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Dossier Spécial Charlie: les clés pour comprendre le terrorisme

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Investig'Action, Octobre 2015.

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Les premiers fruits amers de l’unité nationale : guerres, peurs,humiliations, mises sous surveillanceLa grande manifestation « Je suis Charlie » a été célébrée par l’ensemble de nos médias, par le gouvernement etpar la quasi-majorité de la classe politique comme symbole d’une « unité nationale » présentée comme nécessaireface à la menace « terroriste ».

Said BouamamaLes quelques voix discordantesappelant à s’intéresser aux cau-ses, aux enjeux et aux consé-quences prévisibles de cette in-jonction à l’unanimisme émotifont été réduites à un soutien aux« terroristes » dans un raisonne-

ment binaire martelé à longueurde journée : si tu n’es pas Char-lie, tu soutiens les attentats. Lesgraines semées par cette « uniténationale » commencent à don-ner leurs fruits amers et empoi-sonnés. Le temps du premier bi-lan est arrivé.

« A la fin, nous nous sou-viendrons non pas des mots denos ennemis, mais des silencesde nos amis ». Martin LutherKing

Une légitimation renforcée des guerres

Toutes les puissances del’OTAN ainsi que leurs alliésétaient représentés dans la ma-nifestation « Je suis Charlie »du janvier . Compren-dre la signification et la fonctionde cette photo de famille sup-pose de prendre en compte lecontexte mondial et ses rapportsde force.

Les guerres impérialistespour le pétrole, pour les mine-rais stratégiques et l’affaiblisse-ment des puissances émergentesse multiplient depuis plusieurs

décennies. Guerres de pillagesdont le seul but est le surpro-fit, les aventures militaires nepeuvent pas se présenter commetelles. Elles nécessitent pour sedéployer sans résistance d’êtresfardées en « guerres justes » :contre l’obscurantisme et leterrorisme, pour l’émancipa-tion des femmes, pour la dé-fense d’une minorité opprimée,contre le génocide, etc. L’is-lamophobie est un des ingré-dients idéologiques diffusés aumoins depuis les attentats du

septembre pour préparerun « arôme idéologique immé-diat1 » favorable à la guerre.

La négrophobie2 est unautre ingrédient correspondantaux nouvelles découvertes depétrole, de gaz et de mineraisqui se sont multipliées ces der-nières années en Afrique s’ajou-tant aux gisements déjà connusde ce continent surnommé « lescandale géologique3 ».

La France est particulière-ment engagée dans toutes lesagressions impérialistes de ces

dernières années. De l’Afgha-nistan à la Syrie en passantpar l’Irak, du Mali à la Cen-trafrique en passant par la Li-bye, l’armée française semblene vouloir rater aucune guerred’agression. La pression idéo-logique islamophobe et négro-phobe y est d’autant plus fortequ’est important le besoin de lé-gitimation d’interventions mili-taires dans des pays africainset/ou « musulmans ».

Le site de la Direction de l’information légale et administrative donne lui-mêmeles données quantitatives suivantes : la France est intervenue militairement à prèsde quarante reprises sur le sol africain dans les cinquante dernières années et unevingtaine de fois entre et sous les deux septennats de François Mitterrand.

Certaines de ces opérations n’ont duré que quelques jours, d’autres ont donné lieuà des déploiements beaucoup plus longs (opérations Manta et Epervier au Tchad, parexemple).4

A ces chiffres ne concer-nant que l’Afrique il faut ajouterle Liban (), l’Irak (),la Bosnie (), le Kossovo(), l’Afghanistan (),la Syrie (), etc. Les in-terventions militaires françaisesà l’étranger s’inscrivent elles-mêmes dans une stratégie glo-bale de l’OTAN. Cette straté-gie est définie dans un do-cument intitulé « concept stra-tégique ». La dernière versionde ce concept en com-prend la capacité à interve-nir sur plusieurs terrains simul-

tanément, l’inclusion de l’Eu-rope de l’Est dans les zones àsurveiller, la possibilité d’uneguerre nucléaire « limitée » etle « partage du fardeau straté-gique » : « C’est l’esprit mêmedu nouveau concept stratégiquede l’OTAN que de sommer enquelque sorte les Européens dedéfinir la nature et l’ampleur desobligations qu’ils sont prêts àassumer dans son cadre5 ».

La multiplication des inter-ventions militaires européennesen général et française en par-ticulier s’inscrit dans le cadre

nouvelle stratégie de l’OTAN.

Mais la séquence historiqueque nous vivons au niveau mon-dial est aussi celle des obs-tacles à la prise de contrôleétats-unienne du monde. Cesobstacles sont certes de naturestrès différentes mais convergentpour mettre en difficulté le« nouvel ordre mondial » que« l’Occident » tente d’imposerau reste du monde et mêmeà ses propres peuples. Partoutles agressions militaires et leschantages à la guerre ou à lasanction économique piétinent.

L’ALBA en Amérique du Sudexpérimente de nouvelles soli-darités et cohérence régionalepermettant de desserrer l’étaudu système capitaliste mondial.La Russie et la Chine freinentpar leurs positions à l’ONU lestentatives de couvrir les agres-sions militaires d’une légitimitéinternationale. Les guerres me-nées font apparaître de plus enplus nettement leur seul résul-tat : le chaos.

L’instrumentalisation del’émotion par le discours de« l’unité nationale » pour l’in-

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terne et de la « guerre mondialecontre le terrorisme » pour l’ex-terne ont dans ce contexte undouble objectif : Annoncer denouvelles guerres impérialistesd’une part et légitimer celles-

ci aux yeux des peuples et dupeuple français en particulier. Ils’agit de remobiliser et de res-souder un camp, de lui donnerune légitimité populaire, de lerassembler pour de nouvelles

guerres.C’est ainsi par voix

contre que l’assemblée natio-nale approuve la prolongationdes frappes aériennes françaisesen Irak le janvier. Le Sénat

va dans le même sens le mêmejour par voix et absten-tions. Le premier fruit amer del’unité nationale c’est la guerre.

Hier comme aujourd’hui, en ou en , l’Union sacrée a toujours le même goût de guerre.

Réhabiliter des alliés assassins

Mais la grande instrumenta-lisation de l’émotion a aussi étél’occasion de renforcer les liensavec les « amis de l’Occident »et de réhabiliter ceux qui ont étédiscrédités aux yeux de l’opi-nion publique par leurs crimes.Citons les deux exemples dé-mentant les discours d’une mo-bilisation pour la liberté d’ex-pression et contre le terrorisme.

L’Etat d’Israël est repré-senté par trois ministres : le pre-mier ministre israélien Benja-min Netanyahu, le ministre desaffaires étrangère Avigdor Lie-berman et le ministre de l’éco-nomie Naftali Bennett. Aprèsles massacres de palestinienspar un terrorisme d’Etat cet été,cette présence sonne commeune provocation pour les di-

zaines de milliers de mani-festants français qui ont ap-porté leur soutien au peuplepalestinien dans des manifes-tations quasi-quotidiennes. « Laprésence de ces ministres, ré-sume le journaliste Alain Gresh,est une insulte à toutes les va-leurs dont prétendent se parerles organisateurs de la manifes-tation, un hold-up qu’il est im-portant de dénoncer6 ».

Faut-il encore rappeler que journalistes ont été tuéscet été dans les bombarde-ments sionistes sur la bande deGaza ? Rappelons encore l’ex-pulsion d’Israël du journalistefrançais Maximilien Le Roy,alors qu’il se rendait à un fes-tival de Bandes Dessinées, enraison de ses dessins jugés pro-

palestiniens :Ils m’ont expliqué, pour

conclure, que si je pouvais cri-tiquer Israël dans mon pays, jen’aurais plus le droit de le fairesur leur territoire. Je savais dèsles premières minutes qu’ils al-laient m’expulser, mais je nem’attendais pas à une interdic-tion de séjour de dix ans. Ilsm’ont traité comme si j’étais unterroriste7.

La « démocratique » ArabieSaoudite était également Char-lie le janvier dernier par laprésence à la manifestation deson ministre des affaires étran-gères Nizar al-Madani. Deuxjours plus tôt, le bloggeur saou-dien Raïf Badawi recevait ses premiers coups de fouets.Il est en effet condamné à

ans de prison et coupsde fouets ( tous les vendre-dis) pour avoir critiqué les di-gnitaires religieux du royaume.Les alliés du nouvel ordre mon-dial sont trop importants pour sasauvegarde. Ils peuvent conti-nuer à bafouer sans aucunecrainte la liberté d’expression etfinancer des groupes qui désta-bilisent les Etats voisins en cou-vrant leur agression du nom del’Islam. Ces deux exemples suf-fisent pour démasquer l’hypo-crisie en matière de liberté d’ex-pression. Celle-ci n’est défen-due que quand elle sert les in-térêts des dominants et elle estoubliée dès qu’elle les remet encause.

La réhabilitation des assassins et des financeurs de la mort, tel est le second fruit empoisonné de l’union sacréequ’a tentée de construire l’instrumentalisation étatique de l’émotion.

La peur

Abordons maintenant les ef-fets de « l’unité nationale » surle territoire français. Le pre-mier est évident : l’instaura-tion d’un climat de peur porteurde tous les dangers. La couver-ture médiatique sous la formed’une « information haletante,sommaire et invérifiée » fondéesur le « principe d’une amné-sie récidivante8 » pose les basesd’un climat anxiogène.

La prégnance du vocabu-laire de guerre (du « Oui noussommes en guerre9 » de Vallsau « la guerre a été déclarée àla France » de Sarkozy)10 dansles prises de positions politi-ques relayées par les journali-stes, experts et chroniqueurs di-

vers, renforce ce climat.

Le déploiement de soldats à grand renfort de publi-cité médiatique enracine l’idéed’un danger permanent et omni-présent. La thèse d’une absencede frontière entre le terrain ex-térieur d’opération et le terrainintérieur développée par le mi-nistre de la défense parachèvela surenchère verbale guerrièreproductrice d’une peur socialegénéralisée :

C’est une véritable opéra-tion intérieure. Il y a les opé-rations extérieures qui se pour-suivent, et c’est une opéra-tion intérieure qui va mobiliser hommes, c’est-à-dire àpeu près autant que ce qui mobi-

lise aujourd’hui nos opérationsextérieures11.

Or que produit le discoursde guerre que nos politiquesn’ont pas hésité à utiliser aussifortement : Une mise en guerredéclenche un discours simplifiéami-ennemi – ennemi de l’exté-rieur et ennemi de l’intérieur –la menace engendre la peur, lapeur la haine, la haine pousse àl’action préventive. Les solida-rités se resserrent : union et ex-clusion12.

Il n’est dès lors pas éton-nant que le discours de guerredébouche logiquement sur lamultiplication des actes isla-mophobes qui se sont rapi-dement comptés par dizaines

en quelques jours. « Quelque actes anti-musulmans ontété recensés en quinze jours13 »évalue le journal Libération.Le chiffre réel est, bien en-tendu, beaucoup plus impor-tant. De nombreux actes nesont en effet pas signalés dansle contexte délétère actuel. Ilne faut pas s’étonner dès lorsqu’un climat de peur s’emparedes populations issues de l’im-migration postcoloniale. Cettepeur n’est pas irrationnelle maiss’explique par la multitude despetits actes d’agressivité su-bis dans la quotidienneté quis’ajoutent aux agressions ou-vertes recensées ci-dessus : pro-pos racistes, silence et atmo-

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sphère tendus dans les trans-ports en commun, etc.

Les femmes portant un fou-lard sont encore plus touchéespar cette peur envahissante.Ayant le janvier une jour-née de travail avec un groupe defemmes maghrébines et noiresde Blancs Mesnil, nous avons,nous mêmes, été effarés parle nombre de témoignages des

agressions verbales et des com-portements de rejet qu’expo-saient ces trente femmes. Siles réactions sont diverses, unepart importante de celles-ci sontd’ores et déjà lourdes de consé-quences : « je ne sors plus dechez moi ou juste pour faireles courses », « pour la premièrefois je pense à enlever mon fou-lard car j’ai peur », « je ne laisse

plus sortir ma fille, j’ai peurpour elle », etc.

A l’origine de cette haussedes actes islamophobes et de lapeur qu’elle suscite se trouve uncertain nombre de thématiquesrécurrentes des médias et desdiscours politiques. Dans uneFrance qui connaissait déjà unemontée régulière de l’islamo-phobie depuis près de deux dé-

cennies, il est irresponsable demultiplier les propos : sur l’is-lam et « son lien ou non avecle terrorisme », sur « la moindreprésence de certains aux mani-festions du « Je suis Charlie » »,sur « le soi-disant silence de cer-taines populations à l’égard desattentats », etc.

La montée importante des violences islamophobes directes ou indirectes est le troisième fruit pourri del’instrumentalisation politique et médiatique de l’émotion.

L’humiliation

Cette peur s’accompagnesouvent d’un sentiment d’humi-liation c’est-à-dire de « la per-ception d’un décalage entre laplace revendiquée au nom dela qualité d’égal et la place àlaquelle l’on est rabaissé14 ».L’humiliation en tant que ra-baissement de l’être humain at-tentant à sa dignité est lourde deconséquences. Le terme arabede « Hoggra » est quotidienne-ment utilisé dans les conver-sations familiales et amicales.Nous l’avons également fré-quemment rencontré dans lesréunions que nous avons euescette semaine avec plusieurscollectifs dans des quartiers po-pulaires. Voici la définition quenous en donnions déjà en pour restituer le vécu de nom-breux jeunes des classes po-pulaires : « Ce terme employépar les jeunes exprime un mé-lange de négation de la réalitévécue, une impression d’êtreméprisé et rabaissé volontaire-ment et une discrimination vé-cue comme permanente15 ».

Exagérons nous ?Humiliation lorsqu’on en-

visage de retirer un foularduniquement par la peur sus-citée par la multiplication ra-pide des actes islamophobes ?Humiliation lorsque l’on reçoitune injonction permanente àse « démarquer des attentats » ?Humiliation lorsqu’un élève sefait exclure d’une classe parcequ’il ne veut pas être Char-lie ? Humiliation lorsqu’on re-fuse même d’écouter les raisonsqu’invoque cet élève pour jus-tifier son opinion ? Humiliationlorsqu’on se fait arracher sonfoulard dans la rue devant despassants indifférents ?

Bien sûr, certains pourronttoujours crier à la victimisation.Bien entendu, des « experts »pourront débattre à longueurd’antenne pour présenter ceshumiliations comme anodineset secondaires. A l’évidenced’autres chroniqueurs y verrontle signe d’une paranoïa sansaucune base objective. Il resteque, quand un sentiment sub-

jectif est autant partagé, il mé-rite au moins une interroga-tion critique c’est-à-dire exacte-ment l’inverse de ce que pro-pose notre ministre de l’éduca-tion nationale. Celle-ci consi-dère comme « insupportable »les réactions d’une partie desélèves à l’injonction étatique às’émouvoir :

Même là où il n’y a pas eud’incidents, il y a eu de tropnombreux questionnements dela part des élèves. Et nousavons tous entendu les « Ouije soutiens Charlie mais », les« deux poids, deux mesures »,les « pourquoi défendre la liber-té d’expression ici et pas là ? »Ces questions nous sont insup-portables, surtout lorsqu’on lesentend à l’école, qui est chargéede transmettre des valeurs16.

Et nous qui pensions quel’école apprenait à nos enfantsle débat contradictoire, la pen-sée critique, l’argumentation etle libre arbitre. Non, la ré-ponse s’oriente vers la répres-sion plutôt que la réfutation,

vers le silence imposé plutôtque l’argumentation, vers l’ex-clusion plutôt que le débat con-tradictoire. Exprimant explicite-ment le sous-entendu de cettelogique répressive, la journa-liste Nathalie Saint-Cricq dé-clare sur France : « il faut re-pérer et traiter ceux qui ne sontpas Charlie17 ».

Mais à quoi mènent donc lapeur, l’humiliation et le déni deparole ? D’abord à de la vio-lence contre soi, ensuite tôt outard à une externalisation decette violence. Tous les silencesqui se font sur ce traitementdes conduites des élèves ren-forcent les sentiments d’isole-ment et d’injustice sur lesquelspeuvent émerger des conduitesnihilistes allant de la destructionde soi ou des proches, aux ré-voltes collectives de quartiers enpassant pour une infime mino-rité par le basculement vers lesattentats.

La création des conditions d’une hausse des conduites nihilistes, tel est un autre fruit dangereux du contexteactuel.

Une répression « Hystérisée »

Nous empruntons le terme« hystérisé » au syndicat de lamagistrature qui tire le bilansuivant des deux dernières se-maines :

C’est ainsi que depuis quel-

ques jours s’enchaînent les pro-cédures expédiées, où l’on aexaminé et jugé le contexte,à peine les circonstances desfaits, si peu l’homme, poursuivipour avoir fait l’apologie du

terrorisme. Non pas pour avoirorganisé une manifestation desoutien aux auteurs des atten-tats, élaboré et diffusé à grandeéchelle des argumentaires, prispart à des réseaux, mais pour

des vociférations, lancées sousle coup de l’ivresse ou de l’em-portement : en fait, des formestristement actualisées de l’ou-trage. Les lourdes condamna-tions pleuvent, assorties d’in-

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carcérations à l’audience. Telleest la désastreuse justice pro-duite par le recours à la com-parution immédiate dont la loidu novembre a fait unenouvelle arme de lutte contre leterrorisme. Comme si la justicepénale, devenue l’exutoire de lacondamnation morale, pouvaitfaire l’économie d’un discerne-ment plus que jamais nécessaireen ces temps troublés. Commesi certains de ses acteurs avaientbrutalement oublié qu’elle doitêtre rendue avec recul, sur labase d’enquêtes approfondies,en se gardant des amalgames –entretenus jusque dans cette cir-culaire, qui englobe violencesurbaines et apologie du terro-risme – et, surtout, des réactions

hystérisées qui la délégitimentet la société avec elle18.

Les chiffres officiels de lachancellerie communiqués le janvier nous donne ainsi lesinformations suivantes : procédures depuis le jan-vier, dont pour « apologiede terrorisme », jugementsen comparution immédiate, condamnations dont à despeines de prison ferme dont avec mandat de dépôt à l’au-dience, autres convocationsdevant le tribunal correction-nel19.

Le syndicat de la magistra-ture a raison de parler de ladérive d’une « justice de l’ur-gence ». Nous habituer, nous ac-climater, nous accoutumer à un

recul des libertés démocratiquesau prétexte d’assurer notre sécu-rité, tel est le seul résultat pos-sible de telles pratiques.

Déjà l’on nous annonce denouvelles lois prises au nomde notre sécurité alors qu’uneloi dite de « lutte contre le ter-rorisme » était déjà adoptée àl’automne dernier. Depuis ,ce sont ainsi lois visant ànous protéger qui ont été vo-tées. Nous y reviendrons ulté-rieurement. Mais nous pouvonsd’ores et déjà goûter à un autrefruit amer de l’unité nationale :la création des conditions d’unconsentement majoritaire à laremise en cause des libertés dé-mocratiques.

Ce n’est pas par la guerre

impérialiste, la peur, l’humilia-tion, la répression hystérisée etla remise en cause des droitsdémocratiques que reculera le« terrorisme ».

Les mesures annoncées parle gouvernement ne s’attaquentà aucune des causes structurel-les de l’émergence de posturesnihilistes dans notre société :les inégalités sociales massives,les discriminations racistes sys-témiques, l’islamophobie humi-liante, les contrôles policiersau faciès, les guerres pour lepétrole et les minerais straté-giques. Pourtant, Il n’y a aucuneautre solution sérieuse que cellede s’attaquer aux causes réellescar sans justice, il ne peut ja-mais y avoir de paix.

Notes1Le concept d’arôme idéologique immédiat est proposé par Gramsci dans ses Cahiers de Prison au sein de son approche de l’idéologie. Voir dans notre Dictionnaire

des dominations de sexe, de race, de classe, Syllepse, Paris, , pp. -.2Sous la forme d’une présentation essentialiste des cultures africaines comme marquées par la non historicité, le tribalisme, l’ethinicisme et une « culture de la

violence ».3Hubert Deschamps, L’héritage de Léopold, dans Jean Ganiage et Hubert Deschamps, L’Afrique au XXe siècle, Syrey, Paris, , p. .4http://www.vie-publique.fr, consulté le // à h .5Zaki Laïdi, Le Monde selon Obama, Stock, Paris, .6Alain Gresh, D’étranges défenseurs de la liberté de la presse à la manifestation pour « Charlie Hebdo », Les blogs du diplo, consulté le // à h 7Maximilien Le Roy, dessinateur, interdit de séjour en Israël, Interview de Lucie Servin, l’Humanité du octobre .8Jean François Tétu, Les médias et le temps, figures, techniques, mémoires, énonciation, in les Cahiers du journalisme, no , juin , p. .9Manuel Valls à l’assemblée nationale le janvier .

10Le Figaro du janvier 11Défense Jean-Yves Le Drian, déclaration du janvier .12Yves Ternon, Guerres et génocides au XXe siècle, Odile Jacob, Paris, , p. .13Libération du janvier .14Dominique Vidal, Sentiment, moralité et relation d’enquête. Un regard sur les femmes domestiques, in Vincent Caradec et Danilo Martuccelli (dir.), Matériaux pour

une sociologie de l’individu : perspectives et débats, Septentrion, Lille, , p. .15Said Bouamama, Le sentiment de « Hoggra » : discrimination, négation du sujet et violence, in Les classes et quartiers populaires, Editions du Cygne, Paris, ,

p. .16Najat Vallaud Belkacem, le janvier , cité dans Médiapart du janvier.17Youtube, consulté le janvier à h.18Communiqué du Syndicat de la magistrature du janvier , www.syndicat-magistrature.org, consulté le janvier à h .19Communiqué de l’AFP.

Terrorisme : les livres pour comprendreLes Etats-Unis et la France pensent-ils seulement à la démocratie et au bonheur desSyriens ? Alors pourquoi protègent-ils toutes les autres dictatures arabes ? Veulent-ilsla démocratie ou contrôler le Moyen-Orient ?

Dépassant les propagandes simplistes, Bahar Kimyongür, originaire de la commu-nauté alaouite de Turquie, jette un regard transfrontalier sur ce conflit plus complexequ’on nous le dit.

Tout en critiquant durement le système syrien, il éclaire aussi les milliards de finan-cements occultes de Washington, le plan Syriana préparé par la CIA pour remodeler le« Grand Moyen-Orient », le rôle trouble joué par un milliardaire libanais et le princesaoudien Bandar Sultan, financier avéré de mouvements terroristes.

L’info sur les guerres en cours ou à venir est trop importante pour avaler n’importequoi.

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Charlie Hebdo : chercher à comprendre pour éviter les piègesQuel rapport entre la découverte du pétrole, le rire de Nasser, la guerre d’Algérie, la révolte des banlieues etl’attentat de Charlie Hebdo ? Aucun si l’on s’en tient au registre émotionnel et au discours sécuritaire qui ont faitsuite à l’attaque du journal satirique. Pourtant, si l’on ne peut accepter que deux jeunes Français ayant sombrédans le fanatisme religieux assassinent des journalistes en plein Paris, il est nécessaire de s’interroger sur ce quia rendu possible l’impensable. Cette réflexion nous amène nécessairement à remonter le mal jusqu’à ses racinespour analyser ce qui s’est passé tant au Moyen-Orient qu’en France ces dernières décennies. Cet article porte doncdavantage sur ces deux éléments que sur l’attentat du janvier. Un exercice indispensable à l’heure où le dramequi a ébranlé la France est ramené à la seule dimension de la liberté d’expression. Un exercice indispensable àl’heure où une partie de la classe politique, dans l’impossibilité d’interroger ses responsabilités, propose d’adopterun Patriot Act français pour nous protéger de la menace terroriste. Un appel lancé depuis une marche pour... laliberté d’expression !

Grégoire Lalieu

Charlie Hebdo a fait rire. Char-lie Hebdo a fait grincer desdents. Mercredi janvier, Char-lie Hebdo a, peut-être pour lapremière fois, fait pleurer. Deuxindividus lourdement armés ontpris d’assaut la rédaction dujournal satirique laissant der-rière eux douze morts. La nou-velle a giflé la France. Cho-qué, on a découvert sur leschaînes d’info en continu lespremiers détails du drame. Etpuis des noms sont tombés.Cabu. Wolinski. Charb. Mortsau combat. On se souvient queCharlie Hebdo s’était engouf-fré sur un terrain miné en pu-bliant, en , des caricaturesdu Prophète Mohamed reprisesd’un journal conservateur da-nois. On se souvient que de-puis, les crayons de l’hebdoma-daire satirique s’étaient donnéà cœur joie de dézinguer l’is-lam comme il s’était toujoursappliqué à désacraliser l’intou-chable. Avec une adresse re-

lativement appréciée. Une nuitde novembre , la rédac-tion du journal était la cible decocktails Molotov. Charb, di-recteur de publication, réagis-sait : « Je n’ai pas de gosses,pas de femme, pas de voiture,pas de crédit. C’est peut-être unpeu pompeux ce que je vais dire,mais je préfère mourir deboutque vivre à genoux. »

Mercredi, Charb, Cabu etWolinski sont morts pour desdessins. On pense que jamaison ne pourra digérer l’indigeste.On reste assommé devant sa té-lévision. Mais déjà, des réac-tions tombent à chaud. Au mi-cro d’Télé, le journaliste SergeMoati en appelle à « un combatnational, français, contre l’is-lamisme » avant d’ajouter que« l’islam ne doit pas être carac-térisé par ces salauds-là. » Dansune allocution aux allures prési-dentielles, Nicolas Sarkozy dé-clare : « Notre démocratie estattaquée. Nous devons la dé-fendre sans faiblesse. La fer-meté absolue est la seule ré-ponse possible. » Il ajoute en finde discours : « J’appelle tousles Français à refuser la tenta-tion de l’amalgame et à présen-ter un front uni face au terro-risme, à la barbarie et aux as-sassins. » Venant du président

d’un parti qui fait les yeux douxà l’électorat du FN, venant d’unancien président de la Répu-blique qui se plaignait du tropgrand nombre de musulmans enEurope et qui voyait dans l’his-toire des caricatures le signeavant-coureur du choc des civi-lisations, les précautions de Sar-kozy sur les amalgames sonnentaussi justes que la tirade d’unbeauf au café du commerce quidébute par l’inévitable : « Je nesuis pas raciste, mais les Noirset les Arabes... ». Enfin, il y a laréaction de Philippe Val au mi-cro de France Info.

L’ancien directeur de Char-lie Hebdo a relevé que « quelquechose » se répandait en Franceet parmi les musulmans.

Alors, malgré la gueule debois que nous laissent les por-traits des dessinateurs de Char-lie dans la rubrique nécrolo-gique, on se dit qu’on doit réagirnous aussi. Réagir pour com-prendre ce « quelque chose »qui se répand en France. Ré-agir parce qu’on n’accepte pasque l’on puisse mourir pour desdessins. Réagir parce que per-sonne ne souhaite que cela se re-produise. Comment ? Difficilede poster des policiers devanttoutes les rédactions. Et pour-quoi, encore, demander aux mu-

sulmans de se désolidariser decet acte terroriste comme l’a faitla campagne Not in my Name ?Comme si, comme le relevaitRue89, les musulmans étaient,par défaut, solidaires des actesterroristes : « Nous devrions in-terroger la petite satisfactionà voir un imam affirmer qu’ilcondamne l’égorgement d’unotage, comme si nous étionsrassurés de constater qu’il yavait de “bons musulmans”,comme s’il fallait que les mu-sulmans prouvent qu’ils peuventêtre bons, qu’ils prouvent qu’il ya un islam ouvert, tolérant. »

Comment les autorités fran-çaises entendent-elles dès lors,s’attaquer au problème du fana-tisme ? Comme elles règlent ce-lui de la délinquance, en instal-lant des caméras de surveillancepartout sans toucher au pro-blème des inégalités sociales ?Pas très efficace... Le drame quia frappé Charlie Hebdo néces-site qu’on analyse le mal à saracine. Et cette analyse nousconduit vers deux phénomènesà considérer parallèlement : lapolitique menée par l’Occidentau Moyen-Orient depuis la dé-couverte du pétrole ainsi que lamontée de l’islamophobie.

L’islamisme réactionnaire contre le nationalisme arabe

Il fut un temps où enEgypte, le président s’esclaffaità l’idée d’obliger les femmes àporter le voile. C’était du tempsde Nasser. C’était l’âge d’or dunationalisme arabe. Un courant

laïc et progressiste que l’Oc-cident, emmené par les Etats-Unis, a combattu en s’appuyantsur l’islamisme réactionnaired’Arabie saoudite. MohamedHassan nous l’explique dans le

livre Jihad made in USA : « Ladécouverte de gigantesques gi-sements de pétrole a fait duMoyen-Orient une région extrê-mement stratégique pour les im-périalistes. Or, avec le déve-

loppement du nationalisme, despays arabes manifestaient le dé-sir de prendre leur destin enmain et de disposer souverai-nement de leurs richesses. Celaaurait été une catastrophe pour

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les Occidentaux qui non seule-ment auraient été privés de pé-trole bon marché, mais qui enplus auraient dû faire face à unpuissant rival si le panarabismede Nasser avait porté ses fruits.Le dirigeant égyptien souhai-tait en effet que les pays de larégion, qui avaient été décou-pés arbitrairement par les puis-sances coloniales, se réunissentà nouveau autour de leur iden-tité arabe. De leur côté, les isla-mistes réactionnaires voyaientd’un très mauvais œil l’émer-gence du nationalisme arabe.Ce courant était tout d’abordporteur de modernité. De plus,bien qu’il ait reconnu l’islamcomme un élément essentiel dela culture arabe, Nasser avaitfait de la laïcité une ligne direc-trice en matière de gestion po-litique. Le nationalisme arabe

était donc aux antipodes de ceque les réactionnaires du Golfeappliquaient chez eux. »

Dans La stratégie du chaos,Mohamed Hassan nous expli-que comment l’islam politiquedes Saoud a été érigé en modèlecontre le nationalisme de Nas-ser : « Pour contrer l’influencede l’Union soviétique, Eisenho-wer mit au point une stratégieconsistant à apporter un sou-tien financier et militaire à toutpays du Moyen-Orient qui se-rait “menacé par le commu-nisme”. Mais la doctrine Ei-senhower fut un échec. D’unepart, l’envoi de grosses sommesd’argent vers des pays richesen pétrole soulevait beaucoupde questions aux Etats-Unis.D’autre part, les pays arabesqui auraient accepté cette aidese seraient ouvertement affichés

contre l’Egypte nassérienne quiavait encore le vent en poupeà l’époque auprès des popula-tions de la région. Alors, Wa-shington élabora une autre stra-tégie. On allait employer l’is-lam comme une arme poli-tique pour contrer le nationa-lisme arabe laïque de Nasser.(...) L’Arabie saoudite créa laLigue islamique mondiale, uneorganisation ultraconservatriceinspirée par l’extrémisme wah-habite pour contrer l’influencede Nasser. La Ligue déclaraitpar exemple que le nationalismeétait le pire ennemi des Arabes.Dans un premier temps, la po-pularité de Nasser étant telle-ment grande, cet islam politiquene rencontra pas un grand suc-cès. Mais la défaite du pré-sident égyptien dans la guerredes Six Jours changea la donne.

Après ce conflit et la perte deprestige du nassérisme, l’alter-native offerte par Fayçal reçutun plus grand soutien populaireet l’Arabie saoudite devint unacteur-clé du Moyen-Orient. »

Mohamed Hassan nousexplique également commentl’Egypte rentra dans le droitchemin après la mort de Nas-ser. Les Etats-Unis et l’Arabiesaoudite achetèrent le nouveauprésident égyptien, Anouar al-Sadate, pour qu’il s’écarte dunationalisme arabe. Cela im-pliquait de faire la paix avecIsraël et d’ouvrir l’économieaux multinationales. Des déci-sions qui n’enchantaient pas lepeuple égyptien. Le prestige deNasser était encore fort et voilàque Sadate entendait faire toutl’inverse de son prédécesseur !

Pour liquider l’héritage du nassérisme, le président égyptien décida donc de s’appuyer sur l’islamisation de lasociété égyptienne.

Les Frères musulmans, vio-lemment réprimés par Nasser,furent ainsi autorisés à reveniren Egypte. Alors que la po-litique d’ouverture économiquemenée par Sadate plongeait denombreux Égyptiens dans lapauvreté, les Frères dévelop-pèrent une base sociale im-portante en subvenant aux be-soins des plus démunis à traversun vaste réseau de charité. Ilsétaient pour cela aidés par lesriches monarchies du Golfe.

Voilà comment une formeréactionnaire de l’islamisme

s’est durablement installée auMoyen-Orient. Encore faut-ilpréciser, n’en déplaise à SergeMoati, que l’islamisme recou-vre des notions bien diverses.Galvaudé par les médias occi-dentaux, le terme est devenu unconcept fourre-tout. MohamedHassan distingue pourtant cinqcourants parfois contradictoires.Quelle différence en effet entrel’islam réactionnaire des Saoudet celui d’autres mouvementsinspirés par la théologie de la li-bération par exemple ! Et com-ment ranger dans un même pa-

nier des islamistes comme Ab-delkader ou Omar al-Mokhtarqui combattirent les puissancescoloniales et d’autres commeMohamed Morsi qui, à la têtede l’Egypte, avaient déjà en-trepris de se soumettre auxdiktats du FMI ? La nuancereste de mise même lorsqu’onaborde un mouvement tel queles Frères musulmans. Il futfondé pour combattre la domi-nation britannique en Egypte.La direction des Frères s’estdepuis ralliée aux intérêts despuissances néocoloniales. Cette

vaste organisation n’en restepas moins traversée par diffé-rentes tendances, comme toutparti politique. Certaines, plusprogressistes, voudraient faireévoluer les Frères musulmans.L’islamisme n’est donc pas ungros mot. Mais il nous montreque, comme toute idéologie,il fait l’objet d’une lutte entredifférents courants. Et malheu-reusement, en grande partiepour les raisons que nous ve-nons d’évoquer, ce sont actuel-lement les plus réactionnairesqui dominent.

Le jihad en Syrie, pas à Paris

L’impact de la politique me-née par l’Occident au Moyen-Orient ne s’arrête pas là. Parmiles différents courants que re-couvre l’islamisme, MohamedHassan distingue également lamouvance jihadiste et rappelleque « le jihad est aussi uncombat que le musulman doitavant tout mener contre lui-même pour faire ressortir cequ’il y a de meilleur en lui.Le jihad peut donc être quelquechose de très positif ! » Mais le

jihad fait aussi référence à unelutte armée. Une lutte menéed’abord en Afghanistan contreles Soviétiques et avec l’aidede la CIA. Ben Laden étaità l’époque un ami des Etats-Unis. Après les attentats du septembre toutefois, la guerrecontre le terrorisme lancée parBush a quelque peu malmené lemouvement jihadiste. On pen-sait alors cette mouvance ré-duite à quelques rescapés ta-pis dans des grottes. L’ancien

chef du service de renseigne-ment de sécurité de la DGSE,Alain Chouet, avait même dé-claré devant le Sénat : « LaQaida est morte, sur le planopérationnel, dans les trous àrats de Tora Bora en ».

Pourtant, depuis quelquesannées, les mouvements jiha-distes semblent avoir repris dupoil de la bête. Le plus cé-lèbre d’entre eux aujourd’hui,Daesh, est même parvenu à cré-er un Etat à cheval sur l’Irak

et la Syrie. Comment expli-quer cette résurgence ? Diffé-rents facteurs entrent en comptecomme nous l’explique Moha-med Hassan dans Jihad madein USA. L’invasion de l’Iraken tout d’abord. Après lachute de Saddam Hussein, lesbaathistes irakiens se sont or-ganisés pour résister à l’occu-pation US. Mais, avec l’aide del’Iran, les Etats-Unis ont misen place un nouveau gouverne-ment. Trop chiite pour l’Arabie

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saoudite qui craignait de voirl’influence de Téhéran s’étendredans la région. La monarchiea donc appuyé la création degroupes sunnites extrémistes enIrak. Parallèlement à cela, lesEtats-Unis s’étaient lancés dansla « débaathification » de l’Irak,c’est-à-dire qu’ils avaient entre-pris de démanteler totalementla structure laïque de l’Etat di-rigé par Saddam Hussein. Ceciexplique comment la résistanceà l’occupation US a viré auconflit confessionnel opposantsunnites et chiites. Ceci expli-que aussi comment de nouveauxmouvements jihadistes sont ap-parus après la mort opération-nelle d’Al Qaïda.

Ensuite, la guerre en Libyea également permis à d’anciensmouvements jihadistes de re-trouver certains soutiens. Mo-hamed Hassan rappelle ainsi :« Pour combattre l’armée deKadhafi, le gouvernement USn’a pas hésité à s’allier à desgroupes jihadistes. Il savait quel’est de la Libye était un sanc-tuaire de terroristes comme enatteste un rapport de l’acadé-mie miliaire de West Point ré-digé en . Nous savons aussique la CIA s’est appuyée surl’ancien leader du GICL. L’ami-ral Stavridis, commandant su-prême des Forces alliées del’Otan en Europe reconnaissaitd’ailleurs que des combattants

de ce groupe affilié à Al Qaïdaparticipaient aux efforts pourrenverser Kadhafi, mais qu’ilsle faisaient “à titre personnel”.La déclaration date de .Elle pourrait faire sourire sinous ne connaissions pas lesconséquences tragiques de l’in-tervention de l’Otan en Libye. »

De même, en Syrie, lesEtats-Unis et leurs alliés, Tur-quie, Arabie saoudite et Qatar,se sont appuyés sur des groupesjihadistes pour combattre l’ar-mée syrienne. La fable du “prin-temps syrien” voudrait que Wa-shington ait opéré une distinc-tion pointilleuse entre les re-belles modérés et les extré-mistes. En réalité, la plupart des

experts s’accordent à dire quecette distinction relève de la fic-tion. Selon la situation sur le ter-rain et les aides apportées auxdifférents groupes, un combat-tant pouvait ainsi se battre sousla bannière de l’ASL un jour etsous celle du Front al-Nosra lelendemain. Rappelons en outreque les « modérés » ne le sontpas tant que ça... Tout le mondese souvient de Khalid al Ha-mad, l’homme qui, devant unecaméra, porta le cœur d’une deses victimes à la bouche. Il diri-geait la brigade al Farouk, affi-liée à l’ASL, les “démocrates”.

En détruisant l’Irak et en menant des guerres de proximité en Libye et en Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés ontdonc contribué à la résurgence de la mouvance jihadiste.

« Après les fiascos d’Iraket d’Afghanistan, poursuit Mo-hamed Hassan, Barack Obamas’est trouvé dans l’impossibi-lité d’engager ses troupes dansun nouveau conflit. Pourtant,les États-Unis n’ont pas re-noncé à leurs prétentions surle Moyen-Orient. La présidenced’Obama consacre donc le re-tour du “soft power” : plutôt

que d’envoyer ses soldats aucasse-pipe, Washington utilisedes groupes sur place. Ça nevous étonnera sans doute pas,parmi les proches conseillersd’Obama, on retrouve un cer-tain Zbigniew Brzezinski. C’estlui qui a eu l’idée d’armer desfanatiques musulmans en Af-ghanistan pour combattre l’ar-mée afghane et les troupes so-

viétiques dans les années . EnLibye, les États-Unis n’avaientd’autre choix que de recou-rir aux jihadistes. En Syrie, ilsespéraient pouvoir démobiliserune grande partie de l’arméeen jouant la carte confession-nelle. Les déserteurs devaientainsi venir grossir les rangs del’Armée syrienne libre. Or, il y abien eu des défections. Mais les

soldats qui ont quitté leur posteont généralement quitté le paysen même temps. En Syrie aussi,les États-Unis n’avaient doncd’autre choix que de s’appuyersur des jihadistes. Mais utiliserces groupes est une chose, lescontrôler en est une autre. »

Comment l’islamophobie a gangrené la France

Le retour du soft powern’a pas seulement été marquépar l’utilisation de groupes surplace. Des jeunes ont égale-ment quitté l’Europe pour allerse battre. L’un des auteurs del’attaque contre Charlie Hebdoétait d’ailleurs un jihadiste bienconnu des services français. Carle fanatisme religieux ne gan-grène pas seulement les champsde bataille en Irak, en Syrieou en Libye. Il a égalementtrouvé des adeptes en Europe eten France plus particulièrement.

Sans doute le « quelque chose »qu’évoquait Philippe Val et quine peut être compris qu’à lalumière du climat islamophobequi s’est fortement développédans la foulée des attentatsdu septembre, mais dontles racines remontent à plusloin, comme nous l’expliquele sociologue Saïd Bouamamaavec qui nous nous sommesentretenus : « L’islamophobiea en premier lieu des ra-cines très anciennes en Francepuisqu’elle faisait partie de la

stratégie idéologique coloniale.Pour justifier la mission civi-lisatrice, une des armes utili-sées était l’approche cultura-liste de la religion musulmane.On la présentait comme ho-mogène, comme conduisant in-évitablement au fanatisme etcomme incapable d’adaptationau contexte “moderne”. Cetteimage de l’Islam a été vé-hiculée massivement dans leslivres scolaires, les films, lesimages, etc. Elle s’est ancréede ce fait dans les mentalités

collectives, mais avait commecontrepoids une conscience ou-vrière forte appelant à prendreen compte les dimensions com-munes : les intérêts de classe etla culture ouvrière. Lors des in-dépendances, aucun travail n’aété mené pour déraciner et dé-construire cette stigmatisationde l’Islam. L’époque était ce-pendant encore aux luttes et auxconquêtes sociales, ce qui rela-tivisait le poids de ces héritagesréactionnaires. »

La crise économique des années va cependant changer la donne et les clichés de l’époque coloniale vontalimenter le fonds de commerce de l’extrême droite.

« Avec la crise structurelleet systémique qui a touché le ca-pitalisme français dans la dé-

cennie , poursuit Saïd Boua-mama, le Front National a re-pris à son compte toutes ces ca-

ricatures de l’Arabe, du Noiret du musulman issus de la pé-riode coloniale. N’ayant pas été

éradiquées, ces images se sontendormies, mais étaient tou-jours disponibles. Le Front Na-

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tional, dont une partie impor-tante des dirigeants ont été for-més pendant la guerre d’Algé-rie et y ont participé, a investice terreau propice. Il a ainsipu sortir de la dimension grou-pusculaire dans laquelle étaitcantonnée l’extrême droite de-puis la victoire contre le na-zisme en . Dans la décen-nie , le Parti Socialiste a misen place des politiques ultrali-bérales qui ont fragilisé profon-dément les classes populaires.Or, les processus de paupéri-sation massive et de précarisa-tion sont producteurs d’un sen-timent de désespérance socialepour le monde ouvrier. Un senti-ment que le Front National tentede récupérer à son profit. »

Le parti d’extrême-droite atiré habilement son épingle dujeu, parvenant à une lepénisa-tion des esprits en France, com-me nous l’explique Saïd Boua-mama : « Entièrement engagésdans les politiques de dérégu-lation, les gouvernements so-cialistes puis de droite tententd’éviter les colères sociales endiffusant des grilles ethniquesde lecture (sur la délinquance,sur l’insécurité, sur la dégra-dation des conditions de viedans les quartiers populaires,etc.) c’est-à-dire en reprenantles thèmes, les logiques, les ma-nières de poser les questions so-ciales du Front National. C’estun véritable processus de le-pénisation des esprits qui semet en place. Parallèlement, ausein des classes populaires, lacomposante issue de l’immigra-tion des anciennes colonies estcelle qui est la plus touchéepar la crise en même temps oùelle est désignée comme respon-sable des maux sociaux par lalepénisation des esprits. »

Devenus les nouveauxboucs-émissaires d’une Francegangrénée par le racisme,certains jeunes vont trouverun exutoire dans la religion.« Progressivement, les dis-criminations se massifient etdeviennent systémiques, im-pactant le devenir des jeunesfrançais issus de l’immigra-tion postcoloniale, précise Saïd

Bouamama. Pour une partied’entre eux, le réinvestissementde la foi musulmane a été unantidote à l’autodestruction.Pour d’autres, la réaction estsous forme de révoltes culmi-nant en novembre parl’explosion de quartierspopulaires pendant jourscontre les injustices qui lestouchent en termes de discri-minations, de relégations et decontrôles policiers débouchantsur de multiples morts de jeunessous les balles de la police. Lesorganisations de gauche étaientcoupées des quartiers et desclasses populaires, elles refu-saient de prendre en charge lalutte contre les discriminationsracistes, les considérant commesoit inexistantes, soit commesecondaires. Ces organisationsde gauche étaient donc inca-pables de saisir qu’il s’agissaitd’une révolte populaire et l’ontlaissée dans l’isolement, contri-buant ainsi à creuser un fossé.Le Front National initie alorsla conversion de son idéologieraciste antimaghrébine en ra-cisme contre les musulmans etcontre l’islam c’est-à-dire enislamophobie. »

Mais le nouveau cheval debataille de l’extrême droite dé-passe largement les seuls mee-tings du FN. « La nouvelle thé-matique sera comme les pré-cédentes, reprise par la droiteclassique et le Parti Socia-liste, enchaîne Saïd Bouamama.La loi sur le foulard en marque le passage à une isla-mophobie d’Etat désignant l’is-lam comme danger pour la ré-publique, le droit des femmeset la laïcité. Cette stratégie nedésarme pas le Front Nationalqui devient brusquement “répu-blicain” lui qui depuis sa nais-sance frayait avec les monar-chistes. Il devient brusquement“féministe”, lui qui depuis sanaissance était pour le retourdes femmes au foyer et pour leretour à la tradition. Il devientbrusquement laïque, lui qui de-puis sa naissance était pour uneFrance chrétienne. Les basesd’un consensus transversal an-timusulman sont posées. Les

uns en attendent une progres-sion de leur audience politiquequ’ils emmagasinent à chaqueélection. Les autres au Parti So-cialiste et à droite s’en serventcomme débat-écran pour dé-tourner l’attention des véri-tables questions sociales. »

Et ce contexte islamophobea bien évidemment un impactsur ces quelques jeunes Fran-çais qui ont versé dans le fa-natisme religieux pour partirfaire le jihad au Moyen-Orient.Avec tous les problèmes quepose leur retour, leur départn’en étant pas moins probléma-tique. L’un des auteurs de l’at-taque de Charlie Hebdo se se-rait ainsi félicité d’avoir “vengéle Prophète”. « Fragilisés socia-lement, victimes de discrimina-tions massives (à la formation,à l’emploi, dans la recherchede logement, etc.), humiliés pardes contrôles de police perma-nents, présentés comme un dan-ger pour la société, mis en accu-sation permanente dans les mé-dias et enfin de nouveau humi-liés par les attaques incessantescontre l’islam, certains de cesjeunes sont en recherche d’uncanal pour exprimer leur ré-volte", relève Saïd Bouamama."De surcroit, le spectacle deguerres d’agression pour le pé-trole accompagné du même dis-cours antimusulman qu’ils su-bissent déjà, dans un contexted’abandon des quartiers popu-laires par les organisations degauches, en font un terrain pro-pice pour tous les manipula-teurs de la misère et de lasouffrance humaine. Si la ma-jorité des jeunes ne sombre pasdans le nihilisme, une mino-rité d’entre eux sont dans larecherche d’un canal pour àla fois exprimer leur révolteet trouver un débouché au ni-hilisme autodestructeur qui lestouche. »

Charlie Hebdo : des gau-chistes anars ou des réacs is-lamophobes ? Comment situerCharlie Hebdo dans ce contexteislamophobe ? Le journal estlancé en par le ProfesseurChoron et François Cavana. Ils’appelle alors Hara-Kiri et an-

nonce le ton : bête et mé-chant. Précurseur d’une certainemanière de mai , la bandede joyeux drilles semble décré-ter avant l’heure qu’il est in-terdit d’interdire... de rire. Uneligne éditoriale qui ne passepas toujours très bien. En ,la une du journal sur la mortdu général de Gaulle conduit àl’interdiction d’Hara-Kiri. Cho-ron et Cavana trouvent la pa-rade et reviennent avec Char-lie Hebdo. Wolinski expliqueà l’époque qu’il est gauchiste,avant de préciser qu’il est sur-tout quelqu’un « qui doute detout ». « Y a des tendances quinous sont plus sympathiquesque d’autres », précise Cavana.« Ce qui est certain, c’est qu’onest contre le sectarisme, quelqu’il soit. On doit jamais abdi-quer la liberté de penser, c’est-à-dire l’esprit critique. Tout estcritiquable, rien n’est sacré. »En ce sens, Hara-Kiri d’abordet Charlie Hebdo ensuite ontcontribué à libérer la pensée. Etle journal incarnait une certaineidée du progrès.

En , le titre disparaît.Manque d’abonnés. Onze ansplus tard, l’hebdo renaît. On yretrouve Philippe Val aux ma-nettes jusqu’en . Ses po-sitions tranchent avec l’espritgauchiste qui avait animé Char-lie Hebdo par le passé. Phi-lippe Val défend le « oui » auréférendum sur la Constitutioneuropéenne, soutient la guerreen Irak, attaque Chomsky àcoup de calomnies, propage defausses rumeurs sur le ForumSocial Européen et ouvre lescolonnes de Charlie à Caro-line Fourest. En , il sefend de ces quelques mots dansles colonnes de son journal :« Si l’on regarde une carte dumonde, en allant vers l’est :au-delà des frontières de l’Eu-rope, c’est-à-dire de la Grèce,le monde démocratique s’ar-rête. On en trouve juste un pe-tit confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël.Après, plus rien, jusqu’au Ja-pon. (...) Entre Tel-Aviv et To-kyo règnent des pouvoirs arbi-traires dont la seule manière

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de se maintenir est d’entrete-nir, chez des populations illet-trées à %, une haine farouchede l’Occident, en tant qu’il estconstitué de démocraties. » Ettant pis si, comme le relevaitle Plan B, selon un rapport desNations Unies, seuls trois paysdans le monde avaient encoreun taux d’illettrisme de % etqu’aucun de ceux-là n’était si-tué entre Tokyo et Tel-Aviv.

Avec Philippe Val, “quelquechose” s’est répandu à Char-lie Hebdo. Aussi, on vou-drait croire que certains des-sins, comme celui sur les es-claves sexuelles de Boko Ha-ram, s’inscrivent dans la tradi-tion loufoque du journal bêteet méchant. Mais on finit parse demander s’ils n’auraient pasplus leur place dans ValeursActuelles. D’autant que la li-berté de ton ne vaut plus pourtout à Charlie Hebdo. Cavanadisait qu’il fallait pouvoir ta-per sur tout le monde. Phi-lippe Val pose des limites oùil l’entend. En , Siné iro-nise sur la possible conversionau judaïsme de Jean Sarkozy.Quelques jours auparavant, Li-bération l’avait déjà évoquéetrès sérieusement. Mais dans leCharlie nouveau, ça ne passepas. Ça ne passe plus. Siné, àqui on devait le dessin d’unenonne se masturbant avec uncrucifix, est prié de prendre laporte. D’autres l’avaient prise

avant lui. Comme Olivier Cyranqui dénonçait « la conduite des-potique et l’affairisme ascen-sionnel » de Philippe Val.

Charlie Hebdo était-il de-venu un journal réac ? Charbpouvait se moquer de l’islamtout en défendant la cause pa-lestinienne. Quand Val faisait lapromo de la Constitution euro-péenne, Cabu appelait à voternon quelques pages plus loin.Et si le même Val louait ladiplomatie US, Wolinski sou-tenait Cuba. Tous les dessina-teurs de Charlie n’avaient doncpas retourné leurs vieilles vestesd’anars gauchistes. Mais les va-leurs que sous-tend leur enga-gement ont pu être instrumen-talisées au profit de causes pastrès glorieuses. Ainsi, dans uneFrance où les amalgames isla-mophobes sont devenus légion,représenter le Prophète Moha-med en terroriste ne relevait pasde l’exploit. « Charlie Hebdofait partie des multiples couchesislamophobes qui se sont cumu-lées ces dernières années et quicontinuent récemment avec unZemmour ou un Houellebecq,indique Saïd Bouamama. Bienque comportant dans son équipedes personnalités différentes etdes points de vue politiques dif-férents, ils ont en commun unrapport à la religion antimaté-rialiste, la percevant par prin-cipe comme réactionnaire entout lieu et en tout temps. Cer-

tains ont donc pensé sincère-ment que l’Islam était le nou-veau danger religieux d’aujour-d’hui. D’autres comme Val ontsurfé sur la vague islamophobeen cours dans la société et pro-pulsée par l’Etat pour tenterd’augmenter l’audience écono-mique du journal. C’est lui quifait prendre un tournant radi-cal au journal en prenant l’Is-lam comme cible privilégiée. Ilne s’agit plus d’une approcheglobale antireligieuse (même siquelques articles continuent àcibler d’autres religions), maisde prendre comme cible une re-ligion spécifique. » Voilà pour lecontexte islamophobe.

Quelles que fussent lesprises de position de CharlieHebdo, rien ne saurait évi-demment justifier l’attentat demercredi. Il s’agit plutôt decomprendre les facteurs quiont rendu possible l’impen-sable. Cette compréhensionest d’autant plus importanteque déjà, des tentatives de ré-cupération politique malsainevoient le jour, nous appelantà creuser encore alors qu’onpensait avoir touché le fond.En Grèce, pour dénoncer sonadversaire de la gauche radi-cale, Antonis Samaras, premierministre issu du parti conser-vateur Nouvelle Démocratie, adéclaré : « Aujourd’hui à Pa-ris, un massacre s’est produitavec au moins douze morts. Et

ici certains encouragent en-core davantage l’immigrationillégale et promettent la natura-lisation ». Le milliardaire amé-ricain Donald Trump a quant àlui invité la France à autoriser leport d’armes : « Souvenez-vous,quand les armes sont hors laloi, seuls les hors-la-loi sont ar-més ! ». De son côté, Marine LePen a appelé à un référendumsur la peine de mort. C’est durd’être pleuré par des cons...

« Malheureusement, la solu-tion nécessite une action dansplusieurs directions simultané-ment, soulève Saïd Bouamama.Il s’agit à la fois de s’opposeraux guerres pour le pétrole pourorienter la colère légitime versle politique afin qu’elle ne soitpas dévoyée. Il s’agit en secondlieu de combattre sans conces-sion l’islamophobie afin de bri-ser le sentiment d’isolementface aux attaques que ressentcette partie importante quan-titativement des classes popu-laires. Il s’agit également d’or-ganiser ces jeunes afin ques’organise avec eux le combatcontre les discriminations sys-témiques, contre les contrôleset crimes policiers. Il s’agit en-fin de produire une nouvelleperspective commune qui remeten cause les choix économiquesactuels et la politique interna-tionale française. Sans cela, desrévoltes légitimes continuerontà être dévoyées ».

Le choc des civilisations ou la lutte des classes ?

Dimanche janvier à Pa-ris, la marche républicaine enhommage aux victimes des at-tentats a réuni , million depersonnes. Il était beaucoupquestion de liberté d’expressionmalgré la présence de Netanya-hou en tête de cortège. En ,Gaza a été le deuxième plusgrand tombeau de journalistesdans le monde. Au mois d’août,durant le confit mené contre lapetite bande de terre palesti-nienne, les reporters qui souhai-taient entrer dans Gaza devaientsigner une décharge pour empê-cher toute poursuite contre l’ar-

mée israélienne en cas de bles-sure ou de mort. En matièrede liberté d’expression, on a vumieux.

L’attentat contre CharlieHebdo ne peut cependant êtreramené à cette seule dimen-sion. Ses racines, l’impositiond’un islamisme réactionnaireau Moyen-Orient et la margi-nalisation des jeunes issus del’immigration, dépassent lar-gement le cadre de la libertéd’expression. Une grande par-tie de la classe politique, desmédias et des intellectuels degauche comme de droite réduit

pourtant les événements à cetunique combat. Ils imposentainsi, malgré les mises en gardesur les amalgames, une grillede lecture calquée sur le chocdes civilisations. Ils posent lacontradiction entre jihadistesfanatiques d’un côté et citoyensrépublicains de l’autre. Lespremiers ne seraient que desfous de Dieu. Nous avons vupourtant que derrière ce fana-tisme, il y avait une énormefrustration qui, faute d’alterna-tive politique constructive, avaitété canalisée vers l’impassejihadiste. De l’autre côté, les

citoyens réunis dans un grandfront républicain sont invités àdéfendre farouchement les va-leurs démocratiques menacéespar l’obscurantisme religieux.

Le débat posé en ces termesne permettra pas de sortir la tê-te de l’eau. Au contraire. Onpeut s’attendre à un clivageplus fort de la société, à lamontée de l’extrême-droite, àdes mesures sécuritaires liberti-cides, à l’instauration d’un cli-mat de psychose et à la pour-suite de la radicalisation d’uneminorité de jeunes. Aucune so-lution constructive et efficace

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donc.A qui profite dès lors cette

grille de lecture ? A ceux quiont combattu le nationalismearabe pour piller le pétrole duMoyen-Orient. A ceux qui fontla guerre par jihadistes interpo-sés pour que leurs multinatio-nales fassent toujours plus deprofits. A ceux qui continuentde creuser le fossé entre richeset pauvres. A ceux qui, inca-pables d’apporter des solutionsà la marginalisation des jeunesissus de l’immigration, ont jouéle jeu de l’extrême-droite. Aceux qui s’évertuent à appli-

quer l’austérité alors que les fa-milles les plus riches continuentde s’enrichir malgré la crise. Aceux qui sont incapables de seremettre en cause et d’engagerleur responsabilité dans l’atten-tat du janvier. Ceux-là mêmesqui font le lit du fanatisme nepeuvent que proposer un frontrépublicain pour la liberté d’ex-pression. Ils parviennent ainsi,comme l’explique Saïd Boua-mama, à unir ceux qui devraientêtre divisés, et à diviser ceux quidevraient être unis.

Plutôt que de faire défiler lesopprimés derrière des criminels

de guerre à Paris, il convientdonc de substituer au choc descivilisations la lutte des classes.Un concept démodé ? Pas sil’on en croit le milliardaire War-ren Buffet : « Il y a une luttedes classes. C’est ma classe, lesriches, qui a déclaré cette guerreet qui est en train de la ga-gner. » Il est grand temps delancer la contre-offensive contreles guerres économiques, les in-égalités et les faux débats.

L’attaque de Charlie Hebdoa porté atteinte à nos valeurs dé-mocratiques. Et c’est bien parplus de démocratie qu’il faut ré-

pondre au drame. Sans se trom-per. Ce n’est pas démocratiquede larguer des bombes, mêmesur une dictature. Ce n’est pasdémocratique de stigmatiser descitoyens, même au nom de va-leurs républicaines. La véritabledémocratie appelle à une lut-te collective, contre l’obscuran-tisme et contre le terreau qui l’avu germer. Une lutte sur plusi-eurs fronts donc, qui nécessiteprise de conscience et solida-rité.

Terrorisme : les livres pour comprendreAu moment où le Moyen-Orient s’embrase dans une guerre sans fin, cet ouvrage interroge :quels sont exactement les liens entre USA et « jihadistes » ? Crucial, car ce conflit va déborder surl’Europe, l’Afrique, la Russie, voire la Chine.

Après dix ans de lutte contre le terrorisme, pourquoi réapparaît-il plus fort que jamais ? Pour-quoi James Baker, ancien ministre US des Affaires étrangères, disait-il : « Nous ne devons com-battre les intégristes que dans la mesure de nos intérêts » ? Avec quelles conséquences en Europe ?N’est-il pas urgent d’ouvrir le débat tabou : oui ou non, les Etats-Unis ont-ils joué avec le feu etdevons-nous toujours leur obéir ?

Après La stratégie du chaos, Grégoire Lalieu poursuit ses passionnants entretiens avec Moha-med Hassan. Ensemble, ils décryptent les intérêts en jeu en Syrie, les déboires du « printemps »égyptien et ce nouveau concept fourre-tout : l’islamisme.

Ni grand complot où la CIA dirigerait tout, ni théorie ultra-naïve où Washington agirait pourla paix dans le monde, Jihad made in USA vous aide à libérer vos neurones. Manipulation cyniquedes eurojihadistes, vrai et faux jihad, routes du pétrole et du gaz, rôle des Saoud, du Qatar, dela Turquie et d’Israël, remodelage du Moyen-Orient : ce livre vous explique ce qui attend cetterégion stratégique. Et quelle alternative est possible.

Mohamed Hassan est un ancien diplomate éthiopien, spécialiste du monde arabe et de laCorne de l’Afrique. Grégoire Lalieu est journaliste, membre du collectif Investig’Action depuis.

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De BHL à Charlie Hebdo : la propagande néoconservatricedéguisée en gauche progressisteMachine de propagande capable d’infiltrer des médias historiquement ancrés à gauche, les néoconservateurs dé-guisés en progressistes obtiennent votre consentement aux guerres contemporaines, ou tout au moins, l’assurancede votre laisser-faire. Leurs armes ? Le détournement d’un discours moral, des choix éditoriaux incitant plus oumoins subtilement à la haine raciale, et une situation oligopolistique des médias1.

Observatoire du néo-conservatismeCette étude vise à aller au delà deformule simpliste « les médias ap-partiennent aux marchands de ca-nons », pour mettre à jour la méca-nique de propagande de guerre et de

haine ressassée en continu par lesmass-médias sous le joug du lob-byisme néoconservateur. Pour cefaire, nous reviendrons sur le tour-nant de où être progressisteautorisait bizarrement à promou-

voir la haine des musulmans. Puisnous découvrirons MEMRI, un desrouleaux-compresseurs propageantl’idée d’un choc des civilisationsqui légitimerait le pire. Enfin, nousnous pencherons sur ces nombreux

faux experts qui appartiennent àdes groupuscules néo-cons et déve-loppent leur propagande dans toutl’espace médiatique.

I. Comment le fait d’insulter les musulmans est devenu un attribut antifasciste

La lutte contre l’islamismeest l’un des fers de lance dunéoconservatisme. Les « carica-tures de Mahomet » parues dansle journal danois Jylland-Postenont été l’occasion, pour les néo-conservateurs déguisés en pro-gressistes, de favoriser l’émer-gence d’une islamophobie “degauche” sous couvert de libertéd’expression. Pour appréhendertoute la force de cet épisode qui

a saboté pour longtemps le vivreensemble, il est impératif d’enconnaître le scénario.

A – De « l’humour » issud’une commande

raciste ?Le magazine de gauche

Counterpunch attribue au néo-conservateur et extrémiste Da-niel Pipes une partie de la res-

ponsabilité de la commande descaricatures de Mahomet. Tou-jours est-il que ces dessins ontété retrouvés sur le site du thinktank Middle East Forum pré-sidé par Pipes. Pour s’assurerde cette continuité idéologiqueet ne pas sombrer dans l’amal-game (méthode si chère auxnéoconservateurs), il faut rap-peler que le Middle East Fo-rum a financé la défense de

Geert Wilders, leader de l’ex-trême droite néerlandaise, pour-suivi pour incitation à la haineraciale. Geert comparait le Co-ran à Mein Kampf et appelait lesmusulmans à se conformer à la« culture dominante » ou à s’enaller. Il sera relaxé en .

Les liens entre l’extrême-droite et les nécons sont trèsétroits comme le montre notreorganigramme2 :

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B – Des dessins illustrantdavantage les théories

racistes que la liberté dela presse.

Le contexte géopolitiquedans lequel interviennent lescaricatures est imprégné denouvelles idéologies racistes.Elles émergent dans le sillagede la réélection de George W.Bush :

L’historien Daniel Pipessigne en « L’Islam militantatteint l’Amérique ». En ,Robert Spencer fonde et dirigeJihad Watch. Ce blog a pourobjectif de propager l’idée quel’Islam serait « intrinsèquementterroriste ».

En , le concept« Eurabia » est théorisé parBat Ye’or. Il s’agit d’une thèsegéopolitique servant d’argu-mentaire à des mouvementsd’extrême-droite et selon la-quelle l’Europe occidentale esten voie d’absorption par « lemonde arabe ».

En , le néoconserva-teur historique Norman Podho-retz édite “La quatrième guerremondiale : la longue luttecontre l’islamo-fascisme”.3

C – ENAR : le lanceurd’alerte isolé

Bien que les théories néo-conservatrices aient atteint lapopulation dans ses strates lesplus à gauche sous couvertde défense de la liberté dela presse, l’European NetworkAgainst Racism tente d’aler-ter. Ce réseau d’ONG de luttecontre les discriminations renden un rapport au contenuéloquent4 : « [. . . ] le plus grandjournal danois [. . . ] a com-mandé [. . . ] dessins trèsdérangeants et insultants, quimontrent le prophète Moha-med en terroriste et esclava-giste de femmes [. . . ] Cet ap-

pel involontaire à la provo-cation a empoisonné l’atmo-sphère et créé un conflit entrele Danemark et le monde is-lamique allant jusqu’à inter-férer avec les Nations Unies[. . . ] Dans une interview TV, lejournal affirma que ses carica-tures visaient à aider les musul-mans progressistes par opposi-tion à ceux qui sont plus reli-gieux [. . . ] C’est un argumentétrange parce que, si JyllandPosten avait vraiment voulu ai-der les musulmans modérés,alors insulter la religion de l’Is-lam et son prophète, c’étaitvraiment la dernière chose àfaire [. . . ] ». L’ONG ENAR n’ad’ailleurs pas manqué de se de-mander « pourquoi les médiasdanois en général, et JyllandPosten en particulier, ont choisil’islam. Tout le monde sait queles médias danois n’oseraientjamais s’en prendre aux autresreligions [. . . ] ».

D – Ces théories racistesappliquées aux médias

déguisés en antifascistesfrançais

1 – La méthode CharlieHebdo

Après France Soir, CharlieHebdo emboîte le pas du Pos-ten en février et publie lesfameuses caricatures. Les argu-ments du journal alors dirigé parPhilippe Val ? La lutte contrel’intégrisme et la défense de laliberté d’expression.

Sans vergogne, CharlieHebdo enfonce le clou en. Faisant appel à la mé-moire des « de » quirefondèrent le syndicalismefrançais face au régime deVichy, le journal publie son« manifeste des douze »5 sous-titré « ensemble contre le nou-veau totalitarisme ». Le textevient soutenir l’idéologie d’uneinvasion barbare de source is-lamiste qu’il est impératif decombattre, puisqu’il est intro-duit ainsi : « Après avoir vaincule fascisme, le nazisme, et lestalinisme, le monde fait face àune nouvelle menace globale detype totalitaire : l’islamisme ».

2 – Le point Godwin, oucomment reconnaître un néo-con déguisé en rebelle pro-gressiste

De manière plus générale,les thèses racistes de sourcenéoconservatrice sont abon-damment présentes dans desmédias de masse se réclamantde gauche comme dans desgroupuscules, issus de luttes an-tifascistes mais dévoyés depuis.Leur utilisation systématiquedu point Godwin6 permet de lesidentifier aisément. La méthodeclassique consiste à amalga-mer Islam et nazisme, méthodequ’illustre à merveille la théoriede l’islamo-fascisme dévelop-pée plus haut.

Le prix Nobel Paul Krug-man s’insurge contre ces thè-ses en dans le New YorkTimes : « Arrêtez-vous, ne ser-ait-ce qu’un instant, sur les im-plications du fait que RudolphGiuliani se fasse conseiller parNorman Podhoretz, celui quiveut que nous bombardionsl’Iran dès que la logistique lepermettra ».

M. Podhoretz, rédacteur enchef de Commentary et mem-bre fondateur du néo-conserva-tisme, nous dit que l’Iran est“le principal foyer de l’idéo-logie islamo-fasciste contre la-quelle nous nous battons depuisle septembre”. Les “islamo-fascistes”, nous dit-il, sont enpasse de créer un monde “conçuà leur manière et taillé à leurmesure.” Et même “Quelquesobservateurs nous mettent dèsà présent en garde que d’ici lafin du XXIème siècle, la totalitéde l’Europe sera transformée enun espace auquel ils donnent lenom d’Eurabia.”

Est-ce vraiment nécessairede faire remarquer que rien

de tout cela n’a de sens ?Pour une bonne et simple rai-son, c’est que cet “islamo-fascisme” est un produit del’imagination des néoconserva-teurs.7 Une véritable prophé-tie tentant vainement de devenirauto-réalisatrice, pour des mul-tiples intérêts géostratégiques.Le terme n’est devenu à la modeque parce que c’était un moyenpour les faucons de la guerred’Irak de passer sous silencel’enchaînement étrange entre lapoursuite d’Oussama Ben La-den, qui avait attaqué l’Amé-rique, et l’invasion de l’Irak, quin’y était pour rien. Tout commel’Iran n’avait rien à voir avec lesattentats du septembre .De fait, le régime iranien co-opéra avec les Etats-Unis lors-qu’ils partirent en guerre contreal-Qaïda et ses alliés Taliban enAfghanistan. » Fear Itself Crai-gnant – New York Times8

E – Cataloguesémantique de quelques

lobbyistes du néoconservatisme français

déguisés en acteursantiracistes

1 – Caroline Fourest enguerre contre « l’Arabia »

Dans une tribune intitulée« War on Arabia » – « en guerrecontre l’Arabia » – publiée en dans le Wall Street Jour-nal, Caroline Fourest estimaitque les immigrants arabes, in-capables de s’intégrer, représen-taient une menace pour la dé-mocratie car ce manque d’in-tégration pouvait les conduireà rejoindre des cellules terro-ristes islamistes9. Que CarolineFourest ignore que les peuplesarabes sont minoritaires en Is-

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lam et peu source de terrorismeserait navrant mais anecdotique.

Ce qui est à retenir estson adhésion au conceptd’« Eurabia », terme symptoma-tique des promoteurs du chocdes civilisations de source néo-conservatrice. Soit à l’exactopposé de la gauche enga-gée dont Fourest se réclame,les néoconservateurs sont de-puis leur création sur l’extrêmedroite de l’échiquier politique.(Se rapporter à notre organi-gramme et les sites commeDreuz.info et les déclarationsde W. Kristol et N. Podho-retz.) En utilisant sciemment unterme d’extrême-droite, Fourestdévoile ses motivations pro-fondes et ses accointances avecles milieux nauséabonds qu’elledénonce pour partie lorsqu’il nes’agit pas de ses amis...

2 – Bernard-Henri Lévy etle « fascislamisme »

Bernard-Henri Lévy, quant

à lui, prétend sauver les mu-sulmans du « fascislamisme »et se joint à Robert Misrahien dans sa chroniquesur Charlie Hebdo pour soute-nir Oriana Fallaci. La journa-liste affirmait entre autres que« [l]es hommes arabes, qui dé-goûtent les femmes de bongoût » ou encore que « les mos-quées grouillent jusqu’à la nau-sée de terroristes ou aspirantsterroristes » et pour finir, épou-sant la théorie raciste et complo-tiste de l’Eurabia, elle déclareque les Arabes sous couvert demigrations envahissent l’Europepour propager l’Islam et elleconclut en affirmant que les mu-sulmans « se multiplient commedes rats ». BHL a les amis qu’ilmérite...

3 – Mohammed Sifaoui, lechampion toutes catégories duPoint Godwin et du confusion-nisme

Prompt à qualifier son ad-versaire politique du jour de

« confusionniste10 » on com-prend rapidement pourquoi Mo-hammed Sifaoui connaît biencet adjectif. Pour ne pas se con-tenter de répondre « c’est ce-lui qui le dit qui l’est », obser-vons son déguisement de pro-gressiste, dont la veste sembleavoir plusieurs revers.

Opportuniste11, comme bonnombre de ses amis, Sifaoui ala faculté de se débiner quandl’affaire dans laquelle il est en-gagé tourne à son désavantage.Ainsi, en , il reprend unbillet d’SOS racisme : En rai-son de ses discours xénophobes,SOS Racisme appelle à faire bar-rage à Nicolas Sarkozy.

Et pourtant, dans un entre-tien accordé en au MiddleEast Quarterly12, dirigé par Da-niel Pipes, Sifaoui estimait que« près de % des musulmansde la planète doivent être to-talement rééduqués mais aussicombattus politiquement, idéo-logiquement et militairement ».L’islamisme serait selon luicomparable au fascisme et aunazisme, mais cela serait réduc-tible aussi à l’Islam en géné-ral, en adéquation avec les théo-ries néoconservatrices dévelop-pées autour de .

La même année, il publiesur son blog « Fitna et Obses-sion », film du député d’extrêmedroite néerlandais Geert Wil-ders qui juxtapose des imagesd’attaques terroristes avec des

versets du Coran. Cette produc-tion délibérément raciste fût ini-tialement présentée par Sifaouiavec la mention « à voir et à re-voir » comme le prouve cette ar-chive du site13. A présent le tonest différent “Obsession”. Vosavis ?

Contributeur hyperactifpour Charlie Hebdo et la revueProchoix de Caroline Fourest,Sifaoui a participé à la revuenéoconservatrice Le meilleurdes mondes14. Ce magazineest le porte-voix du Cercle del’Oratoire15, groupe de réflex-ion néoconservateur françaisproche du PNAC (Project fora New American Century),le think tank néoconservateuraméricain dont étaient issus lesprincipaux membres de l’ad-ministration Bush. Sifaoui aégalement fait la promotion del’Institut de recherche des mé-dias du Moyen-Orient, MEMRI,qui le lui rend bien16.

En effet, le lien entredes médias français qui sedisent de gauche et des offi-cines néoconservatrices dites« d’information » qui diffusentces théories est mis en évidencepar le MEMRI, ses thèses, sesfondateurs et financeurs, et sesrelais dans les médias français.

II. L’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient, plus connu par son acronymeanglais MEMRI

A – Une source redondante desmédias néoconservateurs déguisés

en progressistes

En premier lieu, nous observons quele MEMRI se fait l’écho de Charlie Hebdo

dans l’affaire des caricatures17. Mais c’estsurtout en tant que source de ces médias,que le MEMRI sait s’illustrer : version élec-tronique de Prochoix, la revue de CarolineFourest, Conspiracy Watch, le site de RudyReichstadt, et La Règle du Jeu, la revue fon-dée par Bernard-Henri Lévy. BHL pousse

même le zèle en attribuant une section spé-ciale MEMRI sur son site !

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B – Une usine à fabriquer la peurenvers l’islam

Dans un rapport intitulé « L’usine àfabriquer des peurs : les racines de l’islamophobie », le Center for AmericanProgress18, groupe de réflexion américainproche du parti démocrate US, établit quele MEMRI « promeut la propagande islamo-phobe aux Etats-Unis au travers de choixde traduction sélectifs qui ont pour but defaire valoir que l’Islam est intrinsèquementviolent et favorise l’extrémisme ».

Parmi les nombreux points abordés, re-tenons que Robert Spencer et Daniel Pipescomptent sur le MEMRI pour leur propa-gande et que le terroriste norvégien An-ders Breivik a cité le MEMRI seize fois dans

son manifeste. Plus troublant encore, lestraductions du documentaire enflammé an-timusulman « Obsession : radical islam’swar against the West » ont été fournies parle MEMRI. Le site du film fait aussi figu-rer le MEMRI comme source pour la vidéo« Radical Islam and Terrorism Today ».

C – Une vitrine qui n’affiche passon néo conservatisme

Siégeant à Washington, le MEMRI aété cofondé en par Yigal Carmon,un ancien colonel, membre du renseigne-ment militaire israélien de à ,et la politologue américaine d’origine is-raélienne, Meyrav Wurmser, la femme deDavid Wurmser, ancien conseiller pour le

Moyen-Orient du vice-président américainDick Cheney.

Officiellement, le MEMRI se présentecomme « chargé d’apporter des informa-tions au débat sur la politique américaineau Proche-Orient. Il a des bureaux à Berlin,Londres et Jérusalem. Il fournit des traduc-tions en anglais, allemand, espagnol, fran-çais, hébreu, italien, russe et turc, de textesécrits en arabe, persan, turc, ourdou, pach-tou et dari ».

Le MEMRI TV Monitor Project se don-nant pour mission de surveiller les princi-pales chaînes de télévision arabes et irani-ennes. Sous couvert de renseignement, cetteofficine de surveillance est manifestementau service d’intérêts américains et israélienstournés contre les musulmans.

D – Un financement par les leaders du néoconservatisme

Voici les sources de financement du MEMRI :— La Fondation Randolph qui finance également le Council

on Foreign Relations— Bradley Foundation qui fut le pourvoyeur de fonds pour le

Projet pour un Nouveau Siècle Américain (PNAC), le cerclede réflexion néoconservateur réunissait en son sein DickCheney, Donald Rumsfeld, Richard Perle, Paul Wolfowitz.

— Le Département d’État des États-Unis qui a accordé en août une subvention de dollars au MEMRI19.

E – Des acteurs décisionnels de la gouvernance W.Bush

— Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense de George W.Bush (Plainte pour “torture” déposée contre Donald Rum-sfeld)

— Oliver “Buck” Revell, Président du groupe Revell, anciendirecteur adjoint du FBI

— Elliott Abrams : conseiller du président George W. Bush— Steve Emerson : journaliste, auteur de « Les terroristes

parmi nous : Jihad en Amérique » directeur du Projet d’In-vestigation sur le Terrorisme (IPT)

— John Ashcroft, ancien procureur général américain lors duer mandat du président George W. Bush

— Jeffrey Kaufman : avocat spécialisé en propriété intellec-tuelle

— Robert Reilly : ancien conseiller principal au Départementde la Défense

F – Des conseillers tout aussi néoconservateurs— Bernard Lewis, conseiller de Benyamin Netanyahou alors

ambassadeur d’Israël à l’ONU (-)— Michael V. Hayden, général, ancien directeur de la Natio-

nal Security Agency et directeur de la Central IntelligenceAgency

— Jose Maria Aznar, ancien Premier ministre espagnol— Stephen J. Trachtenberg, président de l’Université George

Washington, choisi par George W. Bush pour l’accompa-gner à Jérusalem pour la célébration du e anniversaire de

l’Etat d’Israël en mai — James Woolsey, ancien directeur de la CIA et sous-

secrétaire de la Marine.— John Bolton, ancien ambassadeur américain aux Nations

Unies, signataire du projet néoconservateur Project for theNew American Century

— Jeffrey Kaufman : avocat spécialisé en propriété intellec-tuelle

— Ehud Barak, ancien Premier ministre d’Israël— Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice et procureur gé-

néral du Canada— Mort Zuckerman, président et rédacteur en chef, US Nou-

velles & World Report et magnat de la presse— Chin Ho Lee, ancien agent spécial du FBI— Michael Mukasey, ancien procureur général dans le gou-

vernement de Georges Walker Bush— Norman Podhoretz, Ancien rédacteur en chef de Commen-

tary Magazine, une revue néoconservatrice historique— William Bennett, ancien secrétaire de l’éducation, membre

du PNAC— Christopher DeMuth, un ex de l’administration Reagan— Paul Bremer, nommé le mai directeur de la recons-

truction et de l’assistance humanitaire en Irak, après l’inva-sion de ce pays par les États-Unis

— Peter Hoekstra, politicien américain du parti républicain etancien membre terme de la Chambre des représentants duMichigan

— Jack Kemp, un démocrate qui apporta son soutien au can-didat George W. Bush

— Jeane Kirkpatrick, membre d’abord du Parti démocrate puisdu Parti républicain sous Reagan en elle a rejoint lecourant néoconservateur

— Irving Kristol, ancien rédacteur en chef du magazineCommentary, Kristol et l’un des fondateurs du néo-conservatisme américain

— Elie Wiesel, qui fut déporté avec sa famille par les nazisà Auschwitz-Birkenau, puis Buchenwald. Cependant Nor-man Finkelstein, dans son ouvrage The Holocaust Indus-try20, considère que Wiesel instrumentalise la Shoah dansle but de soutenir la politique israélienne (Finkelstein estfils de juifs survivants du ghetto de Varsovie). Maccar-thysme au sein de l’université américaine (Le Monde di-plomatique)21

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G – Une ligne éditorialeédifiante

A la vue d’un tel casting, oncomprend le rédacteur en chefdu Guardian pour le Moyen-Orient, Brian Whitaker, quandil affirme que le MEMRI est une« officine de propagande néo-conservatrice et ultra-sioniste »,ou encore Ibrahim Hooper, ledirecteur du Conseil des re-lations américano-islamiques,quand il déclare dans le Wa-shington Times que « l’intentiondu MEMRI est de trouver lespires citations du monde mu-sulman et de les diffuser aussilargement que possible ».

Vincent Cannistraro, un an-cien de la CIA, accuse le MEMRId’être sélectif22 et de diffu-ser une propagande au ser-vice du Likoud. Le MEMRI faitœuvre d’une « distorsion pure etsimple » pour Ken Livingstone,l’ancien maire travailliste deLondres. William Rugh, qui futl’ambassadeur des États-Unisau Yémen et aux Émirats arabesunis, retient que le MEMRI neprésente pas le point de vuearabe, que les propriétaires duMEMRI sont des pro-israélienset anti-arabes qui veulent mon-trer que les arabes haïssent lesjuifs et l’Occident, qu’ils in-citent à la violence et refusent

toute solution pacifiste au pro-blème palestinien.

Quant à Lalila Lalami, jour-naliste à The Nation, elle écritque le MEMRI « sélectionne defaçon constante les déchets lesplus violents et les plus hai-neux qu’il peut trouver, les tra-duit et les distribue aux médiaset aux parlementaires US danssa newsletter ». En , le quo-tidien israélien Haaretz écrivaitque les agences de renseigne-ment israéliennes avaient réduitleur surveillance des médiaspalestiniens grâce au MEMRIet à Palestinian Media Watch,une autre machine de désin-formation très à droite créée

par un colon israélien, ItamarMarcus23, qui fut épinglée parCounterPunch24.

Dès lors, les liens étroits en-tre les néoconservateurs fran-çais que sont Caroline Fou-rest, Rudy Reichstadt, ou en-core Bernard-Henri Lévy etMEMRI, cette officine extrémi-ste, doivent être rappelé à tousafin que l’on sache quelle idéo-logie gouverne ces histrions quis’érigent en policiers de la pen-sée. Gargouilles grimaçantescramponnées aux médias, ilsne manquent pas une occasionpour diffuser leur haine de l’is-lam tout en claironnant qu’ilsveulent protéger les musulmans.

III. Du retournement des valeurs à l’acceptation de la guerre totale

Au moyen d’une propa-gande qui altère nos idées et nosjugements, ce bourrage de crâneest devenu le domaine privilé-gié d’un nouveau genre d’ex-perts, « les désinformateurs ».Leur nombre est en constanteaugmentation ces dernières an-nées. Omniprésents dans tousles médias, ces va-t-en guerresont les agents incontournablesd’un dispositif qui a pris pourhabitude de déguiser la véhé-mence de ses objectifs par undiscours faussement moral.

Aux nombres de ces soi-disant experts, on trouve étran-

gement un lot conséquent denéo-cons25 qui font ouverte-ment parti de groupuscules dé-fendant l’invasion de l’Irak,la torture, et autre joyeuse-tés digne des inquisiteurs dumoyen-âge.

Ainsi, par leurs efforts ré-pétés et conjugués, la peurdu musulman s’insinue inexo-rablement dans les conscienceset conduit à l’acceptation deguerres néo-coloniales.

Après les embargos, lesguerres d’Afghanistan, d’Irak,le blocus iranien, la Libye, quifont des millions de morts parmi

les musulmans, les ténors de la“gauche” française appellent àla guerre en Syrie et en fustigentles opposants au prétexte qu’ilsseraient des sympathisants deBachar al Assad. Malgré tout,près des deux tiers des Françaissont opposés à une interventioncontre la Syrie26.

Alors qu’apparait au grandjour les plans de conquête dumoyen-orient par les néoconser-vateurs27, les agents infiltrés serevendiquant de la gauche po-litique française sont de véri-tables stakhanovistes de la pro-pagande de guerre, montant au

créneau médiatique parfois plusde fois par semaine (BHLpour la guerre en Libye) pourtenter de déclencher l’invasiond’un pays.

Ainsi BHL vendant son“aventure” en Libye sur grandécran ( spectateurs malgréune campagne de promotiondigne d’une superproductionhollywoodienne). On l’y voittout smoking dehors, poseurmondain foulant les victimesciviles d’un pas décidé pourjouer au petit soldat et priervainement le dieu des néo-consafin de rentrer dans l’histoire.

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www.michelcollon.info NOTES | 17

Le plus grave dans ces ma-nigances, c’est que les néocon-servateurs sont les plus ardentsinstigateurs de l’islamisme ra-dical. Que ce soit la coopé-ration plus qu’étroite entre lesUSA et l’Arabie Saoudite, ouencore les financements et ar-mements d’al-Qaïda en Libyeet Syrie par le Qatar, quasi-systématiquement lorsque lesfanatiques islamiques montent

en puissance ils sont attisés parces néoconservateurs va-t-en-guerre. Il faut voir BHL tenter deconvaincre l’opinion publiquefrançaise de soutenir al-Qaïdaen Syrie pour comprendre quela schizophrénie aiguë et le so-phisme le plus pervers hante cesimprécateurs de la haine.

On ne retiendra de lui quecette pitoyable prestation oùSarkozy l’exclu de la tribune Li-

byenne28. Et on observera uneminute de silence pour rappelerque cette mission humanitaire acoûté la vie à plus de per-sonnes.

Ainsi, à la question fon-damentale “BHL, Philippe Val,Fourest et compagnie, œuvrent-ils pour le bien commun oupour leurs intérêts corporatisteset belliqueux ?”, nous avonsrépondu par la mise en évi-

dence des liens consanguinsentre cette fausse gauche et lesofficines les plus extrémistes etintolérantes.

On pourra donc en con-clure que ces tartuffes s’auto-proclament de gauche progres-siste pour mieux appliquer leuridéologie néoconservatrice trèsproche de l’extrême-droite.

Notes1http://www.acrimed.org/article2364.html2https://anticons.files.wordpress.com/2013/11/antineocons.pdf3http://www.juif.org/blogs/472,pourquoi-il-faut-bombarder-l-iran.php4http://cms.horus.be/files/99935/MediaArchive/pdf/Denmark_2005.pdf5http://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_des_douze6http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin7http://blog.mondediplo.net/2006-09-02-Tous-unis-contre-le-fascisme-islamique8http://www.nytimes.com/2007/10/29/opinion/29krugman.html?_r=09http://blog.mondediplo.net/2012-02-27-Caroline-Fourest-les-fours-crematoires-et-la

10http://www.conspiracywatch.info/search/confusionnisme/11https://anticons.wordpress.com/2013/09/09/rudy-reichstadt-opportuniste-neo-conservateur/12http://www.meforum.org/1870/mohamed-sifaoui-i-consider-islamism-to-be-fascism13http://web.archive.org/web/20081231215904/http://www.mohamed-sifaoui.com/article-23017906.html14https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Meilleur_des_mondes_(revue)15https://anticons.wordpress.com/2011/12/22/le-cercle-de-loratoire/16http://www2.memri.org/bin/french/search.cgi?match=AND&keywords=mohamed+sifaoui+&realm=all&sort=newest17http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=fd&ID=FD3881318http://fr.wikipedia.org/wiki/Center_for_American_Progress19http://www.memri.org/about-memri.html20http://www.amazon.fr/Holocaust-Industry-Reflections-Exploitation-Finkelstein/dp/B00CB5GL4Q/ref=sr_1_4?s=books&

ie=UTF8&qid=1382094757&sr=1-421http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2007-07-19-Finkelstein22http://www.theguardian.com/world/2002/aug/12/worlddispatch.brianwhitaker23http://en.wikipedia.org/wiki/Itamar_Marcus24http://www.counterpunch.org/2006/02/23/hamas-and-the-missing-video/25https://anticons.wordpress.com/2011/12/21/le-business-securitaire/26http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/07/pres-des-deux-tiers-des-francais-opposes-a-une-intervention-contre-la-syrie_

3472844_3218.html27https://www.youtube.com/watch?v=2vWe0cVdYRI28https://www.youtube.com/watch?v=NlLp3JhflZA

Terrorisme : les livres pour comprendreSATISFAIT ? Vous croyez que les médias vous ont bien informé sur la guerre enLibye ? Ou bien vous pensez que « la première victime de la guerre, c’est la vé-rité » ? La seconde étant les gens qui meurent sous des bombes pas forcément« humanitaires ». Et si la troisième victime de la désinformation, c’était vous ?Que fait-on avec vos impôts ? Vous rend-on complice d’intérêts inavouables der-rière chaque guerre ? Ce Manuel de contre-propagande vous apprend à repérer etdémasquer les prochains médiamensonges. Il vous donne aussi les moyens d’an-ticiper. Par exemple, écrit en , le chapitre “L’OTAN s’est allié à Al-Qaida”.

Michel Collon a étudié les stratégies de désinformation : Irak, Yougoslavie,Venezuela, Palestine... Il a effectué deux missions d’enquête en Libye.

Avec des textes de Jean Bricmont sur la gauche face à la guerre, de CédricRutter et Simon de Beer sur le rôle des médias, ainsi que des entretiens avec desLibyens.

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18 | ANALYSE Investig’Action

L’attentat contre Charlie Hebdo : l’occultation politique etmédiatique des causes, des conséquences et des enjeux

L’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo marquera notre histoire contemporaine. Il reste à savoirdans quel sens et avec quelles conséquences. Dans le contexte actuel de « guerre contre le terrorisme » (guerreextérieure) et de racisme et d’islamophobie d’Etat, les artisans de cet acte ont, consciemment ou non accéléré unprocessus de stigmatisation et d’isolement de la composante musulmane, réelle ou supposée, des classes popu-laires.

Said Bouamama« Le ventre est encore fécond,d’où a surgi la bête immonde. »Bertolt BrechtLes conséquences politiques del’attentat sont déjà désastreusespour les classes populaires et

cela va se renforcer si aucune al-ternative politique à la fameuse« Union Nationale » n’est pro-posée.

En effet, la manière dontles médias français et une écra-sante majorité de la classe po-

litique réagissent est criminelle.Ce sont ces réactions qui sontdangereuses pour l’avenir et quiportent en elles de nombreux« dégâts collatéraux » et de fu-turs et janviers toujours plusmeurtriers. Comprendre et ana-

lyser pour agir est la seule pos-ture qui peut permettre aujour-d’hui d’éviter les instrumenta-lisations et dévoiements d’uneémotion, d’une colère et d’unerévolte légitime.

L’occultation totale des causes

Ne pas prendre en compteles causalités profondes et im-médiates, isoler les conséquen-ces du contexte qui les faitémerger et ne pas inscrire unévénement aussi violent dansla généalogie des facteurs quil’ont rendu possible condamne,au mieux, à la tétanie, au

pire, à une logique de guerrecivile. Aujourd’hui, personnedans les médias n’aborde lescauses réelles ou potentielles.Pourquoi est-il possible qu’untel attentat se produise à Parisaujourd’hui ?

Comme le souligne SophieWahnich, il existe « un usage

fasciste des émotions politiquesde la foule » dont le seul an-tidote est le « nouage possibledes émotions et de la raison ».Ce que nous vivons aujourd’huiest ce cantonnement des dis-cours médiatiques et politiquesdominants à la seule émotion,en occultant totalement l’ana-

lyse réelle et concrète. Toutetentative d’analyse réelle de lasituation, telle qu’elle est, outoute analyse tentant de propo-ser une autre explication quecelle fournie par les médias etla classe politique, devient uneapologie de l’attentat.

Regard sur le ventre fécond de la bête immonde

Regardons donc du côté descauses et d’abord de celles quirelèvent désormais de la longuedurée et de la dimension inter-

nationale. La France est une despuissances les plus en guerre surla planète. De l’Irak à la Syrie,en passant par la Libye et l’Af-

ghanistan pour le pétrole, duMali à la Centrafrique, en pas-sant par le Congo pour les mi-nerais stratégiques, les soldats

français contribuent à semer lamort et le désastre aux quatrecoins de la planète.

La fin des équilibres mon-

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diaux issus de la seconde guerremondiale avec la disparition del’URSS, couplée à une mondia-lisation capitaliste centrée surla baisse des coûts pour maxi-miser les profits et à la nou-velle concurrence des pays ém-ergents, font de la maîtrisedes matières premières la causeprincipale des ingérences, inter-ventions et guerres contempo-raines. Voici comment le socio-logue Thierry Brugvin résumela place des guerres dans lemonde contemporain :

« La conclusion de la guerrefroide a précipité la fin d’une ré-gulation des conflits au niveaumondial. Entre et le nombre de conflits interéta-tiques a explosé : conflitsmajeurs sur territoires dis-tincts. [. . . ] Officiellement, ledépart pour la guerre contre unenation adverse est toujours légi-timé par des mobiles vertueux :défense de la liberté, démocra-tie, justice. . . Dans les faits, lesguerres permettent de contrôleréconomiquement un pays, maisaussi de faire en sorte que lesentrepreneurs privés d’une na-tion puissent accaparer les ma-tières premières (pétrole, ura-nium, minerais, etc.) ou les res-

sources humaines d’un pays. »

Depuis les attentats du septembre , le discours delégitimation des guerres s’estconstruit essentiellement sur le« danger islamiste » contribuantau développement d’une is-lamophobie à grande échelleau sein des principales puis-sances occidentales, que les rap-ports officiels eux-mêmes sontcontraints de constater. Dans lemême temps, ces guerres pro-duisent une solide « haine del’occident » dans les peuplesvictimes de ces agressions mi-litaires. Les guerres menées parl’occident sont une des princi-pales matrices de la bête im-monde.

Dans la volonté de contrôledes richesses pétro-gazières, leProche et le Moyen-Orient sontun enjeu géostratégique cen-tral. Les stratégies des puis-sances occidentales en généralet françaises en particulier, sedéploient sur deux axes : le ren-forcement d’Israël comme baseet pivot du contrôle de la région,et le soutien aux pétromonar-chies réactionnaires du golfe.

Le soutien indéfectible àl’Etat d’Israël est ainsi uneconstante de la politique fran-çaise ne connaissant pas d’al-ternance, de Sarkozy à Hol-lande. L’État sioniste peut as-sassiner en toute impunité surune grande échelle. Quels quesoient l’ampleur et les moyensdes massacres, le gérant localdes intérêts occidentaux n’estjamais véritablement et dura-blement inquiété. François Hol-lande déclare ainsi lors de sonvoyage officiel en Israël en : « je resterai toujours unami d’Israël ».

Et, là aussi, le discours mé-diatique et politique de légi-timation d’un tel soutien seconstruit sur la base d’une pré-sentation du Hamas palesti-nien mais également (à travers

des imprécisions verbales récur-rentes) de la résistance palesti-nienne dans son ensemble, dela population palestinienne dansson ensemble et de ses sou-tiens politiques internationaux,comme porteurs d’un danger« islamiste ». La logique « dudeux poids, deux mesures »s’impose une nouvelle fois àpartir d’une approche islamo-phobe portée par les plus hautssommets de l’État et relayée parla grande majorité des médias etdes acteurs politiques.

Tel est le second profil duventre de la bête immonde.

Ces facteurs internationauxse conjuguent à des facteursinternes à la société française.Nous avons déjà souligné, plushaut, l’islamophobie d’État,propulsée par la loi sur le fou-lard en et entretenue de-puis régulièrement (discourssur les révoltes des quartierspopulaires en , loi sur leniqab, « débat » sur l’identiténationale, circulaire Chatel etexclusion des mères voilées dessorties scolaires, harcèlementdes lycéennes en jupes longues,interdiction des manifestationsde soutien au peuple palesti-nien, etc.).

Il faut maintenant souligner que ce climat islamophobe n’a été confronté à aucune réponse par les forces politiques se réclamant desclasses populaires.

Plus grave, un consensustrès large s’est fait jour àplusieurs reprises, au prétextede défendre la « laïcité » oude ne pas frayer avec « ceuxqui défendent le Hamas ». Del’extrême-droite à une partieimportante de l’extrême gauche,les mêmes arguments ont étéavancés, les mêmes clivages ontété construits, les mêmes consé-quences ont été produites.

Le résultat n’est rien d’autreque l’enracinement encore plusprofond des islamalgames, l’ap-profondissement d’un clivageau sein des classes populaires, lafragilisation encore plus grandedes digues antiracistes déjà fra-gilisées, et des violences con-crètes ou symboliques exercéescontre les musulmans et les mu-sulmanes. Ce résultat peut se

décrire, comme le propose Ra-phaël Liogier, comme la dif-fusion, dans une partie impor-tante de la société, du « mythede l’islamisation » débouchantsur la tendance à constituer une« obsession collective ».

La tendance à la produc-tion d’une « obsession collec-tive » s’est de surcroît encoreapprofondie avec le traitementmédiatique récent des cas Zem-mour et Houellebecq.

Après lui avoir offert demultiples tribunes, Eric Zem-mour est renvoyé d’I-télé pouravoir proposé la « déportationdes musulmans français ». Dansle contexte d’obsession collec-tive que nous avons évoquée,cela lui permet de se poser envictime. Quant à l’écrivain, ilest défendu par de nombreuxjournalistes au prétexte de nepas confondre fiction et réalité.

Dans les deux cas cepen-dant, il reste un approfondis-sement de « l’obsession collec-tive » d’une part, et le senti-ment d’être insulté en perma-

nence une nouvelle fois, d’autrepart. Tel est le troisième profildu ventre de la bête immonde.

Ce facteur interne d’une is-lamophobie banalisée a des ef-fets décuplés dans le contextede fragilisation économique, so-ciale et politique générale desclasses populaires aujourd’hui.La paupérisation et la préca-risation massive sont devenuesinsoutenables dans les quar-tiers populaires. Il en découledes rapports sociaux marquéspar une violence grandissantecontre soi et contre les proches.

A cela, se combinent le dé-classement d’une part impor-tante des classes moyennes, ain-si que la peur du déclassementpour ceux chez qui tout va en-core bien mais qui ne sont pas« bien nés ». Ceux-là, se sentant

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en danger, disposent alors d’unecible consensuelle déjà toute dé-signée médiatiquement et poli-tiquement comme légitime : lemusulman ou la musulmane.

La fragilisation touche en-core plus fortement la com-posante issue de l’immigration

des classes populaires, qui estconfrontée aux discriminationsracistes systémiques (angle ab-solument mort des discours desorganisations politiques se ré-clamant des classes populaires),celles-ci produisant des trajec-toires de marginalisation (dans

la formation, dans l’emploi,dans la recherche du logement,dans le rapport à la police et auxcontrôles au faciès, etc.).

L’approfondissement du cli-vage entre deux composantesdes classes populaires dans unelogique de « diviser ceux qui

devraient être unis (les diffé-rentes composantes des clas-ses populaires) et d’unir ceuxqui devraient être divisés (lesclasses sociales aux intérêts di-vergents) » est le quatrième pro-fil du ventre de la bête im-monde.

De quoi accouche un tel ventre ?

Une telle matrice est à l’évi-dence propice à l’émergencede trajectoires nihilistes se tra-duisant par la tuerie à Char-lie Hebdo. Extrêmement mino-ritaires, ces trajectoires sont uneproduction de notre système so-cial et des inégalités et discrimi-nations massives qui le caracté-risent.

Mais ce qu’ont révélé lesréactions à l’attentat est toutautant important et, quantita-tivement, bien plus répanduque l’option nihiliste (pour lemoment ?). Sans pouvoir êtreexhaustifs, rappelons quelqueséléments de ces derniers jours.Du côté des discours, nous av-ons eu Marine Le Pen exi-geant un débat national contre le« fondamentalisme islamique »,le bloc identitaire déclarant lanécessité de « remettre en causel’immigration massive et l’is-lamisation » pour lutter contrele « djihadisme », le journaliste

Yvan Rioufol du Figaro som-mant Rokhaya Diallo de se dé-solidariser sur RTL, JeannetteBougrab accusant « ceux qui onttraité Charlie Hebdo d’islamo-phobe » d’être les coupables del’attentat, sans compter toutesles déclarations parlant « deguerre déclarée ».

A ces propos, se joignentdes passages à l’acte de ces der-niers jours : une Femen se filmeen train de brûler et de piétinerle Coran, des coups de feu sonttirés contre la mosquée d’Albi,des tags racistes sont peints surles mosquée de Bayonne et Poi-tiers, des grenades sont lancéescontre une autre au Mans, descoups de feu sont tirés contreune salle de prière à Port laNouvelle, une autre salle deprière est incendiée à Aix lesBains, une tête de sanglier etdes viscères sont accrochés de-vant une salle de prière à Corteen Corse, un restaurant-snack-

kebab est l’objet d’une explo-sion à Villefranche sur Saône,un automobiliste est la cible decoups de feu dans le Vaucluse,un lycéen d’origine maghrébinede ans est molesté lors d’uneminute de silence à Bourgoin-Jallieu en Isère, etc. Ces proposet actes montrent l’ampleur desdégâts d’ores et déjà causés parles dernières décennies de ba-nalisation islamophobe. Ils fontaussi partie de la bête immonde.

La bête immonde se trouveégalement dans l’absence crian-te d’indignation face aux victi-mes innombrables des guerresimpérialistes de ces dernièresdécennies. Réagissant à proposdu septembre, la philoso-phe Judith Butler s’interroge surl’indignation inégale. Elle sou-ligne que l’indignation justifiéepour les victimes du sep-tembre s’accompagne d’une in-différence pour les victimes desguerres menées par les USA :

« Comment se fait-il qu’on nenous donne pas les noms desmorts de cette guerre, y com-pris ceux que les USA ont tués,ceux dont on n’aura jamais uneimage, un nom, une histoire, ja-mais le moindre fragment de té-moignage sur leur vie, quelquechose à voir, à toucher, à sa-voir ? ».

Cette indignation inégale està la base du processus de pro-duction d’un clivage bien réelau sein des classes populaires.Et c’est ce clivage qui est por-teur de tous les dangers, notam-ment en période de constructionde « l’union nationale », commeaujourd’hui.

L’union nationale qu’ils rê-vent de construire, c’est « touteset tous ensemble contre ceuxqui ne sont pas des nôtres, con-tre celles et ceux qui ne mon-trent pas patte blanche ».

* Renforcement sécuritaire et atteintes aux libertés démocratiques

Certains, comme DupontAignan, réclament « plus desouplesse aux forces de l’or-dre » alors qu’une nouvelle « loiantiterroriste » a déjà été vo-tée l’automne dernier. Et, enécho, Thierry Mariani fait ré-férence au Patriot Act états-unien (dont la conséquence a

été de graves atteintes aux liber-tés individuelles sous prétextede lutte contre le terrorisme) :« Les Etats-Unis ont su réagiraprès le Septembre. On a dé-noncé le Patriot Act, mais, de-puis, ils n’ont pas eu d’attentat àpart Boston ». Instrumentaliserla peur et l’émotion pour renfor-

cer des lois et mesures liberti-cides, telle est la première mani-pulation qui est aujourd’hui tes-tée pour mesurer le champ despossibles en matière de régres-sion démocratique.

D’ores et déjà, certaines re-vendications légitimes et ur-gentes sont rendues inaudibles

par la surenchère sécuritaire quitente de profiter de la situa-tion : il sera par exemple beau-coup plus difficile de mener lecombat contre le contrôle au fa-ciès, et les humiliations quoti-diennes qu’il produit continue-ront à s’exercer dans l’indiffé-rence générale.

* L’unité nationale

La construction active et dé-terminée de l’unité nationaleest la seconde instrumentalisa-tion majeure en cours. Elle per-met de mettre en sourdine l’en-semble des revendications quientravent le processus de déré-

gulation généralisé. La ficellea beau être grosse, elle est ef-ficace dans un climat de peurgénéralisé, que l’ensemble desmédias produisent quotidien-nement. Dans certaines villes,l’unité nationale est déjà éten-

due au Front National qui a par-ticipé aux rassemblements desoutien à Charlie Hebdo. Datiet Fillon s’indignent déjà de« l’exclusion » de Marine LePen de l’unité nationale. C’estcette « unité nationale » qui fait

le plus de dégâts politiquementaussi, car elle détruit les raresrepères positifs qui pouvaientexister auparavant en termesd’alliances possibles et d’iden-tités politiques.

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* L’injonction à se justifier

Une autre instrumentalisa-tion se trouve dans l’injonc-tion permanente des musulmansréels ou supposés à se justifierpour des actes qu’ils n’ont pascommis, et/ou à se démarquerdes auteurs de l’attentat.

Cette mise en accusationpermanente est humiliante. Iln’est venu à l’idée de personned’exiger de tous les chrétiensréels ou supposés une condam-nation lorsque le Norvégien An-ders Behring Breivik a assassiné

personnes en juillet ense revendiquant de l’islamopho-bie et du nationalisme blanc.

Derrière cette injonction, setrouve la logique posant l’islamcomme étant par essence in-compatible avec la République.

De cette logique découle l’idéede mettre les musulmans, réelsou supposés, sous surveillancenon seulement des policiers,mais également des médias, desprofs, des voisins, etc.

* Être Charlie ? Qui peut être Charlie ? Qui veut être Charlie ?

Le slogan « nous sommestous Charlie » est enfin la der-nière instrumentalisation en dé-ploiement ces jours-ci. Si l’at-tentat contre Charlie Hebdo estcondamnable, il est hors dequestion cependant d’oublier lerôle qu’a joué cet hebdomadairedans la constitution du climat is-lamophobe d’aujourd’hui.

Il est également hors dequestion d’oublier les odes àBush que ses pages accueil-laient alors que celui-ci im-pulsait cette fameuse « guerrecontre le terrorisme » en Af-ghanistan puis en Irak. Ces

prises de positions écrites oudessinées ne sont pas des dé-tails ou de simples amusementssans conséquences : elles sontà l’origine de multiples agres-sions de femmes voilées et denombreux actes contre des lieuxde cultes musulmans.

Surtout, ce journal a forte-ment contribué à cliver les clas-ses populaires au moment oùelles avaient besoin plus quejamais d’unité et de solidarité.Nous ne sommes PAS PLUSCharlie hier qu’aujourd’hui.

Les temps qui s’annoncentvont être difficiles et coûteux.

Pour stopper l’escalade, nousdevons mettre fin à la violencedes dominants : nous devonsnous battre pour stopper lesguerres impérialistes en cours etabroger les lois racistes.

Pour stopper l’escalade,nous devons développer tousles cadres et événements de so-lidarité destinés à empêcher ladéferlante des propos ou actesracistes et notamment islamo-phobes. Pour stopper l’escalade,nous devons construire tous lesespaces de solidarité économi-que et sociale possibles dansnos quartiers populaires, en

toute autonomie vis-à-vis detous ceux qui prônent l’unionnationale comme perspective.

Plus que jamais, nous avonsbesoin de nous organiser, de ser-rer les rangs, de refuser la lo-gique « divisant ceux qui de-vraient être unis et unissantceux qui devraient être divi-sés ».

Plus que jamais, nous de-vons désigner l’ennemi pournous construire ensemble : l’en-nemi c’est tout ce qui nous di-vise.

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22 | CULTURE Investig’Action

Charlie ou pas Charlie ? La préface du nouveau livre de MichelCollon.

Etre ou ne pas être ? « Je suis Charlie », proclame une fouleimmense à Paris. « Je ne suis pas Charlie », répondent de nom-breuses voix arabes, africaines ou latinos. Certains sont en colèrecontre Charlie ; d’autres sont solidaires mais demandent pourquoion nie leur souffrance à eux : « Je suis Gaza ». « Je suis le Congo ».Noam Chomsky relativise avec ironie : « Nous sommes tous...(remplissez le blanc) ». Protestant contre la montée de l’islamo-phobie, l’Union Juive Française pour la Paix affiche : « Je ne suispas Charlie, mais #JeSuisMusulman ».

A-t-on le droit de se poser ce genre de questions ? Le fosséparaît profond et dramatique. Entre Nord et Sud, mais aussi entredeux France. Dans ces endroits qu’on appelle du bout des lèvres« banlieues », où jamais ne s’aventurent nos élites politiques etmédiatiques, beaucoup refusent une unanimité jugée trompeuseet même hypocrite. Serons-nous capables de traiter ce « choc descultures » non pas en arrêtant de penser, mais en essayant de penserdeux fois plus ?

Ce n’est pas l’impression que donnait la chef du service poli-tique de France lançant devant des millions de Français : « Ceuxqui ne sont pas Charlie, il faut les repérer et les traiter. » Aïe, latélé se prend pour la police ! Si tu n’es pas Charlie, c’est que tusoutiens les attentats ?

Cela rappelle l’esprit tout en nuances de George Bush après lesattentats du septembre : « Vous êtes avec nous ou contre nous. »On espère que cette dame n’enverra pas une convocation au Vati-can où un certain François a déclaré : « On ne peut pas provoquer,insulter la foi des autres ou la tourner en dérision. Si un grand amiparle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, c’estnormal. » Le Pape non plus n’est pas Charlie.

L’école aussi risque de devenir la police, en tout cas sa ministreNajat Vallaud Belkacem : « Il y a eu de trop nombreux questionne-ments de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Ouije soutiens Charlie mais », les « deux poids, deux mesures », les« pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Cesquestions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend àl’école, qui est chargée de transmettre des valeurs. »

« Trop de questions » ? C’est ça, l’école ? Pas une tête ne doitdépasser, aucun jeune ne peut s’interroger, aucun prof ne peut ap-prendre à réfléchir et débattre ?

Au lieu d’exclure et de diaboliser, ne faudrait-il pas se deman-der plutôt si les médias n’ont pas eux aussi contribué à créer cefossé et cette frustration d’une grande partie de notre jeunesse ?Pourquoi deux parties de la population s’informent-elles de façoncomplètement différente, ne croient plus du tout à la même versiondes événements et ne se parlent plus ?

Réfléchir ? Pour certains, c’est tout réfléchi. Les frères Koua-chi et Coulibaly sont tout simplement des monstres, ils ne sont pashumains, ils constituent une sorte de corps étranger n’ayant rien àvoir avec la société française. Et la solution serait simple aussi :davantage de soldats dans les rues, davantage d’espionnage des ci-toyens et le fameux « Nous sommes en guerre » du premier ministreValls. La France en guerre ? Ce serait passer à côté du problème. Sielle faisait plutôt un examen de conscience ? Les trois meurtriersétaient Français, ont grandi en France, ont côtoyé des Français etont suivi les cours de l’éducation nationale française. Alors com-ment se fait-il que tant de jeunes s’identifient à Daesh plutôt qu’àla France ?

Si on veut mettre fin à ce terrorisme détestable, on doit creu-ser ses causes. Les enquêtes sur le parcours des « eurojihadistes »convergent : la cause commune, c’est le désespoir. Sur le plan so-cial pour beaucoup : pas de boulot, pas d’avenir, donc la drogue,puis la prison, et enfin le recrutement par des groupes bien organi-sés qui profitent méthodiquement des faiblesses de leurs « cibles »pour les recruter, les encadrer et les droguer à nouveau mais spi-rituellement. La délinquance, on ne l’excuse pas, mais elle a descauses.

Sur le plan de l’information aussi, le désespoir : comme un desfrères Kouachi et comme Amedy Coulibaly dans leurs interviewstéléphoniques à BFMTV quelques heures avant d’être tués, tous lesjeunes jihadistes interrogés disent que leur révolte est venue desimages de Guantanamo, des tortures d’Abou Ghraïb, des armeschimiques US déversées sur la population de Fallujah en Irak, oudes images des petits enfants de Gaza massacrés par Israël avec lesoutien honteux de « la France » officielle.

Cette voie terroriste, l’ont-ils choisie en pleine liberté ou bieny ont-ils été poussés ? Par qui et comment ? La France inonded’armes des milliers d’islamistes en Syrie et elle s’étonne d’enretrouver quelques-unes sur son territoire ? Israël reçoit cinq mil-liards de dollars par an pour construire un Mur et massacrer à Gazaet on s’étonne que les jeunes aient la rage ?

C’est sur ça qu’il est important de réfléchir et de débattre. Surles causes. Après ce crime barbare et le contexte psychologiquequi a suivi, une analyse sereine des causes n’est pas facile. Maiselle est urgente. Je ne crois pas que Charb, qui dessinait pour lesPalestiniens, aurait apprécié de voir Netanyahou venir manifesteraux côtés de François Hollande pour « la liberté d’expression ». Jene crois pas que Wolinski qui défendait Cuba contre les Etats-Unisaurait apprécié de se voir récupéré par l’OTAN et l’extrême droite.

Est-ce que ces événements n’étaient pas complètement pré-visibles, et d’ailleurs annoncés ? En juin , j’ai organisé àBruxelles un grand débat : « Jeunes qui partent en Syrie, quepouvons-nous faire ? » J’y avais d’abord invité les quatre grandspartis politiques belges. Pendant des semaines, j’ai insisté :« L’eurojihadisme aura des répercussions ici en Europe, il faut fairequelque chose et proposer aux jeunes un véritable débat démocra-tique sur le Moyen-Orient et l’info. ». Seul Philippe Moureaux (PS)avait accepté. Tous les autres (CDH, MR, Ecolo) étaient aux abon-nés absents. Pourquoi ?

Le nombre d’eurojihadistes a doublé entre janvier et jan-vier ! La France compterait jihadistes partis en contre partis en . La Belgique : + %. La Suisse« progresserait » encore davantage. Est-on satisfait du bilan de lapolitique suivie ? Va-t-on continuer à faire la même chose ou bienest-il temps de faire autrement ?

Si nous voulons comprendre et prévenir, il va falloir débattre.Sans exclusives. Et d’abord sur la façon dont nous sommes infor-més. Ou désinformés ? Si nous voulons empêcher qu’on nous en-traîne vers de nouvelles guerres qui entraîneront forcément de nou-veaux attentats, il va falloir non pas moins mais plus de démocratie.Il va falloir se demander combien de fois on nous a fait le coup des« armes de destruction massive bidon » sans que nous l’ayons re-marqué. Une démocratie qui ne pense pas et qui n’interroge passes propres informations n’est plus une démocratie. Et elle sera laproie du premier populiste qui surfera sur la vague des angoisses.

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www.michelcollon.info CULTURE | 23

Pour notre malheur à tous.Ce petit livre, rédigé en urgence et forcément incomplet, veut

ouvrir le débat. En apportant les informations et les points de vuequi ont été mis de côté. Pour comprendre le monde, il est parfoisnécessaire de changer de lunettes. L’intellectuel parisien a raison

de se révolter contre la tuerie à Charlie, mais il aura aussi intérêt àse mettre à la place du torturé d’Abou Ghraïb ou de Guantanamo,du bombardé de Gaza, de l’affamé du Mali. Afin que nous puis-sions tous ensemble répondre à cette question : « Je suis ou je nesuis pas Charlie ? »

Regardez vidéo Charlie, USA, Daesh : les médiamensonges : https://www.youtube.com/watch?v=kq5q17DDzJk

Je suis ou je ne suis pas Charlie ?Qu’est-ce qui pousse de jeunes Français à commettre un tel massacre ? Pourquoi unepartie de la population ne se reconnaît pas dans le slogan « Je suis Charlie » ? MichelCollon répond à ces questions en revenant sur les causes profondes des attentats : laguerre là-bas, l’humiliation ici et, entre les deux, un eurojihadisme très organisé.

Ce livre peut-être commandé sur notre site1 pour le prix de 9,00 e.Disponible également en livre électronique (EPUB + MOBI + PDF)Michel Collon est écrivain et journaliste indépendant. Il écrit des livres, collabore à

des documentaires et a fondé le Collectif Investig’Action. Celui-ci anime le site Internetmichelcollon.info avec une newsletter hebdomadaire diffusée à abonnés en troislangues : français, espagnol et anglais. Il est spécialisé dans l’analyse des stratégies deguerre, des relations Nord-Sud et des médiamensonges.

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24 | INTERVIEW Investig’Action

Michel Collon : « Les Etats-Unis mènent une nouvelle guerreglobale non déclarée »La liberté d’expression, Dieudonné, les attentats de Charlie Hebdo, mais aussi le monde unipolaire en passe dedevenir multipolaire, autant de questions auxquelles l’essayiste belge Michel Collon a accepté de répondre.

Russia Today (France)RT France : En France, quels sont les

sujets qui font partie d’un consensus poli-tique et médiatique et quels sont les sujetstabous ?

Michel Collon : On n’a pas le droitde dire que les Etats-Unis ont utilisé leterrorisme pour renverser toute une sériede gouvernements qui ne leur plaisaientpas : Afghanistan, Yougoslavie, Libye, Sy-rie, Ukraine... On n’a pas le droit de direqu’Israël est fondé sur le nettoyage ethniquede et que son régime est maintenantfondé sur un apartheid de fait. Tout celane peut pas être dit sinon on se fait traiterd’antisémite, de négationniste, de complo-tiste. En fait, les médias français refusentle débat. On parle de liberté d’expressionmais elle est limitée à ceux qui acceptentle système. Eux ont le droit de discuter surle « comment » des choses mais ils ne dis-cutent jamais sur le « pourquoi » : pour-quoi autant de guerres menées par les Oc-cidentaux sur la planète ? Pourquoi autantde faim dans le monde alors que les multi-nationales sont de plus en plus riches ?

RT France : Que risque celui quin’entre pas dans ce consensus ?

Michel Collon : L’exclusion, le boy-cott, le plaquage d’étiquette : complotiste,ami des dictateurs, etc. . . . mais en généralc’est la loi du silence, c’est l’omerta totale.

RT France : Que pensez-vous dufait que certains spectacles de Dieudonnésont interdits préventivement par crainte detroubles à l’ordre public ?

Michel Collon : Quoi qu’on pense deDieudonné, et j’estime pour ma part qu’ila suivi une évolution regrettable en s’al-liant à des gens d’extrême-droite, il fautquand même appliquer la liberté d’expres-sion. Quand le gouvernement français tented’interdire préventivement des spectacles, ilviole la constitution. Vous ne pouvez pasaccorder la liberté d’expression aux opi-nions qui vous plaisent et l’interdire à cellesqui vous déplaisent. Si un délit est commislors d’un spectacle, il y a des tribunaux quipourront en juger. Mais interdire de façonpréventive est un autre nom pour la censure.Ce n’est pas à l’Etat à nous dire quelle est lavérité, qu’elle soit historique ou politique.

RT France : Après les attentats contreCharlie Hebdo et l’hyper-casher, un débaten France avait eu lieu sur la liberté d’ex-

pression. Qu’en avez-vous pensé ?Michel Collon : Les termes de ce débat

ont été mal posés. On a eu la fiction d’uneunion nationale autour de grandes valeursqu’il aurait fallu défendre sans se poser dequestions. Or la manifestation du jan-vier a été convoquée par le gouvernementet a été ternie par la présence de dictateurs.On a pu également voir aux côtés de Fran-çois Hollande, Benjamin Netanyahou. Quecelui-ci puisse manifester à Paris pour la li-berté d’expression alors que quelques moisplus tôt journalistes palestiniens avaientété tués par l’armée israélienne, cela montrebien que cette manifestation était dans l’hy-pocrisie et la récupération. Ensuite, il y a eude la part de François Hollande toute uneopération de marketing politique. Quand ilse rend au siège de Charlie Hebdo aprèsl’attentat, il est accompagné non pas de sonministre de l’Intérieur ou de son respon-sable de la sécurité mais de son chargé de lacommunication. La seule question qui l’in-téressait était de savoir quelle image allaitsortir de cette visite. Cela lui a plutôt bienréussi puisque il était alors au plus bas dansles sondages et a récupéré toute une partiede sa popularité, surfant ainsi sur l’indigna-tion légitime de la population française. En-fin, les participants à la manifestation ontmontré qu’il y avait un clivage profond enFrance. Sociologiquement, les manifestantsétaient largement blancs, plutôt âgés, appar-tenant à la classe supérieure. Ni la classeouvrière ni les jeunes d’origine immigréedes quartiers populaires n’étaient là. Il y aeu la France « Je suis Charlie » et la France« je ne suis pas Charlie ».

RT France : Quelle est votre analysede ces attentats ?

Michel Collon : Tous les manifestantsdu janvier étaient là pour condamnerces attentats abominables. Le problème estqu’on a assimilé ces actes à la populationmusulmane française. Il n’y a eu aucune in-terrogation sur le fait que les frères Kouachiet Amedy Coulibaly faisaient partie de cesjeunes qu’on appelle « euro-djhadistes » etqui ont été envoyés en Syrie et dans d’autrespays dans une opération organisée par laCIA, financée par l’Arabie saoudite et le Qa-tar et soutenue par la Turquie. On a orga-nisé et armé des milliers de frères Kouachi,toute une armée de mercenaires, pour faireen Syrie et en Irak exactement ce qu’ils ont

fait à Paris. Laurent Fabius avait d’ailleursdéclaré à Marrakech en décembre :« C’est difficile de désavouer al Nosra enSyrie, car ils font du bon boulot ». Al Nosraest la branche d’Al Qaïda en Syrie. Il fautvraiment sortir de la fausse unanimité du janvier et ouvrir un véritable débat, poserles vraies questions, dépasser les étiquettes.

RT France : Ces attentats auraientdonc été le retour de bâton des interventionsoccidentales au Moyen-Orient ?

Michel Collon : J’ai appelé cela le« retour du boomerang ». On ne peut pas dé-clencher une vague de terrorisme étatiqueau Moyen-Orient sans qu’il y ait un retour.Les experts, les gens de la communauté mu-sulmane disent qu’il y a énormément d’ar-gent, des pétro-dollars, de l’Arabie saouditesurtout, autour des mosquées, des lieux devie des jeunes en France et en Belgique,mais aussi dans d’autres pays européens.Cet argent sert à accrocher des jeunes unpeu perdus. On les manipule en leur di-sant qu’ils sont persécutés pour la seule rai-son qu’ils sont musulmans et on les endoc-trine au nom d’un prétendu devoir de par-tir au combat en Syrie. Ils sont endoctrinésdans une version de l’islam qui est réac-tionnaire, fanatique et qui est la version del’Arabie saoudite. Mais étonnamment, c’estcette version de l’islam qui est encouragéepar les gouvernements des Etats-Unis et del’Europe qui se prétendent démocratiques.On a provoqué cet euro-djihadisme dont lamajorité des victimes sont les populationsdes pays musulmans et non les pays occi-dentaux.

RT France : Pourquoi les autoritésfrançaises laissent-elles faire si cette in-fluence de l’Arabie saoudite est si pré-gnante dans les banlieues françaises ?

Michel Collon : En raison d’une al-liance entre l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et l’Europe. Cela avait commencéavec l’Empire britannique qui avait placé aupouvoir la famille des Saoud, alors la tribula plus réactionnaire et la plus isolée. Rede-vable envers l’Empire, elle n’a montré au-cune indépendance. Les Etats-Unis ont prisle relais et ont noué une alliance lors dela rencontre secrète entre Franklin Roose-velt et le Roi Ibn Saoud (NDLR : Le pactedu Quincy a été scellé le février ).Les Etats-Unis garantissaient à la monar-chie saoudienne leur protection en échange

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de l’accès au pétrole. En Europe occiden-tale, il y a un grand mécontentement decette jeunesse issue de l’immigration en rai-son des discriminations et de l’islamopho-bie. Tout ce climat se traduit par des actesislamophobes et des violences à l’encontredes femmes voilées. Ces jeunes sont trai-tés comme des sous-citoyens. Toutes cesfrustrations cumulées permettent que des fi-lières organisées les recrutent grâce à l’ar-gent de l’Arabie saoudite. Ils servent demercenaires à cette guerre en Syrie ou enIrak à des Etats-Unis qui ne souhaitent pasdéployer des troupes au sol. En cela BarackObama est beaucoup plus malin que GeorgeBush et ne s’est pas lancé dans des aven-tures hasardeuses. Il utilise maintenant cesjeunes pour semer le chaos et déstabiliserdes pays qui lui résistent.

RT France : Que pensez-vous des ré-actions au livre d’Emmanuel Todd qui a trèsmal été accueilli par les médias et les poli-tiques ?

Michel Collon : Emmanuel Todd a étévictime d’un véritable terrorisme politiqueet médiatique car il a posé les bonnes ques-tions. Je ne suis pas d’accord avec lui surtout car je pense qu’il laisse de côté les fac-teurs internationaux et les liens entre lesEtats-Unis et le terrorisme dit islamiste. Ila quand même été courageux et a brisécette fausse union nationale. Il a montrécette islamophobie et ce climat hystériquequi nous ont empêchés de poser les bonnesquestions. Quand on sait que beaucoup dejeunes rejoignent les rangs des djihadistes,pourquoi ne se demande-t-on pas pour-quoi une telle fascination pour un mouve-ment aussi inhumain ? Les frères Kouachi

et Amedy Coulibaly n’étaient pas des étran-gers mais étaient le produit de la sociétéfrançaise. Emmanuel Todd a bien pointéque l’élite française avait faussé le débat.Si on pose bien ce débat, on est obligé devoir le soutien apporté par les Etats-Unis etleurs alliés européens au terrorisme en Sy-rie, en Libye, en Bosnie, au Kosovo maisaussi en Afghanistan. Tout a commencélà d’ailleurs. Al-Qaïda a été créé par leconseiller du président Carter, Zbigniew Br-zezinski pour renverser le gouvernement af-ghan et attirer l’URSS dans une guerre sem-blable à celle du Vietnam. Hillary Clinton aconfirmé par la suite cela. Pourquoi les Oc-cidentaux utilisent-ils le terrorisme commeune manière indirecte de faire la guerre ?Ce débat est exclu car les médias seraientaussi décrédibilisés, eux qui nous vendentchaque guerre comme on nous vend un den-tifrice ou une voiture. Actuellement ils nousvendent pratiquement une guerre par an.

RT France : Vous parlez dans vosécrits de « mouvement de recolonisa-tion des Etats unis vers le monde ».Qu’entendez-vous par là ?

Michel Collon : Depuis , avec laguerre contre l’Irak puis contre la Yougo-slavie, on est entré dans cette phase de re-conquête de tout ce qui avait été perdu avecla décolonisation du monde après . LesEtats-Unis sont en déclin économique etpolitique mais veulent garder leur supré-matie sur l’accès aux ressources naturelles.Plus encore, ils tentent de limiter ce déclinen conquérant d’autres ressources. Ils es-saient également d’empêcher l’émergencede puissances rivales comme la Chine ou laRussie, voire l’Inde. Toute cette guerre pour

le pétrole, le gaz au Moyen-Orient fait par-tie de cette nouvelle guerre globale non dé-clarée pour savoir si les Etats-Unis vont res-ter la super puissance qui domine le mondeou s’ils vont devoir accepter l’émergenced’un monde multipolaire avec une coexis-tence des systèmes.

RT France : L’annonce faite par l’Otande sa volonté de stocker des armes lourdesen Europe fait-elle partie de cette entreprisede recolonisation ?

Michel Collon : En , quand Mi-khaïl Gorbatchev a accepté la fin du Pactede Varsovie, James Baker, alors Secré-taire d’Etat américain, lui avait garanti quel’Otan ne s’étendrait pas vers l’Est. Cetteparole a été rapidement enterrée. Les Etats-Unis se sont lancés dans une extension del’Otan vers les pays de l’Est, ce qui a aboutià l’encerclement de la Russie. Cela s’est tra-duit pas l’installation de bases militaires etpar un bouclier anti-missile qui est en faitune arme offensive pour empêcher la Rus-sie de riposter à une éventuelle attaque. Cetencerclement s’est concrétisé par un coupd’Etat et la prise de contrôle de l’Ukraine enutilisant des bandes fascistes. Il est évidentque la Russie est un obstacle à la domina-tion du monde car ce pays est une puis-sance militaire qui a les moyens de résister.Surtout la Russie mène une politique d’al-liance avec la Chine. L’axe Moscou-Pékinse concrétise avec l’Organisation de Co-opération de Shanghai et les tentatives demettre sur pied un marché commun et unepolitique sécuritaire commune. Tout celavise à construire un front alternatif, ce quine plait pas aux Etats-Unis.

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Syriana Pour l’UE, les djihadistes étaient un allié stratégique, expose Bahar Kimyongür. 9 eLibye, Otan et médiamensonges Dès 2011, Michel Collon prédit que la Libye servira de foyer à l’expansion

du terrorisme. 9 eJihad made in USA Grégoire Lalieu analyse avec Mohamed Hassan la Syrie, l’Egypte, al-Qaida et Daesh.

15 eJe suis ou je ne suis pas Charlie ? Michel Collon expose les liens troubles entre les USA, Laurent Fabius et

le terrorisme au Moyen-Orient et en Europe. 9 eOFFRE SPECIALE à l’achat de ces livres, vous recevrez gratuitement Je suis ou je ne suis pas Charlie ?

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