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Dossier préparé par FANNY HUVELLE Professeur de Lettres agrégée Contact : [email protected] | 06.07.23.75.79 L ES A R P E N T E U R S 51 rue Louis Faure, 59000 LILLE Tel . 06.18.17.25.14. ou 09.81.02.13.68 | Mel . [email protected] SIRET : 528 117 690 00016 | Code APE : 9001Z

Dossier préparé par F H - En construction Mort d-Olivier Becaille... · Nouvelle d’Emile Zola, publiée en 1879 dans Le Messager de l’Europe ... Jacques Damour ). A la fois

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Dossier préparé par FANNY HUVELLE Professeur de Lettres agrégée

Contact : [email protected] | 06.07.23.75.79

L E S A R P E N T E U R S 5 1 r u e L o u i s F a u r e , 5 9 0 0 0 L I L L E T e l . 0 6 . 1 8 . 1 7 . 2 5 . 1 4 . o u 0 9 . 8 1 . 0 2 . 1 3 . 6 8 | M e l . l e s a r p e n t e u r s @ h o t m a i l . f r N ° S I R E T : 5 2 8 1 1 7 6 9 0 0 0 0 1 6 | C o d e A P E : 9 0 0 1 Z

Six heures du matin, un homme, inerte, monologue, perdu au fin fond

du néant de sa boîte crânienne. Sa conscience ne perçoit plus autour

de lui que de vagues sons, paroles et bruits, égarés dans un opaque

brouillard de langage. Il ne lui reste plus en mémoire que la faible

lueur d’un filament incandescent. Un goût de terre humide lui barre la

langue. Crépuscules du matin et du soir réunis.

Et nous voilà, nous, témoins immobiles de sa banale infortune, de ses

aventures souterraines, où seul l’écho de sa conscience raisonne. Ses

pensées sont d’eau et ses mots de terre. Il devient impossible de le dis-

cerner. Est-ce un homme ? Oui, ça a été un homme. « Je cherche un

homme » disait l’autre dans son tonneau, à la main une lanterne souf-

flée par les vents. Peut-être l’avons-nous trouvé ? Même de très loin il

nous parle. Même d’au-delà il s’adresse à nous. Il semble même qu’il

se rapproche. Oui, il revient.

Mais cet homme est mort.

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| 3 S OMMA I R E

FICHE TECHNIQUE DU SPECTACLE

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PREMIÈRE PARTIE LA PLACE DE LA NOUVELLE DANS L’ŒUVRE DE ZOLA Le conteur dans l’ombre du romancier Une hantise personnelle et collective

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8 DEUXIÈME PARTIE ANALYSE DE LA NOUVELLE

ET PROPOSITIONS D’ACTIVITÉS Le dispositif narratif

Le cadre réaliste et naturaliste L’illusion fantastique

Lazare ou la figure du revenant TROISIÈME PARTIE ANALYSE DU SPECTACLE ET PROPOSITIONS D’ACTIVITÉS De la nouvelle au théâtre : le travail d’adaptation L’acteur, le zombi L’espace scénique : une boîte à apparitions

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LES EXPLOITATIONS PÉDAGOGIQUES POSSIBLES En classe de 4e

Récits du XIXème siècle � L’illusion fantastique � Le cadre réaliste et naturaliste. � La figure du revenant.

En classe de 2nde

Le roman et la nouvelle au XIXème siècle : réalisme et naturalisme

� Le cadre réaliste et naturaliste Histoire des arts : l’influence de la

photographie.

En classe de 1ère Le roman et ses personnages : vision

de l’homme et du monde � La figure du revenant Le texte théâtral et sa représentation,

du XVIIème siècle à nos jours � Analyse du spectacle.

22 QUATRIÈME PARTIE APRÈS LE SPECTACLE...

Contacts utiles, Les Arpenteurs 51 rue Louis Faure - 59000 Lille [email protected] Fanny Huvelle - rédactrice de ce dossier : [email protected] 06.07.23.75.79 Maxence Cambron - metteur en scène de la compagnie : [email protected] 06.62.06.33.16 Roxane Noël-Miller - relations avec le public : [email protected] 06.18.17.25.14 Visitez aussi notre site web : http://lesarpenteurs.unblog.fr ou retrouvez-nous sur Facebook.

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| 4 F I C H E T E C H N I Q U E

Nouvelle d’Emile Zola, publiée en 1879 dans Le Messager de l’Europe

puis reprise en 1884 dans le recueil Naïs Micoulin.

Un spectacle des A r p e n t e u r s

Création le 19 janvier 2012 - Théâtre Massenet, Lille

Mise en scène, scénographie & lumière,

Maxence Cambron

Interprétation,

Rémy Dehame

Conception sonore,

Melissa Jouvin & Maxence Cambron

Extraits musicaux tirés des œuvres de

André Boucourechliev, John Adams, Jean-Paul Dessy, György Kurtág, György Ligeti, Krzysztof Penderecki,

Wolfgang Rhim & Franz Schubert

Costume,

Fanny Huvelle

Maquillage,

Marina Gandrey

Production,

Compagnie Les Arpenteurs

Durée,

55 minutes

En 1884, Emile Zola fait publier le recueil Naïs Micoulin, ainsi composé : • Naïs Micoulin • Nantas • La Mort d’Olivier Bécaille • Madame Neigeon • Les Coquillages de M. Chabre • Jacques Damour Aujourd’hui, ces nouvelles sont ré-

unies par les éditions Flammarion (GF), sous le titre, Naïs Micoulin et autres nouvelles. C’est cette édition qui nous sert

d’ouvrage de référence.

Par ailleurs, La Mort d’O-livier Bécaille est disponi-ble aux éditions Librio (n°42) ainsi que chez Ha-tier (coll. Collège).

Les Arpenteurs sont accompagnés p a r l e Z E M T H É Â T R E , L i l l e

| 5 L A N O U V E L L E D A N S L ’ ŒU V R E D E Z O L A

Parallèlement à la grande fresque des Rougon-

Macquart, Zola a écrit de nombreux contes et nou-velles parus dans divers journaux et souvent re-

pris en recueils - une dizaine en tout -, depuis Les

Contes à Ninon (1866) jusqu’à Madame Sourdis (posthume, 1929). La Mort d’Olivier Bécaille figure

dans Naïs Micoulin, un recueil de 1884 rassem-blant six nouvelles parues entre 1876 et 1880

dans Le Messager de L’Europe, la grande revue de Saint-Pétersbourg. La republication de ces récits

brefs se produit donc à un moment décisif de la grand ‘œuvre zolienne : elle suit la parution de La

Joie de Vivre qui d’ailleurs met en scène un person-nage nommé Lazare et précède celle de Germinal.

Le choix de ces textes au scénario souvent déceptif reflète pour Olivier Lumbroso l’humeur pessimiste de l’auteur endeuillé par la mort de Flaubert et cel-le de sa mère notamment, survenues au début des

années 1880.

Néanmoins, la composition du recueil fait apparaître une certaine symétrie telle qu’à la gravité des premiers textes (Naïs Micoulin, Nantas, La Mort

d’Olivier Bécaille) répond la dé-rision des derniers ( Les Coquil-

lages de Monsieur Chabre, Mada-

me Neigeon, Jacques Damour). A la fois réaliste, naturaliste, sati-rique et fantastique par en-droits, le recueil présente quel-ques unes des différentes facet-tes de la nouvelle dont Zola a volontiers pratiqué l’art comme nombre de ses contemporains. Adaptée au support éditorial du journal d’où les auteurs au XIXè-me siècle tirent leurs principa-les ressources, la nouvelle offre une souplesse et requiert une intensité qui pouvait plaire à Zola plongé dans la vaste entre-prise des Rougon-Macquart et son lourd travail de documenta-tion.

Gravure illustrant La Mort d’Olivier Bécaille dans l’é-dition des œuvres complètes d’Emile Zola (1906).

Emile Zola, caricaturé par André Gill. Les Hommes d’au-jourd’hui (septembre 1878)

1 , L e c o n t e u r d a n s l ’ o m b r e d u r o m a n -1 , L e c o n t e u r d a n s l ’ o m b r e d u r o m a n -

c i e rc i e r

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Par sa charge psychique et ses accents fantastiques, La Mort d’Olivier Bécaille apparaît comme une œuvre singulière dans la bibliographie de Zola, bien qu’elle développe une sorte

de cauchemar intime de l’auteur partagé, semble-t-il, par certains de ses contemporains.

Au siècle troublé par les contestations populaires et les fréquents changements de ré-gimes (qui font revenir des principes monarchiques abolis), un pan de littérature répond par un motif récurent : le revenant (précisons : celui qui revient alors qu’on le croyait ou mort ou

disparu sans retour possible). C’est en effet au XIXème siècle qu’avec l’intensification du souffle romanesque vont naître ces personnages de retournant, souvent revenus se venger de ceux

qui avaient participé à leur déchéance ou pour contrarier les plans d’une éradication pro-grammée. Citons comme exemples célèbres Edmond Dantès dans Le Conte de Monte-Cristo

d’Alexandre Dumas (1844) Hyacinthe Chabert dans le roman d’Honoré de Balzac Le Colonel

Chabert (1844) ou les personnages de Jean Valjean dans Les Misérables (1862) ou de Giliatt dans Les Travailleurs de la mer

(1866) chez Victor Hugo ; ces personnages offrant un écho aux nébuleuses politiques du

siècle. A ce titre, l’œuvre d’Emile

Zola abrite elle aussi certains de ces revenants dont les plus

marquants sont sans doute Flo-rent Quenu dans Le Ventre de

Paris (1873) ou Auguste Lan-tier, dans L’Assommoir (1877). La Mort d’Olivier Bécaille illus-

tre cette obsession du revenant dans la littérature du XIXème siè-

cle, , à l’importante exception que ce revenant là décide de

son plein gré de ne pas totale-ment revenir, et de conserver

son statut de disparu. Cette chute de la nouvelle permet un vrai parallèle avec le poème ly-

rique Lazare que Zola compose-ra bien plus tard, en 1894, où il clôt sa réécriture du récit bibli-

Emile Zola, La Joie de vivre (1884), Editions Gallimard (coll. Folio), p.245.

2 , U n e h a n t i s e p e r s o n n e l l e e t c o l l e c t i v e2 , U n e h a n t i s e p e r s o n n e l l e e t c o l l e c t i v e

[ Publié en 1884, La Joie de vivre met en scène un per-sonnage au nom très évocateur et fondateur du traite-ment de la mort dans l’œuvre zolienne : Lazare. Et com-me son créateur, Lazare Chanteau a une peur maladive de la mort. ]

« Aussi les angoisses de Lazare avaient-elles

grandi. Depuis des années, à son coucher, l’idée de la mort lui passait sur la face et lui glaçait la chair. Mainte-nant, il n’osait s’endormir, travaillé de la crainte de ne plus s’éveiller. Il haïssait le sommeil, il avait horreur de sentir son être défaillir, lorsqu’il tombait de la veille au vertige du néant. Puis, ses réveils brusques le secouaient davantage, le tiraient du noir, comme si un poing géant l’avait saisi aux cheveux et rejeté à la vie, avec la terreur bégayante de l’inconnu dont il sortait. Mon Dieu ! mon Dieu ! il fallait mourir ! et jamais encore ses mains ne s’é-taient jointes dans un élan si désespéré. Chaque soir, son tourment devenait tel, qu’il préférait ne pas se mettre au lit. Il avait remarqué que, le jour, s’il s’allongeait sur un divan, il s’endormait sans secousse, dans une paix d’en-fance. C’étaient alors des repos réparateurs, des som-meils de plomb, qui achevaient malheureusement de gâ-ter ses nuits. Peu à peu, il en arrivait à des insomnies ré-glées, préférant ses longues siestes de l’après-midi, ne s’assoupissant plus que le matin, lorsque l’aube chassait la peur des ténèbres. »

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

QUAND LAZARE CRAINT DE S’ENDORMIR...

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Journal, mémoires de la vie littéraire, d’Edmond et Jules de Goncourt. Texte du 6 mars 1882.

que par le retour de Lazare dans son tombeau. Figure obsédante, motif omni-présent, Lazare traverse l’œuvre en-tière de Zola, mais aussi sa vie, lui qui en effet fut obsédé par la mort, l’enter-rement vif (qui parcourt tout Germi-

nal) et le mythe du retour, depuis une grave maladie de jeunesse qui faillit lui coûter la vie à son exil anglais au moment de l’affaire Dreyfus.

CONFESSION INTIME

[ Fortement malade dans sa jeunesse, Zola aura gardé toute sa vie durant une peur de la mort devenue, son œuvre l’atteste, une véritable obsession. Cet extrait du Journal des Gon-court démontre que la mort de ses proches était aussi le sujet d’une angoisse permanente ]

« Reprise aujourd’hui de notre ancien dîner des Cinq, où manque Flaubert, où sont en-

core Tourguéneff, Zola, Daudet et moi. Les ennuis moraux des uns, les souffrances physi-ques des autres, amènent la conversation sur la mort – la mort ou l’amour, chose curieuse, c’est toujours l’entretien de nos après-dîners – et la conversation continue jusqu’à onze heures, cherchant parfois à s’en aller de là, mais revenant toujours au noir sujet.

[…] Zola dit, que sa mère étant morte à Médan, et que l’escalier se trouvant trop pe-tit, il a fallu la descendre par une fenêtre, et que jamais il ne rencontre des yeux cette fenêtre, sans se demander qui va la descendre, de lui ou de sa femme : « Oui, la mort depuis ce jour, elle est toujours au fond de notre pensée, et bien souvent, - nous avons maintenant une veilleuse dans notre chambre à coucher – bien souvent la nuit, regardant ma femme qui ne dort pas, je sens qu’elle pense comme moi à cela, et nous restons ainsi, sans jamais faire allusion à quoi nous pensons, tous les deux… par pudeur, oui, par une certaine pudeur… Oh ! c’est terrible cette pensée – et de la terreur vient à ses yeux. – Il y a des nuits, où je saute tout à coup sur mes deux pieds, au bas de mon lit, et je reste, une seconde, dans un état d’épouvante indicible. »

Publié en 1842, « Entre quatre planches, impressions de cercueil » de Léo Lespès (parmi les Histoires roses et noires) compte au grand nombre de ces récits d’enterrés vifs et de revenants qui fleurirent au XIXe siècle. Cette nouvelle, par la similitude avec la tra-me de La Mort d’Olivier Bécaille, a sans doute été une grande source d’inspiration pour Emile Zola.

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1 , L e d i s p o s i t i f n a r r a t i f1 , L e d i s p o s i t i f n a r r a t i f

La Mort d’Olivier Bécaille se présente sous la forme d’un récit au passé me-né à la première personne. Le choix d’une narration subjective s’impose en effet

dans le but de construire une expérience intérieure, de suivre les mouvements d’une conscience à l’épreuve et de partager avec le lecteur l’inquiétude et l’ef-froi. La voix narrative apparaît donc comme un élément-clé de la nouvelle qui

s’engage à livrer le témoignage d’un homme mort ou presque.

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

Etudier le point de vue interne de la narration. Nous avons sélectionné deux extraits du cha-pitre II pouvant l’un ou l’autre servir de support pour l’exercice.

Exemple 1 (pp. 137-138)

« Toutes deux, la mère et la fille, s’étaient installées devant notre table. Le bruit de leurs ciseaux découpant les abat-jour me parvenait distinctement ; ceux-là, très délicats, de-mandaient sans doute un découpage compliqué, car elles l’allaient pas vite : je les comp-tais un à un, pour combattre mon angoisse croissante. Et, dans la chambre, il n’y avait que le petit bruit des ciseaux. Marguerite, vaincue par la fatigue, devait s’être assoupie. A deux reprises, Simoneau se leva. L’idée abominable qu’il profitait du sommeil de Marguerite, pour effleurer des lèvres ses cheveux me tortu-rait. Je ne connaissais pas cet homme, et je sentais qu’il aimait ma femme. Un rire de la petite Dédé acheva de m’irriter. »

Exemple 2 (p.139)

« Et il [le médecin] s’éloigna. C’était ma vie qui s’en allait. Des cris, des larmes, des inju-res m’étouffaient, déchiraient ma gorge convulsée, où ne passait plus un souffle. Ah ! le misérable, dont l’habitude professionnelle avait fait une machine, et qui venait au lit des morts avec l’idée d’une simple formalité à remplir ! Il ne savait donc rien, cet homme ! Toute sa science était donc menteuse, puisqu’il ne pouvait d’un coup d’œil distinguer la vie de la mort ! Et il s’en allait, et il s’en allait ! -Bonsoir, monsieur, dit Simoneau. Il y eut un silence. Le médecin devait s’incliner devant Marguerite, qui était revenue, pen-dant que Mme Gabin fermait la fenêtre. Puis, il sortit de la chambre, j’entendis ses pas qui descendaient l’escalier. Allons, c’était fini, j’étais condamné. Mon dernier espoir disparaissait avec cet homme. Si je ne m’éveillais pas avant le lendemain onze heures, on m’enterrerait vivant. Et cette pensée était si effroyable que je perdis conscience de ce qui m’entourait. Ce fut comme un évanouissement dans la mort elle-même. Le dernier bruit qui me frappa fut le petit bruit des ciseaux de Mme Gabin et de Dédé. La veillée funèbre commençait. Person-ne ne parlait plus. »

ACTIVITÉ N°1 (LECTURE)

| 9 A N A L Y S E D E L A NO U V E L L E

� LE RÔLE DES PERCEPTIONS a. Relever les verbes de perceptions et les mots ou expressions renvoyant aux sons (italique) � Ce que nous savons de la scène, nous ne le tenons que du personnage qui tâche de la re-

constituer essentiellement à partir de ce qu’il entend. Sa perception étant incomplète, il doit parfois imaginer ce qui se passe, d’où la présence de modalisateurs. Soulignons d’ailleurs qu’il se préoccupe surtout des agissements de Simoneau. Mais du fait de la subjectivité du point de vue, le lecteur ne sait pas s’il a raison – ce que tend à accréditer a posteriori le dénouement de la nouvelle et qui rend ce passage programmatique - ou si c’est sa jalousie qui le trompe. Néanmoins, d’une certaine maniè-re, la narration gagne paradoxalement en précision car son infirmité passagère lui permet d’em-brasser, en un sens, la réalité qui l’entoure. De même que « [sa] mémoire avait pris une vivacité extraordinaire », il développe une certaine acuité, une autre forme de conscience.

b. Ecriture : décrire une scène de la vie quotidienne à travers les perceptions sensorielles

du narrateur. Comme dans la nouvelle Zola, le récit se fera à la 1ère personne et le narrateur aura l’un de ses sens paralysé (on pourra l’imaginer sourd ou aveugle).

� LE RÉCIT DE PENSÉES : repérer les phrases dans lesquelles le narrateur exprime ses pensées.

(en rouge) � La focalisation interne favorise le récit de pensées, il entraîne le flot de la parole inté-

rieure. En plus de narrer les évènements, le personnage exprime donc ses réflexions, ses peurs ou ses

espérances, relate ses souvenirs et ses rêves, de façon directe (présence de phrases exclamatives) ou

indirecte (lexique de la pensée et locution conjonctive « l’idée que …»).

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2 , L e c a d r e r é a l i s t e e t n a t u r a l i s t e2 , L e c a d r e r é a l i s t e e t n a t u r a l i s t e

Les éléments réalistes et naturalistes de la nouvelle découlent surtout du cadre géographique et social choisi par l’auteur, à savoir un quartier pauvre de Paris.

Se conformant en outre aux exigences de la nouvelle, Zola concentre son action

autour de quelques lieux qui organisent un ESPACE RÉALISTE. • La chambre de l’hôtel meublé situé rue Dauphine où Olivier Bécaille et sa

femme se sont installés à leur arrivée à Paris (I-III ; pp. 127 -145) • Le cimetière où Olivier Bécaille est enterré vivant (de la fin du chapitre III

au début du chapitre V, p. 145-154). L’indétermination de la situation du cimetière n’en est que plus vraisemblable puisqu’elle ne peut être identi-fiée par Bécaille enfermé dans son cercueil et méconnaissant la ville.

• Le restaurant qui occupe le bas de l’immeuble rue Dauphine (V ; pp.154-157)

A l’époque où se passe la nouvelle, les époux Bécaille ont fraîchement débarqué

de leur pauvre Bretagne natale. Marguerite est fille de « paludiers » miséreux (p.130) et Olivier n’est, quant à lui, qu’un petit employé d’administration. Le voyage en 3ème classe, les bougies faisant office de cierges témoignent de la MODESTIE DU MÉNAGE venu à Paris à l’initiative du mari. Mais détourner sa femme de ce « coin de campagne » (p.130) n’aura pas suffi à dissiper sa tristesse car force est de constater que Marguerite ne trouve pas plus de consolation dans le vacarme des faubourgs parisiens. Le restaurant à la clientèle douteuse (« le restaurant borgne », selon les mots du narrateur [p.155]) renforce d’ailleurs l’aspect sordide de l’immeuble.

Aussi le voisinage incarné essentiellement par Madame Gabin joue-t-il un rôle

ACTIVITÉ N°1 (SUITE)

| 10 A N A L Y S E D E L A NO U V E L L E

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

Aussi le voisinage incarné essentiellement par Madame Gabin joue-t-il un rôle important. La présence de ce person-nage flanquée d’une fillette de 10 ans surnommée Dédé ajou-te une DIMENSION SOCIALE à la nouvelle. Veuve et ruinée, elle gagne « à peine quarante sous » (p.133) en fabriquant avec sa fille des abat-jour même en présence de morts puisque « pour ne pas perdre son temps » (p.137) elle a installé son atelier de fortune dans la chambre du couple. Dans cet étran-ge mélange de veillée mortuaire et d’atmosphère besogneu-se, s’imprime de surcroît la question de l’exploitation des en-fants et de la maltraitance.

En plus de ces quelques données qui permettent de fa-çonner le « milieu » de la nouvelle, on y retrouve un ART DE LA DESCRIPTION propre à Zola et particulièrement efficace pour camper des personnages pittoresques. Un soin est par-ticulièrement porté à l’onomastique mais aussi aux sociolec-tes voire aux idiosyncrasies si bien que le lecteur peut en-tendre, grâce au discours direct, le verbe coloré et gouailleur de Mme Gabin (p.142) ou les réflexions triviales des croque-morts (p.144). C’est donc sur une toile de fonds réaliste re-haussée par cette galerie de portraits cocasses que se joue le drame du narrateur à la limite du réel. (En ce qui concerne la tension entre naturalisme et fantastique, voir la fin de la par-tie suivante).

Gustave Caillebotte, Jeune homme à la fenêtre (1875).

3 , L ’ i l l u s i o n f a n t a s t i q u e3 , L ’ i l l u s i o n f a n t a s t i q u e

Le climat fantastique de la nouvelle s’installe avec la fausse piste sur laquelle l’au-teur a habilement entraîné son lecteur. L’ou-

verture du récit annonce en effet l’histoire d’un mort vivant ayant survécu à son propre

décès, elle établit la parole vive d’un cadavre. Mais l’hypothèse surnaturelle se trouve ba-

layée par l’explication rationnelle et clinique soigneusement réservée pour le deuxième

chapitre. Le lecteur n’écoute donc pas les ré-flexions d’une âme éternelle mais le monolo-gue angoissé d’un cataleptique prisonnier de

son corps inerte, même si l’étrangeté de cette expérience trouble continue de diffuser un

parfum de surnaturel. De l’inspiration fantas-tique, la nouvelle conserve surtout une tech-

nique narrative propre à ménager le suspens et à susciter la peur du lecteur à la manière

d’un thriller. Aussi le lecteur craint-il que la mort d’Olivier Bécaille affirmée dans le titre

ne soit plus passée mais à venir.

On pourra proposer aux élèves la lecture du dé-but de la nouvelle (jusqu’à « si je fermais les yeux pour ne les rouvrir jamais »(p.129)) voire du pre-mier chapitre dans son intégralité et leur demander de répondre aux questions suivantes :

A la lecture des premiers paragraphes de la nou-

velle, quel semble être son registre dominant ? A

quel type de nouvelle avons-nous affaire ? Quel-le atmosphère cet incipit crée-t-il ? (formulation à

choisir) Vous justifierez votre réponse en vous fon-

dant sur divers éléments qui le montrent.

ACTIVITÉ N°2 (LECTURE)

| 11 A N A L Y S E D E L A NO U V E L L E

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

LA PREMIÈRE PHRASE mérite évidemment d’être commentée ne serait-ce parce qu’elle remplit une des fonctions essentielles d’un incipit, à savoir capter l’attention du lecteur. On peut même dire qu’elle va au-delà tant elle se veut percutante, et cherche à produire un véri-table effet sur le lecteur, comme le montre l’emploi de la structure clivée « c’est … que » qui met en valeur les compléments de temps et retarde l’expression de l’information principale : « je suis mort ». Cette observation permet d’ailleurs de pointer la dimension parodique de cet-te phrase qui imite donc une déclaration de décès. Surtout elle dit toute l’impossibilité de la situation proposée car seul un vivant peut dire qu’il est mort ! Puisque le verbe « mourir » ne peut en principe pas se conjuguer au passé, c’est l’occasion de constater que la langue peut faire éclater les limites du réel. Quand la grammaire affole la logique …

Renforcé par les cris de la veuve éplorée qui résonnent à travers tout le premier chapi-

tre, cette déclaration initiale tend à nous garantir le décès du narrateur. Pourtant une HÉSITA-

TION s’installe progressivement dans le discours du narrateur lorsqu’il se met à analyser sa situation. Les questions qui apparaissent démontrent bien que le personnage, étonné d’exis-ter encore d’une certaine manière, s’interroge sur la réalité de sa mort. Ce doute qu’il expri-me est au fondement même du fantastique où, si l’on en croit Todorov, l’irréel n’est pas si faci-lement admis. Un choix s’offre alors entre une lecture irrationnelle - Olivier Bécaille est bien mort et, comme il le dit lui-même, c’est « [son] âme qui [s’attarde] ainsi dans [son] crâne, avant de prendre son envol » (p.127), ce qui fait vaguement référence à une croyance religieu-se en un au-delà - et une autre vraisemblable - il n’est pas mort, son corps est simplement endormi d’où l’attente du réveil et la nécessité d’assurer qu’il est en vie malgré les apparen-ces. Entre le « je suis mort » du début du chapitre et le « je vis » que l’on trouve à la fin (p.131), se dessine l’intrigue de la nouvelle, celle d’un homme ni tout à fait mort ni tout à fait vivant.

Ainsi, voit-on apparaître dans ce pre-

mier chapitre le CHAMP LEXICAL DU SOMMEIL, utilisé de façon privilégiée dans tout le reste de la nouvelle. Un tel choix pourrait être dis-cuté en raison des diverses interprétations auxquelles il se prête. Il peut tout d’abord entretenir l’ambiguïté sur la mort du person-nage puisque, selon ses propres dires, « le sommeil [ressemble] à la mort » (p.129). Dès lors, on peut mettre en avant la valeur d’eu-phémisme du terme ou sa signification méta-phorique qui lui vaut son succès poétique. Mais le sommeil fait aussi entendre la possi-bilité d’un réveil, ne laissant la chair au repos que provisoirement alors que l’esprit s’agite encore. In fine, l’usage de cette expression étaye une lecture onirique ou, du moins, en-tretient la question du rêve très présente dans le texte. Dès le début, Olivier Bécaille nous informe de sa peur de la nuit, de son obsession de la terre et, au chapitre IV, relate assez longuement l’un de ses cauchemars. Si la nouvelle annule les frontières entre la vie et

ACTIVITÉ N°3 (LANGUE)

On pourra, à la suite de ces remarques, donner le passage où Olivier Bécaille comprend sa situation et demander aux élèves de répondre aux questions suivantes : « Quand le silence recommença, je me deman-dai si ce cauchemar durerait longtemps ainsi. Je vivais puisque je percevais les moindres faits extérieurs. Et je commençais à me rendre un compte exact de mon état. Il devait s’agir d’un de ces cas de catalepsie dont j’avais entendu parler. » (p. 136)

� Par quel terme le personnage désigne son état « exact » ? Faites des recherches pour trouver la définition et l’étymologie du mot. � Au début, le personnage emploie le mot « cauchemar ». Quel(s) sens ce mot peut-il recou-vrir ? � On fera ainsi apparaître l’origine savante des termes médicaux (racines grecques), et leur restric-tion de sens comparé à la polysémie du mot « cauchemar » (sens figuré / sens propre). De fait, le terme « catalepsie » valide et entérine la solution rationnelle alors qu’un mot comme « cauchemar » demeure plus ambigu.

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et la mort, elle fait aussi se mêler le rêve et la réalité pour explorer les zones d’ombre dans l’épouvante de son cercueil enseveli.

Enfin, on peut évoquer le MOTIF DE LA FOLIE (p.149) que contient le portrait du narra-teur- très proche en ce sens de certains per-sonnages de Maupassant- et qui participe aussi à la montée en tension du récit. En in-terrogeant les élèves sur le geste terrifiant qu’effectue Olivier Bécaille dans son cer-cueil, on fera émerger la figure du VAMPIRE (p.152). Mais s’il en est véritablement une centrale dans la nouvelle, c’est moins cette créature fantastique que le personnage bi-blique de Lazare.

Mais avant de poursuivre plus avant sur ce sujet, il est intéressant de se deman-der comment cet écart fantastique peut s’ar-ticuler à la THÉORIE NATURALISTE dont Zola a été promoteur. Le diagnostic médical qui, en tombant nous révèle notre erreur et le piège tendu par l’auteur, tend à renforcer la pensée matérialiste portée en triomphe dans le cycle des Rougon-Macquart. Néanmoins, parce qu’elle met au jour une obsession tenace de l’écrivain, la Mort d’Olivier Bécaille nous conduit à admettre cette part d’angoisse et de hantise au sein du na-turalisme zolien.

Olivier Lumbroso, introduction au recueil Naïs Micou-lin, in Œuvres com-plètes (tome 12), pp.558-559

ILLUSION ET RÉALITÉ : LA MORT D’OLIVIER BÉCAILLE VUE PAR OLIVIER LUMBROSO

« Sans l’objectivité du dénouement, le lecteur croirait que le récit rap-porte moins l’enterrement réel d’un cataleptique que les cauchemars du nar-rateur, dont la mort et la mise en bière reproduisent, dans une étrange coïn-cidence, ses délires d’enfant. Sur le mode fantastique, lui aussi souffre des dérives de l’imagination, qui, pendant les deux tiers de la nouvelle, font va-ciller les repères du lecteur, soumis au seul point de vue d’un homme au cer-veau détraqué, qui se complaît dans les scènes morbides. Il s’avoue lui-même habile « conteur », sachant « varier le drame à l’infini », goûtant « l’atroce plaisir de se créer des catastrophes », confondant souvent « rêve et réalité ». un inventeur de fictions emboîtées, en résumé un personnage à la Borgès. Le Lazare de La Joie de vivre n’est pas loin, mais pourquoi pas aussi le narrateur de la Bérénice d’Edgar Poe. Il s’agit là du point ultime du questionnement do-minant qui traverse ces six nouvelles naturalistes : la réalité fuit devant le réseau des discours, des signes, des fantasmes qui guident notre interpréta-tion faussée, grotesque, presque toujours aveuglée, du réel des sentiments et des liens sociaux. Sous cet angle, les récits échappent à leurs décors d’épo-que car ils scrutent l’individu aux prises avec l’opacité de ses rêves et du réel, en usant de la légèreté qu’offre la nouvelle ou le conte. »

Gustave Courbet, Le Désespéré(1843-1845).

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4 , L a z a r e o u l a f i g u r e d u r e v e n a n t4 , L a z a r e o u l a f i g u r e d u r e v e n a n t

Dans le cadre d’un travail consacré à la figure de Lazare, nous renvoyons au dossier de la col-lection « Textes fondateurs » consultable en ligne sur le site du crdp de Paris (http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/lazare).

Pour les auteurs de cette étude, le mythe de Lazare s’est développé en suivant deux grandes tendances opposées : une tradition positive qui consacre Lazare comme la figure de la Résurrec-tion et une autre, négative, où il représente un revenant qui a perdu sa place dans le monde.

• Lazare, la figure positive de la Résur-

rection

L’histoire de Lazare se trouve exclusi-vement dans l’Evangile de St Jean (11, 20-46) : Jésus, de passage en Judée, est sollicité par Marthe et Marie endeuillées par la mort de leur frère. Il prend pitié d’elles, en attes-tent les larmes qu’il verse, et ressuscite Laza-re en l’exhortant à sortir de son tombeau. Fa-ce à un tel miracle, certains des juifs présents se convertissent à la religion du Christ. C’est dans le sens de la symbolique chrétienne que le mythe se propage du Moyen Âge jusqu’à l’époque classique. L’épi-sode de Lazare a pour fonction d’attester, en tant que récit de miracle, de la divinité de Jé-sus et de figurer l’article de la Résurrection en annonçant celle du fils de Dieu. On peut ainsi rattacher à cette tradition le symbole politique que Hugo tire du mythe chrétien notamment dans le recueil des Châ-

timents qui mêle verve pamphlétaire et souf-fle prophétique et où le peuple, tel Lazare, est appelé à se réveiller. A noter aussi un texte, issu des mémoires de Malraux, intitulé Laza-

re (1974). Sous la plume de l’auteur de La

Condition humaine, l’état de coma apparaît comme une expérience fraternelle, l’occasion d’éprouver la communion des hommes. Enfin signalons le récit L’homme qui plantait des

arbres de Giono où s’affirme la possibilité de retrouver une confiance dans le monde.

• Lazare ou le sentiment d’étrangeté

Il se trouve que dans la littérature liturgi-que, du fait de son passage dans l’au-delà,

Lazare peut aussi apparaitre comme un té-moin de l’horreur. C’est cette lecture qui

donne lieu à l’autre postérité du personnage.

Ainsi, au XIXème siècle, émergent une série des personnages de revenants chez Balzac,

Zola ou encore Gaston Leroux. Pour une rai-son ou pour une autre, ils sont dans l’impos-

sibilité de réintégrer leur vie d’alors, à se fondre dans une société à laquelle ils n’ad-

hèrent plus tout à fait et qui s’est empressée

Rembrandt, La Résurrection de Lazare(1630-1631).

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L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

de les oublier. Ils sont ainsi, tôt ou tard, condamnés à s’effacer et à vivre tels des morts-vivants. C’est aussi à cette époque que les potentialités fantastiques du mythe sont le plus exploitées comme chez Dumas, Villers de l’Isle Adam ou dans le Frankenstein de Mary Shel-ley. D’autre part, la figure de Lazare peut être utilisée pour emblématiser un certain ro-manesque moderne et contemporain qui s’articule autour de sujets errants dans le monde. Jean Cayrol, après la seconde guerre mondiale, s’empare de Lazare pour figurer les survi-vants des camps et fonder une littérature lazaréenne, « d’après Auschwitz », empreinte d’un tragique incommunicable. De fait, l’adjectif lazaréen peut également s’appliquer plus largement à des romans qui subliment le sentiment d’étrangeté ou d’indigence chez l’indi-vidu. On pense ainsi au Meursault de Camus, aux personnages de Duras, ou dans le champ contemporain, à ceux de Marie NDiaye. Dans le roman Un temps de saison (2004), la mé-lancolie, « la tristesse insondable » qui habitent la femme d’Herman et leur fils, les méta-morphosent en véritables fantômes : des « âmes en peine » errant dans le village de leurs vacances. Rosie Carpe, l’héroïne du roman éponyme, de son vrai nom Rose-Marie, mène une vie fantomatique, plongeant toujours plus dans l’hébétude et l’incompréhension au point d’oublier ses devoirs de jeune mère et la conduisent à abandonner au moins affecti-vement son enfant. Son frère, quant à lui, prénommé Lazare, revient après des années d’absence et d’errements, ne pouvant prétendre qu’au statut de parasite rejeté par la so-ciété. Ainsi on peut voir comment le mythe de Lazare évolue et s’enrichit à travers les sen-sibilités de différents écrivains qui continuent d’y trouver un sujet d’expression privilégié.

• La Mort d’Olivier Bécaille et le mythe de La-

zare

La nouvelle s’inscrit donc dans ce deuxième versant de la tradition lazaréenne, puisque le der-nier chapitre de la nouvelle nous montre l’inévita-ble séparation entre le revenant et le monde. N’oublions pas que le récit est rétrospectif : les évènements que relate Olivier Bécaille sont donc bien antérieurs ; on peut savoir ce qu’il est devenu. Or, nous constatons que ce Lazare zolien, ayant « beaucoup voyagé » et « vécu un peu par-tout » (p.157), intègre le motif de l’errance. Errant déjà dans les rues inconnues de Paris au sortir de son exhumation, il poursuit son retour à la vie comme un vagabond ayant l’existence oubliée de ceux qui vivent en dehors des places assignées. Ce qui néanmoins caractérise le narrateur, c’est sa résignation par opposition à un autre revenant de Zola, Jacques Damour beaucoup plus opiniâtre. Oli-vier Bécaille, ayant compris la fausseté de son ma-

ACTIVITÉ N°4

L’édition Hatier propose dans son dossier un corpus de documents consa-cré à la figure de Lazare et accom-pagné d’un questionnaire suivi. Il contient le texte de l’Evangile de Jean, une reproduction du tableau de Juan de Flandres La Résurrection de

Lazare, un extrait du Colonel Chabert de Balzac ainsi que le poème Mi-chaux intitulé « Lazare, dors-tu ? » extrait du recueil Epreuves, exorcis-

mes.

| 15 A N A L Y S E D E L A NO U V E L L E

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

riage, se considère d’emblée comme un gêneur : « Pourquoi aurais-je de nouveau dérangé sa vie ! » (p.157), dit-il à la fin de la nouvelle en par-lant de sa femme. S’il ne revendique pas ses droits et qu’il refuse de « faire la bêtise de ressus-citer » pour la laisser à son rival - éloignant par là la problématique de l’adultère - c’est parce qu’il est moins un époux qu’un frère. Les souvenirs évoqués au premier chapitre (lorsqu’il jouait avec elle en la poussant dans une brouette ou lorsqu’il l’a pris sur ses genoux pour qu’elle puisse dor-mir) et enfin ce sacrifice aimant le dépeignent da-vantage comme un frère pour Marguerite dont le prénom n’est pas sans faire penser à Marthe et Marie, le sœurs de Lazare.

Van Gogh, La Résurrection de Lazare (d’après Rembrandt) (1899-1900).

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1 , D e l a n o u v e l l e a u t h é â t r e : l e t r a v a i l d ’ a d a p t a t i o n1 , D e l a n o u v e l l e a u t h é â t r e : l e t r a v a i l d ’ a d a p t a t i o n

L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

La nouvelle de Zola dans sa version originale est un monologue. Olivier Bécaille parle à la première personne du singulier et fait le récit de ses aventures en relatant au discours direct les propos des personnages secondaires. Le temps est au passé. Il s’agit donc d’un témoignage, de l’exploration d’un souvenir. L’adaptation du texte, ainsi facilitée par son aspect manifestement théâtral, se construit autour de trois axes majeurs :

• Des coupes de texte et des suppressions

de personnages et d’épisodes de l’intri-

gue.

Les modifications progressivement effec-tuées par le metteur en scène ont donc eu pour but premier la réduction de la taille du texte afin de limiter sa durée de profération à moins de soixante minutes. Dans cet objectif, il a fallu sup-primer certaines phases de description orale-ment indigeste ou certaines actions ou person-nages très secondaires. Dans cette optique, deux aménagements sont particulièrement notoires : • La suppression du personnage de la petite

Adèle, la fillette de la voisine, qui suit sa mère à la trace et la gêne par sa curiosité avide.

• La suppression d’un personnage et d’un passage le mettant en scène : à la sortie de sa prison souterraine, Olivier Bécaille fait la rencontre d’un médecin qui l’accueille et le loge pendant plusieurs semaines. En supprimant cet épisode, l’adaptation pro-cède délibérément à une accélération anormale de l’intrigue puisque, dans cette version, Olivier Bécaille quittant le cimetiè-re retourne directement dans sa rue pour retrouver sa femme, qui est déjà partie avec le voisin. Etrangeté qui renforce l’idée d’une possible hallucination de Bécaille.

• Des personnages et des lieux trans-

formés en figures anonymes.

Dans l’adaptation des Arpenteurs, les personnages du voisin (Monsieur Simo-

neau) et de la voisine (Madame Gabin) per-dent leur nom de famille. Cette option

choisie par le metteur en scène renforce à la fois la solitude du personnage, entourée

de formes abstraites et anonymes, et par conséquent l’étrangeté et la menace que

représentent ces personnages : la voisine prend progressivement une forte emprise

sur le déroulement des événements ; le voisin, lui, finira par partir avec la femme

de Bécaille (Marguerite, dont le nom a été conservé pour garder son « humanité » et la référence à Faust). Ainsi ces « étrangers dans la maison », ce voisin et cette voisine, sont affirmés comme des figures proches

mais angoissantes. Notons également la suppression de toutes références géogra-

phiques (Paris, la rue Dauphine, Nantes, Guérande, Piriac ne sont pas cités dans l’a-daptation), permettant de la même maniè-re d’isoler le personnage dans une solitude

désertique.

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• Effacement des incises et des formules d’introduction.

Dans le cadre d’une prise de parole orale directe, toutes les formules intro-duisant des dialogues ou situant le personnage parlant s’avèrent inutiles, d’autant qu’elles ralentissent à la fois le rythme de profération et celui de l’intrigue. L’adapta-tion a donc délaissé toute précision de ce genre, réservant à la mise en scène le soin de préciser par le jeu l’origine des parlants.

Sont reproduits ci-dessous deux états du même extrait tiré du chapitre II (pp.138-139), le premier étant la version originale, la deuxième étant celle du spectacle. Vous observerez les principales modi-fications opérées sur le texte original et déterminerez les effets produits pas celles-ci. Version originale – Ah ! Voici le médecin, dit la vieille femme. C'était le médecin, en effet. Il ne s'excusa même pas de venir si tard. Sans doute, il avait eu bien des étages à monter, dans la journée. Comme la lampe éclairait très faiblement la chambre, il demanda : – Le corps est ici ? – Oui, monsieur, répondit Simoneau. Marguerite s'était levée, frissonnante. Mme Gabin avait mis Dédé sur le palier, parce qu'un enfant n'a pas besoin d'assister à ça ; et elle s'efforçait d'entraîner ma femme vers la fenêtre, afin de lui épargner un tel spectacle. Pourtant, le médecin venait de s'approcher d'un pas rapide. Je le devinais fatigué, pressé, impatienté. M'avait-il touché la main ? Avait-il posé la sienne sur mon cœur ? Je ne saurais le dire. Mais il me sembla qu'il s'était simplement penché d'un air indifférent. – Voulez-vous que je prenne la lampe pour vous éclairer ? offrit Simoneau avec obligeance. – Non, inutile, dit le médecin tranquillement. Comment ! inutile ! Cet homme avait ma vie entre les mains, et il jugeait inutile de procéder à un examen attentif. Mais je n'étais pas mort ! j'aurais voulu crier que je n'étais pas mort ! – À quelle heure est-il mort ? reprit-il. – À six heures du matin, répondit Simoneau. Une furieuse révolte montait en moi, dans les liens terribles qui me liaient. Oh ! ne pouvoir parler, ne pouvoir remuer un membre ! Le médecin ajouta : – Ce temps lourd est mauvais… Rien n'est fatigant comme ces premières journées de printemps. Et il s'éloigna. C'était ma vie qui s'en allait. Des cris, des larmes, des injures m'étouffaient, déchiraient ma gorge convulsée, où ne passait plus un souffle. Ah ! le misérable, dont l'habitude professionnelle avait fait une machine, et qui venait au lit des morts avec l'idée d'une simple formalité à remplir ! Il ne savait donc rien, cet homme ! Toute sa science était donc menteuse, puisqu'il ne pouvait d'un coup d'œil distinguer la vie de la mort ! Et il s'en allait, et il s'en allait ! – Bonsoir monsieur, dit Simoneau. Il y eut un silence. Le médecin devait s'incliner devant Marguerite, qui était revenue, pendant que Mme Gabin fermait la fenêtre. Puis, il sortit de la chambre, j'entendis ses pas qui descendaient l'esca-lier. Version de l’adaptation LA VIEILLE - Ah ! Voici le médecin. C'était le médecin, en effet. Il ne s'excusa même pas de venir si tard. Sans doute, il avait eu bien des

étages à monter, dans la journée. LE MÉDECIN - Le corps est ici ? LE VOISIN - Oui, monsieur. Le médecin venait de s'approcher d'un pas rapide. Je le devinais fatigué, pressé, impatienté. M'avait-il

touché la main ? Avait-il posé la sienne sur mon cœur ? Je ne saurais le dire. Mais il me sembla qu'il s'était simplement penché d'un air indifférent.

LE VOISIN - Voulez-vous que je prenne la lampe pour vous éclairer ?

ACTIVITÉ N°5

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L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

ACTIVITÉ N°5 (SUITE) LE MÉDECIN - Non, inutile. À quelle heure est-il mort ? C’est de maladie que je suis mort, à trois heures du matin, samedi un jour six après. LA VIEILLE - À six heures du matin. Une furieuse révolte montait en moi, dans les liens terribles qui me liaient. LE MEDECIN - Ce temps lourd est mauvais… Rien n'est fatigant comme ces premières journées de

printemps. Et il s'éloigna. C'était ma vie qui s'en allait. Ah ! le misérable, dont l'habitude professionnelle avait

fait une machine, et qui venait au lit des morts avec l'idée d'une simple formalité à remplir ! Il ne sa-vait donc rien, cet homme ! Toute sa science était donc menteuse, puisqu'il ne pouvait d'un coup d'œil distinguer la vie de la mort ! Et il s'en allait, et il s'en allait ! Bonsoir monsieur !

� On remarque que les phrases en incise sont systématiquement supprimées dans la deuxième

version. Ces supports du discours direct sont au cœur de la transformation d’un texte narratif en un mo-nologue théâtral où ils n’ont plus lieu d’être. La distinction entre les différents locuteurs est présentée, sur le papier, selon les codes de l’écriture dramatique et prise en charge, sur scène, par le jeu de l’acteur.

Des coupes sont aussi effectuées afin de donner à la scène une certaine brièveté et une effi-cacité dramatique. Il s’agit en quelque sorte de faire ressortir la théâtralité de la scène et de la jouer à plein. Apparaissent alors les questions de rythme qui s’imposent au texte théâtral alors que le récit peut s’étendre dans une plus grande précision.

De fait, émergent aussi les libertés prises par rapport au texte, libertés qui peuvent corres-

pondre à des contraintes liées à la représentation théâtrale. Il serait plus difficile de monter le texte dans

son intégralité. Des choix doivent être faits pour pouvoir s’emparer d’œuvres littéraires et en livrer une

lecture. Ainsi de nombreux metteurs adaptent pour la scène des romans comme La Douleur de Duras par

Patrice Chéreau, Les Oiseaux de Vesaas par Claude Régy. Ici, le spectacle se donne pour vocation de

rendre l’âme d’un récit plus que d’en restituer la lettre (la question ne se poserait cependant pas de la

même manière pour un texte poétique). On peut alors aborder la question de l’autonomisation de la mise

en scène et considérer les perspectives qu’elle offre quant au renouvellement de l’art théâtral et à l’ani-

mation de la littérature.

2 , L ’ a c t e u r , l e z o m b i2 , L ’ a c t e u r , l e z o m b i

EXTRAITS DE LA NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCÈNE

Je m’interroge sur la représentation d’un zombi au théâtre. N’est-ce pas là une en-

trée possible pour considérer la présence de l’acteur ? Le personnage n’est pas tout à

fait vivant puisqu’il est joué par un autre, de même l’acteur n’est plus tout à fait en

vie tant que son corps est traversé par un autre corps, même fictif. Le personnage est

une entité passée, l’acteur une entité présente. En prononçant « JE », il déguise son

imagination en mémoire et se place d’emblée à la frontière de la vie et de la mort : un

vivant-mort.

*

On sait bien que le théâtre est le lieu des fantômes, ce n’est pas neuf. Mais les

acteurs ont-ils le goût de la terre en bouche lorsqu’ils prononcent ? Il faudrait que

l’acteur agisse avec la mémoire de la terre remuée.

Bien sûr, il n’est pas question ici de composition, ni même de réalisme. Tout cela n’est

qu’illusion.

*

Imaginer un zombi au théâtre... On sait que les films de Romero embarrassèrent l’A-

mérique de Johnson et Nixon en montrant ces soldats morts revenus du Viêt-Nam pour se

rappeler à la mémoire de leur pays. Qu’en serait-il théâtralement si l’on faisait revenir

un oublié d’aujourd’hui ? Qu’entendrions-nous du récit de sa vie dans la mort ? Fiction

ou métaphore ? Reste à savoir maintenant qui sont les oubliés de notre époque…

*

La Mort d’Olivier Bécaille est un récit : l’avis d’un mort. Le monologue intérieur

d’un esprit contemporain. Son drame le plus profond est la parole ; le langage même l’a-

bandonne, le trahit, le perd et l’enterre. Sa réalité n’est plus la notre et sa langue ne

sait plus s’adapter à sa situation : il déraisonne par les mots. Son histoire se déroule

en deux temps : d’abord vivant passant pour mort aux yeux des autres vivants, puis mort

se croyant vivant. D’une disparition à une autre.

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• Comment jouer un revenant ?

Tout au long du spectacle, l’acteur inter-prétant Olivier Bécaille est amené à jouer avec des verres qui lui apparaissent mystérieuse-ment dans les mains et s’accumulent peu à peu sur sa table - debout ou renversés, vides ou pleins d’eau ou de terre… Une sorte de bal-let de la soif s’exécute ainsi sous nos yeux, presque mécaniquement, compulsivement, comme si les bras de l’acteur bougeaient d’eux-mêmes.

Dans les témoignages d’expériences de

mort imminente – plus connus sous le nom de NDE (Near death experience), beaucoup de pa-tients parlent d’une sensation de sortie du corps. C’est que les scientifiques appellent la phase de « décorporation », phase pendant laquelle l’individu peut avoir l’impression d’ê-tre au-dessus de lui-même, de voler au dessus de son corps inerte.

Une des façons d’ « incarner » Olivier Bécaille, serait

d’introduire une distance dans le corps, de donner aux gestes une forme d’étrangeté. Et il en va de même pour la voix du comédien, puisque c’est une « voix lointaine » qui raconte à Oli-vier Bécaille son « histoire » (p.130). C’est par le travail du rythme, de l’intonation et du souffle que l’acteur cherche des accents inconnus et porte cette parole obs-cène. « Car on ne parle pas de la mort, pas plus qu’on ne prononce certains mots obscènes », nous dit le nar-rateur. Une autre façon d’incarner, entre présence et ab-sence, jeu d’apparition et de disparition, reposant sur le paradoxe des ombres, du mystère et du secret .

Bosch, L’Ascension vers l’Empyrée (après 1500)

Photo spirite avec apparition d’un ectoplasme (début XXe)

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3 , L ’ e s p a c e s c é n i q u e : u n e b o î t e à a p p a r i t i o n s3 , L ’ e s p a c e s c é n i q u e : u n e b o î t e à a p p a r i t i o n s

… un cercueil S’il est un lieu prépondérant dans la nou-

velle, c’est bien le cercueil d’Olivier Bécaille - cercueil d’ailleurs mal proportionné car, à en croire l’un des croque-morts en charge de le

porter, « la boîte est trop longue » (p.144). Le parti-pris a donc été d’élargir cette boîte aux

proportions d’une aire de jeu, et non pas de la représenter de façon vériste puisque l’expérien-

ce d’enfermement excède l’acte d’ensevelisse-ment qui vient plutôt la couronner. L’espace scé-nique, claustrophobe et engourdissant, se donne comme le développement du cercueil qui est lui-

même l’extension du corps paralytique.

... une salle de restaurant

Histoire et récit ne se superposant pas, se pose nécessairement la question du lieu de l’é-

nonciation. Quand Bécaille parle, où est-il ? Une des possibilités est de le prendre exactement là où la nouvelle le laisse : dans le restaurant situé

en bas de son ancien immeuble. Ce choix est aus-si lié à l’attrait de l’école réaliste et naturaliste

pour ce type d’endroits, ce que le tableau de Ma-net, L’Absinthe, a illustré de façon mémorable.

C’est donc un espace de solitude mais de parole aussi, habité par les confidences des voyageurs

sans attaches comme celui qu’est devenu le nar-rateur à la fin de la nouvelle. Il s’agit toutefois

d’en donner une évocation, une impression à la fois familière et étrangère plus qu’une représen-tation saturant la vision du spectateur. Car, dans

un sens ou un autre, c’est d’ailleurs que le per-sonnage parle.

… une boîte crânienne

Parce qu’Olivier Bécaille est un faiseur de rêves, la scénographie dessine quelque chose comme un espace mental. La boîte dressée au

La scénographie du spectacle : comme une grande boîte qui enveloppe de pénombre un acteur assis à une table. Or, une boîte c’est un peu comme …

Niepce, La Table mise (1822)

Manet, L’Absinthe (1876)

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centre du plateau délimite le périmè-tre de cette « chambre de l’imagina-tion » dont parlait Tadeusz Kantor. En l’occurrence, celle-ci résonnera de l’in-time « pensée de la terre » qui pour-suit le personnage, faisant entendre son histoire d’enfouissement – com-me une énième « variation » du même « drame » ? Le spectateur se trouve donc face à un espace symbolique et, dans une certaine mesure, symboliste car le travail en clair-obscur laisse sa place à la pénombre. De la sorte, le personnage est plongé dans cette nuit qu’il redoute, nuit qui efface aussi les parois de son propre espace. La réalité se trouve alors rejointe ou bien la sal-le, enveloppée dans une commune obscurité. Le théâtre se fait alors le lieu où « rêver » de la mort dans la vie, voire, comme le propose le narrateur lui-même, « de la vie dans la mort ».

… une chambre obscure

Plus encore que le nouvelliste, c’est le Zola photographe qu’a éclipsé le grand auteur des Rougon-Macquart. La convergence entre l’écriture et la photographie fait actuellement l’objet de débats dans les études zoliennes puisque c’est véritablement après avoir achevé sa fresque romanesque que Zola s’adonne à cette passion et devient un photographe « avisé ». Si l’on peut considérer la boîte noire du décor comme une camera obscura, ce n’est pas parce que,

comme il est dit souvent, la photographie a à voir avec l’esthé-tique naturaliste ou inversement, mais parce qu’elle a à voir avec les revenants. Selon Barthes, il y a dans toute photogra-phie « cette chose un peu terrible » – et c’est en cela que la Photo est pour lui plus proche du Théâtre - : « le retour du mort » (OC, III, La chambre claire, p. 795). Car l’image vivante ranime la chose morte que peut être aussi un sujet devenu objet. En se plaçant dans un volume « photographique » qui double en réalité celui, théâtral, de la cage de scène, le specta-cle exprime son désir de donner à voir et à entendre jusque dans ses répercussions sensibles le discours du revenant qui crève l’absence. « Etre en proie à la présence d’esprit », comme disait Barthes. (Journal de deuil, p. 40)

Gravure représentant une camera obscura

Passionné de photographie, et photographe amateur, Zola pose ici avec l’un de ses appareils.

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L E S A R P E N T E U R S - L A M O R T D ’ O L I V I E R B É C A I L L E - D O S S I E R P É D AGOG I Q U E

PPour échanger autour du spectacle, parlons de ses lumières suivant ces quelques ques-our échanger autour du spectacle, parlons de ses lumières suivant ces quelques ques-tions...tions...

� Quelles sensations, quelles impressions ai-je ressenties pendant le spectacle ?

� Dans quelle atmosphère les lumières nous plongeaient-elles ?

� Quel effet de lumière m’a particulièrement marqué ? Pourquoi ? � Quelle signification peut-on donner aux différents jeux de lumière ?

� En quoi le tableau de René Magritte, Le Principe de plaisir (1937), vous évoque-t-il le spectacle ?