biens incorporels�?

2°/ La modernisation du nantissement

Le législateur contemporain s’étaitdéjà attaché à munir d’un régime spé-cifique cet actif incorporel trèsrépandu et potentiellement porteurd’une valeur considérable que sontles titres financiers, principalementles actions de société (C. mon. fin.,art. L.�211-20 et s.).

La commission présidée par M. Gri-maldi avait pensé rapatrier l’institutiondans le Code civil, où figure d’ailleursdepuis 1978 le régime du nantissementde parts de société civile (art. 1866 à1868). Elle avait également suggéréde ramener dans les canons du droitcivil certaines de ses particularités, plusexpédientes que cohérentes avec lanature de l’institution�(19).Il semble que la profession bancairese soit opposée à ce dépaysement et

Notes

(17) Dans le cas où il y a eu dépossession, il enbénéficie et peut l’opposer aux organes de laprocédure comme à tout créancier, même pri-vilégié. Dans le cas inverse, le classement desprivilèges légaux pouvait conduire à redouterque plusieurs privilégiés priment le droit depréférence du gagiste dans le cadre de la venteforcée du bien (v. C. civ., art. 2331 et 2332, 2°).Il pouvait toujours demander l’attribution ju-diciaire pour leur échapper, mais le juge n’estapparemment pas tenu de l’accorder simple-ment parce qu’on la lui demande. Il aurait puimaginer faire jouer le pacte commissoire, maisl’ordonnance de 2006 ne permettait même pasd’y songer�; elle avait immédiatement inscritdans le droit des faillites que le jugement d’ou-verture de la procédure collective fait «�obstacleà la conclusion et à la réalisation d’un pacte commis-soire » (C. com., art. L. 622-7, tel que modifiépar l’article 47 de l’ordonnance).(18) L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, La pu-blicité foncière, précité, n° 630.(19) Le nantissement de compte-titres prévu auCode monétaire et financier porte, comme sonnom l’indique, sur le compte alors que c’est soncontenu (les titres) qui se trouve in fine appré-hendé. Cela peut sembler illogique, même sic’est pratique. De même, le texte réserve aubanquier un droit de rétention qui, cette fois,porte sur les titres. Ce droit semble artificiel, carson assiette est incorporelle�; mieux vaudraitexprimer directement qu’il est un droit d’em-pêcher tout mouvement sur le compte (undroit de blocage�; v. A. Aynès, Le droit de ré-tention, préf. C. Larroumet, Economica,2006). Cette dénomination lui permet cepen-dant de produire les effets qui s’y attachent dansl’hypothèse d’une faillite du constituant.

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

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à ces rectifications, préférant conser-ver le bénéfice de textes pour elle(sinon par elle) rédigés (20). Laréforme n’a donc pas touché aux nan-tissements de titres financiers.

Il en est allé de même s’agissant des dis-positions que le projet consacrait aunantissement de ce bien incorporel trèsparticulier que constitue la monnaiescripturale. La question intéressait émi-nemment les banques mais le projetsuscitait chez elles quelques interroga-tions�(21). Il n’en est resté qu’un arti-cle�(22) consacré au nantissement decompte bancaire (C. civ., art. 2360),sûreté très répandue. Le texte l’appa-rente à un nantissement de créancefuture. La créance nantie correspondau solde provisoire du compte, tel qu’ilapparaît au moment de la réalisation�;c’est une créance monétaire dont labanque teneuse de compte est débitriceenvers le titulaire du compte, ce dernierétant censé l’avoir nantie au profit dubénéficiaire du nantissement.

Cette assimilation du nantissement decompte bancaire au nantissement decréance met en valeur l’importance desdispositions que la réforme a consacréesà ce sujet, reprises quasiment à l’iden-tique du projet établi par le groupe queprésidait M. Grimaldi.

Le dispositif est le suivant�: quant à sesconditions de validité, la sûreté répondà un régime identique au gage (principede spécialité assez souple�; formalismeécrit) (23)�; son formalisme d’opposa-bilité et ses modes de réalisation sont,en revanche, originaux.

Le pivot du dispositif est la notificationdu nantissement au débiteur de lacréance nantie.

En effet, si l’article�2361 dispose que lenantissement est en principe opposableà tous dès sa date, l’article�2362 ajoutequ’il en va autrement s’agissant du débi-teur de la créance nantie. À son égard,la notification est essentielle. Tantqu’elle n’a pas eu lieu, il doit payer le

constituant�; dès qu’elle a eu lieu, il nepeut valablement se libérer qu’entre lesmains du bénéficiaire du nantissement.C’est clair et net.

Tant que la créance garantie n’est paséchue, et qu’on ne sait donc pas si leconstituant va ou non défaillir ni, par-tant, s’il y aura ou non lieu de réaliserla sûreté, le bénéficiaire du nantissementdevra conserver les sommes perçues surun compte qu’on suppose spécial(C.�civ., art. 2364).

Quand la créance garantie est arrivéeà échéance, les choses sont simples�:sous réserve d’une mise en demeurerestée infructueuse, les sommes que lebénéficiaire du nantissement a déjàreçues du débiteur de la créance nantievont s’imputer sur la créance garantie�;celles qu’il reste à recevoir pourront lefaire aussi, à moins que le bénéficiairene s’attribue immédiatement la créanceelle-même, par l’effet d’un pacte com-missoire ou d’une demande au juge.Dans tous les cas, si le bénéficiaire finitpar recevoir plus qu’il ne lui était dû,il reverse évidemment l’excédent auconstituant (C. civ., art. 2366).

Le nantissement peut être constitué surune créance à exécution instantanée ousuccessive, telle une créance de loyers.La figure est banale dans le financementimmobilier�: la banque prête à l’acqué-reur les fonds nécessaires à l’achat d’unimmeuble actuellement loué à unesociété�; l’acquéreur nantit au profit dela banque les créances de loyers résultantdu bail commercial. À compter de lanotification, le locataire devra payerchaque échéance suivante à la banque.Une difficulté survient quand le bail avocation à se poursuivre après que lacréance garantie est éteinte. En effet,rien dans les textes ne prévoit que ledébiteur de la créance nantie puisse, surce motif, se remettre à payer valable-ment le constituant. La chose semblepourtant évidente à raison du caractèreaccessoire de toute sûreté réelle. Il resteratoutefois à formaliser cette extinctionpour être certain de payer à qui de droit.

Dans l’exemple que je viens de pren-dre, on ne rencontrera cependantguère de nantissement en la forme duCode civil. Pour garantir les créancesrésultant d’un prêt, les banques ont,en effet, à leur disposition la cessionfiduciaire de créances professionnelles(cession «�Dailly�») et sont accoutu-mées au procédé (C. mon. fin., art.L.�313-23). Le champ d’applicationdu «�Dailly�» est cependant limité àla garantie d’un crédit bancaire à uneentreprise par cession des créancesque celle-ci détient contre d’autresentreprises. Le nantissement du Codecivil a offert à tous un instrument aussiefficace qu’une cession fiduciaire en«�Dailly� » et peut-être plus simpleencore (24). Par exemple, un opéra-teur de téléphonie mobile va pouvoirconstituer, en garantie d’une dettenon bancaire telle que sa dette enversson fournisseur de terminaux, un nan-tissement sur son portefeuille decréances d’abonnements souscrits parses clients, professionnels comme non

Notes

(20) A. Bac, La position de la Fédération fran-çaise des banques sur le projet de réforme dessûretés, Dr. & patr. 2005, n° 140, p. 98.(21) Ibid.�: «�La FBF (…) souhaite également quele projet, à partir du moment où il suggère de créerde toutes pièces un nantissement de monnaie scrip-turale, précise également le régime du gage-espècestel que les établissements le pratiquent actuelle-ment, à la satisfaction de tous » (p. 100, in fine).V., de manière plus développée, le colloqueorganisé en janvier 2006 par l’Association eu-ropéenne pour le droit Bancaire et Financier(AEDBF), Gage-espèces, nantissement decompte bancaire�: faut-il réformer les sûretéssur somme d’argent�?, disponible sur le site del’association (www.aedbf.asso.fr).(22) Par comparaison, le nouvel Acte uni-forme des sûretés, adopté par les États mem-bres de l’OHADA le 15 décembre 2010 (JOOHADA, 15 févr. 2011), consacre cinq arti-cles au «�Transfert fiduciaire de somme d’argent »(art. 87 à 91).(23) Les créances garanties comme les créancesnanties peuvent être présentes ou futures(C.�civ., art. 2355). L’acte de nantissement doitêtre écrit et permettre leur individualisation, cequi signifie qu’il doit énoncer les éléments aumoyen desquels on pourra à coup sûr les iden-tifier par la suite (C. civ., art. 2356).(24) A. Aynès, Le nantissement de créance dedroit commun�: quelle efficacité�?, Banque etdroit 2010, p. 8.

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Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

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professionnels. La chose était impra-ticable auparavant.

Le système semble donc dans l’en-semble ingénieux et utile.

Il est de constitution et de mise enœuvre simple. Son coût est trèsmodéré, car la notification n’est pasun acte extrajudiciaire comme l’est lasignification d’une cession de créance�;elle peut même, semble-t-il, résulterd’un simple courrier électronique. Cenantissement est, en outre, très efficace.Seul son mode d’extinction quand lacréance nantie est à exécution succes-sive mériterait d’être davantage précisédans la loi�; mais les parties peuvent ysuppléer par leur convention. Elle n’acependant pas tous les avantages d’unesûreté sur registre. En particulier, ilsera bien moins simple d’affecter unemême créance à la garantie de plusieurscréanciers hiérarchiquement classés(v. infra). Malgré ce, les divers avantagesdu nantissement de créance le rendentau moins aussi attractif que les «�sûre-tés-propriété�», que les réformes ulté-rieures à 2006 ont toutefois tenté dedévelopper.

B – Le développement des sûretés

fondées sur la propriété

Le droit des faillites porte atteinte àl’efficacité des sûretés réelles dans lecas même où se réalise l’hypothèsepour laquelle on les a prises. En réac-tion, la pratique a développé les «�sûre-tés-propriété�» dans deux directions.

Dans la première, le débiteur n’est paspropriétaire de la chose mais désire ledevenir. Le propriétaire de la choseconvoitée lui fait alors crédit maisretarde le transfert du droit réel jusqu’àce que le débiteur ait payé toute sadette. Autrement dit, c’est la conser-vation par le créancier de sa qualité depropriétaire qui produit un effet desûreté. La clause de réserve de propriétécorrespond naturellement à ce schéma�;la technique du crédit-bail le rejoint.Dans la seconde, le débiteur est pro-

priétaire d’une chose et va la céder àtitre de garantie. L’effet de sûreté estproduit par l’aliénation de la chose,aliénation qui opère sans versementd’un prix car elle est accessoire. C’estla fiducie-sûreté au sens large.

Efficaces, l’une et l’autre forme de«�sûreté-propriété�» ont en revancheplusieurs inconvénients.D’abord, une telle sûreté peut être coû-teuse, car qui assume la propriété d’unbien doit normalement en assumer lescharges financières et juridiques.Ensuite, la sûreté-propriété est géné-ralement occulte, spécialement quandle débiteur use de la chose. Par ailleurs,la technique peut devenir déséquilibréecar elle grève l’entier bien. Enfin, cetteforme de sûreté ne s’accorde pas d’évi-dence avec le besoin qu’ont les créancesde circuler. Si la garantie ne suit pas lacréance, la créance ne circulera pas surle marché de la dette. Or il peut êtrelourd de faire circuler la propriété avecla créance�; certes, l’article�1692 duCode civil précise que la cession decréance emporte celle de ses accessoirestels que les sûretés. Cependant, il netombe pas sous le sens d’assimiler lapropriété à un accessoire.

Le législateur et la jurisprudence ontprogressivement tenté de pallier cesinconvénients. La réforme de 2006 aparticipé à cet effort en généralisantles facilités qui, dans telle ou tellematière, avaient favorisé la techniquede la clause de réserve de pro-priété (1°). Ultérieurement, surtout,la technique de l’aliénation fiduciaires’est trouvée consacrée (2°).

1°/ La généralisation du régime de la clause

de réserve de propriété

Avant la réforme de 2006, le régimede la clause de réserve de propriétéétait éparpillé dans différentes matières.En particulier, le droit des procédurescollectives y consacrait un développe-ment important figurant, dans la numé-rotation actuelle, à l’article L.�624-16du Code de commerce. Depuis 1994,ce texte admettait en particulier que

si la chose vendue était fongible, l’ac-tion en revendication du vendeur pou-vait s’exercer sur des biens autres queceux vendus pourvu qu’ils soient «�de

même nature et de même qualité ».Cette solution, étonnante au regarddu droit des biens, permettait à la pro-priété réservée d’avoir une assiette enquelque sorte flottante. Par exemple,un laboratoire pharmaceutique ayantvendu à un pharmacien un lot de médi-caments pouvait, dans la faillite de l’ac-quéreur, revendiquer un lot identique,bien qu’il ne fût pas contesté que cesmédicaments ne fussent pas concrète-ment ceux qui avaient été vendus sousclause de réserve de propriété (25).

Par son caractère dérogatoire à la tra-dition commune en droit des biens,qui ne conçoit pas de propriété flot-tante, cette solution ne pouvait pasvaloir à titre général, bien que desarrêts aient marqué des avancées ence sens (26) et que l’idée d’une sûretéà assiette flottante ait connu quelquesillustrations depuis longtemps (27).

Notes

(25) Cass. com., 5 mars 2002, n° 98-17.585,Bull. civ. IV, n° 48, D. 2002, p. 1139, obs.A. Lienhard, RTD civ. 2002, p. 327, obs.T. Revet, et p. 339, obs. P. Crocq, RTDcom. 2002, p. 544, obs. A. Martin-Serf.(26) Cass. com., 11 juill. 2006, n° 05-13.103,Bull. civ. IV, n° 199, RTD civ. 2006, p. 794,obs. T. Revet, RTD com. 2007, p. 453, obs.A. Martin-Serf�: des vignerons apportent leursrécoltes à une coopérative vinicole�; dans la fail-lite de celle-ci, chacun peut revendiquer le vinproduit à proportion de la quantité de raisinqu’il avait apportée�; aucune clause de réservede propriété n’avait été convenue. Rappr., àpropos de stocks d’essence, Cass. civ., 7 déc.1948, Bull. civ. I, n° 328, S. 1949, 1, p. 159,RTD civ. 1950, p. 201, obs. J. Carbonnier.(27) En particulier, Cass. req., 10 mars 1915,DP 1916, I, p. 242 note L. S., S. 1916, 1, p. 5,note Ch. Lyon-Caen, qui jugea, à proposd’un warrant sur récoltes de blé, que «�lorsqueles marchandises warrantées sont destinées, dansl’intention des parties et suivant la convention elle-même, à être aliénées au fur et à mesure (…) et àêtre remplacées par d’autres de même nature et enégale quantité (…) les marchandises sortent dugage, (et) y sont, en vertu d’une subrogation réelle,qui trouve son fondement dans leur fongibilité, rem-placées par des marchandises acquises qui rentrent,et restent comme celles auxquelles elles sont substi-tuées, dans la possession du créancier ».

D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012 63

En admettant qu’un gage sur chosesfongibles puisse avoir une assiette flot-tante, en admettant autrement dit legage de stocks (C. civ., art. 2342)�(28),la réforme consacra cette dernièresolution. Il est donc logique qu’elleait également permis à titre généralqu’une clause de réserve de propriétéportant sur des biens fongibles per-mette la revendication de biens autresmais pareils à ceux vendus. Reprenantles termes de l’article L. 624-16 duCode de commerce, l’article�2369 duCode civil dispose donc désormaisque�: «�La propriété réservée d’un bien

fongible peut s’exercer, à concurrence de

la créance restant due, sur des biens de

même nature et de même qualité détenus

par le débiteur ou pour son compte ».

Outre cette avancée considérable, laréforme a également consacré et géné-ralisé d’autres aspects du droit de laclause de réserve de propriété. L’ar-ticle�2367 dispose que�: «�La propriété

ainsi réservée est l’accessoire de la créance

dont elle garantit le paiement ». Elle cir-culera donc automatiquement avecla créance, par application de l’arti-cle�1692 du Code civil. La jurispru-dence l’avait admis (29).

L’article�2372 admet qu’en cas derevente du bien réservé ou de des-truction de celui-ci, le droit du béné-ficiaire de la clause «�se reporte sur la

créance du débiteur à l’égard du sous-

acquéreur ou sur l’indemnité d’assurance

subrogée au bien ». Encore faut-il, biensûr, que l’une ou l’autre existentencore, ce qui suppose qu’elles n’aientpas été éteintes par leur paiement.

En somme, la réforme confirme lasingularité de cette «�réserve de pro-priété�». Elle en accuse l’aspect desûreté en éloignant son régime de lapropriété de droit commun. Bienétrange propriété, en effet, que cedroit. Il est l’accessoire d’une créancemonétaire qui, nous dit l’article�2367,«�en constitue la contrepartie ». Il ne com-porte pas l’abusus puisque, comme leprécise l’article�2371, son titulaire doit

demander en justice la restitution dubien pour «�recouvrer le droit d’en dis-

poser ». Et même si les textes ne ledisent pas, il ne semble pas davantagecomporter l’usus ni le fructus. Est-cemême un droit réel�? Il permet, certes,l’action en revendication, mais c’estapparemment le seul aspect où il paraîtêtre un droit direct sur la chose.On préférera donc conclure qu’ils’agit d’une sûreté réelle si originalequ’elle méritait une place à part. Laréforme la lui a ménagée.

Elle en a aussi profité pour équilibrerle mécanisme en précisant qu’en casde réalisation, le créancier devrait res-tituer l’excédent de valeur pouvantexister entre ce qui lui restait dû etla «� valeur du bien repris » (C. civ.,art.�2371). À cet égard, le systèmereste imprécis car il n’est nulle partfait mention de l’origine de cetteévaluation. On pourra s’inspirer duprocédé employé pour le pacte com-missoire, mais il appartient à la juris-prudence de le préciser.Elle aura également ce rôle à jouerdu chef de l’autre sûreté-propriétéque la réforme a consacrée, à savoirla cession fiduciaire.

2°/ La consécration de la cession fiduciaire

à titre de garantie

Le groupe de réflexion présidé parM. Grimaldi avait proposé la consé-cration de la cession fiduciaire. Laproposition ne fut pas reprise parcequ’un projet de texte sur ce thèmeprogressait par ailleurs. Ce n’était pasla première fois puisqu’une tentativeen ce sens avait eu lieu en 1990 (30).

Cette fois, la tentative aboutit, nonsans quelques péripéties éclairantesquant à la technique législative. L’in-troduction dans le Livre�III du Codecivil d’un titre�XIV intitulé «�De la

fiducie » résulte d’une loi n°�2007-211du 19�février 2007 (JO 21 févr.). Letexte n’était guère opératoire et com-portait de nombreuses lacunes. Sespromoteurs le savaient mais l’objectifn’avait pas été de faire entièrement

mouche du premier coup�; il avaitété de vaincre l’opposition de principeà la consécration de la fiducie et degagner la victoire, même simplementsymbolique, de son introduction dansle Code civil. Une fois la porte ducode forcée, l’essentiel était fait etl’on pourrait tout à loisir préparer uneréforme de la réforme destinée à ren-dre le dispositif plus efficace. Le mêmescénario avait présidé à l’introductiondu pacte civil de solidarité.

Étalée sur 2008 et 2009, une secondevague de textes a donc déferlé sur lafonction de sûreté assignée à la fiducie.Il en est résulté une modification dutitre relatif à la fiducie en général (C.�civ.,art. 2011 à 2030) et l’introduction dansle livre propre aux sûretés de deux sériesjumelles d’articles relatifs à «�la propriété

cédée à titre de garantie » en matière mobi-lière, d’une part (C. civ., art. 2372-1 à2372-5), et immobilière, d’autre part(C. civ., art. 2488-1 à 2488-5).

Il serait trop long d’entrer ici dans ledétail de la fiducie-sûreté de droitcommun. On ne développera pas sesconditions de validité particulières,sinon pour rappeler qu’assez bizarre-ment, l’acte doit être enregistré à peinede nullité, et que la fiducie d’unimmeuble doit, à cet effet et sous cettesanction, être transcrite sur le fichierimmobilier relevant de la publicitéfoncière. Ce type de formalité relèvepourtant plutôt, en principe, d’unformalisme d’opposabilité.

Il se trouve, cependant, que les textessont restés très discrets sur le forma-

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(28) C. civ., art. 2342�: «�Lorsque le gage sansdépossession a pour objet des choses fongibles, leconstituant peut les aliéner si la convention le pré-voit à charge de les remplacer par la même quantitéde choses équivalentes ». Adde C. com., art.L.�527-1 et s., formant un chapitre intitulé«�Du gage des stocks ».(29) Cass. com., 15 oct. 1988, Bull. civ. IV,n° 106, D. 1988, 330, note F. Pérochon.(30) M. Grimaldi, La fiducie�: réflexions surl’institution et sur l’avant-projet de loi qui laconsacre, Defrénois 1991, art. 35085 et 35094.

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Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

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lisme d’opposabilité du transfert fidu-ciaire. C’est donc par application desformes spécifiques à la nature dechaque bien que l’opposabilité de sacession se décidera.

S’agissant des immeubles, la publica-tion s’impose, on l’a dit.S’agissant des meubles corporels, seulela mise en possession du fiduciairerendra sa propriété pleinement oppo-sable (C. civ., art. 2276 et 1141). Enl’absence d’un fichier de publicité telqu’en matière de gage (31), l’efficacitéd’une fiducie-sûreté sur meubles cor-porels suppose donc une dépossessiondu fiduciant. Cela ramène presquel’institution à l’archaïsme du vieuxgage de 1804, ce qui est paradoxal.S’agissant des créances, en revanche,la cession fiduciaire se révèle plus faci-lement opposable aux tiers qu’unecession normale. L’article�2018-2 duCode civil s’aligne sur les solutionspropres au «�Dailly�»�: la cession estopposable aux tiers dès sa date et ledevient à l’égard du débiteur par sim-ple notification, en lieu et place de lasignification de l’article�1690. L’avan-tage est notable.

On trouve sans doute dans ces élé-ments une des raisons du faible succèspratique des fiducies. En effet, si lasûreté-propriété porte sur descréances, le nantissement est tout aussisimple et efficace. Si elle porte sur unmeuble corporel, le gage avec dépos-session offre, par son droit de réten-tion, une protection presque aussiforte que la cession fiduciaire avecdépossession. S’il n’y a pas déposses-sion, le gage bénéficie d’une oppo-sabilité plus évidente que la fiduciesans dépossession et offre donc, souscet angle, une meilleure protection.En matière immobilière, les avantagesde l’hypothèque sont analogues à ceuxde la fiducie�: un peu moins sûre pourle créancier, l’hypothèque est enrevanche moins lourde de responsa-bilités pour lui.Le droit des procédures collectivescorrobore ce constat mitigé. Il a

enlevé au fiduciaire plusieurs desavantages que sa situation de proprié-taire laissait espérer. Le fiduciaire nepeut pas disposer du bien avant laliquidation�; il ne peut pas non plusrésilier le contrat sui generis de mise àdisposition par lequel il a, le caséchéant, rétrocédé au fiduciant lajouissance des biens inclus dans lafiducie. À l’inverse, les créances garan-ties par une fiducie sont protégéescontre les délais et remises qu’un planconventionnel pourrait imposer à toutautre créancier (C. com., art. L.�626-30-2 in fine).Dans l’ensemble, avantages et incon-vénients paraissent se contrebalancer.

Dans la sociologie des professionnelsdes sûretés, pessimistes par métier,cela peut suffire à dédaigner l’insti-tution nouvelle. Ses services particu-liers n’apparaissent pas si évidentsqu’ils justifient d’évidence de braverl’incertitude juridique qui s’attache àtoute innovation, et à celle-ci en par-ticulier.Innovante, la fiducie l’est en effet àbien des points de vue. D’abord, ellerenverse le principe séculaire de l’uni-cité du patrimoine, ce qui fait redouterdes conséquences insoupçonnées ail-leurs, car dans le droit civil tout setient. Ensuite, elle semble rendre lefiduciaire propriétaire, mais on n’enest pas complètement sûr. C’est, eneffet, un propriétaire qui doit rendredes comptes, qui peut être dessaisi,qui doit gérer conformément à unemission, qui a un statut si particulierque lorsqu’il accorde au fiduciant lajouissance de la chose dans des condi-tions qui partout ailleurs caractérise-raient un bail, la loi précise que cen’est pas exactement un bail (32). Est-on sûr que la chose est absolumentsienne dans ces conditions�? Il est clair,d’ailleurs, qu’il ne peut en disposer àsa guise puisque, selon les textes eux-mêmes, il faut la défaillance du débi-teur pour qu’il «� (acquière) la libre

disposition du bien ou du droit cédé à titre

de garantie », et le tout sous réserved’une éventuelle soulte car la réalisa-

tion de la fiducie est calquée sur le pactecommissoire (C. civ., art. 2372-3 et2372-4� ; C.� civ., art. 2488-3 et2488-4). Le droit de propriété du fidu-ciaire n’est donc pas celui décrit à l’ar-ticle�544 du Code civil. Quelles ensont alors les bornes, les charges, lesresponsabilités�?L’existence de ces questions suffit àfaire hésiter la pratique car, par défi-nition, le milieu du droit des sûretésest adverse à la prise de risques�; l’in-certitude y est un repoussoir.Ce constat invite à rechercher ce quipourrait être proposé pour, dans cecas comme dans les autres, améliorerencore le droit des sûretés post-réforme.

II – LES AMÉLIORATIONS

ENCORE ENVISAGEABLES

Il n’est pas aisé de trouver des indi-cateurs permettant d’exprimer quelaccueil la pratique a réservé aux nou-velles sûretés. Le juriste a l’habitudede scruter la réalité au travers duprisme du contentieux, même s’il lesait déformant. Or le droit des sûretés,en particulier réelles, fait pâle figuredans les recueils de jurisprudence.C’est dans ses gènes, si l’on ose dire,car ces grands consommateurs de sûre-tés que sont les banques n’apprécientguère les garanties dont le régimeprête à débat. Aucune d’elles ne sem-ble désirer la gloire d’être le premierà faire jurisprudence. En outre, onpeut lancer l’hypothèse qu’en périodede crise, les banques pourraient être

Notes

(31) Il existe bien un registre national des fi-ducies (C. civ., art. 2020�; D. n° 2010-219, 2 mars 2010, JO 4 mars), mais il ne s’agit pasd’un fichier accessible au public. L’inscriptionne peut donc pas tenir lieu de publicité.(32) C. civ., art. 2018-1�: «�Lorsque le contrat defiducie prévoit que le constituant conserve l’usage oula jouissance d’un fonds de commerce ou d’un im-meuble à usage professionnel transféré dans le patri-moine fiduciaire, la convention conclue à cette finn’est pas soumise aux chapitres IV et V du titre IVdu Livre Ier du Code de commerce, sauf stipulationcontraire ». Se trouve ainsi écarté le régime dubail commercial.

D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012 65

plus enclines à restructurer leurs cré-dits qu’à réaliser les garanties dontelles les ont entourées. C’est pourquoile rythme de la consolidation préto-rienne de la matière paraît lent.

C’est aussi pourquoi le rôle de la loi,de la doctrine et des pratiques de placey est peut-être plus grand qu’ailleurs�:la bonne sûreté, c’est aussi celle dontle régime ne fait pas de doute, soitparce que les textes sont complets, soitparce qu’un consensus doctrinal etpratique existe sur la manière dont unjuge résoudrait les inévitables pointsdélicats. Par suite, il semble que, pourse faire une idée du succès des insti-tutions créées depuis 2006, il est plusutile de fréquenter les cénacles qui endébattent et les praticiens qui les rédi-gent, que les palais de justice.

Dans l’ensemble, il me semble qu’unconsensus existe pour estimer que lesnouveaux régimes du gage et du nan-tissement de créance sont juridiquementopérationnels et économiquementattractifs. Pour autant, plusieurs préci-sions (A) et compléments (B) au droitactuel pourraient sembler utiles.

A – Les précisions souhaitables

On se bornera ici à évoquer quelquespoints qui ont trait aussi bien à la for-mation, à la gestion et à la réalisationdes sûretés réelles. Auparavant, unequestion jouant sur ces trois phasesmérite d’être analysée.

1°/ L’articulation du droit commun

et du droit spécial

La question est de savoir dans quellemesure l’existence de sûretés spécialesempêche d’employer, dans le mêmedomaine, les nouvelles ressources dudroit commun.La question se pose avec acuité pourle gage de stocks. Le Code civil aprévu un régime du gage sans dépos-session et lui a permis de s’appliquerà des choses fongibles. Les arti-cles�2341 et suivants du Code civil

peuvent donc parfaitement régir ungage constitué sur des stocks. Cepen-dant, l’ordonnance du 23�mars 2006a enrichi le Code de commerce d’unenouvelle sûreté précisément consa-crée au gage de stocks garantissant uncrédit bancaire. C’est une initiativegouvernementale, car le projet de lacommission «�Grimaldi�» ne prévoyaitpas cela. Or la sûreté du Code decommerce est moins souple que celledu Code civil�: elle comprend un for-malisme supplémentaire (33) et lepacte commissoire y demeure prohibé(C. com., art. L.�527-2).Peut-on alors dire que, par applicationde l’adage «�Specialia generalibus dero-

gant », un gage constitué sur un desstocks de marchandises d’un commer-çant en garantie d’une créance bancairedoit nécessairement relever du régimedu Code de commerce sans pouvoiropter pour le régime du Code civil�?

La question a une importance quidépasse cet exemple, car le gage dedroit commun présente de tels atoutsqu’il est devenu préférable à bien dessûretés spéciales qui, en leur temps,avaient constitué un progrès sur l’ar-chaïsme du gage de 1804 mais qui,désormais, semblent elles-mêmesarchaïques.Il n’y a, à mon avis, pas lieu d’appliquerdans ce cadre l’adage «�Specialia gene-

ralibus derogant ». Cet adage tire salégitimité de l’idée qu’il sert à mieuxfaire respecter la volonté du législa-teur, de sorte que s’il a prévu unesolution spéciale pour un cas spécial,il est cohérent qu’il ait par là mêmecommandé l’abandon en ce cas de lasolution générale. Toutefois, cettecohérence ne vaut plus autant si letexte de droit commun est postérieurau texte spécial qui y déroge. Dansle cas d’une réforme du droit com-mun, on ne peut pas dire que lavolonté anciennement exprimée parle législateur au titre d’un cas spécialest celle qu’il entend toujours voirprévaloir. Il y aurait au contraire toutlieu de penser que le texte nouveauexprime ce que le législateur a estimé

souhaitable pour tout ce qui entredans son champ d’application. C’estparticulièrement le cas quand, commeen l’occurrence, l’intention du légis-lateur a été de moderniser la matière.L’argument ne vaut, toutefois, quepour les sûretés spéciales antérieures àla réforme de 2006. Or le gage destocks du Code de commerce n’en faitpas partie puisqu’il résulte lui-mêmede l’ordonnance du 23�mars 2006.

Il nous semble, cependant, qu’indé-pendamment même de toute chro-nologie, le jeu de l’adage «�Specialia

generalibus derogant » irait contre l’espritgénéral de la matière�: le législateurmet à la disposition des praticiens desinstruments de garantie. À côté desinstitutions générales, il en crée d’au-tres spécialement adaptées à certainsbiens. Il s’agit de diversifier lesmodèles dans l’intérêt des praticiens�:à chacun de voir, alors, quelle solutionest la mieux conformée à sa situation.La question s’est déjà posée par le passé,à propos du gage automobile. Celui-ci fait l’objet d’un régime spécial depuisune loi de 1953. La réforme l’a versédans le Code civil, mais avant cela, onpouvait déjà se demander si l’existencedu dispositif adopté en 1953 interdisaitde mettre un tel véhicule en gage selonles voies du vieux gage de droit com-mun. Plusieurs auteurs estimaient quel’option devait être admise (34). Lajurisprudence paraissait du même avis,plusieurs décisions ayant eu à connaîtrede gages ainsi constitués (35).De la même manière, l’existence d’ungage de stocks dans le Code de com-

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(33) Mentions obligatoires supplémentaires,dont celle selon laquelle le gage est soumis auxarticles L. 527-1 à L. 527-11 du Code de com-merce (C. com., art. L. 527-1)�; publication dugage dans les quinze jours de l’acte sur un re-gistre ad hoc tenu au tribunal de commerce, àpeine de nullité (C. com., art. L. 527-4).(34) J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Droitspécial des sûretés réelles, LGDJ, 1996,n° 878�: «�Le régime spécial du décret de 1953n’exclut pas la possibilité pour les parties de consti-tuer un gage de droit commun ».(35) Ex. récents�: CA Lyon, 12 févr. 1999�;CA Paris, 27 févr. 2004, n° 239662.

Dossier

Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

66 D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012

merce ne devrait pas avoir d’autrevocation que de proposer aux intéressésune option supplémentaire par rapportau droit commun, non d’exclure l’em-ploi de celui-ci. L’option a son utilité�:le régime du Code de commerce estplus contraignant pour le créanciermais elle lui offre clairement la possi-bilité d’exiger un complément de gagesi la valeur de celui-ci décline, mêmeen l’absence de toute clause en cesens�(36). Le gage du Code civil permetmoins bien cela�(37).

Il paraît donc plus dans l’esprit généralde la réforme d’admettre que les pro-fessionnels peuvent librement opterentre le régime du Code civil et celuidu Code de commerce. La questionest, à notre connaissance, parvenueune fois au contentieux et c’est dansce sens libéral que les juges ont, pourl’instant, tranché la question (38). Unpourvoi ayant été formé, il est pro-bable que la Cour de cassation aitl’occasion de se prononcer courant2012 (39). Ce sera heureux car le gagede stocks est fort pratiqué, notammentsur le marché des matières premières(récoltes, minerais, énergies fossiles).

2°/ Les bornes du principe de spécialité

Au stade de la formation des sûretés,les textes sont d’excellente facture etles interrogations qu’ils laissent sub-sister semblent assez faciles à résoudrerationnellement. On aurait pu songerà la question de savoir si les créancesnanties peuvent être autres que moné-taires (40), je préfère me concentrersur un élément typique du droit dessûretés réelles, à savoir le principe despécialité. Ce principe n’existe pas enmatière de sûretés personnelles où,par définition, le garant engage l’in-tégralité de son patrimoine en garantie,ladite garantie pouvant être souscriteomnibus, c’est-à-dire pour l’ensembledes dettes dont le débiteur garanti seratenu envers le créancier. En matièrede sûretés réelles, la réforme a main-tenu la nécessité de pouvoir identifierdès l’acte initial les créances garantiescomme les biens donnés en garantie.

Ce principe est toutefois souple car lachose nantie, comme la créance garan-tie, peut être future.

Mais qu’est-ce qu’une créance future�?C’est une créance qui n’existe pasencore, ce qui la distingue d’unecréance existante mais non encoreexigible. La créance future peut êtreune créance conditionnelle� : uneindemnité de résiliation peut, parexemple, être nantie, même si on nesait pas encore si elle existera jamais.Peut-on aussi nantir une créance quirésultera d’un acte juridique nonencore formé�? Puis-je nantir les loyersfuturs qui résulteront du bail de monimmeuble alors même qu’aucuncontrat de bail n’est encore passé surlui�? Le régime du «�Dailly�» l’admet,car il permet expressément la cessionfiduciaire ou le nantissement de«�créances résultant d’un acte déjà intervenu

ou à intervenir » (C. mon. fin., art.L.�313-23). Pourquoi l’interdire ail-leurs�? De manière intermédiaire, ondoit aussi pouvoir constituer une

sûreté en garantie «�de toutes les créances

qui résulteront du présent acte, en ce compris

tous les amendements et compléments dont

il pourra être l’objet de temps à autre ».

En fait, le principe de spécialité meparaît satisfait dès que les créancesgaranties sont suffisamment bien iden-tifiées pour qu’on puisse sans ambi-guïté déterminer quelles sont lescréances garanties à un instant «�t�».La créance garantie peut donc, à monavis, être l’objet d’une descriptionentièrement abstraite si cette descrip-tion est suffisamment claire pour pas-ser ce test. Si une des créances ainsigaranties n’est pas née au moment dela réalisation, elle n’aura pas été garan-tie�; dans le cas contraire, elle entredans le champ du droit de préférencedu bénéficiaire de la sûreté.

Le point mériterait cependant uneconfirmation, car il permet de donneraux créances garanties une ampleur sigrande que cela rappelle l’engagementomnibus et peut donc faire hésiter (41).

(36) C. com., art. L. 527-7�: « Lorsque l’état desstocks fait apparaître une diminution de 20 % de leurvaleur telle que mentionnée dans l’acte constitutif, lecréancier peut mettre en demeure le débiteur, soit de ré-tablir la garantie, soit de rembourser une partie dessommes prêtées en proportion de la diminution consta-tée. S’il ne lui est pas donné satisfaction, le créancierpeut exiger le remboursement total de la créance, consi-dérée comme échue ». Le mécanisme est inspiré dela technique dite de la «�clause d’arrosage�», trèsutile pour toutes les sûretés réelles dont l’assietteest susceptible d’une diminution de valeur. Elleest fréquente dans les nantissements de compte-titre et l’article L. 211-20, I, du Code monétaireet financier permet de refournir le compte sansque cela constitue un nouveau nantissement.L’intérêt de l’article L. 527-7 est qu’une telleclause n’est plus nécessaire�: la faculté d’exiger«�l’arrosage�» est de droit.(37) Le gage du Code civil permet, certes, d’in-clure dans son assiette des biens futurs. Ceux-cidoivent toutefois être définis ab initio (C. civ.,art. 2336). Un véritable complément de gagesupposerait un contrat nouveau pour une detteancienne, avec les risques que cela présente auregard du droit des procédures collectives (nulli-tés de la période suspecte).(38) CA Paris, 3 mai 2011, n°�10/3656, Bank ofLondon and the Middle East PLC c/ SELARLF. H. B. et al.(39) Maître Antoine Hontebeyrie, professeur à

l’université d’Évry, a plaidé ce dossier au fond etje le remercie de m’avoir confirmé ce point.(40) Typiquement, peut-on nantir une obliga-tion de donner�? Il semble que le régime dunantissement n’ait pas été pensé pour descréances autres que monétaires. Cette précision,que certains auteurs font d’eux-mêmes, auraitavantage à figurer dans la loi. Quant à employerle régime du gage dans un tel cas, mieux vau-drait gager la chose future que le droit de l’obte-nir. Reste que la discussion fait surgir qu’il y acertaines sources de valeur, tels les droits d’op-tion ou les contrats, qui rentrent mal dans les ca-dres du droit commun, même renouvelé.(41) En particulier, on notera que dans le gagesans dépossession, la possibilité d’inscriptionssuccessives invite à comprendre le principe despécialité d’une manière qui permette aux tiersd’à peu près déterminer quelle fraction de la va-leur du bien engagé est réservée au primo inscrit.Si les créances futures garanties sont définies demanière très large, les tiers ne peuvent pas sefaire une opinion. Le droit hypothécaire règle ladifficulté en imposant toujours d’évaluer lemaximum auquel pourront se porter lescréances garanties. Le gage ne retient pas lamême solution�: il impose d’exprimer le mon-tant de la créance garantie en principal, mais lamention d’un plafond est écarté quand lescréances garanties sont futures (D. n° 2006-1804, 23 déc. 2006, précité, art. 2).

Notes

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Les mêmes observations peuventvaloir s’agissant des biens constituésen garantie�: le principe de spécialitéexige simplement de pouvoir iden-tifier sans hésitation, à n’importe quelinstant, quels sont les biens qui, à cetinstant, répondent des créances garan-ties. Sous cette réserve, une détermi-nation abstraite des biens garantis estpossible. Le code a d’ailleurs préci-sément admis la possibilité de gagerou de nantir un «�ensemble » abstraitde biens «�présents ou futurs » (C. civ.,art. 2333 et 2355). S’agissant du gage,il suffit de déterminer «�la quantité des

biens donnés en gage ainsi que leur espèce

ou leur nature » (art. 2336). Le décretrelatif à la publicité du gage confirmeque la désignation du bien peut aussibien être concrète qu’abstraite, l’es-sentiel étant de fournir les éléments«�permettant de l’identifier » (42). Il enva de même dans le nantissement où,relativement aux créances futures,l’acte «�doit permettre leur individuali-

sation ou contenir les éléments permettant

celle-ci » (C. civ., art. 2356).

Un tel dispositif m’autorise sans douteà gager «�tous�» les véhicules automo-biles dont je serai propriétaire. Puis-je pareillement désigner l’assiette dugage par une formule telle que�: «�45�%

de ma flotte automobile, présente et future»�?Ce n’est pas complètement évident,car le passage de l’abstrait au concretne va pas ici de soi si les véhicules nesont pas parfaitement fongibles.

La question a aussi son importancepour les biens incorporels relevant deces textes. Puis-je, par exemple, nantirau profit de mon créancier «�toutes les

parts sociales dont je suis et deviendrai

titulaire dans telle société »�? Le décretn°�2006-1804 du 23�décembre 2006impose, à ce sujet, la mention nonpas exactement de la «�quantité » maisdu «�nombre de parts sociales nanties »(art. 2, 5°). Est-ce que l’indicationd’une proportion satisfait aux exi-gences du texte�? On peut le penser.À ce compte, un débiteur peut-ilgager « tous ses biens meubles, présents

ou futurs »�? Même s’il n’y a avec unetelle formule aucune difficulté à iden-tifier les biens concrètement concer-nés, l’hésitation naît à nouveau. Ellerévèle la vieille ambiguïté au fonde-ment du principe de spécialité�: est-il uniquement d’esprit pratique,bornant son ambition à fixer l’iden-tification des biens réalisables et descréances couvertes�? N’est-il pas éga-lement d’esprit protecteur pour ledébiteur, visant à empêcher que celui-ci «�mange son blé en herbes�»�? N’est-il pas aussi l’écho lointain de l’idéed’égalité des créanciers, auquel cas ilviserait à empêcher qu’une sûreté par-ticulière puisse se transformer en pri-vilège général�?

L’esprit de la réforme semble résolu-ment en faveur de la première solutionmais les conséquences peuvent enparaître virtuellement si larges qu’onpeut regretter qu’il n’ait pas été prévu,comme en matière d’hypothèques,une obligation de plafonner le mon-tant de la dette garantie (C. civ.,art.�2423) (43) ainsi qu’une possibilitéde réduction des sûretés dont l’assietteest manifestement disproportionnée(C. civ., art. 2444 et 2445).

3°/ La répartition des pouvoirs sur le bien

offert en garantie

Un bien peut rester durablementgrevé de la sûreté. Chacun convientqu’il vaut mieux éviter, dans l’intérêtde tous, que la sûreté en entrave l’ex-ploitation. Mais comment faire�? S’ily a dépossession, le constituant nepeut matériellement plus l’exploiter,sauf à s’être vu rétrocéder la jouissancedu bien par l’effet d’une conventionde mise à disposition dont la natureest indécise� : le droit de la fiducieindique qu’il ne peut pas s’agir d’unbail commercial ni d’une location-gérance. Est-ce à dire qu’il ne s’agitpas même d’un bail�? C’est pourtantla qualification à laquelle renvoie l’an-cienne antichrèse, désormais dénom-mée «�gage immobilier�» (C. civ., art.2390) (44). La nature juridique durapport qui s’institue entre le créancier

et le constituant mériterait davantagede précision.

Au-delà, la question de savoir quelssont les pouvoirs que le constituantconserve sur son bien mériterait d’êtreprécisée en son principe même. Enbonne logique, on devrait dire qu’illes conserve tous, en ce compris celuide disposer de la chose, car il demeurepropriétaire (45).Cela expose le créancier au risque dedissipation de son gage, notammentsi le constituant vend la chose à untiers. Pour prévenir cela, existent unesanction pénale (C. pén., art. 314-5)et une sanction civile� : le droit desuite. Ce dernier existe sans nul douteen matière immobilière, car l’arti-cle�2461 du Code civil dispose que�:«�Les créanciers ayant privilège ou hypo-

thèque inscrits sur un immeuble, le suivent

en quelques mains qu’il passe, pour être

payés suivant l’ordre de leurs créances ou

inscriptions ».Peut-on en dire autant en matièremobilière�? L’article�2337 du Code civildispose que�: «�Lorsque le gage a été régu-

lièrement publié, les ayants cause à titre par-

ticulier du constituant ne peuvent se prévaloir

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(42) D. n° 2006-1804, 23 déc. 2006, précité,art. 2, 4°�: «�La désignation du bien gagé avec l’in-dication des éléments permettant de l’identifier, no-tamment sa nature, son lieu de situation et, le caséchéant, sa marque ou son numéro de série, ou,lorsqu’il s’agit d’un ensemble de biens présents oufuturs, leur nature, qualité, et quantité ».(43) Rappr. C. consom., art. L. 341-2, qui,en matière de cautionnement souscrit par unepersonne physique, impose de plafonner l’en-gagement de la caution.(44) C. civ., art. 2390�: «�Le créancier peut, sansen perdre la possession, donner l’immeuble à bail,soit à un tiers, soit au débiteur lui-même ».(45) Contra M. Mignot, L’indisponibilité de lacréance nantie�: une pièce manquante essen-tielle du dispositif législatif issu de l’ordon-nance n°�2006-346 du 23�mars 2006, RDbancaire et fin. 2010, étude 2, spéc. n° 6, oùl’auteur estime qu’en principe la créationd’une sûreté réelle emporte indisponibilité dubien et s’inquiète qu’il n’en aille pas de mêmeen matière de nantissement de créance. Il mesemble, à l’inverse, qu’on peut céder un im-meuble hypothéqué, un bien gagé ou unecréance monétaire nantie. Chaque sûreté pro-tégera son bénéficiaire à sa manière�: droit desuite, droit de rétention, inopposabilité, etc.

Dossier

Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

68 D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012

de l’article�2276 ». Cela signifie que lecessionnaire d’un bien gagé ne pourrapas se prévaloir de la règle selon laquellesa possession lui vaut titre. Mais est-ceun droit de suite�? Cela vaut-il à l’égarddu sous-acquéreur de la chose�? Cen’est pas certain. En outre, cette incer-titude devient redoutable quand plu-sieurs créanciers sont inscrits (v. infra).

En toute hypothèse, on voit qu’uneprécision sur les pouvoirs juridiquesconservés par le constituant n’est pasvaine. S’y joue l’équilibre à trouverentre la sécurité du créancier, l’intérêtde laisser le constituant exploiter lachose et les droits des tiers avec les-quels il traite.

Le sujet rebondit en matière de sûretéavec dépossession. Il se peut que ladépossession soit économiquementheureuse si le créancier a l’opportunitéd’exploiter lui-même la chose ou s’illa confie à un tiers détenteur qui val’exploiter. Mais peuvent-ils le faire�?Si le constituant en est d’accord, onne voit pas pourquoi les en empêcher�;mais cela donnera lieu à une conven-tion spécifique. Or la combinaisonde la logique des sûretés avec celle ducontrat destiné à permettre l’exploi-tation n’est pas toujours simple.

Pour concrétiser le propos, on peutimaginer le cas du propriétaire d’uneflotte de véhicules destinés à la loca-tion�; la flotte peut être gagée tout encontinuant à être exploitée si onnomme les agences de location «�tiersconvenu�». On peut aussi imaginer lecas du producteur de pétrole qui metcertains volumes en gage tout en lesfaisant raffiner�; c’est possible si le raf-fineur est nommé «�tiers convenu�».Cet exemple montre toutefois les dif-ficultés qui peuvent surgir�: si le raffi-neur ne tient pas les volumes reçusséparés des siens propres, il en acquiertla propriété par confusion�; cela faitredouter sa faillite. Que devient alorsle droit du gagiste comme celui duconstituant�? Quelqu’un peut-il reven-diquer les stocks à lui confiés (46)�?

Cet exemple pourrait être généraliséà tous les biens industriels. L’intérêtéconomique qui s’attache à pouvoirles offrir en garantie sans suspendreleur cycle de transformation paraîtconsidérable. Cette hypothèse del’exploitation du bien par le gagisteou par un tiers convenu mériteraitdonc quelques précisions.

4°/ La purge des inscriptions en matière

mobilière

Les modes d’extinction d’une sûretémériteraient aussi plusieurs précisions.La réalisation semble être le modenaturel, la mainlevée en étant un autre,qu’elle soit judiciaire ou volontaire.À cela la jurisprudence a, dans ledomaine des cessions fiduciaires en«�Dailly�», ajouté que la créance cédéefaisait automatiquement retour aucédant en cas d’extinction de lacréance garantie (47). Cela paraît allerde soi, par application du principe del’accessoire, mais peut être un foyerde contestations quand le point desavoir si la créance garantie est payéemérite une vérification judiciaire.Pareillement, on pourrait s’interrogersur les modalités de mise en œuvredu pacte commissoire, notammentsur le régime de la soulte due au casoù la valeur du bien excède celle dela dette demeurée impayée (48). Unautre sujet, plus important à mon avis,est de savoir comment la réalisationéteint la sûreté si plusieurs inscriptionsgrèvent le bien.

La question est très simple en matièrehypothécaire�: la réalisation se traduitpar une saisie�; à la procédure de saisiesont appelés tous les créanciers ins-crits�(49)�; la saisie se traduit par unevente de l’immeuble aux enchères�;une fois l’immeuble adjugé au plusoffrant, «�la consignation du prix et le

paiement des frais de la vente purgent de

plein droit l’immeuble de toute hypo-

thèque » (C. civ., art. 2213). Le prixd’adjudication sera ensuite distribuéentre les créanciers selon leur rang,comme en matière de purge (C. civ.,art. 2475 s.).

En matière mobilière, les biens sus-ceptibles d’inscriptions successivessont nombreux�: le nantissement decompte-titre en est un exemple clas-sique mais délicat car nullement déve-loppé par les textes�; le gage en estun autre, cette fois indiscutable(C. civ., art. 2340). Toutefois, la loiomet de préciser en cette matière quel’adjudication des biens gagés les purgede leurs inscriptions.Cela veut-il dire que l’adjudicatairedevrait subir un éventuel droit desuite des autres gagistes qui ne pou-vaient ou ne voulaient se joindre à lasaisie�?Des précisions seraient ici des plusnécessaires. S’y joue l’attractivité desenchères d’un bien gagé, car nul ne

Notes

(46) Ce sujet a été développé lors des pre-mières Journées Michael Elland Goldsmith,organisées par le cabinet Clifford Chance, avecle parrainage de l’AEDBF, le 23 octobre 2008.(47) Cass. com., 19 sept. 2007, n° 04-18.372,Bull. civ. I, n° 257, RDC 2008, obs. A. Ay-nès, LPA 2008, n°�11, p. 20, note M.-A. Ra-kotovahiny�: «�Le cédant d’origine peut retrouverla propriété de la créance cédée sans formalité particu-lière dans la mesure où la garantie prend fin lorsqueson bénéficiaire n’a plus de créance à faire valoir oulorsqu’il y renonce »�; Cass. com., 9�févr. 2010,n° 09-10.119, Bull. civ. IV, n°�34, D. 2010,p. 578, JCP E 2011, 112, note A. Aynès�: «�La cession de créance effectuée à titre de garantieprend fin sans formalité particulière pour les sommesexcédant la créance qui reste due à la banque cession-naire par le cédant »�; Cass. com., 3 nov. 2010,n°�09-69.870, Bull. civ. IV, n° 162, JCP E2011, 112, note A. Aynès.(48) En matière mobilière comme immobi-lière, les textes se bornent à instituer cette dettede restitution de l’excédent. La convention departies pourrait-elle prévoir sa conservation parle créancier à titre de clause pénale�? Des au-teurs l’envisagent (L. Aynès et P.�Crocq, Lessûretés, La publicité foncière, op. cit., nos 515 et790). Pourrait-on aussi retarder son versementà la revente du bien par l’attributaire, ce quiéviterait à ce dernier de devoir encore décais-ser de l’argent frais alors qu’il est déjà, par défi-nition, un créancier impayé�? Pourrait-on aussiconvenir, dans le cas où le pacte porte sur unensemble de biens, que la soulte pourra êtrepayée par restitution d’une fraction de celui-ciau débiteur, c’est-à-dire par une dation enpaiement convenue d’avance�?(49) D. n° 2006-936, 27 juill. 2006, JO 29juill., relatif aux procédures de saisie immobi-lière et de distribution du prix d’un immeu-ble, art. 40.

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sera très intéressé par un bien si celui-ci n’est pas débarrassé de toutes lesinscriptions qui le grèvent. S’y joue,corollairement, la consistance du«�droit de suite�» dont l’article�2337du Code civil semble investir lescréanciers régulièrement inscrits àl’encontre des «�ayants cause à titre par-

ticulier du constituant ».

En fait, le mal vient ici de ce que ledroit des voies d’exécution mobilièresn’a pas été adapté à l’innovation consi-dérable que représentait la possibilitéde gages successifs. Par suite, quandl’article�2346 du Code civil disposeque la vente forcée du gage «�a lieu

selon les modalités prévues par les procé-

dures civiles d’exécution », il renvoie àun droit de la saisie-vente qui ne prendpas en compte l’idée d’une pluralitéde gagistes hiérarchisés dont, en outre,les créances ne sont pas exigiblessimultanément (50).Pour que le système fonctionne aisé-ment, il faudrait répliquer celui quiprévaut en matière immobilière.

On peut imaginer que la jurispru-dence, en cas de difficultés, procéderad’elle-même à cet alignement sur ledroit hypothécaire. C’est néanmoinsun pari sur son goût pour la symétrieet sur sa volonté de faire produire àla réforme tous ses effets utiles pourles créanciers. Un tel pari peut êtretenté, de sorte que ce besoin de pré-cision n’est pas, semble-t-il, de natureà freiner le développement du nou-veau gage.Il convient d’être plus réservé sur uncinquième et dernier point, propreau nantissement de créance.

5°/ L’objet du nantissement de créance

Quel est l’objet véritable du nantis-sement de créance� ? La questionétonne. Et pourtant, il y a une vieilleéquivoque dans la notion de créancemonétaire�: c’est un droit personnel,mais une vocation à une chose (lesfonds). Certes, d’un point de vuetechnique, la lettre des textes donnele droit de créance comme assiette au

nantissement, mais d’un point de vueéconomique, ce qui est visé ce sontles fonds. Alors, est-ce le droit qui estnanti ou sont-ce les fonds�? Un jeunedocteur, M.�Maxime Julienne, vientde soulever la difficulté d’une manièrequi mérite qu’on s’y arrête (51). Leproblème concerne surtout le nan-tissement d’une créance à exécutioninstantanée, telle une créance de prix.On gardera cet exemple.

La question pratique est de savoir ceque devient le nantissement de lacréance de prix une fois la créanceéteinte par le versement du prix à quide droit. La thèse de M. Julienne estde dire que le nantissement se trans-forme en un gage sur les fonds.Cette thèse conforte la prise de nan-tissements successifs sur une créanceà exécution instantanée.

L’hypothèse intéressante est la sui-vante�: une créance de prix est nantieau bénéfice de deux bénéficiaires suc-cessivement, qu’on appellera Rang 1et Rang 2. L’un puis l’autre ont notifiéleur nantissement au débiteur de lacréance nantie. Celui-ci paye rang 1�;la créance nantie est donc éteinte.Quel est le sort des fonds�? L’arti-

cle�2364 le précise�: le nanti imputeou affecte les fonds au paiement dece qui lui est dû par le constituant.Que se passe-t-il ensuite� ? L’arti-cle�2366 le précise�: «�S’il a été payé

au créancier nanti une somme supérieure

à la dette garantie, celui-ci doit la différence

au constituant ».

C’est entre ces deux opérations quedevient cruciale la question de savoirsi Rang 2 a un droit sur les fonds reçuspar Rang 1.Si on l’admet, Rang 1 ne devra pasrestituer au constituant ce qui restedes sommes reçues une fois qu’il y a

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(50) Le droit de la saisie-vente n’envisage unedistribution du prix d’adjudication qu’entreles créanciers qui se sont joints à la saisie(D. n° 92-755, 31 juill. 1992, JO 5 août,art. 283 à 293). Cependant, aucune obligationn’est faite au saisissant de dénoncer la saisie auxgagistes inscrits et la loi continue à réserver au«�créancier muni d’un titre exécutoire constatant unecréance liquide et exigible » la possibilité de «�sejoindre aux opérations de saisie par voie d’op-position�» (L. n° 91-650, 9 juill. 1991, JO14 juill., art. 50�; D. n° 92-755, 31 juill. 1992,5 août, art. 118). Par suite, le gagiste dont lacréance n’est pas encore exigible ne semblepas, en l’état des textes, pouvoir se joindre à laprocédure de réalisation du gage.(51) M. Julienne, Le nantissement de créance,L. Aynès (dir.), thèse Paris 1, nov. 2011.

Dossier

Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français

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prélevé de quoi le désintéresser. Ildevra d’abord inviter Rang 2 à venirprélever son dû.Si on le refuse au motif que le nan-tissement n’offre qu’un droit sur la«�créance�» et que celle-ci a été régu-lièrement éteinte, on voit que Rang�2n’a plus aucune assiette à ses droits eton comprend qu’il est illusoire deconstituer des nantissements successifssur une créance à exécution instan-tanée. Autrement dit, si on estimeque le nantissement n’a que la créancepour assiette, un créancier voulantoccuper l’équivalent d’un Rang 2 doitprocéder autrement. Pour être assuréde pouvoir appréhender le sous-jacentaprès Rang 1, il lui faut exiger que leconstituant nantisse à son profit nonla créance de prix mais la créance derestitution de l’éventuel excédentdont l’article�2366 l’investit contreRang 1.

Entre ces deux analyses, laquelle choi-sir�? La manière d’organiser une sûretéde second rang n’en est qu’un desenjeux (52).Le régime de l’usufruit de créancesmontre qu’il est possible qu’un droitsur une créance se prolonge, aprèspaiement, sur l’actif sous-jacent.Les textes ne s’accordent pourtantpas d’évidence avec l’idée avancéepar M. Julienne. Par exemple, l’ar-ticle�2362 impose de notifier le nan-tissement au débiteur de la créancenantie. Si la créance nantie est le prixde vente d’un immeuble, Rang 2devra notifier son nantissement àl’acquéreur. Et pourtant, comme cedernier a déjà reçu notification de lapart de Rang 1, il ne peut valablementverser le prix qu’entre les mains deRang 1. Où est alors l’intérêt de lanotification effectuée par Rang 2�?La personne à qui Rang 2 a intérêtà s’adresser, c’est Rang 1. Autrementdit, la notification par Rang 2 neprend de sens qu’à l’encontre deRang�1. Mais cela renvoie plutôt àl’idée que l’obligation nantie au pro-fit de rang 2, c’est l’obligation dontRang 1 est débiteur, c’est-à-dire

l’obligation de restituer l’excédentau constituant.

J’hésite donc, pour ma part, à suivreM. Julienne sur cet aspect de sa thèse,par ailleurs remarquable. Quand lacréance est à exécution instantanée,il peut paraître plus conforme à l’éco-nomie des textes, pour constituerl’équivalent d’un second rang, de nan-tir la créance de soulte dont l’arti-cle�2366 investit le constituant contreRang 1. Quand la créance est à exé-cution successive, on peut bien plusfacilement imaginer de nantir plu-sieurs fois une même créance, maisle Rang 2 pourra n’être opératoirequ’une fois prononcée la mainlevéedes droits de Rang 1.

Le plus sûr, qui n’est pas le plus simple,pourra être de combiner les deuxapproches. Pour constituer un Rang�2,on nantira donc une deuxième fois lacréance initiale mais on nantira aussil’éventuelle créance de soulte du consti-tuant. Cela fera deux actes au lieu d’un�;«�ceinture et bretelles�», comme l’ondit.Une précision législative permettraitd’obtenir la sécurité à moindre frais.Au-delà de simples précisions, quelquescompléments à la réforme permet-traient de lui faire sortir encore davan-tage ses effets utiles afin de favoriser ledéveloppement d’un crédit raisonnableparce que garanti de manière simpleet sûre.

B – Les compléments envisageables

Bien des idées pourraient être iciavancées. On se bornera à trois sug-gestions relatives à la création d’unstatut d’agent des sûretés, à une défi-nition de la propriété fiduciaire et àla création d’un régime propre à laconstitution de sûreté réelle en garan-tie de la dette d’autrui.Ces suggestions sont destinées à faci-liter le développement des sûretéssans doute les plus complexes maiscertainement les plus importantes

pour le développement des créditsde grande ampleur, à savoir les sûretésimpliquant plusieurs intervenants.

Les crédits importants supposent sou-vent le concours de plusieurs prêteursregroupés en «�pool�» ou en «�syndi-cat�». Ce sont les crédits syndiqués.Dans ce genre d’hypothèse, le tableauest rarement le même en début et enfin d’opération�: les créanciers peu-vent avoir changé, car les premiersont cédé leur participation à d’autres�;les créances peuvent avoir changé,car des tranches supplémentaires decrédit peuvent avoir été accordées,notamment par des financeurs nou-veaux venus. En outre, il est fréquentque les sûretés consenties soient detous ordres, formant un «�paquet�»(le Security Package) hétéroclite alorsqu’il doit s’adapter à ces évolutions.Il est également fréquent que lesgarants soient multiples, et qu’au-delà de l’emprunteur, sa société mèreou d’autres entités du groupe aientconsenti des sûretés réelles, notam-ment sur titres, en garantie de sa dette.

Face à cette complexité, une insti-tution anglaise est extrêmement pra-tique alors qu’elle était inconnue enFrance�; il s’agit de l’agent des sûretés(Security Agent). Celui-ci peut inscrireles sûretés, les réaliser ou les modifiercomme s’il était l’unique bénéficiairedes sûretés, ce qui facilite extraordi-nairement leur adaptation. C’est bienplus qu’un mandataire au sens du

Notes

(52) Autre enjeu considérable�: comment li-quider créance de restitution du constituantcontre Rang 1�? Dans l’option de M. Julienne,cette créance ne pourra être liquidée qu’unefois les droits de rang 2 fixés, ce qui imposed’attendre que sa créance soit mature. Dansl’autre option, cette créance peut immédiate-ment être liquidée, et si un nantissement a étéconstitué au profit de «�Rang 2�» sur cettecréance, Rang 1 lui en verse le montant, queRang 2 verse sur un compte spécial, etc… Enjeu consécutif�: quelle créance les tiers peu-vent-ils saisir�? S’ils veulent appréhender cequi restera après paiement de Rang 2, doi-vent-ils s’adresser à Rang 1 ou à Rang 2�?(53) L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 16.(54) L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 80.

D R O I T & P A T R I M O I N E ■ N°213 - AVRIL 2012 71

Code civil, car il n’est pas révocablecomme s’il était porteur d’autant depouvoirs qu’il y a de créanciers�; enoutre, le produit de la réalisation dessûretés va dans son propre patri-moine, à charge pour lui de le répartirentre les différents créanciers.Peu après la réforme de 2006, uneloi a tenté d’introduire l’institutiondans le Code civil en y créant un arti-cle�2328-1 disposant que�: «�Toute

sûreté réelle peut être inscrite, gérée et réa-

lisée pour le compte des créanciers de l’obli-

gation garantie par une personne qu’ils

désignent à cette fin dans l’acte qui constate

cette obligation » (53). On fit remarquerque le texte ne lui permettait pas deconstituer ladite sûreté, de sorte querien n’en était simplifié. L’année sui-vante, on ajouta donc que la sûretépouvait aussi être «� constituée » parlui�(54). L’institution n’eut pas davan-tage de succès.

En réalité, cette figure de l’agent dessûretés ne s’intègre guère dans notredroit des contrats spéciaux. Reflétantla décomposition des fonctions quepermet le trust, elle suppose d’admet-tre qu’on puisse être titulaire d’unesûreté sans être le titulaire de lacréance garantie. Elle suppose aussiqu’on puisse réaliser la sûreté et enpercevoir le produit dans son patri-moine sans en être exactement le pro-priétaire car on agit au profit d’autrui.Une telle révolution culturelle pourle juriste français nécessite davantagequ’un texte de deux lignes. Ellenécessite un régime complet. Larécente réforme de l’Acte uniformedes sûretés de l’Organisation pourl’harmonisation en Afrique du droitdes affaires (OHADA) y a veillé (55).Le droit français pourrait le relayerpuisqu’un nouveau texte sur l’agentdes sûretés est en préparation. Ellerencontrera, à mon avis, d’autantmieux le succès qu’elle s’accompa-gnera d’une consécration en droit desbiens de la notion de propriété fidu-ciaire. Il s’agit, en effet, d’ancrer l’idée

qu’à côté de la propriété de l’arti-cle�544 du Code civil existe une pro-priété particulière, reflétant unedissociation de titres analogue à cellequi existe en matière de trust.

Cet élément fait actuellement défauten droit des biens, et cette carenceexplique pour partie le relatif insuccèsde la fiducie-sûreté malgré la suited’améliorations dont elle a été l’objetdans les textes. Intellectuellement, onpeut admettre qu’une personne puisserevendiquer un bien sans avoir le pou-voir d’en disposer�; qu’elle puisse enjouir sans pouvoir en consommerlibrement les fruits�; qu’elle ait unepropriété précaire et fonctionnelle,destinée à profiter à un tiers et exercéesous son regard. Cela ne s’admet tou-tefois pas aisément sans texte expli-quant précisément les attributs et lescharges de cette nouvelle forme dedroit réel. Le quasi-usufruit nous ahabitués à cette forme de propriétéimparfaite�; la réforme montre que lelégislateur s’est convaincu de son uti-lité�; son installation dans la pratiquedemande cependant une réforme dudroit des biens lui-même, en songeantà toutes les connections que celui-cipeut avoir avec le reste du droit patri-monial.

Enfin, un dernier ajout serait sansdoute utile dans l’outillage du droitdes sûretés réelles. On sait que, depuis2005, la jurisprudence affirme«�qu’une sûreté réelle consentie pour garan-

tir la dette d’un tiers n’impliquant aucun

engagement personnel à satisfaire à l’obli-

gation d’autrui (n’est) pas dès lors un

cautionnement »�(56). Cette solutiona jeté sur le régime de la sûreté réellepour autrui une incertitude regret-table. Elle appelle à redéfinir quellessont les règles protectrices des cau-tions qui méritent d’être étendues àceux qui, en garantie de la dette d’untiers, n’ont pas engagé tout leur patri-moine mais certains de ses articlesseulement (57). À l’heure actuelle, il

semble qu’ils ne puissent bénéficierd’aucune d’elles alors que les raisonsde les protéger existent pourtantautant. Ce décalage laisse redouterqu’un jour ou l’autre, la jurisprudencefinisse par modifier à l’improviste lecaractère apparemment radical de saposition.

L’insécurité juridique est le contrairede ce qu’exige le droit des sûretés.Mieux vaut donc un droit qui fassela part des choses en prenant encompte l’intérêt de chacun qu’unsystème qui, par son excès, faitredouter une réaction prétorienne.Cet équilibre est dans notre tradi-tion. La réforme législative françaisea d’ailleurs montré que parmi les ins-titutions nouvellement créées, lesplus cohérentes avec sa tradition ontété accueillies avec faveur, là oùcelles qui manquent encore d’enra-cinement ont moins convaincu.Chez les praticiens des sûretés,juristes prudents s’il en est, on faitplus facilement crédit à la réformequ’à la révolution. ■

RÉFORME DES SÛRETÉS : PREMIERS BILANS

Notes

(55) Nouvel Acte uniforme portant organisa-tion des sûretés, adopté le 15 décembre 2010,JO OHADA, 15 févr. 2011, art. 5 à 11�;P. Crocq, Les grandes orientations du projetde réforme de l’Acte uniforme portant organi-sation des sûretés, in Bientôt un nouveau droitdes sûretés dans l’OHADA, Dr. & patr. 2010,n°�197, p. 52 et s., spéc. p. 58-59�; T. Giustiniet A. Barry, Aperçu général de la réforme dessûretés en droit OHADA et étude compara-tive de l’agent des sûretés�», v. ce dossier, infra.(56) Cass. ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210,Bull. civ. ch. mixte, n° 7, D. 2006, p. 61,note V. Avena-Robardet, Bull. inf. C. cass.,15 janv. 2006, p. 47, rapp. A. Foulquié, D. 2006,p. 729, avis J. Sainte-Rose, note L. Aynès,JCP 2005, II, 10183, note Ph. Simler, LPA2006, n° 16, note D. Houtcieff, RLDC2006/23, p. 25, obs. M. Mignot, Defrénois2006, p. 586, obs. R. Libchaber.(57) Pour des propositions, v. A. Aynès,Quelques aspects du régime juridique des sû-retés réelles pour autrui�», in Mélanges Chr.Larroumet, Economica, 2010, p. 1�; J.-J. An-sault, Le cautionnement réel, préf. P. Crocq,Economica, 2009.